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pénitence, par sa prédication à Lourdes et à La Salette où il mourut en 1879, le jour de Notre-Dame des<br />
Sept-Douleurs et où il repose auprès de la « Vierge qui pleure ». <strong>Le</strong> <strong>texte</strong> intégral de l’Introduction au Livre<br />
de Ruth 34 contient la remarquable étude de Claudel sur le « sens figuré de l’Écriture » ainsi que le seul<br />
livre de l’abbé Tardif, totalement introuvable, même à la Bibliothèque nationale de Paris : Essai<br />
d’interprétation morale du Livre de Ruth, qui avait enthousiasmé Claudel. Il s’agit donc bien, comme le dit le<br />
père Blanchet 35 , d’une sorte de clef d’entrée de l’univers biblique (de Claudel) comme l’Art poétique l’est<br />
de l’univers matériel. C’est Georges Rouzet qui fit connaître le livre de l’abbé Tardif à Claudel, en<br />
attirant son attention sur Léon Bloy qui, lui-même, dresse un portrait flatteur de l’abbé dans <strong>Le</strong><br />
Désespéré.<br />
Exemple du Cantique des Cantiques<br />
Comment s’y prendre pour faire découvrir cette lecture « claudélienne » de la Bible, si ce n’est<br />
en choisissant un exemple ? <strong>Le</strong> Cantique des Cantiques m’a paru intéressant parce qu’il est un livre de la<br />
Bible qui se prête à plusieurs interprétations. Certains s’en tiennent au sens littéral du <strong>texte</strong> : un recueil<br />
poétique célébrant l’amour humain qui n’est d’ailleurs pas seulement profane, puisqu’il est béni de Dieu.<br />
La plupart des exégètes optent pour une interprétation allégorique : l’amour de Yahvé pour Israël, sans<br />
cesse en train de se convertir qui fait penser aux relations du Christ avec l’Église, chères aux mystiques<br />
comme saint Jean de la Croix.<br />
Sens littéral, spirituel et figuré de la Bible<br />
Selon Paul Claudel, il y a donc deux sens dans l’Écriture sainte : le sens littéral « qui procède de<br />
l’ordre du fait et du commandement » 36 et le sens figuré qui recherche la signification symbolique de<br />
l’univers, dans une mosaïque de figures et de références, Claudel étant en effet le digne héritier du grand<br />
mouvement symboliste du XIX e siècle, illustré par Baudelaire, Rimbaud, Verhaeren. Mais pour ces<br />
derniers le symbolisme était avant tout un moyen d’expression, tandis que, pour Claudel comme pour le<br />
père de Lubac, « le monde est le symbole ou le signe de Dieu. Dieu transparaît partout, quoique<br />
obscurément à travers lui. Tout est plein de traces, de vestiges, d’énigmes. Tout est ruisselant de<br />
l’unique présence » 37 .<br />
L’entreprise de Claudel consiste à interpréter la Bible en poète. « C’est le monde invisible qui<br />
nous fournit la clef du visible » 38 , écrit-il. Précisons toutefois que le sens figuré de Claudel n’est pas<br />
simplement le sens spirituel, admis par les exégètes qui s’efforcent de rester à l’intérieur du sens littéral,<br />
en respectant les données intrinsèques du <strong>texte</strong> sacré, comme l’écrit le père Paul-Émile Roy dans son<br />
ouvrage essentiel sur Claudel, poète mystique de la Bible 39 . Il est vrai que les Pères de l’Église, de saint<br />
Augustin à saint Bernard, prennent beaucoup de liberté dans leur interprétation allégorique et<br />
s’éloignent souvent de la signification religieuse et providentielle des choses, exprimées dans la Bible (ex<br />
rebus). Quant au sens figuré, cher à Claudel, il est régulièrement au-delà du sens spirituel proprement dit<br />
(ex omnibus rebus), au point de tomber dans un sens dit « accommodatrice » tout à fait extérieur à<br />
l’Écriture, voire dans une fantaisie de poète ou de mystique, purement gratuite et critiquable. L’erreur<br />
de Claudel et parfois des Pères de l’Église a été de penser que l’inspiration des Livres sacrés postulait,<br />
de façon impérative, telle ou telle forme de sens (symbole des nombres et des figures par exemple) et de<br />
croire que les moindres épisodes de l’Ancien Testament préfiguraient l’histoire de Jésus-Christ.<br />
Controverse à propos des sens.<br />
La question de « Claudel et la Bible » fut donc, dans les premiers temps, perçue en termes de<br />
conflit. Aujourd’hui, analyse littérale, spirituelle et lecture figurée ou poétique apparaissent davantage<br />
34 P. Claudel, Introduction au Livre de Ruth, Desclée de Brouwer, 1938.<br />
35 P. Claudel, Pages de prose, recueillies et présentées par André Blanchet, Gallimard, 1944, p. 269.<br />
36 P. Claudel, Introduction au Livre de Ruth, op. cit., p. 30.<br />
37 Henri de Lubac, De la connaissance de Dieu, Éditions du Témoignage chrétien, 1948.<br />
38 P. Claudel, Introduction au Livre de Ruth, op. cit., p. 62.<br />
39 P. Claudel, <strong>Le</strong> Poète et la Bible dans les Actes du colloque de Paris, 16-17 octobre 1998 à la Bibliothèque nationale de<br />
France. Paris, 2001 ; Paul-Émile Roy, Claudel, poète mystique de la Bible, Montréal, Fides, 1957.<br />
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