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texte - Le Porche

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couloir étroit, c’est le chemin dans le souvenir entrecoupé de repères, par où notre explorateur est<br />

arrivé jusqu’ici ? À moins qu’il ne conduise jusqu’à cette chambre reculée là-bas où gémit une sœur<br />

séquestrée ? ou plus loin encore jusqu’à l’empire des défunts ? » 18 On voit ci comment l’analyse porte<br />

sur le mécanisme même de la création, comment le travail de la peinture nous éclaire sur le monde, par<br />

le jeu des symboles qu’elle implique et comment Claudel ne craint pas d’unir à ses réflexions ses<br />

propres souvenirs et l’évocation de Camille.<br />

Et voici la Folle... Voici le poète « négligeant ces places spacieuses que décorent les façades<br />

officielles au profit des ruelles sinistres où cligne la lanterne des mauvais lieux. À la recherche de cette<br />

sœur oubliée, notre âme à qui nous avons faussé compagnie ». Et de citer « illustré par une sculpture de<br />

la cathédrale d’Amiens ce passage du prophète Osée : « <strong>Le</strong> Seigneur, dit-il, m’a ordonné d’épouser une<br />

prostituée [...] mais cette misérable et pathétique créature, c’est vraiment au Musée de Lyon que je l’ai<br />

rencontrée. Géricault l’appelle La Folle ». Claudel commente l’image. Est-ce sa sœur ? Est-ce lui-même :<br />

« et moi-même ce visage panique, suis-je sûr de ne pas l’avoir évoqué quelquefois devant la glace ? » 19 ?<br />

Admirable exemple de cette union, dont on ne sait ce qui commence entre la référence biblique,<br />

l’œuvre d’art et les éléments du vécu.<br />

Plus parlante encore, et allant plus loin sans doute, cette analyse dans Au milieu des vitraux de<br />

l’Apocalypse, analyse qui prend en compte, non sans quelque confusion les rapports de l’art et de la<br />

science :<br />

Prenons un tableau du Titien par exemple, cette sublime peinture du Prado où la Femme remet<br />

mystérieusement à l’Époux qui est son auteur ce fruit qu’elle est allée cueillir dans les branches de l’Arbre<br />

de la Science, et considérons ce tableau comme un fait dont nous recherchons l’explication. Comment s’y<br />

prendront Messieurs les matérialistes ? Vont-ils compter tous les fils de la toile [...]. En somme dans les<br />

œuvres de l’art nous voyons que le mouvement va exactement à l’envers de ce que des philosophes<br />

dérisoires voudraient nous faire prendre pour la marche normale de la nature. Là ce n’est pas la Cause qui<br />

produit l’Effet, c’est l’Effet au contraire qui suscite la Cause [...]. On dirait que quand Titien conçoit son<br />

tableau, il donne rendez-vous sur son carré de toile à une quantité de lignes de cause successives et<br />

convergentes qui de tous les points de l’horizon spirituel et matériel, se mettent en marche pour lui<br />

permettre d’obtenir son effet. 20<br />

On voit comment Claudel se sert de son expérience de spectateur de l’art pour construire une<br />

philosophie de la nature qui lui permet de rejoindre la pensée de la Bible. La suite montre clairement<br />

comment l’expérience des œuvres d’art conduit Claudel à la pensée unificatrice de la création : « S’il en<br />

est ainsi des œuvres d’art qui sont après tout l’unique moyen pour nous d’obtenir une connaissance<br />

pratique et expérimentale de la réalité, et s’il est légitime de conférer constamment le monde de la<br />

connaissance en nous et celui de l’observation hors de nous, pourquoi n’en serait-il pas de même dans<br />

les observations de la nature ? » 21 Lignes singulièrement instructives, elles contiennent trois idées-clefs,<br />

liées, et qui donnent peut-être un résumé de la pensée de Claudel : d’abord l’idée que c’est de la<br />

contemplation (et/ou la création) des œuvres d’art que nous connaissons la Nature : une connaissance<br />

pratique et expérimentale », du réel. Pourquoi ? C’est que l’œuvre d’art est le fruit d’un travail créateur,<br />

qui donne l’idée de tout le travail créateur de l’homme... Un second point : c’est que c’est bien l’individu<br />

qui est en question : par son activité, il se trouve à la fois producteur et récepteur, ce qui dans l’analyse<br />

de l’œuvre qu’est la Bible le justifie d’utiliser son expérience personnelle à la fois d’écrivain et de client<br />

des musées. Enfin il est passionnant, dit Claudel, de montrer le travail « artistique » de la création<br />

naturelle, parallèle à toute autre création, y compris la Bible, œuvre de Dieu : « Il n’est pas difficile de<br />

constater que pour chaque être la Nature a eu son idée, elle a eu en vue un certain effet et qu’elle est<br />

arrivée à le sortir avec une richesse, une ingéniosité de moyens et de combinaison, une astuce naïve et<br />

géniale dont nous ne sommes capables de fournir qu’une bien pauvre imitation ». Et la page suivante<br />

rappelle le grand <strong>texte</strong> biblique de la création du monde : la Genèse.<br />

18 P. Claudel, PB 1, p. 950.<br />

19 P. Claudel, PB 1, p. 958.<br />

20 P. Claudel, Au milieu des vitraux de l’Apocalypse, en PB 1, p. 32.<br />

21 Ibidem.<br />

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