Éditorial - Faculté de médecine - Université Laval

Le GGlobbe && MMed - mardi 24 octobre Concours de nouvelles littéraires
Mathias a peur
Mathias a peur. Il a toujours eu peur. Et maintenant
peur d’avoir peur.
Tout a commencé le jour de sa naissance.
Mathias est né le 13 novembre 1970. C’était un vendredi.
Pour son accouchement, le travail a été long et
pénible. Il est sorti après de longues heures de poussée et
tout le monde a eu peur. Peur de ce bébé tout bleu qui ne
disait pas un mot, peur de la mère qui voltigeait aux limites
de la mort, peur de ce médecin fou qui sentait la
vodka. Mathias a vu le jour dans une atmosphère de peur
et c’est cette atmosphère qui tinta son quotidien à partir
de ce jour.
Dès son plus jeune âge, on comprit qu’on ne
ferait pas de Mathias un David. (un de ces David qui
lance des pierres au géant Goliath avec sa fronde). Il était
un bébé peureux. Mais un bébé peureux, ça se comprend.
Qui pourrait vivre en toute sécurité dans un monde de
grands qui vous ballottent de bras en bras en vous
gazouillant des insanités dans les oreilles. Avec les
années, ça lui passerait.
Mais ça ne lui passa pas. Mathias était un bébé
peureux qui devint un enfant peureux. Il avait peur de
tout. Des gens, des bruits, des animaux, des saisons, des
stylos, de tout. Peur du bruit du lave-vaisselle. Oui,
mais, était-ce vraiment un simple lave-vaisselle? N’étaitil
pas possible que le lave-vaisselle contienne des millions
de petites créatures qui utilisaient les miettes laissées
dans nos assiettes pour bâtir une armée d’indestructibles
qui, un jour, nous lanceraient notre vaisselle en
pleine face lors de l’ouverture de l’appareil. Et aussi peur
de la voisine Colette. Mais, là, ça se comprenait, tous les
enfants avaient peur de Colette. Peur de sa bicyclette.
Aux dires de Mathias, ce n’était pas une simple
bicyclette. En effet, la dite machine se transformait, dès
qu’il l’enfourchait, en une monstrueuse bête sauvage qui
faisait tout en son possible pour le désarçonner. Mathias
avait peur mais ça se comprenait, des enfants peureux, il
y en a des milliers. Ça lui passerait.
Encore, ça ne lui passa pas. D’un enfant peureux,
il devint un adolescent peureux. Tout, de la vie d’ado,
l’effrayait. Comment ne pouvait-il pas avoir peur de
tous ces poils qui lui poussaient sous les bras. C’était certain,
son corps était possédé par je ne sais quel esprit et
on tentait de faire de lui un être ignoble et poilu. Il était
aussi inquiet de la manière dont la grande Lydia l’observait.
Elle avait un regard pénétrant et une façon de lui
sourire qui lui dressait les poils sur le corps (dont ceux
qui lui poussaient sous les bras…) Elle désirait le dévorer,
c’était évident. Cette fois-ci, c’était certain, ça lui
passerait. Des adultes peureux, il n’y en a pas.
Aujourd’hui, Mathias a 36 ans et il a peur. Et bien
oui, il était devenu un adulte peureux. Mettre du gaz dans
l’auto l’effrayait, tout comme recevoir ses comptes, pelleter
son entrée ou moudre son café à l’épicerie. Moudre
le café dans cette machine, qui n’avait qu’une envie,
celle de vous dévorer les doigts.
Né dans un contexte de peur, Mathias avait grandi
et vivait aujourd’hui avec ce terrible sentiment. La
peur. Maintenant, par contre, Mathias la connaissait bien,
il l’avait suffisamment côtoyée pour savoir ce dont elle
était capable et a quoi elle ressemblait. Il la contrôlait et
l’évitait. Il ne lui restait toutefois qu’une petite crainte
qu’il avait peine à maîtriser et c’était la peur d’avoir
peur…
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