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texte - Le Porche

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chrétienne ou non. L’Endormie, <strong>Le</strong> repos du septième jour, Protée, exploitent des mythologies étrangères. Tête<br />

d’Or, La Ville, L’Échange, Partage de Midi, <strong>Le</strong> Pain dur, <strong>Le</strong> Soulier de satin, mettent en scène des personnages<br />

en quête de Dieu, en voie de se convertir à Lui, ou encore indifférents et même hostiles. Par contraste,<br />

L’Annonce faite à Marie, est un drame médiéval au service d’un idéal chrétien déclaré et uniformément<br />

partagé.<br />

Comme dans ses poèmes de louange, Claudel accorde à la foi en Dieu bien des occasions de<br />

s’exprimer sur un mode personnel par les voix incarnées de son théâtre. <strong>Le</strong> cantique de Mesa dans<br />

Partage de midi, la prière du Jésuite dans <strong>Le</strong> Soulier de satin, la beauté automnale de la campagne chantée<br />

par Vercors dans L’Annonce faite à Marie, sont des hommages au Créateur. Mais leur parfum s’enrichit<br />

souvent d’une autre intention. <strong>Le</strong> Jésuite se fait l’intercesseur de son frère Rodrigue, sa prière, au tout<br />

début du Soulier, est prise dans la dynamique d’une aventure dont l’issue est ouverte. Sur scène, l’enjeu<br />

de la foi est dramatique, son action se mesure à l’efficacité de son pouvoir dans le cours de la fable.<br />

Dans la première version de La Ville – rédigée entre 1890 et 1891 soit au moment où Claudel<br />

franchit le seuil de la Communion – la foi se manifeste sous sa forme dramatique originelle par la<br />

conversion d’Ivors. Devant le mystérieux Etranger portant l’étole qui déclare à l’acte III « quelqu’un<br />

existe, Dieu est 60 », devant les Consacrés, ses acolytes, qui attestent le Royaume, devant la force<br />

irrésistible de leur témoignage, le victorieux chef de guerre s’incline : « J’ai entendu, et voilà que mon<br />

vieux cœur, / Comme un gamin de dix-sept ans que des forêts accompagnent dans le ciel, ne peut plus<br />

contenir / <strong>Le</strong> débordement sauvage de l’espérance ! » 61 Et la foule de s’agenouiller avec lui pour être<br />

bénie en ce jour de printemps et résurrection, à l’horizon duquel se dessine le possible avènement d’une<br />

théocratie.<br />

La conversion d’Ivors engagée dans La Ville le soustrait au hasard, selon le plan annoncé dans<br />

« Magnificat », lui et toute la foule des personae du théâtre de Claudel. Qu’il en ait conscience ou non,<br />

chacun joue sa partie à l’appel de son rôle, Amalric l’incroyant tranquille (Partage de midi), Louis Laine le<br />

sauvage (L’Échange), Louis de Coûfontaine le sacrilège, Lumîr la révoltée (<strong>Le</strong> Pain dur), Camille<br />

l’hérétique (<strong>Le</strong> Soulier de satin).<br />

Mais théâtre oblige, l’harmonie des trajectoires ne va pas sans conflits redoutables à hauteur de<br />

tel ou tel protagoniste du drame. De pièce en pièce, Claudel explore la foi de ses champions, sa capacité<br />

à triompher ou non de l’épreuve, dessinant ainsi, à travers l’élaboration cruelle de quelques situations<br />

limites, le territoire d’une sainteté héroïque. Bien peu y accèdent, ni Mesa, l’élu de Dieu, qui<br />

s’abandonne à un amour adultère, ni Sygne de Coûfontaine qui ne va pas au bout du don de soi réclamé<br />

par son ignoble époux Turelure, ni Prouhèze dont la fidélité à la loi du mariage et les services rendus à<br />

l’Espagne, sont le fruit de transactions et compromis parfois douteux, ni Rodrigue, si rapide à lâcher la<br />

proie pour l’ombre, Dieu pour Prouhèze et Prouhèze pour une fausse reine d’Angleterre.<br />

Conquêtes pour la gloire de Dieu, renoncement aux joies terrestres de l’amour, sacrifice pour<br />

sauver un pape, ces grandes actions animées par la foi de quelques figures d’exception ont leur envers<br />

médiocre que dénonce la jeune Dona Sept-Éées dans <strong>Le</strong> Soulier de satin, au nom d’une adhésion naïve au<br />

sublime de l’histoire. Pour la fille de Prouhèze et du Maure Camille, tout est vrai. Son père est bien<br />

Rodrigue comme sa mère le dit, un grand conquistador ! D’où son exigence à l’égard du héros rabougri<br />

de la quatrième Journée, ce père si inférieur (à ses yeux) à sa légende amoureuse et guerrière. À<br />

l’horizon de sa foi têtue d’enfant, se profile un héros pareil au père, en plus jeune, Jean d’Autriche ; elle<br />

le voit, elle l’entend, et part rejoindre le séduisant fantôme que lui dépeint son imagination. Telle est la<br />

force des fictions claudéliennes, elles nous entraînent (sur les traces de Dona Sept-Épées) à les relancer<br />

par une croyance neuve en des rêves toujours plus hauts. Jusqu’au moment où le rideau tombe.<br />

De toutes les pièges tendus par le dramaturge aux êtres de foi, le plus redoutable est celui de<br />

L’Annonce faite à Marie. Dans cette pièce si chère au cœur de Claudel, la très croyante Violaine est<br />

poussée dans ses derniers retranchements. Sa foi en Dieu est mise à l’épreuve de la maladie, de la<br />

trahison et de l’abandon. Épreuves qu’elle accepte d’un cœur soumis dans la grotte du Géyn où elle vit<br />

désormais recluse, loin des siens. Jusqu’au jour où sa sœur Mara lui rend visite, sa petite fille morte dans<br />

les bras, pour obtenir d’elle le miracle d’une résurrection. Pourquoi la foi de Violaine ne déplacerait-elle<br />

pas les montagnes ? se persuade Mara dont le rôle dans la pièce est de réclamer avec rage, à la manière<br />

60 P. Claudel, La Ville, première version, en Th 1, p. 389.<br />

61 P. Claudel, Th 1, p. 401.<br />

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