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ensuite, évoquant L’Annonce faite à Marie, il assure : « Quand je la vois d’un point de vue de<br />
constructeur, je trouve que c’est une de mes pièces les mieux charpentées, qui sont les plus faites pour<br />
frapper le public. » 113 <strong>Le</strong>s écrivains qui consacrent leur vie « à l’invention littéraire et à la recherche<br />
d’eux-mêmes », en règle générale, conduisent cette vie à l’échec, estime Claudel qui cite en exemple<br />
Gide, Proust, Rimbaud, Verlaine. En s’immergeant dans leurs <strong>texte</strong>s, ils perdent le contrôle de la réalité,<br />
ce qui est inadmissible pour un écrivain qui, comme Claudel lui-même, considère sa création comme<br />
une prédication. La position même de constructeur, qui élève son temple, son œuvre, permet, au<br />
contraire, non seulement de la contrôler, mais aussi de la transformer à son gré. Comme l’architecte<br />
Pierre de Craon qui pénètre dans la maison de Violaine pour la détruire, mais l’ayant détruite,<br />
reconstitue de ses ruines l’église de Sainte Justice, il doit apporter la vérité aux hommes, et même la leur<br />
imposer, sans s’occuper de l’opinion de ceux qui l’entourent. L’histoire de la pièce la plus connue de<br />
Claudel, dans sa longue route, longue par la distance et par la durée, c’est aussi l’histoire du poète,<br />
devenu constructeur et installant au-dessus de son Temple « le fier étendard »(Bernanos) du prophète et<br />
du prédicateur.<br />
<strong>Le</strong>s motifs bibliques dans l’action du Soulier de satin de Paul Claudel<br />
Inna Nekrassova<br />
Académie de théâtre de Saint-Pétersbourg, Russie<br />
<strong>Le</strong> Soulier de satin (1919-1924), l’œuvre dramatique la plus importante de Paul Claudel,<br />
« somme » et bilan de ses recherches théâtrales, est pénétré de toute une série d’associations bibliques et<br />
ne peut être imaginé hors d’un con<strong>texte</strong> biblique, bien que les motifs de l’Ancien et du Nouveau<br />
Testaments ne soient pas ici constitutifs du sujet comme ils le sont dans <strong>Le</strong> repos du septième jour ou<br />
L’Annonce faite à Marie.<br />
En France le thème de la Bible dans la vie et dans l’œuvre de Claudel est depuis longtemps<br />
traité et il a été présenté dans nombre de travaux importants ; dans notre pays, le sujet n’a pratiquement<br />
jamais été l’objet d’études scientifiques et ce colloque nous donne la possibilité d’approfondir nos<br />
connaissances en ce domaine. Dans de nombreuses études consacrées au Soulier de satin (en particulier,<br />
celles d’Antoinette Weber-Caflisch, de Michel Autrand et d’autres), la problématique religieuse de ce<br />
drame a été envisagée de différents points de vue, mais, selon moi, le sujet est encore aujourd’hui loin<br />
d’être épuisé. L’un de ses aspects les plus intéressants a été souligné par exemple par Jacques Houriez<br />
dans son étude La Bible et le sacré dans <strong>Le</strong> Soulier de satin de Paul Claudel (consacrée essentiellement à la<br />
Quatrième journée de la pièce), où il découvre l’originalité de la technique dramaturgique de Claudel en<br />
rapport avec les motifs bibliques et finalement du drame : « <strong>Le</strong> rôle de la Bible consiste moins… Ave<br />
Maria » 114<br />
Ma communication se bornera, dans quelques scènes fondamentales du Soulier de satin, à mettre<br />
l’accent sur le problème de l’insertion des motifs bibliques dans l’action dramatique de cette pièce.<br />
La conception du Soulier de satin se développa chez Claudel d’une manière lente et complexe. Au<br />
début c’était, selon l’auteur lui-même, « une espèce de saynète marine », petite pièce courte dans le style<br />
espagnol, » destinée à servir de prologue à Protée » 115 , drame satirique. Ainsi Claudel avait-il l’intention de<br />
développer le sujet dans le registre comique. Pour transformer une timide ébauche en « grand drame<br />
espagnol », une prophétie grandiose sur l’amour, l’histoire et la foi, plusieurs étapes furent nécessaires,<br />
et nous pouvons en suivre quelques-unes grâce au Journal du poète. Par ce Journal on sait que pendant<br />
tout le temps que dura l’élaboration la pièce, de la conception au finale, Claudel recourut à plusieurs<br />
reprises à la Bible et nota des versets qu’il jugeait significatifs. Ses renvois à la source éternelle nous<br />
indiquent parfois les voies que prennent ses recherches créatrices, nous aident à connaître non<br />
seulement la sphère de ses pensées, mais le processus même de la construction de l’action dramatique.<br />
113 P. Claudel, Mémoires improvisés, Gallimard, 1954, p. 240.<br />
114 Jacques Houriez, La Bible et le sacré dans <strong>Le</strong> Soulier de satin de Paul Claudel, Minard, « Archives des <strong>Le</strong>ttres modernes »,<br />
1987, p. 5.<br />
115 P. Claudel, J 1, p. 647.<br />
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