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texte - Le Porche

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universels, en conflit éternel, le bien et le mal, le jour et la nuit. Au début, Anne part simplement en<br />

voyage, sans qu’on sache où il va, et ce n’est qu’à la fin de la pièce qu’il apparaît que sa route l’a conduit<br />

à Rome, tandis que dans L’Annonce faite à Marie ses attentes sont orientées vers Jérusalem.<br />

Cela concerne en second lieu l’héroïne principale de la pièce, Violaine, dont le choix –mais elle<br />

cède son fiancé à sa jeune sœur – est déterminé par les troubles injonctions du cœur. Plus tard ce choix<br />

deviendra beaucoup plus conscient, elle choisira en pleine conscience le personnage, qui n’apparaîtra<br />

que dans la deuxième version de la pièce, le constructeur de ponts Pierre de Craon. L’apparition de<br />

celui-ci a lieu au premier acte, « la pièce est complètement obscure » car l’action se déroule de nuit. Quel<br />

contraste avec le premier acte de la version originelle ! Là tout avait commencé par une « matinée<br />

ensoleillée » de printemps, tous les habitants de la ferme de Combernon étant occupés à une grande<br />

lessive . Ici, dès le début, à côté de Violaine et de Pierre, la nuit est l’un des personnages principaux.<br />

Pierre de Craon vient trouver Violaine pour la priver du bonheur terrestre et lui montrer la voie du<br />

bonheur céleste. Avant de se mettre en route, il doit l’informer que désormais elle n’appartient plus à<br />

son fiancé terrestre : il lui faut parcourir le long chemin des souffrances et des humiliations pour<br />

contempler le Fiancé céleste. Pourtant le rôle de Pierre ne se réduit pas au rôle de messager passif de la<br />

volonté divine : en mettant Violaine sur le chemin de la vérité, il trouve son intérêt. Dans la deuxième<br />

version de La Jeune fille Violaine cet intérêt est lié directement avec la décision de Pierre de se consacrer<br />

totalement au service de Dieu : c’est qu’il veut devenir un bâtisseur d’églises et pour cela doit<br />

s’affranchir des attachements de la vie terrestre. Pour Pierre la vocation de Violaine est en même temps<br />

sa propre vocation ; si Violaine refuse son fiancé et reste vierge, par-là même elle cessera d’être pour lui<br />

une source de tentation qui peut corrompre son corps. De cette façon Pierre, tout en étant instrument<br />

de la Providence, poursuit ses fins personnelles, ce qui, à vrai dire, jette un reflet plutôt négatif sur ce<br />

personnage, qui en principe doit incarner la noblesse et la pureté. Pour se débarrasser de la tentation,<br />

Pierre tente lui-même Violaine, lui retirant la possibilité d’aimer et d’être aimée. En opposant l’amour<br />

céleste et l’amour terrestre, il lui ôte en réalité le choix : si, dans la première version de La Jeune fille<br />

Violaine, Violaine fait ce choix elle-même, par compassion pour sa sœur, maintenant elle ne fait que<br />

suivre passivement celui qui lui a montré la possibilité d’une autre vie, la vie où on ne peut pénétrer que<br />

par la mort. Au moment de la séparation, Violaine lui tend la main. Pierre la prend et, attirant à lui la<br />

jeune fille qui s’incline vers lui, l’embrasse sur la joue. Ce baiser que voit Mara 108 , la sœur de Violaine<br />

rappelle un autre baiser : celui par lequel Juda a désigné le Christ aux gardes. Pierre embrasse Violaine<br />

comme frère dans le Christ, comme l’un des apôtres, d’un baiser d’amour et de trahison.<br />

Dans L’Annonce faite à Marie Claudel a accentué encore davantage le côté « sombre » de Pierre de<br />

Craon : dans le prologue il est noté que Pierre a tenté de faire Violence à Violaine, sans d’ailleurs réussir<br />

dans sa tentative. Mais elle ne se souvient pas du mal et c’est sans crainte qu’elle lui ouvre sa porte.<br />

Pierre vient trouver Violaine pour effacer sa faute. Cette purification lui est nécessaire car, en châtiment<br />

de ce qu’il a commis, Dieu lui a envoyé une terrible épreuve – la lèpre. Mais pour se purifier, il lui faut<br />

« réveiller » Violaine, la forcer à comprendre qu’elle aussi est choisie. L’union de Pierre et de Violaine,<br />

mais une union qui n’est plus charnelle mais spirituelle, doit être le gage de la victoire sur la chair et sur<br />

la mort. Telle est l’interprétation la plus répandue de cette scène et il est indubitable que Claudel a voulu<br />

précisément qu’elle soit interprétée ainsi. Mais un autre regard est possible : Pierre vient trouver<br />

Violaine non pour se purifier, mais pour se venger : condamné pour avoir tenté de satisfaire sa chair,<br />

Pierre décide de priver Violaine de sa chair.<br />

Claudel a-t-il compris lui-même que le personnage créé par lui était loin d’être aussi positif qu’il<br />

peut le paraître au début ? Apparemment oui, car ce n’est pas un hasard s’il a introduit, même si ce n’est<br />

pas manifeste, le motif du viol, qui n’existait pas dans La Jeune fille Violaine. D’un autre côté, à la<br />

différence de la seconde rédaction de La Jeune fille Violaine, dans L’Annonce faite à Marie, ce n’est plus<br />

Pierre qui embrasse la jeune fille, ce qui, si l’on fait attention à ce qui est dit plus haut, aurait été un<br />

comportement tout à fait odieux, mais Violaine qui embrasse Pierre, sachant parfaitement que celui-ci<br />

est atteint de la lèpre. La possibilité du choix, qui a été retirée à Violaine dans la seconde version de La<br />

Jeune fille Violaine, lui est rendue dans L’Annonce faite à Marie. Elle donne à Pierre un baiser qui<br />

finalement lui apporte la guérison. Mais, il est vrai, au prix de la mort de Violaine elle-même.<br />

108 C’est maintenant le nom de Bibiane, issu d’une racine indo-européenne qui signifie « amer ».<br />

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