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texte - Le Porche

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I. Claudel<br />

L’autobiographie et la Bible<br />

(Paul Claudel commente la Bible et réfléchit sur soi-même)<br />

Paul Claudel lit la Bible<br />

Anne Ubersfeld<br />

Université de Paris-III<br />

C’est bien le moi Claudel qui lit et commente la Bible. On n’en saurait douter et il ne le laisse<br />

jamais ignorer. Ce n’est pas la lecture objective, scientifique d’un historien – d’un de ces « littéralistes »<br />

qu’il passe son temps à pourfendre. Non, c’est bien Claudel Paul, né en 1868, doté d’une famille, d’un<br />

passé, de goûts et d’aptitudes. Un Individu parfaitement caractérisé avec même ses défauts – le pire<br />

pour lui, c’est la vieillesse. « Un autre passage de la Bible... un endroit que j’aimerais autant ne pas me<br />

rappeler, oui il s’agit du bois sec. Si l’on fait ainsi du bois vert... et alors il y a le bois sec ? c’est moi peutêtre<br />

bien le bois sec... Je me sens foutrement sec » 2 . On voit ici comment la lecture de la Bible éveille la<br />

pensée du moi, et comment c’est l’image qui produit l’évocation subjective.<br />

<strong>Le</strong> voilà tout entier avec ses souvenirs d’enfance, avec ses souvenirs de voyage, avec ses goûts<br />

pour l’art, pour la peinture surtout, avec ses hargnes, sa mauvaise humeur contre la Ville, les écrivains<br />

Goethe ou Renan, avec ses séjours, l’Amérique, la Chine, le Japon, avec ses passions, les paysages, les<br />

fleurs, la lune en toutes ses phases... et l’univers entier dans sa majesté d’œuvre créée. Toute une série<br />

de retours sur les églises où il va prier, les souvenirs puissants, celui de la conversion à Notre-Dame le<br />

jour de Noël 1886, celui de la femme aimée, qui réapparaît sous toute sorte d’images... <strong>Le</strong> plus souvent<br />

ces souvenirs sont récurrents, ils paraissent dépendre à peine des <strong>texte</strong>s, ils viennent sans que l’on<br />

comprenne toujours clairement le motif de leur retour. La fantaisie d’un génie épris de lui-même, et qui<br />

sans cesse tournerait autour de soi, rien ne serait plus éloigné du vrai motif de cette présence de l’ego. Je<br />

pourrais sans effort vous raconter toute la vie de Claudel avec des citations empruntées à ces deux<br />

énormes livres, son enfance, ses voyages, ses amours et ses enfants, tout est dit, il n’y a qu’à piocher. Et<br />

ses goûts, ses amours, ses amitiés et ses refus. Ce n’est pas mon propos.<br />

C’est ce qu’il y a de moins « égoïste » et fantaisiste , rien de plus nécessaire à l’écriture de cet<br />

immense Commentaire que la présence de la conscience... <strong>Le</strong> moi lui est aussi indispensable que le fait<br />

même du commentaire... Et le poser là fait partie du travail de l’écrivain sur le livre sacré, il en est<br />

l’élément vital. Ce n’est pas le seul besoin de nous faire toucher du doigt la sensibilité de l’homme<br />

Claudel devant l’écriture divine. La volonté de l’écrivain est sur ce point singulièrement précise. On la<br />

voit quand il tient à la présence, à la parole de sa fille pour aborder l’Apocalypse, comme s’il lui fallait<br />

un élément profondément lié à sa vie pour aborder l’édifice énorme : une aide, un appui qui fasse partie<br />

de lui-même.<br />

La Bible et le temps<br />

L’écriture autobiographique est un puissant rempart contre le littéralisme. Non il n’y a pas de<br />

pure lecture historique de la Bible : elle ne raconte pas seulement les Juifs et la Judée. Il faut lui donner<br />

le sens d’une lecture d’aujourd’hui. Et Claudel à l’aide de son expérience vécue tient à lui faire parler de<br />

Staline et d’Hitler autant que des tyrans de l’Ancien Testament. De là, à chaque instant, issu de sa vue<br />

présente ou de son passé personnel, le corrélat entre l’événement biblique et le présent vécu par le moi.<br />

Ce que dit la lecture de l’histoire contemporaine par le moi Claudel, c’est que les tyrans de la Bible sont<br />

l’image des tyrans contemporains et que cette image est éclairante : elle dit l’éternité de la parole de<br />

2 Paul Claudel, PB 2, p. 428. – Pour résoudre les abréviations utilisées, voir ci-contre.<br />

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