texte - Le Porche

comme complémentaires, surtout depuis que le regretté cardinal Decourtray, aux Journées de Brangues
en 1986, a défendu et recommandé, de sa haute autorité, la « lecture claudélienne » de la Bible 40 .
En attendant, celle-ci a soulevé beaucoup d’incompréhension et de désapprobation. Adepte de
l’approche littérale unique, le savant bénédictin Dom Charlier disait à propos du Cantique des Cantiques :
« Claudel est le modèle de la méthode ou plutôt de l’absence de méthode qui caractérise l’exégèse du
Moyen-Âge décadent. Son commentaire n’est qu’un invraisemblable fatras où il est difficile de trouver
une page à peu près supportable » 41 .
Dans la même source, le père Grelot concède que Claudel n’a pas compris le bien-fondé » de
l’exégèse littérale ; il affirme par contre que le « type scientifique d’approche du texte, de tout texte,
mais a fortiori de la Bible, se pervertit, lorsqu’il se fait, consciemment ou non, réducteur. Je veux dire
lorsque cette connaissance dite critique ou scientifique ou littérale, ne demeure pas, au plus profond
d’elle-même, ouverte sur le type de réalité, de vérité inaccessible, par définition, à la science, sur le
mystère, mystère des choses, mystère de l’homme, mystère de Dieu. Mystère qui ne peut se dévoiler
sans la médiation des symboles » 42 . On ne peut être plus clair pour accréditer et recommander dans les
séminaires la lecture claudélienne de la Bible. Ce qui a toujours été bien reçu par les familiers de la
lecture rabbinique comme Emmanuel Levinas et André Chouraqui qui note que « Paul Claudel a
retrouvé, comme d’instinct, la plus ancienne tradition de l’exégèse rabbinique, celle de la midrash ».
Toute l’œuvre de Paul Claudel, lyrique et théâtrale, dès Tête d’Or, est imprégnée de ce qu’on a
appelé une « in-lecture » des Livres saints, mais cela nous conduirait vraiment trop loin pour être
démontré. Ajoutons, pour conclure, que le versant purement biblique de la montagne Claudel est en
voie d’être découvert et de plus en plus exploré. Claudel disait à son fils Pierre : « Tu verras, on a mis du
temps à jouer mon théâtre. J’attache la plus grande importance à mon exégèse biblique ! » Déjà, les
matériaux sont rassemblés. La plus grande partie des textes se trouve dans onze tomes des Œuvres
complètes (XIX e -XXIX e tomes) chez Gallimard et dans une énorme publication en deux volumes, Le
Poète et la Bible, toujours chez Gallimard.
Maryse Bazaud 43 a établi et annoté un relevé exhaustif des citations explicites de la Bible par
Claudel, tandis que des auteurs comme Gérald Antoine 44 , Dominique Millet-Gérard et
Anne Ubersfeld 45 abordent largement « Claudel et la Bible », dans leurs travaux d’analyse et de
biographie.
La force de croire et l’art de faire croire
Marie-Victoire Nantet
Société Paul Claudel, Paris
Au Milieu des vitraux de l’Apocalypse, première œuvre exégétique de longue haleine de Claudel,
débute par un dialogue entre un père et une fille, qui nous fait accéder à la colossale entreprise par une
voie primesautière. Voici le bureau du poète à Brangues, ce père est lui-même et cette fille, sa cadette
Reine, ou plutôt ses trois filles réunies sous le signe d’un gentil démon féminin qui l’interroge sur sa
lecture « Papa, qu’est-ce que vous lisez dans ce gros livre ? » Réponse « Je lis la Création du Monde qui
a eu lieu le 25 octobre de l’an Zéro 46 . » La Bible ouverte sur la table indique qu’il s’agit du récit de la
Genèse. Du moins le croit-on, quand la fille évoque un autre ouvrage « Je parle de ce livre ouvert, vous
savez, que nous avons vu ensemble dans la forêt. » Oubliée la Bible, voici la forêt de Bohème où tous
deux auraient vu autrefois « un vieillard à barbe blanche qui lisait dans un énorme livre relié avec des
planches de bois. » Pas de doute pour le père qui s’en souvient fort bien, c’est une image tirée d’un
40 Mgr Albert Decourtray, « Une lecture claudélienne de la Bible », Bulletin de la Société Paul-Claudel, n° 104-105,
4 e trimestre 1986.
41 La Pensée religieuse de Paul Claudel, Desclée de Brouwer, 1969, p. 108.
42 Ibid., p. 109.
43 Maryze Bazaud, La Bible de Paul Claudel, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2000.
44 Gérald Antoine, Paul Claudel ou l’enfer du génie, Laffont, 1988 ; rééd., 2004.
45 Anne Ubersfeld, Paul Claudel, poète du XX e siècle, Actes Sud, « Apprendre », 2005, pp. 262-274.
46 Paul Claudel, Au milieu des vitraux de l’Apocalypse, en PB 1, p. 101.
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