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texte - Le Porche

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garant à l’universalité de la voix et de la pensée biblique. Tel est le projet claudélien. Et la présence<br />

permanente du moi n’est pas, on l’a vu, faite seulement des souvenirs de l’homme, elle se révèle<br />

quasiment à toutes les pages comme le fruit d’une expérience intellectuelle et vitale à la fois. La raconter<br />

relève du pari impossible. Mais l’expérience claudélienne est aussi une expérience sensible, et le sensible<br />

et le passionnel parcourent ces pages. On le voit à l’exaltation de la Femme, Marie, mais aussi Marie-<br />

Madeleine la pécheresse, et l’Ombre féminine qui parcourt la vie de Claudel, liée au péché, comme au<br />

salut.<br />

Et Claudel rappelle ce que dit la Bible, que lui aussi est lié à la Création : « On compte de toute<br />

part sur moi, mon apparition à tel moment était stipulée. Je suis nécessaire d’une nécessité dont ma<br />

liberté [...] forme l’élément essentiel. Je suis investi de responsabilités » 26 . Ce que Claudel voit écrit dans<br />

la Bible, c’est l’importance et la nécessité de ce moi, cette vérité que lui avait déjà dite sa conversion à<br />

Notre-Dame – l’ « éternité » de ce moi : « Pour aimer mon Dieu, il me fallait avoir existé avant<br />

l’Aurore » 27 . De là quantité de méditations sur ce moi : « Seigneur, à qui en avez-vous ? Certainement<br />

pas à ce personnage alphabétique et numéroté dont on trouve le nom au téléphone ! Vous me<br />

découvrez quelqu’un au fond de moi, au-delà de moi, plus ancien que moi, et plus moi-même que<br />

moi ! » 28<br />

Et voilà dans <strong>Le</strong> Cantique des Cantiques, la page qui dit à la fois le moi dans sa vie, dans sa<br />

« passion », et l’œuvre, sa vitalité, son sens, sa justification : souvenir de « ces deux autres qui par<br />

respect, disons par réalisation profonde de ce sacrement qui l’un à l’autre les interdit, se sont dit Non !<br />

l’un à l’autre en cette vie, est-ce qu’eux aussi en un sacrifice sublime n’ont pas été l’un à l’autre un<br />

instrument de salut ? [...] Et la conséquence bénéfique de ce refus qui est un consentement, un<br />

consentement à l’étoile, ne s’arrête pas aux deux êtres qui en ont été participants, il se propage autour<br />

d’eux en ondes infinies, les voilà qui sont devenus une source inépuisable d’anneaux. Car le bien<br />

compose et le mal ne compose pas. Tristan et Yseult s’engloutissent dans un néant stérile. Mais<br />

Rodrigue a créé un monde et Prouhèze a créé Rodrigue. L’amour par-dessus l’Océan entre les deux<br />

mondes a créé un désir et un lien. Un lien qui, je le sens, comme celui de Rodrigue devant Mogadir<br />

« retient » sur ce papier « ma nef appesantie ». Ce mystère de l’amour, à un certain degré de violence,<br />

entre l’homme et la femme, est-il hors de propos d’y attarder ma contemplation, alors que l’Amour<br />

divin qui fait le thème du Cantique étudié par nous lui emprunte son climat et son langage ? » 29<br />

Tout est dit dans ces lignes sur la présence de la Bible, sur le rôle de la « passion » (le mot dans<br />

son double sens est dans le <strong>texte</strong> qui suit) et sur la force et le sens même de la création claudélienne<br />

dans son dernier grand « moment » et dans son rapport avec le moi.<br />

Et c’est ainsi que pour Claudel la Bible est aussi pour le moi une assurance, un rempart, une<br />

sorte de certificat d’existence. Aussi n’a-t-il pas peur de s’épanouir, de dire qu’il aime Dieu ; il lui adresse<br />

d’émouvantes prières, pour ses proches, pour ses enfants, pour Rimbaud : « Il est juste que je vous prie<br />

pour Rimbaud, sans qui mes yeux ne se seraient pas ouverts à Votre visage » 30 .<br />

On voit mieux alors comment se fait la démarche d’écriture de Claudel : du <strong>texte</strong> biblique au<br />

moi, qui y découvre sa signification, au monde qu’elle éclaire, et par un retour, du monde au <strong>texte</strong>, et<br />

c’est la démarche du moi créateur qui s’occupe, par son témoignage de vivant, à tenter de montrer le lien<br />

qui unit la Bible à toute la nature dans son infinité et au monde présent. Si ce n’est une démonstration,<br />

c’est un rêve singulièrement précis. La tentation vient de citer des pages entières comme la dernière<br />

page de Seigneur apprenez-nous à prier 31 .<br />

26 P. Claudel, en PB 1, p. 950.<br />

27 P. Claudel, Emmaüs, en PB 2, p. 416-417.<br />

28 P. Claudel, ibidem.<br />

29 P. Claudel, en PB 1, p. 119.<br />

30 P. Claudel, <strong>Le</strong> Poète regarde la croix, en PB 1, p. 613.<br />

31 P. Claudel, en PB 1, p. 958.<br />

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