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texte - Le Porche

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Dieu à travers l’histoire, l’événement contemporain, et le moi Claudel ne se fait pas faute de revenir<br />

chaque fois qu’il le peut à cette concordance qui dit la « vérité » à travers le temps.<br />

<strong>Le</strong> grand <strong>texte</strong> qui conclut la quête de Claudel, L’Évangile d’Isaïe, le dit avec la plus grand clarté :<br />

Je ne suis pas à l’aise dans toutes ces considérations historiques 3, et la prophétie d’Isaïe comme on la<br />

sent à chaque mot fait craquer la gousse étroite de la circonstance ! Une ville assiégée, quelle âme chrétienne<br />

jamais entendra parler d’une ville assiégée sans qu’elle prenne conscience au fond d’elle-même de cette pierre<br />

que Dieu lui a donnée pour fondation, une pierre angulaire, précieuse, éprouvée, en fondement fondée de<br />

toute fondation (Is 28:16).<br />

On le voit, ce n’est pas l’histoire seule qui dit l’éternité, c’est la conscience de l’individu, du moi,<br />

et Claudel continue en évoquant sa propre histoire individuelle de lecteur et de commentateur de la<br />

Bible :<br />

C’est elle qui est la raison, et c’est elle qui a raison de tout cela autour d’elle qui essaie de l’opprimer !<br />

Ô jadis sur le quai d’Austerlitz et sur le terre-plein de ce farouche observatoire où je suis né, comme je les<br />

invoquais, ils sont venus à la fin ! Tous ces déchaînements libérateurs dans un ciel prophétique qui me<br />

gonflaient d’enthousiasme et d’espérance [...]. Toute cette ville infâme autour de moi qui me comprimait et<br />

qui essayait de me digérer, il m’a été donné d’en venir à bout, il m’a été donné de faire partie de cela qui en<br />

est venu à bout et de contempler autour de moi que s’étale, maçonnerie et doctrine, la loque dilacérée de<br />

mon lien ! On est une personne, on est quelqu’un avec un nom propre qui dit : Je, et cela n’empêche pas<br />

qu’on est une ville. Si je n’étais pas une ville, il n’y aurait pas besoin de toute la ville autour de moi pour me<br />

tenir emprisonné. 4<br />

Si le moi est une ville, c’est aussi qu’il se veut un élément de la collectivité chrétienne ; à chaque<br />

pas dans ce Commentaire, il rappelle sa présence dans l’Église, et déjà dans une église concrète : « Moi,<br />

j’ai pour réfléchir à l’univers entier et pour écouter la marche du temps cette église de campagne où<br />

toute sorte de saints errants sont venus prendre leur place dans des niches appropriées » 5 . De là la pluie<br />

des souvenirs d’églises où il est venu prier.<br />

Mais ce que nous dit aussi ce <strong>texte</strong>-clef, c’est la possibilité de lire tous les éléments du monde<br />

avec une signification symbolique, si étrange ou incongrue qu’elle paraisse, c’est le symbole tel que le<br />

construit le poète Claudel avec son humour et la puissance de son imagination : si telle pensée des<br />

« philosophes » apparaît « maçonnerie » ou « loque », nous ne nous étonnerons pas de voir Claudel<br />

écrire : « L’âne c’est la monture démocratique », et « le chameau, c’est le capitalisme » 6 . Quant au rasoir,<br />

« c’est l’œuvre du conformisme bourgeois » 7 . « L’or et l’argent, les antiques idoles, les voici projetées au<br />

dehors sous la forme commerciale de la publicité, de quoi baigner nuit et jour dans notre propre<br />

lumière » 8 . L’écrit de Claudel fait ici un travail à la fois poétique (la « métaphore ») et volontairement<br />

grotesque pour ramener au concret contemporain les éléments du récit biblique : « Je vois ici les gens<br />

raisonnables hausser les épaules devant ces interprétations aventurées » 9 .<br />

La Bible et la nature<br />

Mais, il y a bien plus dans cette présence du moi à travers la lecture de la Bible. Il y a la présence<br />

active de l’homme Claudel affirmant son moi en face de la nature et du même coup montrant la Bible<br />

et la Création, œuvres du même Dieu – parallèles en somme, parallélisme dont Claudel veut à chaque<br />

pas témoigner et chacun témoignant de l’autre, si l’on peut dire. De là la multiplicité quasi infinie des<br />

paysages et des allusions à l’expérience des voyages. Tout se passe comme si l’expérience vécue du<br />

poète devait apporter la confirmation de ces œuvres parallèles de la création divine.<br />

3 Ceci est dit contre les « littéralistes ». [NdA]<br />

4 L’Évangile d’Isaïe, p. 640.<br />

5 Ibid., p. 565.<br />

6 Ibid., p. 594.<br />

7 Ibid., p. 589.<br />

8 Ibid., p. 574.<br />

9 Ibid., p. 575.<br />

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