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texte - Le Porche

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scène, la conception même de la pièce subit des transformations et le drame devint un mystère. Si dans<br />

les deux premières versions il s’agissait du haut fait spirituel de Violaine dont la mort éclairait les autres<br />

personnages de la pièce, maintenant Claudel a des visées plus globales. Violaine devait devenir la<br />

personnification de la force du bien et de la sainteté qui peut sauver non seulement les hommes qui<br />

l’environnent, mais le monde entier, et influer sur le cours de l’histoire universelle. Mais pour changer<br />

l’histoire, il faut être une personnalité agissante, il faut sentir sa propre vie comme une partie de la vie<br />

universelle, collective ; voilà pourquoi cette fois Claudel installe ses personnages dans une époque<br />

historique totalement concrète, le début du XV e siècle, l’époque de la Guerre de cent ans et de Jeanne<br />

d’Arc.<br />

<strong>Le</strong>s changements les plus importants sont apportés par Claudel dans le troisième acte. Avant<br />

tout il écrit la scène de la construction de la route royale. <strong>Le</strong> roi accompagné par Jeanne d’Arc doit<br />

parvenir à Reims pour son sacre, et les paysans en hâte construisent la route qui, à travers la forêt où<br />

s’est cachée Violaine atteinte de la lèpre. Mais sa sœur Mara n’a pas le choix : elle croit que seule sa sœur<br />

pourra ressusciter sa petite fille morte. Longtemps Mara s’entretient avec Violaine mais voici que<br />

résonnent le son des cloches de Noël, qui se mêlent aux appels des trompettes de l’escorte royale, et<br />

Violaine cède : elle prend l’enfant par la main au moment où Mara commence à lire à haute voix les<br />

prophètes et les prières du rituel de Noël. Voici le moment culminant : Violaine arrache l’enfant de sa<br />

poitrine et sur les lèvres de la fillette Mara voit une goutte de lait. Violaine est assimilée à la Vierge<br />

Marie : elle a donné naissance à un enfant en gardant sa virginité. Ayant rempli sa mission, Violaine<br />

meurt, recevant la mort de la main de la sœur. Mourante elle est portée à Combernon par Pierre de<br />

Craon qui est guéri ou, plus exactement, guéri de la lèpre par le baiser de Violaine.<br />

Il est remarquable qu’en 1937 Claudel, remaniant le quatrième acte de la pièce, en ait exclu<br />

Pierre de Craon. Claudel avait senti que Pierre comme personnage de la pièce s’épuise dès le premier<br />

acte et que le meilleur témoignage du haut fait de Violaine est justement l’absence de Pierre à<br />

Combernon, car il remplace en quelque sorte maintenant à Jérusalem Anne Vercors, renforçant encore<br />

davantage ce lien invisible qui s’installe entre Combernon et Jérusalem, entre le martyre de Violaine et le<br />

Golgotha. L’absence « parlante » de Pierre de Craon devient l’un des centres significatifs dans la version<br />

définitive de la pièce, qui se rapporte à 1948.<br />

L’Annonce faite à Marie occupe une place particulière dans l’héritage littéraire de Claudel non<br />

seulement à cause de la saturation spirituelle et émotionnelle, mais aussi parce que sa première mise en<br />

scène en décembre 1912 découvrit à la France et à l’Europe Claudel comme dramaturge. <strong>Le</strong> metteur en<br />

scène fut le célèbre Aurélien Lugné-Poë, créateur du Théâtre de l’Œuvre. En Russie la première de cette<br />

pièce eut lieu à Moscou le 16 novembre 1920 dans la mise en scène d’Alexandre Taïrov, le rôle de<br />

Violaine étant interprété par Alissa Koonen. Parmi les autres mises en scène on aimerait également citer<br />

celle de 1940 dont souvent on préfère ne pas parler 112 . Au moment du spectacle l’actrice Ève Francis lut<br />

sur la scène du Casino de Vichy Paroles au Maréchal, une ode de Claudel dédiée au maréchal Pétain. <strong>Le</strong><br />

dramaturge ne pouvait pas ne pas se rendre compte de la réaction qu’allait susciter son adresse à Pétain,<br />

mais il ne craignit pas d’introduire l’ode dans le corps de sa pièce la plus connue, il ne craignit pas de<br />

compromettre un <strong>texte</strong> où il est question du mystère de l’abnégation chrétienne. Ce qui est important<br />

ici ce n’est pas que Claudel s’adresse à un politique collaborationniste, mais qu’insérant cette adresse<br />

dans un <strong>texte</strong> sur le miracle de la résurrection, il essaie obliger Pétain à renouveler le haut fait de<br />

Violaine et à ressusciter la France outragée. Claudel croit que le mot est premier – non le mot à Pétain,<br />

mais le mot comme tel, le mot qui crée la vie. S’adressant au maréchal, il parle non comme ancien<br />

fonctionnaire de la République, non comme politique, mais comme prophète, adjurant par la parole, et<br />

comme poète, transfigurant par la parole la réalité. <strong>Le</strong> prophétisme et l’intolérance qu’on a reprochés si<br />

souvent à Claudel, sont justement en rapport avec cette foi dans l’efficacité de la parole, accompagnée<br />

d’une incapacité sincère de comprendre comment les hommes peuvent la méconnaître.<br />

<strong>Le</strong> dramaturge, interrogé sur les différences entre La Jeune fille Violaine et L’Annonce faite à Marie,<br />

répond que dès 1909 il occupait une position en quelque sorte extérieure par rapport à son œuvre, son<br />

regard devenant le regard du « constructeur », de « l’architecte », évaluant de l’extérieur son projet. Et<br />

112 En réalité, en mai 1941 : « L’Annonce. Ève Francis au second acte lit mon poème : Paroles au Maréchal », J 2, p. 358.<br />

Cette ode se trouve en Po, pp. 579-580 avec cette note : « Je l’ai conservée comme un monument élevé à la fois à la Naïveté<br />

et à l’Imposture. » [NdT]<br />

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