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thése de C. Maurel - 60 ans des MJC

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES<br />

Christian MAUREL<br />

LES MAISONS DES JEUNES ET DE LA CULTURE<br />

Composition du jury :<br />

décembre 1994<br />

nouvelle pagination<br />

diffusion <strong>MJC</strong><br />

texte intégral<br />

EN FRANCE<br />

DEPUIS LA LIBÉRATION.<br />

GENÈSE ET ENJEUX<br />

Thèse <strong>de</strong> sociologie (nouveau régime) dirigée par<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> PASSERON<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> CHAMBOREDON, Directeur d’Étu<strong>de</strong>s à l’E.H.E.S.S.<br />

Roger ESTABLET, Professeur à l’Université <strong>de</strong> Provence<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> PASSERON, Directeur d’Étu<strong>de</strong>s à l’E.H.E.S.S.<br />

La Vieille Charité<br />

Marseille<br />

4 novembre 1992


1 - Une réalité confuse<br />

- 5 -<br />

INTRODUCTION<br />

Le premier problème que le sigle <strong>MJC</strong> (Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture) et les pratiques<br />

réelles et présupposées qu’il recouvre, posent à la recherche, est celui <strong>de</strong> la diversité et <strong>de</strong><br />

l’indétermination. Qu’y a-t-il en effet <strong>de</strong> commun entre une <strong>MJC</strong> comme celle d’Annecy-Marquisats,<br />

gérant plusieurs milliers <strong>de</strong> mètres carrés, une halle <strong>de</strong> sport, un centre international <strong>de</strong> séjour, une<br />

base nautique, <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> spectacle, un restaurant et un personnel important diversifié d<strong>ans</strong> ses<br />

fonctions, et une <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> quartier logée d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s préfabriqués, confrontée aux problèmes <strong>de</strong> la<br />

petite délinquance, ou une <strong>MJC</strong> du milieu rural, animée par <strong>de</strong>s bénévoles et regroupant quelques<br />

dizaines d’adhérents ? 1<br />

La diversité apparaît également d<strong>ans</strong> les missions et les services rendus. Quel est par exemple le<br />

dénominateur commun entre la <strong>MJC</strong> Cannes-La Frayère, prioritairement impliquée d<strong>ans</strong> les<br />

opérations <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong> la petite délinquance, et sa voisine, la <strong>MJC</strong> Cannes-Centre, gestionnaire<br />

d’un important cinéma d’Art et d’essai, fortement engagée d<strong>ans</strong> le Festival International du Film et<br />

les échanges internationaux et interculturels ?<br />

Le sigle lui-même ne recouvre-t-il pas, pour le grand public, les significations et les confusions les<br />

plus étonnantes, à tel point que l’on peut affirmer, sous réserve d’une enquête systématique 2 , que le<br />

cercle <strong>de</strong> ceux qui savent avec certitu<strong>de</strong> que ce sont <strong>de</strong>s associations d’éducation populaire issues<br />

<strong>de</strong> la Libération, regroupées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>ux fédérations (la Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et l’Union <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>), ne s’étend guère au-<strong>de</strong>là du groupe <strong>de</strong>s permanents et <strong>de</strong>s<br />

responsables locaux et fédéraux. En effet, on confond souvent Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

avec Maison <strong>de</strong>s Jeunes, club <strong>de</strong> jeunes, Maison pour Tous sous toutes ses formes, club <strong>de</strong> loisirs,<br />

Maisons <strong>de</strong> la Culture, Centre culturel, Centre social et socio-culturel, Auberge <strong>de</strong> Jeunesse ... 3 . Le<br />

terme <strong>MJC</strong> est ainsi <strong>de</strong>venu un nom commun pouvant désigner les structures les plus diverses qui<br />

1 La Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> regroupe 14,50% <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 76 adhérents, 25,80% <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 76 à 200 adhérents, 27,70% <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 201 à 500 adhérents, 17,70% <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 501 à<br />

1000 adhérents, 7,<strong>60</strong>% <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1001 à 2000 adhérents, 1,20% <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2000<br />

adhérents, 5,50% d’unions locales et fédérations ou unions départementales. Les <strong>MJC</strong> Aujourd’hui :<br />

Réalités et Impacts. Enquête nationale FF<strong>MJC</strong>, janvier 1986.<br />

2 Sur 100 personnes adhérentes à la <strong>MJC</strong> Prévert (Aix-en-Provence), un peu plus <strong>de</strong> 10 savent dire<br />

comment est dirigée la <strong>MJC</strong> (Enquête Frédérique Lambert, étudiante en animation socioculturelle).<br />

3 Les <strong>MJC</strong> elles-mêmes, même si elles maintiennent massivement l’appellation <strong>MJC</strong> (67%), adoptent<br />

souvent, d<strong>ans</strong> leurs statuts, <strong>de</strong>s appellations autres (<strong>MJC</strong>-MPT, Maison pour Tous, Centre socioculturel,<br />

foyer <strong>de</strong> jeunes ....) Les <strong>MJC</strong> Aujourd’hui....


- 6 -<br />

oeuvrent d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle. Ce sigle n’est du reste pas la propriété<br />

1<br />

exclusive <strong>de</strong>s structures affiliées aux <strong>de</strong>ux fédérations citées plus haut<br />

2.<br />

Mais la confusion la plus courante est celle <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong> la Culture. En effet, on<br />

attribue très souvent la création <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à André Malraux 3 . Comme pour les Maisons <strong>de</strong> la Culture,<br />

on pense qu’elles sont sous tutelle du Ministère <strong>de</strong> la Culture et on est généralement étonné<br />

d’apprendre qu'elles dépen<strong>de</strong>nt du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports. La classification<br />

du Centre <strong>de</strong> Documentation <strong>de</strong>s Sciences Humaines et du fichier <strong>de</strong>s thèses <strong>de</strong> Nanterre est<br />

également significative : pour une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’information sur les <strong>MJC</strong>, les réponses concernent très<br />

souvent les Maisons <strong>de</strong> la Culture 4 . On croit ainsi possé<strong>de</strong>r une liste importante <strong>de</strong> travaux sur la<br />

question et on se rend rapi<strong>de</strong>ment compte que peu concernent véritablement les <strong>MJC</strong>. On constate<br />

également que ces recherches sont souvent produites par <strong>de</strong>s professionnels ou <strong>de</strong>s responsables<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : Clau<strong>de</strong> Paquin, Jean Foucault, Jean Laurain, Georges Rouan, Christian Lucie, Jean-<br />

Clau<strong>de</strong> Leroyer ...<br />

Cette disproportion d’intérêt scientifique entre <strong>MJC</strong> et Maisons <strong>de</strong> la Culture est d’autant plus<br />

remarquable quand on connait l’importance <strong>de</strong> leurs implantations respectives : une douzaine pour<br />

les Maisons <strong>de</strong> la Culture, 1.700 environ pour les <strong>MJC</strong> 5 . S<strong>ans</strong> entrer d<strong>ans</strong> une analyse serrée, on<br />

peut tenter une explication qui passe par une différence <strong>de</strong> statut socio-culturel, <strong>de</strong> “noblesse<br />

symbolique”, <strong>de</strong> légitimité culturelle entre Maisons <strong>de</strong> la Culture et <strong>MJC</strong>. Les Maisons <strong>de</strong> la Culture,<br />

présentées comme ces “nouvelles cathédrales du futur”, auréolées du prestige <strong>de</strong> leur instigateur<br />

André Malraux, ont jeté d<strong>ans</strong> l’ombre les <strong>MJC</strong> souvent considérées comme <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> sous-<br />

culture, d’expression s<strong>ans</strong> qualité artistique et <strong>de</strong> bricolage empirique. Les chercheurs, <strong>de</strong> par leur<br />

position socio-professionnelle, ont s<strong>ans</strong> doute porté plus d’intérêt à <strong>de</strong>s structures appuyées sur une<br />

conception <strong>de</strong> la culture hautement légitime, axées sur la création et le corpus <strong>de</strong>s oeuvres <strong>de</strong> l’art et<br />

du savoir.<br />

1 La FF<strong>MJC</strong> a voulu par le passé imposer cette exclusivité. Le tribunal administratif lui donna tort<br />

(entretiens avec Jean Nehr, délégué régional FF<strong>MJC</strong>).<br />

2 Il n’est pas rare d’entendre <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong> personnes mal informées ou malveillantes que les <strong>MJC</strong><br />

sont un mouvement <strong>de</strong> jeunesse catholique ou un mouvement <strong>de</strong> jeunes communistes, confusion<br />

qui, d<strong>ans</strong> ce <strong>de</strong>rnier cas, est souvent savamment et sciemment entretenue.<br />

3 L’erreur est également très courante chez les responsables politiques locaux et nationaux. A titre<br />

d’exemples : un premier adjoint aux finances et à la culture d’Apt (Vaucluse) attribue, lors d’un<br />

discours, la création <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> locale à l’action d’A. Malraux. Monsieur Jacques Chirac fait <strong>de</strong> même<br />

d<strong>ans</strong> une émission <strong>de</strong> télévision.<br />

4 Sur 46 fiches du CDSH, 17 concernent les Maisons <strong>de</strong> la Culture, 17 l’animation culturelle, socioculturelle<br />

ou d’autres structures, 12 seulement les <strong>MJC</strong>.<br />

5 Les <strong>MJC</strong> ou <strong>de</strong>s structures équivalentes sont également implantées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> l’Europe <strong>de</strong><br />

l’Ouest et regroupées au nombre <strong>de</strong> 18.000 au sein <strong>de</strong> l’ECYC (European Confe<strong>de</strong>ration of Youth<br />

Clubs), d<strong>ans</strong> les DOM-TOM ainsi qu’en Afrique francophone (cf. les travaux <strong>de</strong> J.-M. Mignon - Cahiers<br />

<strong>de</strong> l’animation/INEP et sa recherche sur les centres culturels et <strong>MJC</strong> en Afrique).


- 7 -<br />

Pour l’action culturelle, conçue comme soutien à la création et à la diffusion d’oeuvres d’artistes<br />

professionnels - ce qui, comme nous le verrons, n’est pas la seule ni s<strong>ans</strong> doute la mission prioritaire<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> - le sigle lui-même est souvent négativement connoté alors qu’elles ont été et qu’elles sont<br />

encore le ban d’essai <strong>de</strong> nombreux artistes, les initiatrices ou les cogestionnaires <strong>de</strong> nombreux<br />

festivals et qu’elles gèrent un nombre important <strong>de</strong> petites et moyennes salles <strong>de</strong> spectacles 1 .<br />

2 - Les <strong>MJC</strong> et l’organisation générale du domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-<br />

culturelle<br />

La confusion qui entoure les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture contraste avec la rigueur <strong>de</strong><br />

leur fonctionnement institutionnel, caractérisé par un savant emboîtement d’instances <strong>de</strong> décision<br />

(assemblées générales, conseils d’administration, bureaux, commissions, conseils <strong>de</strong> maison,<br />

conseils <strong>de</strong> jeunes, conseils d’activités, conseils d’animation), par une organisation fédérale à<br />

plusieurs étages (<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base, unions locales, fédérations départementales, régionales, fédération<br />

nationale) communiquant entre eux par l’intermédiaire d’instances élues et d’un corps professionnel<br />

hiérarchisé (animateurs, directeurs, délégués régionaux, chefs <strong>de</strong> services, chargés <strong>de</strong> mission,<br />

chargés <strong>de</strong> formation, délégué général). Ces règles institutionnelles, qui peuvent être modifiées<br />

“démocratiquement” selon les modalités prévues d<strong>ans</strong> les statuts, ont la double fonction d’assurer la<br />

pérennité et la cohérence <strong>de</strong> l’Institution et <strong>de</strong> réaliser le “projet pédagogique”, si bien que nous<br />

avons affaire à un fonctionnement institutionnel pédagogique ou, si l’on veut, à une pédagogie<br />

institutionnelle. La réglementation qui prévoyait, d’une part, que le conseil d'administration, par<br />

l’intermédiaire du directeur-éducateur, avait droit <strong>de</strong> véto sur les décisions du conseil <strong>de</strong> maison,<br />

mais que d’autre part, en contre-partie, le conseil d’administration <strong>de</strong>vait être composé, pour un tiers<br />

au moins <strong>de</strong> ses élus, par <strong>de</strong>s membres du conseil <strong>de</strong> maison 2 , est le plus bel exemple <strong>de</strong> cette<br />

sophistication pédagogico-institutionnelle qui fit merveille, notamment d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, au<br />

moment où la “cogestion” (une invention <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) faisait <strong>de</strong> ces structures le partenaire socio-<br />

culturel privilégié <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong>s collectivités locales. C’est s<strong>ans</strong> doute cette institutionnalisation<br />

originale et dynamique qui contribua d<strong>ans</strong> ces mêmes années <strong>60</strong> à placer les <strong>MJC</strong> en position <strong>de</strong><br />

1 Jacques Bertin, écrivain, compositeur-interprète, journaliste, rend compte <strong>de</strong> cette réalité en<br />

stigmatisant la coupure entre culturel (Maisons <strong>de</strong> la Culture, centres culturels divers) et<br />

socioculturel (<strong>MJC</strong> et structures équivalentes) - dont il pense que nous paierons longtemps les<br />

effets négatifs - ainsi que le mépris <strong>de</strong>s “cultureux” pour les “socio-cu” (France-Culture, Grand<br />

Angle, samedi 10/03/90 : Où en sont les <strong>MJC</strong> ?)<br />

2 Les réunions du conseil <strong>de</strong> maison étaient rigoureusement obligatoires et réglementées. Un directeur<br />

pouvait recevoir un blâme <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> simplement parce que les comptes-rendus n’étaient pas<br />

parvenus aux instances nationales en temps voulu (entretien avec Jack Riou). Jusqu’à la fin <strong>de</strong>s<br />

années <strong>60</strong>, avant la scission qui suivra le congrès <strong>de</strong> Sochaux, les rapports <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maison<br />

faisaient l’objet d’un traitement, d’une compilation et d’un compte-rendu global diffusé d<strong>ans</strong> les<br />

<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> la part du centre fédéral.


- 8 -<br />

domination d<strong>ans</strong> un domaine 1 <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle en formation.<br />

Il y a donc, semble-t-il, une certaine cohérence, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la contradiction apparente, entre ce<br />

flou qui entoure les <strong>MJC</strong> que l’on confond souvent avec <strong>de</strong> nombreuses structures plus ou moins<br />

éloignées (y compris les mouvements politiques), et leur rigueur institutionnelle. Flou et rigueur sont<br />

les effets <strong>de</strong> la même réalité : la rigueur institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> assurera, d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> précise,<br />

leur domination d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle, qui en retour les marquera pour<br />

longtemps <strong>de</strong> sa confusion et <strong>de</strong> sa complication fondamentales.<br />

Ce domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle, quel est-il ? Comment s’organise-t-il ?<br />

On peut aujourd’hui en France cerner le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle grâce à quatre<br />

notions utilisées couramment, aussi bien par les acteurs professionnels et bénévoles que par les<br />

chercheurs, administrateurs ou politiques <strong>de</strong> ces nouveaux espaces <strong>de</strong> pratiques sociales. Ces<br />

quatre notions que nous appelons “notions-praxis” puisqu’elles se réfèrent toujours à <strong>de</strong>s pratiques<br />

concrètes portées par <strong>de</strong>s projets d’intervention sociale, sont l’action culturelle proprement dite,<br />

l’animation socio-culturelle l’éducation populaire et l’action sociale.<br />

En se référant aux acquis <strong>de</strong> la recherche 2 , on peut distinguer ces quatre notions et les pratiques<br />

qu'elles recouvrent.<br />

L’action culturelle part <strong>de</strong>s oeuvres d’art, <strong>de</strong> la pensée et <strong>de</strong> la science qu’il s’agit <strong>de</strong> faire<br />

goûter, partager (la démocratisation <strong>de</strong> la culture) par le plus large public possible, y compris et<br />

surtout par le public populaire. Les animateurs culturels sont <strong>de</strong>s intermédiaires entre les oeuvres,<br />

les créateurs, les penseurs, les savants d’une part et les publics d’autre part. La notion <strong>de</strong> culture a<br />

ici son sens le plus traditionnel, celui que l’on entend d<strong>ans</strong> l’expression “être cultivé”. Elle renvoie à<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s oeuvres “légitimes” reconnues comme telles, du passé et du présent : l’héritage et le<br />

patrimoine culturels.<br />

L'animation socio-culturelle ne part pas <strong>de</strong>s oeuvres mais <strong>de</strong>s populations, <strong>de</strong>s groupes<br />

sociaux spécifiés par leurs i<strong>de</strong>ntités culturelles, leurs logiques <strong>de</strong> sociabilité, leurs comportements<br />

originaux s'exprimant d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s espaces définis, groupes généralement dominés dont il s'agit, pour<br />

l'animateur, <strong>de</strong> faciliter l'expression sociale, ethnique, culturelle, artistique, politique. Au sens large du<br />

terme, l'animateur socio-culturel est un "agent politique" qui, <strong>de</strong> ce fait, peut entrer en conflit avec les<br />

politiques issues du suffrage universel.<br />

L'éducation populaire, dont on peut dire qu'elle est historiquement à l'origine <strong>de</strong> l'action<br />

1 Nous évitons d’utiliser le terme <strong>de</strong> “champ” compte tenu <strong>de</strong>s significations qu’il a prises avec P.<br />

Bourdieu. Peut-être avons-nous affaire à un “champ” en formation ? Même s’il y a <strong>de</strong>s enjeux réels,<br />

rien pour le moment ne nous permet <strong>de</strong> l’affirmer avec certitu<strong>de</strong>.<br />

2 Voir notamment les travaux <strong>de</strong> Geneviève Poujol (Action culturelle, action socio-culturelle -<br />

Recherches. Doc. INEP n° 1), <strong>de</strong> Pierre Gaudibert et <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s participants au colloque<br />

culturel/socio-culturel (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 30) dont nous nous inspirons d<strong>ans</strong> l’article “Les<br />

ambivalences <strong>de</strong>s actions socio-culturelles” Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 51.


- 9 -<br />

culturelle et <strong>de</strong> l'animation socio-culturelle 1 , gar<strong>de</strong> ses objectifs et ses pratiques propres : prise <strong>de</strong><br />

conscience individuelle et civique, développement <strong>de</strong> l'esprit critique et d'initiative, acquisition d'outils<br />

d'analyse, pratique du pouvoir collectif selon <strong>de</strong>s règles jugées démocratiques et engageant la<br />

responsabilité <strong>de</strong> l’individu. Alors que l'action culturelle part <strong>de</strong>s oeuvres pour aller au public,<br />

l'animation socio-culturelle <strong>de</strong>s groupes dont il s'agit <strong>de</strong> faciliter l'expression, l'éducation populaire 2 ,<br />

elle, part beaucoup plus <strong>de</strong>s individus pour “les préparer à <strong>de</strong>venir les citoyens actifs et responsables<br />

d'une communauté vivante” 3 . L'animateur - terme s<strong>ans</strong> doute impropre puisque, par exemple, les<br />

directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ne se sont jamais véritablement réclamés <strong>de</strong> l'animation - est en quelque sorte un<br />

éducateur, civique et politique. Son action est sous-tendue par une définition <strong>de</strong> la culture que<br />

rappelle Gérard Kolpak : “Nous nous sommes toujours refusé à réduire la culture aux Beaux-Arts ;<br />

nous avons toujours défendu une conception globale et dynamique <strong>de</strong> la culture capable <strong>de</strong> prendre<br />

en compte l'homme d<strong>ans</strong> son environnement : l'homme cultivé étant celui qui est en possession du<br />

savoir et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qui lui permettent <strong>de</strong> comprendre sa situation d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la décrire et<br />

d'agir éventuellement sur elle pour la tr<strong>ans</strong>former” 4 .<br />

Et l'action sociale proprement dite ? On ne peut pas dire qu’elle engage une conception<br />

particulière <strong>de</strong> la culture. Cependant, elle ne peut pas ne pas participer, <strong>de</strong> manière complémentaire<br />

ou contradictoire, <strong>de</strong>s trois définitions <strong>de</strong> la culture mentionnées plus haut, sous peine <strong>de</strong> tomber<br />

d<strong>ans</strong> les trois travers qui la guettent en permanence : d’abord le misérabilisme, si elle ne s’attache<br />

qu’à une définition artistique <strong>de</strong> la culture qui ne concerne pas - ou peu - les plus démunis ; à<br />

l’opposé le populisme si elle se laisse prendre à une définition purement relativiste 5 <strong>de</strong> la culture,<br />

hypostasiant les pratiques <strong>de</strong>s groupes dominés (mythes <strong>de</strong> l’immigré, <strong>de</strong> la richesse incomparable<br />

<strong>de</strong>s jeunes défavorisés, <strong>de</strong>s cultures populaires, <strong>de</strong> l’ouvrier, mythes qui se retournent généralement<br />

contre les intéressés) ; pur assistanat enfin, si l’on ne conçoit pas que l’action sociale puisse être<br />

aussi une action culturelle visant à donner à l’individu “savoir et métho<strong>de</strong>s qui lui permettent <strong>de</strong><br />

1 C’est ce qui tr<strong>ans</strong>paraît d<strong>ans</strong> l’entreprise “généalogique” d’Évelyne Ritaine qui, en abordant l’action<br />

culturelle, rencontre l’éducation populaire comme sa première forme d’organisation (Les stratèges<br />

<strong>de</strong> la culture, Presses <strong>de</strong> la Fondation nationale <strong>de</strong>s sciences politiques, Paris, 1983).<br />

2 La comparaison entre éducation populaire et animation socio-culturelle, même si elle concerne<br />

directement les <strong>MJC</strong>, est un exercice auquel nous ne nous livrerons pas ici, à ce niveau introductif <strong>de</strong><br />

la recherche. Michel Simonot s’y essaie (cf. “Approche psychosociologique <strong>de</strong>s activités socioculturelles”,<br />

Traité <strong>de</strong>s sciences pédagogiques n° 8, PUF, 1978).<br />

3 Statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (article 2).<br />

4 “L'action culturelle aujourd'hui : le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>”, Cahiers <strong>de</strong> l'animation n° 30, p. 30.<br />

5 A la suite <strong>de</strong>s analyses <strong>de</strong> C. Grignon et J.-C. Passeron (Sociologie <strong>de</strong> la culture et sociologie <strong>de</strong>s<br />

cultures populaires, séminaires <strong>de</strong> l’EHESS, 1982) portant notamment sur le relativisme culturel et la<br />

théorie <strong>de</strong> la légitimité culturelle ainsi que sur leurs dérives populistes et misérabilistes, on doit se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment l’intervention socio-culturelle peut pratiquer pour ne pas “faire injustice”<br />

socioculturelle aux cultures populaires. (Voir également Jean-Clau<strong>de</strong> Passeron : Le raisonnement<br />

sociologique, Nathan, 1991).


- 10 -<br />

comprendre sa situation d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la décrire et d'agir éventuellement sur elle pour la<br />

tr<strong>ans</strong>former”.<br />

Action culturelle, animation socio-culturelle, éducation populaire et action sociale, c’est tout cela<br />

que nous appelons le domaine <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle.<br />

Nous ne rencontrons jamais ces pratiques à l’état pur, telles que nous avons pu les décrire avec<br />

les définitions <strong>de</strong> la culture qui les spécifient. Action culturelle, animation socio-culturelle, éducation<br />

populaire sont <strong>de</strong>s concepts-limites qui balisent le domaine <strong>de</strong> ces pratiques et nous permettent <strong>de</strong><br />

le penser. Disons qu’une Maison <strong>de</strong> la Culture ou un Centre d’Action Culturelle fonctionnent <strong>de</strong><br />

manière prévalente selon le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’action culturelle, un centre d’animation socio-culturelle, selon<br />

le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’animation socio-culturelle, et un mouvement comme la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, selon<br />

le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éducation populaire. Mais il est fréquent <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong>s institutions<br />

qui ont intégré ces trois types d’action : une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture peut , à la fois et<br />

d’une manière cohérente , mener une action culturelle (création et diffusion d’oeuvres), faciliter<br />

l’expression <strong>de</strong>s groupes (animation socio-culturelle) d<strong>ans</strong> le cadre d’un projet d’éducation populaire<br />

et d’action sociale.<br />

3 - Les <strong>MJC</strong> : “signalement provisoire”<br />

La complexité et les recompositions successives du domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle 1 ne<br />

suffisent pas à rendre totalement compte <strong>de</strong> la perception confuse et souvent erronée que l’on a <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>. Leur position médiane d<strong>ans</strong> l’espace du socio-culturel est aussi largement productrice <strong>de</strong> ces<br />

confusions et <strong>de</strong> ces erreurs, malgré la précision <strong>de</strong> leur projet et la rationalité interne <strong>de</strong> leur<br />

fonctionnement institutionnel. En effet, elles ont réussi, semble-t-il, à intégrer, d<strong>ans</strong> leur projet et<br />

leurs pratiques d'éducation populaire, l’action culturelle, l’animation socio-culturelle et l’action sociale,<br />

alors que les autres institutions sont souvent spécialisées et donc plus clairement situées : centres<br />

sociaux, services <strong>de</strong> la DASS, universités populaires, Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, Maisons <strong>de</strong> la<br />

Culture, Centres d’Animation Culturelle ... A l’intérieur <strong>de</strong> l’espace socio-culturel lui-même, selon le<br />

point <strong>de</strong> vue auquel on se place, on classera les <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> l’action culturelle (sorte <strong>de</strong> petite Maison<br />

<strong>de</strong> la Culture), d<strong>ans</strong> l’animation socio-culturelle (c’est très souvent le cas et cela prend <strong>de</strong> plus en<br />

plus une signification péjorative), ou même d<strong>ans</strong> l’action sociale.<br />

Il faut dire que la diversité <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> justifie ces approches diverses. Selon une<br />

1 L’ensemble du domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle a une histoire complexe faite <strong>de</strong><br />

recompositions multiples que nous avons essayé <strong>de</strong> décrire d<strong>ans</strong> un article (“Vers le social-culturel<br />

?” Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 56). D<strong>ans</strong> l’état actuel <strong>de</strong>s choses, il apparaît, suite à l’hégémonie <strong>de</strong><br />

l’animation socio-culturelle d<strong>ans</strong> les années 70, que les années 80 se caractérisent par un<br />

rapprochement du social et du culturel donnant lieu à <strong>de</strong>s pratiques spécifiques prenant en compte<br />

le développement économique.<br />

De leur côté, M. Simonot parle <strong>de</strong> “secteur socio-culturel en extinction” (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n°<br />

44-45) et J. Ion <strong>de</strong> “fin du socio-culturel” (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 56).


- 11 -<br />

enquête nationale 1 , 80% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> font <strong>de</strong> l’action culturelle, 70% proposent <strong>de</strong>s activités<br />

d'expression, 75% <strong>de</strong>s activités sportives, 63% <strong>de</strong>s activités scientifiques, techniques, audio-<br />

visuelles, 33% font <strong>de</strong> l’action sociale, 33% proposent <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> formation, 29% <strong>de</strong>s activités<br />

<strong>de</strong> tourisme, 20% <strong>de</strong>s activités économiques (développement local, entreprises intermédiaires,<br />

économie sociale, vente, services ...).<br />

Cependant, quelles que soient les pratiques que l’on peut classer d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s secteurs différents<br />

(culturel, social, socio-culturel, éducatif, économique ...) tant elles peuvent être diverses, la<br />

dynamique interne <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se caractérise par l’articulation <strong>de</strong> cinq niveaux :<br />

a) un projet défini d<strong>ans</strong> les statuts : “développer les aptitu<strong>de</strong>s personnelles, ... former <strong>de</strong>s<br />

citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”. Ce projet général peut prendre <strong>de</strong>s<br />

formes particulières : soutien à la création, formation continue, développement culturel et social,<br />

“lecture <strong>de</strong> la réalité sociale” 2 , entretien <strong>de</strong> l’esprit critique, soutien à l’initiative collective et<br />

individuelle, développement communautaire. On justifie le projet et ses applications par <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s<br />

référentielles à l’esprit <strong>de</strong> la Résistance, à la construction d’une société plus juste, plus démocratique<br />

où les inégalités sociales et culturelles seraient réduites.<br />

b) <strong>de</strong>s publics définis par <strong>de</strong>s caractéristiques précises : âge, sexe, profession et catégorie<br />

sociale, habitat, origine culturelle et ethnique, <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> scolarisation, mobilité, structuration <strong>de</strong><br />

l’espace <strong>de</strong> vie, sociabilité ...<br />

c) <strong>de</strong>s partenaires : la structure associative cogestionnaire 3 <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> associe les<br />

partenaires les plus divers (représentants <strong>de</strong>s adhérents qui sont majoritaires d<strong>ans</strong> toutes les<br />

instances <strong>de</strong> décision, représentants <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong>s collectivités locales, du personnel, <strong>de</strong>s<br />

associations, <strong>de</strong>s forces vives et organisées <strong>de</strong> l’espace social sur lequel intervient la <strong>MJC</strong>).<br />

d) <strong>de</strong>s pratiques, sous forme d’activités et d’actions diverses (sportives, culturelles,<br />

sociales, éducatives, artistiques, touristiques, économiques), intégrées d<strong>ans</strong> un programme, avec<br />

une pédagogie liée au projet général, et gérées selon <strong>de</strong>s organigrammes <strong>de</strong> fonctionnement plus ou<br />

moins précis 4 .<br />

e) <strong>de</strong>s productions que l’on peut apprécier à <strong>de</strong>ux niveaux :<br />

• les réalisations visibles facilement dénombrables : spectacles, créations, personnes<br />

1 Les <strong>MJC</strong> Aujourd’hui : Réalités et Impacts. (op. cit.).<br />

2 Au début du premier septennat <strong>de</strong> F. Mitterrand, on insiste beaucoup sur cet apprentissage <strong>de</strong> la<br />

lecture <strong>de</strong> la réalité sociale (congrès <strong>de</strong> Reims en 1982) au moment où l’on croit à un renouveau <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire : la “nouvelle citoyenneté” chère à P. Mauroy, le projet <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong> la vie<br />

associative <strong>de</strong> M. André Henry.<br />

3 Ce concept <strong>de</strong> “cogestion” sera longuement décrit plus loin.<br />

4 A propos <strong>de</strong> la pratique institutionnelle, nous avons tenté une petite <strong>de</strong>scription portant le titre<br />

suivant : “Comment un directeur-éducateur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> peut-il être à la fois “formateur” <strong>de</strong> son conseil<br />

d’administration et responsable <strong>de</strong>vant lui ? Analyse d’un paradoxe institutionnel”. Ronéo (40 p),<br />

1982.


- 12 -<br />

touchées, formées, “animées”, heures d’activité, services assurés, emplois créés ...<br />

• les effets socio-culturels plus difficilement appréciables : promotion sociale,<br />

“viabilisation” du tissu social, intégration <strong>de</strong>s individus, développement <strong>de</strong> la sociabilité, production<br />

symbolique, autonomisation et responsabilisation <strong>de</strong>s individus et <strong>de</strong>s groupes, développement <strong>de</strong> la<br />

vie démocratique ...<br />

Au sujet <strong>de</strong> ce “signalement provisoire” <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, on peut faire quelques remarques. Les acteurs<br />

sont particulièrement loquaces sur les projets et les objectifs, les pratiques, la philosophie générale<br />

qui les anime, les références qui les justifient et les légitiment. Ils passent également beaucoup <strong>de</strong><br />

temps à décrire les réalités sociales auxquelles ils sont confrontés, à analyser les comportements<br />

<strong>de</strong>s partenaires, à “interroger” leurs pratiques en les confrontant aux ambitions du projet.<br />

Par contre, ces même acteurs sont particulièrement muets sur les productions sociales <strong>de</strong> leurs<br />

actions. On ne va guère au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la comptabilisation <strong>de</strong>s résultats immédiatement visibles 1 .<br />

Manque d’outils d’analyse ou occultation volontaire ? Il faut dire que les sciences sociales ont encore<br />

peu analysé ce domaine <strong>de</strong>s productions sociales <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle. Pour notre part,<br />

nous avons émis l’hypothèse que ces productions étaient ambivalentes, s<strong>ans</strong> toutefois construire les<br />

indicateurs nous permettant <strong>de</strong> mettre ces hypothèses à l’épreuve <strong>de</strong>s faits et <strong>de</strong> la vérification 2 .<br />

Ainsi cette forme <strong>de</strong> “technologie sociale” qui - comme les sciences sociales elles-mêmes - parle<br />

plus souvent <strong>de</strong> ses métho<strong>de</strong>s que <strong>de</strong> ses productions, sous-tend une dynamique <strong>de</strong> développement<br />

<strong>de</strong> structures qui ne disent presque rien <strong>de</strong> leurs effets.<br />

4 - Contexte et déroulement <strong>de</strong> la recherche<br />

Comme toute recherche, celle-ci est tributaire <strong>de</strong> la nature même <strong>de</strong> l’objet et du moment où l’on<br />

tente <strong>de</strong> porter sur lui un regard scientifique.<br />

a) le moment <strong>de</strong> la recherche<br />

Le temps <strong>de</strong> notre recherche sur les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture coï nci<strong>de</strong> avec une<br />

pério<strong>de</strong> d’intense agitation, voire même <strong>de</strong> crise pour l’institution, la FF<strong>MJC</strong>, qui regroupe leur<br />

gran<strong>de</strong> majorité. Certes, comme nous le verrons, les <strong>MJC</strong> n’en sont pas à leur première crise. Il<br />

n’empêche que la proche pério<strong>de</strong> est marquée par quelques faits significatifs et peut-être décisifs :<br />

1 Le FNDVA (Fonds national <strong>de</strong> développement <strong>de</strong> la vie associative) lance cependant en 1987 un<br />

appel d’offre d'expérimentation <strong>de</strong> nouvelles métho<strong>de</strong>s d’évaluation. La nouvelle recherche-action<br />

visant à établir <strong>de</strong>s “diagnostics” sociaux et culturels ainsi que l’évaluation <strong>de</strong>s pratiques gagnent<br />

également du terrain, notamment d<strong>ans</strong> les dispositifs <strong>de</strong> Développement Social <strong>de</strong>s Quartiers et <strong>de</strong><br />

Développement Social Urbain. La recherche est ainsi appelée à occuper une place <strong>de</strong> plus en plus<br />

importante d<strong>ans</strong> les dispositifs d’intervention socio-culturelle (cf. notre contribution : La recherche :<br />

un outil au service du développement social et culturel. Diffusion FR<strong>MJC</strong> Méditerranée, 1986).<br />

2 Les ambivalences <strong>de</strong>s actions socio-culturelles (op. cit.).


- 13 -<br />

• une réelle crise <strong>de</strong> la citoyenneté, notamment chez les jeunes 1 se traduisant par une<br />

méfiance vis à vis <strong>de</strong> ce que l’on appelle communément la “classe politique” et par l’émergence<br />

durable, sur la scène politique, <strong>de</strong> l’extrême-droite. Ce phénomène ne peut pas ne pas préoccuper<br />

une institution soucieuse <strong>de</strong> formation du citoyen et <strong>de</strong>s valeurs qui y sont attachées, alors que d<strong>ans</strong><br />

le même temps, compte tenu <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> l’Est, les questions <strong>de</strong> la démocratie et d’une<br />

manière générale <strong>de</strong> la relation entre l’individu et la société sont posées en termes nouveaux.<br />

• la mise en place <strong>de</strong> la décentralisation, sa progression vers un terme difficile à prévoir d<strong>ans</strong><br />

son organisation et d<strong>ans</strong> ses effets, consacrant le fameux “désengagement financier <strong>de</strong> l’Etat<br />

central”, contre lequel luttent les <strong>MJC</strong> pratiquement <strong>de</strong>puis leur origine 2 , et en particulier celles qui<br />

sont restées affilées à la FF<strong>MJC</strong> après la crise <strong>de</strong> 1969.<br />

• une nouvelle crise interne <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, largement ouverte lors <strong>de</strong> l’assemblée générale<br />

nationale du M<strong>ans</strong> (mai 1987), qui perdure malgré une réforme <strong>de</strong> structure quant à la gestion <strong>de</strong>s<br />

personnels, et qui fait peser la menace d’un nouvel éclatement.<br />

Nous essayons donc <strong>de</strong> scruter le fond <strong>de</strong> la mer par gros temps avec vents tournants. Les<br />

mouvements <strong>de</strong> surface risquent à tout moment <strong>de</strong> troubler notre vision plus profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la réalité.<br />

b) les enjeux <strong>de</strong> la recherche<br />

L’objectif premier <strong>de</strong> la recherche, le seul qui puisse prétendre la gui<strong>de</strong>r et la légitimer, est la<br />

production <strong>de</strong> savoir. L’enjeu est d’abord scientifique, aussi mo<strong>de</strong>ste soit-il.<br />

Cependant, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’objet, pour cette institution dont la mission est d’intervenir sur<br />

<strong>de</strong>s rapports sociaux complexes, alors qu’elle-même est en question d<strong>ans</strong> son fonctionnement et sa<br />

légitimité, cette recherche comme toute autre ne peut pas ne pas constituer un enjeu 3 aussi limité<br />

soit-il et qui, si nous n’y prenions gar<strong>de</strong> en adoptant vis à vis <strong>de</strong> lui une attitu<strong>de</strong> suiviste ou<br />

d’ignorance, pourrait compromettre notre quête <strong>de</strong> savoir.<br />

Pour les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, l’enjeu essentiel <strong>de</strong> cette recherche ne serait-il<br />

1 A titre d’exemple, notre enquête “Réseaux, images et organisations <strong>de</strong> la jeunesse à Aix-en-<br />

Provence” (ronéo, <strong>60</strong> pages, 1990) fait apparaître notamment à la question "si vous pouviez<br />

rencontrer le maire <strong>de</strong> votre commune, que lui diriez-vous, que lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>riez-vous, que lui<br />

proposeriez-vous?", <strong>60</strong>% <strong>de</strong>s jeunes scolarisés <strong>de</strong> 15 à 20 <strong>ans</strong> interrogés ne répon<strong>de</strong>nt pas ou s'en<br />

tirent par une formule humoristique, lapidaire ou provocatrice. Mais d<strong>ans</strong> le même temps, on assiste<br />

à <strong>de</strong> nouvelles formes d’engagement associatif <strong>de</strong> jeunes, très souvent issus <strong>de</strong> l’immigration et<br />

habitant <strong>de</strong>s quartiers périphériques.<br />

2 Cf. le discours d’ouverture d’André Philip lors <strong>de</strong> l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (15<br />

janvier 1948).<br />

3 L’étu<strong>de</strong> dirigée par Alain Rissel sur les contenus <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> n’a-t-elle pas suscité<br />

beaucoup <strong>de</strong> méfiance, <strong>de</strong>s réactions violentes même, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> personnels, notamment à<br />

l’intérieur du syndicat CGT majoritaire d<strong>ans</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Les directeurs ont cependant répondu<br />

massivement à un questionnaire pourtant lourd, et ils sont nombreux à s’être procuré le rapport<br />

final.


- 14 -<br />

pas 1 la légitimation scientifique qu’elle pourrait apporter à une institution - mieux, à une partie d’elle-<br />

même et à certains protagonistes contre d’autres - au moment où les <strong>MJC</strong> n’ont pas ou ne croient<br />

pas avoir la reconnaissance qu’elles espèrent...?<br />

Pour les <strong>MJC</strong>, la légitimité - rappelons-le, aussi limitée soit-elle - que pourrait apporter notre<br />

entreprise, se situerait à <strong>de</strong>ux niveaux: par rapport à l’extérieur, d<strong>ans</strong> la production d’un discours<br />

réputé objectif et si possible positif que l’on porterait sur elles ; par rapport à l’intérieur, d<strong>ans</strong> la<br />

manière volontaire ou involontaire par laquelle ce même discours pourrait trancher - ne serait-ce que<br />

théoriquement - les rapports <strong>de</strong> domination qui s’y jouent.<br />

La recherche elle-même, si son objectif n’est que scientifique, ne <strong>de</strong>vrait avoir que faire <strong>de</strong> ses<br />

effets sur l’objet, sauf si le chercheur occupe une position par rapport à l’objet qui le met en jeu, et<br />

dont il n’arriverait pas à se dégager. D<strong>ans</strong> ce cas, on peut craindre un effet boomerang<br />

épistémologiquement négatif du résultat <strong>de</strong> la recherche par anticipation <strong>de</strong> conséquences positives<br />

ou négatives que pourrait produire le résultat <strong>de</strong> la recherche sur l’implication pratique du chercheur<br />

par rapport à l’objet. Autrement dit, et c’est notre cas, l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chercheur nous positionne d’une<br />

manière particulière et nouvelle par rapport à cette Institution d<strong>ans</strong> laquelle nous avions et avons<br />

encore un rôle qui n’est pas celui d’un chercheur mais celui d’un praticien.<br />

Revenons un instant à l’objet et à l’enjeu que peut représenter pour lui une telle recherche. D<strong>ans</strong><br />

un tel contexte, où la reconnaissance 2 et la légitimité d<strong>ans</strong> le champ social ne sont pas assurées, il y<br />

a une réelle quête d’i<strong>de</strong>ntité qu’une recherche globale et plus systématique pourrait cerner. Parce<br />

qu’elles sont inquiètes et qu'elles ne sont plus aussi sûres <strong>de</strong> leur mission, les <strong>MJC</strong> ont besoin <strong>de</strong><br />

connaître leur propre histoire pour repenser leurs finalités 3 . Le témoignage direct <strong>de</strong>s pionniers<br />

pourrait faire “ancien combattant”. Par contre une recherche, répertoriée comme telle, réalisée par<br />

quelqu’un d’étranger aux pério<strong>de</strong>s héroï ques, pourrait relégitimer leur place et leur mission<br />

historique 4 .<br />

1 Nous parlons au conditionnel car pour répondre à une telle question, il faudrait s’engager d<strong>ans</strong> une<br />

démarche d’enquête.<br />

2 La crise <strong>de</strong> 1969, s<strong>ans</strong> doute aussi parce que l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’État était en cause, fut largement<br />

relatée, souvent <strong>de</strong> manière partisane, par la presse nationale et les revues spécialisées. Ce n’est<br />

pas le cas aujourd’hui. Si les <strong>MJC</strong> ont autant <strong>de</strong> souci <strong>de</strong> leur communication et <strong>de</strong> leur image, c’est<br />

d’abord parce que la concurrence d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle est <strong>de</strong>venue<br />

féroce. C’est aussi parce que les médias nationaux viennent plus difficilement se préoccuper d’elles.<br />

3 Ce n’est pas un hasard si, à la suite <strong>de</strong> l’assemblée générale particulièrement conflictuelle <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong> Châlons-sur-Marne (novembre 1989), le délégué général a donné mission à un groupe <strong>de</strong><br />

délégués régionaux <strong>de</strong> repenser les finalités <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations, d<strong>ans</strong> le but d’engager<br />

une réflexion d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’institution et <strong>de</strong> déboucher sur la définition d’une charte <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

A cette occasion, on a même parlé <strong>de</strong> philosophie, voire <strong>de</strong> doctrine <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, en reconnaissant le<br />

caractère abusif <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier terme d<strong>ans</strong> le cadre d’une institution comme celle-ci.<br />

4 Les bénévoles et les professionnels <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> portent un grand intérêt aux formations consacrées à<br />

l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire et <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. On ne se contente plus d’une référence au mythe<br />

fondateur (issues <strong>de</strong> la Résistance). On a besoin <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong>s faits historiques même si<br />

elle bouscule un peu le mythe.


c) le déroulement <strong>de</strong> la recherche<br />

- 15 -<br />

Ce qui frappe l’observateur, c’est, en effet, l’histoire extrêmement mouvementée <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture : leur naissance d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> trouble, <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> stagnation puis <strong>de</strong><br />

développement fulgurant, <strong>de</strong>s crises particulièrement aiguës pouvant aller jusqu’à l’éclatement ou<br />

même à la menace <strong>de</strong> leur disparition, <strong>de</strong>s changements fréquents <strong>de</strong> leur organisation fédérative et<br />

du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> leurs professionnels.<br />

D<strong>ans</strong> cette histoire mouvementée, on repère un ressort, semble-t-il essentiel, <strong>de</strong> leur raison d’être<br />

et <strong>de</strong> leur développement qui - les textes le montrent - met en mouvement les acteurs, bénévoles et<br />

professionnels, <strong>de</strong> cette institution. Les pratiques pédagogiques et institutionnelles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont<br />

sous-tendues à la fois par une référence régulière à un mythe fondateur - les mouvements <strong>de</strong><br />

Résistance - et par la fomulation plus ou moins précise du projet d’une société “démocratique”,<br />

organisée autour <strong>de</strong> ses classes laborieuses, la classe ouvrière prioritairement.<br />

Mais ce ressort <strong>de</strong> développement, outre qu’il doit être mis à l’épreuve <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s faits, ne<br />

peut, à lui seul, rendre compte <strong>de</strong> l’histoire cahotique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ni <strong>de</strong>s multiples enjeux qui les<br />

traversent. Le drame ne se réduit pas à l’affrontement <strong>de</strong> quelques personnages simples, bien<br />

connus du public et évoluant d<strong>ans</strong> un cadre figé. Le décor change ; <strong>de</strong>s éléments nouveaux viennent<br />

à la fois enrichir, brouiller, et même masquer le précé<strong>de</strong>nt. Des personnages inattendus,<br />

apparemment <strong>de</strong> second ordre, troublent l’ordre <strong>de</strong>s choses, imposent <strong>de</strong> nouvelles règles, tiennent<br />

d’autres discours. Comment en serait-il autrement, si l’on suppose que cette histoire particulière est<br />

tributaire, mais aissi témoigne, <strong>de</strong> l’histoire générale et profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> ces cinquante<br />

<strong>de</strong>rnières années ?<br />

Même particulière et limitée d<strong>ans</strong> son domaine et d<strong>ans</strong> les faits, cette histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est<br />

suffisamment complexe et mal connue - y compris <strong>de</strong> ceux qui la font - pour que nous choisissions,<br />

d<strong>ans</strong> un premier temps, d’en dresser <strong>de</strong> décor <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières scènes, <strong>de</strong> présenter les personnages,<br />

<strong>de</strong> décrire le cadre d<strong>ans</strong> lequels ils évoluent. Nous avons voulu braquer, tout d’abord, nos<br />

projecteurs sur le paysage <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, sur leur implantation territoriale, nommer les acteurs qui les<br />

animent, décrire les structures, leurs mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement, et ainsi repérer ce qui se joue<br />

réellement au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la chronique annoncée.<br />

Après cet arrêt sur image au milieu <strong>de</strong>s années 80, permettant une approche synchronique <strong>de</strong><br />

l’objet, nous ferons appel à la démarche historique, approche diachronique qui, parce qu’elle arrive<br />

d<strong>ans</strong> un <strong>de</strong>uxième temps, s’apparente à une généalogie <strong>de</strong> cette institution. En effet, d<strong>ans</strong> ce<br />

décorticage <strong>de</strong>s enjeux qui traversent les <strong>MJC</strong>, éclairent leur histoire ainsi que les conditions<br />

sociales d<strong>ans</strong> lesquelles elles se développent, nous gar<strong>de</strong>rons, comme le préconise Nietzche, une<br />

question à notre esprit, qui fon<strong>de</strong> l’attitu<strong>de</strong> d’une interprétation généalogique : que veulent-ils, ceux<br />

qui disent, agissent, acceptent, refusent ...? Ajoutons également : quelles positions défen<strong>de</strong>nt-ils ou<br />

veulent-ils atteindre et d<strong>ans</strong> quels domaines ?


5 - La “vigilance épistémologique”<br />

- 16 -<br />

La réalité <strong>de</strong> l’objet et <strong>de</strong> la relation que nous entretenons avec lui nous invitent à redoubler <strong>de</strong><br />

vigilance épistémologique. Nous ne pouvons oublier que nous sommes acteur <strong>de</strong> la pratique socio-<br />

culturelle <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Cette ultime familiarité avec l’objet, qui consiste à<br />

être à la fois l’enquêteur et le premier informateur <strong>de</strong> la recherche, est scientifiquement dangereuse,<br />

surtout quand on connait les relations les plus complexes que les acteurs peuvent entretenir avec<br />

leurs pratiques d<strong>ans</strong> ce type d’institution 1 . Cela peut aller <strong>de</strong> l’engagement le plus harmonieux à la<br />

haine la plus féroce.<br />

Nous savons qu’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong> la sociologie est d’avoir affaire à un objet qui<br />

parle 2 . Celui-ci est particulièrement bavard. La parole est le premier outil <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> l’intervention<br />

socio-culturelle. L’institution <strong>MJC</strong> et ses professionnels sont particulièrement prolixes en analyses,<br />

remises en question, explications, justifications, condamnations, définitions <strong>de</strong> projets... La tentation<br />

est gran<strong>de</strong> d’en rester aux discours que les acteurs tiennent sur eux-mêmes, sur leurs pratiques,<br />

leurs projets <strong>de</strong> société, leurs propres itinéraires et leurs “démarches”. S<strong>ans</strong> pour autant négliger la<br />

signification <strong>de</strong> ces discours qui correspon<strong>de</strong>nt à l’intériorisation d’une certaine objectivité, il convient<br />

<strong>de</strong> les rapporter à leurs conditions socio-culturelles <strong>de</strong> production.<br />

D<strong>ans</strong> cette situation, la sage exigence épistémologique ne nous indique-t-elle pas <strong>de</strong> rompre au<br />

plus vite avec les discours <strong>de</strong> la pratique, et <strong>de</strong> nous appuyer sur un recueil <strong>de</strong> données, si possible<br />

quantifiables ? L’analyse <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture en France nous<br />

en donne l’occasion, occasion d’autant plus justifiée que cette implantation “volontaire” 3 peut nous<br />

éclairer sur cette expérience originale, ainsi que sur les conditions sociales, culturelles,<br />

économiques, politiques qui l’ont favorisée.<br />

1 Cf. L’animation socio-culturelle : une institution en action (thèse pour le Doctorat <strong>de</strong> III ème cycle <strong>de</strong><br />

Georges Rouan, Université <strong>de</strong> Provence, UER <strong>de</strong> Psychologie, Septembre 1979).<br />

2 Cf. Le métier <strong>de</strong> sociologue <strong>de</strong> P. Bourdieu, J.-C. Chamboredon et J.-C. Passeron (Mouton, 1983).<br />

3 Rappelons que le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est du ressort <strong>de</strong> l’initiative associative, individuelle et<br />

collective.


- 17 -<br />

PREMIÈRE PARTIE<br />

LE PAYSAGE DES MAISONS DES JEUNES<br />

ET DE LA CULTURE


- 19 -<br />

CHAPITRE - I -<br />

LES FÉDÉRATIONS DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA<br />

CULTURE & LES AUTRES GRANDES FÉDÉRATIONS<br />

1 - le recueil <strong>de</strong>s données<br />

Le listing d’adresses fourni 1 par la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

sur lequel nous nous appuyons 2 permet <strong>de</strong> dénombrer 1.131 <strong>MJC</strong> ou structures assimilées 3<br />

regroupées d<strong>ans</strong> 90 fédérations régionales, fédérations départementales et unions locales. Ces<br />

chiffres sont en perpétuelle modification et un comptage précis à un moment donné du temps est<br />

très difficile à effectuer, la création ou la disparition d’une <strong>MJC</strong>, d’une union locale et même d’une<br />

fédération départementale 4 relevant <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong>s acteurs et non d’une décision institutionnelle et<br />

autoritaire 5 . Ainsi, il est facile d’imaginer cette modification permanente du paysage : chaque mois,<br />

chaque semaine peut-être, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se créent, d’autres disparaissent ou entrent en sommeil.<br />

C’est vraisemblablement parmi les <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> directeur, majoritairement implantées d<strong>ans</strong> le<br />

mon<strong>de</strong> rural, que cette fluctuation est la plus importante - s<strong>ans</strong> compter le manque d’information,<br />

1 Mai 1987 (voir annexe 1).<br />

2 Pour ce qui est <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, nous aurions pu nous appuyer sur <strong>de</strong>s données plus récentes. Le gui<strong>de</strong><br />

administratif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, édité par la Fédération régionale <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Grenoble, fournit <strong>de</strong>s<br />

chiffres d’octobre 1988. D’autre part, le listing informatique <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est assez régulièrement<br />

remis à jour. Nous avons cependant choisi <strong>de</strong> nous appuyer pour la FF<strong>MJC</strong> sur les données <strong>de</strong> 1987<br />

par un double souci : avoir un recul temporel suffisant, et surtout établir une cohérence avec<br />

d’autres données moins récentes (l’implantation <strong>de</strong>s autres fédérations et les données <strong>de</strong> l’INSEE <strong>de</strong><br />

1982-83 auxquelles nous nous référons régulièrement).<br />

3 La question <strong>de</strong> la prise en compte <strong>de</strong>s structures “correspondantes” ou “assimilées” n’est pas simple,<br />

d’autant plus que pour la FF<strong>MJC</strong> ou l’UNIREG <strong>MJC</strong>, elles sont quantité non négligeable. Il s’agit<br />

généralement <strong>de</strong> structures ayant un fonctionnement et <strong>de</strong>s missions comparables aux <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong><br />

pour autant avoir <strong>de</strong>s statuts permettant une réelle affiliation. Elles peuvent bénéficier d’un<br />

directeur d<strong>ans</strong> le cadre d’un contrat <strong>de</strong> financement type, mais n’ont pas droit <strong>de</strong> vote d<strong>ans</strong> les<br />

instances fédérales. Les critères d’affiliation ne sont pas toujours régulièrement appliqués : “Forum<br />

Nice Nord”, structure gérée par un simple comité <strong>de</strong> gestion non conforme aux statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, est<br />

affiliée, alors que la <strong>MJC</strong> d’Aubagne, qui applique les statuts-type n’est qu'association<br />

correspondante. Pour la FF<strong>MJC</strong> nous n’avons pris en compte que les structures institutionnellement<br />

affiliées et celles qui tout en respectant les statuts-type <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> pouvaient se trouver d<strong>ans</strong> une<br />

position <strong>de</strong> correspondante ou d’assimilée.<br />

4 Les unions locales et les fédérations départementales ne sont pas un maillon institutionnel<br />

obligatoire. Leur création relève d’une volonté <strong>de</strong> coordination et <strong>de</strong> dynamisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base<br />

souvent liée à l’obtention <strong>de</strong> moyens financiers locaux et départementaux, surtout <strong>de</strong>puis la mise en<br />

place <strong>de</strong> la décentralisation. Les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base, les fédérations régionales, la Fédération française sont<br />

les trois étages obligés <strong>de</strong> l’Institution.<br />

5 La désaffiliation d’une <strong>MJC</strong>, pour non-respect <strong>de</strong>s statuts par exemple, peut cependant relever d’une<br />

décision fédérale. Les <strong>MJC</strong> nouvellement créées sont stagiaires pendant un an avant d’être<br />

véritablement affiliées.


- 20 -<br />

même quand les délégués régionaux ou les animateurs départementaux s’évertuent à gar<strong>de</strong>r un lien<br />

constant avec le terrain. Or les <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> directeur sont majoritaires. Le gui<strong>de</strong> administratif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>,<br />

édité par la Fédération Régionale <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Grenoble, donne le chiffre <strong>de</strong> 548 directeurs<br />

pour 1.140 <strong>MJC</strong> 1 . Mais certaines <strong>MJC</strong> ont plusieurs directeurs et certains directeurs ne dirigent pas<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : ils peuvent être chargés <strong>de</strong> formation, <strong>de</strong> missions diverses, animateurs départementaux<br />

ou d’unions locales, mis à disposition <strong>de</strong> structures qui n’ont pas le statut <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (offices culturels,<br />

services municipaux, structures <strong>de</strong> développement ...).<br />

S’agissant <strong>de</strong>s autres institutions socio-culturelles, les données chiffrées <strong>de</strong> leur implantation sont<br />

plus ou moins fiables.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG (UNIon <strong>de</strong>s fédérations RÉGionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>),<br />

fédération scissionniste <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en 1969, le <strong>de</strong>rnier annuaire que nous possédons est celui <strong>de</strong><br />

1982-83. C’est à partir <strong>de</strong> ce document que nous avons dû dresser la carte d’implantation <strong>de</strong> ces<br />

<strong>MJC</strong> en introduisant quelques modifications ça et là, à partir d’informations complémentaires plus<br />

récentes 2 . Il y aurait 406 <strong>MJC</strong> 3 affiliées à l’UNIREG, chiffre vraisemblablement inférieur au chiffre<br />

réel.<br />

Pour les Centres sociaux et socio-culturels, nous nous sommes référés à une carte du réseau au<br />

1 er février 1987 qui fait minutieusement état <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong>s structures en distinguant, d<strong>ans</strong><br />

chaque département, les centres sociaux regroupés d<strong>ans</strong> la Fédération <strong>de</strong>s Centres sociaux <strong>de</strong><br />

France, et ceux qui ne le sont pas ; ce qui donne un total <strong>de</strong> 1.257 centres sociaux 4 .<br />

Par contre, les chiffres concernant l’implantation <strong>de</strong>s Foyers ruraux sont très approximatifs, et<br />

cela pour <strong>de</strong>ux raisons : d’abord par le manque <strong>de</strong> précision du document dont ils sont extraits et qui<br />

ne nous fournit qu’une visualisation sous forme <strong>de</strong> cercles plus ou moins importants ; ensuite, en<br />

raison <strong>de</strong> l’implantation rurale - difficile à contrôler, comme pour les <strong>MJC</strong> - surtout quand on sait que<br />

le nombre <strong>de</strong> permanents est relativement faible (250) rapporté au nombre <strong>de</strong> foyers ruraux<br />

annoncés (2.500) 5 .<br />

L’inventaire <strong>de</strong>s foyers et maisons pour tous affiliés à la fédération Léo-Lagrange reste difficile<br />

même si le document utilisé est relativement récent 6 . En effet, certaines structures sont <strong>de</strong> simples<br />

1 Octobre 1987.<br />

2 En 1986, la Fédération Languedoc-Roussillon <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> UNIREG allait vers sa 100ème <strong>MJC</strong> affiliée<br />

(Entretiens avec Alain Rizzolo, chargé <strong>de</strong> mission FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> l’Hérault). Selon nos estimations,<br />

appuyées sur l’étu<strong>de</strong> dirigée par J.-P. Sirérols en 1987 : Faits, chiffres et images d’associations,<br />

l’UNIREG, qui annonce quelque 173.000 adhérents physiques avec une moyenne <strong>de</strong> 405 adhérents<br />

par <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>vrait donc regrouper 430 <strong>MJC</strong> environ.<br />

3 Voir annexe 2.<br />

4 Voir annexe 3.<br />

5 Voir annexe 4.<br />

6 Voir annexe 5, carte établie à partir du gui<strong>de</strong> Léo-Lagrange <strong>de</strong> 1985-86.


- 21 -<br />

clubs sportifs, qu’il est difficile <strong>de</strong> classer d<strong>ans</strong> le même registre que <strong>de</strong>s équipements plus<br />

conséquents et polyvalents <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong>, centre social ou même foyer rural. D<strong>ans</strong> certains cas <strong>de</strong><br />

figure, nous avons fait le choix - certes “peu scientifique” - <strong>de</strong> ne pas tout compter.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture (une douzaine), et <strong>de</strong>s Centres d’Action Culturelle (25<br />

environ), nous avons choisi <strong>de</strong> ne pas en dresser une carte du même type, et ceci pour <strong>de</strong>ux raisons<br />

essentielles : l’une à cause <strong>de</strong> leur faible implantation comparée à celle <strong>de</strong>s autres structures ; l’autre<br />

en raison <strong>de</strong> leurs objectifs et pratiques clairement établis comme culturels. Cependant, nous aurons<br />

l’occasion <strong>de</strong> nous référer à une représentation cartographique <strong>de</strong> leur implantation lors <strong>de</strong> notre<br />

travail comparatif.<br />

Cet inventaire <strong>de</strong> structures affiliées et agréées 1 , généralement regroupées d<strong>ans</strong> ce qu’il est<br />

convenu d’appeler les gran<strong>de</strong>s fédérations socio-culturelles et d’éducation populaire, appelle<br />

quelques remarques d’importance :<br />

a) Nous n’avons pas tenu compte d’autres mouvements et institutions d’éducation populaire<br />

comme les Francs et Franches Camara<strong>de</strong>s, les centres d’entraînement aux métho<strong>de</strong>s educatives<br />

actives (CEMEA), la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement dont la vocation est souvent ou essentiellement péri-<br />

scolaire. Il ne s'agit pas <strong>de</strong> nier leur intérêt, leur efficacité éducative et socio-culturelle, ni leur<br />

implantation (environ 40.000 associations affiliées à la seule Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement) 2 , mais <strong>de</strong><br />

préciser notre choix qui est <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> et à l’UNIREG<br />

en comparaison avec <strong>de</strong>s institutions et mouvements qui développent leurs actions par <strong>de</strong>s<br />

structures extra-scolaires du même type : maisons pour tous, centres, foyers, équipements divers.<br />

Nous n’avons pas non plus dressé <strong>de</strong> carte d’implantation <strong>de</strong> structures regroupées, par exemple,<br />

d<strong>ans</strong> Peuple et Culture - qui représente à divers titres un grand mouvement d’éducation populaire 3 -<br />

à cause <strong>de</strong> leur faible implantation en équipements socio-culturels 4 .<br />

b) Le dénombrement peut être ça et là suspecté. En effet, il n’est pas exclu que certaines<br />

structures puissent être affiliées à <strong>de</strong>ux fédérations dont nous avons séparément dressé la carte<br />

d’implantation. Une <strong>MJC</strong> peut être affiliée à la Fédération <strong>de</strong>s Centres sociaux ou <strong>de</strong>s Foyers ruraux,<br />

1 L’agrément est le fait non <strong>de</strong>s fédérations mais <strong>de</strong>s ministères <strong>de</strong> tutelle ou <strong>de</strong> leurs services<br />

(Jeunesse et Sports ou Caisse d’Allocations Familiales par exemple). Une structure peut avoir<br />

plusieurs agréments. C’est généralement le cas <strong>de</strong>s centres sociaux qui ont à la fois un agrément<br />

CAF et un agrément Jeunesse et Sports. Le phénomène <strong>de</strong> l’agrément renvoie à une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’État d<strong>ans</strong> ce domaine, qui a son histoire et sur laquelle nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir.<br />

2 Chiffre encore plus difficile à contrôler que pour les structures gestionnaires d’équipement. Pour le<br />

seul département <strong>de</strong>s Bouches du Rhône, la Ligue compterait 800 associations affiliées avec environ<br />

20% <strong>de</strong> “roulement” par an (entretien avec Michel Leroy, secrétaire général <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong><br />

l’Instruction Laï que pour les Bouches du Rhône).<br />

3 Joffre Dumazedier, Benigno Cacérès, Geneviève Poujol et <strong>de</strong> nombreux chercheurs <strong>de</strong> l’Institut<br />

National d’Éducation Populaire sont issus <strong>de</strong> Peuple et Culture.<br />

4 Ni, du reste, <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse qui obéissent à une logique d’implantation plus liée à une<br />

classe d’âge qu’à un environnement social local.


- 22 -<br />

si bien qu’elle a pu être comptée plus d’une fois 1 . Ainsi, et c’est une raison <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> n’en avoir pas<br />

fait l’inventaire, la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement regroupe <strong>de</strong> nombreuses structures qui sont avant tout 2<br />

Centre social, <strong>MJC</strong>, Foyer rural ou foyer Léo-Lagrange. Cependant, les institutions dont nous avons<br />

choisi <strong>de</strong> compter les structures affiliées sont généralement exclusives les unes <strong>de</strong>s autres, et les<br />

cas d’affiliations multiples entre elles sont rares, ce qui nous permet <strong>de</strong> supposer qu’un travail<br />

comparatif d’implantation reste pertinent. S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il est difficile <strong>de</strong> penser qu’elles<br />

puissent, au même moment, être affiliées aux <strong>de</strong>ux fédérations, compte-tenu du caractère exclusif <strong>de</strong><br />

la scission.<br />

c) Nous ne prétendons pas, par cet inventaire, dresser le tableau complet <strong>de</strong> ce que l’on<br />

appelle le socio-culturel. Il y a d’autres structures - rappelons le - affiliées à d’autres fédérations et,<br />

surtout, <strong>de</strong> nombreuses structures municipales, intercommunales, départementales, qui ne sont<br />

affiliées à aucune fédération, qui remplissent <strong>de</strong>s fonctions comparables 3 , et qui peuvent porter les<br />

mêmes noms : <strong>MJC</strong>, foyer, centre socio-culturel... Du fait même <strong>de</strong> l’absence d’affiliation, cet<br />

inventaire aurait exigé un travail <strong>de</strong> comptage irréalisable au niveau <strong>de</strong> l’ensemble du pays. Notre<br />

choix s’est donc limité aux principales institutions ou mouvements socio-culturels et d’éducation<br />

populaire qui constituent, historiquement et encore actuellement, le dispositif central <strong>de</strong> ce que l’on<br />

appelle communément l’animation socio-culturelle.<br />

d) D’importantes disparités au niveau du public touché et <strong>de</strong>s moyens mobilisés existent<br />

parmi les structures appartenant à <strong>de</strong>s fédérations différentes, ou même appartenant à la même<br />

fédération. Les foyers ruraux annoncent 250.000 adhérents pour 2.500 foyers alors que les <strong>MJC</strong><br />

affiliées à la FF<strong>MJC</strong> estiment regrouper plus <strong>de</strong> 500.000 adhérents 4 pour guère plus d’un millier <strong>de</strong><br />

structures. L’importance moyenne en nombre d’adhérents varie <strong>de</strong> 1 à 5. Ainsi, l’étu<strong>de</strong> comparative<br />

<strong>de</strong> l’implantation est-elle suspendue au choix <strong>de</strong>s indicateurs.<br />

2 - le choix <strong>de</strong>s indicateurs<br />

En matière <strong>de</strong> critères d’importance ou d’indicateurs d’implantation, nous sommes pris entre ce<br />

qui est souhaitable et ce qui est possible.<br />

1 Il y eut une tentative, d<strong>ans</strong> l'Au<strong>de</strong>, <strong>de</strong> généraliser la double affiliation <strong>MJC</strong> et Foyers Ruraux.<br />

2 Les structures ont généralement une affiliation première liée aux statuts choisis, et <strong>de</strong>s affiliations<br />

secondaires liées à <strong>de</strong>s activités particulières. La <strong>MJC</strong> Prévert d’Aix-en-Provence, affiliée à la FF<strong>MJC</strong>,<br />

l’est également à la Fédération Française <strong>de</strong> Montagne, à la Fédération <strong>de</strong>s Cinéastes Amateurs et à<br />

la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement.<br />

3 Les Maisons <strong>de</strong> quartier, notamment, à gestion associative ou même municipale.<br />

4 Il est également très difficile <strong>de</strong> connaître le nombre d’adhérents. Une <strong>MJC</strong> a tendance à “grossir” son<br />

chiffre par rapport à la municipalité alors qu’elle tend à le minimiser lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> payer les<br />

cotisations fédérales. D<strong>ans</strong> certains cas, on a pu constater <strong>de</strong>s écarts du simple au double. Certaines<br />

<strong>MJC</strong> délivrent, comme les Centres sociaux, <strong>de</strong>s cartes familiales. D<strong>ans</strong> ce cas, doit-on compter une<br />

seule adhésion ou autant d’adhésions qu’il y a <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> la famille participant à une activité...?


- 23 -<br />

Nous avons pu, assez précisément (pour les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>), ou très grossièrement<br />

(pour les Foyers ruraux), produire les chiffres bruts d’implantation par région et même par<br />

département (sauf pour les Foyers ruraux). Ces chiffres donnent <strong>de</strong>s indications générales<br />

immédiates qui permettent <strong>de</strong>s comparaisons : par exemple d<strong>ans</strong> le Languedoc-Roussillon, il y a 17<br />

<strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> pour 95 à l’UNIREG, et d<strong>ans</strong> la région Midi-Pyrénées, le rapport est <strong>de</strong> 1 à<br />

100.<br />

Ces chiffres bruts nous ont permis, en les rapportant à la population, <strong>de</strong> calculer les indices<br />

d’implantation par région et chaque fois que cela était nécessaire, par département. Ainsi nous<br />

avons pu dresser <strong>de</strong>s cartes qui peuvent être comparées entre elles ou comparées à d’autres cartes<br />

portant sur <strong>de</strong>s indicateurs économiques, sociaux, culturels, voire anthropologiques. A partir <strong>de</strong> la<br />

visualisation <strong>de</strong> ces données, le travail sociologique <strong>de</strong>vient possible 1 .<br />

En nous appuyant sur <strong>de</strong>ux enquêtes préalables 2 , nous avons pu calculer les indices <strong>de</strong><br />

pénétration <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> par région (nombre d’adhérents rapportés à la population) et globalement<br />

confirmer la carte d’implantation <strong>de</strong> ces mêmes <strong>MJC</strong>. Cependant, ce travail n’a pas été possible pour<br />

les autres structures, si bien que nous n’avons pas pu, par exemple, comparer l’influence <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et<br />

celle <strong>de</strong>s Foyers ruraux. Ainsi les <strong>MJC</strong> apparaissent moins implantées que les Foyers ruraux, alors<br />

qu’elles regroupent vraisemblablement près <strong>de</strong> trois fois plus d’adhérents.<br />

Un autre indicateur aurait pu être le public touché, adhérents et non adhérents, rapporté à la<br />

population. Nous n’avons pu construire cet indicateur, tant les données étaient minces, peu fiables,<br />

ou même fantaisistes. S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ayant répondu à l’enquête sur la FF<strong>MJC</strong> 3 , certaines<br />

annoncent <strong>de</strong>s coefficients multiplicateurs (rapport adhérents/public touché) <strong>de</strong> 30 ou 40.<br />

Ainsi, d<strong>ans</strong> le département <strong>de</strong> la Haute-Savoie, les <strong>MJC</strong> toucheraient-elles près <strong>de</strong> 400.000<br />

personnes 4 (plus <strong>de</strong> 80% <strong>de</strong> la population), chiffre fantaisiste qui peut s’expliquer par le fait que <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> voisines peuvent concerner, chacune à leur tour, un même public qui est ainsi comptabilisé<br />

plusieurs fois 5 .<br />

Nous aurions pu également choisir <strong>de</strong> rapporter le nombre <strong>de</strong> structures à la superficie (indice<br />

d’implantation spatiale) d<strong>ans</strong> la mesure où les équipements peuvent être considérés comme <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong> voisinage. Cela nous aurait permis <strong>de</strong> déceler quelques “déserts” socio-culturels qui sont<br />

1 Voir cartes p. 28, 29, 30.<br />

2 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Impacts et réalités qui concerne la FF<strong>MJC</strong> et Faits, chiffres et images<br />

d’associations qui, elle, concerne l’UNIREG <strong>MJC</strong>.<br />

3 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Impacts et réalités.<br />

4 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Impacts et réalités.<br />

5 La FF<strong>MJC</strong> annonce quelque 3.000.000 <strong>de</strong> personnes concernées (coefficient multiplicateur <strong>de</strong> 6) et<br />

l’UNIREG le chiffre <strong>de</strong> 1.000.000 (coefficient multiplicateur <strong>de</strong> 6 également), ce qui nous paraît à la<br />

fois cohérent et tout à fait plausible.


- 24 -<br />

souvent aussi <strong>de</strong>s “déserts” humains. Cependant, la notion <strong>de</strong> “Maison <strong>de</strong> voisinage” n’a réellement<br />

<strong>de</strong> sens que pour <strong>de</strong>s distances très limitées et pour une certaine <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> population.<br />

On aurait pu choisir aussi le taux <strong>de</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s structures, ce qui aurait par<br />

exemple permis <strong>de</strong> considérablement relativiser l’importance <strong>de</strong> foyers ruraux (seulement 250<br />

animateurs pour 2.500 structures). Mais nous ne possédons pas <strong>de</strong> données fiables, exception faite<br />

<strong>de</strong>s directeurs et délégués <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> qui, par ailleurs, ne constituent qu’une très<br />

faible partie (moins <strong>de</strong> <strong>60</strong>0) d’un corps professionnel estimé à près <strong>de</strong> 15.000 salariés 1 .<br />

L’importance <strong>de</strong>s budgets aurait également pu être un excellent indicateur <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong>s<br />

structures. Mais, là aussi, les données ne sont pas fiables ou sont difficiles à collecter, d<strong>ans</strong> la<br />

mesure où chaque structure <strong>de</strong> base a une autonomie <strong>de</strong> gestion associative que les fédérations ne<br />

contrôlent pas et, par conséquent, connaissent mal 2 . On est donc condamné à <strong>de</strong>s estimations<br />

globales: près d’un milliard <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> chiffre d’affaire pour l’ensemble <strong>de</strong> l’institution 3 FF<strong>MJC</strong>.<br />

Ainsi, pour toutes ces raisons, nous avons utilisé successivement les chiffres bruts, les indices<br />

d’implantation et les indices <strong>de</strong> pénétration. Pour ce qui est <strong>de</strong>s comparaisons entre fédérations,<br />

nous avons communément choisi les indices d’implantation d<strong>ans</strong> leur représentation cartographique,<br />

pour la simple raison que nous avons pu dresser l’ensemble <strong>de</strong>s cartes. Cependant, s’agissant <strong>de</strong><br />

l’importance <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> comparée à <strong>de</strong>s cartes d’indicateurs socio-économiques, culturels et<br />

anthropologiques, nous avons généralement choisi <strong>de</strong> nous appuyer sur les indices <strong>de</strong> pénétration<br />

par région qui nous apparaissent plus pertinents et qui confirment généralement les indices<br />

d’implantation.<br />

3 - les gran<strong>de</strong>s lignes du paysage<br />

Si l’on s’attache aux chiffres bruts 4 <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, on remarque immédiatement la présence <strong>de</strong> trois régions fortes : Rhône-<br />

Alpes (217 <strong>MJC</strong>) 5 , Lorraine (216 <strong>MJC</strong>), et l’Ile <strong>de</strong> France (130 <strong>MJC</strong>), avec quelques départements<br />

1 Le comptage <strong>de</strong>s professionnels salariés est difficile à effectuer d<strong>ans</strong> la mesure où il y a autant<br />

d’employeurs potentiels que <strong>de</strong> structures affiliées. Pour quelques estimations toujours<br />

contestables, voir Les Associations <strong>de</strong> S. Passaris et G. Raffi (Ed. La Découverte).<br />

2 Même lorsque, comme c’est le cas d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, le délégué régional est membre <strong>de</strong> droit <strong>de</strong> chaque<br />

conseil d’administration.<br />

3 D<strong>ans</strong> le langage <strong>MJC</strong>, “l’Institution” désigne l’ensemble <strong>de</strong>s associations <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base et <strong>de</strong> leurs<br />

appareils fédéraux (locaux, départementaux, régionaux et national). Georges ROUAN (op. cit.) fait<br />

remarquer à juste titre que c’est un mot fétiche, objet d’un grand respect, mais aussi <strong>de</strong> critiques<br />

sévères.<br />

4 Annexe 1. Afin <strong>de</strong> ne pas alourdir la rédaction, nous avons choisi <strong>de</strong> rassembler en annexe les<br />

documents <strong>de</strong> référence, notamment les nombreuses cartes, d<strong>ans</strong> un ordre qui suit globalement le<br />

déroulement du discours.<br />

5 Compte tenu <strong>de</strong> cette forte implantation, la FF<strong>MJC</strong> a jugé utile <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>ux fédérations régionales :<br />

Grenoble et Lyon. Pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> clarté, nous avons choisi <strong>de</strong> regrouper les <strong>MJC</strong> selon les<br />

régions administratives.


- 25 -<br />

particulièrement bien pourvus : la Meurthe-et-Moselle avec 126 <strong>MJC</strong> et l’Isère avec 78 <strong>MJC</strong>. Il y a<br />

ensuite une série <strong>de</strong> régions “moyennes” : l’Alsace (70 <strong>MJC</strong>), Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes (69 <strong>MJC</strong>), la<br />

Picardie (79 <strong>MJC</strong>), Provence-Alpes-Côte d’Azur (59 <strong>MJC</strong>) ; puis <strong>de</strong>s régions à faible implantation:<br />

Pays-<strong>de</strong>-Loire (44 <strong>MJC</strong>), la Bretagne (32 <strong>MJC</strong>), la Bourgogne et la Franche-Comté (35 <strong>MJC</strong><br />

chacune), Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais (33 <strong>MJC</strong>), Poitou-Charentes (30 <strong>MJC</strong>), l’Aquitaine (28 <strong>MJC</strong>) ; et enfin<br />

<strong>de</strong>s régions où l’implantation est très faible ou quasi-nulle : Languedoc-Roussillon (17 <strong>MJC</strong>), Centre<br />

(6 <strong>MJC</strong>), Limousin(2 <strong>MJC</strong>) Midi-Pyrénées et Corse (1 <strong>MJC</strong> chacune), Auvergne ( aucune).<br />

Il y a donc <strong>de</strong>s disparités énormes, <strong>de</strong> 217 <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> la région Rhône-Alpes à aucune d<strong>ans</strong> la<br />

région voisine, l’Auvergne.<br />

A grands traits, ces disparités d’implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, constatées à partir <strong>de</strong>s seuls chiffres<br />

bruts, <strong>de</strong>ssinent une France découpée en trois ban<strong>de</strong>s : la partie nord-est (à l’exception peut-être du<br />

Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais) et sud-est (espace situé à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille), fortement ou<br />

moyennement implantée ; la ban<strong>de</strong> ouest faiblement implantée ; et enfin la partie centrale où<br />

l’implantation est très faible ou nulle.<br />

La prise en compte <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG modifie considérablement le paysage s<strong>ans</strong><br />

pour autant nous donner l’image d’une France où les <strong>MJC</strong> seraient implantées <strong>de</strong> façon relativement<br />

homogène. Certes, là où l’on rencontre un bastion <strong>de</strong> l’UNIREG, la FF<strong>MJC</strong> est peu ou pas implantée<br />

: c’est le cas notamment <strong>de</strong>s régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Et inversement. Ainsi<br />

les partitions géographiques, consécutives à la scission <strong>de</strong> 1969, sont-elles parfaitement visibles en<br />

1987. Cependant, il existe <strong>de</strong>s régions, <strong>de</strong>s départements, où les <strong>de</strong>ux fédérations cohabitent,<br />

espaces <strong>de</strong> frottement qui sont longtemps restés, avant que les relations ne s’améliorent, <strong>de</strong>s fronts<br />

<strong>de</strong> guerre froi<strong>de</strong> 1 inter-institutionnelle : les Bouches-du-Rhône, l’Hérault, la région lyonnaise, la<br />

Normandie.<br />

1 Au début <strong>de</strong>s années 80, il y eut une rencontre à Servian (Hérault) entre les directeurs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

fédérations travaillant d<strong>ans</strong> la même région. Certains anciens collègues ne s’étaient pas adressé la<br />

parole <strong>de</strong>puis la scission.


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- 29 -<br />

La carte d’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> rapportée à la population (indice<br />

d’implantation - voir cartes, pages précé<strong>de</strong>ntes) confirme, en apportant quelques précisions,<br />

l’observation <strong>de</strong>s données brutes. La Picardie, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, la Lorraine et l’Alsace forment<br />

un espace d’un seul tenant, d<strong>ans</strong> lequel l’implantation est d’une <strong>MJC</strong> pour moins <strong>de</strong> 25.000<br />

habitants. La Lorraine a une <strong>MJC</strong> pour guère plus <strong>de</strong> 10.000 habitants avec un record en Meurthe-<br />

et-Moselle (1 <strong>MJC</strong> pour 5.700 habitants). La région Rhône-Alpes est également particulièrement<br />

pourvue avec un indice moyen d’une <strong>MJC</strong> pour 23.000 habitants et 1 <strong>MJC</strong> pour 12.000 habitants<br />

d<strong>ans</strong> l’Isère.<br />

A ces régions <strong>de</strong> forte implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, se rattachent <strong>de</strong>s régions moyennement<br />

implantées (entre 25.000 et 75.000 habitants pour 1 <strong>MJC</strong>), l’ensemble formant le croissant est que<br />

nous avions repéré par la seule observation <strong>de</strong>s chiffres bruts. Il faut mettre à part la Corse (1 seule<br />

<strong>MJC</strong> pour 230.000 habitants) et le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais qui, avec un indice <strong>de</strong> 1 pour 120.000, fait<br />

figure d’isolé.<br />

L’Ile-<strong>de</strong>-France, qui nous était apparue comme une région forte (130 <strong>MJC</strong> avec un taux <strong>de</strong><br />

professionnalisation très élevé - près <strong>de</strong> 100 directeurs), sort <strong>de</strong> ce croissant d’abondance, compte<br />

tenu <strong>de</strong> son importante population rapportée au nombre <strong>de</strong> structures (indice d’implantation <strong>de</strong> 1<br />

pour 77.000). La responsabilité <strong>de</strong> ce faible indice incombe à Paris même, qui ne comporte que 6<br />

<strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, et 4 <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG. Le phénomène <strong>MJC</strong> n’est pas avant tout un<br />

phénomène parisien, ce que confirmera l’analyse socio-historique.<br />

Derrière cet espace <strong>de</strong> forte implantation, on retrouve une ban<strong>de</strong> quasi-désertique qui sillonne<br />

l’hexagone <strong>de</strong> la Basse-Normandie à la région Midi-Pyrénées en passant par le Centre, le Limousin<br />

et l’Auvergne. Il y a là une ligne <strong>de</strong> fracture autour <strong>de</strong> laquelle les <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG sont bien<br />

implantées, notamment en Languedoc et en Midi-Pyrénées. La scission institutionnelle <strong>de</strong> 1969<br />

s’installe d<strong>ans</strong> cette dépression médiane.<br />

En se rapprochant <strong>de</strong> l’océan atlantique, la FF<strong>MJC</strong> reprend une certaine altitu<strong>de</strong> notamment d<strong>ans</strong><br />

les Pays-<strong>de</strong>-Loire (1 pour 66.000 habitants) et en Poitou-Charente (1 pour 52.000 h) s<strong>ans</strong> pour<br />

autant atteindre les sommets <strong>de</strong> la France du nord-est et du sud-est. Cette implantation océane<br />

relativement mo<strong>de</strong>ste n’est pas compensée par l’UNIREG qui est là quasiment absente, ni par une<br />

très forte implantation <strong>de</strong>s Centres sociaux, faible en Aquitaine, et <strong>de</strong>s Foyers ruraux qui font bien<br />

mieux ailleurs. Cependant, les Foyers Léo-Lagrange occupent relativement bien cet espace ouest,<br />

avec une implantation tout à fait honorable en Aquitaine (1 pour 53.000 h), Poitou-Charente (1 pour<br />

<strong>60</strong>.000 h) et Pays-<strong>de</strong>-Loire ( 1 pour 68.000 h ).<br />

S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, les <strong>de</strong>ux fédérations confondues, on peut dire qu’il y a une France riche,<br />

une France moyenne et une France pauvre. La France riche est constituée par cette tenaille qui va<br />

d’un côté <strong>de</strong> l’Alsace à la Manche et, <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong> la frontière suisse à la frontière espagnole. Entre<br />

les <strong>de</strong>ux mâchoires, on trouve un espace relativement pauvre (<strong>de</strong> 25.000 à 75.000 h pour 1 <strong>MJC</strong>).<br />

Les régions périphériques par rapport à cette tenaille restent faibles : le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais (1 <strong>MJC</strong>


- 30 -<br />

pour 115.000 h), la corse (1 <strong>MJC</strong> pour 2<strong>60</strong>.000 h), l’aquitaine (1 pour 94.000 h) et la bretagne (1<br />

pour 84.000 h). Seule la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur se rapproche <strong>de</strong>s régions voisines à<br />

forte implantation avec un indice <strong>de</strong> 1 pour 45.000.<br />

Y a-t-il <strong>de</strong>s disparités régionales, toutes fédérations confondues ? Le moins que l’on puisse dire,<br />

c’est que le phénomène <strong>de</strong> compensation institutionnelle ne joue pas parfaitement. Il existe <strong>de</strong>s<br />

déséquilibres importants. On peut repérer un large croissant <strong>de</strong> forte implantation socio-culturelle,<br />

allant du nord-est au midi languedocien et pyrénéen, figure qui se décalque très grossièrement sur la<br />

tenaille <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. D<strong>ans</strong> ces espaces, on atteint <strong>de</strong>s records d’implantation : 1 structure pour 5.400<br />

habitants en Lorraine, 1 pour 5.300 habitants en Midi-Pyrénées, 1 pour 4.500 habitants en<br />

Languedoc-Roussillon et 1 pour 5.200 habitants en Corse 1 qui, grâce aux Foyers ruraux, rattrape le<br />

peloton <strong>de</strong> tête.<br />

Le centre et l’ouest font figure <strong>de</strong> déshérités : 1 structure pour plus <strong>de</strong> 10.000 habitants voire<br />

même pour plus <strong>de</strong> 15.000, avec une exception cependant : la région Poitou-Charentes (1 pour<br />

6.300 h). Le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, malgré une implantation correcte <strong>de</strong>s Centres sociaux et <strong>de</strong>s<br />

foyers Léo-Lagrange, a un réseau socio-culturel faible (1 pour plus <strong>de</strong> 16.000 h). L’Ile-<strong>de</strong>-France est<br />

bonne <strong>de</strong>rnière avec un indice <strong>de</strong> 1 pour près <strong>de</strong> 19.000. Décidément, la région parisienne n’est pas<br />

le phare du développement <strong>de</strong> l’animation socio-culturelle <strong>de</strong> type fédératif 2 , même si toutes les<br />

fédérations y ont leur siège national.<br />

Malgré la concurrence entre fédérations, la cohabitation inter-institutionnelle existe d<strong>ans</strong> toutes<br />

les régions. De nombreuses villes ont à la fois <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à <strong>de</strong>ux fédérations différentes (Lyon<br />

par exemple), <strong>de</strong>s Centres sociaux et socio-culturels, <strong>de</strong>s foyers Léo-Lagrange et <strong>de</strong>s Foyers ruraux.<br />

Certes, en raison <strong>de</strong> vocations différentes, certaines fédérations se côtoient peu, localement 3 , par<br />

exemple les Centres sociaux à vocation sociale et urbaine, et les Foyers ruraux.<br />

Il y a cependant - et c’est bien compréhensible en raison <strong>de</strong> la scission - une répartition spatiale<br />

généralement claire entre les <strong>de</strong>ux fédérations <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>. L’UNIREG a ses bastions là où la FF<strong>MJC</strong><br />

est faible ou inexistante. D<strong>ans</strong> ces secteurs, l’indice d’implantation atteint <strong>de</strong>s sommets qu’aucune<br />

autre fédération, pourtant globalement plus implantée, n’atteint : 1 <strong>MJC</strong> pour 4.300 habitants d<strong>ans</strong><br />

l’Au<strong>de</strong> par exemple. L’UNIREG regroupe, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>ux régions seulement (Midi-Pyrénées et<br />

Languedoc-Roussillon), près <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> ses <strong>MJC</strong> affiliées.<br />

Rappelons-le, il y a <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> cohabitation qui ont été, au moment <strong>de</strong> la scission, <strong>de</strong>s<br />

espaces d’affrontement et ensuite <strong>de</strong> guerre froi<strong>de</strong> : l’Hérault, la région lyonnaise, les Bouches-du-<br />

Rhône, la Normandie. Depuis quelques années, <strong>de</strong>s tentatives <strong>de</strong> rapprochement entre les <strong>de</strong>ux<br />

1 Sous réserve d’informations plus précises que nous ne possédons pas à ce jour.<br />

2 A Paris même, il y a moins <strong>de</strong> 50 structures affiliées aux fédérations que nous étudions.<br />

3 Cependant Puyricard (“écart” d’Aix-en-Provence) possè<strong>de</strong> à la fois un centre socio-culturel et un<br />

foyer rural.


- 31 -<br />

fédérations se sont matérialisées par la création <strong>de</strong> structures communes : Union vauclusienne,<br />

Union héraultaise <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> appartenant aux <strong>de</strong>ux institutions. De temps en temps, on parle même <strong>de</strong><br />

réunification pour rappeler bien vite que “les choses ne sont pas mûres” et que “la question n’est pas<br />

à l’ordre du jour” 1 .<br />

Les Centres sociaux et socio-culturels ont une implantation relativement homogène. Cela tient à<br />

leur spécificité marquée par leur mission sociale d’intérêt général, définie par un ministère <strong>de</strong>s<br />

Affaires sociales très présent par l’intermédiaire <strong>de</strong> la Caisse nationale d’allocations familiales. Il y a,<br />

autour d’une bonne implantation quasi-générale (1 pour moins <strong>de</strong> 75.000 habitants), <strong>de</strong>s espaces<br />

très bien pourvus (1 pour 24.000 h en régions Rhône-Alpes et Bourgogne) et <strong>de</strong>s espaces plus<br />

pauvres : Languedoc-Roussillon, Aquitaine, Lmousin, Basse-Normandie et surtout Corse. Mais les<br />

disparités n’atteignent jamais les écarts constatés d<strong>ans</strong> les autres fédérations et notamment les <strong>MJC</strong><br />

: 1 pour 10.000 habitants à rien pour la FF<strong>MJC</strong>, 1 pour 23.000 à 1 pour 88.000 pour les Centres<br />

sociaux (si l’on excepte la Corse). Les Centres sociaux font l’objet d’un développement mesuré, plus<br />

lié aux exigences du terrain qu’à la seule bonne volonté <strong>de</strong>s acteurs, même si la forme <strong>de</strong> gestion<br />

associative y est couramment pratiquée.<br />

Les Foyers ruraux (2.500 annoncés, mais <strong>de</strong> dimensions mo<strong>de</strong>stes, peu professionnalisés), sont<br />

implantés partout, avec quelques régions particulièrement bien quadrillées, Midi-Pyrénées et<br />

Languedoc-Roussillon, notamment. Ces espaces <strong>de</strong> forte implantation constituent une grossière<br />

diagonale nord-est/sud-ouest pyrénéen. Leur spécificité rurale, leur tutelle du ministère <strong>de</strong><br />

l’Agriculture, ne les mettent pas en concurrence avec <strong>de</strong>s structures à vocation plus urbaine comme<br />

les Centres sociaux ou même les <strong>MJC</strong>. Cependant, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreuses régions (Lorraine,<br />

Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées), ils cohabitent avec les <strong>MJC</strong> qui sont là fortement implantées<br />

d<strong>ans</strong> le milieu rural. De ce point <strong>de</strong> vue-là, l’Hérault et surtout l’Au<strong>de</strong>, font figure d’exemples. La<br />

Corse est, elle, quasi totalement “quadrillée” par les Foyers ruraux. Le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais et l’Ile-<strong>de</strong>-<br />

France, s<strong>ans</strong> doute à cause <strong>de</strong> leur intense urbanisation, ont moins <strong>de</strong> Foyers ruraux, s<strong>ans</strong> que cela<br />

atteigne les abîmes rencontrés d<strong>ans</strong> d’autres fédérations, <strong>MJC</strong> ou foyers Léo-Lagrange par exemple<br />

: 1 foyer rural pour 84.000 habitants en Ile-<strong>de</strong>-France.<br />

Les foyers Léo-Lagrange ont une implantation plus mo<strong>de</strong>ste et souvent plus localisée (Marseille<br />

et Lille par exemple 2 ). Leur record est <strong>de</strong> 1 pour 38.000 h en Picardie avec ensuite 1 pour 53.000 en<br />

Aquitaine et 1 pour 58.000 d<strong>ans</strong> le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, ce qui correspond, somme toute, à <strong>de</strong>s<br />

indices mo<strong>de</strong>stes comparés aux meilleurs <strong>de</strong>s autres fédérations. Ils touchent les profon<strong>de</strong>urs du<br />

classement d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreuses régions : Limousin, Normandie, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, Lorraine.<br />

1 Sur l’opportunité d’une réunification et sur ses freins, il y aurait beaucoup à dire, d’autant qu’il ne<br />

suffit pas que les <strong>de</strong>ux partenaires trouvent un accord d’objectifs et d’organisation pour qu’une<br />

réunification soit possible. Ce qui est en jeu, c’est plus la position <strong>de</strong>s acteurs et <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong><br />

pression.<br />

2 Rappelons que Gaston Defferre et Pierre Mauroy sont <strong>de</strong>ux artis<strong>ans</strong> essentiels du développement <strong>de</strong><br />

la Fédération Léo-Lagrange.


- 32 -<br />

D<strong>ans</strong> ces espaces, leur implantation se limite souvent à une boîte aux lettres pour plusieurs<br />

départements. Sauf exception (espace sud-est), ils sont peu implantés là où les <strong>MJC</strong> atteignent <strong>de</strong>s<br />

sommets : ban<strong>de</strong> centrale occupée par l’UNIREG, Est occupé par la FF<strong>MJC</strong>. Ce phénomène tient-il<br />

à <strong>de</strong>s raisons idéologiques, d<strong>ans</strong> le contexte historique du développement du socio-culturel <strong>de</strong>s<br />

années <strong>60</strong>, où l’on peut voir d’un côté les <strong>MJC</strong> soutenues par la politique gaulliste et <strong>de</strong> l’autre les<br />

foyers Léo-Lagrange faisant figure d’élément dynamique d’une nouvelle sensibilité socialiste ? 1<br />

Mais revenons aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture affiliées à la FF<strong>MJC</strong>. L’indicateur mettant<br />

en rapport le nombre d’adhérents avec l’ensemble <strong>de</strong> la population par région (indice <strong>de</strong><br />

pénétration 2 ) permet <strong>de</strong> dresser une carte qui recoupe globalement celle <strong>de</strong> l’indice d’implantation en<br />

faisant apparaître les déséquilibres repérés lors <strong>de</strong>s représentations précé<strong>de</strong>ntes.<br />

Au nord et à l’est d’une ligne Le Havre-Marseille, on est en présence d’un espace fortement<br />

implanté en adhérents <strong>MJC</strong>. L’indice <strong>de</strong> pénétration rend plus précisément compte <strong>de</strong> l’importance<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> auprès <strong>de</strong> la population. La région Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes arrive en tête avec un indice <strong>de</strong><br />

0,023 (23 adhérents pour 1.000 habitants) suivie <strong>de</strong> la Lorraine et <strong>de</strong> la région Rhône-Alpes (21 pour<br />

1.000). Ainsi la Lorraine ne fait-elle plus figure <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>r détaché (1 pour 10.000 à l’indice<br />

d’implantation) ; elle est rejointe et même dépassée d<strong>ans</strong> le classement à l’indice <strong>de</strong> pénétration. La<br />

moyenne du nombre d’adhérents par <strong>MJC</strong> y est faible (288 selon l’enquête 3 ) et la situe, <strong>de</strong> ce point<br />

<strong>de</strong> vue là, d<strong>ans</strong> les profon<strong>de</strong>urs du classement. Cette observation est confirmée par un autre<br />

indicateur : on compte seulement 58 directeurs pour 201 <strong>MJC</strong> recensées au 13 février 1986 4 . Les<br />

<strong>MJC</strong> sont, généralement, <strong>de</strong> faible importance, même pour celles qui sont implantées d<strong>ans</strong> le milieu<br />

urbain, animées par <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> bénévoles, conseillées par <strong>de</strong>s délégués régionaux qui assurent<br />

une coordination par secteurs <strong>de</strong> dimension départementale 5 .<br />

Par contre, selon l’indice <strong>de</strong> pénétration, l’ile-<strong>de</strong>-France se rapproche du haut du tableau (7<br />

adhérents pour 1.000 h). La moyenne <strong>de</strong>s adhérents par <strong>MJC</strong> avoisine les <strong>60</strong>0, chiffre important qui<br />

1 La réalité n’est pas si simple : André Philip, Prési<strong>de</strong>nt fondateur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et Jean Laurain,<br />

secrétaire général du syndicat CGT <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, sont tous <strong>de</strong>ux membres <strong>de</strong> la<br />

S.F.I.O. ou du parti socialiste, mais avec <strong>de</strong>s références socio-éducatives autres (l’éducation<br />

populaire issue <strong>de</strong> la Résistance), alors que les militants <strong>de</strong> la Fédération Léo-Lagrange se réfèrent à<br />

la politique <strong>de</strong>s loisirs <strong>de</strong> 1936.<br />

2 Pour calculer ces indices, on s’appuie sur une comptabilisation du nombre d’adhérents. Les chiffres<br />

par <strong>MJC</strong> sont fournis par la FF<strong>MJC</strong> et les FR<strong>MJC</strong>, d<strong>ans</strong> la mesure où les <strong>MJC</strong> doivent déclarer ces<br />

chiffres et payer <strong>de</strong>s cotisations fédérales pour pouvoir participer aux assemblées générales <strong>de</strong><br />

l’Institution (le nombre <strong>de</strong> mandats est fonction du nombre d’adhérents).<br />

3 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Impacts et réalités.<br />

4 Gui<strong>de</strong> administratif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>-MPT.<br />

5 L’enquête <strong>de</strong> Guy Ménard (Les <strong>MJC</strong> en Lorraine : situations, activités, perspectives, 25 pages, ronéo,<br />

1980) confirme cette <strong>de</strong>scription en précisant qu’en Lorraine, le montant moyen <strong>de</strong>s subventions<br />

par <strong>MJC</strong> est faible, indicateur supplémentaire qui précise l’image que nous en donnons.


- 33 -<br />

va <strong>de</strong> pair avec la <strong>de</strong>nsité du nombre <strong>de</strong>s directeurs (92 pour 130 <strong>MJC</strong> en 1986).<br />

La région Rhône-Alpes constitue un vaste espace <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> importantes (550 adhérents par <strong>MJC</strong><br />

d<strong>ans</strong> l’académie <strong>de</strong> Grenoble), gérées par un corps professionnel nombreux (148 directeurs et 6<br />

délégués pour quelque 220 <strong>MJC</strong>). D<strong>ans</strong> l’Isère, l’indice <strong>de</strong> pénétration doit avoisiner les 50 pour<br />

1.000 avec <strong>de</strong>s pointes d<strong>ans</strong> certaines localités : par exemple Susville d<strong>ans</strong> le bassin houiller<br />

matheysin (plus <strong>de</strong> 500 adhérents pour une population <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 2.000 habitants) 1 .<br />

A l’ouest <strong>de</strong> cette ligne Le Havre-Marseille, nous retrouvons une vaste dépression correspondant<br />

à l’implantation <strong>de</strong> la Fédération UNIREG. Au-<strong>de</strong>là, les régions qui jouxtent l’Atlantique et la Manche<br />

oscillent entre <strong>de</strong>s indices <strong>de</strong> pénétration allant <strong>de</strong> 3 pour 1.000 en Basse-Normandie, à 6 pour 1.000<br />

en Poitou-Charente. Après le désert médian, les basses eaux océanes.<br />

Une fois <strong>de</strong> plus, la Corse et le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais font figure d’isolés d<strong>ans</strong> ces grands<br />

ensembles, somme toute bien délimités.<br />

En résumé, le paysage <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> son implantation et <strong>de</strong> sa pénétration, donne l’image<br />

d’une France coupée en <strong>de</strong>ux par une ligne Le Havre-Marseille : au nord-est et au sud-est un réseau<br />

<strong>de</strong>nse ; à l’ouest et au centre-sud un maillage lâche, avec <strong>de</strong>s espaces où les oasis institutionnelles<br />

sont rares. Une seule <strong>MJC</strong> affiliée à la FF<strong>MJC</strong> à Cahors pour toute la région Midi-Pyrénées, une à<br />

Ussel, aucune en Auvergne !<br />

Quant à la carte <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG, dressée selon l’indice <strong>de</strong> pénétration, elle est tout<br />

fait comparable à celle réalisée selon l’indice d’implantation. Cette fédération y occupe effectivement<br />

une sorte <strong>de</strong> croissant médian quasiment inoccupé par la FF<strong>MJC</strong>. Cependant l’UNIREG n’atteint<br />

jamais, y compris d<strong>ans</strong> ses bastions, les indices <strong>de</strong> pénétration les plus remarquables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> :<br />

14% seulement en Midi-Pyrénées contre 23% en Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes. La forte implantation<br />

pyrénéenne et languedocienne <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG ne se traduit donc pas d<strong>ans</strong> la<br />

pénétration <strong>de</strong> ces structures qui, en l’occurrence, sont d’importance mo<strong>de</strong>ste et souvent situées<br />

d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> rural : d<strong>ans</strong> ces régions, les <strong>MJC</strong> comptent globalement moins <strong>de</strong> 300 adhérents<br />

alors que la moyenne générale nationale <strong>de</strong> l’UNIREG est <strong>de</strong> 400 par structure 2 .<br />

S’agissant <strong>de</strong> la pénétration <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, la représentation cartographique est<br />

également tout à fait comparable à la représentation prise sous l’angle <strong>de</strong> l’implantation. La région<br />

Rhône-Alpes avec 25°/ °° , suivie <strong>de</strong> Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes (23°/ °° ), <strong>de</strong> la Lorraine (21°/ °° ) puis du<br />

Languedoc-Roussillon (15°/ °° ), <strong>de</strong> l’Alsace et <strong>de</strong> Midi-Pyrénées (14°/ °° ), forment cette tenaille que<br />

l’indice d’implantation avait déjà mise en évi<strong>de</strong>nce. La région parisienne, malgré la pénétration non<br />

négligeable <strong>de</strong> l’UNIREG (20% <strong>de</strong>s adhérents <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> cette fédération 3 ) reste, avec 10°/ °° ,<br />

1 Entretiens avec Pierre Allard, directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Susville pendant sept <strong>ans</strong>.<br />

2 Faits, chiffres et images d’associations.<br />

3 Faits, chiffres et images d’associations.


- 34 -<br />

nettement en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la moyenne nationale qui approche les 13°/ °° .<br />

On peut faire une autre remarque également très significative : la carte du développement<br />

culturel 1 - ce que l’on pourrait appeler la “décentralisation institutionnelle” 2 - prend à peu près les<br />

mêmes formes que la carte FF<strong>MJC</strong>, et renforce ainsi la confusion entre culturel, socio-culturel,<br />

Maison <strong>de</strong> la Culture et Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. En effet, tout semble se passer en <strong>de</strong>çà<br />

<strong>de</strong> cette même ligne Le Havre-Marseille, avec, certes, <strong>de</strong> grands vi<strong>de</strong>s, compte tenu d’une<br />

implantation prestigieuse mais faible 3 .<br />

Mais cette ligne Le Havre-Marseille ne ressemble-t-elle pas étrangement au fameux axe Saint-<br />

Malo-Genève <strong>de</strong>s historiens, qui aurait basculé autour <strong>de</strong> Bourges pour s’enfoncer d<strong>ans</strong> le sud-est et<br />

laisser <strong>de</strong>rrière lui la Basse-Normandie 4 ? Cette France ainsi découpée n’a-t-elle pas les contours<br />

d’une France plus actuelle, <strong>de</strong>ssinée à partir <strong>de</strong> la représentation géographique d’un certain nombre<br />

d’indicateurs économiques et sociaux ?<br />

1 Atlas du changement culturel - Éditions W., Mâcon, 1986.<br />

2 Déconcentration et décentralisation en matière d’action culturelle - Dossier réalisé par Françoise Brès<br />

(Université <strong>de</strong> Provence, UER Arts-Lettres-Expression).<br />

3 Sur 100 spectateurs <strong>de</strong> théâtre, 39 habitent en région parisienne, 18 d<strong>ans</strong> le nord et l’est, 19 d<strong>ans</strong><br />

le sud-est, 17 d<strong>ans</strong> l’ouest et seulement 7 d<strong>ans</strong> le sud-ouest - Michel Guy (Département <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

et <strong>de</strong> la prospective au Ministère <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> la Communication), Le Mon<strong>de</strong> du 16/7/87, p.<br />

12.<br />

4 Basculement que met en évi<strong>de</strong>nce Xavier <strong>de</strong> Planhol (Géographie historique <strong>de</strong> la France, Fayard,<br />

1988) : “Un contraste géographique majeur s’est ainsi <strong>de</strong>ssiné d<strong>ans</strong> la France en cours<br />

d’urbanisation du XIXe siècle. Il oppose une France dynamique, en gros celle du nord et <strong>de</strong> l’est, à<br />

une France plus endormie, celle <strong>de</strong> l’ouest et du sud, la démarcation pouvant se situer à une ligne<br />

tracée <strong>de</strong> la Seine à l’est du massif central et à l’embouchure du Rhône. Ce n’est plus exactement la<br />

ligne Saint-Malo-Genève qui jalonnait au début du siècle la limite entre une France évoluée et une<br />

France retardataire. Le fait nouveau est le dynamisme <strong>de</strong> la région Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, et<br />

<strong>de</strong> Marseille. Au XXe siècle surtout s’y ajoutera la Côte d’Azur ...”, p. 4<strong>60</strong>.


- 35 -<br />

CHAPITRE - II -<br />

L’IMPLANTATION DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA<br />

CULTURE À LA LUMIÈRE DE QUELQUES INDICATEURS<br />

ECONOMIQUES, SOCIAUX, POLITIQUES, CULTURELS ET<br />

ANTHROPOLOGIQUES<br />

Confronter la carte du développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture à <strong>de</strong>s cartes<br />

d’indicateurs économiques et sociaux, ferait encore frémir bon nombre <strong>de</strong> militants qui veulent<br />

protéger ce secteur <strong>de</strong> tout ce qui pourrait ressembler à la consommation et à la rentabilité 1 . Mais<br />

peut-être faut-il se convaincre que le développement <strong>de</strong> ce secteur non productif n’est jamais aussi<br />

probable et nécessaire que d<strong>ans</strong> les espaces productifs, créateurs <strong>de</strong> richesses et <strong>de</strong> plus-value<br />

rétrocédée 2 sous forme <strong>de</strong> salaires, d’impôts et <strong>de</strong> subventions plus élevés, espaces marqués par<br />

<strong>de</strong>s activités économiques dominantes, quadrillés par un réseau <strong>de</strong> communication <strong>de</strong>nse et<br />

marqués par <strong>de</strong>s spécificités sociales liées au développement d’une société industrielle en mutation 3 .<br />

D<strong>ans</strong> un tel contexte, la carte d’implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ne serait-elle pas le verre grossissant<br />

d’une France “mo<strong>de</strong>rne” mais en déséquilibre?<br />

1 - La France riche et la France pauvre<br />

La représentation cartographique du produit intérieur brut par région en 1984 4 a bien quelques<br />

ressemblances grossières avec la carte <strong>de</strong>s indices <strong>de</strong> pénétration <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>. En<br />

<strong>de</strong>çà <strong>de</strong> notre ligne Le Havre-Marseille, le P.I.B. par habitant est plus élevé, notamment en Ile-<strong>de</strong>-<br />

France, Haute-Normandie, Alsace, Rhône-Alpes, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes et Provence-Alpes-Côte<br />

d’Azur. La Lorraine, fortement implantée en <strong>MJC</strong> a cependant un PIB par habitant mo<strong>de</strong>ste qui<br />

s’explique s<strong>ans</strong> doute par le déclin <strong>de</strong> son industrie sidérurgique, alors que la dynamique<br />

d’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> était antérieure. Comme pour la FF<strong>MJC</strong>, la rupture s’opère bien au niveau du<br />

Havre entre Haute et Basse Normandie, et au niveau <strong>de</strong> l’axe rhodanien entre d’un côté Rhône-<br />

1 Les choses et les discours sont en train <strong>de</strong> changer. Le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle, qui<br />

gravite quelque part entre un service public revendiqué et une économie <strong>de</strong> marché obligée, est<br />

progressivement gagné par une forme <strong>de</strong> libéralisme <strong>de</strong> type économie sociale.<br />

2 Nous faisons ici allusion au modèle <strong>de</strong> rétrocession <strong>de</strong> la plus-value (La petite bourgeoisie en France<br />

<strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>lot, Establet et Mallemort) qui nous semble éclairer le domaine <strong>de</strong> l’intervention socioculturelle<br />

d<strong>ans</strong> ses rapports avec l’économique et le politique.<br />

3 Mot s<strong>ans</strong> doute s<strong>ans</strong> intérêt épistémologique, que nous employons ici par simple référence à son<br />

utilisation inflationniste reprise par les <strong>MJC</strong> elles-mêmes. A l’assemblée générale d’Angoulême<br />

(novembre 1985) le mot d’ordre était d’“anticiper les mutations”.<br />

4 Travaux <strong>de</strong> J. Maliverney et J.-C. Donnelier - Collection INSEE n° 79, décembre 1986 (voir annexe 9).


- 36 -<br />

Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, et <strong>de</strong> l’autre Auvergne et Languedoc-Roussillon.<br />

D<strong>ans</strong> l’espace ouest et centre-sud, le PIB par habitant est globalement plus faible avec quelques<br />

régions très faibles : moins <strong>de</strong> 62.500 F par habitant en Languedoc-Roussillon, Auvergne, Limousin,<br />

Poitou-Charente et Bretagne qui sont aussi <strong>de</strong>s régions <strong>de</strong> faible implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Seule<br />

l’Aquitaine semble faire exception. Cependant, avec un PIB <strong>de</strong> 72.139 F par habitant, elle n’est pas<br />

loin <strong>de</strong> la catégorie inférieure. La Corse, avec un PIB par habitant très faible (51.694 F) fait figure <strong>de</strong><br />

lanterne rouge comme pour son implantation en <strong>MJC</strong>.<br />

La carte <strong>de</strong> la valeur ajoutée par habitant en 1982 1 confirme généralement cette partition. Toutes<br />

les régions où la valeur ajoutée par habitant est supérieure à la moyenne nationale (62.084) sont à<br />

l’est <strong>de</strong> la ligne Le Havre-Marseille : Ile-<strong>de</strong>-France, Haute-Normandie, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes,<br />

Alsace, Rhône-Alpes. A l’ouest <strong>de</strong> cette ligne, la valeur ajoutée par habitant est faible, notamment<br />

d<strong>ans</strong> le Centre-Sud et en Bretagne.<br />

Les établissements industriels sont globalement plus mo<strong>de</strong>stes à l’Ouest (implantation importante<br />

<strong>de</strong>s entreprises industrielles <strong>de</strong> 100 à 200 salariés), alors qu’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’axe Le Havre-Marseille,<br />

l’effectif salarié <strong>de</strong>s établissements <strong>de</strong> mille salariés et plus atteint ses sommets, notamment d<strong>ans</strong> le<br />

Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, en région parisienne, en Lorraine, en Franche-Comté et en Rhône-Alpes 2 . La<br />

construction <strong>de</strong>s bâtiments industriels 3 y est nettement plus importante notamment en Lorraine,<br />

Picardie, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, Franche-Comté et Rhône-Alpes ainsi que la consommation<br />

énergétique en électricité 4 , qu’elle soit globale ou industrielle, surtout en Lorraine et en Rhône-Alpes.<br />

Ce phénomène est corroboré par une forte présence <strong>de</strong> population active d<strong>ans</strong> l’industrie. En<br />

1975, date médiane entre la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> forte implantation <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> et celle <strong>de</strong> notre enquête,<br />

les départements comptant plus <strong>de</strong> 35% <strong>de</strong> la population active industrielle sont quasiment tous au<br />

nord-est d’une ligne Caen-Valence 5 .<br />

Ce déséquilibre Est-Ouest se retrouve au niveau <strong>de</strong> la fiscalité d’entreprise. Le montant <strong>de</strong> l’impôt<br />

sur les sociétés 6 atteint ses sommets à l’Est (Ile-<strong>de</strong>-France, Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, Alsace,<br />

Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes et Rhône-Alpes) et ses profon<strong>de</strong>urs en Auvergne, Limousin et Languedoc-<br />

Roussillon. Il en va <strong>de</strong> même pour le montant <strong>de</strong>s taxes sur le chiffre d’affaire 7 , même si la “France<br />

1 SIRF (statistiques et indicateurs <strong>de</strong>s régions françaises) - Annexe au projet <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> finances pour<br />

1987, Collection INSEE p. 295 (voir annexe 9).<br />

2 SIRF - p. 297. Pour chaque référence qui suit, nous reproduisons les cartes en annexe (ici A 9).<br />

3 SIRF - p. 320. Ce phénomène est perceptible dès le début du XIXe siècle (cf. Xavier <strong>de</strong> Planhol :<br />

Géographie historique <strong>de</strong> la France, p. 272).<br />

4 SIRF - p. 315.<br />

5 La nouvelle France, E. Todd, p. 50 (A 10).<br />

6 SIRF - p. 491 (A 10).<br />

7 SIRF - p. 492 (A 10).


- 37 -<br />

pauvre” tend à rattraper son retard, qu’il s’agisse du montant <strong>de</strong> l’impôt sur les sociétés ou du<br />

montant <strong>de</strong>s taxes sur le chiffre d’affaire 1 . Le déséquilibre se retrouve au niveau <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

recettes du budget général <strong>de</strong> l’Etat 2 (plus <strong>de</strong> 20.000F par habitant en Alsace pour guère plus <strong>de</strong><br />

8.000 F par habitant en Limousin) même si, là aussi, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la ligne Le Havre-Marseille, la<br />

variation moyenne annuelle est plus forte (+15,6% d<strong>ans</strong> les Pays-<strong>de</strong>-Loire et en Bretagne, pour<br />

seulement +11,1% en Lorraine).<br />

D<strong>ans</strong> les gran<strong>de</strong>s lignes, l’implantation et la pénétration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> correspon<strong>de</strong>nt aux<br />

caractéristiques d’une France plus riche, fortement industrialisée, avec une forte valeur ajoutée par<br />

habitant, gran<strong>de</strong> pourvoyeuse <strong>de</strong> recettes du budget général <strong>de</strong> l’Etat.<br />

D<strong>ans</strong> ces mêmes espaces, le niveau <strong>de</strong>s salaires et <strong>de</strong>s revenus est globalement supérieur à<br />

celui <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> l’Ouest et du Centre-Sud. Même si là, on tend à rattraper son retard, il vrai que<br />

le revenu disponible brut <strong>de</strong>s ménages 3 atteint ses sommets d<strong>ans</strong> la France parisienne,<br />

champenoise, alsacienne, grenobloise et azuréenne. Le revenu moyen <strong>de</strong>s cadres y est<br />

généralement supérieur 4 , malgré la course-poursuite engagée d<strong>ans</strong> le Centre-Ouest. La disparité est<br />

parfaitement visible pour les salaires moyens <strong>de</strong>s ouvriers 5 , notamment d<strong>ans</strong> la fon<strong>de</strong>rie et le travail<br />

<strong>de</strong>s métaux, les industries textiles et l’habillement, l’industrie du bâtiment, du génie civil et agricole, le<br />

commerce <strong>de</strong> gros et <strong>de</strong> détail. D<strong>ans</strong> tous les cas <strong>de</strong> figure, les régions parisienne et Rhône-Alpes<br />

sont en tête, attestant ainsi une nouvelle fois ce basculement <strong>de</strong> l’axe socio-historique vers le Sud-<br />

Est. Au Nord-Ouest, la rupture passe d<strong>ans</strong> presque tous les cas par la Normandie : d’un côté la<br />

Haute, tournée vers la France du Nord-Est et du bassin parisien, <strong>de</strong> l’autre la Basse, plus proche <strong>de</strong><br />

la France <strong>de</strong> l’Ouest.<br />

Cependant, l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs socio-économiques atteste d’une forte<br />

tendance au rééquilibrage national. Qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’impôt sur les sociétés, <strong>de</strong>s taxes sur le chiffre<br />

d’affaire, <strong>de</strong>s recettes du budget général <strong>de</strong> l’Etat ou encore du revenu disponible brut <strong>de</strong>s ménages,<br />

on constate <strong>de</strong>s variations annuelles en pourcentage, pour les pério<strong>de</strong>s 74-84, généralement plus<br />

élevées d<strong>ans</strong> l’espace Ouest que d<strong>ans</strong> l’espace Est. En matière d’impôt sur les sociétés, l’ouest et le<br />

sud-ouest, par exemple, progressent <strong>de</strong>ux fois plus rapi<strong>de</strong>ment que l’est <strong>de</strong> la France, même si le<br />

montant <strong>de</strong> l’impôt par habitant reste, d<strong>ans</strong> cet espace, considérablement plus élevé que d<strong>ans</strong><br />

l’espace Ouest.<br />

Pouvons-nous pour autant conclure que les <strong>MJC</strong>, notamment celles affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, ont un<br />

1 SIRF - p. 491 et 492 (A 10 et A 11).<br />

2 SIRF - p. 488 (A 11).<br />

3 SIRF - p. 428 (A 11).<br />

4 SIRF - p. 430 (A 12).<br />

5 SIRF - p. 432 et suivantes (A 12 et A 13).


- 38 -<br />

bel avenir d<strong>ans</strong> l’ouest et le sud-ouest <strong>de</strong> la France, et qu’un rattrapage économique pourrait se<br />

traduire pour elles par un rééquilibrage d’implantation et <strong>de</strong> pénétration ?<br />

Il y a certes, comme nous venons <strong>de</strong> le voir, une relation <strong>de</strong> correspondance assez régulière<br />

entre certains indicateurs socio-économiques et l’implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. On ne peut cependant<br />

conclure à une relation <strong>de</strong> cause à effet, d’autant qu’il y a <strong>de</strong>s exceptions <strong>de</strong> taille : le Nord-Pas-<strong>de</strong>-<br />

Calais et la région parisienne, notamment, sont, malgré quelques indicateurs socio-économiques<br />

particulièrement forts (impôt sur les sociétés, taxes sur le chiffre d’affaire, recettes du budget général<br />

<strong>de</strong> l’Etat et revenus <strong>de</strong>s ménages), faiblement ou mo<strong>de</strong>stement implantés en <strong>MJC</strong>.<br />

On ne peut donc préjuger <strong>de</strong> l’avenir <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, sortir du domaine strict <strong>de</strong> la<br />

recherche et oser une analyse prospective. Nous en resterons donc à un repérage <strong>de</strong> tendances.<br />

Nous constatons effectivement <strong>de</strong> février 1986 à novembre 1988 1 , presque partout, une<br />

progression <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> la face océanique <strong>de</strong> la France. Mais cette<br />

augmentation reste, avec 6%, au <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la moyenne d’augmentation nationale (6,8%) et très<br />

inférieure à la progression repérée d<strong>ans</strong> l’espace Est-Sud-Est (7% environ). La Lorraine, par<br />

exemple, bien qu’en net recul économique (la variation <strong>de</strong>s indicateurs l’atteste), continue avec 12%<br />

d’augmentation, à progresser considérablement en matière d’implantation et <strong>de</strong> pénétration <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>.<br />

La variation à la hausse <strong>de</strong>s indicateurs socio-économiques ne se traduit donc pas réellement et<br />

d’une manière significative d<strong>ans</strong> l’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>. Il y a à cela <strong>de</strong>s<br />

explications qu’il est difficile <strong>de</strong> vérifier, compte tenu du caractère limité <strong>de</strong>s données en notre<br />

possession. Ou bien il n’y a pas <strong>de</strong> relation directe ou immédiate entre les variations <strong>de</strong>s indicateurs<br />

socio-économiques choisis et les indices d’implantation et <strong>de</strong> pénétration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, ou bien la<br />

progression socio-économique profite à d’autres structures fédérées (<strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG,<br />

centres sociaux, foyers ruraux et foyers Léo-Lagrange), non fédérées (maisons <strong>de</strong> quartier par<br />

exemple), municipales ou para-municipales. Si la FF<strong>MJC</strong> progresse plus à l’est qu’à l’ouest <strong>de</strong> la<br />

ligne Le Havre-Marseille, cela tient s<strong>ans</strong> doute autant à une logique d’essaimage qui se traduit par<br />

une progression cumulative, qu’à une supériorité socio-économique <strong>de</strong>s espaces concernés, s<strong>ans</strong><br />

compter que même si certaines régions en retard progressent, en pourcentage <strong>de</strong> variation, plus vite<br />

que certaines autres traditionnellement fortes, il n’empêche que le décalage est tel que les écarts<br />

continuent à grandir en valeur absolue 2 .<br />

1 Gui<strong>de</strong> administratif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

2 Un exemple qui concerne l’impôt sur les sociétés : le Languedoc-Roussillon, avec un montant d’impôt<br />

<strong>de</strong> 633 F par habitant et une variation annuelle <strong>de</strong> +13%, se trouve au bout d’un an à 715 F par<br />

habitant, soit une progression <strong>de</strong> 63 F, alors que, d<strong>ans</strong> le même temps, l’Ile-<strong>de</strong>-France passe, avec<br />

une variation <strong>de</strong> +5,9%, <strong>de</strong> 1275 à 1350 F par habitant, soit une progression <strong>de</strong> 75 F. L’écart en<br />

valeur absolue entre ces <strong>de</strong>ux régions s’est donc accru <strong>de</strong> 13 F par habitant.


2 - La FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong>rrière la ligne verte ?<br />

- 39 -<br />

La carte économique <strong>de</strong> la France selon sa structure économique 1 est coupée par une ligne<br />

étrangement semblable à cet axe Le Havre-Marseille. A l’Ouest et surtout d<strong>ans</strong> le Sud-Ouest se<br />

déploie un large espace où l’activité économique est essentiellement agricole, voire agricole et<br />

industrielle ou agricole et tertiaire. L’activité industrielle n’y est jamais dominante, sauf quelquefois<br />

sur la fameuse diagonale.<br />

Par contre, à l’est <strong>de</strong> cet axe, les espaces à dominante agricole sont peu nombreux. Les secteurs<br />

industriels, industriels et agricoles, industriels et tertiaires, dominent. Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n’est<br />

pas celui <strong>de</strong> l’agriculture et <strong>de</strong> la paysannerie, même si d<strong>ans</strong> certains secteurs, les <strong>MJC</strong> sont<br />

fortement implantées d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> rural, en Lorraine notamment 2 . Les <strong>MJC</strong>, même éloignées <strong>de</strong>s<br />

gran<strong>de</strong>s villes, ne sont jamais autant à leur aise que d<strong>ans</strong> un tissu économique fortement marqué<br />

par la tr<strong>ans</strong>formation industrielle associée aux secteurs tertiaires ou même agricoles.<br />

Ces espaces sont aussi ceux d’une faible <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> population active du secteur primaire 3 et<br />

d’une <strong>de</strong>nsité relativement forte <strong>de</strong> population active du secteur secondaire 4 . Une fois <strong>de</strong> plus, le<br />

partage se fait entre les <strong>de</strong>ux Normandies et au niveau du couloir rhodanien. Au-<strong>de</strong>là, les<br />

agriculteurs exploitants font leurs meilleurs scores et dépassent toujours la moyenne nationale : plus<br />

<strong>de</strong> 6% <strong>de</strong> la population totale en Basse-Normandie et quatre fois moins en Haute-Normandie,<br />

Lorraine, Alsace et régions alpines 5 .<br />

Ces espaces <strong>de</strong> forte pénétration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> sont aussi ceux où, déjà en 1982, les professions<br />

intermédiaires (enseignement, santé, travail social, fonction publique et assimilés, cadres moyens<br />

administratifs et commerciaux <strong>de</strong>s entreprises, techniciens, contremaîtres et agents <strong>de</strong> maîtrise)<br />

atteignent leurs plus fortes <strong>de</strong>nsités, notamment en région parisienne, Alsace, Rhône-Alpes,<br />

Provence-Alpes-Côte d’Azur 6 . N’est-ce pas là, en partie, ce que P. Bourdieu appelle la “petite<br />

bourgeoisie nouvelle” 7 qui trouvera d<strong>ans</strong> le développement du socio-culturel, type <strong>MJC</strong>, un espace<br />

d’i<strong>de</strong>ntification et <strong>de</strong> promotion ? A ce titre, nous verrons que Grenoble constitue un modèle qui<br />

s’exprimera d<strong>ans</strong> la nouvelle forme <strong>de</strong> démocratie locale, style Dubedout.<br />

1 SIRF - p. 111.<br />

2 En Lorraine, plus <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont implantées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s communes <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 2000 habitants.<br />

Mais nombre <strong>de</strong> ces communes ont un “caractère urbain”. (Enquête <strong>de</strong> Guy Ménard, op. cit., p. 8 et<br />

suivantes).<br />

3 SIRF - p. 250 (A 14).<br />

4 SIRF - p. 294 (A 14).<br />

5 SIRF - p. 166 (A 15).<br />

6 SIRF - p. 167 (A 15).<br />

7 La Distinction, Ed. <strong>de</strong> Minuit, 1979, p. 423 et suivantes.


- 40 -<br />

C’est aussi d<strong>ans</strong> ce large secteur Est que la population ouvrière est la plus nombreuse et<br />

dépasse partout, sauf en Ile-<strong>de</strong>-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, la moyenne nationale 1 . Les<br />

21 départements ayant en 1968 la plus forte implantation ouvrière se trouvent tous au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la<br />

ligne Le Havre-Marseille 2 .<br />

Mais c’est également d<strong>ans</strong> ce même espace que l’on rencontre la plus forte <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> population<br />

s<strong>ans</strong> activité professionnelle 3 . L’espace médian où la pénétration <strong>de</strong> la F<strong>MJC</strong> est la plus faible est<br />

précisément celui où la <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> population s<strong>ans</strong> activité professionnelle est la plus faible. Le<br />

Languedoc, bien quadrillé par l’UNIREG, est aussi très <strong>de</strong>nse en population s<strong>ans</strong> activité<br />

professionnelle. Les <strong>MJC</strong> répondraient-elles majoritairement aux besoins <strong>de</strong> populations s<strong>ans</strong><br />

activité professionnelle mais aussi en âge <strong>de</strong> travailler ?<br />

Vraisemblablement oui, si l’on sait que pour plus <strong>de</strong> 70% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> les<br />

femmes dominent parmi les adhérents. Les 6-12 <strong>ans</strong> y sont fortement représentés (20 à 30% <strong>de</strong>s<br />

adhérents pour un tiers <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) ainsi que les 16-21 <strong>ans</strong> dont la représentation d<strong>ans</strong> près <strong>de</strong> 80%<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est supérieure à la moyenne nationale. Au total, selon l’enquête 4 , les inactifs représentent<br />

plus <strong>de</strong> 45% <strong>de</strong>s adhérents <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

Ces traits généraux sont accentués pour les <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG qui comptent 55% <strong>de</strong><br />

femmes contre 45% d’hommes, 59% d’inactifs pour 41% d’actifs et une très forte population <strong>de</strong><br />

scolaires et d’étudiants (38% <strong>de</strong>s adhérents et 65,4% <strong>de</strong>s inactifs) 5 .<br />

Parmi les non-actifs adhérents à la FF<strong>MJC</strong>, les retraités sont largement sous-représentés : moins<br />

<strong>de</strong> 10% pour la majorité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> alors qu’ils représentent plus <strong>de</strong> 14% <strong>de</strong> la population française. Et<br />

précisément, la FF<strong>MJC</strong> est présente là où les retraités atteignent leurs taux <strong>de</strong> représentativité les<br />

plus bas (Lorraine, Alsace, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes et Rhône-Alpes) 6 . Les <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG<br />

en comptent, d’une manière générale, un pourcentage plus élevé (11,5%) 7 et elles sont effectivement<br />

plus implantées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s espaces à forte <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> retraités (Centre, Sud) 8 .<br />

En définitive, la France occupée par la FF<strong>MJC</strong> est une France industrialisée, marquée par <strong>de</strong>s<br />

caractéristiques précises : fortes <strong>de</strong>nsités d’emplois du secteur secondaire, ouvriers et professions<br />

intermédiaires plus représentés qu’ailleurs, forte proportion <strong>de</strong> non-actifs, mais faible <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong><br />

1 SIRF - p. 168 (A 15).<br />

2 L’invention <strong>de</strong> la France, H. Lebras et E. Todd, Coll. Pluriel, p. 359 (A 15).<br />

3 SIRF - p. 169 (A 15).<br />

4 Les <strong>MJC</strong> Aujourd’hui : Réalités et Impacts.<br />

5 Faits, chiffres et images d’associations.<br />

6 SIRF - p. 169 (A 15).<br />

7 Faits, chiffres et images d’associations.<br />

8 SIRF - p. 169.


- 41 -<br />

retraités. Un France du travail industriel, <strong>de</strong>s nouvelles professions ; une France plus jeune, plus<br />

disponible, ouverte à <strong>de</strong>s activités extra-professionnelles ; une France <strong>de</strong> la mobilité, <strong>de</strong>s<br />

tr<strong>ans</strong>formations économiques, sociales et démographiques. D<strong>ans</strong> ce contexte, ne peut-on pas<br />

supposer que les <strong>MJC</strong> tentent <strong>de</strong> répondre à <strong>de</strong>s besoins traditionnels et nouveaux d’intégration<br />

sociale ?<br />

3 - Une France à problèmes ?<br />

Même si les travailleurs immigrés fréquentent peu les <strong>MJC</strong>, à l’image <strong>de</strong> la population ouvrière<br />

active 1 , il apparait cependant que la FF<strong>MJC</strong> est implantée d<strong>ans</strong> un espace où les salariés étrangers<br />

sont nombreux notamment d<strong>ans</strong> l’industrie, le bâtiment, le génie civil et agricole 2 . D<strong>ans</strong> le bâtiment et<br />

les travaux publics, ils sont très nombreux en Lorraine et Rhône-Alpes. D<strong>ans</strong> l’industrie, on retrouve<br />

cette France coupée en <strong>de</strong>ux par une diagonale avec, à l’Est, les taux <strong>de</strong> salariés étrangers les plus<br />

élevés en Alsace-Lorraine, Ile-<strong>de</strong>-France, Franche-Comté et Rhône-Alpes. Les cartes représentant<br />

les proportions, d<strong>ans</strong> l’enseignement primaire et secondaire, <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> nationalité étrangère par<br />

rapport à l’ensemble <strong>de</strong> la population scolaire 3 confirment les cartes du mon<strong>de</strong> du travail, notamment<br />

d<strong>ans</strong> les espaces alsaciens-lorrains et Paris-Lyon-Grenoble-Marseille. Pour le coup, l’implantation <strong>de</strong><br />

l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (FF<strong>MJC</strong> + UNIREG) correspond assez bien à la carte <strong>de</strong> cette population<br />

scolaire immigrée, un peu comme si le développement du dispositif socio-éducatif, modèle <strong>MJC</strong>,<br />

suivait les flux migratoires qui occupent d’abord la France continentale et méridionale. Les <strong>MJC</strong> se<br />

trouvent, par là-même, confrontées à une forte implantation du Front National 4 dont la carte<br />

électorale ressemble assez précisément à celle <strong>de</strong> l’immigration. Ce phénomène politique et<br />

électoral préoccupe du reste tous les mouvements et institutions - notamment les <strong>MJC</strong> - qui<br />

enten<strong>de</strong>nt bien développer la citoyenneté. S<strong>ans</strong> se laisser aller à établir une relation <strong>de</strong> cause à effet<br />

(les <strong>MJC</strong> n’ont pas été créées consciemment pour cela), on ne peut s’empêcher <strong>de</strong> leur assigner une<br />

fonction d’intégration socio-culturelle <strong>de</strong>s populations tr<strong>ans</strong>plantées par nécessité économique,<br />

fonctions qu’elles remplissent plus ou moins bien, mais dont elles ne peuvent pas ne pas ressentir<br />

l’exigence tant le tissu social est marqué par cette spécificité incontournable.<br />

Il en va <strong>de</strong> même pour le chômage auquel les <strong>MJC</strong> sont confrontées même si elles n’ont pas<br />

toujours choisi d’être un dispositif <strong>de</strong> son traitement social 5 . En 1974 et jusqu’en 1981, la FF<strong>MJC</strong> est<br />

1 Ce qui ne veut pas dire que leurs enfants ne les fréquentent pas.<br />

2 SIRF - p. 228 et 229 (A 16).<br />

3 Données sociales édition 1984, p. 476 (A 16).<br />

4 La nouvelle France, p. 266 (A 16).<br />

5 Suite au rapport Schwartz consacré à l’insertion sociale et professionnelle <strong>de</strong>s jeunes, <strong>de</strong> nombreuses<br />

<strong>MJC</strong> ont mené <strong>de</strong>s opérations originales d’insertion.


- 42 -<br />

certes implantée d<strong>ans</strong> un espace où le chômage est relativement faible 1 à cause, s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> la<br />

forte infrastructure économique qui résiste mieux aux premiers effets <strong>de</strong> la crise. Même si, entre ces<br />

<strong>de</strong>ux dates, le chômage s’est accru partout, il s’est accru moins vite d<strong>ans</strong> la partie Est <strong>de</strong> la France.<br />

La région Rhône-Alpes a, en 1981, un <strong>de</strong>s taux <strong>de</strong> chômage les plus faibles.<br />

Par contre, en 1985, le paysage a considérablement changé 2 . Le Nord-Est (Alsace exceptée) a<br />

complètement basculé d<strong>ans</strong> la récession sociale : un taux <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 10,5% <strong>de</strong> chômage presque<br />

partout alors qu’en 1981 cet espace faisait encore figure <strong>de</strong> privilégié. Les régions Ile-<strong>de</strong>-France et<br />

Rhône-Alpes résistent mieux, ainsi que l’espace médian occupé par les <strong>MJC</strong> UNIREG.<br />

Cette situation socio-économique marquée par <strong>de</strong> nouvelles disparités en matière d’emploi, <strong>de</strong><br />

développement économique et d’insertion sociale, éclaire d’un jour nouveau les conflits<br />

institutionnels qui se sont exprimés à l’occasion <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> du M<strong>ans</strong> (juin<br />

1987). Ce sont précisément les <strong>de</strong>ux régions les moins touchées par le chômage (Ile-<strong>de</strong>-France et<br />

Rhône-Alpes) qui soutiennent, au nom du réalisme et <strong>de</strong> la bonne gestion, un plan <strong>de</strong> restructuration<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> face au désengagement financier brutal <strong>de</strong> l’Etat. D<strong>ans</strong> ce contexte <strong>de</strong> disparités socio-<br />

économiques, les “riches” ne veulent plus jouer la totale solidarité vis-à-vis <strong>de</strong>s “pauvres”. La<br />

distribution spatiale <strong>de</strong>s divergences d’analyse est pré-déterminée par <strong>de</strong>s réalités profon<strong>de</strong>s et<br />

structurelles que la comparaison cartographique met à jour. Ce n’est pas un hasard si c’est la<br />

Lorraine, région pourtant fortement implantée en <strong>MJC</strong> et d’un poids considérable d<strong>ans</strong> l’Institution 3 .<br />

qui anime l’organisation et la défense <strong>de</strong>s “petites régions” très marquées par le chômage. Les<br />

affrontements <strong>de</strong> tribune ont souvent leur explication d<strong>ans</strong> le tissu social. Les paroles, les pl<strong>ans</strong> et<br />

les idées dépassent les hommes qui les portent, jusqu’à les empêcher <strong>de</strong> percevoir les disparités<br />

structurelles qui prédéterminent leurs affrontements. En l’occurrence, ici, une situation <strong>de</strong> récession<br />

renforce une politique <strong>de</strong> solidarité ; là, un contexte <strong>de</strong> développement économique où les problèmes<br />

d’emplois sont moins vifs, induit une stratégie institutionnelle qui se réclame d’une forme <strong>de</strong><br />

développement appuyée sur une gestion “saine” et un réalisme dicté par la conjoncture et les lois du<br />

marché. Deux types <strong>de</strong> contexte socio-économique, <strong>de</strong>ux systèmes <strong>de</strong> valeurs relayés par <strong>de</strong>ux<br />

analyses syndicales opposées, et cela prend tout <strong>de</strong> suite la forme d’une opposition que l’on a trop<br />

tendance à réduire à une simple querelle <strong>de</strong>s anciens et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes.<br />

Mais cet espace <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> a d’autres caractéristiques sociales. La population y vit <strong>de</strong>puis fort<br />

longtemps en agglomération, surtout en Ile-<strong>de</strong>-France et d<strong>ans</strong> le Nord-Est. Le développement<br />

général <strong>de</strong> l’urbanisation et <strong>de</strong> l’industrialisation, en partie responsables <strong>de</strong> l’augmentation <strong>de</strong><br />

1 Données sociales édition 1987, p. 67 (A 16).<br />

2 SIRF - p. 231.<br />

3 Le Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> Lorraine sera, à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong>, le porte-parole <strong>de</strong><br />

cette politique <strong>de</strong> solidarité interrégionale, ce qui va lui valoir <strong>de</strong> se retrouver nouveau prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong> à la place du précé<strong>de</strong>nt soutenu par les Fédérations <strong>de</strong> Paris et <strong>de</strong> Grenoble.<br />

Le nouveau délégué général vient également <strong>de</strong> Lorraine.


- 43 -<br />

l’habitat aggloméré, ne change pas grand chose à l’image traditionnelle <strong>de</strong> la France 1 : les plus<br />

“agglomérés” en 1975 l’étaient déjà un siècle plus tôt. Cela revient-il à dire que la vie en<br />

agglomération favorise le développement socio-culturel communautaire, type <strong>MJC</strong> ?<br />

Pour les régions Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, Lorraine, Alsace et Ile-<strong>de</strong>-France, la correspondance<br />

semble s’imposer. Même chose pour le pourtour méditerranéen, où les <strong>MJC</strong>, les <strong>de</strong>ux fédérations<br />

confondues, sont bien implantées. C’est moins net en région Rhône-Alpes où les <strong>MJC</strong> se sont<br />

développées d<strong>ans</strong> un contexte où la population vit <strong>de</strong> manière assez éparse. La vie en<br />

agglomération semble bien favoriser l’implantation et le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> en rendre<br />

parfaitement compte. Il faudra donc mettre en évi<strong>de</strong>nce d’autres facteurs.<br />

C’est d<strong>ans</strong> cet espace <strong>de</strong> forte pénétration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> que les taux <strong>de</strong> divorce sont<br />

traditionnellement 2 et actuellement les plus élevés, notamment chez les jeunes <strong>de</strong> 15 à 24 <strong>ans</strong> 3 .<br />

Comme pour le chômage, les régions Ile-<strong>de</strong>-France et Rhône-Alpes font figure <strong>de</strong> privilégiées et sont<br />

moins confrontées aux difficultés d’intégration familiale.<br />

Par ailleurs, la France <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est une France plutôt mobile 4 où l’on n’hésite pas à quitter<br />

son village natal. On s’y marie traditionnellement moins entre cousins 5 . La France <strong>de</strong> l’UNIREG serait<br />

plus sé<strong>de</strong>ntaire, surtout d<strong>ans</strong> son espace <strong>de</strong> forte implantation (Languedoc et Midi-Pyrénées). D<strong>ans</strong><br />

<strong>de</strong> nombreux cas <strong>de</strong> figure, les <strong>MJC</strong> ne joueraient-elles pas le rôle <strong>de</strong> remplacement <strong>de</strong> réseaux<br />

sociaux défaillants, notamment la communauté originelle et la famille ? Les structures socio-<br />

culturelles en général ne sont-elles pas aussi <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> marché matrimonial ? 6<br />

Les <strong>MJC</strong> n’en ont pas fini avec les problèmes liés à la vie en société quand on sait qu’elles sont<br />

implantées sur les espaces traditionnellement les plus marqués par la délinquance et la violence,<br />

déjà à la fin du siècle <strong>de</strong>rnier, pour les meurtres et les assassinats, également pour les coups et<br />

blessures. Et cela continue. En 1975, les condamnations pour coups et blessures (violence<br />

“ordinaire” et quotidienne) sont les plus nombreuses d<strong>ans</strong> le Nord-Est et d<strong>ans</strong> quelques<br />

départements proches <strong>de</strong> la Suisse 7 .<br />

Mais ces données ren<strong>de</strong>nt plus compte <strong>de</strong>s problèmes sociaux auxquels les <strong>MJC</strong> sont<br />

1 L’invention <strong>de</strong> la France, H. Lebras et E. Todd, p. 203. Là aussi, nous nous sommes efforcés <strong>de</strong><br />

reproduire les cartes en annexe (voir A 17).<br />

2 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 156-157 (A 17).<br />

3 SIRF - p. 197 (A 18).<br />

4 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 214 (A 18).<br />

5 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 215.<br />

6 A notre connaissance, aucune étu<strong>de</strong> n’a été faite sur cette question. Cela permettrait<br />

vraisemblablement <strong>de</strong> réviser un certain nombre d’opinions sur l’adhésion, le militantisme et leurs<br />

“motivations”.<br />

7 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 192 et 193 (A 19).


- 44 -<br />

quotidiennement confrontées que <strong>de</strong> leur développement. La considération <strong>de</strong>s réseaux d’échange<br />

et <strong>de</strong> communication peut permettre, en la matière, d’apporter un éclairage supplémentaire.<br />

4 - Les <strong>MJC</strong> sur les grands axes <strong>de</strong> communication ?<br />

La France <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est celle d’un réseau autoroutier 1 et ferroviaire 2 <strong>de</strong>nse, rapi<strong>de</strong>, bien<br />

équipé. On peut, là aussi, tirer une ligne Le Havre-Marseille et repérer rapi<strong>de</strong>ment le rayonnement<br />

parisien vers le Nord-Est et le Sud-Est, ainsi que les <strong>de</strong>nsités <strong>de</strong> communication rhodanienne et<br />

alpine. Le contournement du Massif Central par le Sud languedocien et toulousain correspond au<br />

développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> cette région.<br />

Les <strong>MJC</strong> occupent les espaces <strong>de</strong> grands échanges commerciaux et humains. Pour les<br />

expéditions <strong>de</strong> marchandises par voie ferrée 3 , la Lorraine reste la plus forte en 1984, suivie du Nord-<br />

Pas-<strong>de</strong>-Calais, <strong>de</strong> l’Alsace, <strong>de</strong> l’ensemble du Nord-Est et <strong>de</strong> la région Rhône-Alpes. S’agissant du<br />

débit journalier en marchandises 4 , la majorité <strong>de</strong>s tr<strong>ans</strong>actions s’opère à l’est <strong>de</strong> notre ligne <strong>de</strong><br />

partage. La région parisienne y occupe une position prépondérante, même si ses quantités<br />

d’expédition par habitant sont faibles. Et si la réalité institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> était à l’image <strong>de</strong> cette<br />

réalité commerciale ? La région parisienne, espace modérément productif mais passage obligé ! Le<br />

trafic <strong>de</strong>s voyageurs, quant à lui, prend <strong>de</strong>s formes plus équilibrées avec cependant, une forte<br />

<strong>de</strong>nsité à Paris, Lyon, Marseille 5 .<br />

Le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> va <strong>de</strong> pair avec le déplacement <strong>de</strong>s marchandises et <strong>de</strong>s hommes,<br />

qui rayonne autour <strong>de</strong> Paris. Cette centralisation parisienne, qui, malgré un indice d’implantation<br />

mo<strong>de</strong>ste, semble peser <strong>de</strong> tout son poids, ne laisse-t-elle pas entrevoir, par comparaison<br />

cartographique, une logique <strong>de</strong> la partition <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en <strong>de</strong>ux fédérations : la Fédération Française<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et l’Union <strong>de</strong>s Fédérations Régionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ?<br />

Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir sur cette scission institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et sur la stabilisation<br />

territoriale <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations.<br />

5 - L’UNIREG d<strong>ans</strong> le sillon central<br />

Les <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG sont généralement implantées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s espaces où les indicateurs<br />

socio-économiques sont faibles. Le produit intérieur brut, l’effectif salarié <strong>de</strong>s établissements <strong>de</strong><br />

1.000 salariés et plus, l’implantation <strong>de</strong>s bâtiments industriels, ainsi que le montant <strong>de</strong> la valeur<br />

1 SIRF - p. 358 (A 20).<br />

2 SIRF - p. 365 (A 21).<br />

3 SIRF - p. 369 (A 22).<br />

4 SIRF - p. 368 (A 22).<br />

5 SIRF - p. 370 (A 23).


- 45 -<br />

ajoutée par habitant, restent mo<strong>de</strong>stes d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s régions comme le Languedoc-Roussillon,<br />

l’Auvergne, Midi-Pyrénées, fortement pénétrées par l’UNIREG. Le montant <strong>de</strong> l’impôt sur les<br />

sociétés, même s’il connait une variation annuelle forte, notamment d<strong>ans</strong> le Sud-Ouest, n’y atteint<br />

jamais les sommets <strong>de</strong> la France du Nord-Est et du Sud-Est. Même chose pour le montant <strong>de</strong>s taxes<br />

par habitant sur le chiffre d’affaire et l’ensemble <strong>de</strong>s recettes du budget général <strong>de</strong> l’Etat. Le revenu<br />

disponible brut par habitant, tout en restant en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la moyenne nationale, y atteint cependant<br />

- sauf en Languedoc, Auvergne et Basse-Normandie - <strong>de</strong>s niveaux relativement importants. Mais les<br />

salaires y sont relativement plus faibles, notamment pour les cadres, les ouvriers <strong>de</strong> sexe masculin,<br />

et ce pour l’ensemble <strong>de</strong>s activités économiques : métallurgie, industries textiles et habillement,<br />

industries du bâtiment, commerce <strong>de</strong> gros et <strong>de</strong> détail.<br />

En fait, la France économique <strong>de</strong> l’UNIREG est beaucoup plus agricole, agricole et tertiaire,<br />

agricole et industrielle, mais jamais vraiment industrielle. La population active du secteur primaire y<br />

est plus forte que d<strong>ans</strong> la France <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, et la population active du secteur secondaire plus<br />

faible. Les agriculteurs exploitants ainsi que les artis<strong>ans</strong> 1 y occupent une place considérable, alors<br />

que la proportion d’ouvriers et <strong>de</strong> professions intermédiaires est plus mo<strong>de</strong>ste. Même si l’immigration<br />

y est importante, elle atteint rarement les sommets <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> l’Est et du Sud-Est. En matière<br />

<strong>de</strong> chômage, la France <strong>de</strong> l’UNIREG connaît <strong>de</strong>s situations contrastées : fort en Normandie et en<br />

Languedoc, plus faible d<strong>ans</strong> l’axe central intermédiaire. Et, comme nous l’avons déjà signalé, le<br />

pourcentage <strong>de</strong>s retraités y est généralement plus fort que d<strong>ans</strong> la France du Nord-Est et <strong>de</strong><br />

l’espace Rhône-Alpes.<br />

Sauf sur la face languedocienne et pyrénéenne, la population <strong>de</strong> l’espace <strong>de</strong> l’UNIREG est plus<br />

éparse, traditionnellement moins marquée par le divorce et la violence, plus immobile notamment<br />

d<strong>ans</strong> le centre-sud. L’implantation <strong>de</strong> ces <strong>MJC</strong> reste plus en marge <strong>de</strong>s grands flux économiques,<br />

commerciaux et humains, sauf à proximité <strong>de</strong> Paris, en Haute-Normandie et sur la limite sud.<br />

En fait, la France occupée par l’UNIREG, malgré une évolution rapi<strong>de</strong>, présente un visage assez<br />

différent <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. C’est une France encore très marquée par l’agricole, le rural et<br />

les activités qui y sont liées, une France moins ouvrière, moins industrialisée - ou industrialisée d’une<br />

manière moins lour<strong>de</strong> - moins marquée par le phénomène urbain, ses flux et ses effets sociaux. Non<br />

seulement l’implantation <strong>de</strong> l’UNIREG est à dominante rurale 2 mais, en plus, son implantation<br />

urbaine est encore fortement marquée par la ruralité.<br />

Faut-il donc conclure qu’il y a une fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s villes (la FF<strong>MJC</strong>), marquée par le<br />

développement industriel et économique urbain, et une fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s campagnes,<br />

occupant <strong>de</strong>s espaces encore très colorés par la paysannerie et ses traditions ? Et ne faut-il pas voir<br />

1 La nouvelle France, p. 37.<br />

2 5 <strong>MJC</strong> “rurales” pour 4 <strong>MJC</strong> “urbaines” et 1 “mixte” (Faits, chiffres et images d’associations).


- 46 -<br />

d<strong>ans</strong> ces différences <strong>de</strong> ton une explication <strong>de</strong> la scission <strong>de</strong> 1969, à une pério<strong>de</strong> où les décalages,<br />

s<strong>ans</strong> être forcément plus importants, étaient s<strong>ans</strong> doute plus visibles ?<br />

Il serait simpliste d’expliquer la scission <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> par un divorce brutal entre la ville et la<br />

campagne. On ne comprendrait pas, par exemple, pourquoi le croissant Ouest <strong>de</strong> la France océane<br />

(Bretagne, Pays-<strong>de</strong>-Loire, Poitou-Charente et Aquitaine), également très marqué par l’économie<br />

agricole, est resté fidèle à la FF<strong>MJC</strong> après le congrès <strong>de</strong> Sochaux.<br />

Avant d’en arriver aux explications, s<strong>ans</strong> doute complexes, <strong>de</strong> la scission et <strong>de</strong> sa partition<br />

géographique, il s’agit <strong>de</strong> comprendre l’implantation géographique <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, les <strong>de</strong>ux<br />

fédérations confondues, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s espaces qui, comme nous venons <strong>de</strong> le voir, sont très divers et<br />

qui ont pourtant vu se développer <strong>de</strong>s institutions semblables. Nous nous intéresserons plus<br />

particulièrement aux trois bastions mis en évi<strong>de</strong>nce par les indices aussi bien d’implantation que <strong>de</strong><br />

pénétration : le Nord-Est, la région Rhône-Alpes, l’espace languedocien et pyrénéen.<br />

La confrontation <strong>de</strong>s cartes d’implantation et <strong>de</strong> pénétration <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> avec les indicateurs<br />

économiques et sociaux par région a fait apparaître <strong>de</strong>s correspondances pertinentes qui éclairent, à<br />

la fois et selon les cas, les développements <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, leur organisation institutionnelle autour <strong>de</strong><br />

fédérations différentes, et les réalités sociales auxquelles elles sont confrontées. Cependant, <strong>de</strong><br />

nombreuses questions restent s<strong>ans</strong> réponse. Pourquoi ce développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en forme <strong>de</strong><br />

tenaille selon <strong>de</strong>ux axes, Nord-Est et Alpes-Pyrénées ? Le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> obéit-il aux<br />

mêmes déterminations en Lorraine, en Rhône-Alpes, d<strong>ans</strong> le Languedoc et en Midi-Pyrénées ?<br />

L’actualité n’apporte pas <strong>de</strong> réponses suffisantes. Il faut se tourner vers le passé. Et si l’extrême<br />

mo<strong>de</strong>rnité plongeait ses racines d<strong>ans</strong> les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l’histoire ?<br />

6 - Trois bastions, trois explications ?<br />

D’abord, l’espace Nord-Est marqué par <strong>de</strong>s indices élevés d’implantation et <strong>de</strong> pénétration <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>, notamment en Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, Lorraine, Alsace et Picardie. La première explication est<br />

<strong>de</strong> type socio-démographique : la population y est <strong>de</strong>nse et fortement agglomérée. On peut affirmer<br />

que cet espace correspond presque exactement et très tôt (déjà en 1876) à celui <strong>de</strong> la France<br />

agglomérée, par opposition au reste du territoire, la France éparse 1 .<br />

Cette explication qui veut que le mo<strong>de</strong> d’habitat en agglomération favorise la vie collective,<br />

associative et communautaire 2 , vaut aussi pour le Languedoc et une partie <strong>de</strong> la région Midi-<br />

Pyrénées, mais pas vraiment pour Rhône-Alpes.<br />

Mais revenons-en à notre Nord-Est. Il y a, semble-t-il, une autre explication que l’on peut soutenir<br />

1 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 203. (A 17).<br />

2 Il y a, du reste, une forte implantation du secteur socio-culturel d<strong>ans</strong> son entier, d<strong>ans</strong> le nord-est<br />

(sauf Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais), en Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.


- 47 -<br />

s<strong>ans</strong> contredire la précé<strong>de</strong>nte. Cet espace est très tôt alphabétisé, bien avant la mise en place <strong>de</strong><br />

l’école publique, alors que la quasi-totalité du reste <strong>de</strong> la France est d<strong>ans</strong> l’obscurité. “A la veille <strong>de</strong> la<br />

Révolution, plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s Français du Nord ou <strong>de</strong> l’Est savent lire et écrire ; au Sud et à<br />

l’Ouest, plus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>meurent analphabètes” 1 . Dès la fin du XVII e siècle, la coupure est<br />

flagrante.<br />

Cette inégalité est tout aussi claire au moment <strong>de</strong> la Révolution Française, <strong>de</strong> l’Empire et <strong>de</strong> la<br />

Restauration, même si l’alphabétisation, repérée selon la capacité à signer les registres <strong>de</strong> mariage 2 ,<br />

gagne rapi<strong>de</strong>ment les régions Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées notamment<br />

pour les hommes 3 . La carte <strong>de</strong> l’ignorance, dressée selon d’autres indicateurs (alphabétisation <strong>de</strong>s<br />

recrues et nombre d’habitant pour un garçon scolarisé), présente autour <strong>de</strong> 1830 une image tout<br />

aussi significative 4 .<br />

Cette inégalité première se retrouve d<strong>ans</strong> la distribution <strong>de</strong>s élites culturelles : la carte <strong>de</strong>s jeunes<br />

gens reçus aux gran<strong>de</strong>s écoles et celle <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième partie du XVIII e siècle se<br />

<strong>de</strong>ssine selon ces grands partages 5 .<br />

La coupure <strong>de</strong> l’alphabétisation reste aussi flagrante d<strong>ans</strong> la <strong>de</strong>uxième partie du XIX e siècle. En<br />

1854, 1869 et 1885, le pourcentage <strong>de</strong>s hommes ayant signé le registre d’état civil 6 est très élevé en<br />

Alsace-Lorraine (près <strong>de</strong> 100%), en Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, en Franche-Comté. Avant les lois<br />

laï ques, la région Rhône-Alpes a emboîté le pas <strong>de</strong> ce mouvement qui <strong>de</strong>vient général à la fin du<br />

XIX e siècle. Le Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, tardivement alphabétisé, est précisément faiblement pénétré par<br />

les <strong>MJC</strong>, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur <strong>de</strong> l’explication par l’alphabétisation<br />

précoce. L’alphabétisation <strong>de</strong>s femmes suit une évolution comparable : d’abord la France <strong>de</strong> l’Est,<br />

puis <strong>de</strong> la région parisienne, <strong>de</strong> la Normandie, enfin rhodanienne et alpine 7 .<br />

A partir <strong>de</strong> là, il n’y a rien d’étrange à ce que se développent <strong>de</strong>s structures qui se réclament d’un<br />

projet d’éducation populaire et civique d<strong>ans</strong> le prolongement <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> la République. Après les<br />

1 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 269 et suivantes.<br />

2 La capacité <strong>de</strong> signer un registre d’état civil reste cependant un indicateur bien mince<br />

d’alphabétisation.<br />

3 Atlas <strong>de</strong> la Révolution Française - 2 - L’enseignement 17<strong>60</strong>-1815, Édition <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong>s Hautes<br />

Étu<strong>de</strong>s en Sciences Sociales, 1987, p. 12 (A 24).<br />

4 Ibid. p. 12 (A 24).<br />

5 Atlas <strong>de</strong> la Révolution Française - 2 - L’enseignement 17<strong>60</strong>-1815, Édition <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong>s Hautes<br />

Étu<strong>de</strong>s en Sciences Sociales, 1987, p. 13 (A 25). Le repérage géographique <strong>de</strong>s élites culturelles<br />

n’est pas s<strong>ans</strong> intérêt quand on sait le rôle que les “intellectuels” ont entendu jouer d<strong>ans</strong> l’éducation<br />

populaire, notamment à la fin du XIX e siècle, après l’affaire Dreyfus et jusqu’à la Libération (“aller au<br />

peuple”, “se faire peuple”).<br />

6 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 272 (A 26).<br />

7 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 283 et suivantes (A 27) et Atlas <strong>de</strong> la Révolution Française, p. 12 (A<br />

24).


- 48 -<br />

lumières <strong>de</strong> l’alphabétisation, on se tourne rapi<strong>de</strong>ment vers les lumières <strong>de</strong> la culture pour tous et <strong>de</strong><br />

la pratique démocratique collective. Jean Guéhenno situe bien les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes d<strong>ans</strong> ce<br />

prolongement en leur donnant mission d’éclairer : “Nous voudrions qu’après quelques années, une<br />

maison d’école d<strong>ans</strong> chaque ville ou village soit <strong>de</strong>venue une ‘Maison <strong>de</strong> la Culture’, une ‘Maison <strong>de</strong><br />

la jeune France’, un ‘foyer <strong>de</strong> la Nation’, <strong>de</strong> quelque nom qu’on désire la nommer, où les hommes ne<br />

cesseraient plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, <strong>de</strong>s spectacles, une bibliothèque, <strong>de</strong>s journaux,<br />

<strong>de</strong>s revues, <strong>de</strong>s livres, <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong> la lumière. Cette maison serait en même temps une Maison <strong>de</strong><br />

Jeunes...” 1 . Jean Laurain, <strong>de</strong> son côté, voit d<strong>ans</strong> l’éducation populaire <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong> le ferment <strong>de</strong> la<br />

“vraie révolution”, celle qui tr<strong>ans</strong>formerait hommes et mentalités 2 . Le projet <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se situe bien<br />

d<strong>ans</strong> le prolongement <strong>de</strong>s Lumières ; ses références théoriques sont chez Condorcet qui fait ainsi<br />

figure <strong>de</strong> précurseur en matière d’éducation populaire et permanente 3 .<br />

En résumé, ce double contexte, l’un social (population agglomérée), l’autre culturel<br />

(alphabétisation précoce), semble bien favoriser le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> cet espace tourné<br />

vers l’Europe du Nord-Est 4 . Mais qu’en est-il d<strong>ans</strong> la région Rhône-Alpes où les mêmes conditions<br />

ne sont pas réunies ?<br />

L’histoire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième guerre mondiale apporte une première réponse. Les Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes créées à l’initiative du gouvernement <strong>de</strong> Vichy vont, dès 1943 puis en 1944, être gagnées<br />

par l’esprit <strong>de</strong> la Libération en région Rhône-Alpes, qui apparait comme le lieu privilégié <strong>de</strong> l’invention<br />

d’une nouvelle conception éducative et culturelle à vocation anti-fasciste 5 . C’est le lieu <strong>de</strong> l’histoire<br />

tumultueuse <strong>de</strong> l’Ecole <strong>de</strong>s Cadres d’Uriage, <strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> Peuple et Culture, <strong>de</strong> l’expérience<br />

<strong>de</strong>s Marquisats à Annecy qui <strong>de</strong>viendra ensuite une <strong>MJC</strong> 6 . Les premiers directeurs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes sont formés à Uriage 7 puis à Chamarges près <strong>de</strong> Die (Drôme). L’expérience romanaise <strong>de</strong>s<br />

1 Jean Guéhenno : Circulaire du 13 novembre 1944. Voir également la circulaire du 8 mai 1945 portant<br />

sur le développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes (cf. Clau<strong>de</strong> Paquin : “Approche historique <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong>”, Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n° 4, décembre 1980).<br />

2 L’éducation populaire ou la vraie révolution, ADELS, 1977.<br />

3 Rapport à l’Assemblée Nationale (1792). Benigno Cacérès (Histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire) y voit la<br />

plupart <strong>de</strong>s idées qui animent encore aujourd’hui l’enseignement et l’éducation populaire. J.<br />

Guéhenno s’y réfère en 1944 : “rendre la raison populaire”.<br />

4 On pourrait nous reprocher <strong>de</strong> ne pas étudier les correspondances avec l’implantation <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

centrales syndicales. Bien que nos informations historiques soient en la matière insuffisantes, il<br />

apparaît cependant que, pour 1980, il n’y ait aucune correspondance pertinente (Données sociales<br />

1984, p. 169), ce qui ne veut pas dire que le mouvement syndical n’ait aucune place d<strong>ans</strong> l’histoire<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

5 Grenoble et le Vercors <strong>de</strong> la Résistance à la Libération (sous la direction <strong>de</strong> P. Bolle, Éditions La<br />

Manufacture, 1985).<br />

6 Éléments pour une histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire, documents INEP, 1976, communication <strong>de</strong> Jean<br />

Le Veugle.<br />

7 Uriage, une communauté et une école d<strong>ans</strong> la tourmente (1940-1945), Antoine Delestre, PUF,<br />

Nancy, 1989, ainsi que Une utopie combattante - L’école <strong>de</strong>s cadres d’Uriage - 1940-1942, Bernard<br />

Comte, Fayard, 1991.


- 49 -<br />

<strong>MJC</strong> animée par Paul J<strong>ans</strong>en (encore un lorrain !) fait figure <strong>de</strong> mythe institutionnel fondateur : à la<br />

fois l’éducation culturelle et le fusil d<strong>ans</strong> le Vercors tout proche.<br />

Mais la Résistance n’explique pas tout. Comment se fait-il par exemple que les maquis limousins<br />

ou auvergnats n’aient pas été aussi porteurs <strong>de</strong> ce nouvel élan culturel ou éducatif qui sera ensuite<br />

repris d<strong>ans</strong> le programme du Conseil National <strong>de</strong> la Résistance 1 ? La dynamique rhône-alpine a<br />

s<strong>ans</strong> doute une explication plus ancienne et plus profon<strong>de</strong> qui, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la position géographique,<br />

rend peut-être compte à la fois du développement <strong>de</strong> la Résistance et <strong>de</strong> sa dimension socio-<br />

culturelle.<br />

L’idée républicaine entre en France par le Centre-Est en provenance <strong>de</strong> la Suisse qui est, au<br />

XIX e siècle, le seul système libéral et électif fonctionnant normalement en Europe. La carte<br />

électorale <strong>de</strong> 1849 2 est claire : la gauche républicaine <strong>de</strong>s démocrates socialistes est fortement<br />

implantée en région Rhône-Alpes (plus <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s voix). H. Lebras et E. Todd font remarquer qu’à<br />

<strong>de</strong>ux reprises, la Confédération Helvétique donne à la France l’idée <strong>de</strong> la République : une première<br />

fois sur le plan théorique avec Rousseau qui se définit lui-même, au début du Contrat Social, comme<br />

citoyen <strong>de</strong> Genève ; une <strong>de</strong>uxième fois sur le plan pratique 3 , par un processus <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong><br />

l’aspiration républicaine sur le territoire français. Ainsi, en matière <strong>de</strong> modèle politique et<br />

d’alphabétisation, comme en matière <strong>de</strong> production marchan<strong>de</strong>, Paris ne joue aucun rôle particulier,<br />

même si la circulation décisive aussi bien matérielle que symbolique passe par la capitale. Là se<br />

joue la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> ce qui vient d’ailleurs.<br />

La place historique particulière <strong>de</strong> la région Rhône-Alpes permet <strong>de</strong> mieux comprendre pourquoi<br />

la résistance armée a été aussi une lutte culturelle et démocratique contre un occupant qui, tout en<br />

foulant le sol <strong>de</strong> la patrie, bafouait, avec la complicité <strong>de</strong> nombreux concitoyens, les grands principes<br />

démocratiques que cette population avait très tôt fait siens. Ainsi, un projet culturel, civique et<br />

démocratique pouvait-il constituer un outil <strong>de</strong> lutte pédagogique et idéologique. Il y a donc, entre la<br />

Résistance et l’idéal républicain retrouvé, une cohérence qui se sol<strong>de</strong>ra par la création <strong>de</strong> la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes, anticipatrice <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture. Le basculement s’opère dès 1943 4 ; la dynamique s’enclenche dès la fin <strong>de</strong> la guerre. Paul<br />

J<strong>ans</strong>en raconte qu’à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pressante <strong>de</strong>s responsables locaux, il <strong>de</strong>vra rester d<strong>ans</strong> l’Isère pour<br />

créer <strong>de</strong> nouvelles <strong>MJC</strong> alors qu’il était <strong>de</strong>stiné à prendre la direction d’une usine <strong>de</strong> chaussures<br />

1 Là apparaît le rôle essentiel d’André Philip, fondateur <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes puis <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

dont il sera le Prési<strong>de</strong>nt jusqu’aux premiers jours <strong>de</strong> mai 1968.<br />

2 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 348 (A 27).<br />

3 Rappelons-nous le rôle important que joueront le Dauphiné et ses chefs <strong>de</strong> file, Mounier et Barnave,<br />

d<strong>ans</strong> les premiers moments <strong>de</strong> la Révolution Française.<br />

4 Les jeunes <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong> et leur chef, Paul J<strong>ans</strong>en, s’engagent alors clairement d<strong>ans</strong> la<br />

Résistance (entretiens avec P. J<strong>ans</strong>en).


d<strong>ans</strong> sa Lorraine natale 1 .<br />

- 50 -<br />

Le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en Languedoc et Midi-Pyrénées exige aussi une explication<br />

spécifique. Comme d<strong>ans</strong> l’Est, la population y est relativement agglomérée, surtout sur le pourtour<br />

méditerranéen et d<strong>ans</strong> les Pyrénées. D’autre part, la trajectoire <strong>de</strong> la gauche républicaine se déplace<br />

du Centre-Est vers le Sud-Ouest. Depuis 1890, l’Occitanie profon<strong>de</strong> défend l’idée républicaine avec<br />

vigueur et en 1965 le midi pur et dur, <strong>de</strong> Montpellier à Agen, est presque seul en France d<strong>ans</strong> son<br />

opposition au régime plébiscitaire et prési<strong>de</strong>ntiel du Général <strong>de</strong> Gaulle 2 . C’est précisément un<br />

espace <strong>de</strong> forte implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, aujourd’hui presque toutes affiliées à l’UNIREG.<br />

Si la gauche démocrate socialiste, puis la vie associative <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong>, rencontrent là un terrain<br />

d’accueil favorable alors qu’il n’y a aucune proximité déterminante comme en région Rhône-Alpes,<br />

cela tient s<strong>ans</strong> doute à une raison précise et profon<strong>de</strong>.<br />

L’Occitanie ? Elle débor<strong>de</strong> largement cet espace : 31 départements dont certains sont peu<br />

pénétrés par les idées républicaines progressistes et par les <strong>MJC</strong>. L’Occitanie dure ? On ne voit, ni<br />

d<strong>ans</strong> ses pratiques, ni d<strong>ans</strong> ses discours, rien qui favoriserait l’implantation <strong>de</strong> structures venues<br />

d’ailleurs et dont le développement institutionnel est géré à Paris 3 .<br />

L’explication est, semble-t-il, plus profon<strong>de</strong>, quasi anthropologique. Sur le pourtour languedocien<br />

<strong>de</strong> la Méditerranée et en région toulousaine, la famille communautaire large, à système <strong>de</strong> mariage<br />

souple domine 4 . Elle constitue un terrain favorable à la fois aux idées socialistes-démocrates d<strong>ans</strong><br />

leurs pratiques libérales et clientélistes, au développement coopératif, notamment viticole, et aux<br />

structures associatives communautaires <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong> 5 .<br />

Ce développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est d’autant plus favorisé que, compte tenu du développement <strong>de</strong> la<br />

vie urbaine, la famille communautaire tend à éclater et à se “mono-nucléariser”, comme d<strong>ans</strong><br />

l’ensemble <strong>de</strong> l’espace français. La dégénérescence <strong>de</strong> la famille communautaire traditionnelle<br />

favorise, comme solution <strong>de</strong> remplacement, la vie collective <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong>, comme elle a favorisé<br />

l’implantation du socialisme et, d<strong>ans</strong> certains endroits, du parti communiste 6 .<br />

Alors l’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ? Trois bastions, trois explications différentes, même si les mêmes<br />

facteurs se retrouvent d<strong>ans</strong> plusieurs cas, la vie agglomérée d<strong>ans</strong> le Nord-Est et d<strong>ans</strong> le Sud<br />

1 Éléments pour une histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire, p 47.<br />

2 L’invention <strong>de</strong> la France (A 27, A 28).<br />

3 Rappelons qu’avant la scission, la FF<strong>MJC</strong> est très centralisée, s<strong>ans</strong> structures régionales ; les délégués<br />

sont sur le terrain comme <strong>de</strong>s préfets envoyés <strong>de</strong> Paris.<br />

4 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 39 (A 28).<br />

5 L’implantation socio-culturelle associative y est très forte : les <strong>MJC</strong> n’excluent pas la présence<br />

d’autres structures (1 pour 4.500 habitants en Languedoc-Roussillon ; c’est le record national).<br />

6 Il y a en effet une étrange ressemblance entre la carte <strong>de</strong> la famille communautaire large et celle où<br />

la gauche obtint les meilleurs résultats en 1974 (L’invention <strong>de</strong> la France, p. 38-39 (A 27, A28).


- 51 -<br />

languedocien et pyrénéen, l’idée républicaine démocratique en Rhône-Alpes puis d<strong>ans</strong> le Sud ? Mais<br />

pour ces trois particularités qui ont <strong>de</strong>s points communs <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux, un trait isole le Sud<br />

languedocien et pyrénéen. Au Nord-Est et en Rhône-Alpes, on obéit à une logique du progrès<br />

culturel ou politique qui englobe l’unité d’une France démocratique et éclairée, centrée à Paris, alors<br />

que d<strong>ans</strong> le Sud, celui <strong>de</strong> l’Occitanie dure, le développement démocratique socio-culturel et<br />

communautaire répond à <strong>de</strong>s déterminations du passé (la famille communautaire en<br />

dégénérescence) et se situe souvent en rupture avec l’Etat central et ses règles institutionnelles<br />

parisiennes 1 . Ici, apparait, peut-être, une fracture profon<strong>de</strong>, héritée <strong>de</strong> la longue durée, que révèlera<br />

la crise <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en 1969, ainsi que la partition géographique <strong>de</strong>s<br />

structures en <strong>de</strong>ux institutions séparées.<br />

Nous reviendrons longuement - d<strong>ans</strong> une approche sociologique et historique - sur la question <strong>de</strong><br />

l’éclatement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Mais le paysage <strong>de</strong> cette institution resterait<br />

incomplet et ne nous permettrait pas d’abor<strong>de</strong>r sa genèse et son histoire - y compris la plus<br />

mouvementée - si nous ne considérions pas les logiques structurelles internes et externes <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>,<br />

d<strong>ans</strong> leur rapport avec les champs <strong>de</strong> l’économique et du juridico-politique.<br />

1 D’où l’ambiguï té <strong>de</strong>s démarches “autonomistes”, même alimentées par <strong>de</strong>s idées progressistes.


- 53 -<br />

CHAPITRE - III -<br />

STRUCTURES, PEDAGOGIE, ENJEUX DE POUVOIR<br />

Nous aurons dit peu <strong>de</strong> choses quand nous aurons rappelé que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture sont <strong>de</strong>s associations “loi 1901” régies par <strong>de</strong>s statuts-types, librement fédérées<br />

régionalement, nationalement voire départementalement et localement, financées par les adhérents,<br />

les usagers, l’Etat et les collectivités locales, bénéficiant ou employant généralement du personnel.<br />

De ce point <strong>de</strong> vue là, les Maisons <strong>de</strong> Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ne sont pas fondamentalement<br />

différentes d’autres mouvements et institutions oeuvrant d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-<br />

culturelle et que nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce d<strong>ans</strong> notre approche comparative.<br />

Mais en l’occurrence, et d<strong>ans</strong> ce domaine particulier, le statut associatif est essentiel : il affirme<br />

une position décisive aussi bien d’un point <strong>de</strong> vue politique (la gestion <strong>de</strong>s services et <strong>de</strong>s biens<br />

publics) que pédagogique (la capacité pour les citoyens <strong>de</strong> prendre en charge directement une partie<br />

<strong>de</strong> ce service public) face au développement grandissant d’une gestion privée du loisir et <strong>de</strong> la<br />

culture - qui pour <strong>de</strong>s raisons d’opportunité se donne souvent la forme associative - , face également<br />

au développement d’une gestion municipale ou para-municipale prenant aussi, fréquemment, pour<br />

<strong>de</strong>s raisons d’opportunité, une forme associative 1 ..<br />

Cette gestion associative <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est d’autant plus importante qu’elle n’entend pas être<br />

simplement un moyen structurel plus pertinent qu’un autre mais qu’elle fait partie du projet, <strong>de</strong> ses<br />

valeurs, <strong>de</strong> sa pédagogie, <strong>de</strong> ses mo<strong>de</strong>s d’action et <strong>de</strong> production. D’autre part, compte tenu <strong>de</strong><br />

l’importance grandissante <strong>de</strong> ces structures quant au public touché, aux missions remplies et à leur<br />

“chiffre d’affaire”, la gestion associative, appuyée sur un pouvoir majoritaire <strong>de</strong> décision confié aux<br />

usagers individuels, constitue un enjeu d<strong>ans</strong> la gestion <strong>de</strong>s affaires publiques notamment au niveau<br />

local 2 .<br />

1 Certains maires ont en effet une forte propension à soutenir ou à créer <strong>de</strong>s structures associatives<br />

où les élus municipaux occupent une position très largement majoritaire, pour gérer plus facilement<br />

une partie importante du service public, notamment d<strong>ans</strong> les domaines du social, du loisir et <strong>de</strong> la<br />

culture.<br />

2 Il serait bien difficile d’établir une comparaison cartographique significative entre l’implantation <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> et l’échiquier politique municipal. Les <strong>MJC</strong> UNIREG se répartissent, en 1987, <strong>de</strong> la manière<br />

suivante : 46,7% {RPR, divers droite, UDF} pour 16% {s<strong>ans</strong> étiquette} et 37,3% {PS, divers gauche<br />

et PC}. cf. enquête déjà citée.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, il apparaît également, malgré son image “gauchisante”, qu’elle soit aussi<br />

bien implantée “à droite” qu’“à gauche”. Il est cependant vrai que cette fédération a connu un<br />

développement significatif - du moins en matière <strong>de</strong> création d’emplois <strong>de</strong> direction - après les<br />

élections municipales <strong>de</strong> 1977 qui, comme nous le savons, ont vu <strong>de</strong> nombreuses villes <strong>de</strong> plus<br />

30.000 habitants “basculer à gauche”. Comment la réalité évolue-t-elle actuellement ? Une simple<br />

appréciation d’un acteur : “Entre la droite qui se méfie <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> la fédération, <strong>de</strong>s ses directeurs<br />

et <strong>de</strong> leur syndicat CGT, le parti communiste qui veut tout gérer directement d<strong>ans</strong> sa démocratie<br />

locale et le parti socialiste qui a tendance à municipaliser, il ne reste aux <strong>MJC</strong> que les municipalités


- 54 -<br />

Ainsi commence-t-on à parler, y compris d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> et leurs fédérations, “d’entreprises<br />

culturelles et socio-culturelles fonctionnant en réseau”, <strong>de</strong> “production et <strong>de</strong> rentabilité sociales”, <strong>de</strong><br />

ces directeurs qui seraient bien plus <strong>de</strong>s “chefs d’entreprise” que <strong>de</strong>s “animateurs” 1 , <strong>de</strong>ux<br />

dénominations qu’ils n’ont du reste jamais vraiment revendiquées.<br />

La réalité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, ne serait-ce que leur fonctionnement, est donc suffisamment complexe -<br />

aussi bien pour un “pratiquant” que pour un observateur extérieur, qui y voient essentiellement un<br />

lieu où l’on peut pratiquer <strong>de</strong>s activités socio-culturelles - pour que nous prenions le temps <strong>de</strong> décrire<br />

les structures et <strong>de</strong> comprendre ce qui s’y joue.<br />

1 - Le décisionnel et l’opérationnel : fonctionnement et pédagogie <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

L’organigramme-type <strong>de</strong> fonctionnement d’une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture se présente<br />

<strong>de</strong> la manière suivante :<br />

(voir organigramme page suivante.)<br />

Cet organigramme se caractérise par <strong>de</strong>ux espaces articulés <strong>de</strong> fonctions - l’espace décisionnel<br />

et l’espace opérationnel - que la simple lecture <strong>de</strong>s statuts met en évi<strong>de</strong>nce 2 . En effet l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

articles 7 à 18 qui composent le titre II (administration et fonctionnement) fixent les règles<br />

fondamentales <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> décision et <strong>de</strong> la délégation <strong>de</strong> pouvoir. Quant à l’article 3, titre I (but <strong>de</strong><br />

l’association), il décrit à lui seul l’espace opérationnel <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> : “... elle [la <strong>MJC</strong>] peut mettre à la<br />

disposition <strong>de</strong> la population, d<strong>ans</strong> le cadre d’installations diverses (foyers, salles <strong>de</strong> jeux, <strong>de</strong> cours,<br />

<strong>de</strong> réunions, <strong>de</strong> spectacles, <strong>de</strong> sports, centre <strong>de</strong> séjours, restaurants) avec le concours d’éducateurs,<br />

permanents ou non, <strong>de</strong>s activités récréatives et éducatives variées : physiques, pratiques,<br />

intellectuelles, artistiques, sportives, économiques, civiques, sociales, etc...”.<br />

L’axe majeur 3 d’articulation entre l’opérationnel et le décisionnel passe par le directeur et les<br />

commissions qui sont généralement, peu ou prou, <strong>de</strong>s espaces qui ont double mission, d’instruire les<br />

projets pour décision et <strong>de</strong> les mettre en oeuvre, à la fois commission <strong>de</strong> réflexion et cellules<br />

opérationnelles. Pour les <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> directeur permanent, le décisionnel et l’opérationnel s’articulent<br />

du “centre mou” pour continuer à se développer...” (Jacques Asseray, délégué régional FF<strong>MJC</strong> Ile<strong>de</strong>-France).<br />

1 L’intitulé du travail <strong>de</strong> Christian Lucie “Directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, animateur ou chef d’entreprise ?” est à ce<br />

titre significatif. Mais d<strong>ans</strong> le même temps, certains chefs d’entreprise (cf. J.-C. Fauvet et J.-R.<br />

Fouretout : La passion d'entreprendre, Éditions d'organisation, 1985) ne disent-ils pas que les chefs<br />

d’entreprise doivent être également <strong>de</strong>s éducateurs et <strong>de</strong>s animateurs ?<br />

2 Statuts <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture (A 30).<br />

3 Il ne s’agit là que <strong>de</strong> l’axe majeur d<strong>ans</strong> la mesure où, à tous les niveaux <strong>de</strong> l’opérationnel, il y a une<br />

marge <strong>de</strong> décisionnel, ne serait-ce que par délégation <strong>de</strong> pouvoir ou par définition d’un espace<br />

d’initiative. Chaque activité a une certaine autonomie relative d<strong>ans</strong> le cadre du projet global et <strong>de</strong>s<br />

limites budgétaires définies par les instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>.


au niveau du bureau et notamment du prési<strong>de</strong>nt.<br />

ESPACE<br />

ESPACE<br />

- 55 -<br />

ASSEMBLEE GENERALE<br />

<strong>de</strong>s adhérents, <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> droit et associés<br />

membres<br />

<strong>de</strong> droit<br />

Bénévoles<br />

et personnel<br />

technique<br />

membres<br />

associés<br />

CONSEIL D'ADMINISTRATION<br />

BUREAU DU C.A.<br />

DIRECTEUR<br />

Bénévoles<br />

et personnel<br />

éducatif<br />

membres<br />

élus<br />

Bénévoles<br />

et personnel<br />

administratif<br />

ACTIVITES, ACTIONS et SERVICES<br />

DECISIONNEL<br />

OPERATIONNEL<br />

CONSEIL D'ACTIVITES/D'ANIMATION/DE MAISON<br />

COMMISSIONS<br />

culturelles socio-culturelles sociales sportives autres...<br />

A D H E R E N T S et U S A G E R S<br />

La structure d’ensemble se présente comme un système en même temps fermé sur lui-même et<br />

ouvert sur l’extérieur. Les adhérents sont à la fois objet <strong>de</strong> l’opérationnel à travers les activités, les<br />

actions et les services, et sujets, au fon<strong>de</strong>ment du décisionnel. Ainsi, le fonctionnement d’une Maison<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture et les règles qui la régissent, ressemble-t-il considérablement au<br />

fonctionnement politique <strong>de</strong> type société républicaine occi<strong>de</strong>ntale. Il y a donc une gran<strong>de</strong> cohérence<br />

entre le fonctionnement institutionnel <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, la mission qu’elles se donnent <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s


- 56 -<br />

citoyens, et le contexte socio-historique <strong>de</strong> leur conception ainsi que <strong>de</strong> leur émergence. Cette<br />

cohérence entre le projet défini d<strong>ans</strong> l’article 2 <strong>de</strong>s statuts 1 et les règles <strong>de</strong> sa mise en oeuvre<br />

constitue la pédagogie institutionnelle <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 2 .<br />

La structure est également ouverte sur l’extérieur au niveau décisionnel, comme au niveau<br />

opérationnel. Le conseil d’administration (article 12 <strong>de</strong>s statuts) et l’assemblée générale (article 7)<br />

sont aussi composés <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> droit et, <strong>de</strong> manière facultative, <strong>de</strong> membres associés qui<br />

peuvent ne pas être adhérents et qui représentent <strong>de</strong>s institutions ou organismes extérieurs<br />

(pouvoirs publics, associations ...). Même chose au niveau <strong>de</strong> la mise en oeuvre <strong>de</strong>s projets, qui<br />

passe très souvent par une co-réalisation avec <strong>de</strong>s partenaires extérieurs d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong><br />

commissions opérationnelles.<br />

Ainsi le fonctionnement <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, loin <strong>de</strong> se traduire par une simple autogestion <strong>de</strong>s adhérents,<br />

se caractérise-t-il par ce que l’on appelle la cogestion entre partenaires qui co-élaborent, co-<br />

déci<strong>de</strong>nt, co-réalisent et co-évaluent les actions.<br />

a) le décisionnel<br />

L’assemblée générale rassemble l’ensemble <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l’association qui gère et contrôle la<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Les membres <strong>de</strong> l’association sont majoritairement “<strong>de</strong>s<br />

usagers régulièrement inscrits” (Statuts, article 7), c’est-à-dire qui ont acquitté “les cotisations<br />

échues”, dont le montant est fixé par l’assemblée générale elle-même.<br />

Pour être plus précis et pour rester d<strong>ans</strong> la logique <strong>de</strong> ce qui est le plus communément admis et<br />

pratiqué, les membres <strong>de</strong> l’association sont en fait les usagers à jour <strong>de</strong> leur cotisation d’adhérent,<br />

dont le coût est fixé par l’assemblée générale. Ce que l’on entend plus généralement par cotisation<br />

renvoie à ce qu’un usager est obligé <strong>de</strong> payer, en plus <strong>de</strong> son adhésion, pour pratiquer et donc<br />

financer tout ou partie du coût d’une activité qu’il pratique. L’adhésion et la cotisation sont donc <strong>de</strong>ux<br />

choses différentes. On peut être adhérent, s<strong>ans</strong> payer <strong>de</strong> cotisation supplémentaire, soit parce qu’on<br />

ne pratique pas d’activité régulière, soit parce que l’activité que l’on pratique ne fait pas obligation <strong>de</strong><br />

payer une cotisation supplémentaire à l’adhésion. L’adhésion se matérialise par une carte d’adhérent<br />

qui donne précisément le droit - outre <strong>de</strong> pratiquer les activités régulières <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, moyennant<br />

généralement paiement d’une cotisation propre à l’activité - <strong>de</strong> participer aux instances <strong>de</strong> décision<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, à l’assemblée générale d’une manière directe, au conseil d’administration ou au bureau<br />

par délégation <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong> l’instance supérieure.<br />

1 Prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s et développement <strong>de</strong> la personnalité <strong>de</strong>s individus, formation “<strong>de</strong><br />

citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”.<br />

2 Il y a <strong>de</strong>ux manières <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s citoyens : faire un cours d’instruction civique ou organiser<br />

institutionnellement un espace où la citoyenneté s’expérimente. Les <strong>MJC</strong> et les mouvements<br />

d’éducation populaire en général mettent en oeuvre cette <strong>de</strong>rnière métho<strong>de</strong> pédagogique.


- 57 -<br />

Par ailleurs, on peut être usager, utilisateur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, s<strong>ans</strong> adhérer. Un spectateur qui s’acquitte<br />

d’un droit d’entrée est un usager ; il n’est pas pour autant adhérent s’il n’a pas, par ailleurs, fait le<br />

choix d’acquérir la fameuse carte d’adhérent qui en fait un membre actif <strong>de</strong> l’association.<br />

Cette différence précise entre le statut, ou l’attitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> simple usager et celle d’adhérent, est<br />

significative <strong>de</strong> l’ambivalence institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : à la fois service public, pour <strong>de</strong>s usagers<br />

réels, occasionnels ou potentiels, et mouvement pour <strong>de</strong>s individus adhérents à une institution qui<br />

défend <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s principes démocratiques, voire une conception <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> la vie en<br />

société 1 .<br />

Les statuts prévoient également que les membres <strong>de</strong> l’association doivent, pour pouvoir participer<br />

à l’assemblée générale avec voix délibérative, être âgés <strong>de</strong> seize <strong>ans</strong>, être adhérents <strong>de</strong><br />

l’association <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 6 mois.<br />

Ces <strong>de</strong>ux clauses se justifient, pour la première par le souci pédagogique <strong>de</strong> voir les jeunes jouir<br />

<strong>de</strong> leur plein droit <strong>de</strong> citoyens associatifs, d’en faire l’expérience avant d’entrer d<strong>ans</strong> la citoyenneté<br />

politique à l’âge <strong>de</strong> la majorité 2 , et pour la secon<strong>de</strong>, par le double souci d’expérimenter la vie<br />

associative avant d’en <strong>de</strong>venir un membre <strong>de</strong> plein droit, et aussi d’éviter les “coups <strong>de</strong> force” <strong>de</strong><br />

personnes ayant fraîchement adhéré pour <strong>de</strong>s intérêts souvent étrangers à la <strong>MJC</strong> et son projet 3 .<br />

En plus <strong>de</strong>s “usagers régulièrement inscrits”, donc titulaires d’une carte d’adhérent, l’association<br />

<strong>MJC</strong> peut comprendre <strong>de</strong>s membres honoraires ou fondateurs, <strong>de</strong>s membres d’honneur<br />

généralement choisis par le conseil d’administration, avec accord implicite ou explicite <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale elle-même, un règlement intérieur pouvant préciser en l’occurrence la<br />

réglementation statutaire.<br />

La présence <strong>de</strong> ces membres, qui n’a rien d’obligatoire mais qui est courante d<strong>ans</strong> cette vie<br />

associative à vocation <strong>de</strong> service public, s’explique par la volonté d’inscrire la <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> une histoire<br />

et d<strong>ans</strong> un réseau d’enracinement local, notamment d<strong>ans</strong> les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> modification brutale <strong>de</strong>s<br />

pratiques et <strong>de</strong> recomposition <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> décision. Ainsi d<strong>ans</strong> les années 6O, il est souvent<br />

arrivé que <strong>de</strong> nouvelles équipes, composées <strong>de</strong> jeunes issus <strong>de</strong>s activités, aient, démocratiquement<br />

1 Il n’est pas rare <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s individus qui adhèrent à la <strong>MJC</strong> uniquement sur la base <strong>de</strong> l’esprit<br />

<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s valeurs défendues. Mais il est vrai que la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s membres ont un statut<br />

d’adhérent pour bénéficier uniquement du service rendu, ce qui peut expliquer que les assemblées<br />

générales ne rassemblent souvent qu’un nombre limité <strong>de</strong> titulaires <strong>de</strong> la carte d’adhérent.<br />

Cependant, en cas d’enjeux internes ou externes importants, on peut connaître <strong>de</strong>s assemblées<br />

générales massives et particulièrement animées.<br />

Par ailleurs, <strong>de</strong>s mouvements déclarés comme tels, et censés ne rassembler que <strong>de</strong>s adhérents,<br />

voire <strong>de</strong>s militants, peuvent ne compter que <strong>de</strong>s individus qui se comportent en simples usagers.<br />

C’est le cas <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement qui revendique quelque quatre millions d’adhérents, et<br />

dont l’immense majorité ne sait même pas qu’elle adhère à ce mouvement.<br />

2 La revendication <strong>de</strong> la majorité à 18 <strong>ans</strong> apparaît très clairement d<strong>ans</strong> le discours <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (voir<br />

notamment les réflexions <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes en 1966).<br />

3 Il n’est pas rare que la Fédération régionale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> intervienne, par l’intermédiaire <strong>de</strong> son délégué,<br />

pour déclarer nulle une assemblée générale qui n’aurait pas respecté cette clause <strong>de</strong>s six mois, alors<br />

que d<strong>ans</strong> le même temps il y aurait eu volonté manifeste <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> pouvoir abusive.


- 58 -<br />

mais brutalement, à l’occasion d’une assemblée générale, remplacé l’équipe <strong>de</strong>s fondateurs, ce qui<br />

est en soi parfaitement cohérent avec le projet qui consiste à favoriser la prise <strong>de</strong> responsabilité.<br />

D<strong>ans</strong> ces cas-là on a souvent gratifié certains membres <strong>de</strong> l’ancienne équipe, généralement<br />

pionniers <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, du statut <strong>de</strong> membre fondateur, honoraire ou d’honneur, ce qui est une manière<br />

<strong>de</strong> gérer les tr<strong>ans</strong>formations les plus brutales d<strong>ans</strong> une certaine continuité. On peut voir d<strong>ans</strong> cette<br />

présence statutaire <strong>de</strong>s anciens et <strong>de</strong>s nouveaux, <strong>de</strong>s “notables” et <strong>de</strong>s actifs, le souci d’articuler<br />

d’une manière dynamique les logiques <strong>de</strong> l’institution et celles du mouvement, la tradition et la<br />

mo<strong>de</strong>rnité. Du reste, il peut arriver qu’en cas <strong>de</strong> crise grave - crise d’orientation, <strong>de</strong> fonctionnement -<br />

on fasse appel aux membres honoraires et fondateurs ou bienfaiteurs réunis d<strong>ans</strong> une sorte <strong>de</strong><br />

conseil <strong>de</strong> sages 1 .<br />

L’association gestionnaire <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est également composée <strong>de</strong><br />

membres <strong>de</strong> droit 2 prévus par les statuts eux-mêmes - c’est ce qui leur confère la qualité <strong>de</strong><br />

membres <strong>de</strong> droit - et <strong>de</strong> membres associés.<br />

Les membres associés, dont les statuts prévoient que leur présence est facultative, peuvent être :<br />

“a) <strong>de</strong>s représentants d’associations et mouvement <strong>de</strong> jeunesse, d’associations sportives,<br />

d’associations d’éducation populaire ayant leur siège social d<strong>ans</strong> le village, le bourg, la ville où se<br />

trouve implantée la <strong>MJC</strong><br />

b) <strong>de</strong>s personnes choisies en raison <strong>de</strong> leur compétence particulière<br />

c) l’une et l’autre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux catégories précé<strong>de</strong>ntes” 3 .<br />

La présence <strong>de</strong> membres associés, même facultative, est quasi généralement admise d<strong>ans</strong> les<br />

<strong>MJC</strong> et aux autres échelons <strong>de</strong> l’Institution, notamment régional et national.<br />

La qualité <strong>de</strong> ces membres est généralement très variable : elle peut dépasser la diversité et la<br />

liberté <strong>de</strong> choix prévues par les statuts eux-mêmes. Il est vrai que les représentants d’associations<br />

sportives, culturelles, socio-culturelles et d’éducation populaire composent la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s<br />

membres associés, mais il n’est pas rare d’y rencontrer <strong>de</strong>s syndicats, <strong>de</strong>s comités d’entreprise, <strong>de</strong>s<br />

représentants d’organismes publics ou para-publics, municipaux ou para-municipaux. Le collège <strong>de</strong>s<br />

membres associés permet souvent une représentation plus large du conseil municipal, qui se voit<br />

ainsi, compte tenu <strong>de</strong> ce qu’il représente pour la <strong>MJC</strong>, octroyer un nombre <strong>de</strong> voix bien supérieur à<br />

ce que prévoient les statuts, la ville n’étant normalement représentée que par le maire ou son<br />

1 Au niveau national, en situation <strong>de</strong> crise, on fait souvent le projet <strong>de</strong> réunir un conseil <strong>de</strong> sages<br />

composé d’anciens administrateurs et délégués. Mais la stratégie <strong>de</strong> l’audit social et financier est <strong>de</strong><br />

plus en plus souvent pratiquée, ce qui est très significatif <strong>de</strong> la modification <strong>de</strong>s référents <strong>de</strong> la<br />

légitimité particulièrement visible en temps <strong>de</strong> crise, modification qui est elle-même indicative <strong>de</strong>s<br />

tr<strong>ans</strong>formations <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong> référence <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

2 Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir longuement sur les membres <strong>de</strong> droit à l’occasion <strong>de</strong> l’analyse du<br />

conseil d’administration.<br />

3 Statuts-type FF<strong>MJC</strong>, article 12 (A 30).


- 59 -<br />

représentant en qualité, il est vrai, <strong>de</strong> membre <strong>de</strong> droit 1 . Des organismes comme les caisses<br />

d’allocations familiales, partenaires courants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> pour leurs actions sociales, sont généralement<br />

représentés d<strong>ans</strong> les assemblées générales et les conseils d’administration en tant que membres<br />

associés. Les délégués ou les représentants <strong>de</strong>s personnels salariés <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> siègent également<br />

en tant que membres associés avec voix délibérative. Il est vrai que, même si leur statut et leur mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> désignation sont totalement différents <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s autres membres associés, il ne peuvent<br />

cependant être présents qu’à ce titre. On voit mal en effet comment ils pourraient siéger au titre <strong>de</strong><br />

membre <strong>de</strong> droit - ce qui serait assez contradictoire avec l’esprit associatif - ou <strong>de</strong> membres actifs<br />

adhérents <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, qui ainsi auraient la faculté <strong>de</strong> choisir leurs représentants en assemblée<br />

générale, alors que le droit du travail prévoit que ces représentants doivent être choisis par les<br />

personnels eux-mêmes.<br />

La présence <strong>de</strong> membres associés, même facultative, est tout à fait conforme à l’esprit et à<br />

l’histoire <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. D’abord à l’esprit <strong>de</strong> la cogestion, qui prévoit que la<br />

<strong>MJC</strong> élabore ses projets, déci<strong>de</strong>, réalise et évalue ses actions avec <strong>de</strong>s partenaires divers 2 , dont les<br />

membres associés qui représentent généralement les forces vives <strong>de</strong> l’environnement social.<br />

Ensuite, à l’histoire <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, à leur origine et leur développement :<br />

en 1944, comme nous le verrons plus loin, la République <strong>de</strong>s Jeunes, qui préfigure la FF<strong>MJC</strong>, n’est<br />

initialement composée que d’associations et mouvements <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire.<br />

Enfin, <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> se sont créées grâce à la volonté coordonnée <strong>de</strong> représentants<br />

d’associations locales et <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong>s pouvoirs publics (municipalité, direction <strong>de</strong> Jeunesse<br />

et Sport) et ce, avant que leur développement et leur animation ne soient confiés à une gestion<br />

partenariale où les adhérents sont majoritaires.<br />

Bien que cela ne soit pas explicitement précisé d<strong>ans</strong> les statuts, les membres associés sont<br />

généralement choisis par l’assemblée générale <strong>de</strong>s adhérents, sur proposition du conseil<br />

d’administration, sauf pour les délégués et représentants <strong>de</strong>s personnels, dont le principe <strong>de</strong> la<br />

participation doit être accepté par les mêmes instances, mais dont le choix <strong>de</strong>s représentants relève<br />

d’une élection par les personnels eux-mêmes, sous le contrôle <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> employeur.<br />

Les raisons du choix <strong>de</strong> tel membre associé plutôt que <strong>de</strong> tel autre sont variables : implantation<br />

sur le même espace social, pratiques et secteurs d’intervention comparables, conduite <strong>de</strong> projets<br />

avec la <strong>MJC</strong>, participation active à la création <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, compétences et actions spécifiques sur <strong>de</strong>s<br />

terrains ou en direction <strong>de</strong>s publics concernés directement par la <strong>MJC</strong>. Le choix d’un nouveau<br />

1 A Aix-en-Provence, par exemple, la Ville est représentée par un adjoint ou un conseiller municipal<br />

désigné par le Maire avec la qualité <strong>de</strong> membre <strong>de</strong> droit, mais aussi par d’autres adjoints, délégués<br />

ou conseillers municipaux (sport, jeunesse, vie associative) qui y sont en qualité <strong>de</strong> membres<br />

associés.<br />

2 Nous reviendrons longuement sur la mise en oeuvre et la “mise en scène <strong>de</strong> la cogestion”, expression<br />

<strong>de</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> Ménard, délégué <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> auprès <strong>de</strong> la région Poitou-Charente.


- <strong>60</strong> -<br />

membre associé découle souvent <strong>de</strong> la conduite d’actions en commun, ou <strong>de</strong> la projection d’actions<br />

nouvelles, qui réclament un partenariat élargi. Ainsi la cogestion est souvent une pratique, avant <strong>de</strong><br />

prendre une forme institutionnelle.<br />

La qualité <strong>de</strong> membre associé, comme <strong>de</strong> membre adhérent, fondateur, ou honoraire, se perd<br />

évi<strong>de</strong>mment par démission, ou encore par décision <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> (conseil<br />

d’administration et assemblée générale), si bien que l’on ne peut imposer à un individu ou à une<br />

structure <strong>de</strong> faire partie intégrante <strong>de</strong> l’association <strong>MJC</strong>, ni à l’association <strong>MJC</strong> d’accueillir un<br />

membre si elle ne le souhaite pas. D<strong>ans</strong> les <strong>de</strong>ux cas il y a garantie <strong>de</strong> la liberté associative, qu’elle<br />

soit collective ou individuelle. Il n’y a que les membres <strong>de</strong> droit (maire <strong>de</strong> la commune, directeur<br />

départemental <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, délégué <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et directeur) qui ne peuvent faire,<br />

ni l’objet d’un choix, ni d’une radiation aussi longtemps que la structure fonctionne selon les statuts<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Mais l’adoption <strong>de</strong>s statuts ou leur modification relèvent <strong>de</strong> l’assemblée générale elle-<br />

même, sauf prononciation <strong>de</strong> dissolution par la Fédération Régionale ou la Fédération Française<br />

(article 22 <strong>de</strong>s statuts) 1 .<br />

Rappelons, pour en finir au moins provisoirement avec les membres associés, fondateurs,<br />

bienfaiteurs, honoraires et <strong>de</strong> droit, qu’ils ne sont pas tenus <strong>de</strong> payer une adhésion ou une cotisation<br />

annuelle. Leur qualité <strong>de</strong> membre <strong>de</strong> l’association ne tient donc qu’au choix initial et renouvelé <strong>de</strong>s<br />

instances <strong>de</strong> décisions (assemblée générale et conseil d’administration), et à leur volonté <strong>de</strong><br />

continuer à adopter les statuts.<br />

L’assemblée générale ainsi constituée, remplit <strong>de</strong>s missions statutaires comparables à celles que<br />

remplissent toutes les assemblées générales <strong>de</strong> toutes les associations type loi 1901. L’assemblée<br />

générale réunie en session normale, une fois par an, sur convocation du prési<strong>de</strong>nt, délibère sur les<br />

questions portées à l’ordre du jour par le conseil d’administration, notamment sur les rapports moral<br />

et financier. L’assemblée générale juge donc <strong>de</strong>s missions et <strong>de</strong>s actions décidées par le conseil<br />

d’administration et réalisées sous son contrôle, <strong>de</strong> l’esprit qui les a animées <strong>de</strong>puis la précé<strong>de</strong>nte<br />

assemblée générale (aspect moral), et <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s moyens obtenus (recettes) et utilisés<br />

(dépenses). D<strong>ans</strong> ces rapports, à la fois écrits et oraux, les administrateurs désignés par l’assemblée<br />

générale ou par les statuts (membres <strong>de</strong> droit), ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> leur mandat. Le “quitus” sur la<br />

gestion est donné après connaissance, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale, du rapport <strong>de</strong>s commissaires aux comptes.<br />

D<strong>ans</strong> un <strong>de</strong>uxième temps, l’assemblée générale adopte <strong>de</strong>s orientations pour l’année à venir :<br />

1 D<strong>ans</strong> les faits, il apparaît bien difficile que la FR<strong>MJC</strong> ou la FF<strong>MJC</strong> (même chose pour l’UNIREG) aient<br />

autorité pour dissoudre une association qui ne respecterait pas les statuts ou qui déci<strong>de</strong>rait <strong>de</strong> les<br />

modifier. Ce droit apparaît assez contradictoire avec la liberté associative. Par contre les instances<br />

fédératives peuvent déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la désaffiliation <strong>de</strong> l’association, ce qui est conforme aux principes<br />

fédératifs. En définitive, on peut affirmer que la <strong>MJC</strong> bénéficie <strong>de</strong> sa totale liberté associative <strong>de</strong><br />

choix et <strong>de</strong> radiation <strong>de</strong> ses membres, d’affiliation - sauf refus <strong>de</strong> la structure fédérative -, <strong>de</strong><br />

modification <strong>de</strong> ses statuts, jusqu’à la perte <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.


- 61 -<br />

rapport d’orientation généralement préparé par le conseil d’administration après une consultation<br />

préalable plus ou moins large 1 . Elle adopte également le budget prévisionnel <strong>de</strong> l’exercice suivant,<br />

qui doit être établi d<strong>ans</strong> ses recettes et ses affectations budgétaires en cohérence avec les<br />

orientations 2 .<br />

Enfin “l’assemblée générale désigne au scrutin secret les membres élus au conseil<br />

d’administration. Elle peut les révoquer si la question figure à l’ordre du jour” 3 . Sauf démission, décès<br />

ou révocation 4 , les membres représentant les adhérents au conseil d’administration sont élus pour<br />

trois <strong>ans</strong>, <strong>de</strong> sorte qu’à chaque assemblée générale, on procè<strong>de</strong> à l’élection du tiers sortant, et<br />

éventuellement au remplacement <strong>de</strong>s démissionnaires, décédés ou révoqués. Les membres sortants<br />

sont rééligibles, et ils sont désignés par tirage au sort pour la première et la <strong>de</strong>uxième année. En cas<br />

<strong>de</strong> vacance entre <strong>de</strong>ux assemblées générales, le conseil d’administration peut pourvoir<br />

provisoirement, par cooptation, au remplacement <strong>de</strong> ses membres. Ce remplacement peut <strong>de</strong>venir<br />

définitif lors <strong>de</strong> la prochaine assemblée générale, “les pouvoirs <strong>de</strong>s membres ainsi élus prenant fin à<br />

l’époque où <strong>de</strong>vrait normalement expirer le mandat <strong>de</strong>s membres remplacés” 5 .<br />

Même si cela n’est pas très expressément prévu par les statuts, en cas <strong>de</strong> démission totale ou<br />

massive du conseil d’administration, il est généralement procédé à l’organisation d’une assemblée<br />

générale extraordinaire, sur décision du conseil d’administration ou sur la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du quart au<br />

moins <strong>de</strong>s membres qui la composent. Il peut arriver aussi, qu’en cas <strong>de</strong> carence ou <strong>de</strong><br />

dysfonctionnement mettant en danger la vie <strong>de</strong> l’association et les intérêts <strong>de</strong> ses membres, la<br />

Fédération Régionale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> gère directement la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Il s’agit là<br />

d’une sorte <strong>de</strong> mise en tutelle, en attendant qu’une nouvelle assemblée générale, ordinaire ou<br />

extraordinaire, désigne les membres d’un nouveau conseil d’administration.<br />

Avant <strong>de</strong> se séparer, les membres <strong>de</strong> l’assemblée générale désignent les commissaires aux<br />

comptes qui composent la commission d’apurement <strong>de</strong>s comptes. Ces commissaires aux comptes<br />

doivent être choisis parmi les adhérents non membres du conseil d’administration, et ils peuvent se<br />

faire ai<strong>de</strong>r ou conseiller d<strong>ans</strong> leur travail par <strong>de</strong>s commissaires aux comptes officiels ou<br />

1 Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir sur les processus d’élaboration et <strong>de</strong> consultation qui conduisent<br />

jusqu’aux décisions d’assemblée générale. Il s’agit là <strong>de</strong>s processus pédagogiques et démocratiques<br />

mis en oeuvre d<strong>ans</strong> le fonctionnement institutionnel.<br />

2 On concevrait mal qu’il y ait contradiction entre les orientations “politiques” et les orientations<br />

budgétaires. On peut par exemple difficilement imaginer qu’un rapport d’orientation mette en avant<br />

la formation <strong>de</strong>s cadres bénévoles et professionnels <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, s<strong>ans</strong> qu’une affectation budgétaire<br />

correspondante ne soit prévue.<br />

3 Statuts, art. 11.<br />

4 La révocation peut intervenir pour non-paiement <strong>de</strong> l’adhésion, absences répétées s<strong>ans</strong> excuses aux<br />

réunions du conseil d’administration. Les clauses <strong>de</strong> révocation sont généralement précisées d<strong>ans</strong> le<br />

règlement intérieur <strong>de</strong>s instances, si bien qu’il n’est pas nécessaire <strong>de</strong> faire figurer les révocations à<br />

l’ordre du jour <strong>de</strong> l’assemblée générale.<br />

5 Statuts, art. 12.


- 62 -<br />

professionnels auxquels la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture choisit <strong>de</strong> faire appel.<br />

Même si cela n’est pas perçu comme tel par les adhérents et les responsables, l’apurement <strong>de</strong>s<br />

comptes est une démarche indispensable, notamment pour les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

qui gèrent <strong>de</strong>s budgets importants. Le respect <strong>de</strong> cette règle évite, en cas <strong>de</strong> conflit sur les questions<br />

financières, la remise en cause individuelle - voire pénale - <strong>de</strong> certains responsables, notamment le<br />

trésorier, le prési<strong>de</strong>nt et le directeur.<br />

L’assemblée générale constitue ainsi l’instance qui définit la politique globale <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, mandate ceux qui doivent la mettre en oeuvre et qui <strong>de</strong>vront en rendre<br />

compte auprès <strong>de</strong> cette même instance. Elle est le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la vie institutionnelle <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>,<br />

d’où tout doit partir et où tout doit revenir. Sa tenue est généralement un moment fort <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> la<br />

structure, au cours <strong>de</strong> laquelle les adhérents et les différents partenaires définissent et clarifient les<br />

objectifs, où, en cas <strong>de</strong> tension et <strong>de</strong> conflits, se mesurent, s’exacerbent ou se règlent, les rapports<br />

<strong>de</strong> forces et les contradictions (internes mais aussi avec l’extérieur et notamment les municipalités),<br />

moment aussi, où <strong>de</strong>s équipes dirigeantes se trouvent confortées ou fortement contestées.<br />

Que dire <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong>s adhérents aux assemblées générales ?<br />

Elle est très variable, et doit s’apprécier d’une manière relative d<strong>ans</strong> le rapport qui existe entre le<br />

nombre <strong>de</strong> présents et <strong>de</strong> représentés d’une part, et, d’autre part, le nombre d’adhérents en âge <strong>de</strong><br />

voter, c’est-à-dire âgés <strong>de</strong> 16 <strong>ans</strong> et plus. Certaines assemblées générales ne concernent, même<br />

d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> importantes, qu’un nombre mo<strong>de</strong>ste d’adhérents, à tel point que l’on a le sentiment<br />

d’assister à un conseil d’administration élargi. Une assemblée générale qui rassemble quelque 25%<br />

<strong>de</strong> ses membres en âge <strong>de</strong> voter, connait une bonne participation. Certaines assemblées générales<br />

connaissent <strong>de</strong>s affluences exceptionnelles, qui s’expliquent souvent par <strong>de</strong>s enjeux internes ou<br />

externes d’importance : il n’est pas rare d’assister à <strong>de</strong>s assemblées générales massives<br />

rassemblant plus <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s adhérents en âge <strong>de</strong> voter, et dont la forme s’apparente plus à un<br />

meeting 1 .<br />

Mais, d’une manière générale, la participation reste d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s proportions mo<strong>de</strong>stes, ce qui<br />

indique bien que les <strong>MJC</strong> sont plus perçues et vécues par les usagers 2 comme <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> service<br />

culturel et social public, que comme <strong>de</strong>s structures militantes <strong>de</strong>vant motiver un engagement<br />

1 A titre d’exemple, près <strong>de</strong> 200 personnes à Béziers en octobre 1989 et près <strong>de</strong> 400 à Grasse en<br />

avril 1990, pour <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui rassemblent respectivement quelque 750 et 1.200 adhérents tous<br />

âges confondus. Mais en matière <strong>de</strong> participation <strong>de</strong>s adhérents à la vie associative <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il reste<br />

bien difficile d’avoir <strong>de</strong>s indications moyennes fiables, les structures ne tenant pas, et ne<br />

communiquant pas, une comptabilité précise <strong>de</strong>s présents et représentés. Pour la petite dizaine<br />

d’assemblées générales <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à laquelle nous avons participé au printemps 1990, on peut dire que<br />

la proportion <strong>de</strong>s participants se tient aux environs <strong>de</strong> 18% <strong>de</strong> la totalité <strong>de</strong>s adhérents.<br />

2 Beaucoup pensent, y compris parmi les adhérents, que la <strong>MJC</strong> est un service municipal et que les<br />

décisions ne peuvent pas appartenir aux usagers (enquête en cours sur la jeunesse <strong>de</strong> Martigues,<br />

Bouches du Rhône).


- 63 -<br />

individuel et collectif se traduisant par la participation aux instances <strong>de</strong> décision 1 .<br />

Le conseil d’administration est l’instance où la cogestion se met véritablement en oeuvre entre<br />

<strong>de</strong>s partenaires représentant <strong>de</strong>s institutions, <strong>de</strong>s forces, et <strong>de</strong>s intérêts différents.<br />

Le conseil d’administration est composé <strong>de</strong> trois collèges d’inégale importance, quant aux<br />

nombre <strong>de</strong>s mandats. Les membres <strong>de</strong> droit sont comme à l’assemblée générale au nombre <strong>de</strong><br />

quatre : le maire <strong>de</strong> la commune ou son représentant, le chef <strong>de</strong> service départemental <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports ou son représentant, le délégué <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> ou son représentant, le<br />

directeur ou la directrice <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> quand il y en a un et qu’il a le statut <strong>de</strong> directeur fédéral mis à<br />

disposition <strong>de</strong> la structure 2 .<br />

Ces différents membres n’ont en commun que d’être membres <strong>de</strong> droit, et <strong>de</strong> représenter <strong>de</strong>s<br />

institutions. Ils obéissent à <strong>de</strong>s légitimités très différentes. Le maire <strong>de</strong> la commune est censé<br />

représenter, par le biais du suffrage universel, l’intérêt général local, le chef du service<br />

départemental <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, l’intérêt général national et la politique que l’Etat entend<br />

mener en matière <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire. Le délégué <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> est le “porteur <strong>de</strong><br />

la comman<strong>de</strong> institutionnelle” 3 , définie par les instances fédérales nationales et régionales. Sa<br />

légitimité est celle d’une institution forte <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées, <strong>de</strong> la reconnaissance <strong>de</strong><br />

l’Etat 4 et <strong>de</strong>s collectivités locales qui directement ou indirectement, financent ses services.<br />

Le directeur est, à son niveau aussi, porteur du projet <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture -<br />

la fameuse comman<strong>de</strong> institutionnelle - qui lui confère la légitimité à être le pédagogue <strong>de</strong> sa mise en<br />

oeuvre, d’autant qu’il a reçu la formation professionnelle lui donnant droit à exercer cette fonction.<br />

Son statut est celui d’un professionnel, et non d’un simple permanent, si bien que sa légitimité est<br />

plus liée à ses savoir-faire, qu’à l’institution qui l’a nommé 5 . Nous verrons que la place originale et<br />

centrale qu’il occupe d<strong>ans</strong> la <strong>MJC</strong> le situe d<strong>ans</strong> la position particulièrement complexe d’articulateur<br />

1 Nous avons peu d’éléments <strong>de</strong> comparaison. Contentons-nous <strong>de</strong> faire remarquer que les autres<br />

associations sociales, culturelles et éducatives, rassemblent plutôt moins d’adhérents d<strong>ans</strong> leurs<br />

assemblées générales, et que les syndicats et partis politiques eux-mêmes ont du mal, sauf<br />

exception et contexte particulier, à rassembler leurs militants ...<br />

2 Rappelons que plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, à la FF<strong>MJC</strong> comme à l’UNIREG, ne bénéficient pas <strong>de</strong><br />

directeur fédéral.<br />

3 Formule que l’on rencontre souvent d<strong>ans</strong> les textes et les discours <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

4 Nous verrons plus loin comment l’évolution <strong>de</strong>s légitimations publiques, matérialisées par les<br />

subventionnements, marque l’histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

5 C’est abusivement, et par opposition à bénévole, que l’on emploie souvent l’expression <strong>de</strong><br />

“permanent” pour parler du directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>. Il est vrai que <strong>de</strong> nombreux directeurs - notamment<br />

les plus anciens - sont d’anciens “bénévoles” “intermittents”, <strong>de</strong>venus permanents. Mais il y a une<br />

différence essentielle entre le permanent d’un parti, d’un syndicat, d’un mouvement, et le<br />

professionnel d’une institution comme les <strong>MJC</strong> : le premier est un salarié élu, il tire sa légitimité <strong>de</strong>s<br />

suffrages ; le second est recruté, formé et nommé ; il tire sa légitimité <strong>de</strong> son savoir-faire<br />

matérialisé par l’acte <strong>de</strong> titularisation.


entre le décisionnel et l’opérationnel 1 .<br />

- 64 -<br />

Le <strong>de</strong>uxième collège du conseil d’administration est constitué par les membres associés, dont<br />

nous avons déjà fait état à propos <strong>de</strong> la composition et <strong>de</strong>s missions <strong>de</strong> l’assemblée générale.<br />

Le troisième collège, le plus nombreux, est composé <strong>de</strong>s membres élus par l’assemblée générale<br />

parmi les adhérents à jour <strong>de</strong> la cotisation individuelle. Le nombre <strong>de</strong> ces membres élus doit être au<br />

moins égal au total <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> droit et associés, plus un. Ainsi les adhérents individuels,<br />

usagers <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, constituent statutairement, au conseil<br />

d’administration comme à l’assemblée générale, la base majoritaire du pouvoir décisionnel <strong>de</strong> la<br />

structure . On peut même aller jusqu’à dire que les adhérents sont - toujours statutairement - le<br />

fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> toutes les décisions et <strong>de</strong> tous les mandats, d<strong>ans</strong> la mesure où, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leur<br />

position majoritaire, le choix <strong>de</strong>s membres associés et - par l’intermédiaire <strong>de</strong> l’adoption <strong>de</strong>s statuts<br />

types - le choix <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> droit, dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leur décision.<br />

Ce pouvoir statutaire, <strong>de</strong> droit pourrait-on dire, ne correspond pas généralement et forcément à<br />

un pouvoir <strong>de</strong> fait aussi clair. La municipalité, par exemple, a, en réalité, un pouvoir bien supérieur à<br />

celui que lui confère son seul mandat, d<strong>ans</strong> la mesure où elle est généralement le premier partenaire<br />

financier.<br />

Ce déséquilibre entre le fait et le droit <strong>de</strong>vient particulièrement évi<strong>de</strong>nt en cas <strong>de</strong> désaccord et <strong>de</strong><br />

conflit entre les intérêts <strong>de</strong>s usagers et ceux <strong>de</strong> la collectivité locale. D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> tels cas, on assiste<br />

souvent à <strong>de</strong>s oppositions conflictuelles entre trois logiques <strong>de</strong> légitimité quant à l’exercice <strong>de</strong>s<br />

pouvoirs décisionnels, opérationnels et évaluatifs : la logique statutaire, qui prévoit que les décisions<br />

doivent être prises à la majorité <strong>de</strong>s mandats d’assemblées où les adhérents usagers sont largement<br />

représentés ; la logique économique qui revendique que “les payeurs soient les déci<strong>de</strong>urs” 2 ; enfin la<br />

logique politique, qui induit que d<strong>ans</strong> la gestion <strong>de</strong>s biens publics, un maire élu par une majorité <strong>de</strong><br />

concitoyens aurait droit à plus <strong>de</strong> pouvoir qu’un prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> qui, d<strong>ans</strong> le meilleur <strong>de</strong>s cas, ne<br />

représenterait que sa base associative 3 .<br />

La cogestion est donc une pratique, à la fois juridique, politique et pédagogique, particulièrement<br />

complexe et dynamique, enrichissante, mais aussi conflictuelle. Juridique d’abord par sa forme<br />

statutaire, qui fait qu’un simple citoyen peut jouer à “voix égale” avec le maire <strong>de</strong> la commune d<strong>ans</strong><br />

1 Nous verrons également que la place qu’occupent les directeurs d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> et à tous les échelons<br />

institutionnels en font peut-être le maillon central <strong>de</strong> l’édifice autour duquel se cristallisent<br />

structurellement et historiquement les enjeux.<br />

2 Cette logique est en fait celle <strong>de</strong> l’entreprise capitaliste qui prévoit par exemple que l’actionnaire<br />

majoritaire soit en définitive le déci<strong>de</strong>ur. Ainsi le taux d’autofinancement <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> (part <strong>de</strong> l’apport<br />

<strong>de</strong>s usagers d<strong>ans</strong> le financement) <strong>de</strong>vrait jouer un rôle important d<strong>ans</strong> le respect statutaire <strong>de</strong><br />

l’indépendance associative et économique <strong>de</strong> la structure.<br />

3 La réalité <strong>de</strong>vient autrement plus complexe quand un conseil d’administration <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> se situe en<br />

opposition avec le maire <strong>de</strong> la commune. Les enjeux locaux traversent alors la <strong>MJC</strong>, qui peut <strong>de</strong>venir<br />

le point d’appui <strong>de</strong> nouvelles majorités d<strong>ans</strong> la démocratie locale. On pourrait citer un nombre<br />

important <strong>de</strong> cas.


- 65 -<br />

<strong>de</strong>s choix d’orientation concernant une part souvent importante <strong>de</strong> l’intérêt et <strong>de</strong>s biens publics 1 .<br />

Politique ensuite : il s’agit <strong>de</strong> penser qu’une société ne peut se construire et se développer qu’en<br />

associant d<strong>ans</strong> l’élaboration, la décision, la réalisation et l’évaluation, <strong>de</strong>s partenaires aussi différents<br />

que <strong>de</strong>s usagers, <strong>de</strong>s professionnels, <strong>de</strong>s groupements et associations, et <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s<br />

pouvoirs publics. Il s’agit en fait d’un projet politique différent <strong>de</strong> la gestion hiérarchique et<br />

traditionnelle d’un service public 2 d’une part, et d’une possible organisation autogestionnaire d’autre<br />

part. Pédagogique enfin, d<strong>ans</strong> la mesure où l’on suppose que l’individu et le citoyen ne se forment<br />

jamais aussi bien à la “lecture <strong>de</strong> la réalité sociale” 3 et à la gestion du bien public, que d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

pratiques d’élaboration, <strong>de</strong> décision et <strong>de</strong> réalisation qui associent les partenaires les plus divers et,<br />

notamment, les déci<strong>de</strong>urs, les salariés et les usagers. La cogestion est ainsi conçue, “y compris<br />

avec ses difficultés et ses contradictions, comme un acte particulièrement efficace <strong>de</strong> formation<br />

sociale et politique” 4 pouvant mettre en jeu “une pédagogie du conflit et <strong>de</strong> l’affrontement” 5 fortement<br />

revendiquée par la FF<strong>MJC</strong> jusqu’au début <strong>de</strong>s années 80.<br />

Le conseil d’administration ainsi constitué est responsable <strong>de</strong> la marche générale <strong>de</strong> la Maison<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture :<br />

- “Il arrête le projet <strong>de</strong> budget, établit les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> subventions et, à réception <strong>de</strong> celles-<br />

ci, les utilise selon les attributions et d<strong>ans</strong> les conditions qui lui sont fixées,<br />

- il gère les ressources propres <strong>de</strong> la Maison (cotisations, restaurant, bar, centre<br />

d’hébergement ...)<br />

- il approuve le compte d’exploitation et le rapport moral” 6 .<br />

Le conseil d’administration a donc une mission importante <strong>de</strong> gestion économique <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong><br />

(recettes et dépenses) et ce, d<strong>ans</strong> les limites <strong>de</strong>s pouvoirs budgétaires définis par l’assemblée<br />

générale (budget prévisionnel), quant aux montants et aux imputations (“selon les attributions et<br />

d<strong>ans</strong> les conditions qui lui sont fixées”).<br />

Il arrive cependant très souvent, que le conseil d’administration doive procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s<br />

modifications budgétaires sensibles en cours d’exercice, modifications dont il <strong>de</strong>vra rendre compte à<br />

l’assemblée générale d<strong>ans</strong> son rapport financier, compte d’exploitation à l’appui. Si ces modifications<br />

budgétaires sont trop importantes - réductions <strong>de</strong>s ressources propres et <strong>de</strong>s subventions mettant en<br />

1 Rappelons que certaines <strong>MJC</strong> gèrent <strong>de</strong>s budgets pouvant avoisiner une dizaine <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> francs.<br />

2 L’expression “service public par voie démocratique” revient souvent d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>.<br />

3 La “lecture <strong>de</strong> la réalité sociale” est, pour les <strong>MJC</strong>, essentielle d<strong>ans</strong> le processus <strong>de</strong> formation du<br />

citoyen.<br />

4 Texte préparatoire au Rassemblement national <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (FF<strong>MJC</strong>) <strong>de</strong> Reims (29-30-31 mai 1982).<br />

5 Texte préparatoire au Rassemblement national <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (FF<strong>MJC</strong>) <strong>de</strong> Reims.<br />

6 Statuts-type (article 15).


- 66 -<br />

jeu les équilibres et l’avenir <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> par exemple - le conseil d’administration s’en remettra à <strong>de</strong><br />

nouvelles décisions prises lors d’une assemblée générale extraordinaire.<br />

D<strong>ans</strong> le même temps, le conseil d’administration “favorise les activités <strong>de</strong> la Maison, conseille le<br />

directeur qui est le responsable <strong>de</strong> l’organisation pédagogique, propose <strong>de</strong>s suggestions à la<br />

Fédération Régionale” 1 .<br />

Il s’agit là du rôle pédagogique du conseil d’administration, qu’il doit remplir en cohérence avec sa<br />

fonction <strong>de</strong> gestion économique. On conçoit en effet mal qu’un conseil d’administration puisse<br />

longtemps favoriser les activités d’une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, s<strong>ans</strong> gérer les moyens<br />

nécessaires au développement <strong>de</strong> ces activités 2 . Il apparait au contraire très clairement, que c’est<br />

d<strong>ans</strong> cette recherche <strong>de</strong> cohérence entre le développement <strong>de</strong>s actions et la gestion <strong>de</strong>s moyens<br />

publics et privés, que se joue l’acte pédagogique <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> : connaissance <strong>de</strong> l’environnement<br />

social, articulation <strong>de</strong> l’action projetée avec le projet global <strong>de</strong> la structure, négociation <strong>de</strong>s moyens<br />

avec les partenaires, organisation <strong>de</strong>s forces favorables à la réalisation, évaluation <strong>de</strong>s résultats - à<br />

tel point que la gestion - et non la simple exécution comptable d’une décision - est constitutive <strong>de</strong><br />

l’action, et donc <strong>de</strong> l’acte éducatif visant à “la formation <strong>de</strong> citoyens actifs et responsables” 3 .<br />

Le conseil d’administration doit également assumer ses responsabilités vis à vis <strong>de</strong>s<br />

professionnels. D’abord, vis à vis <strong>de</strong>s directeurs mis à disposition par la Fédération Régionale, pour<br />

lesquels le conseil d’administration doit donner son accord <strong>de</strong> nomination ou les remettre à<br />

disposition en cas <strong>de</strong> carence <strong>de</strong> leur part et <strong>de</strong> situation conflictuelle insurmontable 4 . Ensuite, vis à<br />

vis <strong>de</strong>s personnels embauchés localement, pour lesquels le conseil d’administration doit assumer<br />

toutes ses responsabilités d’employeur comme n’importe quelle entreprise : embauche, formation,<br />

organisation, définition <strong>de</strong> poste, salaires, charges, droits syndicaux et éventuellement licenciement.<br />

Cette gestion <strong>de</strong>s personnels, <strong>de</strong> plus en plus importante compte tenu <strong>de</strong> la professionnalisation<br />

intense <strong>de</strong> ce secteur d’activité 5 , engage considérablement plus la responsabilité <strong>de</strong>s administrateurs<br />

que la simple gestion d’activités <strong>de</strong> loisirs. La position incontournable d’employeur, qui doit être<br />

articulée avec les fonctions <strong>de</strong> gestion et <strong>de</strong> développement d’actions (production), joue un rôle<br />

éminemment formateur. Ainsi un prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, salarié d’une entreprise publique ou privée d<strong>ans</strong><br />

1 Statuts-type (article 15).<br />

2 On connaît ça et là quelques faillites budgétaires liées à une articulation insuffisante entre le<br />

pédagogique et l’économique. De gran<strong>de</strong>s structures culturelles, notamment les Maisons <strong>de</strong> la<br />

Culture, doivent leurs crises périodiques, voire leur disparition, à un divorce entre la création et les<br />

créateurs d’un côté et l’administration et les administrateurs <strong>de</strong> l’autre.<br />

3 Statuts, article 2.<br />

4 Le système fédératif prévoit qu’on ne peut imposer un directeur à une <strong>MJC</strong> qui n’en voudrait pas.<br />

Ainsi le système fédératif ne limite-t-il pas l’entière liberté associative.<br />

5 Rappelons que certaines <strong>MJC</strong> sont comparables à <strong>de</strong> petites entreprises d<strong>ans</strong> la mesure où elles<br />

emploient plusieurs dizaines <strong>de</strong> salariés.


- 67 -<br />

laquelle il défend ses intérêts <strong>de</strong> salariés, est-il amené à assumer <strong>de</strong>s responsabilités d’employeur<br />

souvent difficiles. Les conflits employeur-employés sont courants, et il arrive qu’ils ne trouvent leur<br />

solution que <strong>de</strong>vant le juge <strong>de</strong>s prud’hommes 1 .<br />

Pour préparer les décisions, le conseil d’administration organise <strong>de</strong>s commissions <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong><br />

réflexion, dont le nombre peut être variable selon les circonstances et les activités <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> :<br />

commission financière, paritaire du personnel, <strong>de</strong> concertation avec la collectivité locale, information,<br />

communication, formation, équipement et locaux, animation interne, diffusion culturelle,<br />

programmation, enfance, jeunesse, insertion sociale, relation avec le milieu scolaire … ; ou même<br />

par secteurs d’activités importants : arts plastiques, cinéma, audiovisuel, sport, théâtre, …<br />

Certaines <strong>de</strong> ces commissions - les plus institutionnelles - sont couramment “pratiquées”,<br />

notamment la commission financière animée par le trésorier qui prépare le budget et contrôle son<br />

exécution, et la commission paritaire du personnel qui gère les relations entre le conseil<br />

d’administration employeur et les salariés <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture représentés par<br />

leurs délégués.<br />

Certaines commissions ont une vocation globale (commission animation par exemple), d’autres<br />

sont très spécialisées (cinéma, théâtre, enfance...). Certaines, notamment celles qui sont très<br />

spécialisées, ont une double fonction : en amont, <strong>de</strong> préparer la décision du conseil d’administration,<br />

en aval, <strong>de</strong> réaliser les opérations avec les acteurs professionnels et bénévoles <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. Elles<br />

sont ainsi à l’articulation <strong>de</strong> l’opérationnel et du décisionnel. Il arrive même que <strong>de</strong>s commissions<br />

aient une existence très éphémère - ce qui ne veut pas dire qu’elles ne soient pas opérationnelles ni<br />

indispensables - , car liées à la réalisation d’une opération spécifique (carnaval, action ponctuelle,<br />

festival...), ou à une situation conjoncturelle (crise particulièrement grave par exemple).<br />

Les commissions regroupent un nombre <strong>de</strong> personnes plus ou moins important et elles peuvent<br />

être très ouvertes : membres du conseil d’administration, personnels, adhérents, personnes ou<br />

structures extérieures à la <strong>MJC</strong> elle-même. Elles sont souvent les lieux où se vivent le partenariat et<br />

la cogestion d<strong>ans</strong> leurs multiples fonctions - coélaboration, coréalisation et coévaluation - la<br />

codécision, quant à elle, restant du ressort du conseil d’administration ou, en cas d’urgence, du<br />

bureau.<br />

D<strong>ans</strong> certaines Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, où l’activité est importante et les<br />

commissions nombreuses, actives et fréquentes, le nombre d’adhérents, d’usagers, <strong>de</strong> responsables<br />

bénévoles et <strong>de</strong> partenaires, qui participent tant au niveau décisionnel qu’opérationnel à l’action <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong>, peut être assez considérable 2 : plusieurs dizaines, voire une centaine <strong>de</strong> personnes. On<br />

pourrait ainsi définir une sorte d’indicateur quantitatif <strong>de</strong> civisme associatif, culturel ou social <strong>de</strong> la<br />

1 Ce fut souvent le cas lors <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong> la convention collective <strong>de</strong> l’animation socioculturelle.<br />

2 C’est sur cette base-là que l’on évalue la part <strong>de</strong> bénévolat valorisé d<strong>ans</strong> les budgets <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.


<strong>MJC</strong> 1 .<br />

- 68 -<br />

Mais la prise en compte du seul aspect quantitatif <strong>de</strong> “l’implication”, terme souvent employé d<strong>ans</strong><br />

les <strong>MJC</strong> et la vie associative en général, reste sommaire, si on la compare au projet affiché <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

: “former <strong>de</strong>s citoyens actifs et responsables d’une communauté vivante”. En effet, l’implication, y<br />

compris d<strong>ans</strong> la participation aux commissions, peut être plus technique, c’est-à-dire liée à la seule<br />

activité (cinéma, théâtre, sport...), que politique (réalisation du projet pédagogique et démocratique<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> 2 ), ce qui expliquerait, d<strong>ans</strong> certains cas, le décalage entre un fort bénévolat et une faible<br />

participation associative, se traduisant, par exemple, par une présence limitée <strong>de</strong>s adhérents à<br />

l’assemblée générale annuelle 3 .<br />

Le conseil d’administration élit parmi ses membres pour un an son bureau, qui comprend<br />

généralement un prési<strong>de</strong>nt, un ou plusieurs vice-prési<strong>de</strong>nts, un secrétaire, un trésorier, et,<br />

éventuellement, un secrétaire-adjoint et un trésorier-adjoint, un ou plusieurs membres.<br />

Le bureau a une double mission : préparer les travaux du conseil d’administration, dont il fixe<br />

généralement les ordres du jour, et veiller à l’exécution <strong>de</strong> ses décisions. Le bureau constitue ainsi<br />

l’instance avancée du décisionnel d<strong>ans</strong> l’opérationnel. A ce niveau, les responsabilités sont<br />

personnalisées et concentrées d<strong>ans</strong> les mains d’un nombre limité <strong>de</strong> responsables : le prési<strong>de</strong>nt,<br />

responsable du fonctionnement <strong>de</strong>s instances et représentant <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> à l’extérieur, le secrétaire,<br />

garant et porteur <strong>de</strong>s décisions et <strong>de</strong> la parole <strong>de</strong> l’association, le trésorier, responsable <strong>de</strong> sa<br />

gestion et <strong>de</strong> ses équilibres budgétaires 4 .<br />

Les membres du bureau sont le plus souvent choisis parmi les membres élus du conseil<br />

d’administration. Mais il peut arriver que <strong>de</strong>s membres associés soient membres du bureau. Les<br />

membres <strong>de</strong> droit peuvent difficilement occuper <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> responsabilité d<strong>ans</strong> une telle instance,<br />

même si les statuts ne s’y opposent pas formellement. On conçoit mal que le chef <strong>de</strong> service <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, le délégué régional <strong>de</strong> la Fédération, et à fortiori le directeur, soient<br />

prési<strong>de</strong>nt, secrétaire ou trésorier <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. Mais il arrive que le maire soit prési<strong>de</strong>nt 5 , même si les<br />

cas sont assez rares. Le directeur est membre du bureau à titre <strong>de</strong> technicien, <strong>de</strong> conseiller, mais<br />

1 La seule FF<strong>MJC</strong> compterait quelque 20.000 bénévoles et l’UNIREG 16.000, ce qui est<br />

proportionnellement plus important. Mais où commence le bénévolat ?<br />

2 “Projet démocratique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>”, terme qui revient souvent d<strong>ans</strong> le langage <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années<br />

70 (voir Journées Nationales d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à Dieppe en 1974).<br />

3 L’évolution d’un militantisme du projet vers un militantisme <strong>de</strong> l’activité, du hobby, voire du produit,<br />

pourrait caractériser l’évolution <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et plus précisément <strong>de</strong> leurs adhérents. N’irait-on pas<br />

aujourd’hui à un nouveau militantisme du projet, qui passerait par la qualité <strong>de</strong> l’action et du produit<br />

?<br />

4 On confond souvent, à tort, les rôles <strong>de</strong> secrétaire administrateur et <strong>de</strong> trésorier, qui relèvent du<br />

décisionnel et du politique, avec les fonctions <strong>de</strong> secrétaire administratif et <strong>de</strong> comptable, qui sont<br />

du ressort <strong>de</strong> l’opérationnel, même si, d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> salarié, ces fonctions peuvent être remplies<br />

par les mêmes personnes.<br />

5 C’est le cas à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Bastia où le Maire <strong>de</strong> la ville est membre <strong>de</strong> droit et prési<strong>de</strong>nt.


avec simple voix consultative.<br />

b) l’opérationnel<br />

- 69 -<br />

La mise en oeuvre <strong>de</strong>s projets et l’exécution <strong>de</strong>s décisions sont coordonnées par le directeur,<br />

quand il y en a un, ou par le bureau. Il peut arriver que <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> aient, en l’absence <strong>de</strong> directeur<br />

professionnel et permanent, un directeur bénévole. C’est le cas <strong>de</strong> certaines <strong>MJC</strong> affiliées à<br />

l’UNIREG, notamment d<strong>ans</strong> le sud-ouest <strong>de</strong> la France 1 . Ainsi les limites entre espaces décisionnels<br />

et opérationnels sont-elles clairement définies 2 .<br />

Le directeur coordonne un ensemble plus ou moins important <strong>de</strong> forces et <strong>de</strong> services composés<br />

<strong>de</strong> salariés, et éventuellement <strong>de</strong> bénévoles. Ces forces - que l’on appelle aujourd’hui <strong>de</strong> plus en<br />

plus <strong>de</strong>s “ressources humaines” 3 - sont généralement rassemblées d<strong>ans</strong> trois services : administratif,<br />

technique et éducatif.<br />

Ces services, plus ou moins conséquents selon l’importance et les spécificités <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, sont<br />

finalisés autour <strong>de</strong>s objectifs sociaux, culturels et éducatifs, si bien qu’en principe, le technique et<br />

l’administratif servent le développement <strong>de</strong> l’éducatif 4 .<br />

Le service administratif, quand il est assuré par <strong>de</strong>s professionnels, se réduit souvent à une seule<br />

personne qui assure les fonctions <strong>de</strong> secrétariat, <strong>de</strong> comptabilité et d’accueil. Les <strong>MJC</strong> les plus<br />

importantes, notamment celles qui gèrent <strong>de</strong> l’hébergement et <strong>de</strong> la restauration 5 , ont <strong>de</strong>s services<br />

administratifs plus conséquents, qui peuvent rassembler une secrétaire <strong>de</strong> direction, un chef<br />

comptable, <strong>de</strong>s personnels d’accueil et <strong>de</strong> dactylographie. Mais il arrive très souvent que ces<br />

services soient assurés par le directeur lui-même ou par <strong>de</strong>s bénévoles.<br />

En effet, s’agissant <strong>de</strong>s différentes catégories <strong>de</strong> fonctions du directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et du temps qu’il<br />

consacre à chacune, ce sont les fonctions logistiques 6 qui accaparent le plus les personnels<br />

1 André Jager, ancien délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, assure que c’était une pratique courante avant la<br />

scission <strong>de</strong> 1969 et même après.<br />

2 D<strong>ans</strong> les <strong>de</strong>ux enquêtes (Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui - réalités et impact parlant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et Faits,<br />

chiffres et images d’associations portant sur l’UNIREG) on fait bien la différence entre les bénévoles<br />

administrateurs et les bénévoles responsables d’activités, les premiers relevant du décisionnel et les<br />

seconds <strong>de</strong> l’opérationnel, même s’il est très courant qu’une même personne puisse avoir les <strong>de</strong>ux<br />

statuts.<br />

3 La FF<strong>MJC</strong> a une délégation générale <strong>de</strong> la formation, du développement et <strong>de</strong>s ressources humaines.<br />

4 Cette évi<strong>de</strong>nce a besoin d’être rappelée, car il peut arriver qu’une <strong>MJC</strong> dotée <strong>de</strong> moyens logistiques<br />

n’ait pas les moyens éducatifs, sociaux et culturels suffisants. Les situations inverses sont aussi<br />

courantes. La question <strong>de</strong>s équilibres dynamiques entre l’administratif, le technique et l’éducatif<br />

occupent beaucoup les administrateurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, notamment en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> développement,<br />

d’autant que les enjeux sont également syndicaux.<br />

5 Certaines <strong>MJC</strong> gèrent en effet <strong>de</strong>s C.I.S. (centres internationaux <strong>de</strong> séjour), <strong>de</strong>s restaurants sociaux<br />

et <strong>de</strong>s cafétérias.<br />

6 Christian Lucie, op. cit., p 64.


- 70 -<br />

interrogés (57% d’entre eux), bien avant les fonctions <strong>de</strong> direction, <strong>de</strong> production et <strong>de</strong> distribution.<br />

Et, parmi ces fonctions logistiques, la comptabilité, l’administration générale, les achats, occupent<br />

une place considérable : <strong>de</strong> 40 à 95% <strong>de</strong>s personnes interrogées, selon les fonctions. De nombreux<br />

directeurs, notamment les plus anciens, ont souvent passé une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur vie<br />

professionnelle s<strong>ans</strong> personnel administratif.<br />

D<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> directeur, les tâches administratives sont généralement assurées par <strong>de</strong>s<br />

bénévoles : le secrétaire du conseil d’administration est aussi dactylographe, et le trésorier doit faire<br />

la comptabilité et tenir la caisse.<br />

Le service technique obéit à <strong>de</strong>s logiques comparables. Il peut rassembler un nombre important<br />

<strong>de</strong> salariés (personnels d’entretien, veilleurs <strong>de</strong> nuit, offsetistes, régisseurs, sonorisateurs,<br />

éclairagistes...), ou se réduire à l’unité (une femme <strong>de</strong> ménage à temps partiel). Il n’est pas rare <strong>de</strong><br />

rencontrer <strong>de</strong>s directeurs qui assurent <strong>de</strong>s fonctions d’entretien <strong>de</strong>s locaux et du matériel : 16%<br />

d’entre eux signalent qu’ils remplissent occasionnellement ou régulièrement ces fonctions 1 . L’époque<br />

du directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> bricoleur ou balayeur n’est pas complètement révolue 2 .<br />

Les bénévoles eux-mêmes assument très souvent tout ou partie <strong>de</strong> ces tâches : ménage,<br />

réfection <strong>de</strong>s locaux, entretien et utilisation du matériel… Il n’est pas rare que <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong><br />

bénévoles se mettent en place pour réaliser <strong>de</strong>s travaux importants : maçonnerie, électricité,<br />

plomberie, aménagement <strong>de</strong> studios son-image, <strong>de</strong> régies, initiatives qui sont relativement<br />

inconcevables d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s structures publiques ou strictement marchan<strong>de</strong>s.<br />

Le service pédagogique, qu’il soit culturel, socio-culturel, social, sportif, est bien évi<strong>de</strong>mment<br />

essentiel et celui vers lequel doivent converger toutes les dynamiques. Là aussi, on constate <strong>de</strong><br />

fortes disparités : <strong>de</strong> quelques bénévoles jusqu’à <strong>de</strong>s équipes qui peuvent rassembler plusieurs<br />

dizaines voire plus <strong>de</strong> cinquante salariés, aidés ou non par <strong>de</strong>s bénévoles. D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> telles situations,<br />

les services peuvent être clairement hiérarchisés, avec <strong>de</strong>s animateurs <strong>de</strong> secteurs (activités<br />

régulières, secteur culturel, social, sportif, jeunes ...), et <strong>de</strong>s animateurs spécialisés (technicien<br />

d’activité, formateur, créateur, animateur-enseignant...). Les directeurs eux-mêmes peuvent, en plus<br />

<strong>de</strong> leur fonction <strong>de</strong> coordination, participer directement à ce service : 42% d’entre eux disent faire <strong>de</strong><br />

l’animation directe 3 .<br />

Très souvent, ce secteur diversifié et même d’aspect hétéroclite - en effet, quoi <strong>de</strong> commun sous<br />

l’angle <strong>de</strong> l’activité entre un alpiniste et un joueur <strong>de</strong> go ! - est coordonné par un conseil d’activité,<br />

1 Christian Lucie, op. cit., p 68.<br />

2 Bien évi<strong>de</strong>mment, plus on remonte d<strong>ans</strong> le temps et plus les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> assuraient ces<br />

fonctions. “D<strong>ans</strong> la première <strong>MJC</strong> que j’ai dirigée à la fin <strong>de</strong>s années 40, je <strong>de</strong>vais entretenir le feu <strong>de</strong><br />

18 poêles ...” Entretien avec Jean Destrée, ancien délégué régional Ile-<strong>de</strong>-France (FF<strong>MJC</strong>).<br />

3 Ch. Lucie, op. cit., p 67. Nous verrons comment à travers l’histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, le contenu <strong>de</strong> travail du<br />

directeur évolue, vraisemblablement <strong>de</strong> l’animation directe dominante à la coordination, ce qui<br />

positionne plus aujourd’hui le directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> en chef d’entreprise qu’en animateur.


- 71 -<br />

d’animation ou un conseil <strong>de</strong> maison 1 composé <strong>de</strong> salariés, <strong>de</strong> bénévoles, voire même d’adhérents,<br />

pratiquant régulièrement une ou plusieurs activités.<br />

D’autre part, il est courant que chaque secteur d’activité, et même chaque activité, ait ses propres<br />

structures d’animation définissant les actions, leur évolution et leur gestion financière d<strong>ans</strong> les<br />

cadres définis par les instances <strong>de</strong> décision globale (assemblée générale, conseil d’administration et<br />

bureau). La plupart <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> encouragent et soutiennent la prise <strong>de</strong> responsabilité et “l’auto-<br />

organisation” d<strong>ans</strong> les activités elles-mêmes, c’est à dire au plus près <strong>de</strong>s adhérents et <strong>de</strong>s usagers,<br />

encore que nombre d’entre elles - et c’est une évolution historique sur laquelle nous aurons<br />

l’occasion <strong>de</strong> revenir - se contentent <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s activités ou <strong>de</strong>s produits, <strong>de</strong> plus ou moins<br />

gran<strong>de</strong> qualité, à <strong>de</strong>s usagers, s<strong>ans</strong> que ceux-ci ne soient invités à intervenir sur les choix.<br />

Ainsi la boucle est bouclée. Nous sommes partis <strong>de</strong>s usagers-adhérents constituant la base large<br />

<strong>de</strong> l’espace décisionnel pour retrouver ces usagers comme objets <strong>de</strong> l’opérationnel. Cette<br />

organisation-type <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture appelle quelques remarques importantes<br />

pour la poursuite <strong>de</strong> notre analyse :<br />

1) A la différence <strong>de</strong> l’organisation publique (service municipal par exemple) et <strong>de</strong> l’entreprise<br />

purement marchan<strong>de</strong>, où les usagers et les clients ne sont pas les déci<strong>de</strong>urs, sauf <strong>de</strong> manière très<br />

indirecte, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ne fonctionne pas <strong>de</strong> manière linéaire, mais en<br />

quelque sorte <strong>de</strong> manière circulaire, d<strong>ans</strong> la mesure où les usagers sont réellement ou<br />

potentiellement à la base <strong>de</strong> la décision.<br />

Les usagers sont au commencement <strong>de</strong> la décision, pourrait-on dire, par <strong>de</strong>ux itinéraires :<br />

l’itinéraire décisionnel proprement dit, par définition <strong>de</strong>s orientations et mandat électif ; l’itinéraire<br />

opérationnel, d’une manière plus régulière, par l’expression directe d<strong>ans</strong> les conseils d’activités,<br />

d’animation et les commissions. C’est cette double articulation démocratique, qui dynamise le<br />

fonctionnement <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> et sa fonction <strong>de</strong> formatrice <strong>de</strong> citoyens, même si ce double itinéraire est<br />

générateur <strong>de</strong> conflit 2 , conflit possible entre les décisions du conseil d’administration, appuyé sur la<br />

légitimité <strong>de</strong> l’assemblée générale, et l’expression, voire la contestation, <strong>de</strong>s adhérents et <strong>de</strong>s<br />

acteurs, regroupés d<strong>ans</strong> les structures opérationnelles. Ce sont, du reste, généralement les<br />

adhérents et bénévoles qui se sont manifestés d<strong>ans</strong> l’opérationnel et ses structures intermédiaires<br />

(conseil d’activités, d’animation et <strong>de</strong> maison, commissions), qui animent et contestent les élus d<strong>ans</strong><br />

le cadre <strong>de</strong> l’assemblée générale annuelle, jusqu’à présenter leur candidature contre eux 3 .<br />

Autrement dit, le décisionnel, au fonctionnement relativement conventionnel et formel, est dynamisé<br />

1 Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir longuement sur l’histoire, la fonction et la quasi-disparition <strong>de</strong>s<br />

conseils <strong>de</strong> maison.<br />

2 Les <strong>MJC</strong> se réclament souvent d’une pédagogie du conflit et <strong>de</strong> l’affrontement (Rassemblement<br />

National <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> [FF<strong>MJC</strong>], 29-30-31 mai 1982, textes préparatoires).<br />

3 Ce sont les conseils <strong>de</strong> maison qui, comme nous le verrons, ont fortement dynamisé jusqu’à la fin <strong>de</strong>s<br />

années 70 les <strong>MJC</strong> et leurs conseils d’administration initialement composés <strong>de</strong> notables.


- 72 -<br />

par la vitalité quotidienne <strong>de</strong> l’opérationnel. Ainsi l’opérationnel est-il le champ d’expérimentation à<br />

plusieurs niveaux - élémentaire d<strong>ans</strong> l’activité, et d’une manière plus élaborée d<strong>ans</strong> les conseils et<br />

commissions - <strong>de</strong> la démocratie, <strong>de</strong> la citoyenneté et <strong>de</strong> l’engagement, qui doivent s’affirmer d’une<br />

manière institutionnelle d<strong>ans</strong> l’espace décisionnel jusqu’aux prises <strong>de</strong> responsabilités majeures.<br />

2) La Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, à la différence <strong>de</strong>s associations traditionnelles,<br />

généralement composées <strong>de</strong>s seuls adhérents individuels, est une structure institutionnellement<br />

ouverte par le partenariat qu’elle met en jeu, aussi bien d<strong>ans</strong> les espaces décisionnels (membres <strong>de</strong><br />

droit, associés, élus, personnels) qu’opérationnels (commissions <strong>de</strong> réflexion, <strong>de</strong> travail, cellules<br />

opérationnelles). C’est ce qui constitue son caractère cogestionnaire original, qui la distingue <strong>de</strong>s<br />

associations traditionnelles et <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong>s mouvements.<br />

3) La <strong>MJC</strong> est un système organisé plus ou moins complexe et hiérarchisé, <strong>de</strong><br />

responsabilités et <strong>de</strong> fonctions. Sa gestion associative n’exclut donc pas la hiérarchie et une division<br />

du travail 1 grandissante, au fur et à mesure qu’elle acquiert <strong>de</strong> l’importance. De ce point <strong>de</strong> vue-là, la<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture à gestion associative n’échappe pas à la logique <strong>de</strong> toute<br />

entreprise qui, se développant, voit ses fonctions se hiérarchiser et son travail se diviser, passant en<br />

quelque sorte <strong>de</strong> la “coopération simple” au “machinisme industriel”, pour reprendre d’une manière<br />

large <strong>de</strong>ux catégories du Capital <strong>de</strong> Marx.<br />

Cependant, si l’on peut appliquer aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture le schéma général <strong>de</strong><br />

l’entreprise défini par Fayol 2 , il n’en reste pas moins vrai qu’elles ont une caractéristique essentielle :<br />

leurs adhérents, usagers ou publics, ainsi que les partenaires pour lesquels elles remplissent un<br />

service d’intérêt général - autrement dit, leurs clients individuels et collectifs, objets <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>stination - sont en même temps les déci<strong>de</strong>urs, ceux qui définissent les préférences et déterminent<br />

les choix <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> direction. On pourrait dire que “les clients”, privés ou publics 3 , sont en<br />

même temps les “détenteurs <strong>de</strong>s capitaux” nécessaires au fonctionnement <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> et à la<br />

réalisation <strong>de</strong> ses objectifs. Nous retrouvons là la forme circulaire <strong>de</strong> l’organisation, les “objets” <strong>de</strong><br />

l’opérationnel étant à la fois “sujets” du décisionnel, ce qui définit la <strong>MJC</strong> comme association s<strong>ans</strong><br />

but lucratif privé, les déci<strong>de</strong>urs n’ayant pas le droit <strong>de</strong> partager les bénéfices 4 .<br />

1 Ceci mérite d’être signalé d<strong>ans</strong> la mesure où d’une part la vie associative est souvent synonyme <strong>de</strong><br />

fonctionnement communautaire non hiérarchisé et égalitaire et que d’autre part, pendant<br />

longtemps, les valeurs <strong>de</strong> référence <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> furent assez contradictoires avec les logiques<br />

nécessaires <strong>de</strong> hiérarchisation <strong>de</strong> leurs foncions et <strong>de</strong> la division du travail. L’application obligatoire<br />

<strong>de</strong> la convention collective <strong>de</strong> l’animation socio-culturelle qui prévoit neuf fonctions professionnelles<br />

atteste clairement <strong>de</strong> cette division hiérarchisée du travail.<br />

2 Voir Ch. Lucie, op. cit., p. 39 (annexe).<br />

3 Il n’y a rien d’aberrant à considérer la collectivité comme un client qui passe contrat avec la <strong>MJC</strong> sur<br />

les missions et les moyens. La subvention prend ainsi un autre sens : ce n’est plus un acte <strong>de</strong><br />

donation visant à satisfaire l’intérêt individuel d’adhérents, mais la matérialisation <strong>de</strong> l’achat d’un<br />

service d’intérêt général que la collectivité choisit <strong>de</strong> sous-traiter.<br />

4 Il y a encore beaucoup <strong>de</strong> confusion sur le sens d’“association s<strong>ans</strong> but lucratif”. Certains, y compris<br />

d<strong>ans</strong> les associations, pensent qu’elles ne doivent pas faire <strong>de</strong> bénéfices et donc être toujours en


- 73 -<br />

4) D<strong>ans</strong> cette organisation, le directeur occupe une place centrale à l’interface <strong>de</strong><br />

l’opérationnel et du décisionnel : il remplit <strong>de</strong>s fonctions multiples, variables et différemment dosées<br />

selon les postes <strong>de</strong> travail occupés.<br />

c) place et fonctions du directeur<br />

Le directeur <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture a cette faculté définie par son statut d<strong>ans</strong><br />

l’association, <strong>de</strong> participer à la décision et <strong>de</strong> coordonner sa mise en oeuvre. D<strong>ans</strong> l’espace<br />

décisionnel, il a le statut <strong>de</strong> membre <strong>de</strong> droit avec voix délibérative d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision<br />

majeures : assemblée générale et conseil d’administration. Sa fonction y est essentiellement<br />

pédagogique 1 ; il forme, conseille et ai<strong>de</strong> les administrateurs à l’élaboration <strong>de</strong>s projets et à la prise<br />

<strong>de</strong> décision, en fonction <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux critères essentiels : la prise en compte <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong> sociale, et<br />

le respect <strong>de</strong>s objectifs et <strong>de</strong>s grands principes <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. Ce rôle pédagogique<br />

n’est pas purement formel. Le directeur est également force <strong>de</strong> propositions concrètes et c’est, du<br />

reste, souvent ce que ses partenaires atten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui, pour répondre aux besoins <strong>de</strong>s publics et<br />

acteurs divers <strong>de</strong> l’espace social concerné par la <strong>MJC</strong>. Le directeur est donc un pédagogue impliqué<br />

d<strong>ans</strong> le contenu - et pas seulement d<strong>ans</strong> la forme - <strong>de</strong> la décision, la question étant <strong>de</strong> savoir lequel,<br />

du contenu <strong>de</strong> la décision ou <strong>de</strong> la forme démocratique avec laquelle elle a été prise, importe le plus.<br />

De ce point <strong>de</strong> vue, on peut repérer une différence essentielle entre un directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et un chef<br />

d’entreprise : le second met également en oeuvre une pédagogie 2 qui reste cependant un moyen au<br />

service <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> la richesse et du profit, alors que le premier peut considérer que les actions<br />

menées ne sont qu’un moyen <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> citoyens par l’expérimentation sociale. Mais <strong>de</strong> ce<br />

point <strong>de</strong> vue-là aussi, on peut voir comment <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> ont évolué vers une certaine<br />

inversion <strong>de</strong>s finalités et <strong>de</strong>s moyens.<br />

Le directeur <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture a également pour mission - celle qui occupe<br />

la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son temps - <strong>de</strong> coordonner et <strong>de</strong> contrôler la mise en oeuvre <strong>de</strong>s décisions :<br />

organisation du travail, programmation <strong>de</strong>s opérations et <strong>de</strong>s actions, entretien <strong>de</strong>s espaces et <strong>de</strong>s<br />

outils techniques, gestion <strong>de</strong>s personnels, conseil et formation <strong>de</strong>s bénévoles. Cette position justifie<br />

que le directeur soit, par exemple, chef du personnel.<br />

Le directeur doit régulièrement rendre compte <strong>de</strong> ses missions ainsi que <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> ses<br />

déficit. Cela veut simplement dire que les bénéfices ne peuvent être distribués à <strong>de</strong>s personnes<br />

privées. Du reste, on ne peut acheter une association comme l’on rachète une entreprise privée. La<br />

<strong>MJC</strong> peut se trouver en dépôt <strong>de</strong> bilan ; la Fédération régionale (autre association loi 1901) est alors<br />

chargée <strong>de</strong> la liquidation et <strong>de</strong> la dévolution <strong>de</strong> ses biens, sous le contrôle du Ministère <strong>de</strong> tutelle<br />

(Statuts, art. 24).<br />

1 D’où le titre <strong>de</strong> directeur-éducateur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> plutôt qu’animateur.<br />

2 Voir Jean-Christian Fauvet et Jean-René Fouretout : La passion d’entreprendre, Éditions<br />

d’organisation, 1985.


- 74 -<br />

collaborateurs et bénévoles aux instances <strong>de</strong> décision, conseil d’administration et bureau <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>.<br />

Le directeur se trouve ainsi d<strong>ans</strong> une situation paradoxale : à la fois “formateur” du conseil<br />

d’administration, et responsable <strong>de</strong>vant lui. Ce n’est pas banal, et pour tout dire difficilement<br />

concevable, que d<strong>ans</strong> notre société un salarié (ouvrier, cadre, enseignant, fonctionnaire d’Etat …)<br />

soit “formateur” <strong>de</strong> la personne, <strong>de</strong> l’instance ou <strong>de</strong> l’institution à laquelle il doit rendre compte <strong>de</strong> son<br />

activité professionnelle. Nous avons en effet montré 1 ce que cette situation institutionnellement<br />

réglée avait <strong>de</strong> paradoxal, et comment elle était à la fois génératrice d’une dynamique pédagogique,<br />

mais aussi source <strong>de</strong> conflits. Le directeur se trouve en effet, très souvent, en conflit avec <strong>de</strong>s<br />

partenaires - élus associatifs, municipaux, personnels - qu’il a, par ailleurs, formés à la prise <strong>de</strong><br />

responsabilité et à la pratique du pouvoir. Comme ces partenaires, regroupés d<strong>ans</strong> le conseil<br />

d’administration, peuvent en cas d’affrontement grave <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la remise à disposition du directeur<br />

à la Fédération régionale, on peut juger du danger que représente parfois pour le professionnel son<br />

engagement pédagogique.<br />

La situation ne serait pas seulement paradoxale mais institutionnellement contradictoire, si le<br />

directeur était, comme c’est souvent le cas d<strong>ans</strong> les Centres sociaux ou les Maisons <strong>de</strong> quartier 2 ,<br />

employé <strong>de</strong> l’association. Il aurait pour mission <strong>de</strong> former les membres d’un conseil d’administration<br />

qui serait, en même temps, son employeur. La mise à disposition du directeur auprès <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> par<br />

l’appareil fédéral, qui assume ainsi les responsabilités d’employeur, permet généralement <strong>de</strong><br />

débloquer les situations conflictuelles en garantissant, d’un côté les intérêts et l’avenir professionnel<br />

du directeur, et en évitant, d’autre part, à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> s’enliser d<strong>ans</strong> le conflit, ou d’avoir recours au<br />

licenciement 3 .<br />

A la place où il est situé, le directeur remplit différentes fonctions décisionnelles et opérationnelles<br />

que l’on peut regrouper - comme l’a fait Christian Lucie, en s’appuyant sur le modèle <strong>de</strong> l’entreprise<br />

<strong>de</strong> Fayol 4 - en quatre gran<strong>de</strong>s catégories : la direction proprement dite, la distribution, la production<br />

et la logistique. Ce sont les fonctions logistiques qui accaparent le plus les directeurs: pour près <strong>de</strong><br />

<strong>60</strong>% d’entre eux, ils y consacrent en moyenne 33% <strong>de</strong> leur temps <strong>de</strong> travail, la fourchette variant <strong>de</strong><br />

20 à plus <strong>de</strong> 50%. Ensuite viennent les fonctions <strong>de</strong> direction (27% en moyenne pour une fourchette<br />

variant <strong>de</strong> 10 à 50%), les fonctions <strong>de</strong> production (21% du temps <strong>de</strong> travail avec un écart allant <strong>de</strong> 5<br />

1 Comment le directeur-éducateur <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture peut-il être à la fois<br />

“formateur” du conseil d’administration et responsable <strong>de</strong>vant lui ? Analyse d’un paradoxe<br />

institutionnel - Ronéo (40 p.) 1982.<br />

2 Il est assez courant que <strong>de</strong>s animateurs <strong>de</strong> centres sociaux et socio-culturels soient licenciés par <strong>de</strong>s<br />

conseils d’administration qu’ils ont contribué à former.<br />

3 A titre d’exemple, la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée et son délégué ont dû, en 1990, muter “pour nécessité <strong>de</strong><br />

service” huit directeurs sur trente en raison <strong>de</strong>s situations conflictuelles qu’ils connaissaient sur leur<br />

poste <strong>de</strong> travail.<br />

4 Op. cit.


- 75 -<br />

à 35%), et enfin les fonctions <strong>de</strong> distribution (19% du temps <strong>de</strong> travail pour une fourchette <strong>de</strong> 5 à<br />

40%).<br />

Ces données appellent quelques remarques :<br />

1) La participation à la décision, totalement comprise d<strong>ans</strong> la fonction <strong>de</strong> direction, n’occupe<br />

pas la totalité <strong>de</strong> cette fonction qui, par ailleurs, n’est pas la plus importante en investissement <strong>de</strong><br />

temps. Certes, aucun directeur ne se soustrait aux gran<strong>de</strong>s fonctions décisionnelles : 95% d’entre<br />

eux rassemblent les données, 100% informent élus et personnels, 84% les motivent, 68% les<br />

forment, 71% déci<strong>de</strong>nt. Le directeur n’est donc pas un simple exécutant ou contrôleur technique,<br />

sorte <strong>de</strong> contremaître, <strong>de</strong> l’exécution <strong>de</strong> décisions auxquelles il n’aurait pas participé.<br />

Mais il n’en reste pas moins vrai que les fonctions opérationnelles occupent la plus gran<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> son temps. Parmi ces fonctions, on dénombre les activités <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> l’exécution <strong>de</strong>s<br />

décisions, classées par Christian Lucie d<strong>ans</strong> les fonctions non décisionnelles <strong>de</strong> direction,<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> distribution (attente <strong>de</strong>s adhérents, inscriptions aux activités,<br />

organisation <strong>de</strong> ces inscriptions et suivi <strong>de</strong>s paiements, relations avec les adhérents, publicité), la<br />

totalité <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> production (mise en place, coordination et contrôle <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s<br />

activités, animation directe), et enfin les fonctions logistiques (achat <strong>de</strong> fournitures, comman<strong>de</strong>s<br />

d’équipement, entretien du matériel et <strong>de</strong>s locaux, recrutement et contrôle du personnel,<br />

comptabilité, recherche <strong>de</strong> financements, amélioration <strong>de</strong>s activités et administration générale).<br />

Malgré, donc, le développement <strong>de</strong> la division <strong>de</strong>s fonctions et du travail, le directeur <strong>de</strong> Maison<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture reste un touche-à-tout : bricoleur le matin, comptable à midi, hôtesse<br />

d’accueil et animateur l’après-midi, administrateur et négociateur le soir, colleur d’affiches la nuit ... Il<br />

faut encore l’imaginer d<strong>ans</strong> la même journée entretenant les locaux et le matériel en bleu <strong>de</strong> travail,<br />

et négociant en costume-cravate projets et subventions chez le député-maire.<br />

2) Si tous les directeurs disent remplir peu ou prou toutes ces fonctions décisionnelles et<br />

opérationnelles <strong>de</strong> direction, <strong>de</strong> distribution, <strong>de</strong> production et logistiques, il faut bien remarquer qu’eu<br />

égard au temps que chacun y consacre, les “dosages” ne sont pas les mêmes pour tous les postes.<br />

Selon l’enquête <strong>de</strong> Christian Lucie concernant un groupe pourtant limité <strong>de</strong> directeurs (une<br />

vingtaine), les écarts sont considérables : <strong>de</strong> 20 à 55% du temps pour les fonctions logistiques, <strong>de</strong><br />

10 à 50% pour les fonctions <strong>de</strong> direction, <strong>de</strong> 5 à 35% pour les fonctions <strong>de</strong> production, et enfin <strong>de</strong> 5 à<br />

40% pour les fonctions <strong>de</strong> distribution. Aussi peut-on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, eu égard à l’importance “temps”<br />

<strong>de</strong>s fonctions remplies, si les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> font réellement le même travail. Est-ce que changer<br />

<strong>de</strong> poste ne signifie pas, très souvent, changer <strong>de</strong> profession ? Et qu’est-ce qui fait l’unité<br />

professionnelle d’une telle diversité ?


Missions<br />

prioritaires<br />

<strong>de</strong> la<br />

structure<br />

<strong>MJC</strong><br />

Action culturelle<br />

Action socio-éducative<br />

Action sociale<br />

- 76 -<br />

C F<br />

B<br />

A<br />

E<br />

D G<br />

I L<br />

direction distribution production logistique<br />

Fonctions dominantes du directeur<br />

On pourrait, en fait, dresser une typologie <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> travail selon <strong>de</strong>ux axes : la diversité <strong>de</strong>s<br />

missions prioritaires <strong>de</strong> la structure (action sociale, action socio-éducative, action culturelle, etc...), et<br />

la diversité <strong>de</strong>s fonctions dominantes du directeur :<br />

Nous avons déjà là, en ne prenant en compte que ces quelques critères très approximatifs,<br />

affaire à 12 “profils <strong>de</strong> poste” 1 différents et possibles.<br />

Mais on peut aller plus loin d<strong>ans</strong> la typologie et d<strong>ans</strong> la diversité <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> travail, si l’on<br />

considère, toujours selon Ch. Lucie, que les quatre gran<strong>de</strong>s fonctions regroupent au total 22 sous-<br />

fonctions.<br />

La division, presque à l’infini, <strong>de</strong>s profils <strong>de</strong> poste, a cependant ses limites et entre en<br />

contradiction avec la fonction elle-même : si un directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> passe, par exemple, la majeure<br />

partie <strong>de</strong> son temps à accueillir les adhérents, il fait, en fait, un travail d’hôtesse d’accueil qui ne peut<br />

justifier son salaire, et pour lequel il n’a pas forcément toutes les compétences. Même chose par<br />

exemple pour un directeur qui passerait la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son temps à entretenir locaux et<br />

matériel, à faire <strong>de</strong> la comptabilité ou à animer <strong>de</strong>s activités. Ce serait en fait un ouvrier d’entretien,<br />

un comptable ou un animateur.<br />

Une telle diversité <strong>de</strong>s postes, ainsi que toutes les dérives possibles que cette diversité peut<br />

engendrer, ne sont pas pure hypothèses d’école. Combien <strong>de</strong> directeurs passent une gran<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> leur temps à <strong>de</strong>s tâches qui ne sont pas <strong>de</strong> leur ressort, et pour lesquelles ils ne sont pas formés<br />

? La définition du travail du directeur et <strong>de</strong>s fonctions prioritaires qu’il doit accomplir, occupent<br />

beaucoup les conseils d’administration, et sont souvent sources <strong>de</strong> divergences entre les<br />

administrateurs, voire <strong>de</strong> conflits avec le directeur lui-même 2 . D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> telles situations, il relève <strong>de</strong>s<br />

1 La question du “profil <strong>de</strong> poste” revient souvent à la FF<strong>MJC</strong> notamment à l’occasion du mouvement<br />

national <strong>de</strong>s directeurs.<br />

2 Deux cas à titre d’illustration :<br />

H<br />

K<br />

J


- 77 -<br />

missions <strong>de</strong> l’appareil fédéral <strong>de</strong> clarifier les situations professionnelles, <strong>de</strong> permettre aux<br />

administrateurs <strong>de</strong> comprendre ce que <strong>de</strong>vrait être le rôle d’un directeur, et <strong>de</strong> trouver les solutions<br />

humaines et financières qui déchargeront le directeur <strong>de</strong> tâches secondaires 1 .<br />

S<strong>ans</strong> considérer les anomalies professionnelles que l’Institution s’efforce <strong>de</strong> corriger, il reste vrai<br />

que la diversité <strong>de</strong>s profils <strong>de</strong> poste est considérable, comme s’il y avait une diversification, voire une<br />

division du travail, interne à la profession elle-même. La situation apparaît plus complexe encore,<br />

quand on considère que <strong>de</strong> nombreux directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sont mis à disposition <strong>de</strong> structures qui<br />

n’ont rien à voir avec les <strong>MJC</strong> : offices culturels, municipalités, comités d’entreprise, sociétés <strong>de</strong><br />

production, groupements d’intérêt économique … : 8 professionnels sur 30 pour la seule FR<strong>MJC</strong><br />

Méditerranée qui, il est vrai, bat tous les records en la matière.<br />

Autrement dit, on peut considérer que la profession <strong>de</strong> directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> est traversée par trois<br />

axes <strong>de</strong> diversification : les missions (culturelles, sociales, socio-éducatives, voire économiques et<br />

urbanistiques), les fonctions (direction, production, distribution et logistique), et les structures auprès<br />

<strong>de</strong>squelles ils peuvent être mis à disposition (<strong>MJC</strong>, associations diverses, structures privées et<br />

commerciales 2 , organismes publics).<br />

Une telle situation laisse soupçonner les difficultés du recrutement, <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong> la<br />

gestion <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. En effet, comment un recrutement<br />

unique - mêmes épreuves et mêmes critères d’évaluation - peut-il permettre <strong>de</strong> répondre à la<br />

diversité <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> travail ? Quels programmes <strong>de</strong> formation initiale et continue faut-il prévoir<br />

pour satisfaire à la multiplicité <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail ? N’importe quel professionnel peut-il occuper<br />

n’importe quel poste 3 ? A la FF<strong>MJC</strong>, le choix est <strong>de</strong> former ce que l’on appelle déjà <strong>de</strong>puis longtemps<br />

<strong>de</strong>s “spécialistes <strong>de</strong> la généralité” et, plus récemment, <strong>de</strong>s “gestionnaires <strong>de</strong> la complexité”. A<br />

l’UNIREG, il n’y a pas réellement une politique nationale <strong>de</strong> recrutement, <strong>de</strong> formation et <strong>de</strong> gestion<br />

du personnel, les recrutements et les mutations ne dépassant guère le niveau régional,<br />

départemental ou même local. Nous verrons plus loin, d<strong>ans</strong> une approche historique, comment une<br />

- à Lunel (Hérault), la nouvelle directrice et, avec elle, le conseil d’administration <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>,<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à la municipalité, et à juste titre, que la subvention soit augmentée, pour faire passer à<br />

plein temps un poste d’accueil-secrétariat-comptabilité, cela afin <strong>de</strong> décharger la directrice <strong>de</strong><br />

fonctions d’exécution, et ainsi lui permettre <strong>de</strong> s’investir d<strong>ans</strong> un dispositif <strong>de</strong> développement social<br />

urbain souhaité par le maire ;<br />

- à Apt (Vaucluse), le Prési<strong>de</strong>nt démissionne car il considère que le nouveau directeur <strong>de</strong>vrait chaque<br />

jour ouvrir et fermer les portes, et, le samedi, tr<strong>ans</strong>porter les enfants qui vont en escala<strong>de</strong>. Un débat<br />

général s’engage sur la définition <strong>de</strong>s missions du directeur.<br />

1 D<strong>ans</strong> ce cas-là, l’argument économique joue : “un directeur qui passe son temps à balayer ou à faire<br />

<strong>de</strong> l’accueil, c’est trop cher et non productif”.<br />

2 La FR<strong>MJC</strong> Méditerranée compte, ou a compté, d<strong>ans</strong> ses rangs, un professionnel directeur d’une<br />

société <strong>de</strong> production théâtrale et télévisuelle, et un professionnel coordinateur d’un Groupement<br />

d’Intérêt Économique “Ovins région PACA”.<br />

3 “Quand je suis arrivé à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Briançon, on m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> diriger une radio qui était, et est<br />

toujours, en situation financière critique. Je n’y connaissais rien ... Ca m’a pris beaucoup <strong>de</strong> temps et<br />

a s<strong>ans</strong> doute fragilisé ma situation <strong>de</strong> directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>”. Entretien avec Alain Trapet.


- 78 -<br />

<strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s missions et <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> éclaire les<br />

tr<strong>ans</strong>formations <strong>de</strong>s missions <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> elles-mêmes, ainsi que les contradictions qui peuvent<br />

apparaître entre les tr<strong>ans</strong>formations rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ces missions et le maintien, quasiment en l’état, <strong>de</strong><br />

l’organisation institutionnelle <strong>de</strong>s structures.<br />

d) le processus <strong>de</strong> “gestion démocratique”<br />

Notre analyse <strong>de</strong>scriptive nous a permis <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce cette double articulation<br />

démocratique du décisionnel et <strong>de</strong> l’opérationnel caractéristique du fonctionnement <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, ainsi que la place centrale qu’y occupe le directeur-éducateur. Cette<br />

“gestion démocratique” - nous employons à <strong>de</strong>ssein cette expression courante, notamment à la<br />

FF<strong>MJC</strong> - mérite qu’on s’y attar<strong>de</strong>, ne serait-ce que pour en montrer, à l’ai<strong>de</strong> d’exemples, les enjeux<br />

pédagogiques, les processus et leurs rythmes, et également les manquements.<br />

L’enjeu affirmé <strong>de</strong> ce processus, qui peut apparaître compliqué, labyrinthique, semé d’obstacles<br />

initiatiques 1 , est <strong>de</strong> conduire le simple usager à une responsabilité associative, et au-<strong>de</strong>là, politique,<br />

<strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r éventuellement à parcourir le long chemin qui le mène <strong>de</strong> la pratique d’une activité<br />

collective au fauteuil <strong>de</strong> maire <strong>de</strong> la commune. Et il est bien vrai, comme nous aurons l’occasion <strong>de</strong><br />

le montrer, que <strong>de</strong> nombreux élus locaux, départementaux, régionaux ou nationaux sont également<br />

le “produit” <strong>de</strong> la vie associative et notamment <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 2 .<br />

Or les motivations qui poussent un individu à entrer d<strong>ans</strong> une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

sont très diverses : pratiquer une activité précise proposée par la <strong>MJC</strong>, proposer un projet personnel<br />

et nouveau, une activité nouvelle, rencontrer d’autres personnes, et ainsi se créer <strong>de</strong>s liens sociaux<br />

et affectifs indispensables, occuper son temps libre ... Face à cette diversité <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, plus ou<br />

moins clairement exprimée, l’accueil est essentiel. Il n’est pas uniquement “technique”, simplement<br />

informatif 3 . Le futur adhérent doit se sentir accepté, écouté, mais il doit en même temps comprendre<br />

que la satisfaction <strong>de</strong>s besoins, la réalisation <strong>de</strong> ses projets passe par la soumission à certaines<br />

règles décidées et modifiables collectivement 4 .<br />

1 De ce point <strong>de</strong> vue-là, on pourrait établir <strong>de</strong>s comparaisons entre les structures <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d’éducation populaire, et les dispositifs initiatiques bien mis en évi<strong>de</strong>nce d<strong>ans</strong> les sociétés dites<br />

primitives. Le scoutisme traditionnel en est l’exemple le plus éclairant puisqu’il va jusqu’à emprunter<br />

à l’image qu’il se fait <strong>de</strong> ces sociétés, l’ensemble <strong>de</strong> la panoplie : langage, épreuves, totems, rites <strong>de</strong><br />

passage. Les <strong>MJC</strong>, elles, proposent également ce que l’on pourrait nommer un parcours initiatique <strong>de</strong><br />

la formation démocratique (voir notre petite contribution “Propositions pour l’éducation populaire”<br />

1989, diffusion FR<strong>MJC</strong> Méditerranée).<br />

2 Les <strong>MJC</strong>, et avec elles l’ensemble <strong>de</strong> la vie associative, constituent ainsi <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> notabilisation<br />

différents <strong>de</strong>s espaces plus traditionnels : professions libérales, syndicats et partis.<br />

3 Sensibles à l’importance <strong>de</strong> cette fonction, les Centres sociaux et socio-culturels ont souvent créé<br />

<strong>de</strong>s postes “d’animatrice d’accueil”.<br />

4 L’accueil et l’intégration associative <strong>de</strong>s adolescents, notamment ceux <strong>de</strong>s milieux les plus<br />

défavorisés, est la plus difficile. L’expérience et toutes les étu<strong>de</strong>s (voir par exemple l’étu<strong>de</strong> que nous<br />

avons conduite à Aix-en-Provence “Images et organisation <strong>de</strong> la jeunesse”, 1990, diffusion FR<strong>MJC</strong>


- 79 -<br />

Ainsi, la définition d’un règlement intérieur peut-elle être très formatrice : en 1980, à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

Béziers “Trencavel”, l’élaboration d’un règlement intérieur concernant les prêts <strong>de</strong> salles et <strong>de</strong><br />

matériel aux personnes et aux associations, fut l’occasion <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> fond touchant<br />

à la vie socio-culturelle locale : place <strong>de</strong> la vie associative par rapport à la <strong>MJC</strong>, nécessité d’avoir<br />

une banque <strong>de</strong> matériel à la disposition <strong>de</strong>s associations, responsabilités <strong>de</strong> chacun et notamment<br />

<strong>de</strong> la municipalité vis à vis <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong>s personnes, <strong>de</strong>s groupes et <strong>de</strong>s associations, nécessité<br />

d’obtenir pour la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s locaux supplémentaires, ce qui fut fait l’année suivante ; il fut également<br />

décidé que le directeur ne <strong>de</strong>vait pas avoir seul la responsabilité <strong>de</strong>s prêts <strong>de</strong> salle et <strong>de</strong> matériel,<br />

que ce n’était pas uniquement un acte logistique, et que cela incombait au bureau qui se réunissait<br />

une fois par semaine…<br />

Il n’est pas rare que <strong>de</strong>s personnes entrent à la <strong>MJC</strong> avec un projet personnel ; activité,<br />

animation, création, diffusion. Ils sont déjà <strong>de</strong>s interlocuteurs individuels ou collectifs actifs. Après<br />

entretien avec le directeur ou un animateur, qui présentent le cadre institutionnel et matériel d<strong>ans</strong><br />

lequel pourrait se déci<strong>de</strong>r et se réaliser le projet, le ou les “proposants” sont invités à participer à une<br />

instance <strong>de</strong> concertation ou <strong>de</strong> décision, où il sera possible d’exposer le projet et éventuellement<br />

d’en définir, après décision, les conditions <strong>de</strong> réalisation : commission, conseil d’activité, bureau et<br />

même conseil d’administration. A titre d’exemple : le bureau <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Béziers, qui se réunissait<br />

régulièrement chaque samedi <strong>de</strong> 10 h à 12 h, était un lieu privilégié <strong>de</strong> contact entre la structure et<br />

les personnes porteuses <strong>de</strong> propositions nouvelles.<br />

Plus couramment, les usagers entrent à la <strong>MJC</strong> pour participer à une activité déjà en place. C’est<br />

le cas le plus banal, mais aussi le plus difficile pédagogiquement. Comment faire pour que la gran<strong>de</strong><br />

masse d’usagers globalement satisfaits <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> leur activité 1 puisse accé<strong>de</strong>r à la<br />

prise <strong>de</strong> responsabilité la plus élémentaire ? Le premier contact est, certes, important, mais l’on<br />

constate que le discours institutionnel et pédagogique est très souvent inopérant sur une personne<br />

qui est venue “consommer” du théâtre, <strong>de</strong> la d<strong>ans</strong>e ou <strong>de</strong> la gymnastique volontaire.<br />

La gestion collective <strong>de</strong> l’activité est souvent un bon moyen pour que les adhérents prennent la<br />

parole et fassent <strong>de</strong>s propositions. A la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Béziers par exemple, il avait été décidé que l’activité<br />

gymnastique volontaire aurait une gestion et un secrétariat tournants, responsables <strong>de</strong><br />

l’encaissement <strong>de</strong>s cotisations, et <strong>de</strong> l’animation <strong>de</strong> débats susceptibles <strong>de</strong> faire naître <strong>de</strong>s projets :<br />

sorties nature, repas, choix d’investissements d<strong>ans</strong> le cadre du budget défini par les instances <strong>de</strong> la<br />

Méditerranée) montrent que ces jeunes sont généralement à la recherche d’espaces libres <strong>de</strong> toute<br />

règle, et que leur droit est souvent celui du premier occupant.<br />

1 Certes l’élargissement aux publics populaires <strong>de</strong> la pratique d’activités culturelles ou sportives<br />

préalablement réservées à un groupe social, constitue en soi un acquis <strong>de</strong> l’action éducative et<br />

culturelle. Mais ce n’est qu’un élément <strong>de</strong> la réalisation du projet pédagogique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (prise <strong>de</strong><br />

conscience <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s, développement <strong>de</strong> la personnalité - statuts, art. 2) qui en compte un<br />

<strong>de</strong>uxième s<strong>ans</strong> doute plus essentiel : la formation “<strong>de</strong> citoyens actifs et responsables d’une<br />

communauté vivante”.


- 80 -<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Afin d’amener les adhérents à un premier niveau <strong>de</strong><br />

responsabilité, le conseil d’administration considérait que les activités <strong>de</strong>vaient s’autogérer d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong>s orientations et <strong>de</strong>s choix budgétaires définis par les instances <strong>de</strong> décision.<br />

L’expérience montre que la gestion <strong>de</strong>s moyens mis à disposition <strong>de</strong> l’activité peut être une<br />

première étape vers <strong>de</strong>s responsabilités plus importantes : participation au conseil d’activité, à<br />

l’assemblée générale - ne serait-ce que pour défendre son budget - et éventuellement au conseil<br />

d’administration et aux commissions. Ainsi à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Béziers-Trencavel, on a pu se rendre compte<br />

qu’après plusieurs années <strong>de</strong> telles pratiques, la commission d’animation où se définissaient les<br />

projets les plus innovants était composée - entre autres - <strong>de</strong> personnes venant <strong>de</strong> la gymnastique<br />

volontaire ou <strong>de</strong> la peinture sur soie, qui sont considérées généralement comme <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong><br />

simple consommation. Au début <strong>de</strong>s années 80, la prési<strong>de</strong>nte était une adhérente <strong>de</strong> la peinture sur<br />

soie arrivée à la <strong>MJC</strong> quelques années auparavant.<br />

Les élus <strong>de</strong>s conseils d’administration sont en effet très souvent “originaires” d’activités<br />

fonctionnant en collectifs et qui ont déjà un fonctionnement démocratique élémentaire : activités<br />

culturelles, <strong>de</strong> création ou <strong>de</strong> loisirs 1 . Les activités dites d’enseignement (cours d’instrument <strong>de</strong><br />

musique par exemple) sont moins pourvoyeuses d'élus associatifs. Pour ces usagers, le rôle <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong> se limite à la réalisation du premier élément du projet : prise <strong>de</strong> conscience et développement<br />

<strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s à être un musicien, un peintre... Les techniciens d'activités, animateurs généralement<br />

vacataires ou saisonniers, y sont souvent perçus comme <strong>de</strong>s enseignants, et chaque fois qu'il y a<br />

enseignement, l'usager retrouve un comportement conforme à celui qu'induit la pratique<br />

institutionnelle <strong>de</strong> l’enseignement 2 .<br />

Faut-il conclure que le projet <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> ne se réalise jamais aussi bien qu'en l'absence<br />

d'animateur enseignant salarié, et sous la responsabilité du seul collectif ? Vraisemblablement non.<br />

Une discipline enseignée par un bénévole ne détermine pas davantage les adhérents à prendre <strong>de</strong>s<br />

responsabilités, si ce bénévole n'anime pas la vie collective. D'autre part, une vie collective<br />

favorisant la prise <strong>de</strong> responsabilité peut se développer avec la présence et le soutien d'un<br />

technicien d'activité salarié. C'est là que le directeur-éducateur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> a un rôle pédagogique à<br />

jouer, en formant bénévoles et salariés <strong>de</strong> la structure à la pratique institutionnelle <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />

responsabilité. La majorité <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture prévoient du reste un budget<br />

spécifique <strong>de</strong> formation pédagogique <strong>de</strong>s acteurs bénévoles et professionnels.<br />

Les exemples et leur <strong>de</strong>scription montrent que le projet <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> “citoyens actifs et<br />

1 A la <strong>MJC</strong> "Prévert" d'Aix-en-Provence, le conseil d'administration était, en 1989, composé en gran<strong>de</strong><br />

partie d'adhérents venus <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> pleine nature (escala<strong>de</strong>, ski <strong>de</strong> fond, ski <strong>de</strong> randonnée,<br />

randonnée pé<strong>de</strong>stre), qui se caractérisaient par une vie collective intense. On a même parlé <strong>de</strong> prise<br />

<strong>de</strong> pouvoir abusive <strong>de</strong> ces activités, ce qui n'était qu'un prise responsabilité induite par la pratique<br />

même.<br />

2 Cette constatation laisse augurer <strong>de</strong>s difficultés à vouloir démocratiser - si cela était souhaité - les<br />

structures scolaires.


- 81 -<br />

responsables d'une communauté vivante” se réalise d<strong>ans</strong> une double articulation du décisionnel et<br />

<strong>de</strong> l'opérationnel : les activités, les actions, leurs adhérents et usagers, sont d<strong>ans</strong> l'espace<br />

opérationnel, articulés entre eux par le conseil d'activités, les commissions par secteur, les<br />

bénévoles et professionnels <strong>de</strong> l'animation, et articulés avec les instances décisionnelles (Bureau,<br />

CA et AG) par l'intermédiaire <strong>de</strong>s commissions, du conseil d'activité et du directeur.<br />

Le fonctionnement <strong>de</strong> cette double articulation est particulièrement repérable d<strong>ans</strong> l'élaboration et<br />

l'organisation <strong>de</strong> l'assemblée générale annuelle. On peut ici en définir un schéma-type induit par les<br />

statuts et les fonctionnements régulièrement pratiqués.<br />

Vers la fin du mois <strong>de</strong> janvier, les responsables <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

engagent le processus qui conduit à la réunion <strong>de</strong> l'assemblée générale :<br />

• Réunion d'une commission financière animée par le trésorier avec l'ai<strong>de</strong> du directeur. Cette<br />

commission peut déjà apprécier la situation financière <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> par les documents concernant<br />

l'exercice précé<strong>de</strong>nt, et fournis par le ou les techniciens <strong>de</strong> la gestion : compte <strong>de</strong> résultats, bilan,<br />

situation <strong>de</strong> trésorerie. Elle peut définir les gran<strong>de</strong>s masses financières du budget <strong>de</strong> l'année qui<br />

débute et, en particulier, les dépenses difficilement compressibles : fonctionnement général, salaires<br />

et charges, amortissement du matériel, assurances..., et aussi faire <strong>de</strong>s propositions au conseil<br />

d'administration pour les dépenses d'action sociale, culturelle et éducative.<br />

• Sur proposition <strong>de</strong> la commission financière, le conseil d'administration peut arrêter les<br />

gran<strong>de</strong>s lignes du budget et proposer <strong>de</strong>s orientations d'action générales.<br />

Les différentes structures <strong>de</strong> concertation et <strong>de</strong> réalisation peuvent ensuite être réunies :<br />

- le conseil d'activités qui, informé <strong>de</strong>s propositions budgétaires et d'orientation <strong>de</strong> la<br />

commission financière et du conseil d'administration, <strong>de</strong>vra élaborer après réunion <strong>de</strong> chaque<br />

collectif d'activité le budget <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s activités régulières;<br />

- les commissions d'animation culturelle, sociale, information, formation, etc..., qui sont<br />

invitées à faire <strong>de</strong> même pour leurs secteurs respectifs ;<br />

[La réunion d'une commission <strong>de</strong> concertation avec la municipalité sur les questions d'orientation<br />

et <strong>de</strong> financement apparaît à ce moment nécessaire.]<br />

- la commission paritaire <strong>de</strong> la gestion du personnel, qui étudie les revendications <strong>de</strong>s<br />

salariés et leurs inci<strong>de</strong>nces financières, d<strong>ans</strong> le souci <strong>de</strong> trouver un accord entre les <strong>de</strong>ux<br />

partenaires (représentants <strong>de</strong>s personnels et représentants <strong>de</strong> l'employeur).<br />

Forts <strong>de</strong> toutes ces informations et propositions, la commission financière, le conseil<br />

d'administration et son bureau peuvent définir les orientations et fixer le budget prévisionnel <strong>de</strong><br />

l'année en cours. Ces orientations et ce budget sont rassemblés d<strong>ans</strong> un document préparatoire à<br />

l'assemblée générale, qui comprend également les rapports moral, d'activité et financier pour l'année<br />

écoulée. On peut à ce moment-là convoquer l'ensemble <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l'assemblée générale et<br />

leur communiquer les différents rapports. Ils auront à se prononcer sur les différents points à l'ordre<br />

du jour.


- 82 -<br />

L'assemblée générale, qui peut apparaître bien formelle et trop courte pour prendre <strong>de</strong>s décisions<br />

qui engagent l'avenir immédiat <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, aura en fait duré <strong>de</strong>ux<br />

mois. Les adhérents, usagers, responsables bénévoles et professionnels partenaires, sont censés y<br />

avoir été associés d<strong>ans</strong> cette double articulation <strong>de</strong> l'opérationnel (activités, conseils et commissions)<br />

et du décisionnel (bureau, conseil d'administration, commission et assemblée générale). Le directeur<br />

et l'ensemble <strong>de</strong> son équipe, notamment les animateurs, y aura joué un rôle prépondérant, un rôle<br />

d'information, <strong>de</strong> proposition, d'ai<strong>de</strong> à la réflexion et à l'organisation, autrement dit un rôle à la fois<br />

technique et pédagogique.<br />

Toutes les <strong>MJC</strong> mettent-elles en oeuvre un fonctionnement aussi sophistiqué ? Les plus petites<br />

ont, en général, un organigramme plus simple et moins hiérarchisé, notamment d<strong>ans</strong> sa dimension<br />

opérationnelle. L'assemblée générale annuelle consiste souvent à réunir l'ensemble <strong>de</strong>s adhérents à<br />

qui le conseil d'administration et son bureau ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l'année écoulée et font <strong>de</strong>s<br />

propositions budgétaires et d'orientation pour l'année à venir. Les <strong>MJC</strong> les plus importantes<br />

n'échappent généralement pas à un travail <strong>de</strong> préparation important : réunion du bureau, <strong>de</strong>s<br />

commissions financière et paritaire, du conseil d'administration, rencontre avec la municipalité, les<br />

différents partenaires, les animateurs et responsables <strong>de</strong>s activités. La responsabilisation et la<br />

participation <strong>de</strong>s "simples" adhérents et usagers restent évi<strong>de</strong>mment la chose la plus difficile, si bien<br />

que <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> - et c'est vrai aussi pour l'ensemble les associations - n'arrivent pas à<br />

concerner, sauf conditions et dispositifs exceptionnels, la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur base. Nous<br />

avons vu plus haut que la participation physique à l'assemblée générale proprement dite reste<br />

généralement limitée : souvent moins <strong>de</strong> 20% <strong>de</strong>s adhérents. Mais quel service public, notamment<br />

d<strong>ans</strong> les domaines <strong>de</strong> la culture, du loisir et <strong>de</strong> l'action sociale, pourrait prétendre aujourd'hui<br />

rassembler, sur simple information et convocation, plus <strong>de</strong> 20% <strong>de</strong> ses usagers ?<br />

e) le fonctionnement fédératif<br />

Le fonctionnement fédératif réglé par le principe <strong>de</strong> la libre affiliation <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> base induit<br />

une organisation spécifique qui a ses particularités selon les institutions : FF<strong>MJC</strong>, UNIREG, Centres<br />

sociaux, Foyers ruraux ... Nous nous limiterons ici pour l’essentiel à faire une <strong>de</strong>scription<br />

comparative <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.<br />

L’organigramme du fonctionnement fédératif <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux institutions se divise également en <strong>de</strong>ux<br />

espaces assez clairement repérables : l’espace décisionnel et l’espace opérationnel (voir les<br />

organigrammes <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l’UNIREG ci-après).<br />

Au niveau <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, l’articulation majeure <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux espaces est bien le couple<br />

prési<strong>de</strong>nt/délégué général, à la fois responsables <strong>de</strong>vant les structures affiliées (<strong>MJC</strong>, Unions<br />

locales, fédérations départementales, fédérations régionales), et “animateurs”, par l’intermédiaire du<br />

réseau opérationnel, <strong>de</strong> la vie fédérative définie par les instances <strong>de</strong> décision (assemblées<br />

générales, conseils d’administration nationaux) : la fameuse “comman<strong>de</strong> institutionnelle” au nom <strong>de</strong>


laquelle chaque acteur est censé agir.<br />

- 83 -<br />

L’espace décisionnel - qui a sa contrepartie opérationnelle d<strong>ans</strong> les mêmes instances, à tel point<br />

que l’on peut dire que tous les niveaux sont à double face - forme un réseau articulé, plus ou moins<br />

complexe et <strong>de</strong>nse selon les secteurs géographiques. Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, les<br />

fédérations régionales et la Fédération Française sont les “étages” obligatoires <strong>de</strong> l’édifice.<br />

F F M J C<br />

UL<br />

Décisionnel<br />

Opérationnel<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

Directeurs<br />

FD<br />

FR<strong>MJC</strong><br />

FD<br />

UL<br />

M J C<br />

avec directeurs fédéraux s<strong>ans</strong> directeur fédéral<br />

Services administratifs<br />

et comptables<br />

(CIRP p.ex.)<br />

Chargés<br />

<strong>de</strong> mission<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

Services<br />

administratifs<br />

FD<br />

UL<br />

FD<br />

FD<br />

UL<br />

FR<strong>MJC</strong> FR<strong>MJC</strong> FRMJ...<br />

C A F F M J C<br />

Bureau FF<strong>MJC</strong><br />

Prési<strong>de</strong>nt<br />

Délégué général<br />

Commissions<br />

Réseaux<br />

Service Recrutement<br />

Formation Service culturel,<br />

publications<br />

Chargés <strong>de</strong><br />

formation<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

Chargés <strong>de</strong><br />

formation<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

Services<br />

administratifs<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

Chargés<br />

<strong>de</strong> mission<br />

Directeurs


- 84 -<br />

Les autres instances (unions locales, fédérations départementales) sont en quelque sorte<br />

facultatives.<br />

Regroupements volontaires <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sous forme associative, les UL et FD ont pour mission<br />

essentielle <strong>de</strong> coordonner, au plus proche du terrain, l’action <strong>de</strong>s structures notamment <strong>de</strong> celles qui,<br />

ne bénéficiant pas <strong>de</strong> directeurs fédéraux, entretiennent souvent <strong>de</strong> ce fait <strong>de</strong>s liens faibles avec<br />

l’institution. D<strong>ans</strong> certaines régions où le réseau <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est <strong>de</strong>nse, mais composé <strong>de</strong> petites<br />

unités, les unions locales et les fédérations départementales sont particulièrement développées, en<br />

Lorraine par exemple. Ces instances peuvent bénéficier d’un directeur fédéral qui joue ici le rôle <strong>de</strong><br />

coordinateur. Les actions concrètes <strong>de</strong> ces UL et FD sont variables : formation <strong>de</strong>s bénévoles et <strong>de</strong>s<br />

professionnels <strong>de</strong>s maisons, organisation d’opérations concertées inter-<strong>MJC</strong> et avec leurs<br />

partenaires, négociation <strong>de</strong> moyens et <strong>de</strong> projets auprès <strong>de</strong>s instances politiques locales (conseils<br />

généraux, municipalités, syndicats intercommunaux, regroupement <strong>de</strong> communes). A titre<br />

d’exemples : la Fédération départementale <strong>de</strong>s Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong>s Bouches du<br />

Rhône, animée par <strong>de</strong>s directeurs et <strong>de</strong>s administrateurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base, coordonne <strong>de</strong>s actions<br />

<strong>de</strong> formation <strong>de</strong> bénévoles, un circuit <strong>de</strong> cinéma inter-structures (<strong>MJC</strong>, centres sociaux, maisons <strong>de</strong><br />

quartiers, foyers socio-éducatifs…) et les rencontres départementales <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong>s lycées et<br />

collèges. Elle reçoit une subvention annuelle du Conseil général d’environ 50.000 F. L’Union locale<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la basse vallée du Buech (Hautes Alpes), elle, tente d’animer un projet local <strong>de</strong><br />

développement social, culturel et touristique. Dotée d’un directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> en formation qui mène,<br />

sous la responsabilité d’un comité <strong>de</strong> pilotage, une recherche-action sur les jeunes en milieu rural,<br />

cette union locale espère le soutien <strong>de</strong>s différents partenaires (municipalité, Etat, conseil général,<br />

conseil régional) qui lui permettrait <strong>de</strong> bénéficier <strong>de</strong> la mise à disposition d’un professionnel pouvant<br />

coordonner un projet local d’envergure.<br />

De leur côté, les Fédérations régionales <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, maillons<br />

obligatoires entre la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base et la FF<strong>MJC</strong>, ont <strong>de</strong>s missions générales plus clairement définies :<br />

coordination <strong>de</strong> la vie fédérative et organisation du partenariat régional, emploi et gestion <strong>de</strong>s<br />

personnels fédéraux, mouvement <strong>de</strong> directeurs qu’elles mettent à disposition <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong><br />

terrain. Comme les <strong>MJC</strong>, les UL, FD et la FF<strong>MJC</strong>, les fédérations régionales sont <strong>de</strong>s associations<br />

loi 1901, partenariales et cogestionnaires, rassemblant <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en majorité 1 ,<br />

mais aussi <strong>de</strong>s représentants du personnel, <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong>s collectivités territoriales et<br />

<strong>de</strong>s mouvements, associations, fédérations avec lesquels la FR<strong>MJC</strong> travaille. Comme les autres<br />

instances, les FR<strong>MJC</strong> ont une assemblée générale, rassemblant les partenaires et les représentants<br />

<strong>de</strong>s maisons, qui élit un conseil d’administration, lequel forme son bureau. Ce conseil<br />

1 Les <strong>MJC</strong> ont un nombre <strong>de</strong> voix au prorata du nombre d’adhérents déclarés et pour lesquels elles<br />

paient une cotisation dont le montant est fixé par l’AG régionale : <strong>de</strong> 0 à 75 adh. = 1 voix ; <strong>de</strong> 75 à<br />

200 adh. = 2 voix ; <strong>de</strong> 200 à 500 adh. = 3 voix ; <strong>de</strong> 500 à 1.000 adh. = 4 voix ; et ensuite une<br />

voix <strong>de</strong> plus par tranche <strong>de</strong> mille adhérents.


- 85 -<br />

d’administration s’entoure <strong>de</strong> commissions : paritaire du personnel, formation, financière, ou “à<br />

thème” selon les opérations conduites 1 . Gestionnaire <strong>de</strong> budgets plus ou moins importants selon le<br />

nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> affiliées et <strong>de</strong> personnels employés 2 , la Fédération régionale et son conseil<br />

d’administration doivent rendre compte aux <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> cette gestion et <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong>s orientations,<br />

d<strong>ans</strong> le cadre notamment <strong>de</strong> l’assemblée générale annuelle. Comme au niveau national et local, le<br />

maillon articulateur <strong>de</strong> l’opérationnel et du décisionnel est principalement un professionnel : le<br />

délégué régional mis à disposition <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> par la FF<strong>MJC</strong>, et membre <strong>de</strong> droit <strong>de</strong> son conseil<br />

d’administration.<br />

La Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 3 a sa propre assemblée<br />

générale composée <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong>s autres niveaux institutionnels (<strong>MJC</strong>, UL, FD, FR 4 ) et <strong>de</strong>s<br />

différents partenaires nationaux (Etat, autres fédérations nationales), assemblée générale qui élit son<br />

conseil d’administration au sein duquel est formé son bureau. Elle s’entoure <strong>de</strong> commissions <strong>de</strong><br />

réflexion et <strong>de</strong> concertation (notamment avec les représentants du personnel) et <strong>de</strong> cellules<br />

opérationnelles animées par <strong>de</strong>s professionnels et <strong>de</strong>s administrateurs (commission cinéma, rock,<br />

d<strong>ans</strong>e, vidéo, <strong>MJC</strong> en milieu rural ...). Le Prési<strong>de</strong>nt et le délégué général jouent un rôle prépondérant<br />

d’articulation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’Institution. C’est sur eux qui se concentrent tous les enjeux internes<br />

et même externes, comme l’histoire nous le montrera, et évi<strong>de</strong>ment tous les conflits liés aux<br />

divergences <strong>de</strong>s échelons inférieurs, à la gestion <strong>de</strong>s salariés, et aux relations avec les partenaires,<br />

prioritairement l’Etat.<br />

La Fédération Française, par son délégué général, coordonne et dirige tout un dispositif<br />

opérationnel, composé <strong>de</strong> structures (FR, FD, UL et <strong>MJC</strong> animées par <strong>de</strong>s administrateurs<br />

bénévoles et éventuellement <strong>de</strong>s professionnels), <strong>de</strong> services et <strong>de</strong> salariés organisé selon un<br />

système hiérarchisé.<br />

Le centre fédéral, situé à Paris, emploie une vingtaine <strong>de</strong> professionnels qui lui sont attachés, et<br />

également une vingtaine <strong>de</strong> délégués mis à disposition <strong>de</strong>s fédérations régionales. L’ensemble <strong>de</strong><br />

ces salariés avec diverses missions sont sous la responsabilité directe ou indirecte du délégué<br />

général, qui est leur chef du personnel.<br />

Le centre fédéral (au sens restreint du terme) a également pour mission <strong>de</strong> gérer techniquement<br />

les personnels (directeurs, délégués chargés <strong>de</strong> mission, agents administratifs <strong>de</strong>s FR<strong>MJC</strong> et du<br />

1 A titre d’exemple, la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée a une commission spécifique composée d’administrateurs et<br />

<strong>de</strong> professionnels, qui “pilote” un service <strong>de</strong>s échanges internationaux et interculturels.<br />

2 Environ 10 millions <strong>de</strong> francs pour la seule région Méditerranée qui ne coordonne qu’une soixantaine<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et ne gère que 30 salariés.<br />

3 FF<strong>MJC</strong> s’entend en une double extension. Au sens large, il s’agit <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> ses structures<br />

(<strong>MJC</strong>, UL, FD, FR et centre fédéral). Au sens étroit, il faut entendre le seul niveau national.<br />

4 Là aussi il y a <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> représentativité : les <strong>MJC</strong> ont un nombre <strong>de</strong> voix fixé selon le critère<br />

régional, (elles paient un franc par adhérent à la FF<strong>MJC</strong>), les UL et FD ont une voix chacune, et les<br />

FR<strong>MJC</strong> un nombre <strong>de</strong> voix au prorata <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées (1 voix par 10 <strong>MJC</strong>).


- 86 -<br />

centre fédéral) d<strong>ans</strong> le cadre d’un service - le CIRP (Centre interrégional <strong>de</strong> la paie), qui se<br />

tr<strong>ans</strong>forme en 1990 en SIRP (Service interrégional <strong>de</strong> la paie) - d’assurer le recrutement <strong>de</strong> ces<br />

personnels, leur formation initiale et permanente, ainsi que leurs mutations.<br />

L’organigramme <strong>de</strong>s personnels, qui constituent ainsi “l’armature” 1 <strong>de</strong> l’espace décisionnel, et<br />

peut-être même <strong>de</strong> l’ensemble fédératif, se caractérise par une certaine hiérarchie qui a sa<br />

cohérence. L’ensemble du personnel est en effet géré “techniquement” par l’échelon national, ce qui<br />

nécessite <strong>de</strong>s règles communes <strong>de</strong> recrutement, <strong>de</strong> mouvement, <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> carrière 2 et <strong>de</strong><br />

financement 3 . Mais ces personnes ne sont pas juridiquement les employées <strong>de</strong> la même instance et<br />

au même niveau : les délégués sont les employés <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et mis à disposition <strong>de</strong>s Fédérations<br />

régionales ; les directeurs sont les employés <strong>de</strong>s Fédérations régionales et mis à disposition <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>. Le délégué général est le chef <strong>de</strong> personnel <strong>de</strong>s délégués régionaux, lesquels sont les chefs<br />

<strong>de</strong> personnel <strong>de</strong>s directeurs.<br />

Le fonctionnement <strong>de</strong> l’UNIREG <strong>MJC</strong> présente un dispositif assez comparable, avec cependant<br />

<strong>de</strong>ux différences essentielles repérables d<strong>ans</strong> l’organigramme :<br />

1 Nous verrons d<strong>ans</strong> l’analyse historique en quoi la gestion <strong>de</strong>s salaires et la place qu’ils occupent d<strong>ans</strong><br />

la cogestion sont <strong>de</strong>s points sensibles autour <strong>de</strong>squels se cristallisent enjeux et conflits.<br />

2 La FF<strong>MJC</strong> a très tôt une convention collective nationale <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> ses salariés.<br />

3 Le fameux taux moyen national qui prévoit que la mise à disposition d’un directeur passe par la<br />

perception auprès <strong>de</strong>s collectivités locales et <strong>de</strong> l’État (FONJEP) <strong>de</strong> la même somme quelle que soit<br />

l’ancienneté du professionnel.


U N I R E G <strong>MJC</strong><br />

Décisionnel<br />

Opérationnel<br />

Directeurs<br />

UL<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

FD<br />

FR<strong>MJC</strong><br />

Services administratifs<br />

Chargés<br />

<strong>de</strong> mission<br />

- 87 -<br />

M J C avec et s<strong>ans</strong> directeur fédéral<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

FR<br />

Bureau<br />

UL<br />

Délégué général<br />

FD<br />

C A U N I R E G M J C<br />

Services<br />

administratifs<br />

Service Formation<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

FR...<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

FD<br />

UL<br />

Service culturel,<br />

publications<br />

Commissions<br />

Commissions<br />

Délégués<br />

régionaux<br />

1) L’assemblée générale <strong>de</strong> l’UNIREG nationale ne rassemble pas toutes les structures <strong>de</strong><br />

l’ensemble fédératif comme c’est le cas à la FF<strong>MJC</strong>, mais seulement un représesentant <strong>de</strong> chaque<br />

fédération régionale. Le niveau régional concentre ainsi la majeure partie <strong>de</strong>s responsabilités<br />

institutionnelles, décisionnelles et opérationnelles, le centre fédéral se limitant à un travail <strong>de</strong><br />

représentation nationale, d’information, éventuellement <strong>de</strong> coordination d’opérations s<strong>ans</strong> véritable<br />

moyen <strong>de</strong> mise en oeuvre. En effet ce centre fédéral se réduit à une délégation et à un secrétariat,<br />

s<strong>ans</strong> autorité hiérarchique par rapport aux autres échelons décisionnels et opérationnels.<br />

2) Comme à la FF<strong>MJC</strong> les directeurs et personnels administratifs sont les salariés <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales, mais ils ne sont pas gérés par l’échelon national, si bien qu’il n’y a ni<br />

recrutement, ni mouvement, ni taux moyen national. Selon les régions, les directeurs peuvent être<br />

rémunérés sur <strong>de</strong>s grilles <strong>de</strong> salaires différentes. D’autre part les délégués régionaux eux-mêmes<br />

sont salariés et gérés par les fédérations régionales. Le délégué général n’a donc aucune autorité<br />

opérationnelle sur eux.<br />

Ces différences <strong>de</strong> fonctionnement entre la FF<strong>MJC</strong> et l’UNIREG <strong>MJC</strong>, héritées <strong>de</strong> la scission et<br />

<strong>de</strong>s histoires respectives <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux institutions, véhiculent <strong>de</strong>s images différentes qui, selon le


- 88 -<br />

point <strong>de</strong> vue où l’on se place, sont stigmatisées ou valorisées : FF<strong>MJC</strong> centralisée, centralisatrice,<br />

organisée en appareil et même pour certains en machine <strong>de</strong> guerre contre les pouvoirs nationaux,<br />

régionaux et locaux en place ; UNIREG plus libérale mais s<strong>ans</strong> projet, s<strong>ans</strong> cohérence ni politique<br />

nationale.<br />

A la différence <strong>de</strong> l’UNIREG <strong>MJC</strong>, et à fortiori <strong>de</strong>s Centres sociaux chez qui les responsables <strong>de</strong>s<br />

structures <strong>de</strong> base sont employés localement, la FF<strong>MJC</strong> a-t-elle véritablement le fonctionnement,<br />

l’efficacité mais aussi la rai<strong>de</strong>ur d’appareil que son organisation fortement structurée et d’aspect<br />

hiérarchisé laisse supposer ?<br />

Comme le montre Catherine Flament 1 , la réalité n’est pas aussi simple et, pour ce qui est <strong>de</strong> la<br />

région Provence-Alpes-Côte d’Azur, assez diamétralement opposée à ce que l’organigramme<br />

statutaire laisse entrevoir.<br />

En effet, si l’on s’en tient à l’observation <strong>de</strong> l’organigramme et au discours <strong>de</strong>s acteurs, les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture affiliées à la FF<strong>MJC</strong> ont une forte image d’appareil. A propos <strong>de</strong><br />

leur fédération, elles parlent volontiers <strong>de</strong> “l’Institution”. Au contraire, fait remarquer Catherine<br />

Flament, la Fédération <strong>de</strong>s Centres sociaux <strong>de</strong> Provence ne parle que <strong>de</strong> “réseau fédéral” ou <strong>de</strong><br />

“réseau <strong>de</strong>s centres sociaux” (18 fois en 16 pages). De même, la Fédération <strong>de</strong>s Oeuvres Laï ques<br />

(Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement) du Var tient aux expressions <strong>de</strong> “réseau départemental fédéral”, <strong>de</strong><br />

“réseau <strong>de</strong>s associations affiliées”.<br />

Or à la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée - et c’est aussi le cas pour certaines fédérations départementales<br />

<strong>de</strong>s Foyers ruraux - les frontières sont assez ouvertes (les critères d’adhésions sont simples et les<br />

cotisations moyennement élévées ; <strong>de</strong>s structures qui n’adoptent pas les statuts <strong>MJC</strong> stricto sensu<br />

adhèrent à la FR<strong>MJC</strong>). D<strong>ans</strong> le même temps, il y a une faible spécialisation <strong>de</strong>s différentes instances<br />

<strong>de</strong> l’appareil, et une forte délégation <strong>de</strong> la prise d’initiative <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> base (formation,<br />

recherche, participation à <strong>de</strong>s commission nationales, innovation...).<br />

Cette institution, qui renvoit souvent l’image d’un appareil, fonctionne en fait en “quasi-réseau”,<br />

alors que le prétendu réseau <strong>de</strong>s Centres sociaux et <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>s Oeuvres Laï ques a les<br />

caractéristiques d’un quasi-appareil, avec effectivement certaines propriétés <strong>de</strong> l’appareil : frontières<br />

du réseau fédéral très précises, label et règles strictes d’adhésion, cotisations qui peuvent être<br />

élevées, importante spécialisation <strong>de</strong>s rôles (la Fédération assure notamment la fonction stratégique<br />

<strong>de</strong> négociation avec les partenaires institutionnels).<br />

L’enquête <strong>de</strong> Catherine Flament, selon <strong>de</strong>s indicateurs ouvrant sur une typologie, confirme le<br />

1 Associations et réseaux (la vie associative comme élément <strong>de</strong> développement social, économique et<br />

culturel). Étu<strong>de</strong> pour le Fonds <strong>de</strong> Solidarité et <strong>de</strong> Promotion <strong>de</strong> la Vie Associative Provence-Alpes-<br />

Côte d’Azur, à laquelle nous avons été plusieurs à avoir le plaisir d’être associés en tant que<br />

membres du comité <strong>de</strong> pilotage (Ronéo, 1989, <strong>60</strong> p.).


- 89 -<br />

classement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le groupe <strong>de</strong>s “réticulés” 1 , ce qui les distingue <strong>de</strong>s institutions groupales<br />

et mouvements, ainsi que <strong>de</strong>s simples groupes.<br />

D’abord sous l’angle du fonctionnement interne. Malgré leur formalisme apparent, les <strong>MJC</strong> ont<br />

une vie démocratique qui permet la participation <strong>de</strong>s différents acteurs aux instances <strong>de</strong> décision,<br />

alors que les Maisons pour Tous Léo-Lagrange et la Fédération <strong>de</strong>s Oeuvres Laï ques auraient un<br />

fonctionnement démocratique essentiellement formel. Ce constat va d<strong>ans</strong> le sens <strong>de</strong> nos<br />

<strong>de</strong>scriptions du fonctionnement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base qui, par la mise en oeuvre <strong>de</strong> pratiques<br />

cogestionnaires, <strong>de</strong> commissions et <strong>de</strong> cellules opérationnelles ouvertes, associent un nombre<br />

important <strong>de</strong> partenaires, aussi bien d<strong>ans</strong> la dimension opérationnelle que décisionnelle. D<strong>ans</strong><br />

l’organisation du travail, la réalité est cependant plus nuancée : comme pour la FOL et les Maisons<br />

pour Tous Léo-Lagrange, les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> associent une spécialisation évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong>s<br />

fonctions avec une certaine polyvalence et un réel travail d’équipe, même si les fonctions les plus<br />

stratégiques <strong>de</strong>meurent l’apanage <strong>de</strong>s directeurs. Là aussi, les données recueillies par Catherine<br />

Flament et leur interprétation coroborent nos analyses précé<strong>de</strong>ntes ainsi que celles <strong>de</strong> Christian<br />

Lucie sur les fonctions <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : à la fois spécialistes et généralistes, à la fois<br />

opérationnels et décisionnels, remplissant <strong>de</strong>s fonctions logistiques <strong>de</strong> direction, <strong>de</strong> distribution et <strong>de</strong><br />

production.<br />

Ensuite, sous l’angle <strong>de</strong> la culture associative : en matière <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> leur objet, les<br />

<strong>MJC</strong> insistent sur la tr<strong>ans</strong>versalité <strong>de</strong> leur approche, leur rôle <strong>de</strong> synthèse, leur vision large et leur<br />

action globale, ce qui les conduit, à travers <strong>de</strong>s pratiques cogestionnaires et partenariales à<br />

développer un réseau local horizontal. Le profil <strong>de</strong> leurs responsables se caractérise par un certain<br />

militantisme social associé à une professionnalisation sur le modèle <strong>de</strong> l’entreprise 2 . S’agissant <strong>de</strong><br />

l’appareil, <strong>de</strong> sa hiérarchie et <strong>de</strong> son formalisme, les <strong>MJC</strong> et les acteurs <strong>de</strong> terrain auraient plus<br />

tendance à s’accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s règles par une sorte <strong>de</strong> débrouillardise qu’à les observer<br />

scrupuleusement 3 . Et aussi étonnant que cela puisse paraître 4 , les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong><br />

1 Caractérisés en l’occurrence par une action globale, une “débrouillardise avec les règles, une<br />

autonomie et une inter-associativité revendiquées, une spécialisation interne <strong>de</strong>s rôles faible” (C.<br />

Flament, op. cit. p. 16).<br />

2 Le terme d’“entreprise” est <strong>de</strong> plus en plus employé à la FF<strong>MJC</strong>. Certains parlent “d’entreprises en<br />

réseau” à la place “d’Institution” pour signifier l’ensemble <strong>MJC</strong>, UL, FD, FR et FF. Cette modification<br />

<strong>de</strong> langage est significative d’une tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la culture d’entreprise qui, partie d’un<br />

militantisme culturel et social très fort, y compris chez les salariés (le statut <strong>de</strong> “permanent”),<br />

pourrait aller à une professionnalisation pure. La crise actuelle <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> pourrait également<br />

s’expliquer par ce basculement <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong>s professionnels <strong>de</strong> l’entreprise.<br />

3 Là aussi il y aurait beaucoup à dire : le même salarié (les directeurs notamment) peut en tant que<br />

professionnel, pour ce qui le concerne, jouer avec les règles et, en tant que syndicaliste délégué du<br />

personnel, hurler au scandale et stigmatiser la dérèglementation ...<br />

4 Beaucoup d’éléments pouvant, en effet, laisser penser le contraire (organisation centralisée <strong>de</strong>s<br />

orientations, gestion hiérarchisée et également centralisée <strong>de</strong>s cadres) accréditent à l’extérieur, et<br />

même quelquefois à l’intérieur, cette image contraignante et partisane <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, image<br />

savamment entretenue par les adversaires <strong>de</strong> cette institution qui, pour ce faire, s’appuient sur la


- 90 -<br />

revendiquent une forte autonomie <strong>de</strong> pensée et une entière capacité à édicter elles-mêmes les<br />

finalités <strong>de</strong> leur action, à la différence <strong>de</strong>s Maisons pour Tous Léo-Lagrange, <strong>de</strong>s Centres sociaux et<br />

<strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>s Oeuvres Laï ques. De plus, les <strong>MJC</strong> et leurs acteurs se réclament, d<strong>ans</strong> le<br />

discours et la pratique, d’une forte inter-associativité. Elles disent cultiver le réseau, développer le<br />

partenariat avec <strong>de</strong>s structures très différentes, s<strong>ans</strong> pour autant nier la concurrence que peuvent<br />

représenter ces structures. La concurrence est ici gérée autrement, en se situant au centre du<br />

partenariat et <strong>de</strong> l’inter-associativité, plutôt que par la stratégie <strong>de</strong> la chasse gardée pratiquée par<br />

d’autres institutions et mouvements (Léo-Lagrange pour les loisirs et les vacances, la Fédération <strong>de</strong>s<br />

Oeuvres laï ques pour le péri-scolaire, les Centres sociaux pour l’action sociale urbaine ...).<br />

Enfin, sous l’angle <strong>de</strong> l’aire du réseau, les <strong>MJC</strong> se caractérisent par l’emboîtement <strong>de</strong> nombreux<br />

cercles sociaux sur un espace large aux frontières imprécises et en extension potentielle<br />

permanente. Le réseau <strong>de</strong>nse très localisé n’exclut pas, bien au contraire, <strong>de</strong>s actions<br />

départementales, régionales et même internationales 1 .<br />

Selon Catherine Flament 2 , les “réticulés”, parmi lesquels elle classe les <strong>MJC</strong>, se définissent par<br />

leur rôle d’articulateur, aussi bien au niveau local que régional, au sens où ils sont “<strong>de</strong>s structures à<br />

la charnière <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s différents qui trop souvent se ferment les uns aux autres”. Ils se<br />

caractérisent, y compris d<strong>ans</strong> leur dimension locale, par une certaine “mo<strong>de</strong>rnité”, une forte<br />

préoccupation d’ouverture à l’environnement large, un souci d’image positive par l’utilisation d’outils<br />

<strong>de</strong> communication performants. Les institutions groupales et les quasi-appareils se préoccupent<br />

moins directement <strong>de</strong> ces choses-là : elles considèrent souvent que cela relève du niveau fédéral.<br />

Ainsi, toujours selon Catherine Flament, tout se passe comme si “l’organisation réticulée était<br />

mieux adaptée aux mutations sociales en cours et par là-même davantage porteuse <strong>de</strong> dynamisme,<br />

... ce qui rendrait [les <strong>MJC</strong>] moins vulnérables que les institutions groupales” 3 .<br />

Cette organisation d’appareil statutairement et institutionnellement très structuré, aussi bien au<br />

niveau opérationnel qu’au niveau décisionnel, n’est-elle pas contradictoire avec <strong>de</strong>s pratiques locales<br />

et même fédératives en réseau ?<br />

Avant <strong>de</strong> répondre à cette question, on peut dire que l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Catherine Flament, en mettant en<br />

évi<strong>de</strong>nce le fonctionnement réticulé <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, nous permet <strong>de</strong> comprendre pourquoi celles-ci ont<br />

plus <strong>de</strong> facilité à travailler avec d’autres partenaires, notamment associatifs, qu’à organiser <strong>de</strong>s<br />

prétendue domination <strong>de</strong>s directeurs, <strong>de</strong> leurs syndicats particulièrement combatifs et notamment<br />

<strong>de</strong> la CGT. En fait, il s’agit d’un certain anarcho-syndicalisme qui combine attitu<strong>de</strong>s corporatistes,<br />

débrouillardise individuelle et revendications soutenues par un discours très idéologique.<br />

1 Des <strong>MJC</strong>, même d’importance mo<strong>de</strong>ste, mènent <strong>de</strong>s actions qui dépassent le cadre local. La petite<br />

<strong>MJC</strong> d’Uzès (Gard), uniquement animée par <strong>de</strong>s bénévoles, a d’importantes activités d’échanges<br />

internationaux. La <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Cannes-Centre (Picaud) qui est, elle, une grosse structure, a un<br />

rayonnement international considérable, à travers le cinéma notamment.<br />

2 Associations et réseaux, p. 28.<br />

3 Associations et réseaux, p. 28-29.


- 91 -<br />

opérations concertées entre elles. En effet on ne compte plus les tentatives échouées <strong>de</strong> vouloir<br />

mener <strong>de</strong>s opérations inter-<strong>MJC</strong>, même d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s espaces très localisés : circuits culturels,<br />

programmation commune, actions concertées ... La volonté <strong>de</strong> dynamiser au niveau national <strong>de</strong>s<br />

réseaux culturels inter-<strong>MJC</strong> permettant <strong>de</strong> négocier <strong>de</strong>s moyens plus importants auprès <strong>de</strong>s<br />

ministères, se heurte effectivement à ce qu’il faut bien appeler un “basisme” viscéral <strong>de</strong>s structures<br />

locales et <strong>de</strong> leurs professionnels, qui préfèrent une horizontalité locale réticulée, d<strong>ans</strong> laquelle ils<br />

occupent souvent une position dominante, à une verticalité perçue comme aléatoire et<br />

contraignante. Les réseaux nationaux ou régionaux inter-<strong>MJC</strong> doivent donc faire l’objet d’un<br />

“entretien” soutenu (vidéo, cinéma, rock, jazz, théâtre, relations internationales, actions en milieu<br />

scolaire...), et remplissent plus une fonction <strong>de</strong> structures-ressources et <strong>de</strong> confrontation <strong>de</strong>s savoir-<br />

faire que <strong>de</strong> coordination d’opération collectives concrètes. Autrement dit, il est possible qu’une<br />

opération locale prenne progressivement une dimension départementale voire régionale 1 , mais il est<br />

difficilement concevable qu’une action inter-<strong>MJC</strong> puisse se réaliser sur le terrain et d’une manière<br />

concertée par simple décision <strong>de</strong>s instances fédérales régionales et, à fortiori, nationales 2 .<br />

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’appareil fédératif <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n’a rien <strong>de</strong> contraignant<br />

pour les structures et acteurs <strong>de</strong> base. D<strong>ans</strong> le même temps, il n’a pas capacité à imposer la<br />

réalisation <strong>de</strong> directives nationales qui pourraient donner une image plus cohérente du projet, <strong>de</strong>s<br />

orientations et <strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> l’ensemble fédératif. D’où s<strong>ans</strong> doute cette double face - que<br />

selon les cas et les points <strong>de</strong> vue on valorise ou stigmatise - <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> où l’on fait tout et n’importe<br />

quoi, mais où l’on peut aussi tout inventer. Tout y est possible mais rien n’y est certain, ce qui peut<br />

expliquer <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s acteurs, y compris <strong>de</strong>s directeurs pourtant employés par l’Institution, ce<br />

double sentiment <strong>de</strong> liberté et d’insécurité 3 .<br />

A quoi peut donc servir cet appareillage fédératif d’apparence très structuré et très hiérarchisé ?<br />

1 Le développement <strong>de</strong>s rencontres <strong>de</strong> théâtre <strong>de</strong>s lycées et collèges d<strong>ans</strong> les bouches du Rhône est,<br />

<strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue-là, significatif. L’initiative en revient à <strong>de</strong>ux <strong>MJC</strong> d’Aix-en-Provence qui<br />

organisent, la première année, <strong>de</strong>s rencontres locales. L’initiative est ensuite reprise par la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

Marseille Cor<strong>de</strong>rie et <strong>de</strong> Martigues qui, par le biais <strong>de</strong> la Fédération départementale 13, lui donnent<br />

aussi une dimension départementale. Ce n’est que bien plus tard, avec le soutien <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong><br />

Méditerranée, que ces rencontres prennent une dimension régionale et internationale, d’autres<br />

régions <strong>de</strong> la Méditerranée y étant associées, notamment la Catalogne et la Campanie (Naples).<br />

L’opération va donc du local au régional ; l’itinéraire inverse parait difficilement concevable.<br />

2 “Certains <strong>de</strong> nos détracteurs, y compris et surtout à l’intérieur <strong>de</strong> l’Institution, disent que notre<br />

fédération fonctionne comme un appareil autoritaire et centralisateur. C’est faux et aberrant. Si<br />

c’était le cas, je pourrais donner un ordre à Paris et le voir s’exécuter à Nice, par exemple. Or c’est<br />

totalement inconcevable”. Entretien avec Jean-Clau<strong>de</strong> Lambert, délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Cette<br />

appréciation est corroborée par Franck Lepage, directeur du développement culturel à la FF<strong>MJC</strong>, qui<br />

fait état <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s difficultés à faire fonctionner d’une manière productive les réseaux inter-<br />

<strong>MJC</strong> qu’il a la responsabilité d’animer.<br />

3 Les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, notamment quand ils sont d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s situations professionnellement<br />

conflictuelles et difficiles, se plaignent <strong>de</strong> leur isolement, <strong>de</strong> l’incapacité fédérative à les soutenir et<br />

à régler leurs problèmes. Ils reconnaissent en même temps la liberté d’initiative et <strong>de</strong> stratégie qui<br />

leur est laissée.


- 92 -<br />

Ne pourrait-on pas se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si par exemple à la FF<strong>MJC</strong>, il ne sert pas à préserver la position<br />

dominante <strong>de</strong> certains acteurs, notamment <strong>de</strong>s quelque <strong>60</strong>0 professionnels fédéraux, directeurs <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> pour la plupart ? C’est une question “chau<strong>de</strong>” à laquelle les différents détracteurs 1 <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

ont répondu par l’affirmative et qui revient à tous les moments conflictuels et <strong>de</strong> crise <strong>de</strong> cette<br />

institution : déjà au moment <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes, ensuite <strong>de</strong> 1967 à la scission <strong>de</strong> 1969,<br />

enfin <strong>de</strong>puis la crise ouverte à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong> (1987).<br />

L’approche scientifique <strong>de</strong> Catherine Flament apporte une autre réponse à la question <strong>de</strong> ce<br />

hiatus apparent entre le formalisme <strong>de</strong> cet appareillage fédératif, et un fonctionnement <strong>de</strong> base<br />

réticulé. “En fait, dit-elle, les “réticulés” ont en commun d’avoir pu établir un lien fort et autonome,<br />

s<strong>ans</strong> dépendance à leur fédération” 2 . Sur le versant associatif décisionnel, les responsables<br />

administrateurs participent activement aux travaux et à la réflexion <strong>de</strong> leur fédération ; ils sont <strong>de</strong>s<br />

membres souvent très actifs <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> décision et <strong>de</strong> concertation. Pour eux la “Fédé” est<br />

essentiellement un “lieu d’échanges d’idées” ; elle sert à “s’ouvrir la tête” 3 .<br />

Sur le versant opérationnel, pour les directeurs principalement, l’appareil fédéral sert à “se<br />

réoxygéner”, à “prendre du recul”, à “se dégager <strong>de</strong>s inévitables contraintes quotidiennes”, à “sortir<br />

du bocal et du local” 4 . En fait l’appareil fédéral sert essentiellement <strong>de</strong> dispositif-ressource, <strong>de</strong><br />

confrontation et <strong>de</strong> réactualisation <strong>de</strong>s savoir-faire, plus que d’espace où se déci<strong>de</strong>raient et se<br />

coordonneraient <strong>de</strong>s actions concrètes. Son efficience concerne les savoir-faire, pas véritablement la<br />

production 5 . Mais en même temps, la “Fédé” remplit vis-à-vis <strong>de</strong> ses professionnels une fonction<br />

quasi-psychanalytique : elle est à la fois le père et la mère, chargés <strong>de</strong> tous les maux, responsables<br />

<strong>de</strong> toutes les difficultés et qui <strong>de</strong>vraient régler tous les problèmes 6 . C’est pour cela que l’appareil<br />

1 Louis Bériot, dont le discours n’est ni tendre ni scientifique, cloue au pilori ces directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>,<br />

“maréchaux à 40 <strong>ans</strong>”, budgétivores, uniquement soucieux <strong>de</strong> leurs salaires et avantages acquis (Le<br />

bazar <strong>de</strong> la solidarité, Éditions J.-Cl. Lattès, 1985).<br />

2 Associations et réseaux, p. 32.<br />

3 Associations et réseaux, p. 32.<br />

4 Paroles <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le cadres <strong>de</strong>s Journées d’Étu<strong>de</strong>.<br />

5 Cette situation permet <strong>de</strong> comprendre pourquoi la FF<strong>MJC</strong> a du mal à répondre positivement à une<br />

politique <strong>de</strong> subventionnement sur projets concertés ou sur opérations engageant l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

structures qu’elle fédère. Elle obéit à une logique <strong>de</strong> la démarche et non du produit, à laquelle ne<br />

peuvent répondre que <strong>de</strong>s subventionnements <strong>de</strong> structure.<br />

6 Quelques formules : “Parmi d’autres, dont le premier est <strong>de</strong> garantir la paie, la “Fédé” doit remplir<br />

<strong>de</strong>ux rôles essentiels pour les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : avant l’action, servir d’éclaireur (entendons<br />

apporter les savoir et savoir-faire) ; après l’action, assurer le repos du guerrier (Jean Irrmann,<br />

directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, lors <strong>de</strong>s Journées Régionales d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> février 1990). Une épouse <strong>de</strong> directeur<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : “Mon mari a <strong>de</strong>ux mères, la sienne et la FF<strong>MJC</strong> ; c’est la secon<strong>de</strong> qui me pose le plus <strong>de</strong><br />

problèmes ...”. A partir <strong>de</strong> là, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si le modèle familial <strong>de</strong>s relations entre la mère<br />

et les enfants n’éclairerait pas quelque peu les crises <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d’autant plus aiguës aujourd’hui<br />

que, <strong>de</strong>puis la régionalisation, la mère est <strong>de</strong>venue multiforme, que chaque région est jalouse <strong>de</strong> la<br />

gestion <strong>de</strong> ses petits, face à un centre fédéral qui accepterait mal le rôle <strong>de</strong> grand-mère, même<br />

tutélaire.


- 93 -<br />

qu’elle constitue a besoin d’être très structuré et bien i<strong>de</strong>ntifié. Les regroupements nationaux y jouent<br />

un rôle essentiel (assemblées générales, journées d’étu<strong>de</strong>), à la fois d’échange d’informations, <strong>de</strong><br />

rencontre et <strong>de</strong> communication, mais aussi <strong>de</strong> repos et <strong>de</strong> moment où l’on se laisse totalement<br />

prendre en charge.<br />

Nous avons vu que l’organigramme <strong>de</strong> la Fédération UNIREG <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> avait quelques<br />

différences essentielles avec celui <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : pas d’assemblée générale nationale <strong>de</strong> l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> base, pas <strong>de</strong> relation d’autorité hiérarchique entre le délégué général, les délégués<br />

régionaux et par conséquent les directeurs, pas <strong>de</strong> gestion nationale du personnel. Les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base<br />

ont également un fonctionnement en réseau local, mais, semble-t-il, s<strong>ans</strong> réel apport structurant du<br />

centre fédéral national où l’on se contenterait, selon certains directeurs interrogés, d’échanger<br />

quelques informations et <strong>de</strong> “savoir comment on va faire circuler une exposition d’une <strong>MJC</strong> à<br />

l’autre” 1 . Vu du côté <strong>de</strong> l’UNIREG <strong>MJC</strong>, on est toujours intéressé et étonné par “le côté militant <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong>”, ses discours et prises <strong>de</strong> position, son engagement sur <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> société (le<br />

racisme, l’apartheid, les droits <strong>de</strong> l’homme, la défense <strong>de</strong> la vie associative, la lutte contre les<br />

inégalités sociales et culturelles, pour la démocratie et les libertés en France et d<strong>ans</strong> différents pays<br />

du mon<strong>de</strong>). On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aussi comment, malgré les crises successives et un coût moyen <strong>de</strong>s<br />

directeurs aussi élevé 2 , la FF<strong>MJC</strong> n’a pas une nouvelle fois éclaté et perdu une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ses<br />

postes fédéraux. Quant aux délégués régionaux <strong>de</strong> l’UNIREG, ils semblent se satisfaire parfaitement<br />

<strong>de</strong> leur situation d’employé régional : “Ils tiennent beaucoup trop à leur indépendance” 3 .<br />

On peut cependant se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si l’UNIREG, malgré - et avec - son fonctionnement fortement<br />

décentralisé et sa faible articulation institutionnelle entre le local et le national, n’a pas <strong>de</strong>s pratiques<br />

d’appareil plus affirmées que la FF<strong>MJC</strong>. Un certain nombre <strong>de</strong> faits auraient tendance à le prouver.<br />

Les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’UNIREG auraient plus <strong>de</strong> propension à communiquer, s’organiser et travailler entre<br />

elles que celles <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Deux exemples: d<strong>ans</strong> l’Hérault et le Vaucluse où se sont créées <strong>de</strong>s<br />

unions départementales rassemblant les <strong>MJC</strong> appartenant aux <strong>de</strong>ux fédérations, ce sont les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

l’UNIREG qui se sont montrées collectivement les plus entreprenantes, qui se sont trouvées à<br />

l’initiative et ont occupé les postes <strong>de</strong> responsabilité. Prenons également l’exemple <strong>de</strong>s enquêtes<br />

menées respectivement d<strong>ans</strong> les <strong>de</strong>ux fédérations. Malgré l’important dispositif mis en place (relais<br />

régionaux, relances ...), l’enquête sur la FF<strong>MJC</strong> n’a obtenu que 400 réponses sur plus <strong>de</strong> 1 000 <strong>MJC</strong><br />

affiliées à ce moment-là. A l’opposé, l’étu<strong>de</strong> sur l’UNIREG a pu porter sur 396 réponses, chiffre<br />

proche <strong>de</strong> l’exhaustivité, ce qui est significatif d’une forte capacité pour le centre fédéral national <strong>de</strong><br />

mobiliser l’appareil interne, du moins d<strong>ans</strong> le recueil <strong>de</strong> l’information.<br />

1 Entretien avec le directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Frontignan.<br />

2 Entre les taux moyens FF<strong>MJC</strong> et UNIREG, la différence est d’environ 30.000 F par an.<br />

3 Entretien avec la secrétaire du délégué général <strong>de</strong> l’UNIREG.


- 94 -<br />

Alors pourquoi, à la différence d’autres fédérations, l’UNIREG notamment, la FF<strong>MJC</strong> présente-t-<br />

elle cette image d’appareil ?<br />

Cette image s’explique par plusieurs raisons : par l’organisation institutionnelle laissant encore<br />

une gran<strong>de</strong> place à l’initiative, au rassemblement et à la représentation nationale (congrès puis<br />

assemblées générales nationales rassemblant les structures fédérées <strong>de</strong> base, recrutement,<br />

formation et gestion nationale <strong>de</strong>s directeurs et <strong>de</strong>s délégués, relative importance du dispositif<br />

national - près <strong>de</strong> 40 personnes à la FF<strong>MJC</strong>, en comptant les délégués, contre seulement 3 à<br />

l’UNIREG nationale) ; par le discours souvent combatif sur <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> société, qui peut donner<br />

une image très militante <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ; par l’organisation professionnelle et syndicale nationale très<br />

forte <strong>de</strong>s personnels qui, par effet métonymique, peut faire prendre cette partie, certes essentielle,<br />

pour le tout institutionnel. Cette image d’appareil <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est également s<strong>ans</strong> doute fortement<br />

héritée <strong>de</strong> son histoire : opposition souvent violente avec l’Etat d<strong>ans</strong> les années 70 <strong>de</strong> la part d’un<br />

centre fédéral et d’un corps professionnel (à travers son syndicat CGT principalement) très combatif.<br />

Image et organisation d’appareil ne veulent donc pas dire pratiques d’appareil. Les choses se<br />

passent comme si c’était précisément le contraire. Tout se joue en effet comme si cette image et<br />

cette organisation libéraient les capacités <strong>de</strong> fonctionnement en réseau <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et facilitaient leur<br />

développement et leur autonomie locale 1 . Au contraire, les <strong>MJC</strong> affiliées à une fédération UNIREG<br />

moins marquée par une organisation et une image d’appareil structurant et contraignant, auraient<br />

une plus gran<strong>de</strong> propension à la communication interne et à une vie fédérative d’appareil.<br />

S’agissant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, on peut se poser cette question : cette institution n’entretiendrait-elle pas<br />

une organisation fédérale nationale, que l’on peut considérer comme coûteuse, source <strong>de</strong> conflits 2 ,<br />

s<strong>ans</strong> réelle efficacité en matière <strong>de</strong> cohésion et <strong>de</strong> dynamisme interne ? Autrement dit, les <strong>MJC</strong><br />

affiliées à la FF<strong>MJC</strong> pourraient-elles avoir l’efficacité <strong>de</strong> terrain actuelle, et même une efficacité<br />

accrue, continuer à développer un fonctionnement en réseau qui semble renforcer leur emprise<br />

locale, s<strong>ans</strong> cette organisation fédérale qui leur donne une marque et une lour<strong>de</strong>ur d’appareil s<strong>ans</strong><br />

les effets positifs <strong>de</strong> l’appareil ? Comment peut-on avoir les effets positifs <strong>de</strong> l’organisation s<strong>ans</strong> les<br />

effets négatifs ?<br />

Ces questions sont plus pratiques que scientifiques et nous atteignons là les limites du champ<br />

scientifique. Les débats et les conflits qui agitent la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>puis l’assemblée générale du M<strong>ans</strong>,<br />

sont traversés par ces interrogations même si elles ne sont pas toujours aussi clairement formulées.<br />

Certains y ont répondu et nous verrons à la fin <strong>de</strong> cette recherche comment chaque protagoniste du<br />

conflit a intérêt à se situer, davantage en fonction <strong>de</strong>s positions qu’il occupe, qu’il défend ou qu’il<br />

entend occuper, qu’en fonction <strong>de</strong> l’efficacité et du renforcement <strong>de</strong> l’ensemble institutionnel.<br />

1 Effet d’une sorte <strong>de</strong> liberté à faire ce que l’on veut, et à prendre <strong>de</strong>s risques sous la protection d’un<br />

encadrement supérieur sécurisant.<br />

2 L’histoire récente <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> l’atteste.


- 95 -<br />

Autrement dit, y aurait-il en matière d’organisation une réponse scientifique décisive, qu’elle ne serait<br />

pas forcément suivie d’effet, tant les enjeux <strong>de</strong> positionnement interne semblent primer sur les<br />

questions du développement, du maintien, voire même <strong>de</strong> la survie, <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’entreprise.<br />

S<strong>ans</strong> sortir du champ <strong>de</strong> la recherche, on pourra cependant mieux comprendre, par l’approche<br />

historique et d’abord par l’analyse économique <strong>de</strong>s ensembles fédératifs, comment <strong>de</strong>s institutions<br />

différemment organisées ont pu également se développer.<br />

2 - Financements et enjeux sociaux<br />

La longue <strong>de</strong>scription que nous venons <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’organisation institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong><br />

leurs fédérations, acquiert une pertinence nouvelle quand on la confronte à l’analyse <strong>de</strong>s<br />

financements <strong>de</strong> l’ensemble fédératif et au repérage du positionnement social <strong>de</strong> ceux qui ont la<br />

responsabilité décisionnelle <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s structures. Il relève du bon sens <strong>de</strong> penser que les<br />

payeurs doivent être aussi les déci<strong>de</strong>urs, et que si les usagers, en tant que payeurs, participent aussi<br />

à la décision, il y a quelque cohérence à penser que ce ne peut être que par l’intermédiaire <strong>de</strong><br />

représentants choisis à leur image. Or ce n’est pas forcément le cas d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture : les collectivités publiques (municipalités, Etat, conseils régionaux et généraux) n’ont<br />

pas une capacité décisionnelle à la hauteur <strong>de</strong> leurs engagements financiers 1 et les administrateurs<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ne sont pas forcément à l’image <strong>de</strong>s usagers qu’ils sont censés représenter.<br />

Ces <strong>de</strong>ux phénomènes s’expliquent grosso modo, le premier par le choix revendiqué par les <strong>MJC</strong><br />

d’être un service public confié aux usagers individuels et collectifs par délégation <strong>de</strong>s pouvoirs<br />

publics 2 , et le second par les déterminants sociaux <strong>de</strong> la délégation <strong>de</strong> pouvoir qui portent aux<br />

postes <strong>de</strong> responsabilités ceux qui occupent certaines positions sociales et culturelles.<br />

On ne peut cependant pas se contenter <strong>de</strong> ce discours général qui peut s’appliquer à bien<br />

d’autres structures. S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, qu’est-ce qui, compte tenu - mais aussi au-<strong>de</strong>là - <strong>de</strong>s<br />

objectifs déclarés et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’organisation et <strong>de</strong> gestion choisis, fait que <strong>de</strong>s pouvoirs ont intérêt<br />

à leur confier, moyens à l’appui, <strong>de</strong>s missions importantes <strong>de</strong> service public, que <strong>de</strong>s bénévoles<br />

animateurs et administrateurs y consacrent un temps non négligeable, et qu’un nombre important<br />

d’usagers choisissent librement <strong>de</strong> bénéficier <strong>de</strong> leurs services et par là-même participent à leur<br />

fonctionnement ?<br />

L’analyse <strong>de</strong>s financements divers peut apporter un premier éclairage.<br />

1 De nombreuses municipalités <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt, compte tenu <strong>de</strong> leurs investissements financiers, une plus<br />

gran<strong>de</strong> place d<strong>ans</strong> les prises <strong>de</strong> décision et ne se contentent plus <strong>de</strong> leur simple place <strong>de</strong> membre <strong>de</strong><br />

droit au conseil d’administration.<br />

2 Ce que certains responsables <strong>de</strong>s pouvoirs publics, notamment les maires d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la<br />

décentralisation, n’acceptent pas, au nom <strong>de</strong> la démocratie locale dont ils pensent être les seuls<br />

représentants.


- 96 -<br />

a) les ressources <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

Les <strong>MJC</strong>, unions locales ou départementales affiliées à la FF<strong>MJC</strong> ayant répondu à l’enquête 1 ont<br />

un “chiffre d’affaire” total, en 1983, <strong>de</strong> 280 millions <strong>de</strong> francs environ. Ce chiffre concerne les<br />

comptes <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> 322 associations. Rapporté par extrapolation aux 1.027 associations<br />

existantes en 1983, et en tenant compte du résultat moyen selon la taille <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> d’après le<br />

nombre d’adhérents, cela représente un total <strong>de</strong> 564 millions <strong>de</strong> francs avec une marge d’erreur<br />

difficile à évaluer, mais que l’on peut situer aux alentours <strong>de</strong> 10%. Pour la même pério<strong>de</strong>, les<br />

comptes <strong>de</strong> résultat <strong>de</strong>s FR<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> s’élevaient à 134 millions <strong>de</strong> francs. On peut donc<br />

avancer qu’en 1983, le chiffre d’affaire global <strong>de</strong> l’institution FF<strong>MJC</strong> représente une somme totale<br />

d’environ 700 millions <strong>de</strong> francs.<br />

L’extrapolation selon le nombre moyen d’adhérents est évi<strong>de</strong>mment relativement imprécise.<br />

Certaines <strong>MJC</strong> très “culturelles” ou très “sociales” peuvent avoir un nombre d’adhérents mo<strong>de</strong>ste en<br />

comparaison avec leur chiffre d’affaire, d<strong>ans</strong> la mesure où leurs stratégies d’intervention peuvent ne<br />

pas passer par “l’encartement”. En effet, la diffusion culturelle d’un côté, et l’insertion sociale <strong>de</strong><br />

l’autre, ne fonctionnent pas forcément selon les logiques <strong>de</strong> l’adhésion à la structure.<br />

D’autres recoupements et d’autres extrapolations permettent cependant d’arriver à un chiffre<br />

d’affaire comparable. Le budget consolidé <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Grenoble (FR<strong>MJC</strong> +<br />

<strong>MJC</strong> + salaires <strong>de</strong>s directeurs) s’élève pour la même pério<strong>de</strong> à 102.586.490 F 2 , soit à 637.2<strong>60</strong> F<br />

environ par structure fédérée. Rapporté à 1.027 associations dénombrées en 1983, cela fait un<br />

chiffre global <strong>de</strong> 650 millions <strong>de</strong> francs auquel il faut ajouter le budget du centre fédéral. Nous<br />

sommes donc bien d<strong>ans</strong> un ordre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur comparable au précé<strong>de</strong>nt 3 .<br />

En utilisant la même métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> calcul (référence à la FRAG), le budget <strong>de</strong> l’ensemble fédéral<br />

serait pour 1987 <strong>de</strong> 1 milliard et 100 millions <strong>de</strong> francs environ. Cette augmentation conséquente<br />

(57% environ) par rapport à 1983 s’explique en partie par l’inflation et par l’augmentation du nombre<br />

<strong>de</strong> structures (+ 10%) mais surtout par leur développement budgétaire.<br />

La Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture représente donc un “poids<br />

économique” non négligeable qu’il est, par manque d’informations, très difficile <strong>de</strong> comparer à celui<br />

<strong>de</strong>s autres fédérations socio-culturelles et d’éducation populaire 4 . A titre indicatif, on peut rappeler<br />

que pour 1982, le secteur sportif “pèserait” 3 milliards 750 millions <strong>de</strong> francs, chiffre incluant les<br />

subventions directes ou indirectes <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong>s collectivités locales, le secteur formation 2<br />

1 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact , p. 40.<br />

2 Les Cahiers <strong>de</strong> la FRAG <strong>MJC</strong> - Documents et statistiques, 1983.<br />

3 Le chiffre trouvé en prenant pour base la Fédération régionale <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Grenoble est<br />

légèrement inférieur à celui <strong>de</strong> l’enquête, ce qui peut s’expliquer par le fait que d<strong>ans</strong> le premier cas<br />

nous avons affaire à l’année 82 alors que d<strong>ans</strong> le second, il s’agit <strong>de</strong> l’année 1983.<br />

4 Sauf pour l’UNIREG <strong>MJC</strong> dont nous allons parler plus loin.


- 97 -<br />

milliards 750 millions <strong>de</strong> francs et le secteur sanitaire et social 30 milliards <strong>de</strong> francs 1 .<br />

Ce chiffre <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, raisonnablement estimé à 1 milliard et 100 millions <strong>de</strong> francs pour 1987,<br />

ne comprend pas les ai<strong>de</strong>s en nature et en personnel <strong>de</strong>s collectivités locales (chauffage, électricité<br />

et entretien <strong>de</strong>s bâtiments, mise à disposition <strong>de</strong> salariés pour l’entretien notamment), ni ce que l’on<br />

appelle le bénévolat valorisé 2 . Or les ai<strong>de</strong>s en nature sont courantes (76% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> bénéficient<br />

directement du chauffage, 72% <strong>de</strong> l’électricité, 73% <strong>de</strong> l’eau et 57% <strong>de</strong> l’entretien), ainsi que la mise<br />

à disposition <strong>de</strong> personnels d’entretien (plus <strong>de</strong> 50%). D’autres avantages non négligeables sont<br />

cependant moins répandus : téléphone payé directement par les collectivités locales pour 11,5% <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>, mise à disposition <strong>de</strong> personnel <strong>de</strong> secrétariat pour 14% 3 .<br />

Il est très difficile d’évaluer ces investissements <strong>de</strong>s collectivités locales, elles-mêmes ne sachant<br />

pas toujours exactement ce que leur coûte la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 4 . Pour ce qui est<br />

du bénévolat valorisé, l’enquête nationale sur la FF<strong>MJC</strong> ne nous donne aucune estimation chiffrée<br />

<strong>de</strong> son poids économique.<br />

Selon la recherche dirigée par J.-P. Sirérols 5 , le poids économique <strong>de</strong> l’UNIREG serait<br />

considérablement plus faible. Pour l’année 1986, le chiffre avancé est <strong>de</strong> 264 millions <strong>de</strong> francs pour<br />

396 associations d<strong>ans</strong> lesquels on comprend la totalité <strong>de</strong>s “investissements” : personnel mis à<br />

disposition, avantages en nature, subventions d’exploitation, subventions spécifiques, ressources<br />

propres, produits <strong>de</strong> contrats et bénévolat valorisé. Si l’on veut “réactualiser” ce chiffre pour l’année<br />

1987 et tenir compte du nombre estimé <strong>de</strong> structures fédérées, on obtient un total <strong>de</strong> 330 millions <strong>de</strong><br />

francs environ.<br />

Il y aurait donc une disparité importante d<strong>ans</strong> le poids économique respectif <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ; d’abord selon le chiffre global brut : <strong>de</strong> 330 millions pour l’UNIREG à 1 milliard 100 millions<br />

pour la FF<strong>MJC</strong>, ce <strong>de</strong>rnier chiffre ne comprenant pas les avantages en nature, les personnels mis à<br />

disposition et le bénévolat valorisé ; ensuite selon le poids économique <strong>de</strong> chaque structure fédérée :<br />

<strong>de</strong> 733.000 F à l’UNIREG à 970.000 F à la FF<strong>MJC</strong>. L’UNIREG fédère donc nettement moins <strong>de</strong><br />

structures - ce que la représentation cartographique a déjà révélé - et <strong>de</strong>s structures moins<br />

importantes économiquement, ce qui peut s’expliquer par son implantation plus rurale d<strong>ans</strong> une<br />

France plus pauvre. A l’opposé, l’implantation très urbaine <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> se traduit par la présence <strong>de</strong><br />

1 Geneviève Rey : “Le mouvement associatif et sa réalité économique”. Revue <strong>de</strong> l’Économie sociale n°<br />

4, avril-juin 1985 (p 113 à 122).<br />

2 Force <strong>de</strong> travail non rémunérée que l’on peut estimer, et porter à la fois en recette et en dépense<br />

d<strong>ans</strong> le budget d’une association.<br />

3 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact,<br />

p. 46-47.<br />

4<br />

Le chauffage, l’électricité et l’entretien <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> passent généralement d<strong>ans</strong> le budget <strong>de</strong>s coûts<br />

annuels <strong>de</strong>s bâtiments publics, au même titre que les écoles et autres équipements communaux.<br />

5 Faits, chiffres et images d’associations.


- 98 -<br />

nombreuse <strong>MJC</strong> à très gros budget, qui font d’elles <strong>de</strong> véritables petites entreprises : les <strong>MJC</strong><br />

dépassant les 10 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> budget ne sont pas rares.<br />

Mais ce déséquilibre financier absolu et relatif entre les <strong>de</strong>ux fédérations est tel qu’on est tenté <strong>de</strong><br />

chercher d’autres explications. Le nombre <strong>de</strong> directeurs fédéraux ne joue-t-il pas un rôle<br />

déterminant, d<strong>ans</strong> la mesure où leur présence est à la fois indicative <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> et<br />

laisse augurer <strong>de</strong> son développement économique ultérieur 1 ? L’argument ne tient pas. En effet, le<br />

rapport nombre <strong>de</strong> directeurs/nombre <strong>de</strong> structures affiliées est plus élevé pour l’UNIREG que pour<br />

la FF<strong>MJC</strong> : 55 directeurs pour 100 structures contre 44 pour 100.<br />

On est donc tenté d’expliquer ce poids économique supérieur <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> à la<br />

fois par l’implantation géographique et par le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> recrutement et <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s directeurs,<br />

c’est-à-dire par l’organisation fédérative nationale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> ses cadres et<br />

le développement <strong>de</strong> leur savoir-faire. En effet, les exigences du recrutement national, liées<br />

essentiellement aux savoirs et savoir-faire et non aux besoins d’opportunité locale, la formation en<br />

<strong>de</strong>ux <strong>ans</strong>, la stagiairisation d’un an sur poste, la formation permanente, les bil<strong>ans</strong> professionnels, les<br />

journées régionales et nationales d’étu<strong>de</strong>, développent vraisemblablement les compétences et les<br />

capacités d’entreprise d’un corps professionnel qui, <strong>de</strong>puis longtemps, remplit <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong><br />

maîtrise d’oeuvre, voire d’ingénierie du développement culturel et social, et ne sont plus <strong>de</strong> simples<br />

animateurs même globaux 2 .<br />

A combien peut-on donc estimer le poids économique global <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à l’une et l’autre<br />

fédération ? En ajoutant les <strong>de</strong>ux chiffres, on obtient un total <strong>de</strong> 1 milliard et 430 millions auquel il<br />

faudrait ajouter le bénévolat valorisé <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (estimé à 150 millions <strong>de</strong> francs selon la base <strong>de</strong><br />

calcul appliquée pour l’UNIREG 3 ) soit un total général <strong>de</strong> un milliard et 580 millions <strong>de</strong> francs d<strong>ans</strong><br />

lequel on ne compte pas les avantages en nature et le personnel mis à disposition <strong>de</strong>s structures<br />

FF<strong>MJC</strong> par les collectivités locales.<br />

S’agissant <strong>de</strong> ces financements hors subventions et pour conclure sur cette évaluation du poids<br />

économique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, on peut faire une estimation raisonnable <strong>de</strong> 150 millions <strong>de</strong> francs pour la<br />

FF<strong>MJC</strong>, année 1987. Ce chiffre moyen est obtenu par extrapolation à partir du chiffre estimé pour<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> moyennes (budget d’un million <strong>de</strong> francs environ) bénéficiant du chauffage, <strong>de</strong> l’eau, <strong>de</strong><br />

1 En effet, une <strong>de</strong>s missions essentielles du directeur est <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s actions nouvelles,<br />

d’augmenter l’audience <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, donc ses ressources propres, d’élargir le partenariat opérationnel<br />

et financier.<br />

2 Voir l’étu<strong>de</strong> d’Alain Rissel : Directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> - L’évolution <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s directrices et<br />

directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> (Les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, 1989).<br />

3 J.-P. Sirérols évalue à 2.500 le nombre d’heures <strong>de</strong> bénévolat dont bénéficie chaque association<br />

fédérée. En valorisant pour 1987 ces heures à 50 F (charges comprises), ce qui est mo<strong>de</strong>ste, on<br />

obtiendrait pour la FF<strong>MJC</strong> un chiffre global <strong>de</strong> 2.500 h x 50 F x 1.140 structures, soit 142 millions<br />

et 500 mille francs. Cette estimation est raisonnable, car rien n’indique que le bénévolat soit moins<br />

développé à la FF<strong>MJC</strong> qu’à l’UNIREG.


- 99 -<br />

l’électricité et <strong>de</strong> l’entretien <strong>de</strong>s locaux 1 ainsi que <strong>de</strong> celui, calculé à partir <strong>de</strong> l’enquête <strong>de</strong> J.-P.<br />

Sirérols, qui évalue ces apports supplémentaires à 38,6% <strong>de</strong>s subventions.<br />

En tenant compte <strong>de</strong> ce chiffre et du caractère approximatif <strong>de</strong> nos estimations, on peut donc<br />

évaluer le chiffre d’affaire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations, en France, en 1987, les <strong>de</strong>ux institutions<br />

confondues, à un milliard 730 millions <strong>de</strong> francs 2 .<br />

En 1990, compte tenu <strong>de</strong> l’inflation, même mo<strong>de</strong>ste, et du développement régulier <strong>de</strong>s structures<br />

en nombre et en chiffre d’affaire aussi bien à l’UNIREG qu’à la FF<strong>MJC</strong>, on peut supposer que<br />

l’ensemble “pèse” plus <strong>de</strong> 2 milliards <strong>de</strong> francs.<br />

Les sources <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont globalement <strong>de</strong> trois<br />

ordres :<br />

- les collectivités locales (municipalités essentiellement) et l’Etat sous la forme <strong>de</strong><br />

subventions, d’ai<strong>de</strong>s en nature et en personnel,<br />

- la participation <strong>de</strong>s ménages : adhésions, cotisations, entrées aux spectacles, paiement <strong>de</strong><br />

services divers (hébergement, restauration, vacances, location <strong>de</strong> salles et <strong>de</strong> matériel...),<br />

- le bénévolat valorisé, force <strong>de</strong> travail non rémunérée qui ne modifie pas les équilibres<br />

financiers mais qui augmente d’une manière sensible les possibilités d’action <strong>de</strong>s structures.<br />

Les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers chapitres constituent ce qu’il est courant d’appeler l’autofinancement ou les<br />

ressources propres <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. D<strong>ans</strong> quelles proportions ces trois financements interviennent-ils d<strong>ans</strong><br />

le développement <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong> leurs fédérations ?<br />

Là aussi les évaluations brutes et relatives sont très difficiles à effectuer tant le rassemblement<br />

global <strong>de</strong>s données manque, et disparates sont les situations.<br />

En ce qui concerne la FF<strong>MJC</strong>, les chiffres les plus précis et les plus fiables, même s’ils ne<br />

concernent qu’une région, sont ceux <strong>de</strong> la fédération <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong> Grenoble. Si l’on considère<br />

l’ensemble ajouté <strong>de</strong>s comptes <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> cette région, qui ne prennent en compte ni le<br />

bénévolat valorisé, ni les avantages en nature, ni les personnels municipaux et fédéraux 3 mis à leur<br />

disposition, on constate que les recettes propres (ici la participations <strong>de</strong>s usagers) s’élèvent à 58%<br />

1 En 1987, on évalue à 200.000 F les avantages directs <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> Prévert à Aix-en-Provence (eau,<br />

électricité chauffage et personnel d’entretien). C’est également vrai pour la <strong>MJC</strong> voisine. Si nous<br />

choisissons <strong>de</strong> prendre un chiffre inférieur, c’est parce que toutes les <strong>MJC</strong> ne bénéficient pas <strong>de</strong><br />

tous ces avantages. 140.000 F par an et par <strong>MJC</strong> d’avantages, hors subventions, nous paraît<br />

raisonnable.<br />

2<br />

3<br />

Ce chiffre ne tient pas compte <strong>de</strong>s investissements mobiliers et immobiliers. En évaluant chaque<br />

équipement à 5 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> moyenne, on peut considérer que les <strong>MJC</strong> gèrent un patrimoine<br />

- qui, sauf exception, est propriété <strong>de</strong>s collectivités locales - <strong>de</strong> 8 milliards <strong>de</strong> francs.<br />

Rappelons que les directeurs fédéraux sont gérés par l’appareil fédéral et mis à disposition <strong>de</strong>s<br />

structures <strong>de</strong> base. Ainsi leur financement et leur coût n’apparaissent pas d<strong>ans</strong> les compte<br />

d’exploitation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.


- 100 -<br />

<strong>de</strong>s recettes 1 . Si l’on considère maintenant l’unité économique régionale (FRAG + <strong>MJC</strong> + taux<br />

moyens <strong>de</strong>s directeurs), les ressources propres s’élèvent à près <strong>de</strong> 50% (49%) du budget total <strong>de</strong><br />

fonctionnement d<strong>ans</strong> lequel on ne tient pas compte ni <strong>de</strong>s avantages en nature et mises à disposition<br />

<strong>de</strong> personnels (à classer d<strong>ans</strong> les subventions), ni du bénévolat valorisé (à classer d<strong>ans</strong><br />

l’autofinancement). D<strong>ans</strong> la mesure où ces <strong>de</strong>ux apports ont été estimés à <strong>de</strong>s montants équivalents<br />

(150 millions <strong>de</strong> bénévolat valorisé et d’avantages hors subventions à la FF<strong>MJC</strong> 2 ), on peut<br />

considérer le pourcentage <strong>de</strong> 49% d’autofinancement comme pertinent.<br />

L’étu<strong>de</strong> sur la fédération UNIREG conclut à un pourcentage d’autofinancement tout à fait<br />

comparable. D<strong>ans</strong> une approche générale, J.-P. Sirérols classe le produit <strong>de</strong>s contrats <strong>de</strong><br />

financement <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> directeurs d<strong>ans</strong> les ressources propres et obtient ainsi un taux global<br />

d’autofinancement <strong>de</strong> 64,4%, évi<strong>de</strong>mment plus élevé qu’à la FF<strong>MJC</strong>. Par contre, en considérant le<br />

financement <strong>de</strong>s conventions <strong>de</strong> mise à disposition <strong>de</strong>s personnels comme <strong>de</strong>s subventions - ce qui<br />

est beaucoup plus cohérent - et en évaluant l’heure <strong>de</strong> bénévolat à 50 F, J.-P. Sirérols arrive à un<br />

taux d’autofinancement <strong>de</strong> 50,4% tout à fait comparable à celui <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong><br />

Grenoble (49%) 3 .<br />

A grands traits, on peut avancer que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture et leurs fédérations,<br />

les <strong>de</strong>ux institutions confondues, s’autofinancent à 50%, les autres 50% relevant <strong>de</strong> subventions<br />

publiques aux associations (<strong>MJC</strong> et structures fédérales), <strong>de</strong> financements publics <strong>de</strong> postes et <strong>de</strong><br />

contrats d’objectifs, enfin d’avantages en nature et <strong>de</strong> mises à disposition <strong>de</strong> personnels. D<strong>ans</strong> ces<br />

50% d’autofinancement, on peut évaluer à 11,5% le bénévolat valorisé et à 38,5% les ressources<br />

propres.<br />

Ces propositions constituent un dispositif moyen avec <strong>de</strong>s écarts considérables selon les <strong>MJC</strong>.<br />

Certains structures peuvent avoir un taux d’autofinancement très élevé (jusqu’à 90%) alors que<br />

d’autres vivent essentiellement <strong>de</strong> financements publics 4 . L’enquête sur la FF<strong>MJC</strong> 5 met bien en<br />

évi<strong>de</strong>nce ces disparités : les subventions représentent moins <strong>de</strong> 50% du compte <strong>de</strong> résultat pour<br />

<strong>60</strong>,4% <strong>de</strong>s associations, 51 à 75% pour 20% <strong>de</strong>s associations et plus <strong>de</strong> 75% pour 11,6% <strong>de</strong>s<br />

associations. Par contre, les Fédérations régionales et la Fédération française sont quasi<br />

1 Les Cahiers <strong>de</strong> la FRAG <strong>MJC</strong> - Documents et statistiques, 1987, p. 68 (annexe 31).<br />

2 J.-P. Sirérols arrive également, pour l’UNIREG, à une estimation comparable <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux masses :<br />

42,2 millions <strong>de</strong> francs pour le bénévolat valorisé, et 36,3 millions pour les apports publics, hors<br />

subventions (396 <strong>MJC</strong> pour l’année 1986).<br />

3 Accordons-nous pour dire que l’autofinancement correspond à la somme du bénévolat valorisé et <strong>de</strong>s<br />

ressources propres, constituée pour l’essentiel par la participation <strong>de</strong>s ménages. Les apports du<br />

mécénat et du sponsoring sont à la fois trop mo<strong>de</strong>stes et trop mal estimés pour que nous puissions<br />

les prendre en compte. Ils entrent évi<strong>de</strong>mment d<strong>ans</strong> les ressources propres.<br />

4 A titre d’exemple : la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Grasse a un taux d’autofinancement <strong>de</strong> 85% environ, alors que la <strong>MJC</strong><br />

d’Avignon “Croix <strong>de</strong>s Oiseaux” vit à plus <strong>de</strong> 80% <strong>de</strong>s finances publiques.<br />

5 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact.


- 101 -<br />

complètement financées par les <strong>de</strong>niers publics, d<strong>ans</strong> la mesure où elles gèrent rarement <strong>de</strong>s<br />

services rémunérés par les usagers, ce qui explique par exemple que les <strong>MJC</strong> seules aient 58,1%<br />

<strong>de</strong> ressources propres et que l’unité régionale (FR, <strong>MJC</strong> et salaires <strong>de</strong>s directeurs) n’en ait que<br />

49% 1 .<br />

Si l’on considère les évolutions budgétaires <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années, il semble bien que l’on aille<br />

vers une augmentation <strong>de</strong> l’autofinancement. De 1982 à 1987, on passe, pour les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

l’académie <strong>de</strong> Grenoble, <strong>de</strong> 56,4% à 58,1% <strong>de</strong> recettes propres et, pour l’ensemble fédéral<br />

académique, <strong>de</strong> 46,4% à 49%. Comment faut-il interpréter cette évolution ?<br />

On peut voir d<strong>ans</strong> cette augmentation tendancielle <strong>de</strong> l’autofinancement un signe d’autonomie,<br />

d’indépendance et <strong>de</strong> bonne gestion économique <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, qui<br />

n’attendraient plus tout <strong>de</strong>s financements publics. On peut aussi y voir un danger <strong>de</strong> fragilisation <strong>de</strong>s<br />

structures qui, avec un taux très élevé d’autofinancement, seraient totalement dépendantes <strong>de</strong> la loi<br />

du marché socio-culturel et ne pourraient plus remplir les missions qu’elles se sont donné, qui<br />

consistent à s’adresser à tous, mais prioritairement aux jeunes et aux plus défavorisés<br />

culturellement, socialement et économiquement. On voit mal en effet comment ces structures<br />

pourraient rendre un véritable service social, éducatif et culturel public s<strong>ans</strong> financements publics<br />

conséquents.<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ne se contentent donc pas, ou plus, <strong>de</strong> dépenser<br />

l’argent que la collectivité publique leur donne. Elles doivent <strong>de</strong> plus en plus - en ce sens elles<br />

relèvent bien d’une forme d’économie sociale - rassembler <strong>de</strong>s moyens d’origines diverses<br />

(financements publics et privés, bénévolat ...) pour réaliser <strong>de</strong>s objectifs précis d<strong>ans</strong> le cadre d’un<br />

projet général. Le développement <strong>de</strong> l’autofinancement va s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> pair avec l’idée qu’elles se<br />

font d’être <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> service public par voie associative, et <strong>de</strong> plus en<br />

plus <strong>de</strong>s entreprises, répondant à la fois à <strong>de</strong>s intérêts privés et publics. En poussant cette logique<br />

d’entreprise jusqu’au bout, on pourrait dire que les <strong>MJC</strong> ont <strong>de</strong>ux clients essentiels : la collectivité<br />

publique qui leur achète un service d’intérêt général (insertion <strong>de</strong>s populations en difficulté,<br />

développement <strong>de</strong>s réseaux sociaux, élargissement <strong>de</strong>s publics par exemple ...) et les personnes<br />

privées qui paient plus ou moins cher les services proposés (loisirs, spectacles, formation, etc...). Le<br />

développement <strong>de</strong>s financements publics sur contrats d’objectifs, à côté et souvent à la place <strong>de</strong>s<br />

subventions régulières, corrobore cette interprétation <strong>de</strong> l’évolution économique <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, évolution qui a nécessairement une influence sur les valeurs <strong>de</strong> référence 2<br />

<strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong>s acteurs.<br />

Mais avant d’en arriver à ces considérations qui concernent la phase la plus actuelle <strong>de</strong> l’histoire<br />

1 Les Cahiers <strong>de</strong> la FRAG <strong>MJC</strong> - Documents et statistiques, 1987.<br />

2 Ce que l’on appelle aujourd’hui la “culture d’entreprise” sur laquelle nous reviendrons (à propos du<br />

concept complexe <strong>de</strong> “culture d’entreprise” voir par exemple le livre <strong>de</strong> Maurice Thévenet : Audit <strong>de</strong><br />

la culture d’entreprise. Les Éditions d’Organisation, 1986).


- 102 -<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il est nécessaire d’analyser plus en profon<strong>de</strong>ur leurs logiques d’approvisionnement<br />

financier et humain et ainsi i<strong>de</strong>ntifier les rapports sociaux qui s’y jouent et les stratégies<br />

généralement inconscientes <strong>de</strong>s acteurs.<br />

1) les ressources publiques<br />

Ces quelque 50% <strong>de</strong> participation <strong>de</strong> la collectivité publique au financement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture concernent à la fois les subventions structurelles, les subventions<br />

spécifiques, les produits <strong>de</strong>s contrats, notamment pour les directeurs, passés avec les collectivités et<br />

l’Etat, les avantages en nature et les personnels mis à disposition. S’agissant <strong>de</strong> ces ressources<br />

publiques, on peut les analyser sous trois points <strong>de</strong> vue : leur forme à travers leur composition<br />

organique, autrement dit la part relative <strong>de</strong> chacune d’entre elles, leur origine socio-économique et<br />

enfin leur source d’approvisionnement.<br />

La composition organique <strong>de</strong>s financements publics est difficile à apprécier avec précision pour<br />

<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> difficulté d’enquête exhaustive appliquée à <strong>de</strong>s structures fédérées qui ont chacune<br />

leur autonomie 1 , d’autre part à cause du caractère souvent inclassable d’un certain nombre <strong>de</strong><br />

financements - il est souvent difficile <strong>de</strong> trancher entre le caractère structurel ou spécifique <strong>de</strong><br />

certaines subventions - enfin comme nous l’avons déjà fait remarquer, en raison <strong>de</strong> la difficulté à<br />

évaluer le coût <strong>de</strong>s avantages en nature et <strong>de</strong>s personnels mis à disposition. Malgré cela, on peut<br />

tenter quelques estimations raisonnables.<br />

Pour l’année 1987, année <strong>de</strong> référence que nous avons choisie pour estimer le poids<br />

économique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et la part <strong>de</strong> ses différentes composantes, on a pu évaluer les avantages en<br />

nature et la mise à disposition <strong>de</strong> personnels à 190 millions <strong>de</strong> francs environ (150 pour la FF<strong>MJC</strong> et<br />

40 pour l’UNIREG), soit 22% <strong>de</strong>s ressources publiques. Les produits <strong>de</strong>s contrats - essentiellement<br />

les conventions <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s postes d’animateurs et <strong>de</strong> directeurs - peuvent être évalués à<br />

180 millions 2 , soit 21% <strong>de</strong>s ressources publiques. Pour les 57% restant qui correspon<strong>de</strong>nt aux<br />

subventions, il est, rappelons-le, difficile <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la part du structurel et du spécifique. On ne<br />

peut que donner <strong>de</strong>s indications qualitatives : les subventions aux fédérations sont <strong>de</strong> plus en plus<br />

<strong>de</strong>s subventions spécifiques, liées à <strong>de</strong>s contrats d’objectifs 3 qui intègrent les frais <strong>de</strong> structure. Les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture elles-mêmes contractualisent <strong>de</strong> plus en plus avec les<br />

collectivités locales <strong>de</strong>s moyens pour <strong>de</strong>s objectifs clairement définis : programmation avec cahier<br />

<strong>de</strong>s charges, opérations ponctuelles liées à une discipline (mois du cinéma par exemple..) ou à un<br />

1 Le fonctionnement en réseau, et non en appareil, qu’avec Catherine Flament nous avons mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce, a une répercussion épistémologique négative. Il est aussi difficile <strong>de</strong> rassembler <strong>de</strong>s<br />

données fiables <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> que <strong>de</strong> les faire travailler ensemble.<br />

2 Environ 780 salariés au taux moyen <strong>de</strong> 230.000 F.<br />

3 Contrats d’objectifs Jeunesse et Sport, formation avec le soutien <strong>de</strong> la Caisse d’Allocations familiales,<br />

opérations thématiques... Par exemple, le chiffre d’affaire <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée n’est fait que <strong>de</strong><br />

contrats sur <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong>s opérations.


- 103 -<br />

public (jeunes en difficulté...), si bien que les formes <strong>de</strong> subventionnement sont souvent doubles : un<br />

subventionnement structurel pour frais <strong>de</strong> fonctionnement et organisation <strong>de</strong> services réguliers<br />

(accueil, activités ...), et <strong>de</strong>s subventionnements spécifiques préaffectés. On passerait<br />

progressivement, mais sûrement, <strong>de</strong> subventionnements structurels pour réaliser <strong>de</strong>s objectifs<br />

généraux, à <strong>de</strong>s financements spécifiques intégrant les frais <strong>de</strong> structure. Cette évolution qui<br />

s’accentue avec le temps conduit <strong>de</strong> plus en plus les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, notamment les<br />

directeurs, à une négociation et une contractualisation permanentes avec les partenaires les plus<br />

divers. Les contenus <strong>de</strong> travail s’en trouvent considérablement modifiés, et nous verrons comment le<br />

directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> est passé du rôle d’animateur <strong>de</strong> groupe (jusqu’au début <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>) à celui <strong>de</strong><br />

directeur <strong>de</strong> structure, pour <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus un chef <strong>de</strong> projet(s), terme à employer au pluriel<br />

plutôt qu’au singulier.<br />

Le repérage <strong>de</strong> l’origine socio-économique <strong>de</strong>s financements publics ainsi que <strong>de</strong> leur itinéraire,<br />

<strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> situer les <strong>MJC</strong> - et l’ensemble <strong>de</strong>s structures d’intervention socio-culturelle - par<br />

rapport au champ <strong>de</strong> production <strong>de</strong> la richesse économique. Le modèle <strong>de</strong> la rétrocession <strong>de</strong> la plus-<br />

value appliqué par C. Bau<strong>de</strong>lot, R. Establet et J. Mallemort à la petite bourgeoisie 1 , peut, semble-t-il,<br />

également s’appliquer au financement public <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

On pourrait dire que les ressources publiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont <strong>de</strong> la plus-value extorquée au<br />

prolétariat d<strong>ans</strong> le champ <strong>de</strong> la production économique, et rétrocédée aux associations et<br />

fédérations, cela en <strong>de</strong>ux temps essentiels : d’abord à l’Etat et aux collectivités locales par le biais <strong>de</strong><br />

l’impôt sur les particuliers et <strong>de</strong>s taxes sur les entreprises ; puis <strong>de</strong> l’Etat et collectivités locales aux<br />

<strong>MJC</strong> et fédérations sous forme <strong>de</strong> subventions, <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s contrats, d’ai<strong>de</strong>s en nature et <strong>de</strong><br />

force <strong>de</strong> travail salarié.<br />

Pour ce qui est du financement <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong>s collectivités locales sur impôt <strong>de</strong>s ménages, on<br />

peut avancer qu’il s’agit <strong>de</strong> rétrocession <strong>de</strong> plus-value en trois temps. D<strong>ans</strong> la mesure où les petits-<br />

bourgeois tirent une part importante 2 <strong>de</strong> leur revenu <strong>de</strong> la rétrocession <strong>de</strong> plus-value, et paient une<br />

part également importante <strong>de</strong> l’impôt sur les ménages, cette plus-value rétrocédée aux <strong>MJC</strong> est<br />

rétrocédée <strong>de</strong> la production aux ménages sous forme <strong>de</strong> salaires, puis <strong>de</strong>s ménages à la collectivité<br />

publique sous forme d’impôt, enfin <strong>de</strong> la collectivité publique aux associations et fédérations sous<br />

forme <strong>de</strong> subventions, avantages en nature, personnels et financement <strong>de</strong>s contrats.<br />

1 “Sont petits-bourgeois tous ceux qui, à cause <strong>de</strong> leur place d<strong>ans</strong> les rapports <strong>de</strong> production, se voient<br />

rétrocé<strong>de</strong>r par la bourgeoisie une fraction <strong>de</strong> plus-value [extorquée au prolétariat]. Cela revient à<br />

dire : sont petits-bourgeois, tous ceux qui ne sont pas <strong>de</strong>s capitalistes et qui perçoivent comme<br />

revenu, quelle que soit la forme <strong>de</strong> ce revenu (salaire, bénéfice commercial, honoraires, traitement),<br />

une somme d’argent supérieure à la valeur <strong>de</strong> leur force <strong>de</strong> travail”. La petite bourgeoisie en France.<br />

Petite collection Maspéro, 1981, p. 222.<br />

2 Tout ce qui est au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail, que les auteurs <strong>de</strong> “La petite bourgeoisie<br />

en France” évaluent à la valeur <strong>de</strong> base (celle <strong>de</strong> l’ouvrier qualifié) plus le coût <strong>de</strong> sa formation<br />

initiale et <strong>de</strong> son entretien.


- 104 -<br />

L’itinéraire <strong>de</strong> cette plus-value rétrocédée peut aussi être particulièrement long et tortueux.<br />

Quelques exemples :<br />

- pour un cadre d’entreprise <strong>de</strong> production : plus-value extorquée au prolétariat <br />

rétrocession au cadre sous forme <strong>de</strong> salaire supplémentaire rétrocession à l’Etat sous forme<br />

d’impôt sur le revenu rétrocession aux associations sous forme <strong>de</strong> subventions, d’ai<strong>de</strong>s en<br />

nature, personnels et financements <strong>de</strong>s contrats ;<br />

- pour un cadre d’entreprise commerciale : plus-value extorquée au prolétariat à la<br />

production rétrocession à l’entreprise commerciale pour réalisation <strong>de</strong> la plus-value <br />

rétrocession au cadre du commerce sous forme <strong>de</strong> salaire supplémentaire rétrocession à l’Etat<br />

sous forme d’impôt sur le revenu rétrocession aux associations sous forme <strong>de</strong> subventions,<br />

d’ai<strong>de</strong>s en nature, personnels et financements <strong>de</strong>s contrats ;<br />

- pour un cadre <strong>de</strong> la fonction publique : plus-value extorquée au prolétariat à la production<br />

rétrocession à l’Etat sous forme <strong>de</strong> taxation <strong>de</strong>s entreprises et d’impôt sur les salaires <br />

rétrocession au cadre <strong>de</strong> la fonction publique sous forme <strong>de</strong> salaire supplémentaire nouvelle<br />

rétrocession à l’Etat sous forme d’impôt sur le revenu rétrocession aux associations sous forme<br />

<strong>de</strong> subventions, d’ai<strong>de</strong>s en nature, personnels et financements <strong>de</strong>s contrats.<br />

Ces quelques exemples montrent bien que les ai<strong>de</strong>s et financements publics accordés aux <strong>MJC</strong>,<br />

comme à l’ensemble du secteur associatif, sont <strong>de</strong> la plus-value rétrocédée par le patronat et selon<br />

un cheminement particulièrement long. Autrement dit, cette plus-value est prélevée (“pompée”,<br />

disent les auteurs <strong>de</strong> “La petite bourgeoisie en France”) très en aval <strong>de</strong> son lieu <strong>de</strong> production, le<br />

champ économique, et <strong>de</strong> son lieu <strong>de</strong> réalisation, l’appareil commercial. Cet éloignement est<br />

particulièrement essentiel pour apprécier l’enjeu du développement <strong>de</strong>s secteurs sociaux, éducatifs<br />

et culturels 1 car si, aux yeux du patronat, le service public et ses salariés peuvent apparaître comme<br />

<strong>de</strong>s faux-frais <strong>de</strong> la production 2 , c’est à fortiori vrai pour les structures et les salaires <strong>de</strong> l’intervention<br />

socio-culturelle, d’autant que leur forme d’organisation les rend difficilement contrôlables.<br />

Il n’est pas s<strong>ans</strong> intérêt <strong>de</strong> savoir (comme l’analyse historique le confirmera 3 ) à quel niveau <strong>de</strong><br />

l’appareil d’Etat cette plus-value rétrocédée est prioritairement “pompée”. Les chiffres <strong>de</strong> 1986-87,<br />

même partiels, que nous avons pour la FF<strong>MJC</strong> 4 et l’UNIREG 5 , laissent apparaître une réelle<br />

1 “Le mo<strong>de</strong> et le lieu <strong>de</strong> pompage <strong>de</strong> la plus-value, c’est à dire la place occupée d<strong>ans</strong> les rapports <strong>de</strong><br />

production, ont plus d’importance que le fait même d’en pomper” La petite bourgeoisie en France,<br />

op. cit. p. 280.<br />

2 D’où l’argument <strong>de</strong> “trop d’État”.<br />

3 La fameuse lutte <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s fédérations d’éducation populaire contre le<br />

désengagement financier <strong>de</strong> l’État.<br />

4 Les Cahiers <strong>de</strong> la FRAG <strong>MJC</strong> - Documents et statistiques, 1987 - Annexe 31.<br />

5 Faits, chiffres et images d’associations, p 41.


concordance entre les <strong>de</strong>ux institutions.<br />

- 105 -<br />

Avec 69% pour l’UNIREG et 70,6% 1 pour la FF<strong>MJC</strong>, les communes sont <strong>de</strong> loin les premiers<br />

financeurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Ensuite viennent les conseils généraux (4,6% pour l’UNIREG et 12,5% pour la<br />

FF<strong>MJC</strong> 2 ), la CAF et l’action sociale réunies (5% pour l’UNIREG et 8% pour la FF<strong>MJC</strong>), le Ministère<br />

<strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports (4,3% pour l’UNIREG, 3,8% pour la FF<strong>MJC</strong>). Malgré la participation<br />

importante <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> au développement culturel 3 , les financements du Ministère <strong>de</strong> la Culture sont<br />

ridiculement bas (guère plus <strong>de</strong> 1%) même si, çà et là, quelques structures importantes ont réussi à<br />

obtenir sur <strong>de</strong>s actions très précises <strong>de</strong>s financements appréciables. Les autres financements ont<br />

<strong>de</strong>s origines diverses (conseils régionaux, Ministères <strong>de</strong> la coopération, <strong>de</strong> la recherche, <strong>de</strong><br />

l’éducation nationale, <strong>de</strong> l’agriculture ...).<br />

Le déséquilibre est donc considérable entre l’apport <strong>de</strong>s municipalités et l’apport <strong>de</strong>s autres<br />

niveaux <strong>de</strong> la collectivité publique, notamment <strong>de</strong> l’Etat central et <strong>de</strong> ses services déconcentrés. Les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont donc principalement affaire aux pouvoirs décentralisés <strong>de</strong><br />

l’Etat. Leur action, essentiellement localisée, les conduit à avoir prioritairement <strong>de</strong>s partenaires<br />

financeurs <strong>de</strong> proximité : municipalités et, d<strong>ans</strong> une moindre mesure, conseils généraux. Compte<br />

tenu <strong>de</strong>s nouveaux pouvoirs accordés aux collectivités locales d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la décentralisation,<br />

les <strong>MJC</strong> se trouvent généralement d<strong>ans</strong> une relation <strong>de</strong> négociation voire <strong>de</strong> marchandage<br />

permanent avec les élus locaux.<br />

Nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir, d<strong>ans</strong> la phase historique terminale <strong>de</strong> notre travail, sur les<br />

effets institutionnels et professionnels (évolution <strong>de</strong> la cogestion, application <strong>de</strong>s règles, modification<br />

<strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s professionnels, etc...) <strong>de</strong> la décentralisation qui, en matière <strong>de</strong><br />

financement public <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, a sa cohérence 4 : renforcement du pouvoir local qui tient en même<br />

temps le robinet <strong>de</strong> distribution <strong>de</strong> la plus-value rétrocédée.<br />

Cette logique <strong>de</strong> redistribution financière connait-elle une évolution repérable ces <strong>de</strong>rnières<br />

années ? A travers le seul exemple - qui ne reste qu’indicatif - <strong>de</strong> la Fédération régionale <strong>de</strong><br />

l’Académie <strong>de</strong> Grenoble, on peut d’abord constater que, si la participation <strong>de</strong>s municipalités au<br />

1 On peut supposer que si le pourcentage est plus élevé pour la FF<strong>MJC</strong>, c’est que la base <strong>de</strong> calcul<br />

n’intègre pas le centre fédéral, alimenté par l’État.<br />

2 Ce pourcentage relativement élevé s’explique par la situation particulière <strong>de</strong> la FRAG prise ici comme<br />

base. En effet, cette fédération régionale entretient <strong>de</strong>s relations spécifiques avec les conseils<br />

généraux qui participent au financement <strong>de</strong> nombreux postes <strong>de</strong> directeurs. Les <strong>MJC</strong> seules<br />

n’arrivent qu’à 5,4%, pourcentage sûrement plus proche du pourcentage national.<br />

3 63% <strong>de</strong>s personnes touchées par l’UNIREG le sont d<strong>ans</strong> le cadre d’actions et d’activités culturelles et<br />

80% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> font <strong>de</strong> l’action culturelle (Faits, chiffres et images d’associations<br />

et Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact).<br />

4 Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas <strong>de</strong>s effets pervers comme par exemple le centralisme<br />

municipal, le renforcement du clientélisme, le contrôle <strong>de</strong> la vie associative gestionnaire <strong>de</strong> services<br />

d’intérêt général. On ne peut pas dire, également, que la décentralisation ait développé les pratiques<br />

citoyennes ; or, le rapprochement du citoyen et du politique fut un argument souvent invoqué en<br />

faveur <strong>de</strong> la décentralisation.


- 106 -<br />

financement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations baisse <strong>de</strong> 1982 à 87 en valeur relative (<strong>de</strong> 37,5%à<br />

35,4% <strong>de</strong>s recettes globales), c’est essentiellement dû à l’augmentation sensible <strong>de</strong>s ressources<br />

propres (<strong>de</strong> 46,4% à 49%). On peut cependant observer, pour la même pério<strong>de</strong>, qu’en matière <strong>de</strong><br />

financement public, l’écart entre l’apport <strong>de</strong>s municipalités et <strong>de</strong>s autres financeurs (autres<br />

collectivité territoriales et Etat) est passé <strong>de</strong> 21,4 points (37,5% - 6,1%) à 19,8 points (35,4%- 15,6%)<br />

et, pour être précis, que l’écart entre l’apport <strong>de</strong>s collectivités locales (municipalités, conseil<br />

généraux et régionaux) et l’apport <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> ses services est passé <strong>de</strong> 27,7 points (37,5% -<br />

9,8%) à 26,1 points (35,4% - 9,3%).<br />

Même si, en valeur relative, la participation <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> ses services d<strong>ans</strong> le financement <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> a encore diminué (<strong>de</strong> 9,8% du budget global à 9,3%), elle est cependant maintenue en nombre<br />

<strong>de</strong> parts <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s financements publics (18,2%). Ainsi, <strong>de</strong> 1982 à 1987 pour la FRAG, la<br />

participation <strong>de</strong> l’Etat est passée en francs courants <strong>de</strong> 10.054.800 F à 14.235.580 F, soit une<br />

augmentation <strong>de</strong> 41,5%.<br />

Est-ce un signe <strong>de</strong> l’arrêt du désengagement financier <strong>de</strong> l’Etat que connaissent les <strong>MJC</strong><br />

pratiquement <strong>de</strong>puis leur origine, et d’une manière cruciale <strong>de</strong>puis la scission <strong>de</strong> 1969 ? Il est difficile<br />

<strong>de</strong> répondre à cette question d’autant que la cas <strong>de</strong> la FRAG n’a qu’une valeur d’exemple, et qu’une<br />

autre lecture <strong>de</strong> la même réalité fait apparaître qu’au moment où la participation <strong>de</strong> l’Etat central et<br />

<strong>de</strong> ses services a effectivement augmenté <strong>de</strong> 41,5%, la participation <strong>de</strong>s collectivités locales a<br />

progressé <strong>de</strong> 51,3%, et celle <strong>de</strong>s usagers <strong>de</strong> 67,8% pour un budget global qui a, lui, augmenté <strong>de</strong><br />

59%. Loin d’être vrai en valeur absolue, le désengagement financier du secteur public et notamment<br />

<strong>de</strong> l’Etat central n’en est pas moins réel en valeur relative, puisque l’Etat et les collectivités locales ne<br />

suivent pas l’augmentation <strong>de</strong>s budgets <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

La participation <strong>de</strong>s usagers rassemblée d<strong>ans</strong> les ressources propres constitue une part toujours<br />

plus importante du financement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. L’appréciation <strong>de</strong> cette participation sur une plus longue<br />

durée est encore plus significative. De 1979 à 1987, toujours pour la FRAG 1 , les ressources propres<br />

auraient augmenté <strong>de</strong> 269% alors que les subventions diverses n’auraient progressé que <strong>de</strong> 86%.<br />

Qui sont ces usagers qui apportent un concours <strong>de</strong> plus en plus conséquent au financement et<br />

au développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ?<br />

2) la participation <strong>de</strong>s usagers<br />

Notre analyse financière <strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> nous permet d’estimer à 38,5% l’apport <strong>de</strong>s<br />

usagers (ressources propres venant <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong>s ménages), ce qui correspond pour<br />

1987 à environ 670 millions <strong>de</strong> francs, soit à un peu moins <strong>de</strong> 1.000 F par an et par adhérent<br />

(estimés à 700.000 pour les <strong>de</strong>ux fédérations) ou à 130 F par an et par usager (environ 5 millions <strong>de</strong><br />

personnes touchées).<br />

1 Les Cahiers <strong>de</strong> la FRAG <strong>MJC</strong>, Documents et statistiques 1987, p. 71.


- 107 -<br />

Qui sont, parmi ces quelque 5 millions d’adhérents et d’usagers, ceux qui contribuent le plus au<br />

financement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ?<br />

Là aussi, il est bien difficile <strong>de</strong> répondre très rigoureusement à la question. Tout d’abord, nous<br />

n’avons pas d’estimation précise sur la part <strong>de</strong> consommation <strong>de</strong>s ménages qui relève <strong>de</strong>s activités<br />

régulières et donc <strong>de</strong> l’apport <strong>de</strong>s adhérents répertoriés d<strong>ans</strong> les fichiers, et celle qui ressort <strong>de</strong>s<br />

actions ponctuelles ou régulières pour lesquelles la participation n’exige pas l’adhésion, et donc le<br />

paiement d’une cotisation : spectacles, festivals, fêtes, rencontres et manifestations diverses. Or les<br />

personnes simplement “touchées” ou “usagères” sont <strong>de</strong> loin les plus nombreuses : le rapport entre<br />

celles-ci et les adhérents est quasiment <strong>de</strong> 10 à 1. D’autre part, pourrions-nous connaître ces<br />

apports financiers respectifs qu’il serait bien difficile <strong>de</strong> “catégoriser”, <strong>de</strong> définir un profil-type du<br />

simple usager, et plus précisément - ce qui nous intéresse ici - <strong>de</strong> celui qui consomme <strong>de</strong>s produits<br />

engageant sa participation financière 1 .<br />

On peut cependant, là aussi, émettre quelques hypothèses dont la validité est fortement<br />

probable. Même si la disproportion numérique est considérable entre les “usagers” et les “personnes<br />

touchées”, d’une part, et les adhérents cotisants, d’autre part, il n’empêche que ce sont ces <strong>de</strong>rniers<br />

qui contribuent le plus aux ressources <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Certaines <strong>MJC</strong>, notamment d<strong>ans</strong> les quartiers<br />

populaires, qui pourtant organisent <strong>de</strong>s manifestations touchant un large public, tirent la quasi totalité<br />

<strong>de</strong> leurs ressources propres <strong>de</strong>s adhérents cotisants inscrits d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s activités régulières. C’est que<br />

précisément ces manifestations (actions <strong>de</strong> rue, carnaval, fêtes, rassemblements...) coûteuses pour<br />

les <strong>MJC</strong> et leurs financeurs publics, pouvant rassembler <strong>de</strong>s publics divers et <strong>de</strong> milieux sociaux<br />

souvent mo<strong>de</strong>stes, ne font pratiquement l’objet d’aucune participation financière <strong>de</strong>s ménages 2 .<br />

Mais, même pour <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui diffusent <strong>de</strong>s produits culturels “payants” (entrées <strong>de</strong> spectacles ou<br />

<strong>de</strong> manifestations diverses), la participation <strong>de</strong> ces usagers y est généralement inférieure à celle <strong>de</strong>s<br />

adhérents <strong>de</strong>s activités régulières. L’exemple <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture Bellegar<strong>de</strong> à<br />

Aix-en-Provence est à ce titre très significatif : cette <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 1.000 adhérents, touchant plus<br />

<strong>de</strong> 20.000 personnes différentes par an, gérant un théâtre, plusieurs festivals, <strong>de</strong> théâtre et <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e<br />

notamment, a quand même une participation <strong>de</strong>s adhérents d’activités régulières double <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s<br />

usagers, pour la plupart spectateurs 3 .<br />

S’agissant donc <strong>de</strong> ces usagers, pour la plupart spectateurs “payants”, consommateurs <strong>de</strong><br />

1 En effet, les <strong>MJC</strong> organisent <strong>de</strong> nombreuses manifestations “gratuites” pour les usagers : carnavals,<br />

fêtes, spectacles et manifestations <strong>de</strong> rue : à titre d’exemple : le Festival <strong>de</strong> Saint-Victor, organisé<br />

par la <strong>MJC</strong> Cor<strong>de</strong>rie à Marseille, rassemble chaque année plusieurs milliers <strong>de</strong> personnes qui ne<br />

déboursent pas un centime.<br />

2 Du moins d’une manière directe. On peut toujours dire - ce qui est vrai - que les usagers retrouvent<br />

au niveau socio-culturel une partie du fruit <strong>de</strong> leur participation à travers l’imposition.<br />

3 C’est ce qui permet <strong>de</strong> différencier une <strong>MJC</strong> d’un centre culturel qui n’a que <strong>de</strong>s spectateurs, <strong>de</strong>s<br />

usagers, <strong>de</strong>s abonnés, dont il tire la totalité <strong>de</strong> ses ressources propres. Ce qui ne veut pas dire, et<br />

l’expérience le montre, qu’une <strong>MJC</strong> ne puisse pas jouer aussi le rôle d’un centre culturel.


- 108 -<br />

produits culturels (théâtre, cinéma, d<strong>ans</strong>e musique ...), on peut supposer qu’ils ne sont pas<br />

sociologiquement très différents <strong>de</strong> ceux repérés par le service <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s et Recherches du<br />

Ministère <strong>de</strong> la Culture 1 : prioritairement <strong>de</strong>s cadres supérieurs et moyens titulaires <strong>de</strong> diplômes<br />

égaux ou supérieurs au bac. On peut cependant faire trois remarques qui précisent cette hypothèse :<br />

- Les spectateurs ne sont généralement pas <strong>de</strong>s pratiquants d’activités régulières, y compris<br />

<strong>de</strong> disciplines artistiques. On peut donc faire du théâtre et <strong>de</strong> la d<strong>ans</strong>e et ne pas aller voir du théâtre<br />

et <strong>de</strong> la d<strong>ans</strong>e. Les enquêtes menées d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> Prévert et Bellegar<strong>de</strong> à Aix-en-Provence<br />

montrent que, malgré les démarches incitatrices (réduction ou entrées gratuites pour les adhérents),<br />

il n’y a que que 5% <strong>de</strong> ces pratiquants réguliers d’activités parmi les spectateurs <strong>de</strong> ces mêmes<br />

<strong>MJC</strong>, ce qui laisserait à penser que les consommateurs <strong>de</strong> spectacles sont <strong>de</strong> catégories sociales<br />

sensiblement différentes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s pratiquants d’activités régulières : vraisemblablement cadres<br />

moyens et professions intellectuelles pour les premiers, employés, professions intermédiaires avec<br />

un niveau <strong>de</strong> formation plus mo<strong>de</strong>ste pour les seconds.<br />

- La caractéristique dominante <strong>de</strong>s spectateurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est évi<strong>de</strong>mment très liée au<br />

contexte local, aux choix et aux contraintes <strong>de</strong> la structure et <strong>de</strong> ses partenaires. D<strong>ans</strong> une petite<br />

ville où il n’est pas rare que la <strong>MJC</strong> soit encore le seul lieu culturel, celle-ci va rassembler pour ses<br />

spectacles, les cadres moyens, les cadres et professions intellectuelles supérieures ainsi que les<br />

professions libérales. Par contre, d<strong>ans</strong> une ville où il y a à la fois un centre culturel ou un théâtre, et<br />

une ou plusieurs <strong>MJC</strong>, celles-ci vont surtout accueillir, au cas où elles ont une mission <strong>de</strong> diffusion<br />

culturelle, <strong>de</strong>s spectateurs appartenant à <strong>de</strong>s classes sociales ou <strong>de</strong> formation plus mo<strong>de</strong>stes que<br />

les spectateurs fréquentant les équipements dit culturels.<br />

- Les choix culturels <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont également déterminants.<br />

Le concert Rock, le café-théâtre, le cabaret, très souvent proposés par les <strong>MJC</strong> 2 , peuvent concerner<br />

<strong>de</strong>s publics d’origine sociale plus mo<strong>de</strong>ste, voire populaire.<br />

L’évaluation <strong>de</strong>s ressources propres venant <strong>de</strong>s adhérents cotisant pour la pratique d’activités<br />

régulières est également approximative, aussi bien d<strong>ans</strong> sa détermination quantitative que d<strong>ans</strong> la<br />

définition précise <strong>de</strong>s profils sociologiques <strong>de</strong>s cotisants.<br />

L’observation <strong>de</strong> nombreux budgets révèle que c’est <strong>de</strong> l’organisation d’activités régulières que<br />

les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture tirent la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leurs ressources propres.<br />

Cette constatation est confirmée par une estimation tirée <strong>de</strong> l’analyse globale <strong>de</strong>s budgets <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

affilées à l’UNIREG 3 . D<strong>ans</strong> les 38,9% <strong>de</strong> ressources propres (101 millions <strong>de</strong> francs pour 1986), on<br />

1 Données sociales 1984, p. 509 et suivantes (article d’Alain Desrosières).<br />

2 Rappelons que <strong>de</strong> nombreux festivals sont gérés ou ont été créés par <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s structures<br />

socio-culturelles comparables. Le Printemps <strong>de</strong> Bourges, les festivals <strong>de</strong> café-théâtre <strong>de</strong> Confl<strong>ans</strong>-<br />

Ste-Honorine, Cannes, St-Gervais.... Les <strong>MJC</strong> d’Aix-en-Provence, à elles seules, assurent la gestion,<br />

ou sont à l’origine, du festival du théâtre satirique, du festival du jeune public, du festival <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e<br />

“Hors Cadre”, du festival “Tous Courts” (courts métrages).<br />

3 Faits, chiffres et images d’associations.


- 109 -<br />

peut évaluer l’apport <strong>de</strong>s adhérents cotisant pour <strong>de</strong>s activités régulières à 80 millions environ (50<br />

F/mois x 8 mois x 200.000 adhérents) 1 , soit à 80% <strong>de</strong> l’apport <strong>de</strong>s ménages.<br />

La répartition par catégories socio-professionnelles <strong>de</strong>s adhérents et <strong>de</strong> leurs familles,<br />

notamment - ce qui nous intéresse ici - <strong>de</strong> ceux qui participent le plus, est définie avec une certaine<br />

précision aussi bien pour la FF<strong>MJC</strong> que pour l’UNIREG, à ceci près, et c’est considérable, que pour<br />

les scolaires et les étudiants (38,6% <strong>de</strong>s adhérents <strong>de</strong> l’UNIREG) nous n’avons pas d’information<br />

rigoureuse quant à la situation socio-professionnelle <strong>de</strong>s parents. En effet, les cartes d’adhérents<br />

n’informent que sur l’âge, le sexe, l’adresse et l’activité du moment, mais non sur l’activité <strong>de</strong>s<br />

parents. Cette imprécision, dérangeante pour l’enquête, existe également pour les retraités et les<br />

femmes au foyer, pour lesquels nous n’avons généralement aucune information sur la catégorie<br />

socio-professionnelle d’appartenance.<br />

Pour les jeunes et les enfants, nombreux d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, on peut facilement affirmer que ce sont<br />

ceux qui sont issus <strong>de</strong>s classes moyennes qui contribuent le plus au financement <strong>de</strong>s activités. Ils<br />

sont en effet les plus nombreux d<strong>ans</strong> les activités les plus coûteuses (musique par exemple), les<br />

enfants et les jeunes <strong>de</strong>s classes et quartiers populaires fréquentant généralement plus les centres<br />

<strong>de</strong> loisirs et les camps d’été, fortement financés par les pouvoirs publics (CAF, FAS, Jeunesse et<br />

Sports), et pour lesquels on applique habituellement le système du quotient familial. Autrement dit,<br />

une <strong>MJC</strong> peut accueillir <strong>de</strong>s enfants et jeunes <strong>de</strong> milieux mo<strong>de</strong>stes et en même temps réaliser ses<br />

ressources propres sur les activités fréquentées par les classes moyennes.<br />

Parmi les adultes adhérents ayant un emploi, ce sont les employés qui sont les plus représentés :<br />

12% <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s adhérents à l’UNIREG (soit 33,3% <strong>de</strong>s actifs ayant un emploi), <strong>de</strong> 10 à 30%<br />

<strong>de</strong>s adhérents pour 61% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Ensuite viennent les cadres moyens et professions<br />

intermédiaires (26,5% <strong>de</strong>s actifs ayant un emploi à l’UNIREG, <strong>de</strong> 10 à 30% <strong>de</strong>s adhérents pour<br />

46,5% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>), les ouvriers (21% <strong>de</strong>s adhérents actifs ayant un emploi à l’UNIREG,<br />

<strong>de</strong> 10 à 30% pour 31% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>), les professions libérales, cadres et professions<br />

intellectuelles supérieures (9,5% <strong>de</strong>s adhérents actifs ayant un emploi à l’UNIREG, <strong>de</strong> 10 à 30%<br />

pour 1% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et moins <strong>de</strong> 10% <strong>de</strong>s adhérents pour 80% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>), et enfin les<br />

agriculteurs et les patrons <strong>de</strong> l’industrie et du commerce (5,3% par chaque catégorie à l’UNIREG,<br />

pourcentage non donné pour la FF<strong>MJC</strong>) 2 .<br />

Si l’on prend comme référence la représentation <strong>de</strong> la population active ayant un emploi et<br />

adhérant aux <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’UNIREG, et si on la compare à sa représentation pour l’ensemble <strong>de</strong> la<br />

1 Ibid. (D<strong>ans</strong> l’échelle <strong>de</strong>s coûts mensuels par activités, nous avons choisi 50 F par mois sur 8 mois,<br />

correspondant au tarif <strong>de</strong>s activités sportives largement développées d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> et qui sont<br />

situées entre les plus chères (100 F par mois) et les moins chères (10 à 30 F par mois), p. 37.<br />

2 Ces pourcentages sont construits à partir <strong>de</strong>s données <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux enquêtes déjà citées.


- 110 -<br />

France 1 , on se rend compte que d<strong>ans</strong> ces <strong>MJC</strong>, les employés (33,3% contre 17,5%), les cadres<br />

moyens et professions intermédiaires (26,5% contre 14,6%), les professions libérales, cadres et<br />

professions intellectuelles supérieures (9,5% contre 8,6%) sont sur-représentés ; par contre, les<br />

ouvriers et personnels <strong>de</strong> service (21% contre 42,8%), les agriculteurs (5,3% contre 6,8%), le<br />

patronat <strong>de</strong> l’industrie et du commerce (5,3% contre 8,2%) y sont sous-représentés 2 .<br />

Les employés, cadres moyens et professions intermédiaires occupent massivement et<br />

régulièrement les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture où ils sont presque <strong>de</strong>ux fois plus représentés<br />

que d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la société (<strong>60</strong>% contre 33%). Ils y sont presque trois fois plus présents (<strong>60</strong>%<br />

contre 21%) que les ouvriers qui sont pourtant, d<strong>ans</strong> la population globale, plus nombreux à eux<br />

seuls (35%) que les <strong>de</strong>ux autres catégories réunies (32%).<br />

Avec un mo<strong>de</strong> différent <strong>de</strong> présentation <strong>de</strong> la réalité, on arrive à <strong>de</strong>s proportions comparables à la<br />

FF<strong>MJC</strong> : il y a 86% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui ont, soit l’un, soit l’autre ou les <strong>de</strong>ux à la fois, entre 10 et 20%<br />

d’employés, <strong>de</strong> cadres moyens ou professions intermédiaires, contre seulement 27,5% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

ayant un pourcentage comparable d’ouvriers, soit donc une proportion <strong>de</strong> 1 à 3.<br />

D<strong>ans</strong> cette forte représentation <strong>de</strong> ce que l’on pourrait appeler les petites classes moyennes, les<br />

employés sont largement majoritaires. En comparant cette réalité au profil sociologique dominant du<br />

public <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> spectacle, <strong>MJC</strong> comprises, on obtient quasiment l’image inversée : forte<br />

représentation <strong>de</strong>s employés et d<strong>ans</strong> un moindre mesure <strong>de</strong>s professions intermédiaires pour la<br />

pratique d’activités régulières, forte représentation <strong>de</strong>s cadres et professions intellectuelles<br />

supérieures et d<strong>ans</strong> une moindre mesure <strong>de</strong>s professions intermédiaires pour la fréquentation <strong>de</strong>s<br />

salles <strong>de</strong> spectacle. On comprend ainsi mieux comment on peut avoir <strong>de</strong>s loisirs - y compris culturels<br />

actifs - et ne quasiment jamais fréquenter les salles <strong>de</strong> spectacle. On comprend également pourquoi,<br />

d<strong>ans</strong> une même <strong>MJC</strong>, les consommateurs d’oeuvres ne sont pas, sauf <strong>de</strong> manière marginale, <strong>de</strong>s<br />

pratiquants <strong>de</strong>s activités régulières. On peut ainsi supposer - ce qui relèverait d’une autre étu<strong>de</strong> -<br />

que les motivations et les enjeux poursuivis d<strong>ans</strong> la pratique amateur du théâtre et d<strong>ans</strong> sa<br />

consommation en tant que spectateur sont radicalement différents.<br />

Même si les employés sont les plus nombreux à pratiquer assidûment <strong>de</strong>s activités d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong><br />

- et là aussi la proportion est comparable pour les <strong>de</strong>ux fédérations - cela ne veut pas dire que ceux-<br />

ci alimentent d<strong>ans</strong> la même proportion la caisse <strong>de</strong>s ressources propres. Les logiques socio-<br />

culturelles (niveau économique, social et scolaire) tirent, malgré les efforts <strong>de</strong>s structures, les<br />

catégories <strong>de</strong>s employés et <strong>de</strong>s ouvriers vers <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> loisirs plus sportifs, corporels ou <strong>de</strong><br />

simple convivialité, qui donnent lieu à <strong>de</strong>s participations financières plus faibles (sports <strong>de</strong><br />

compétition et <strong>de</strong> loisir, gymnastique volontaire, activités manuelles et récréatives), alors que les<br />

1 Données sociales 1984, figure 5, p. 39 (enquête INSEE, mars 1984).<br />

2 Voir tableau (annexe 32) construit à partir <strong>de</strong> l’enquête Faits, chiffres et images d’associations et<br />

données <strong>de</strong> l’INSEE (Données sociales 1984).


- 111 -<br />

activités les plus “culturelles”, qui sont aussi les plus chères (l’apprentissage <strong>de</strong> la musique classique<br />

par exemple), sont pratiquées prioritairement par les classes supérieures.<br />

On peut donc supposer, bien qu’en la matière nous ne puissions nous appuyer que sur l’analyse<br />

<strong>de</strong> simples cas, que les cadres moyens, les professions intermédiaires, les cadres et professions<br />

intellectuelles supérieures (36% au total <strong>de</strong>s adhérents appartenant à la population active pour<br />

l’UNIREG) sont les grand pourvoyeurs <strong>de</strong> ressources propres <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à travers la consommation<br />

d’activités régulières, et aussi <strong>de</strong> spectacles comme nous l’avons également vu.<br />

Comment peut-on i<strong>de</strong>ntifier l’origine économique et l’itinéraire social <strong>de</strong> ces ressources propres ?<br />

D<strong>ans</strong> la mesure où ces ressources sont majoritairement <strong>de</strong>s versements <strong>de</strong> ménages appartenant<br />

aux classes moyennes (cadres moyens, professions intermédiaires, cadres et professions<br />

intellectuelles supérieures), on pourrait aussi dire que c’est <strong>de</strong> la plus-value produite d<strong>ans</strong> le champ<br />

économique et rétrocédée aux associations par un itinéraire également très long 1 . Car en effet, c’est<br />

<strong>de</strong> son sur-salaire (somme d’argent supérieure à la valeur <strong>de</strong> sa force <strong>de</strong> travail) que le cadre moyen<br />

tire les moyens <strong>de</strong> financer ses activités culturelles et loisir. Cette interprétation est confirmée à<br />

contrario par la sous-participation financière d<strong>ans</strong> ce même secteur <strong>de</strong>s ménages ouvriers qui, par<br />

l’intermédiaire <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s sociales, bénéficient plus, pour eux-mêmes et leurs enfants, <strong>de</strong>s services<br />

socio-culturels, qu’ils ne les financent 2 .<br />

3) l’apport <strong>de</strong>s bénévoles<br />

Nous avons évalué l’apport <strong>de</strong>s bénévoles à 11,5% du budget global <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs<br />

fédérations, ce qui correspond en gros à 23% <strong>de</strong> leur autofinancement, les 72% restant<br />

correspondant aux ressources propres dont nous venons <strong>de</strong> parler.<br />

Par bénévoles, nous entendons généralement les membres <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> décision (conseil<br />

d’administration et bureau principalement) et toutes les personnes qui participent activement à<br />

l’encadrement et à l’animation <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> pour l’accueil, les activités régulières et les actions<br />

diverses, s<strong>ans</strong> recevoir une contrepartie financière, sauf - ce qui n’est pas toujours le cas - le<br />

remboursement <strong>de</strong> frais <strong>de</strong> déplacements et <strong>de</strong> repas. Ces <strong>de</strong>ux catégories recouvrent ce que<br />

certains appellent les militants.<br />

Une même personne peut appartenir aux <strong>de</strong>ux catégories, à la fois animateur bénévole d’une<br />

activité et administrateur bénévole <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, ce qui rend très difficile l’évaluation du bénévolat.<br />

D’autre part, comment savoir exactement où commence et finit le bénévolat ? Cela va s<strong>ans</strong> doute du<br />

coup <strong>de</strong> main pour l’organisation d’une soirée à l’encadrement régulier d’une activité. D<strong>ans</strong> les <strong>de</strong>ux<br />

cas, l’engagement et la responsabilité ne sont évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> même nature.<br />

1 De la production <strong>de</strong> la richesse et donc <strong>de</strong> la plus-value au salaire du fonctionnaire moyen gros<br />

consommateur d’activités socio-culturelles, le cheminement est effectivement long.<br />

2 Juste retour <strong>de</strong>s choses, dira-t-on. C’est en ce sens que l’on peut dire que les <strong>MJC</strong> et autres<br />

institutions jouent un rôle <strong>de</strong> rééquilibrage social d<strong>ans</strong> un domaine - le culturel - où les inégalités<br />

sont particulièrement fortes. Nous sommes donc bien d<strong>ans</strong> une démarche d’éducation populaire.


- 112 -<br />

Nous nous intéresserons ici à ce que nous appelons le bénévolat opérationnel, défini comme<br />

l’encadrement et l’animation <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> pour l’accueil, les activités, les actions et même d<strong>ans</strong> certains<br />

cas l’administration 1 , par opposition au bénévolat décisionnel qui concerne, lui, les administrateurs<br />

bénévoles.<br />

Les enquêtes montrent que l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> continue à faire largement appel au travail<br />

bénévole. Jean-Pierre Sirérols 2 l’évalue à une moyenne <strong>de</strong> 20 personnes par association, l’enquête<br />

conduite sur la FF<strong>MJC</strong> 3 à un chiffre plutôt plus mo<strong>de</strong>ste d’environ 10 bénévoles opérationnels par<br />

<strong>MJC</strong>. Pour la seule région <strong>de</strong> Grenoble, leur nombre est <strong>de</strong> 2.346, soit près <strong>de</strong> 14 par <strong>MJC</strong>. On<br />

pourrait donc conclure que les <strong>MJC</strong> affiliées à l’UNIREG font plus appel au bénévolat, du moins<br />

quant au nombre <strong>de</strong> personnes, que leurs voisines <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, et on serait tenté <strong>de</strong> l’expliquer par<br />

l’implantation plus urbaine <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières 4 , leur taille et l’importante professionnalisation <strong>de</strong> leurs<br />

services.<br />

Il faut cependant rester très pru<strong>de</strong>nt aussi bien pour le dénombrement que pour l’interprétation. Il<br />

est en effet, rappelons-le, très difficile <strong>de</strong> définir à partir <strong>de</strong> quel service gratuit rendu on peut parler<br />

d’activité bénévole. D’autre part, l’interprétation avancée d’un possible bénévolat moindre à la<br />

FF<strong>MJC</strong> n’est par fondée : en effet le bénévolat ne disparait pas avec le nombre d’adhérents et, ce<br />

qui va <strong>de</strong> pair, l’augmentation du nombre <strong>de</strong> salariés et l’importance <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. Au contraire, le<br />

tableau <strong>de</strong> variation fait apparaître clairement que le nombre moyen <strong>de</strong> bénévoles par <strong>MJC</strong><br />

augmente avec leur importance 5 .<br />

Il semble qu’il y ait plus d’hommes que <strong>de</strong> femmes bénévoles : en effet, pour <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> 6 , les hommes sont majoritaires et donc, pour un tiers, ce sont les femmes, alors qu’en<br />

termes d’adhérents, les femmes sont d<strong>ans</strong> l’ensemble plus nombreuses que les hommes.<br />

Selon la même enquête, la répartition du nombre <strong>de</strong>s bénévoles entre les activités principales est<br />

la suivante : activités sportives, (37,8%), ateliers (32,6%), spectacles (12,7%), animations scolaires<br />

(6,4%), centre <strong>de</strong> loisirs s<strong>ans</strong> hébergement (5,8%), langues (4,8%). Les bénévoles <strong>de</strong>s activités<br />

sportives et <strong>de</strong>s ateliers (théâtre, artisanat, musique d’ensemble, audio-visuel...) sont donc largement<br />

dominants d<strong>ans</strong>, il est vrai, <strong>de</strong>s pratiques elles-mêmes dominantes d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

1 Un secrétaire ou un trésorier du conseil d’administration (administrateurs bénévoles) peuvent<br />

également remplir <strong>de</strong>s fonctions opérationnelles (frappe à la machine, tenue <strong>de</strong>s comptes et<br />

passages <strong>de</strong>s écritures) d<strong>ans</strong> le cas où la <strong>MJC</strong> n’a pas <strong>de</strong> personnel rémunéré pour remplir ces<br />

fonctions.<br />

2 Enquête sur l’UNIREG Faits, chiffres et images d’associations.<br />

3 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact.<br />

4 L’enquête sur l’UNIREG met effectivement en évi<strong>de</strong>nce que le bénévolat est plus développé d<strong>ans</strong> les<br />

régions <strong>de</strong> plus forte implantation rurale (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées).<br />

5 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact, p. <strong>60</strong>.<br />

6 Ibid. p. 61.


- 113 -<br />

<strong>de</strong> la Culture. Une approche plus globale montre également que plus <strong>de</strong> <strong>60</strong>% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ont <strong>de</strong>s<br />

bénévoles d<strong>ans</strong> les activités sportives et les ateliers.<br />

Le nombre d’heures d’intervention en moyenne par mois est évalué à une dizaine par bénévole<br />

dont la fonction est, ici, l’encadrement <strong>de</strong>s activités et <strong>de</strong>s ateliers. Cette définition très restrictive du<br />

bénévolat évaluée à un peu plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures par semaine - ce qui est effectivement la durée<br />

moyenne d’un atelier - peut également expliquer pourquoi le bénévolat apparaît proportionnellement<br />

<strong>de</strong> moindre importance à la FF<strong>MJC</strong>. Il faut y ajouter ce qui d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> constitue souvent<br />

l’implication en temps la plus forte <strong>de</strong>s bénévoles, à savoir la programmation et l’action culturelle, les<br />

festivals, les fêtes et manifestations, l’entretien, l’accueil et l’administration, les actions <strong>de</strong> solidarité<br />

et <strong>de</strong> développement 1 et bien sûr les heures supplémentaires <strong>de</strong>s professionnels non payées et non<br />

récupérées 2 .<br />

La catégorie socio-professionnelle dominante <strong>de</strong>s bénévoles “opérationnels” est celle <strong>de</strong>s cadres<br />

moyens et <strong>de</strong>s enseignants (pour plus <strong>de</strong> 30% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>). Ensuite viennent les ouvriers, employés et<br />

techniciens pour 28,6% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et les femmes au foyer ou s<strong>ans</strong> profession pour 12,5% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 3 .<br />

Même s’il convient d’utiliser avec pru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> telles données compte-tenu <strong>de</strong> leur imprécision - il<br />

ne s’agit que du poids relatif <strong>de</strong> telle ou telle catégorie <strong>de</strong> bénévoles d<strong>ans</strong> une majorité également<br />

relative <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> - on peut cependant déceler une tendance nette : les premiers d<strong>ans</strong> la participation<br />

financière sont également les premiers d<strong>ans</strong> le travail bénévole. Certes les ouvriers, les employés et<br />

les techniciens occupent une place non négligeable, vraisemblablement d<strong>ans</strong> les activités sportives 4 ,<br />

mais il n’en reste pas moins vrai que du moins d<strong>ans</strong> l’encadrement régulier <strong>de</strong>s activités, l’implication<br />

bénévole <strong>de</strong>s classes moyennes reste dominante et déterminante.<br />

Comment peut-on interpréter ce phénomène ? Peut-on l’i<strong>de</strong>ntifier également à <strong>de</strong> la plus-value<br />

rétrocédée sous forme <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> temps libre donné “gratuitement” aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture comme à <strong>de</strong> nombreuses autres structures et associations ? Cette interprétation<br />

pourrait valoir particulièrement pour les enseignants très présents d<strong>ans</strong> le bénévolat 5 , et dont l’apport<br />

1 A titre d’exemple : la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Martigues, dont la quasi-totalité <strong>de</strong>s activités régulières est encadrée<br />

par <strong>de</strong>s professionnels, mobilise par ailleurs un bénévolat considérable d<strong>ans</strong> les opérations globales<br />

et les manifestations (carnaval, spectacles, sorties, expositions ...).<br />

2 L’ensemble <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s [par exemple celle <strong>de</strong> Michel Simonot d<strong>ans</strong> : “Approche psycho-sociologique<br />

<strong>de</strong>s activités socio-culturelles” (Traité <strong>de</strong>s sciences pédagogiques n° 8, PUF, 1978)] et <strong>de</strong>s<br />

observations mettent clairement en évi<strong>de</strong>nce ce travail supplémentaire, souvent <strong>de</strong> nuit, non<br />

rémunéré <strong>de</strong>s animateurs et notamment <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.<br />

3 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact, p. 62.<br />

4 Même si les <strong>de</strong>ux enquêtes sur les <strong>MJC</strong> ne le précisent pas, on peut supposer que ce qu’y s’y passe<br />

n’est pas très différent <strong>de</strong> ce qui se passe ailleurs : le ouvriers et les employés sont très présents<br />

d<strong>ans</strong> les sports collectifs (Données sociales 1984, p. 399) et aussi d<strong>ans</strong> leur encadrement (football,<br />

par exemple). Il est vrai également que d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> on a tendance à développer <strong>de</strong>s sports<br />

nouveaux qui ne sont pas d’emblée populaires. Cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait une enquête complémentaire.<br />

5 L’enquête sur la FF<strong>MJC</strong> éprouve en effet le besoin <strong>de</strong> distinguer leur présence particulière.


- 114 -<br />

en force <strong>de</strong> travail correspondrait à un temps libre supérieur pris sur leur temps <strong>de</strong> travail<br />

professionnel (vacances plus longues, journées <strong>de</strong> travail sur poste plus courtes). Autrement dit, on<br />

pourrait affirmer que ces enseignants bénéficient d’une rétrocession <strong>de</strong> plus-value <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux natures :<br />

en salaire et en temps libre 1 dont ils font “bénéficier” les <strong>MJC</strong> par leur participation financière et leur<br />

travail bénévole.<br />

Cette implication financière et opérationnelle dominante <strong>de</strong>s classes moyennes est à comparer<br />

avec leur implication décisionnelle. Autrement dit, le décisionnel est-il logiquement représentatif <strong>de</strong>s<br />

individus adhérents et usagers <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ou, ce qui est différent, <strong>de</strong> ceux qui ont une forte implication<br />

financière et opérationnelle ? Plus précisément - pour ce qui est <strong>de</strong>s adhérents et usagers directs -<br />

les instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> (conseil d’administration et bureau) obéissent-elles à une<br />

logique <strong>de</strong> représentation démocratique ou à un logique <strong>de</strong> représentation plutôt sociale et financière<br />

qui, s<strong>ans</strong> être organisée comme telle 2 n’en serait pas moins réelle ?<br />

Nous sommes conduits à savoir qui sont les administrateurs bénévoles <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et <strong>de</strong> la Culture.<br />

b) les administrateurs bénévoles gestionnaires<br />

18 volontaires en moyenne par association affilée à l’UNIREG y occupent <strong>de</strong>s responsabilités<br />

associatives 3 . A la FF<strong>MJC</strong>, ils ne seraient que 11 par association 4 . Cela signifie-t-il, comme pour le<br />

bénévolat opérationnel, que le bénévolat associatif est moins développé en nombre à la FF<strong>MJC</strong> qu’à<br />

l’UNIREG ? Là aussi, il faut être très pru<strong>de</strong>nt tant la manipulation <strong>de</strong>s chiffres et <strong>de</strong>s définitions est<br />

délicate. Les chiffres <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ne concernent que les administrateurs représentants <strong>de</strong>s<br />

adhérents, alors que pour l’UNIREG cela recouvre les volontaires qui consacrent une partie <strong>de</strong> leur<br />

temps à la vie associative, définition plus large qui peut comprendre les membres associés et<br />

éventuellement <strong>de</strong>s responsables associatifs appartenant à <strong>de</strong>s conseils et commissions divers.<br />

Près <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> ont par exemple 6 à 9 membres associés qui, ajoutés<br />

aux membres élus représentants <strong>de</strong>s adhérents, font un total comparable à celui <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> UNIREG.<br />

En ce qui concerne leur âge, ces responsables associatifs <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

1 On pourrait effectivement expliquer - argument <strong>de</strong> bon sens souvent entendu - les salaires inférieurs<br />

<strong>de</strong>s enseignants par rapport aux cadres (alors qu’ils ont une formation initiale égale et souvent<br />

supérieure) par une compensation en temps libre.<br />

2 La base électorale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est effectivement juridique et ne se définit que par la possession d’une<br />

carte d’adhérent au coût très mo<strong>de</strong>ste (généralement moins <strong>de</strong> 50 F par an) et non “censitaire”<br />

(ceux qui paient le plus). Si cela n’était pas le cas, les gros bailleurs <strong>de</strong> fonds (municipalités) seraient<br />

en droit <strong>de</strong> réclamer un pouvoir <strong>de</strong> décision égal ou supérieur à celui <strong>de</strong>s usagers. Certaines<br />

municipalités, au nom du fait, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ce droit, arguant qu’il est incohérent <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir payer s<strong>ans</strong><br />

avoir le droit <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r.<br />

3 Faits, chiffres et images d’associations, p. 19.<br />

4 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact, p. 63-64.


- 115 -<br />

Culture ont, à l’UNIREG, une quarantaine d’années, pour <strong>60</strong>% d’entre eux 1 . A la FF<strong>MJC</strong>, la moyenne<br />

d’âge <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s bureaux est assez homogène, la médiane se situant entre 36 et 38 <strong>ans</strong>. Les<br />

31-39 <strong>ans</strong> sont 56,6% contre 25,3% pour les 40 à 49 <strong>ans</strong> et 13,1% pour les 26 à 30 <strong>ans</strong>. Certaines<br />

tranches d’âge (25 <strong>ans</strong> et en <strong>de</strong>ssous, 50 à <strong>60</strong> <strong>ans</strong>) y sont sous-représentées (2,5% chacune), voire<br />

quasi-totalement absentes (les plus <strong>de</strong> <strong>60</strong> <strong>ans</strong>) 2 .<br />

Bien plus importante est la profession et catégorie sociale <strong>de</strong> ces administrateurs bénévoles. On<br />

repère <strong>de</strong> saisissantes similitu<strong>de</strong>s entre les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations, et ce malgré <strong>de</strong>s disparités<br />

que nous avons mises en évi<strong>de</strong>nce (zone d’implantation, taille, par exemple). Les “déci<strong>de</strong>urs”<br />

membres <strong>de</strong>s bureaux, quasi-exclusivement choisis parmi les adhérents, (prési<strong>de</strong>nts, trésoriers,<br />

secrétaires et adjoints) se recrutent par ordre <strong>de</strong> priorité parmi les cadres moyens et enseignants<br />

(27,7% pour la FF<strong>MJC</strong>, 24,9% pour l’UNIREG), les employés et techniciens (25,7% pour la FF<strong>MJC</strong>,<br />

21,4% pour l’UNIREG), les cadres supérieurs et professions libérales (12,7% pour la FF<strong>MJC</strong>, 11%<br />

pour l’UNIREG), les ouvriers (6,08% pour la FF<strong>MJC</strong>, 8,2% pour l’UNIREG), les retraités (5,7% pour<br />

la FF<strong>MJC</strong>, 6,8% pour l’UNIREG), les scolaires et étudiants (4,9% pour la FF<strong>MJC</strong>, 5,3% pour<br />

l’UNIREG). Il n’y a guère que pour les femmes au foyer que la différence est sensible (11,4% pour la<br />

FF<strong>MJC</strong>, 7,1% pour l’UNIREG).<br />

Si l’on compare ces pourcentages à ceux <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s adhérents par profession et<br />

catégorie sociale, on constate <strong>de</strong>s sur-représentations et sous-représentations flagrantes. Pour le<br />

seul cas <strong>de</strong> l’UNIREG 3 , les cadres moyens sont 24,9% d’administrateurs à représenter 9,2%<br />

d’adhérents <strong>de</strong> la même catégorie, les employés 21,4% pour 12%, les professions libérales et<br />

cadres supérieurs 11% pour 3,4%. Seuls les ouvriers (8,9% pour 7,5%), les retraités (6,8% pour<br />

6,8%) et les femmes au foyer (7,1% pour 6,2%) sont d<strong>ans</strong> une logique <strong>de</strong> représentation cohérente.<br />

Par contre, la sous-représentation associative <strong>de</strong>s scolaires et étudiants est remarquable (5,3%<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s bureaux pour 38,6% <strong>de</strong>s adhérents), ce qui peut s’expliquer <strong>de</strong> diverses manières:<br />

l’âge, qui ne permet pas d’être électeur en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> 16 <strong>ans</strong> et d’être membre du bureau en<br />

<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> 18 <strong>ans</strong> ; la seule prise en compte <strong>de</strong>s bureaux, qui rassemblent <strong>de</strong>s administrateurs à<br />

“haute responsabilité” que <strong>de</strong>s jeunes, même étudiants, ont du mal à assumer ; peut-être aussi la<br />

difficulté pour les <strong>MJC</strong> à motiver, malgré leur action, l’engagement associatif <strong>de</strong>s jeunes d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />

telles structures.<br />

Les administrateurs bénévoles <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture font partie en gran<strong>de</strong><br />

majorité <strong>de</strong> la population active. De ce point <strong>de</strong> vue-là, la situation est comparable pour la FF<strong>MJC</strong> et<br />

1 Enquête UNIREG, p. 18.<br />

2 Enquête FF<strong>MJC</strong>, p. 68.<br />

3 On arriverait vraisemblablement à <strong>de</strong>s constats semblables pour la FF<strong>MJC</strong> tant il est vrai que, malgré<br />

la présentation différente <strong>de</strong>s données (Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact, p. 81) nous<br />

aboutissons à une “catégorisation” <strong>de</strong>s adhérents comparable à celle <strong>de</strong>s adhérents <strong>de</strong> l’UNIREG.


- 116 -<br />

l’UNIREG : 76% pour l’une et 80,8% pour l’autre. Autrement dit, l’implication collective, sociale et<br />

culturelle d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> est le fait d’abord <strong>de</strong> catégories fortement insérées d<strong>ans</strong> la vie<br />

professionnelle, et non, comme un jugement bon sens pourrait le laisser supposer, le fait <strong>de</strong><br />

catégories libérées <strong>de</strong>s contraintes professionnelles. Ainsi, du moins d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, l’implication<br />

décisionnelle d<strong>ans</strong> la vie sociale et culturelle ne sert-elle pas majoritairement <strong>de</strong> substitut à une<br />

absence d’activité professionnelle 1 .<br />

Si l’on s’appuie sur le tableau que nous avons élaboré à partir d’un rassemblement <strong>de</strong> données 2 ,<br />

on constate que pour les cadres moyens, enseignants, professions intermédiaires, professions<br />

libérales, cadres et professions intellectuelles supérieures, nous allons, <strong>de</strong> leur présence d<strong>ans</strong> la<br />

population active française à leur implication d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, à une<br />

représentation qui va crescendo. C’est particulièrement flagrant pour les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> :<br />

53,6% <strong>de</strong>s sièges d’administrateurs bénévoles contre 23,2% d<strong>ans</strong> la population française active. Les<br />

employés, sur-représentés parmi les adhérents <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, per<strong>de</strong>nt du terrain d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong><br />

décision, sauf peut-être à la FF<strong>MJC</strong> où ils tendraient à se maintenir. Par contre les ouvriers et<br />

personnels <strong>de</strong> service, déjà moins représentés d<strong>ans</strong> la population adhérente, per<strong>de</strong>nt beaucoup <strong>de</strong><br />

terrain d<strong>ans</strong> les instances, notamment à la FF<strong>MJC</strong>. Pour ce qui est <strong>de</strong>s patrons <strong>de</strong> l’industrie, <strong>de</strong><br />

l’artisanat, du commerce et <strong>de</strong>s agriculteurs-exploitants, leur <strong>de</strong>stin associatif est assez différent<br />

selon qu’il s’agit <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’UNIREG (18%) ou <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (7,8%). Cette différence, comme<br />

d’autres (sur-représentation <strong>de</strong>s classes moyennes d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong><br />

par exemple), pourrait s’expliquer par l’implantation respective <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations. Il y a en effet<br />

une cohérence entre les <strong>de</strong>ux paysages, celui d’une réalité socio-professionnelle et celui <strong>de</strong><br />

l’implication bénévole d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

Jusque d<strong>ans</strong> ses instances, l’UNIREG gar<strong>de</strong> une image plus rurale marquée par l’artisanat, le petit<br />

commerce et la petite industrie alors que la FF<strong>MJC</strong> et ses <strong>MJC</strong>, implantées majoritairement d<strong>ans</strong><br />

l’espace fortement industrialisé et urbanisé, se donneraient <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> décision socialement à<br />

l’image <strong>de</strong>s nouvelles classes sociales qui s’y sont développées à l’extérieur et aussi à l’intérieur<br />

d’elles-mêmes. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces différences, on peut avancer que, sauf pour les ouvriers, les <strong>MJC</strong>,<br />

notamment d<strong>ans</strong> leurs forces vives, sont quantitativement et qualitativement à l’image <strong>de</strong>s forces<br />

vives <strong>de</strong> l’espace social sur lequel elles sont implantées.<br />

Il y aurait également beaucoup à dire sur la place respective <strong>de</strong>s différentes catégories sociales<br />

1 Ce fait appelle une remarque : même s<strong>ans</strong> un statut d’élu social qui pourrait dégager pour les actifs<br />

un temps libre rémunéré leur permettant d’assumer leur responsabilité, les actifs sont les plus<br />

nombreux à s’impliquer d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a<br />

pas lieu <strong>de</strong> revendiquer le statut <strong>de</strong> l’élu social.<br />

2 INSEE 1981 et les <strong>de</strong>ux enquêtes sur les fédérations <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> dont nous avons tiré les pourcentages<br />

<strong>de</strong> ce tableau sur la base <strong>de</strong> la population active (ce qui exclut les étudiants, les retraités, les<br />

chômeurs, les femmes au foyer) - Voir annexe 32.


- 117 -<br />

eu égard aux différents postes <strong>de</strong> responsabilité d<strong>ans</strong> les bureaux <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 1 . On peut en effet faire<br />

quelques remarques :<br />

- Les professionnellement inactifs, sous-représentés comme nous l’avons vu, le sont<br />

particulièrement d<strong>ans</strong> le poste le plus important, celui <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt. Ils ne sont un peu plus<br />

représentés que d<strong>ans</strong> les postes considérés comme <strong>de</strong> moindre responsabilité (trésorier ou<br />

secrétaire ou les postes d’adjoint), où ils ont une représentation supérieure à leur moyenne générale.<br />

C’est particulièrement flagrant pour les élèves et étudiants mais aussi pour les femmes au foyer.<br />

- D<strong>ans</strong> cette image encore très générale, <strong>de</strong>ux éléments sont à remarquer : les retraités ont<br />

souvent <strong>de</strong>s responsabilités <strong>de</strong> trésorier (11,5% contre une moyenne générale ce 5,74%) ce qui peut<br />

s’expliquer par l’engagement opérationnel que requiert souvent cette responsabilité. En effet d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />

nombreuses <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> professionnels d’administration et <strong>de</strong> direction, le trésorier fait également<br />

office <strong>de</strong> comptable, ce qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps. Les femmes au foyer sont souvent secrétaires du<br />

conseil d’administration, ce qui peut s’expliquer <strong>de</strong> plusieurs manières : ce poste, pas toujours bien<br />

perçu, est souvent i<strong>de</strong>ntifié à une fonction technique et opérationnelle (prise <strong>de</strong> notes, comptes<br />

rendus) ; <strong>de</strong> ce fait, il a en quelque sorte une image plus liée à la femme qu’à l’homme d<strong>ans</strong> le<br />

mesure où l’on fait facilement un lien direct entre secrétaire d’une instance <strong>de</strong> décision et secrétaire<br />

administrative d’un service ou d’une entreprise ; <strong>de</strong> plus, ce poste requiert effectivement d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />

nombreuses <strong>MJC</strong> une implication opérationnelle (rédaction <strong>de</strong>s comptes rendus, envoi <strong>de</strong>s courriers,<br />

<strong>de</strong>s dossiers, classement ...), ce qui là aussi <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps.<br />

- Les cadres moyens et enseignants arrivent en première position d<strong>ans</strong> 4 fonctions sur<br />

7.(prési<strong>de</strong>nt, premier vice-prési<strong>de</strong>nt, second vice-prési<strong>de</strong>nt et secrétaire) et en <strong>de</strong>uxième position<br />

d<strong>ans</strong> toutes les autres fonctions.<br />

- Les employés et techniciens arrivent en première position d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s fonctions qui<br />

apparaissent souvent plus techniques que “politiques” (trésorier, trésorier-adjoint et secrétaire-<br />

adjoint), et en <strong>de</strong>rnière position d<strong>ans</strong> toutes les autres fonctions. Dès lors, si les cadres moyens et<br />

enseignants sont les premiers <strong>de</strong> la classe d<strong>ans</strong> les matières principales, les employés et<br />

techniciens sont <strong>de</strong> bons seconds et les premiers d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s secteurs jugés souvent <strong>de</strong> second rôle,<br />

mais qui n’en sont pas moins déterminants.<br />

- Les ouvriers et contremaîtres fortement sous-représentés d<strong>ans</strong> l’ensemble, occupent<br />

cependant une place honorable au poste <strong>de</strong> premier vice-prési<strong>de</strong>nt : 11% <strong>de</strong>s cas, ce qui les met en<br />

troisième position après les cadres moyens/enseignants et les employés/techniciens. S’agit-il là d’un<br />

signe qui sert <strong>de</strong> caution “populaire” et “démocratique” à une institution qui, tout en étant largement<br />

dominée par le raz-<strong>de</strong>-marée <strong>de</strong>s classes moyennes, n’entend pas pour autant abandonner ses<br />

objectifs d’éducation et <strong>de</strong> responsabilisation populaires ?<br />

1 Annexe 33 (catégories sociales <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s bureaux, enquête FF<strong>MJC</strong>).


- 118 -<br />

- Les cadres supérieurs et professions libérales restent d<strong>ans</strong> une moyenne mo<strong>de</strong>ste (12,7%)<br />

mais homogène, d<strong>ans</strong> la mesure où les écarts par rapport à cette moyenne sont faibles.<br />

Remarquons cependant qu’ils sont assez bien représentés au poste <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt, où ils arrivent en<br />

troisième position, proches <strong>de</strong>s employés et techniciens, mais évi<strong>de</strong>mment loin <strong>de</strong>s cadres moyens<br />

et enseignants.<br />

- Les artis<strong>ans</strong>, commerçants et agriculteurs très peu représentés d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, font cependant leurs meilleurs scores d<strong>ans</strong> les fonctions <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt et<br />

<strong>de</strong> vice-prési<strong>de</strong>nt. Comme si, à l’image <strong>de</strong> leur situation professionnelle, ils entendaient bien occuper<br />

<strong>de</strong>s places prépondérantes d<strong>ans</strong> le domaine social.<br />

- A l’opposé, les jeunes et les étudiants, également très peu représentés, passent au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> leur moyenne d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s postes jugés secondaires ou d’adjoint.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces remarques, il apparait très clairement que les cadres moyens et enseignants<br />

occupent largement la place forte <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt, loin <strong>de</strong>vant leurs suivants immédiats et avec un écart<br />

positif par rapport à leur propre moyenne (qui est déjà élevée) <strong>de</strong> 13 points. Ils sont donc bien<br />

dominants d<strong>ans</strong> l’ensemble et fortement dominants d<strong>ans</strong> la fonction dominante.<br />

En ce qui concerne les prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, un croisement entre leur<br />

appartenance socio-professionnelle et l’importance <strong>de</strong>s associations selon leur nombre d’adhérent<br />

donne <strong>de</strong>s informations complémentaires et nouvelles 1 :<br />

- Les cadres moyens sont dominants - quelle que soit la structure locale (<strong>MJC</strong> ou union<br />

locale) et son importance, avec une pointe à 54% (<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1.000 à 2.000 adhérents) - sauf pour les<br />

<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2.000 adhérents où les cadres supérieurs font jeu égal avec eux (37,5%).<br />

- De leur côté les cadres supérieurs dépassent leur représentation moyenne en tant que<br />

prési<strong>de</strong>nt (16,3%) d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> importantes (plus <strong>de</strong> 500 adhérents) avec un record pour les <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2.000 adhérents.<br />

- Les employés prési<strong>de</strong>nts sont à leur moyenne (18,7%) ou au-<strong>de</strong>ssus jusqu’à une<br />

importance <strong>de</strong> 1.000 adhérents, pour ensuite chuter brutalement et même disparaître au seul profit<br />

<strong>de</strong>s cadres moyens et supérieurs.<br />

- Quant aux ouvriers, ils sont représentés d<strong>ans</strong> la fonction <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

petite importance (moins <strong>de</strong> 200 adhérents), et ensuite ne sont que quantité négligeable ou nulle<br />

d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> taille.<br />

A grands traits, la responsabilité majeure d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, selon leur importance, suit<br />

sociologiquement l’échelle <strong>de</strong>s catégories socio-professionnelles. Plus les <strong>MJC</strong> sont importantes en<br />

nombre d’adhérents - ce qui va généralement <strong>de</strong> pair avec leur poids économique et leur nombre <strong>de</strong><br />

salariés - plus la probabilité est gran<strong>de</strong> qu’elles soient présidées par un cadre moyen ou supérieur,<br />

1 Annexe 33.


- 119 -<br />

même si par ailleurs ces mêmes <strong>MJC</strong> accueillent <strong>de</strong>s usagers <strong>de</strong> couches sociales plus mo<strong>de</strong>stes,<br />

voire défavorisées.<br />

Les conseils d’administration <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont donc moins à l’image<br />

- notamment d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> importantes et pour les postes importants - <strong>de</strong>s adhérents définis selon<br />

leur âge et leur profession ou catégorie sociale, qu’à l’image <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong>s<br />

structures et <strong>de</strong> ceux qui les “acheminent” par leur participation financière. Autrement dit, les<br />

rétrocédants <strong>de</strong> plus-value sont aussi les gestionnaires. La représentativité associative suit ainsi plus<br />

une logique socio-économique que démocratique, et ce malgré les statuts et la volonté pédagogique<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs acteurs. Par contre, les créateurs <strong>de</strong> plus-value - ces prolétaires ou quasi-<br />

prolétaires, à qui elle est extorquée selon Bau<strong>de</strong>lot, Establet et Mallemort 1 - s’ils peuvent, grâce aux<br />

services <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, en bénéficier pour eux-mêmes et leur famille, ils n’en sont pas pour autant les<br />

gestionnaires et les déci<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> son utilisation sociale, culturelle et éducative 2 .<br />

Ne peut-on pas ainsi considérer que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont d’abord <strong>de</strong>s<br />

espaces <strong>de</strong> constitution d’une culture <strong>de</strong>s nouvelles classes moyennes, <strong>de</strong>s espaces, parmi d’autres,<br />

d’i<strong>de</strong>ntification et <strong>de</strong> formation socio-politique <strong>de</strong> ces nouvelles classes ? 3 S’il est bien possible que<br />

nous vivions une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> “révolution sociale” 4 due à un intense développement <strong>de</strong> nouvelles<br />

forces productives (robotique, informatisation ...) qui se traduit par la progression rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> nouvelles<br />

classes moyennes salariées 5 , on peut considérer effectivement que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture sont <strong>de</strong>s espaces privilégiés <strong>de</strong> constitution socio-culturelle <strong>de</strong> ces nouvelles classes.<br />

Cette interprétation, qui d<strong>ans</strong> sa dimension générale et prospective nous conduit à une limite <strong>de</strong><br />

notre recherche que nous ne franchirons pas, pourrait peut-être éclairer l’important développement<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, leur situation conflictuelle d<strong>ans</strong> les années 70 et peut-être aussi leur<br />

écartèlement ou du moins la diversification <strong>de</strong> leurs pratiques d<strong>ans</strong> les années 80. En effet, les <strong>MJC</strong><br />

ne sont-elles pas <strong>de</strong> plus en plus tiraillées entre la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> culturelle toujours plus exigeante <strong>de</strong>s<br />

classes moyennes et la nécessité affirmée <strong>de</strong> s’adresser aux plus défavorisés, voire aux exclus ? 6<br />

1 La petite bourgeoisie en France.<br />

2 En reprenant <strong>de</strong>s formules historiques <strong>de</strong> l’éducation populaire, on pourrait dire que d<strong>ans</strong> la plupart<br />

<strong>de</strong>s cas, les <strong>MJC</strong> vont “au peuple” “pour le peuple” mais pas “par le peuple”.<br />

3 S<strong>ans</strong> pour autant s’appuyer sur une analyse quantitative précise, Jacques Ion donne du socio-culturel<br />

une explication comparable (“La fin du socio-culturel”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 56, p. 69 et<br />

suivantes, INEP, 1986).<br />

4 Au sens que lui donne Marx d<strong>ans</strong> la préface <strong>de</strong> la Contribution à la critique <strong>de</strong> l’économie politique :<br />

bouleversement matériel <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> production économique dû au développement <strong>de</strong><br />

contradictions entre les forces productives matérielles et les rapports <strong>de</strong> production existants.<br />

5 Avec pour contrepartie la “fin <strong>de</strong>s pays<strong>ans</strong>” et le “déclin du prolétariat” (Henri Mendras : La Secon<strong>de</strong><br />

Révolution Française 1965-1984, Gallimard, 1988).<br />

6 Toujours selon J. Ion (La fin du socio-culturel), cet écartèlement du socio-culturel pourrait aller<br />

jusqu’à son éclatement (création et diffusion culturelle/prestation <strong>de</strong> services/travail social), alors


- 120 -<br />

La situation particulière <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> entre les sphères <strong>de</strong> la production économique et du juridico-<br />

politique, ainsi que les tr<strong>ans</strong>formations professionnelles, sociales, culturelles et administratives<br />

auxquelles elles ont été et sont confrontées, sont génératrices <strong>de</strong> quelques contradictions, ou pour le<br />

moins ambivalences, qui peuvent expliquer leur histoire mouvementée, et sur lesquelles nous<br />

reviendrons.<br />

En attendant, il est important <strong>de</strong> comprendre comment ces ressources <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et <strong>de</strong> la Culture - autrement dit cette plus-value rétrocédée selon un long cheminement - sont<br />

utilisées, et plus précisément comment elles sont investies en force <strong>de</strong> travail salarié, divisé, et<br />

finalisé selon <strong>de</strong>s fonctions bien précises.<br />

3 - Division du travail, professions et catégories sociales<br />

Il est bien difficile d’avoir une connaissance exacte du nombre <strong>de</strong> salariés d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, comme du reste d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s associations. En effet, les <strong>de</strong>ux<br />

fédérations <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> rassemblent quelque 1.<strong>60</strong>0 employeurs réels ou potentiels et c’est seulement<br />

pour les personnels <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> ses fédérations régionales qu’il est possible <strong>de</strong> savoir<br />

précisément le nombre <strong>de</strong> salariés employés, puisqu’ils sont tous gérés par un même service, le<br />

Centre Interrégional <strong>de</strong> la paie (CIRP).<br />

Les <strong>de</strong>ux enquêtes permettent cependant d’approcher la réalité avec une certaine précision. Pour<br />

la FF<strong>MJC</strong> (année 1983), le nombre <strong>de</strong> salariés serait <strong>de</strong> 9.310, soit une moyenne <strong>de</strong> 8,78 salariés<br />

par structure, et pour l’UNIREG (année 1987), <strong>de</strong> 2.425 salariés, soit 6,12 par structure. Pour la<br />

seule Fédération <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Grenoble, on passe <strong>de</strong> 9,78 salariés par structure en 1983 à<br />

12,55 en 1987.<br />

La professionnalisation est donc plus importante à la FF<strong>MJC</strong> qu’à l’UNIREG 1 , plus importante<br />

d<strong>ans</strong> une région comme l’académie <strong>de</strong> Grenoble que d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Leur moindre<br />

importance, selon l’indicateur du nombre d’adhérents et leur implantation géographique, peut<br />

expliquer la moindre professionnalisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’UNIREG, alors que la “sur-<br />

professionnalisation” grenobloise est à mettre en rapport avec le dynamisme socio-économique <strong>de</strong> la<br />

région.<br />

L’exemple <strong>de</strong> la FRAG montre également que, pour cette région au moins, la professionnalisation<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est en progression rapi<strong>de</strong> : 28,3% en trois <strong>ans</strong>, soit plus <strong>de</strong> 9% par an. L’examen d’une plus<br />

longue durée (1980 à 87) confirme cette rapi<strong>de</strong> progression : alors que le nombre <strong>de</strong> directeurs ne<br />

que nous avons plutôt perçu sa recomposition (Vers le social-culturel, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 56,<br />

p. 55 et suivantes).<br />

1 De plus, la base <strong>de</strong> calcul n’est pas exactement la même : le chiffre brut <strong>de</strong> l’UNIREG comprend<br />

également les salariés mis à disposition et non employés directement par les <strong>MJC</strong>, alors que celui <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong> ne comprend que les employés <strong>de</strong>s associations affilées et <strong>de</strong> leurs fédérations. Cela<br />

revient à dire que l’emploi à la FF<strong>MJC</strong> est encore plus élevé.


- 121 -<br />

progresse pas, le nombre <strong>de</strong> personnels à temps plein et à trois-quarts <strong>de</strong> temps progresse <strong>de</strong> 135%<br />

(presque 20% par an) et le personnel à mi-temps <strong>de</strong> 106% (15% par an). Le personnel à temps<br />

partiel progresse pour la même pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 109% alors que le bénévolat progresse <strong>de</strong> 101% 1 . La<br />

“professionnalisation” <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> n’entame donc pas l’implication <strong>de</strong>s bénévoles contrairement à la<br />

crainte souvent exprimée. Mais le développement du bénévolat n’empêche pas non plus le<br />

développement <strong>de</strong> l’emploi, ce qui rend s<strong>ans</strong> fon<strong>de</strong>ment l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains professionnels <strong>de</strong> se<br />

trouver en concurrence déloyale avec <strong>de</strong>s “travailleurs” non rémunérés 2 . Les chiffres ten<strong>de</strong>nt au<br />

contraire à montrer que le développement <strong>de</strong> l’emploi, notamment partiel (intermittents, animateurs<br />

d’activités pour l’essentiel), va <strong>de</strong> pair avec le développement du bénévolat et qu’il y a fort à parier<br />

que loin d’être négative, la relation entre bénévoles et professionnels est dynamique et fonctionne en<br />

synergie.<br />

Cette “professionnalisation” rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est confirmée par<br />

l’analyse financière. De 1979 à 1987, toujours pour la FRAG, les frais <strong>de</strong> personnel augmentent <strong>de</strong><br />

155% alors que les frais généraux n’augmentent que <strong>de</strong> 65%. Il est également important <strong>de</strong><br />

remarquer que les recettes propres augmentent <strong>de</strong> 269% alors que les subventions n’augmentent<br />

que <strong>de</strong> 86%, ce qui revient à dire que le développement <strong>de</strong> l’emploi d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> est<br />

essentiellement lié à leurs recettes propres réalisées d<strong>ans</strong> les activités régulières et les actions plus<br />

ponctuelles.<br />

L’emploi par les fédérations est proportionnellement plus important - même s’il est d<strong>ans</strong> l’absolu<br />

plus faible (243 contre 664)- à l’UNIREG (13,4% <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’Institution) qu’à la FF<strong>MJC</strong> (7,1%)<br />

où, donc, 93% <strong>de</strong>s employés sont salariés <strong>de</strong>s associations locales. Ainsi repérons-nous,<br />

notamment à la FF<strong>MJC</strong>, un ensemble professionnel constitué <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sous-ensembles : d’un côté<br />

une minorité <strong>de</strong> salariés (<strong>de</strong>s directeurs, pour la plupart), gérés par le centre interrégional <strong>de</strong> la paie,<br />

fortement structurés professionnellement et syndicalement (recrutement, formation et convention<br />

collective nationale, syndicalisation forte) ; <strong>de</strong> l’autre, une majorité <strong>de</strong> salariés gérés par une<br />

multiplicité d’employeurs différents, aux statuts souvent précaires, et qui sont très peu syndiqués. Si<br />

l’écart statutaire - compte tenu <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong> la convention collective nationale <strong>de</strong> l’animation<br />

socioculturelle <strong>de</strong> 1988 - tend à se réduire, l’écart numérique, lui, ne fait qu’augmenter. En effet, si<br />

l’on appliquait l’indice d’augmentation <strong>de</strong> l’emploi <strong>de</strong> la FRAG à l’ensemble <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, on pourrait<br />

considérer que l’ensemble fédératif gère quelque 15.500 salariés en 1990, dont guère plus <strong>de</strong> <strong>60</strong>0<br />

employés fédéraux (3,9%) 3 .<br />

D<strong>ans</strong> cet ensemble fédératif, la division du travail, ainsi que la diversification <strong>de</strong>s fonctions, sont<br />

1 Tous ces chiffres sont extraits <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> la FRAG - Documents et statistique 1987.<br />

2 La hache <strong>de</strong> guerre n’est pas définitivement enterrée entre bénévoles et professionnels…<br />

3 La seule prise en compte <strong>de</strong> ces données <strong>de</strong>vrait faire réfléchir les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales, notamment ceux qui ont la charge <strong>de</strong> gérer les “ressources humaines”.


- 122 -<br />

importantes. Même si, comme nous l’avons vu, les contenus <strong>de</strong> travail du directeur sont variés, le<br />

temps est révolu où il <strong>de</strong>vait assumer quasiment seul avec <strong>de</strong>s bénévoles, les diverses fonctions :<br />

accueil, secrétariat, comptabilité, animation directe, direction, entretien ...<br />

Les personnels dits permanents (temps complet, trois-quarts, <strong>de</strong>mi, un tiers et un quart <strong>de</strong> temps)<br />

se répartissent d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s fonctions et <strong>de</strong>s grilles <strong>de</strong> salaires définies par le convention<br />

collective <strong>de</strong> l’animation socioculturelle 1 : du groupe 1 pour le personnel d’entretien au groupe 9 pour<br />

le délégué général. Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont donc leurs cadres supérieurs (les<br />

délégués), leurs cadres moyens et professions intermédiaires (directeurs, animateurs, secrétaires <strong>de</strong><br />

direction), leurs employés (personnel administratif essentiellement) et leurs ouvriers et personnels <strong>de</strong><br />

service (ouvrier d’entretien et femme <strong>de</strong> ménage pour l’essentiel), autrement dit leurs cadres,<br />

bénéficiaires <strong>de</strong> “rétrocession <strong>de</strong> plus-value”, et leurs “quasi-prolétaires”, TUC, CES... 2<br />

On ne sera guère surpris d’apprendre que le nombre <strong>de</strong> salariés permanents augmente avec le<br />

nombre d’adhérents : d’un <strong>de</strong>mi-permanent pour les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 200 adhérents à une<br />

moyenne <strong>de</strong> 18 pour les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 2.000 adhérents et plus 3 . Ces salariés sont à 46% <strong>de</strong>s animateurs,<br />

à 26% <strong>de</strong>s employés pour le secrétariat, l’accueil et la comptabilité, à 7% <strong>de</strong>s techniciens et à 19%<br />

<strong>de</strong>s personnels d’entretien. Les animateurs sont donc les plus nombreux. Si l’on y ajoute les<br />

directeurs-éducateurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, on obtient un total <strong>de</strong> directeurs/animateurs <strong>de</strong> 1.440 + 5.87 = 2.027<br />

sur 4.434 emplois permanents. Un emploi d’“animation” (si l’on considère les directeurs comme <strong>de</strong>s<br />

animateurs) induit donc en moyenne 1,19 emplois connexes (secrétariat, technique, entretien...).<br />

Les animateurs permanents employés directement par les structures <strong>de</strong> base (<strong>MJC</strong>, unions<br />

locales ou fédérations départementales) assurent <strong>de</strong>s missions également diverses, à tel point que<br />

l’on peut avancer que les fonctions professionnelles sont divisées à la fois d<strong>ans</strong> leur dénomination,<br />

d<strong>ans</strong> leurs grilles <strong>de</strong> salaires, d<strong>ans</strong> les savoir-faire exigés et d<strong>ans</strong> leurs missions. Parmi les <strong>MJC</strong><br />

ayant répondu à l’enquête 4 , 24% ont <strong>de</strong>s animateurs d<strong>ans</strong> le secteur enfant, 20% d<strong>ans</strong> le secteur<br />

adolescent, 18,5% ont <strong>de</strong>s animateurs d’ateliers, 17% <strong>de</strong>s animateurs sportifs et 14% <strong>de</strong>s<br />

animateurs chargés <strong>de</strong> l’animation globale.<br />

Les emplois dits “permanents” sont marqués par une certaine précarité : un tiers d’entre eux sont<br />

<strong>de</strong>s contrats à durée déterminée, et plus <strong>de</strong> 30% sont <strong>de</strong>s emplois à temps partiel, les mi-temps<br />

étant <strong>de</strong> loin les plus nombreux (70% <strong>de</strong>s emplois à temps partiel).<br />

Les saisonniers (appelés souvent “vacataires”), généralement payés à l’heure pour encadrer une<br />

activité (“techniciens d’activité” ou “animateurs-enseignants”) sur un temps défini très souvent<br />

1 Rappelons que cette convention collective, dont l’application est obligatoire <strong>de</strong>puis le 1/1/90, couvre<br />

l’ensemble du secteur <strong>de</strong> l’animation socio-culturelle.<br />

2 Travaux d’utilité collective, contrats emploi-solidarité ... d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la lutte contre le chômage.<br />

3 Enquête FF<strong>MJC</strong> portant sur l’année 1983.<br />

4 Enquête FF<strong>MJC</strong> portant sur l’année 1983.


- 123 -<br />

inférieur au quart-temps 1 , sont les salariés les plus nombreux : près <strong>de</strong> 5.000 à la FF<strong>MJC</strong> pour<br />

l’année 1983, soit 52,4% <strong>de</strong> l’ensemble.<br />

Comme celui <strong>de</strong>s salariés permanents, le nombre <strong>de</strong>s saisonniers d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> augmente avec<br />

le nombre <strong>de</strong>s adhérents : d’une moyenne <strong>de</strong> 1,5 pour les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 200 adhérents à 19<br />

pour les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2.000 adhérents. Leur répartition entre les activités principales est la<br />

suivante : ateliers (34,3%), activités sportives (32,1%), centres <strong>de</strong> loisirs s<strong>ans</strong> hébergement (16,2%),<br />

spectacles (8,9%), langues (5,9%), intervention en milieu scolaire (2,6%) 2 . D<strong>ans</strong> les activités<br />

principales (sport, ateliers et Centres <strong>de</strong> Loisirs S<strong>ans</strong> Hébergement), ces saisonniers effectuent entre<br />

10 et 19 heures par mois (pour, d<strong>ans</strong> l’ordre <strong>de</strong> ces activités, 39%, 45% et 34% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) puis moins<br />

<strong>de</strong> 10 heures (pour 37,5%, 33,5% et 32,2% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) et enfin <strong>de</strong> 20 à 29 heures (pour 10,5%, 14%<br />

et 10% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>). Le nombre <strong>de</strong> mois d’activité le plus courant est <strong>de</strong> 9 mois par an.<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture n’échappent donc pas d<strong>ans</strong> leur évolution à la logique<br />

<strong>de</strong>s entreprises publiques et privées, à savoir :<br />

- une division <strong>de</strong> plus en plus importante du travail, <strong>de</strong>s fonctions et <strong>de</strong>s savoir-faire,<br />

- une coupure <strong>de</strong> plus en plus nette entre le travail relevant du décisionnel (concepteurs,<br />

coordinateurs, directeurs) et le travail d’exécution, qu’il soit administratif, technique et même<br />

pédagogique. Rappelons qu’à la FF<strong>MJC</strong> en 1983, 7% <strong>de</strong> cadres dirigeait 93% <strong>de</strong> salariés employés<br />

à <strong>de</strong>s fonctions diverses. A la FF<strong>MJC</strong>, ces cadres presque tous directeurs <strong>de</strong> structures et <strong>de</strong> projets<br />

sont plus encore qu’à l’UNIREG comparables <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> petites entreprises 3 .<br />

- une échelle <strong>de</strong>s salaires importante même si elle est plus faible qu’ailleurs (<strong>de</strong> 1 à 4<br />

approximativement).<br />

Ce dispositif professionnel, ainsi que l’ensemble <strong>de</strong> forces organisées <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

1 Depuis 1990, ces saisonniers doivent être embauchés sur un statut réglé par un “contrat à durée<br />

indéterminée intermittent” (avenant à la convention collective <strong>de</strong> l’animation socioculturelle).<br />

2 Les artistes intermittents du spectacle échappent à ces données. Il serait d’un grand intérêt <strong>de</strong> savoir<br />

ce que représentent les <strong>MJC</strong> pour la rémunération <strong>de</strong>s artistes.<br />

3 Ce qui pourrait en partie expliquer, et peut-être justifier, <strong>de</strong>s salaires plus élevés (groupe 7<br />

“amélioré” <strong>de</strong> la convention collective pour les directeurs FF<strong>MJC</strong> contre groupe 6 pour la majorité<br />

<strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> l’UNIREG), et <strong>de</strong>s coûts également supérieurs (pour l’année 1991, le taux moyen<br />

<strong>de</strong>vrait dépasser <strong>de</strong> 40.000 F le taux moyen UNIREG).


- 124 -<br />

<strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> leurs fédérations, ont une production sociale et remplissent <strong>de</strong>s missions qu’il est<br />

nécessaire d’i<strong>de</strong>ntifier et d’évaluer, et ce malgré les difficultés liées à leur caractère essentiellement<br />

socio-culturel et symbolique.


- 125 -<br />

CHAPITRE - IV -<br />

PRODUCTIONS, PARTENARIAT ET ENJEUX DE SOCIETE<br />

D<strong>ans</strong> notre “signalement provisoire” <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 1 , nous avons<br />

annoncé qu’elles se caractérisaient également par <strong>de</strong>s “productions” 2 que l’on peut apprécier à <strong>de</strong>ux<br />

niveaux :<br />

• Les réalisations visibles, actions, pratiques assez facilement démontrables : activités<br />

régulières, spectacles, créations, services divers, missions <strong>de</strong> formation... Ces productions sont<br />

généralement décrites, voire analysées avec plus ou moins <strong>de</strong> précision d<strong>ans</strong> les rapports d’activité<br />

<strong>de</strong>s assemblées générales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

• Les effets socio-culturels plus difficilement appréciables et rarement évalués : promotion<br />

sociale, “viabilisation” du tissu social, intégration et insertion <strong>de</strong>s individus, développement <strong>de</strong> la<br />

sociabilité, <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s individuelles, <strong>de</strong> la personnalité, <strong>de</strong> l’initiative, <strong>de</strong> l’esprit critique et éclairé,<br />

<strong>de</strong> la responsabilité, <strong>de</strong> la citoyenneté active, <strong>de</strong> la vie démocratique...<br />

L’évaluation quantitative et qualitative <strong>de</strong> ces productions, leur dénombrement même se heurtent<br />

à une série <strong>de</strong> difficultés :<br />

- Les acteurs, bénévoles ou professionnels, <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont,<br />

avons-nous dit, particulièrement loquaces sur leurs pratiques, les projets, objectifs et finalités, la<br />

philosophie qui les anime, les cadres <strong>de</strong> référence qui légitiment leurs action. Ils passent également<br />

beaucoup <strong>de</strong> temps à décrire les inégalités sociales auxquelles ils sont confrontés, à analyser les<br />

comportements <strong>de</strong>s partenaires, à raconter leur vécu, à “interroger” leurs pratiques en les<br />

confrontant aux ambitions du projet. Par contre, ces mêmes acteurs sont nettement moins prolixes<br />

sur l’analyse <strong>de</strong>s productions sociales <strong>de</strong> leurs actions. On ne va guère au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la<br />

comptabilisation <strong>de</strong>s résultats immédiatement visibles. Occultation volontaire, ou manque d’outils<br />

d’analyse ? La réponse est peut-être plus simple : les acteurs - les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> notamment -<br />

sont d’abord <strong>de</strong>s “faiseurs”, <strong>de</strong>s “opérationnels”, voire <strong>de</strong>s “opérateurs”. Malgré les enjeux <strong>de</strong> société<br />

poursuivis, leur attitu<strong>de</strong> est essentiellement pratique voire pragmatiste. Mais il est vrai aussi que,<br />

pour un certain nombre d’entre eux, l’action culturelle sociale et éducative qu’ils conduisent ne se<br />

mesure pas, et surtout n’a pas <strong>de</strong> prix 3 .<br />

1 Introduction, § 3.<br />

2 Le terme <strong>de</strong> “production” est à employer avec précaution au sens <strong>de</strong> “production socio-culturelle”<br />

engageant, comme nous l’avons vu, toute une technologie sociale faite <strong>de</strong> dispositifs, <strong>de</strong> techniques<br />

pédagogiques et d’une organisation spécifiques. Ce terme <strong>de</strong> production, comme celui d’entreprise,<br />

est d’une utilisation très récente d<strong>ans</strong> le langage <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

3 Les conventions, en particulier avec les municipalités, concernent très souvent les missions générales<br />

et surtout les moyens, mais relativement peu les indicateurs d’évaluation <strong>de</strong>s productions. Les <strong>MJC</strong>,


- 126 -<br />

Ces productions d<strong>ans</strong> leurs fonctions socio-culturelles ont, pour nombre d’entre elles, un<br />

caractère complexe, polymorphe, ambivalent, voire ambigu et contradictoire. S’il est relativement<br />

possible d’apprécier l’amélioration du climat social d’un quartier (baisse <strong>de</strong> la délinquance, sentiment<br />

<strong>de</strong> sécurité, développement <strong>de</strong> la vie associative et <strong>de</strong> la communication sociale ....), il est, par<br />

contre, plus difficile <strong>de</strong> mesurer le développement <strong>de</strong> la personnalité <strong>de</strong>s individus, leur sens critique,<br />

leur <strong>de</strong>gré d’autonomie et <strong>de</strong> responsabilité active. Quand on connait les difficultés <strong>de</strong> la construction<br />

<strong>de</strong> l’indicateur <strong>de</strong> la précarité 1 , on peut imaginer la gageure que représente l’évaluation du rôle d’une<br />

<strong>MJC</strong> en matière <strong>de</strong> lutte contre cette précarité professionnelle, sociale, culturelle et affective <strong>de</strong>s<br />

individus.<br />

Les sciences sociales ont encore relativement peu avancé d<strong>ans</strong> ce domaine <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s<br />

productions sociales <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle, les évaluations se limitant souvent à l’analyse<br />

quantitative <strong>de</strong>s pratiques culturelles, même si, ça et là, les dispositifs d’intervention “lourds” type<br />

développement social <strong>de</strong>s quartiers (DSQ) ou développement social urbain (DSU) ren<strong>de</strong>nt<br />

indispensable, compte tenu <strong>de</strong>s moyens investis et <strong>de</strong>s enjeux, une appréciation sérieuse <strong>de</strong>s<br />

résultats.<br />

S’agissant <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, le dénombrement même <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s<br />

pratiques, leur classement, leur importance sont rendus difficile par la multiplicité <strong>de</strong>s structures, qui<br />

ne tr<strong>ans</strong>mettent pas forcément <strong>de</strong>s comptes à leurs fédérations, et par la diversité <strong>de</strong>s actions.<br />

Sachons que d<strong>ans</strong> une <strong>MJC</strong> tout est possible, <strong>de</strong> la création artistique à l’action humanitaire ou<br />

économique, du cours <strong>de</strong> philosophie à l’organisation du réveillon du premier <strong>de</strong> l’an, à l’organisation<br />

d’échanges internationaux en passant par l’hébergement, la restauration, et les rencontres sportives.<br />

1 - Activités, actions et publics<br />

80% <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture font <strong>de</strong> l’action culturelle (création, diffusion d<strong>ans</strong><br />

les disciplines artistiques les plus diverses ...), 75% ont <strong>de</strong> activités sportives, 70% proposent <strong>de</strong>s<br />

activités d’expression (ateliers, cours, stages), 70% ont <strong>de</strong>s activités au service du développement<br />

associatif (prêt <strong>de</strong> salle et <strong>de</strong> matériel, formation <strong>de</strong>s responsables, imprimerie ...), 63% ont <strong>de</strong>s<br />

activités scientifiques, techniques, ainsi qu’audiovisuelles, 50% proposent <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> formation,<br />

33% font <strong>de</strong> l’action sociale, 29% <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> tourisme social, 20% ont <strong>de</strong>s activités<br />

économiques (développement local, entreprises intermédiaires, ventes, services divers…) 2 , telles<br />

malgré les pressions grandissantes <strong>de</strong>s partenaires financeurs, restent assez rétives à tout ce qui<br />

pourrait ressembler à un cahier <strong>de</strong>s charges et à <strong>de</strong>s évaluations rigoureuses, surtout si elles leur<br />

échappent.<br />

1 Voir par exemple André Villeneuve : “Construire un indicateur <strong>de</strong> précarité : les étapes d’une<br />

démarche empirique” (Économie et Statistique n° 168, juillet-août 1984).<br />

2 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact.


- 127 -<br />

sont les pratiques les plus courantes <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture affiliées à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

L’approche <strong>de</strong>s activités et <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (affiliées à l’UNIREG), selon la fréquentation <strong>de</strong>s<br />

adhérents et usagers 1 , apporte <strong>de</strong>s informations complémentaires. S’agissant <strong>de</strong>s seuls adhérents<br />

(titulaires d’une carte d’adhérent donnant le droit <strong>de</strong> vote aux plus <strong>de</strong> 16 <strong>ans</strong> d<strong>ans</strong> les assemblées<br />

générales), plus d’un tiers (36,3%) pratique <strong>de</strong>s activités à caractère sportif, <strong>de</strong> nature ou <strong>de</strong> plein<br />

air, <strong>de</strong> détente physique ; moins d’un tiers (30,6%) a <strong>de</strong>s activités artistiques et d’expression<br />

culturelle ; 13,3% a <strong>de</strong>s activités propres à son âge (enfants et adolescents regroupés d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

centres <strong>de</strong> loisirs, camps d’été, foyers ...) ; les activités d’accueil, d’information, <strong>de</strong> développement<br />

associatif, regroupent 6,3% <strong>de</strong>s adhérents ; enfin les activités techniques et scientifiques, ainsi que<br />

les ateliers artisanaux traditionnels intéressent 6% <strong>de</strong>s adhérents.<br />

Si l’on considère maintenant, toujours pour l’UNIREG, la totalité <strong>de</strong>s personnes concernées<br />

directement par les <strong>MJC</strong> (adhérents + usagers), on obtient <strong>de</strong>s chiffres très significatifs <strong>de</strong> l’impact<br />

culturel et <strong>de</strong> communication sociale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. En effet, 63% <strong>de</strong>s<br />

personnes ainsi comptabilisées sont concernées par <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> nature culturelle (apprentissage<br />

et pratiques artistiques, “consommation” <strong>de</strong> spectacles et d’expositions, participation à <strong>de</strong>s<br />

animations culturelles). Ensuite viennent les activités à caractère convivial (développement<br />

associatif, information, etc...) pour 15% <strong>de</strong> la population touchée, puis le sport et les activités <strong>de</strong><br />

détente physique (11%). Les activités artisanales traditionnelles (moins <strong>de</strong> 1% <strong>de</strong>s usagers) sont<br />

donc très peu “grand public”, ce qui fait tomber une image encore répandue <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> poterie,<br />

tissage, peinture sur soie, macramé ...<br />

L’enquête conduite sur la FF<strong>MJC</strong> fait également bien apparaître la diversité <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ainsi que l’importance <strong>de</strong>s secteurs prioritaires.<br />

a) l’action culturelle<br />

Nous avons vu que 80% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> font <strong>de</strong> l’action culturelle. Parmi ces <strong>MJC</strong>,<br />

près <strong>de</strong> 50% le font d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong>s expositions, et bien plus d<strong>ans</strong> la création d’expositions que<br />

d<strong>ans</strong> l’accueil d’expositions qui circuleraient d’une structure à l’autre. Cette action culturelle se<br />

caractérise donc plus par une démarche d’expression d’artistes locaux, jeunes, amateurs, que d<strong>ans</strong><br />

la présentation d’oeuvres d’artistes confirmés qu’il s’agirait <strong>de</strong> rapprocher d’un nouveau public 2 .<br />

86% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> menant <strong>de</strong>s activités culturelles le font d<strong>ans</strong> le domaine du théâtre, aussi bien d<strong>ans</strong><br />

les activités <strong>de</strong> création que <strong>de</strong> diffusion, même si ces activités concernent très souvent le théâtre<br />

1 Faits, chiffres et images d’associations.<br />

2 A titre d’exemple : d<strong>ans</strong> les années 80, la <strong>MJC</strong> Prévert à Aix-en-Provence n’a présenté d<strong>ans</strong> sa salle<br />

d’exposition qu’un seul artiste <strong>de</strong> renom (Fernand Léger). Les autres expositions, <strong>de</strong> plus ou moins<br />

gran<strong>de</strong> qualité artistique, concernaient <strong>de</strong>s artistes locaux, régionaux ou même nationaux et<br />

étrangers, qui en étaient souvent à leurs premières expositions, et ce d<strong>ans</strong> les domaines les plus<br />

divers (<strong>de</strong>ssin, peinture, photo, artisanat ...).


- 128 -<br />

amateur ou semi-professionnel 1 . Le spectacle vivant est donc toujours vivace au sein <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>,<br />

puisqu’il concerne 69% <strong>de</strong>s structures dont certaines ont une programmation digne <strong>de</strong>s centres<br />

culturels les plus performants 2 .<br />

Plus <strong>de</strong> 40% <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture menant <strong>de</strong>s activités culturelles, le font<br />

d<strong>ans</strong> le domaine musical : jazz, rock, folk, musique classique, ch<strong>ans</strong>on, aussi bien d<strong>ans</strong> la création<br />

que d<strong>ans</strong> la simple diffusion. Nombreux sont en effet les chanteurs et groupes musicaux qui ont<br />

commencé leur carrière d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> 3 . Des festivals, et pas <strong>de</strong>s moindres, sont également nés d<strong>ans</strong><br />

les <strong>MJC</strong> ou sont encore gérés par elles (le Printemps <strong>de</strong> Bourges, par exemple).<br />

La diffusion et la création audiovisuelles concerne près <strong>de</strong> 30% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> menant <strong>de</strong>s activités<br />

culturelles. Certaines disposent <strong>de</strong> moyens professionnels ou semi-professionnels importants,<br />

notamment en vidéo, et même en cinéma 16 mm et super 8 (prise <strong>de</strong> vue, prise <strong>de</strong> son, sonorisation<br />

et montage). Elles occupent en la matière cet espace intermédiaire entre la diffusion<br />

cinématographique commerciale et la diffusion télévisuelle, notamment d<strong>ans</strong> les domaines du court<br />

métrage vidéo et cinéma 4 .<br />

La diffusion cinématographique concerne 37% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> impliquées d<strong>ans</strong> l’action culturelle, que<br />

cela soit d<strong>ans</strong> une programmation régulière ou d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s rencontres plus ponctuelles. De<br />

nombreuses <strong>MJC</strong> gèrent <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> cinéma “art et essai” ou ayant le statut commercial (plus<br />

d’une soixantaine peut-être pour la seule FF<strong>MJC</strong>) 5 .<br />

Ces disciplines artistiques sont les plus développées et le plus régulièrement pratiquées d<strong>ans</strong> les<br />

<strong>MJC</strong>. Mais on y rencontre aussi la création et la diffusion en matière <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e, <strong>de</strong> poésie, <strong>de</strong> cirque.<br />

De nombreux petits, moyens et grands festivals sont gérés par les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture (plus d’une centaine pour la seule FF<strong>MJC</strong> 6 ). Beaucoup y sont nés avant d’obtenir la<br />

1 Le semi-professionnalisme concerne <strong>de</strong>s comédiens qui tirent quelque subsistance <strong>de</strong> leur activité<br />

artistique. Ils peuvent être par ailleurs animateurs ou formateurs, mais <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong><br />

accueillent régulièrement ou ponctuellement <strong>de</strong>s compagnies théâtrales professionnelles. Les cas <strong>de</strong><br />

troupes professionnelles en rési<strong>de</strong>nce ne sont pas rares.<br />

2 D<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s nombreuses villes moyennes, la <strong>MJC</strong> joue souvent le rôle <strong>de</strong> centre culturel ou <strong>de</strong> théâtre<br />

municipal. Il n’est pas rare qu’elles touche alors plus <strong>de</strong> 10.000 spectateurs par an. La <strong>MJC</strong><br />

Bellegar<strong>de</strong> à Aix-en-Provence développe par exemple en son sein un Centre d’Action Culturelle pour<br />

l’Enfance et la Jeunesse.<br />

3 Ce fut particulièrement vrai d<strong>ans</strong> les années 70 (voir entretien avec Jacques Bertin d<strong>ans</strong> les cadre<br />

d’une émission “Grand Angle” <strong>de</strong> France Culture, le 10 mars 1990, intitulée “Où en sont les <strong>MJC</strong> ?”.<br />

Quelques noms : Lavilliers, Renaud, Higelin, Cabrel, Petrucciani, Stivell, Servat, Leclerc ...).<br />

4 Rappelons par exemple que le Festival “Tous courts” d’Aix-en-Provence, qui consacre déjà <strong>de</strong>s<br />

oeuvres nationales et internationales importantes, est né d<strong>ans</strong> l’atelier cinéma-vidéo <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong><br />

Prévert où passent régulièrement <strong>de</strong> nombreux étudiants en audio-visuel <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />

Provence. Autre exemple : le festival du cinéma <strong>de</strong>s minorités <strong>de</strong> Douarnenez.<br />

5 Une mission a été confiée à un directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> pour développer ce réseau <strong>de</strong> salles associatives<br />

d<strong>ans</strong> le cadre du soutien à la diffusion cinématographique.<br />

6 Pas moins <strong>de</strong> 4 festivals, certes d’ampleur encore mo<strong>de</strong>ste, ont été créés et sont gérés par les <strong>MJC</strong><br />

d’Aix-en-Provence (festivals du théâtre <strong>de</strong>s lycées et collèges, du jeune public, du théâtre satirique,<br />

<strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e “hors cadre”).


- 129 -<br />

reconnaissance du Ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong> renom, si bien qu’ils ont souvent<br />

échappé à ceux, bénévoles et professionnels, qui les avaient imaginés et portés sur les fonds<br />

baptismaux <strong>de</strong> l’action culturelle.<br />

b) les activités sportives<br />

75% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> ont <strong>de</strong>s activités sportives qui concernaient en 1983 quelque<br />

105.000 personnes (un peu plus <strong>de</strong> 20% <strong>de</strong>s adhérents <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) réparties d<strong>ans</strong> les disciplines les<br />

plus diverses dont les plus fréquentées sont, d<strong>ans</strong> l’ordre, la gymnastique, le judo, le ski, le tennis <strong>de</strong><br />

table, l’alpinisme-randonnée-spéléo, le volley-ball, le football, le canoë, la voile, le karaté, le handball,<br />

la lutte, l’aï kido, le basket-ball, le cyclotourisme. Ensuite viennent une série <strong>de</strong> disciplines moins<br />

couramment pratiquées : la natation, le tir à l’arc, la musculation, le bi-cross, la canne d’arme, la<br />

boxe française et tous les arts martiaux que nous n’avons pas déjà cités.<br />

Les disciplines les plus couramment pratiquées d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> ne sont pas les grands sports <strong>de</strong><br />

masse et/ou collectifs (football, rugby...), mais bien plutôt <strong>de</strong>s sports plus individuels pratiqués d’une<br />

manière collective. De nombreuses disciplines nouvelles (les arts martiaux et les différentes formes<br />

<strong>de</strong> gymnastique, par exemple) se sont d’abord développées d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> avant d’être prises en<br />

charge par <strong>de</strong>s clubs et <strong>de</strong>s fédérations sportives spécifiques.<br />

L’apport <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en matière sportive est tout à fait original et se trouve marqué par quelques<br />

caractéristiques significatives d’un état d’esprit et d’une certaine “culture” sportive :<br />

- l’innovation et l’expérimentation d<strong>ans</strong> un secteur qui est par ailleurs très règlementé (clubs<br />

et fédérations, compétitions…) ;<br />

- la place faite à l’individu, au développement <strong>de</strong> ses aptitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> sa personnalité, <strong>de</strong> son<br />

bien-être, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> tout esprit <strong>de</strong> compétition ; il n’y a en effet que 10 à 12% <strong>de</strong> licenciés parmi<br />

les “sportifs” <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ;<br />

- la rencontre et la convivialité 1 comme fin essentielle - pas toujours consentie ni avouée -<br />

<strong>de</strong>s pratiques sportives, qu’elles aient lieu en salle ou d<strong>ans</strong> la nature ; ainsi la vie <strong>de</strong> groupe faite <strong>de</strong><br />

négociations inter-individuelles permanentes y prime sur, d’un côté, l’acte purement individuel, et <strong>de</strong><br />

l’autre, la règlementation stricte et incontournable <strong>de</strong>s sports collectifs ; on préfèrera souvent le ski<br />

<strong>de</strong> fond et <strong>de</strong> randonnée au ski <strong>de</strong> piste, le sport-loisir au sport <strong>de</strong> compétition.<br />

c) les ateliers<br />

Ce qu’on appelle les ateliers, d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, correspond en fait à<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s activités régulières à l’exclusion <strong>de</strong>s activités sportives. Ces ateliers servent<br />

généralement à l’apprentissage d’une discipline, qui peut déboucher sur un acte créatif individuel et<br />

collectif, même mo<strong>de</strong>ste d<strong>ans</strong> sa qualité : théâtre, d<strong>ans</strong>e, artisanat, musique ...<br />

1 On a pu observer que <strong>de</strong>s activités comme la randonnée pé<strong>de</strong>stre, le ski <strong>de</strong> fond et <strong>de</strong> randonnée,<br />

l’escala<strong>de</strong>, étaient <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> marché matrimonial importants.


- 130 -<br />

Ces “ateliers” qui constituent souvent l’image-type du “produit” <strong>MJC</strong> se caractérisent par une<br />

extrême diversité et dispersion : <strong>de</strong> quelques activités d<strong>ans</strong> une petite <strong>MJC</strong> à près d’une centaine<br />

d<strong>ans</strong> les plus importantes 1 , <strong>de</strong> la guitare ou du théâtre à l’art floral, au crochet ou au Bonzaï ...<br />

L’enquête conduite sur les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> permet, par un regroupement <strong>de</strong> grands<br />

secteurs, <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce la fréquence <strong>de</strong> ces ateliers ainsi que les activités dominantes en<br />

général et selon la taille <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s villes d’implantation 2 .<br />

Les activités artisanales et d’arts plastiques (<strong>de</strong>ssin, peinture, sculpture, terre, émaux, tissage,<br />

peinture sur soie, vannerie, coupe-couture, bricolage, sérigraphie) ont une fréquence <strong>de</strong> 2,10 par<br />

<strong>MJC</strong>. Ensuite viennent la musique (1,75), les activités scientifiques et techniques (informatique,<br />

archéologie, électronique, modélisme, radio-amateur, astronomie) pour une fréquence <strong>de</strong> 1,15, puis<br />

le théâtre et les arts du spectacle proches (marionnettes, mime…) avec 0,94 <strong>de</strong> fréquence, les jeux<br />

<strong>de</strong> société (0,90), l’audiovisuel (cinéma, vidéo, photo, diaporama) avec une fréquence <strong>de</strong> 0,45, puis<br />

la d<strong>ans</strong>e (0,35), les langues (0,20), et enfin les centres <strong>de</strong> loisirs s<strong>ans</strong> hébergement à ateliers<br />

multiples (fréquence <strong>de</strong> 0,25) 3 .<br />

L’inventaire, activité par activité, avec leur taux <strong>de</strong> fréquence, serait fastidieux. On peut<br />

cependant faire quelques remarques significatives qui éclairent la réalité <strong>de</strong>s pratiques d’ateliers<br />

d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture :<br />

- L’indicateur <strong>de</strong> fréquence <strong>de</strong>s ateliers ne dit évi<strong>de</strong>mment rien sur le nombre <strong>de</strong> pratiquants.<br />

Un atelier diaporama ou sérigraphie ne rassemble souvent que quelques personnes. A l’opposé, on<br />

sait que la d<strong>ans</strong>e, qui n’a pourtant qu’un indice <strong>de</strong> fréquence <strong>de</strong> 0,35, regroupe quelque 80.000<br />

d<strong>ans</strong>eurs 4 pour les seules <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, et ce d<strong>ans</strong> les disciplines les plus diverses<br />

(classique, jazz, mo<strong>de</strong>rne, primitive, folk, <strong>de</strong> salon ...).<br />

- D<strong>ans</strong> les petites <strong>MJC</strong>, il y a, bien évi<strong>de</strong>mment, globalement moins d’activités que d<strong>ans</strong> les<br />

gran<strong>de</strong>s. Mais la dispersion est quasiment la même que pour les gran<strong>de</strong>s, si bien qu’il est impossible<br />

<strong>de</strong> dire qu’il y a un “modèle” petite <strong>MJC</strong> en matière d’ateliers. La d<strong>ans</strong>e mo<strong>de</strong>rne y occupe une place<br />

non négligeable, ainsi que la micro-informatique, à côté <strong>de</strong>s activités dominantes (bricolage et jeux<br />

<strong>de</strong> cartes), ce qui tendrait à montrer que ces petites associations sont bien en prise avec certaines<br />

évolutions <strong>de</strong>s années 80.<br />

- La guitare apparait comme l’activité typique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, avant la photo. Quelle que soit la<br />

1 La <strong>MJC</strong> “Magnan” à Nice avait, au début <strong>de</strong>s années 80, près <strong>de</strong> 6.000 adhérents et quelque 80<br />

ateliers.<br />

2 Voir tableaux en annexe 34 et 35.<br />

3 Selon l’enquête Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact.<br />

4 Chiffre recueilli par Franck Lepage, directeur du développement culturel à la FF<strong>MJC</strong>. A titre <strong>de</strong><br />

comparaison, la très officielle Fédération Française <strong>de</strong> D<strong>ans</strong>e ne regroupe que quelque 15.0000<br />

d<strong>ans</strong>eurs.


- 131 -<br />

taille <strong>de</strong> la commune, elle est dominante, à <strong>de</strong>ux exceptions près : d<strong>ans</strong> les communes <strong>de</strong> 15 à<br />

30.0000 habitants, la photo dépasse la guitare qui fait par ailleurs jeu égal avec la micro-informatique<br />

d<strong>ans</strong> les villes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 200.000 habitants 1 .<br />

- Des activités comme le piano, la d<strong>ans</strong>e mo<strong>de</strong>rne, la d<strong>ans</strong>e classique font globalement leur<br />

meilleur score <strong>de</strong> participation d<strong>ans</strong> petites villes où la <strong>MJC</strong> est souvent la seule structure à les<br />

proposer. A l’opposé, d<strong>ans</strong> les villes <strong>de</strong> plus 200.000 habitants où les cours <strong>de</strong> piano et <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e<br />

classique divers, privés et publics, sont nombreux, la quantité <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> qui les proposent est réduite<br />

(9%). Par contre, les <strong>MJC</strong> occupent le terrain <strong>de</strong> la d<strong>ans</strong>e mo<strong>de</strong>rne, par exemple.<br />

D<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong>s ateliers comme d<strong>ans</strong> celui <strong>de</strong>s activités sportives, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et <strong>de</strong> la Culture se caractérisent par une démarche d’initiative, voire d’initiation, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s disciplines<br />

qui ne sont pas, ou pas encore 2 , proposées par le marché privé ou le service public. Ainsi, loin d’être<br />

prioritairement un supermarché d’activités qui se vendraient bien, ces structures restent-elles <strong>de</strong>s<br />

espaces d’initiative, d’invention, d’expérimentation, voire <strong>de</strong> maintien <strong>de</strong> pratiques 3 que les secteurs<br />

public et privé n’ont pas les moyens - ou ne prennent pas le risque - <strong>de</strong> développer 4 .<br />

d) la formation<br />

Plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> conduisent <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> formation. Pour 16,5% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, ces<br />

formations concernent l’insertion sociale, 6% les animateurs en cours <strong>de</strong> DEFA, 7% <strong>de</strong>s<br />

professionnels en situation <strong>de</strong> qualification. 41% <strong>de</strong> la totalité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> font ce que l’on pourrait<br />

appeler <strong>de</strong> la formation “grand public” sous forme <strong>de</strong> stages spécifiques notamment d<strong>ans</strong> les<br />

activités artisanales et les ateliers (27% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>), en d<strong>ans</strong>e (20%), en informatique et d<strong>ans</strong> les<br />

nouvelles technologies (31%). Près <strong>de</strong> 27% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> assurent elles-mêmes la formation<br />

d’animateurs bénévoles.<br />

Combien <strong>de</strong> personnes par an sont concernées par ces actions <strong>de</strong> formation ? Pour la seule<br />

FF<strong>MJC</strong> (année 1983), 28.0000 stagiaires seraient touchées par les formations grand public, 8.000<br />

d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> sessions <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s bénévoles. A ceux-là il convient d’ajouter 3.000<br />

stagiaires en insertion sociale et professionnelle, <strong>60</strong>0 stagiaires en qualification et un millier <strong>de</strong><br />

“défasiens”. 40.0000 personnes par an environ sont donc concernées par les actions <strong>de</strong> formation au<br />

1 Voir tableau en annexe 35.<br />

2 “Quand je suis arrivé à Marseille, la <strong>MJC</strong> Cor<strong>de</strong>rie était quasiment la seule à proposer <strong>de</strong> la d<strong>ans</strong>e d<strong>ans</strong><br />

le quartier. Aujourd’hui il y a une école <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e à chaque coin <strong>de</strong> rue” Entretien avec Jean Irrmann,<br />

directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>.<br />

Autre exemple : la <strong>MJC</strong> Raimon Trencavel <strong>de</strong> Béziers est à l’origine <strong>de</strong> trois écoles <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e privées<br />

que <strong>de</strong>s professeurs <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> ont créées, après avoir “fabriqué” leur clientèle à la <strong>MJC</strong>.<br />

3 Le bénévolat et le travail saisonnier jouent évi<strong>de</strong>mment un grand rôle d<strong>ans</strong> cette dynamique<br />

expérimentale.<br />

4 D’où cette double image contradictoire, mais presque toujours marquée négativement, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : à la<br />

fois “supermarché” <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> loisirs et espace <strong>de</strong> “bricolage”.


sein <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

e) l’action sociale<br />

- 132 -<br />

37% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> mènent <strong>de</strong>s activités d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l’action sociale “directe” 1 . On peut<br />

évaluer à 50.000 le nombre <strong>de</strong> personnes touchées par les actions sociales, qui relèvent <strong>de</strong>s<br />

secteurs suivants : actions <strong>de</strong> prévention pour 15% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> concernées par l’action sociale, crèche<br />

et/ou halte-gar<strong>de</strong>rie (47,5%), actions en faveur <strong>de</strong>s migrants (alphabétisation, permanence, accueil)<br />

pour 30,5% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> faisant <strong>de</strong> l’action sociale, permanences sociales (12,8%) et toutes autres<br />

activités sociales (46%). Certaines <strong>MJC</strong> peuvent mener plusieurs activités sociales 2 , ce qui explique<br />

que le total <strong>de</strong>s pourcentages dépasse 100.<br />

Il convient également <strong>de</strong> noter que près <strong>de</strong> 16% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> menant <strong>de</strong>s activités d’action sociale<br />

ont l’agrément “prévention” et près <strong>de</strong> 16% également sont agréées “centre social” 3 .<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces indications chiffrées, il faut signaler la démarche originale <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> en<br />

matière d’action sociale, démarche qui consiste à faire <strong>de</strong> l’action culturelle un moyen <strong>de</strong> “traitement”<br />

<strong>de</strong>s inégalités et handicaps sociaux. La formation, la création et la diffusion culturelles sont souvent<br />

utilisées d<strong>ans</strong> une démarche qui vise à la constitution <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong> la personnalité d’individus en<br />

situation d’exclusion, voire <strong>de</strong> rupture sociale, à leur reconnaissance, à leur promotion et intégration<br />

sociale. Les moyens culturels les plus sophistiqués (salles <strong>de</strong> spectacle bien équipées, studios<br />

d’enregistrement musicaux et <strong>de</strong> création cinématographique...) ainsi que les artistes, sont mis à<br />

contribution d<strong>ans</strong> ces dispositifs, dont nous pouvons donner quelques exemples éclairants et<br />

significatifs.<br />

Dès le début <strong>de</strong>s années 80, la Ville <strong>de</strong> Pau fait le choix, en accord avec la Fédération régionale<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d’Aquitaine, d’implanter d<strong>ans</strong> un quartier dit “difficile” (“Ousse-<strong>de</strong>s-Bois” où plus <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong><br />

la population a moins <strong>de</strong> 20 <strong>ans</strong>, et est issue <strong>de</strong> l’immigration <strong>de</strong> toute origine) une Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture qui est en fait un centre culturel doté d’une salle <strong>de</strong> spectacle et <strong>de</strong> cinéma<br />

bien équipée, d’un studio d’enregistrement musical. On y fait <strong>de</strong> l’alphabétisation par projection<br />

cinématographique, et cette structure <strong>de</strong>vient à la fois un lieu <strong>de</strong> diffusion culturelle et un “tremplin”<br />

pour jeunes créateurs d<strong>ans</strong> le domaine du rock notamment 4 .<br />

1 “Indirectement” toutes les <strong>MJC</strong> font <strong>de</strong> l’action sociale, ne serait-ce qu’en développant <strong>de</strong>s réseaux<br />

sociaux et inter-individuels par leurs actions et la pratique d’activités régulières.<br />

2 Du reste, la conduite d’un “projet social” induit généralement la coordination d’une multiplicité <strong>de</strong><br />

dispositifs et d’activités sociales.<br />

3 Rien n’interdit en effet qu’une <strong>MJC</strong> puisse obtenir <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s caisses d’allocations familiales un<br />

agrément “centre social”, s<strong>ans</strong> pour autant <strong>de</strong>venir un centre social affilié à la Fédération <strong>de</strong>s<br />

Centres sociaux. Cette situation est très courante en Poitou-Charente (entretien avec Jean-Clau<strong>de</strong><br />

Ménard, délégué régional).<br />

4 Entretien avec Garance Lacoste, directrice.


- 133 -<br />

Autres exemples : une <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Calais fait le choix, d<strong>ans</strong> le cadre d’un DSQ (développement<br />

social <strong>de</strong>s quartiers), <strong>de</strong> mettre en place une action culturelle lour<strong>de</strong> et coûteuse : formation, création<br />

et diffusion vidéo, d<strong>ans</strong>e et arts plastiques, qui permet ensuite aux intéressés <strong>de</strong> rentrer d<strong>ans</strong> un<br />

dispositif d’insertion sociale et professionnelle avec efficacité et réussite 1 .<br />

La <strong>MJC</strong> du quartier <strong>de</strong> la Croix-<strong>de</strong>s-Oiseaux à Avignon appuie toute sa démarche d’action sociale<br />

et éducative sur l’action culturelle et artistique. Elle participe activement au Festival par <strong>de</strong>s actions<br />

d’animation, d’exposition, <strong>de</strong> création et <strong>de</strong> diffusion. Elle met les artistes au service <strong>de</strong>s jeunes du<br />

quartier pour qu’ils se forment, qu’ils créent et qu’ils diffusent leurs productions (photo, théâtre d<strong>ans</strong>e,<br />

arts plastiques, notamment). Armand Gatti y crée, avec <strong>de</strong>s jeunes en difficulté, un spectacle qui a<br />

été diffusé d<strong>ans</strong> le cadre du festival d’été 1991. Tout ce travail mobilise autour <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> un<br />

partenariat institutionnel, financier et opérationnel large : municipalité, caisse d’allocations familiales,<br />

Fonds d’Action sociale, Ministère <strong>de</strong> la Culture, Education Nationale, Jeunesse et Sports, Formation<br />

professionnelle .... 2<br />

Ces démarches d’action sociale sont significatives du passage du socio-culturel à ce que nous<br />

avons appelé le “social culturel” 3 ainsi que d’une redéfinition <strong>de</strong> l’éducation populaire 4 largement<br />

reprise d<strong>ans</strong> les propositions mises en débat 5 à la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> la perspective <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> 1991.<br />

f) tourisme social et relations internationales<br />

Plus <strong>de</strong> 36% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> mènent <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> tourisme social. 62% <strong>de</strong>s<br />

associations concernées ont moins <strong>de</strong> 100 personnes touchées, mais en raison <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong><br />

cette activité pour certaines <strong>MJC</strong>, la moyenne s’établit à 420 personnes par structure, soit un total<br />

que l’on peut estimer à plus <strong>de</strong> 150.000 personnes. Les séjours <strong>de</strong> vacances concernent 68% <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> faisant du tourisme social, et les voyages 57,5% <strong>de</strong> ces mêmes <strong>MJC</strong>. Le tourisme social est<br />

inégalement développé selon les régions : <strong>de</strong> 21% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> la Fédération <strong>de</strong> Lyon à 64% en<br />

Aquitaine.<br />

Les relations internationales concernent 19% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui pratiquent l’accueil sur place d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

centres <strong>de</strong> séjour souvent importants ainsi que l’envoi <strong>de</strong> groupes à l’étranger. Comme pour le<br />

tourisme social, on remarque une gran<strong>de</strong> dispersion <strong>de</strong>s chiffres <strong>de</strong> population touchée : plus <strong>de</strong><br />

68% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ont moins <strong>de</strong> 100 personnes concernées, tandis que la moyenne est <strong>de</strong> 520, ce qui<br />

1 Entretiens avec le directeur et la prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>.<br />

2 Entretien avec Paul Blanc, directeur, et informations recueillies lors <strong>de</strong> la participation à divers<br />

conseils d’administration <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>.<br />

3 “Vers un social culturel ?”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 56, octobre 1986, p. 55 et suivantes.<br />

4 Propositions pour l’éducation populaire, septembre 1989 (Ronéo, diffusion FR<strong>MJC</strong> Méditerranée et<br />

publication d<strong>ans</strong> “Avis <strong>de</strong> recherche” n° 22, IRM Sud).<br />

5 Finalités <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations, janvier 1991 (diffusion FF<strong>MJC</strong>).


- 134 -<br />

fait un public total <strong>de</strong> 100.000 personnes environ par an.<br />

Les <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> gèrent un réseau non négligeable <strong>de</strong> C.I.S (centres internationaux<br />

<strong>de</strong> séjour) et ont <strong>de</strong>s actions très diverses et régulières d’échanges internationaux et interculturels,<br />

plus ou moins coordonnées et soutenus par <strong>de</strong>s services régionaux et nationaux. A titre d’exemple,<br />

le service <strong>de</strong>s échanges internationaux et interculturels <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée facilite <strong>de</strong>s<br />

relations internationales (échanges bi-gouvernementaux, camps <strong>de</strong> jeunes à l’étranger, jumelages<br />

inter-structures, missions <strong>de</strong> formation et d’étu<strong>de</strong>s, échanges <strong>de</strong> spectacles...) avec les pays du<br />

Maghreb, <strong>de</strong> l’Europe du Sud, d’Europe centrale, l’ex-Union soviétique, l’Allemagne, l’Angleterre, le<br />

Canada et certains pays d’Afrique noire.<br />

g) activités économiques<br />

Plus <strong>de</strong> 21% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ont <strong>de</strong>s activités à classer d<strong>ans</strong> le secteur économique. Plus <strong>de</strong> 20% ont<br />

<strong>de</strong>s activités économiques liées au développement local (actions jeunes, ai<strong>de</strong> au développement <strong>de</strong><br />

projets), 12,5% font <strong>de</strong> la vente <strong>de</strong> services ou <strong>de</strong> produits (récupération, restauration, imprimerie,<br />

cinéma), 10,5% développent <strong>de</strong>s entreprises intermédiaires, font <strong>de</strong> l’édition.<br />

Les disparités sont importantes selon les régions : peu <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> en région parisienne et près <strong>de</strong> la<br />

moitié en Normandie. Mais il est, là comme d<strong>ans</strong> d'autres secteurs, difficile <strong>de</strong> cerner précisément ce<br />

que l’on peut appeler une activité strictement économique, d<strong>ans</strong> la mesure où d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> tout<br />

peut s’acheter et se vendre. Le cinéma et l’édition peuvent, par exemple, être classés à la fois d<strong>ans</strong><br />

l’action culturelle et l’économique. Remarquons également que nombre d’actions économiques, nées<br />

d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, se sont développées d’une manière autonome et sous d’autres formes juridiques<br />

(SARL par exemple), qui peuvent gar<strong>de</strong>r ou non <strong>de</strong>s liens avec la structure-mère. C’est le cas <strong>de</strong> la<br />

Maison d’édition “La Manufacture”, actuellement implantée à Lyon, et qui est née à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Die 1 ,<br />

et <strong>de</strong> l’ART-n.a.c. 2 , société <strong>de</strong> production télévisuelle et gestionnaire du festival international <strong>de</strong> café-<br />

théâtre <strong>de</strong> Cannes.<br />

h) les <strong>MJC</strong>, “centres <strong>de</strong> ressources”<br />

68,6% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> agissent au service <strong>de</strong> partenaires associatifs, publics ou <strong>de</strong> particuliers. Ces<br />

ressources, dont la <strong>MJC</strong> est le centre et le gestionnaire, sont <strong>de</strong> natures diverses : salles <strong>de</strong> réunion<br />

pour 64% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, matériel audiovisuel pour 36% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, imprimerie, secrétariat et duplication<br />

pour 35% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, micro-informatique (14% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>), matériel <strong>de</strong> théâtre et d’exposition (15,7%),<br />

point accueil jeunes pour 13% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, restauration et hébergement (3,4% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>).<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture constituent ainsi un service permanent pour les<br />

initiatives individuelles et collectives. D<strong>ans</strong> les petites villes, c’est souvent le seul lieu d’utilisation<br />

1 A l’initiative <strong>de</strong> sa directrice Liliane Scotti, actuellement directrice <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> Cannes-Centre/Studio<br />

13.<br />

2 “Nouvelles Actions en Communication Artistique” : cette structure gar<strong>de</strong> un lien réel avec l’Institution<br />

d<strong>ans</strong> la mesure où son directeur, J.-P. Carriau, est salarié <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Méditerranée.


- 135 -<br />

facile, souple et “spontanée”, ouvert à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et aux horaires les plus divers : semaine et week-<br />

end, très tard le soir, mais aussi très tôt le matin.<br />

i) les <strong>MJC</strong>, créatrices d’autres structures<br />

Le projet <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui est <strong>de</strong> développer l’initiative et la responsabilité, et leur caractère <strong>de</strong> lieu-<br />

ressource expliquent s<strong>ans</strong> doute que 36,5% d’entre elles aient été à l’origine <strong>de</strong> la création d’une<br />

autre structure pour la seule année 1983 1 . Ces structures nouvelles sont à plus <strong>de</strong> 70% <strong>de</strong>s<br />

associations 2 , les autres relevant <strong>de</strong> formes juridiques diverses (SCOP, SARL ...).<br />

Les domaines d’activité <strong>de</strong> ces nouvelles structures sont variables, mais appartiennent aux<br />

pratiques habituelles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : sport (34% <strong>de</strong>s structures créées), entreprises intermédiaires (23%),<br />

spectacles (16,5%), cinéma (près <strong>de</strong> 13%), radios (3,7%), récupération (3,7%), tourisme (3,7%),<br />

hébergement (2,7%).<br />

Les liens instaurés entre ces nouvelles structures et la <strong>MJC</strong> sont bien réels pour 85% <strong>de</strong>s<br />

réponses obtenues : la <strong>MJC</strong> est présente au conseil d’administration pour plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s<br />

nouvelles structures. Pour les autres cas, il peut y avoir présence <strong>de</strong> la structure au conseil<br />

d’administration <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, ou au moins relations informelles. Autrement dit, création d’une structure<br />

nouvelle ne veut pas dire divorce ni abandon, mais accompagnement, au moins d<strong>ans</strong> la première<br />

pério<strong>de</strong>.<br />

La nature positive <strong>de</strong> ces liens est en cohérence avec les conditions <strong>de</strong> création <strong>de</strong> la structure<br />

nouvelle. D<strong>ans</strong> 72% <strong>de</strong>s cas, la création relève <strong>de</strong> la volonté positive <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partenaires. D<strong>ans</strong><br />

16% <strong>de</strong>s cas, il s’agit d’une scission conflictuelle et d<strong>ans</strong> 12% <strong>de</strong>s cas, c’est le résultat <strong>de</strong> la pression<br />

<strong>de</strong> structures extérieures.<br />

Nous venons <strong>de</strong> voir la diversité <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, ainsi<br />

que l’importance respective <strong>de</strong>s secteurs prioritaires 3 . Ces secteurs prioritaires sont-ils exactement<br />

ceux qui sont considérés comme tels par les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ?<br />

1 Rappelons que toutes ces données concernent la FF<strong>MJC</strong> et sont extraites <strong>de</strong> l’enquête Les <strong>MJC</strong><br />

aujourd’hui. Réalités et impact, réalisée sous la direction <strong>de</strong> Jean Foucault.<br />

2 D<strong>ans</strong> son projet <strong>de</strong> développement <strong>de</strong> pépinières d’associations, le Comité inter-ministériel <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse entend bien s’appuyer sur les <strong>MJC</strong> (intervention <strong>de</strong> J.-P. Lanfrey aux Journées régionales<br />

d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à Aix-en-Provence, février 1991). On peut également signaler<br />

l’expérience aixoise qui a consisté à soutenir la création d’associations <strong>de</strong> jeunes <strong>de</strong>s quartiers,<br />

généralement issus <strong>de</strong> l’immigration (cf. notre étu<strong>de</strong> Réseaux et organisation <strong>de</strong> la jeunesse à Aixen-Provence,<br />

janvier 1990, <strong>60</strong> pages).<br />

3 Et ce ne sont là que les secteurs principaux et prioritaires “grand public” pourrait-on dire. Il y a<br />

également <strong>de</strong>s activités moins répandues mais qui se développent : la recherche et la<br />

communication du savoir, par exemple, à travers <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s colloques et <strong>de</strong>s publications. Le<br />

“potentiel scientifique” <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> par exemple n’est pas négligeable. De nombreux professionnels<br />

ont <strong>de</strong>s niveaux <strong>de</strong> formation universitaire qui les ren<strong>de</strong>nt aptes à réaliser <strong>de</strong>s travaux d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

terrain (DEA, DESS, doctorat) et chaque stagiaire doit satisfaire à un travail <strong>de</strong> recherche qui,<br />

suivant les cas, est <strong>de</strong> niveau maîtrise ou DESS.


- 136 -<br />

La question a été posée aux <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> l’enquête Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et<br />

impact 1 . Le secteur considéré comme prioritaire est l’action culturelle (33,4% <strong>de</strong>s premiers choix et<br />

29,8% <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxièmes choix). Ensuite viennent les ateliers (24,5% et 27,10%), l’action sociale (24%<br />

et 12,4%), puis la formation (11,6% et 18,3%). Le développement économique (2,6% et 2,7%) et les<br />

séjours <strong>de</strong> vacances (respectivement 3% et 8,7%) arrivent très loin <strong>de</strong>rrière.<br />

Ces choix <strong>de</strong> priorité sont déjà, semble-t-il, assez cohérents avec les pratiques prioritaires <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>. On peut simplement remarquer que ce qui caractérise, pour le grand public, l’action<br />

essentielle, voire quasi exclusive <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (ateliers, activités régulières), n’est pas, pour leurs<br />

responsables, forcément prioritaire. Ainsi peut-on avancer que les <strong>MJC</strong> font du développement<br />

culturel, social et éducatif un axe prioritaire qui a sa cohérence, et que les ateliers, très développés<br />

d<strong>ans</strong> leur nombre, leur diversité et leur fréquentation, ne sont qu’un moyen <strong>de</strong> ce développement. Il<br />

est également important <strong>de</strong> remarquer que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont avant tout,<br />

<strong>de</strong> fait ou par vocation, <strong>de</strong>s espaces d’expérimentation sociale et culturelle. On a l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire<br />

qu’elles savent inventer mais peu “fabriquer en série” et surtout pas “commercialiser”. D’où s<strong>ans</strong><br />

doute cette image artisanale, <strong>de</strong> bricolage, d’à peu près, <strong>de</strong> touche-à-tout. Bien que, même si l’image<br />

reste tenace, elles aient évolué ces dix <strong>de</strong>rnières années vers <strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> qualité, les <strong>MJC</strong><br />

sont plus préoccupées par l’initiative même maladroite, l’expérimentation souvent hasar<strong>de</strong>use 2 , la<br />

démarche d’invention, que par le produit fini. La <strong>MJC</strong> c’est d’abord l’espace <strong>de</strong>s possibles qui,<br />

lorsqu’ils prennent forme bien réelle, risquent rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> quitter leurs lieux d’invention 3 .<br />

2 - Relations et partenariat<br />

Le caractère cogestionnaire <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, aussi bien d<strong>ans</strong> sa<br />

dimension opérationnelle que décisionnelle, met ces structures au centre d’un partenariat très divers<br />

et diversifié, plus ou moins large et formalisé. Ce partenariat est <strong>de</strong> trois ordres : institutionnel,<br />

1 La réponse dépend <strong>de</strong> celui qui répond. Un administrateur peut avoir un point <strong>de</strong> vue différent <strong>de</strong><br />

celui d’un directeur, par exemple.<br />

2 “Quand vous habitez d<strong>ans</strong> une petite commune, si vous avez envie <strong>de</strong> faire quelque chose, vous<br />

pouvez aller voir le directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> ou son prési<strong>de</strong>nt et dire : Voilà je voudrais mettre en place<br />

tel type d’activité. En général vous aurez une écoute. Et ces lieux ne sont pas si nombreux”. Franck<br />

Lepage, France-Culture “Où en sont les <strong>MJC</strong> ?”, Grand Angle (10/3/90).<br />

3 “Je vois que plein <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ont été à l’origine <strong>de</strong>s bibliothèques, <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong> sport, <strong>de</strong> salles <strong>de</strong> cinéma,<br />

etc... lesquelles leur ont été systématiquement - je ne dirais pas par hostilité - mais retiré d<strong>ans</strong> la<br />

mesure où on crée <strong>de</strong>s structures ad hoc pour gérer à fond et d’une manière ultra-professionnelle<br />

ces services ; évi<strong>de</strong>mment on a tendance à les retirer du lieu où elles ont été initiées, formées,<br />

imaginées ; là-<strong>de</strong>ssus nous avons donc été d<strong>ans</strong> les années 80 victimes <strong>de</strong> notre rôle d’initiation,<br />

c’est à dire que nous avons été refoulés - beaucoup n’aiment pas dire leur origine - et refoulés aussi<br />

sur le plan <strong>de</strong> la qualification culturelle : c’est la maternelle, c’est en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> tout ce qui se fait,<br />

c’est le lieu pas pro, pas propre, pas correct ; c’est une espèce <strong>de</strong> sous-culture que nous faisons<br />

avec l’utilisation contre nous <strong>de</strong> notre capacité à utiliser les bénévoles, c’est à dire à faire travailler<br />

entre eux professionnels et bénévoles, ce qui est dénié par la quasi-totalité <strong>de</strong>s autres institutions<br />

culturelles”. Gilles Rémignard, directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Ris-Orangis (Émission “Où en sont les <strong>MJC</strong> ?”).


- 137 -<br />

financier et opérationnel. Pour certaines opérations, il peut être les trois à la fois : une municipalité<br />

qui généralement finance et co-déci<strong>de</strong> peut également participer à travers ses services à la mise en<br />

oeuvre, notamment d<strong>ans</strong> les opérations “lour<strong>de</strong>s” (festivals, actions <strong>de</strong> développement urbain par<br />

exemple).<br />

D<strong>ans</strong> ce foisonnement relationnel s<strong>ans</strong> limites ni interdits 1 , on peut repérer quelques “grands<br />

partenaires”.<br />

Les municipalités sont d<strong>ans</strong> les trois ordres - institutionnel, financier et opérationnel - le premier<br />

partenaire <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. L’évolution <strong>de</strong> ce partenariat ainsi que<br />

l’évolution concomittante du partenariat avec l’Etat marquent considérablement, comme nous le<br />

verrons d<strong>ans</strong> l’approche diachronique, l’histoire <strong>de</strong> ces structures et <strong>de</strong> leurs fédérations.<br />

Ce partenariat est très souvent doublement formalisé : institutionnellement d’abord, par la<br />

présence statutaire du maire ou <strong>de</strong> son représentant au conseil d’administration, contractuellement<br />

ensuite, par la pratique développée du conventionnement entre les <strong>MJC</strong> et les municipalités. En<br />

effet, 54% <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> l’enquête réalisée sur la FF<strong>MJC</strong> ont signé une convention avec la<br />

municipalité, avec une augmentation constante au fur et à mesure <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong>s associations :<br />

unions locales et départementales, 24% <strong>de</strong> conventionnements ; moins <strong>de</strong> 75 adhérents, 32% ; <strong>de</strong><br />

75 à 200 adhérents, 39% ; <strong>de</strong> 201 à 500 adhérents, 49% ; <strong>de</strong> 501 à 1.000 adhérents, 69% ; <strong>de</strong> 1.000<br />

à 2.000 adhérents, 78% ; plus <strong>de</strong> 2.000 adhérents, 100%. Autrement dit, plus les structures, et donc<br />

les enjeux, sont importants, et plus les conventionnements se généralisent. Ces conventions<br />

concernent essentiellement les missions, plus ou moins précisées, et les moyens (locaux,<br />

subventions et éventuellement personnels et avantages en nature). Elles peuvent d<strong>ans</strong> certains cas<br />

concerner <strong>de</strong>s dispositifs plus précis (évaluation et définition <strong>de</strong> missions à intervalles réguliers,<br />

cahier <strong>de</strong>s charges ...). Dès lors, si les <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> leurs instances cogestionnaires ont la<br />

liberté <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r démocratiquement <strong>de</strong> leurs missions et <strong>de</strong> leurs choix financiers, il n’en reste pas<br />

moins vrai que, notamment d<strong>ans</strong> le cas <strong>de</strong>s structures les plus importantes, cette liberté <strong>de</strong> décision<br />

existe d<strong>ans</strong> les limites définies par une convention plus moins précise et évolutive avec un partenaire<br />

principal, la municipalité locale. Il s’ensuit le développement <strong>de</strong> commissions permanentes mixtes<br />

entre les <strong>MJC</strong> et les municipalités, dont la mission est d’évaluer et <strong>de</strong> renégocier les accords<br />

contractuels. L’acte décisionnel prend donc généralement une forme plus complexe que les statuts<br />

ne le laissent prévoir : il se situe d<strong>ans</strong> un aller et retour plus ou moins sophistiqué, entre <strong>de</strong>s<br />

positions municipales qui assignent <strong>de</strong>s missions d’intérêt général à la <strong>MJC</strong>, et les orientations<br />

propres <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, les choix d’actions et leur financement qui se définissent d<strong>ans</strong> une négociation<br />

1 D’où le caractère “réticulé” du fonctionnement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> que Catherine Flament (Associations et<br />

réseaux…) met en évi<strong>de</strong>nce et qui leur permet <strong>de</strong> “résister plus facilement à la panne” et aux<br />

agressions externes. Cette implantation comparable à un rhizome a permis et permet à <strong>de</strong><br />

nombreuses <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> “résister” s<strong>ans</strong> subventions et s<strong>ans</strong> locaux. La <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Boulogne-Billancourt a<br />

vécu longtemps sur une péniche et s<strong>ans</strong> subventions municipales.


- 138 -<br />

où les directeurs sont appelés à jouer un rôle <strong>de</strong> tout premier ordre.<br />

Ce partenariat avec les municipalités, plus ou moins formalisé selon l’importance <strong>de</strong>s structures,<br />

est-il marqué d’une manière significative par l’étiquette politique <strong>de</strong>s municipalités ? Autrement dit,<br />

l’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et notamment <strong>de</strong> celles qui, du fait <strong>de</strong> leur importance, entretiennent <strong>de</strong>s<br />

relations déterminantes et structurées avec les collectivités locales, a-t-elle une relation significative<br />

avec la carte politique <strong>de</strong> la France locale ?<br />

Une visualisation comparative très rapi<strong>de</strong> et générale entre les grands espaces d’implantation<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et la carte politique <strong>de</strong> la France 1 ne révèle pas, du moins pour la FF<strong>MJC</strong>, une relation<br />

significative entre les <strong>de</strong>ux faits. On repère cependant une forte implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à<br />

l’UNIREG d<strong>ans</strong> le Languedoc et en Midi-Pyrénées, où le parti socialiste fait ses meilleurs scores en<br />

1978.<br />

Des enquêtes plus précises montrent au contraire le caractère pluraliste <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. L’enquête dirigée par Jean-Pierre Sirérols 2 portant en<br />

l’occurrence sur les élections municipales <strong>de</strong> 1977 et 1983, montre que l’UNIREG est implantée à<br />

46,7% d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s municipalités RPR, UDF et divers droite, à 37,30% d<strong>ans</strong> les municipalités PS, PC et<br />

divers gauche et à 16% d<strong>ans</strong> les municipalités dites s<strong>ans</strong> étiquette. Les implantations en divers<br />

droite (25,5%) et d<strong>ans</strong> les municipalités PS (24,4%) sont les plus courantes. Par contre les<br />

implantations d<strong>ans</strong> les municipalités à direction communiste sont faibles (à peine plus <strong>de</strong> 3%). Cette<br />

implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’UNIREG est cohérente avec d’une part son caractère rural (divers droite)<br />

et d’autre part une présence forte d<strong>ans</strong> le Sud-Ouest très “socialiste”.<br />

S’agissant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, nous avons <strong>de</strong>s données à la fois plus générales et plus partielles. A<br />

l’occasion <strong>de</strong> l’assemblée générale du M<strong>ans</strong> (1987), on signale légèrement plus <strong>de</strong> contrats <strong>de</strong><br />

financement <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> directeurs avec <strong>de</strong>s municipalités dites <strong>de</strong> droite qu’avec les municipalités<br />

dites <strong>de</strong> gauche.<br />

Une enquête régionale, donc partielle, confime le phénomène.: en région Méditerranée<br />

(Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse, Hérault et Gard) on remarque une distribution assez équilibrée<br />

entre la droite et la gauche, <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> 3 .<br />

Si l’on se rappelle par ailleurs que la présence d’un directeur fédéral va <strong>de</strong> pair avec l’importance<br />

<strong>de</strong> la structure et que le taux <strong>de</strong> conventionnement <strong>MJC</strong>-villes augmente avec l’importance <strong>de</strong> la<br />

structure, on peut affirmer que le partenariat local ne “souffre” pas d’appartenances politiques<br />

municipales, et qu’il est s<strong>ans</strong> doute le fruit d’intérêts bien compris d’élus, qui choisissent <strong>de</strong> confier<br />

1 Voir Emmanuel Todd : La Nouvelle France, p. 113 et suivantes.<br />

2 Faits, chiffres et images d’associations.<br />

3 Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer a réalisé une enquête sur cette question. Il ne nous a malheureusement pas été<br />

possible <strong>de</strong> consulter ses résultats.


- 139 -<br />

<strong>de</strong>s missions d’intérêt général à <strong>de</strong>s organismes dont ils reconnaissent l’efficacité culturelle, sociale<br />

et éducative, constat qui contredit la thèse répandue d’une FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> gauche, voire dominée par les<br />

communistes, et qui ne serait vraiment en confiance qu’avec les municipalités <strong>de</strong> ces sensibilités<br />

politiques.<br />

Le partenariat et les relations avec l’Education nationale sont également particulièrement<br />

développés : 59% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> ont <strong>de</strong>s relations multiples, plus ou moins régulières<br />

et finalisées, avec les écoles primaires (44% d’entre elles), les collèges (33%), les lycées (23%) et<br />

les autres écoles et institutions gérées par l’Education nationale (universités, écoles supérieures,<br />

commissions académiques…). Ces relations sont différemment développées selon les structures<br />

scolaires et l’importance <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, la palme revenant aux <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 500 à 1.000 adhérents qui arrivent<br />

globalement en tête <strong>de</strong> ce partenariat (86%), et également pour les relations avec les écoles<br />

primaires (67% d’entres elles), les collèges (50%) et les lycées (36%) 1 . Les formes <strong>de</strong> ce partenariat<br />

sont là aussi variables : animations régulières en milieu scolaire, diffusion <strong>de</strong> spectacles, P.A.E.,<br />

formation <strong>de</strong>s enseignants..., et significatives <strong>de</strong> relations privilégiées avec l’enfance et la jeunesse,<br />

en plus et en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s activités et actions du temps extra-scolaire 2 .<br />

Les relations avec le Ministère <strong>de</strong> la Culture et ses services extérieurs (directions régionales <strong>de</strong><br />

l’action culturelle notamment) concernent environ 20% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, ce qui est à la<br />

fois beaucoup, si l’on considère le nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> subventionnées par ce ministère (10% environ),<br />

et peu au regard du nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> qui mènent <strong>de</strong>s activités d<strong>ans</strong> le domaine culturel (80%) 3 .<br />

Il serait fastidieux <strong>de</strong> faire l’inventaire <strong>de</strong>s diverses autres relations <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong><br />

la Culture : les différents ministères, les conseils généraux et régionaux, les syndicats et le mon<strong>de</strong> du<br />

travail, le secteur privé, les travailleurs sociaux et le secteur associatif. Il est tout aussi important <strong>de</strong><br />

signaler que les <strong>MJC</strong> sont souvent reconnues par les pouvoirs publics comme le partenaire capable<br />

<strong>de</strong> coordonner <strong>de</strong>s actions. En effet, 45% d’entre elles ont pour mission <strong>de</strong> coordonner <strong>de</strong>s actions<br />

importantes mettant en jeu <strong>de</strong>s opérateurs multiples : festivals, semaines d’animation.... Leur<br />

capacité partenariale les font aussi reconnaître comme structures capables <strong>de</strong> développer les<br />

pratiques <strong>de</strong> coordination, capacité qui leur sont plus reconnues au fur et à mesure qu’elles prennent<br />

<strong>de</strong> l’importance : 16% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> 76 adhérents ont <strong>de</strong> telles activités <strong>de</strong> coordination,<br />

36% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 76 à 200 adhérents, 40% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 201 à 500 adhérents, 59% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 501<br />

1 Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui. Réalités et impact. Voir tableau annexe 35.<br />

2 Monsieur Sérusclat, Sénateur-Maire <strong>de</strong> Bron, a été chargé en 1990 par M. Lionel Jospin, <strong>de</strong> la mission<br />

d’évaluer les actions conduites par les structures socio-culturelles en direction du milieu scolaire.<br />

3 Situation qui fait dire à Jacques Bertin que le mépris <strong>de</strong>s “culturels” pour les “socio-cu” est<br />

particulièrement grave et préjudiciable au développement culturel lui-même, et à Franck Lepage que<br />

le rattachement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> au Ministère <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports est une “catastrophe”, ce<br />

ministère ne s’occupant pas <strong>de</strong> culture, comme son nom l’indique. (Émission <strong>de</strong> France-Culture “Où<br />

en sont les <strong>MJC</strong> ?”, Grand Angle, 10/3/90).


- 140 -<br />

à 1.000 adhérents, 54% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1.000 à 2.000 adhérents et 67% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2.000<br />

adhérents. Ainsi les <strong>MJC</strong> participent-elles localement à un nombre considérable <strong>de</strong> commissions ou<br />

<strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> travail : commissions extra-municipales (près <strong>de</strong> 50% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>), P.A.I.O., conseils<br />

communaux <strong>de</strong> prévention <strong>de</strong> la délinquance, offices divers, conseils d’établissements scolaires,<br />

zones d’éducation prioritaire, comités <strong>de</strong> quartiers ...<br />

Ces capacités <strong>de</strong> coordination et <strong>de</strong> développement partenarial ne sont pas s<strong>ans</strong> danger pour<br />

l’avenir <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. En effet, l’histoire regorge d’exemples <strong>de</strong> structures qui, après avoir construit un<br />

partenariat opérationnel favorisant le développement culturel ou socio-culturel (festivals, offices,<br />

organismes <strong>de</strong> coordination), se trouvent dépossédées <strong>de</strong> leur “produit” et <strong>de</strong>s moyens qui y sont<br />

affectés, ce qui peut aller jusqu’à la déstabilisation, voire la mise en cause et suppression, <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong>-mère 1 .<br />

Face à ce partenariat que l’on pourrait appeler local, horizontal et exogène, qu’en est-il du<br />

partenariat vertical, endogène <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ? Autrement dit, quel est l’état <strong>de</strong> leur participation à la vie<br />

fédérative ?<br />

S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>ux questions concernant leur participation à<br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon (1983) et à l’assemblée générale <strong>de</strong> leur fédération régionale<br />

permettent une approche <strong>de</strong> la réalité. 45,25% <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ayant répondu à l’enquête disent avoir<br />

participé à l’assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon, contre 54,75% qui disent ne pas y avoir participé. La<br />

participation aux assemblées générales régionales est semble-t-il beaucoup plus forte : 65,5% <strong>de</strong> oui<br />

pour 34,5% <strong>de</strong> non. En fait, il y tout lieu <strong>de</strong> penser que les <strong>MJC</strong> ayant répondu au questionnaire ne<br />

sont pas en l’occurrence parfaitement représentatives <strong>de</strong> l’ensemble. Le taux <strong>de</strong> représentation<br />

global <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à l’assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon est en fait plus faible. On peut supposer en effet<br />

que la propension à répondre au questionnaire est liée à la participation à la vie fédérative.<br />

L’autonomie locale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture 2 , leur fonctionnement<br />

cogestionnaire, leur vocation à servir l’intérêt général par <strong>de</strong>s pratiques multiples, les conduisent à<br />

développer qualitativement et quantitativement le partenariat “<strong>de</strong> terrain et au service du terrain” 3 , à<br />

en renforcer et diversifier les liens, à faire passer au second plan, au moins en apparence, les liens<br />

1 Un exemple : la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Chateau-Arnoux-Saint-Auban (Alpes <strong>de</strong> Haute Provence) se voit, en 1990,<br />

dépossédée <strong>de</strong>s activités culturelles (création, programmation, festival <strong>de</strong> jazz) au profit d’une<br />

association <strong>de</strong> coordination du développement culturel qu’elle a contribué à créer, et qui est plus<br />

proche du contrôle municipal. On annonce, d<strong>ans</strong> le même temps, que les activités sociales qu’elle a<br />

également développées seront gérées par un futur centre social. Les subventions municipales à la<br />

<strong>MJC</strong> sont presque totalement supprimées, et son directeur <strong>de</strong>vient le coordinateur <strong>de</strong> l’association<br />

<strong>de</strong> coordination du développement culturel.<br />

2 Ce n’est pas le cas <strong>de</strong> toute les institutions et mouvements <strong>de</strong> développement culturel, social et<br />

éducatif. Les Maisons Pour Tous Léo-Lagrange par exemple ont peu d’autonomie locale et sont<br />

directement gérées par la structure fédérative, ce qui modifie considérablement la gestion du<br />

partenariat interne et externe à l’institution.<br />

3 Expression souvent employée d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>.


- 141 -<br />

fédératifs qui n’ont pas les mêmes vertus opérationnelles. La fédération, c’est loin ; ça “fabrique” peu<br />

; ça n’apporte pas d’argent ; ça aurait même tendance à en prendre, même si, comparativement à<br />

d’autres fédérations, les cotisations fédérales sont relativement faibles 1 .<br />

Le pragmatisme <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> leurs bénévoles et professionnels, prime, semble-t-il, sur la<br />

“philosophie” institutionnelle 2 . Et pourtant, l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture,<br />

leur histoire mouvementée, ce qui s’y joue et qui n’est pas <strong>de</strong> nature purement opérationnelle, sont<br />

indicatifs d’un esprit <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 3 et s<strong>ans</strong> doute d’une certaine force <strong>de</strong>s liens faibles que les acteurs<br />

tissent entre eux et ont héritée <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> cette Institution.<br />

3 - L’ambivalence <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

“La part <strong>de</strong> plus-value redistribuée au cadre <strong>de</strong> l’appareil économique fait davantage l’objet d’une<br />

tr<strong>ans</strong>action, voire d’un marchandage. La plus-value est ici prélevée à sa source : si le contrat <strong>de</strong><br />

travail met davantage le cadre privé à la merci directe du patron, il lui fait voir aussi <strong>de</strong> manière plus<br />

immédiate le rapport qui existe entre le montant <strong>de</strong> son salaire et la production <strong>de</strong> l’entreprise, c’est à<br />

dire l’exploitation du travail ouvrier ... La “rentabilité” <strong>de</strong> l’ingénieur est directement reconnue.<br />

Inversement, <strong>de</strong> par son éloignement <strong>de</strong> la sphère productive, et même si son activité est<br />

indispensable, au niveau global, à la reproduction <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> production capitalistes, le cadre<br />

<strong>de</strong>s services publics fait partie aux yeux du patronat <strong>de</strong>s faux-frais <strong>de</strong> la production” 4 .<br />

Si cette analyse est parfaitement vraie pour le cadre <strong>de</strong>s services publics, que peut-on dire alors<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> son coût en fonctionnement et en personnel, compte tenu <strong>de</strong> son éloignement encore<br />

plus important <strong>de</strong> la sphère productive 5 , et surtout <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong> ses pratiques, <strong>de</strong> l’ambivalence,<br />

voire <strong>de</strong> l’ambiguï té <strong>de</strong> son rôle social ?<br />

Brutalement, la question peut se poser ainsi : cette rétrocession <strong>de</strong> plus-value aux <strong>MJC</strong> - comme<br />

à d’autres structures oeuvrant d<strong>ans</strong> le même domaine - notamment la part importante qui arrive sous<br />

forme <strong>de</strong> subventions, est-elle le résultat d’un combat <strong>de</strong> militants ou d’organisations <strong>de</strong> classe<br />

1 Cotisation <strong>de</strong> 10 F par adhérent pour la Fédération régionale Méditerranée et <strong>de</strong> 1 F par adhérent<br />

pour la FF<strong>MJC</strong>.<br />

2 Raison <strong>de</strong> plus pour dire que les <strong>MJC</strong> s’apparentent plus à une institution, à un service public par voie<br />

associative qu’à un mouvement, et encore moins à un parti d<strong>ans</strong> lequel l’adhésion idéologique prime<br />

sur les pratiques.<br />

3 Au sens où l’on a parlé <strong>de</strong> “l’esprit <strong>de</strong>s auberges” (les Auberges <strong>de</strong> Jeunesse et l’Ajisme).<br />

4 C. Bau<strong>de</strong>lot, R. Establet et J. Mallemort (op. cit.) p. 281.<br />

5 Le sponsoring et le mécénat industriels, commerciaux et bancaires constituent à l’opposé une<br />

rétrocession directe <strong>de</strong> plus-value, voire un investissement productif jugé directement utile à la<br />

sphère économique. Mais nous savons que malgré l’incitation <strong>de</strong>s pouvoirs publics et les démarches<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, les ressources restent limitées aux actions spectaculaires et <strong>de</strong> prestige (rencontres<br />

sportives <strong>de</strong> haut niveau ou festivals) et ne concernent pas d’une manière significative les actions<br />

sociales et socio-culturelles régulières.


- 142 -<br />

(syndicats, partis, mouvements sociaux divers et d’abord celui <strong>de</strong> l’éducation populaire) qui<br />

enten<strong>de</strong>nt ainsi contraindre le capital à restituer aux couches populaires exploitées (“les plus<br />

défavorisés”) une part <strong>de</strong> plus-value “extorquée” par ce capital à ces couches populaires, ou bien<br />

est-ce - aussi - le fait d’un capital conscient <strong>de</strong> ses intérêts <strong>de</strong> classe et qui voit d<strong>ans</strong> les pratiques<br />

socio-culturelles organisées un moyen plus ou moins direct d’augmenter la production du travail, et<br />

donc du profit, <strong>de</strong> garantir la paix sociale et <strong>de</strong> promouvoir professionnellement et culturellement <strong>de</strong><br />

nouvelles couches sociales indispensables au développement <strong>de</strong>s forces productives ?<br />

Cette immense question, qui ne concerne pas uniquement les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture, n’est pas s<strong>ans</strong> fon<strong>de</strong>ment ni pertinence historique. Elle concerne l’histoire <strong>de</strong> l’éducation<br />

populaire, <strong>de</strong> l’instruction publique, <strong>de</strong> la formation, <strong>de</strong> l’action culturelle et du travail social, au moins<br />

<strong>de</strong>puis la Révolution Française.<br />

Nous ne tenterons pas <strong>de</strong> répondre à cette question en tant que telle. D’abord parce qu’elle<br />

débor<strong>de</strong> largement le cadre <strong>de</strong> notre étu<strong>de</strong>. Aussi parce que sa réponse relève d’une analyse<br />

historique fortement tributaire du point <strong>de</strong> vue social ou <strong>de</strong> classe où l’on se situe. Par contre, les<br />

termes mêmes <strong>de</strong> la question et les manières différentes avec lesquelles ils sont posés selon les<br />

pério<strong>de</strong>s pourront peut-être apporter quelque éclairage sur l’histoire <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture, et notamment sur leurs rapports avec l’Etat et les différentes classes sociales.<br />

S’agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, la question est d’autant plus complexe d<strong>ans</strong> sa réponse qu’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />

intentions, la fonction et les productions <strong>de</strong> ces structures ne sont pas uniformes, clairement établies<br />

une fois pour toutes. Les heurs et malheurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations sont fortement<br />

déterminés, à la fois par les contradictions socio-politiques du moment, et par le rôle socio-culturel<br />

qu’elles ont choisi, ou ont été amenées à y jouer.<br />

Ces ambivalences, voire ambiguï tés <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> quant à leurs fonctions et productions sociales<br />

sont <strong>de</strong> plusieurs ordres, <strong>de</strong> tonalité et d’importance différentes, selon les moments et pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

leur histoire. Nous croyons pouvoir en i<strong>de</strong>ntifier un certain nombre que nous avons déjà mises en<br />

évi<strong>de</strong>nce d<strong>ans</strong> un travail antérieur 1 .<br />

a) l’ambivalence socio-économique : reproduction et/ou tr<strong>ans</strong>formation<br />

<strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production ?<br />

Il n’est en effet pas s<strong>ans</strong> intérêt <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si, <strong>de</strong> par leurs métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion et leur<br />

action avec et pour les populations touchées, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture participent à<br />

la reproduction ou à la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> production économique d<strong>ans</strong> les secteurs<br />

primaire, secondaire et tertiaire. Quel est par exemple l’apport <strong>de</strong>s pratiques socio-culturelles <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> au développement <strong>de</strong>s forces productives ? Apport d’outils d’analyse et pédagogiques, <strong>de</strong><br />

1 “Les ambivalences <strong>de</strong>s actions socio-culturelles” (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 51, juin 1988, p. 77 et<br />

suivantes).


- 143 -<br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> travail nouvelles, <strong>de</strong> meilleure adaptabilité <strong>de</strong>s salariés aux mutations sociales,<br />

technologiques et psychologiques ou simple récupération et reproduction <strong>de</strong> la force <strong>de</strong> travail<br />

qualifiée ? Qu’en est-il par exemple <strong>de</strong> cette relation entre la montée <strong>de</strong>s classes moyennes d<strong>ans</strong> le<br />

champ socio-économique et le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> lesquelles ces classes occupent,<br />

comme nous l’avons vu, une place dominante ? 1 Quelle relation aussi avec la formation <strong>de</strong>s cadres<br />

comme groupe social ? 2<br />

La question <strong>de</strong> l’ambivalence <strong>de</strong>s pratiques socio-culturelles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> prend également sens<br />

quand on entre d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> production : facteur, même limité, <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation<br />

<strong>de</strong>s ces rapports, voire remise en cause, ou tout simplement reproduction <strong>de</strong>s mêmes rapports ?<br />

Cette question, dont on peut contester aujourd’hui la pertinence 3 , marque cependant, à tort ou à<br />

raison, l’engagement <strong>de</strong> nombreux acteurs et “doctrinaires” <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture. Jean Rous n’écrivait-il pas en 1945 : “Le style <strong>de</strong> l’institution <strong>de</strong>s Jeunes doit tendre à faire<br />

aimer et vouloir une société débarrassée <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong> l’homme par l’homme et basée sur la<br />

propriété commune <strong>de</strong>s grands moyens <strong>de</strong> production” 4 , et Jean Laurain, ancien secrétaire national<br />

du syndicat CGT <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, puis secrétaire général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, ne voit-il pas d<strong>ans</strong><br />

l’éducation populaire le creuset <strong>de</strong> la vraie révolution qui conduirait les hommes, à partir <strong>de</strong> pratiques<br />

communautaires et démocratiques, à vouloir partout, y compris d<strong>ans</strong> le travail, une vie<br />

autogestionnaire ? 5 Mais à l’opposé, Ion, Miège et Roux ne concluent-ils pas s<strong>ans</strong> l’ombre d’une<br />

hésitation que l’appareil d’action culturelle, d<strong>ans</strong> laquelle ils classent les <strong>MJC</strong>, conduit les hommes et<br />

les femmes à mieux s’adapter aux rapports <strong>de</strong> production, à les perpétuer, et qu’ainsi cet appareil<br />

“participe à la reproduction <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> production” ? 6<br />

Cependant la réponse n’est pas simple. L’éducation populaire d’une manière générale, et les<br />

<strong>MJC</strong> en particulier, n’auraient-elles pas - ou n’auraient-elles pas eu - un rôle d<strong>ans</strong> le développement<br />

<strong>de</strong> l’économie sociale, <strong>de</strong> l’esprit coopératif et mutualiste, <strong>de</strong> pratiques <strong>de</strong> production alternatives,<br />

1 Quelques analyses <strong>de</strong> cas pourraient être éclairantes mais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>raient <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s spécifiques.<br />

Grenoble, par exemple, où les <strong>MJC</strong> ainsi que <strong>de</strong>s structures comparables sont fortement implantées.<br />

2 D<strong>ans</strong> le prolongement du travail <strong>de</strong> Luc Bolt<strong>ans</strong>ki (Les Cadres. La formation d’un groupe social,<br />

Éditions <strong>de</strong> Minuit, 1982).<br />

3 Il est vrai que l’ensemble <strong>de</strong> ces problématiques renvoie à une conception <strong>de</strong> l’analyse sociohistorique<br />

en termes <strong>de</strong> classes sociales, modèle que l’on peut idéologiquement contester mais qui<br />

n’en marque pas moins la culture et les pratiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et le l’ensemble <strong>de</strong> l’éducation populaire.<br />

4 J. Rous “La Maison <strong>de</strong> Jeunes” Esprit n° 11, octobre 1945, p. <strong>60</strong>4-623. Cité également par E. Ritaine<br />

d<strong>ans</strong> Les stratèges <strong>de</strong> la Culture, Presses <strong>de</strong> la Fondation nationale <strong>de</strong>s Sciences politiques, p. 59.<br />

5 “Le socialisme autogestionnaire va progressivement apparaître comme la seule formule qui puisse<br />

concilier la justice sociale et la liberté personnelle... l’éducation populaire qui est l’organisation<br />

démocratique et pédagogique <strong>de</strong> la vie associative me paraît plus spécialement <strong>de</strong>stinée à préparer<br />

ce socialisme-là.” Jean Laurain L’éducation populaire ou la vraie révolution : l’expérience <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, Éditions <strong>de</strong> correspondance municipale, ADELS, 1987.<br />

6 J. Ion, B. Miège, A.-N. Roux : L’appareil d’action culturelle, Éditions universitaires, 1974, p. 13.


- 144 -<br />

remettant ainsi en cause les rapports hiérarchiques autoritaires qui règlent traditionnellement les<br />

rapports <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> production ? En quoi la forme sociabilitaire <strong>de</strong>s rapports sociaux et<br />

l’organisation cogestionnaire développées d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont-elles<br />

quelque chose à voir avec les tr<strong>ans</strong>formations <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion d<strong>ans</strong> les services publics et<br />

d<strong>ans</strong> les entreprises privées ? 1<br />

b) l’ambivalence politique : intégration et/ou subversion ?<br />

Ce débat a effectivement marqué l’approche théorique <strong>de</strong> l’action culturelle et ses relations avec<br />

les pouvoirs publics d<strong>ans</strong> les années 1970. La question intégration et/ou subversion est datée<br />

historiquement, marquée par le “phénomène 68” et par une idéologie <strong>de</strong> la “révolution culturelle” ou<br />

<strong>de</strong> la “contre-culture”.<br />

Pierre Gaudibert pose clairement l’ambivalence : “La lutte idéologique d<strong>ans</strong> les appareils culturels<br />

pourra-t-elle s’articuler avec la révolte anti-autoritaire et cette dite “révolution culturelle” <strong>de</strong> pays<br />

capitalistes avancés, ainsi qu’avec le thème <strong>de</strong> la “révolutionnarisation” <strong>de</strong>s appareils idéologiques<br />

venu <strong>de</strong> l’exemple <strong>de</strong> la Chine populaire, ou bien s’agit-il <strong>de</strong> formes opposées <strong>de</strong> luttes ? Ce débat<br />

ne fait que commencer et va s<strong>ans</strong> doute dominer les années à venir. Il n’est pas possible <strong>de</strong><br />

conclure” 2 .<br />

En fait, le débat ne durera que peu d’années. En 1979, à l’occasion du colloque organisé par<br />

l’Institut National <strong>de</strong> l’Education Populaire “Action culturelle, action socio-culturelle”, le même Pierre<br />

Gaudibert affirmait : “Je pense que massivement, globalement, c’est l’effet d’intégration qui a été<br />

obtenu, que l’on désigne par intégration soit l’inculcation d’idéologie, soit le normalisation sociale, soit<br />

le colmatage <strong>de</strong>s failles du système. Par contre, les effets que j’ai appelés <strong>de</strong> subversion, c’est à dire<br />

<strong>de</strong>s effets un peu radicaux d’accentuation, soit <strong>de</strong> la révolte, soit d’une conscience révolutionnaire,<br />

ne sont pas particulièrement évi<strong>de</strong>nts ni majoritaires” 3 .<br />

P. Gaudibert rejoignait Ion, Miège et Roux qui déjà en 1974 concluaient <strong>de</strong> manière radicale par<br />

l’équation “AAC=AIE” : l’appareil d’action culturelle se constitue en appareil idéologique d’Etat 4 et en<br />

tant que tel, il prend part à la reproduction <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> domination sociaux. L’action culturelle<br />

(pour Ion, Miège et Roux, cela recouvre l’action culturelle proprement dite, l’animation socio-<br />

culturelle et l’éducation populaire : ils font régulièrement référence aux Maisons <strong>de</strong> la Culture,<br />

1 Catherine Flament commence une recherche sur “Entreprise et cohésion sociale” (thèse en cours<br />

sous la direction <strong>de</strong> J.-C. Passeron). Il serait important d’étudier l’origine, la généalogie et l’itinéraire<br />

<strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion et <strong>de</strong> production <strong>de</strong>s biens, ainsi que <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sociabilité.<br />

2 Action culturelle : Intégration et/ou subversion ?, Castermann, 1972, p. 38.<br />

3 “Action culturelle, action socio-culturelle”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 30, 1980, p. 39.<br />

4 Reprenant ainsi à leur compte le concept <strong>de</strong> Louis Althusser développé d<strong>ans</strong> “Idéologie et appareils<br />

idéologiques d’État”, La Pensée, n° 151 (juin 1970), et bien plus tard d<strong>ans</strong> Positions, Éditions<br />

sociales/Messidor (1982).


- 145 -<br />

Centres d’Action Culturelle et <strong>MJC</strong>) “est essentiellement productrice d’idées, <strong>de</strong> représentations, <strong>de</strong><br />

valeurs <strong>de</strong>stinées à inculquer ou à renforcer l’inculcation <strong>de</strong> l’idéologie dominante. Elle apparaît<br />

comme libérale, permissive, mais cette permissivité n’est pas s<strong>ans</strong> limites ; elle n’est admise par la<br />

société bourgeoise que si les idées diffusées ne remettent pas radicalement en cause la société<br />

actuelle en dévoilant son caractère <strong>de</strong> classe et surtout en appelant à la lutte <strong>de</strong>s classes” 1 .<br />

Alors, un débat définitivement clos ? un faux problème aujourd’hui et pour l’avenir ? Il est vrai que<br />

s<strong>ans</strong> doute “massivement , globalement, c’est l’effet d’intégration qui a été obtenu” 2 . Nous verrons<br />

cependant que l’analyse d’Ion, Miège et Roux reste caricaturale : peu <strong>de</strong> choses sur les relations<br />

conflictuelles entre les institutions culturelles, d’éducation populaire et l’Etat, sur les contradictions<br />

internes qui les traversent et, par exemple, sur la scission <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en 1969.<br />

D<strong>ans</strong> les termes d’une telle problématique, ne peut-on pas avancer que les pratiques<br />

d’intervention culturelle ne sont, en elles-mêmes, ni conservatrices ni subversives ? N’est-ce pas le<br />

contexte socio-politique qui fait que, selon les cas, elles peuvent avoir l’une ou l’autre fonction ? A ce<br />

titre, l’exemple <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est intéressant à analyser. D<strong>ans</strong> les années<br />

<strong>60</strong>, ces structures ne se développent-elles pas en cohérence avec la construction d’une France<br />

“gaulliste” où l’on entend leur faire jouer les rôles d’encadrement <strong>de</strong> la jeunesse, d’éducation civique<br />

et démocratique somme toute bien conservatrice, <strong>de</strong> démocratisation <strong>de</strong> la culture légitime ? A<br />

l’opposé, les évènements <strong>de</strong> 1968 ne les font-elles pas apparaître comme subversives, en tant que<br />

lieux <strong>de</strong> débat remettant souvent en cause la politique gaulliste, les rapports <strong>de</strong> production et <strong>de</strong><br />

domination, la société <strong>de</strong> consommation et <strong>de</strong> classes, également comme lieux d’une certaine<br />

organisation contestataire <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong>s mouvement sociaux, <strong>de</strong> l’engagement syndical et<br />

politique d’un certain nombre <strong>de</strong> salariés et en priorité <strong>de</strong> leurs animateurs et directeurs ? A ce titre,<br />

“les évènements <strong>de</strong> mai 68” n’ont-ils pas eu, pour ces institutions et pour d’autres, ce qu’il est<br />

convenu d’appeler la fonction “d’analyseur social” sur laquelle nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir ? 3 .<br />

c) l’ambivalence organisationnelle : intégration et/ou exclusion ?<br />

D<strong>ans</strong> les années 80, la question <strong>de</strong> l’intégration ne se pose plus prioritairement par rapport à la<br />

1 L’appareil d’action culturelle,<br />

p. 13-14.<br />

2 Les animateurs sociaux et culturels appartiendraient ainsi à cette troisième classe qu’Alain Bihr<br />

appelle “classe <strong>de</strong> l’encadrement capitaliste” ( Entre Bourgeoisie et Prolétariat. L’encadrement<br />

capitaliste,<br />

Logiques sociales, L’Harmattan, 1989).<br />

3<br />

D<strong>ans</strong> un tout autre contexte mais d<strong>ans</strong> le même ordre d’idée, il est intéressant <strong>de</strong> rappeler l’histoire<br />

contradictoire <strong>de</strong>s centres culturels et <strong>MJC</strong> en Afrique francophone et en particulier au Sénégal :<br />

d’abord porteurs <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong>s modèles français, ensuite lieux <strong>de</strong> lutte d’une certaine jeunesse<br />

pour l’indépendance, enfin structures investies par les partis gouvernementaux, ce qui eut pour<br />

résultat <strong>de</strong> les voir <strong>de</strong> plus en plus désertés par le jeunesse (voir à ce sujet <strong>de</strong>ux articles <strong>de</strong> J.-M.<br />

Mignon : “Jeunesse africaine, crainte et convoitée”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 43 ; “Centres culturels<br />

et <strong>MJC</strong> en Afrique”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation<br />

n° 46).


- 146 -<br />

subversion mais par rapport à la marginalisation voire à l’exclusion. La notion d’intégration prend ici<br />

un autre sens, celui d’insertion sociale, <strong>de</strong> socialisation.<br />

Ainsi pouvons-nous apprécier sur une quinzaine d’années l’évolution <strong>de</strong> la problématique<br />

concernant l’effet social <strong>de</strong>s pratiques d’intervention socio-culturelle.<br />

D<strong>ans</strong> la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’après 68, la question est socio-politique. Au fond, subversion ne signifie pas<br />

remise en cause <strong>de</strong> tout ordre social, mais d’un certain ordre au profit d’un nouvel ordre plus juste où<br />

le classes dominées auraient pouvoir et initiative. D<strong>ans</strong> les années 80, on parle encore d’intégration,<br />

mais il y a eu glissement <strong>de</strong> sens. Le concept d’intégration n’est plus ici connoté négativement ; il<br />

signifie insertion à l’ordre social et s’oppose au concept purement négatif d’exclusion 1 . La question<br />

<strong>de</strong> socio-politique <strong>de</strong>vient ainsi clairement sociale, “sociétale” dira-t-on souvent. Ce n’est plus tel<br />

ordre social qui est en cause, mais l’ordre social lui-même face au développement <strong>de</strong>s phénomènes<br />

d’exclusion 2 .<br />

Ainsi structures et acteurs <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle sont-ils invités à jouer le rôle <strong>de</strong><br />

“démons <strong>de</strong> Maxwell” du social, qui auraient en charge <strong>de</strong> remonter une entropie sociale croissante 3 .<br />

Mais ces acteurs sociaux travaillent généralement à partir d’institutions plus ou moins lour<strong>de</strong>s et<br />

structurées que les exclus refusent le plus souvent. Comment en effet assurer une intégration<br />

sociale <strong>de</strong>s exclus à partir <strong>de</strong> structures gérées et contrôlées par <strong>de</strong>s classes sociales organisées et<br />

parfaitement intégrées, les fameuses classes moyennes, qui occupent le champ social d<strong>ans</strong> son<br />

ensemble et les <strong>MJC</strong> en particulier ?<br />

Face à cet enjeu qui, à la fin <strong>de</strong>s années 80, domine la question <strong>de</strong> la gestion du social et<br />

concerne fondamentalement la mission <strong>de</strong>s structures d’intervention socio-culturelle, les Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture déploient souvent une énergie considérable en matière<br />

d’expérimentation sociale, <strong>de</strong> pédagogie, <strong>de</strong> réflexion sur leur finalités, stratégies et mo<strong>de</strong>s<br />

d’organisation et redéfinition <strong>de</strong>s compétences <strong>de</strong>s acteurs 4 .<br />

d) l’ambivalence culturelle : démocratisation <strong>de</strong> la culture et/ou<br />

1 Nous préférons exclusion à marginalisation et à fortiori à marginalité, lesquels peuvent avoir un sens<br />

positif et être revendiqués, comme ce fut souvent le cas d<strong>ans</strong> “l’idéologie post-soixante-huitar<strong>de</strong>”.<br />

2 Phénomènes d’exclusion que l’on a tendance à expliquer essentiellement par “la crise économique” et<br />

à sa suite “la crise sociale” et enfin “la crise du politique” qui s’accentuent d<strong>ans</strong> les années 80<br />

(chômage chez les jeunes <strong>de</strong>s milieux défavorisés notamment, rejet <strong>de</strong> la citoyenneté, intolérance,<br />

racisme...).<br />

3 En d’autres termes (tissage <strong>de</strong> réseaux sociaux, développement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong> sociabilité, organisation<br />

<strong>de</strong> la communication sociale...), c’est ce que l’État <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux structures <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le<br />

cadre d’une gestion cohérente <strong>de</strong> l’urbain et en relation avec le Ministère <strong>de</strong> la Ville.<br />

4 Ce n’est s<strong>ans</strong> doute pas un hasard si, en 1990-91, la FF<strong>MJC</strong> s’attache à animer un débat interne<br />

(Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations), à repenser les contenus <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s<br />

professionnels (critères <strong>de</strong> recrutement, formation initiale et permanente) et à formaliser les<br />

expériences originales dites porteuses.


démocratie culturelle ?<br />

- 147 -<br />

Les pratiques <strong>de</strong>s structures d’intervention socio-culturelle et notamment les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et <strong>de</strong> la Culture sont prises d<strong>ans</strong> les logiques et les problématiques <strong>de</strong> la domination culturelle. S’il<br />

est bien vrai que la domination sociale <strong>de</strong>s classes dominantes sur les classes dominées -<br />

domination que les <strong>MJC</strong> se donnent, entre autres objectifs, comme projet <strong>de</strong> combattre (la fameuse<br />

réduction <strong>de</strong>s inégalités sociales et culturelles) - se double d’une domination <strong>de</strong> la culture dominante<br />

sur les cultures dominées dites populaires, on peut légitimement s’interroger sur le rôle <strong>de</strong>s actions<br />

socio-culturelles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> l’évolution <strong>de</strong> ces rapports <strong>de</strong> domination culturelle et symbolique.<br />

L’idéologie <strong>de</strong> la démocratisation <strong>de</strong> la culture en vigueur d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> (Malraux et le<br />

projet <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture) part <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte d’une culture légitime “cultivée” - ce qui<br />

n’exclut pas la nouveauté, la diversité et l’avant-gar<strong>de</strong> - qu’il s’agit <strong>de</strong> faire partager à l’ensemble <strong>de</strong><br />

classes sociales, avec pour finalité consciente ou non <strong>de</strong> “solidariser” tous les individus autour <strong>de</strong> la<br />

classe et <strong>de</strong> la culture dominantes : parler le même langage, partager la même symbolique, faire<br />

communier toutes les classes d<strong>ans</strong> la même culture.<br />

A l’opposé, l’idéal <strong>de</strong> la démocratie culturelle tente <strong>de</strong> dépasser “l’ethnocentrisme <strong>de</strong> classe” vers<br />

un “relativisme culturel” 1 qui pose comme principe que tout groupe social possè<strong>de</strong> sa culture et son<br />

symbolisme irréductibles qu’il s’agit <strong>de</strong> faire reconnaître et s’exprimer.<br />

Les pratiques socio-culturelles <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont toujours, peu ou<br />

prou, oscillé entre ces <strong>de</strong>ux schémas-limites avec souvent, en point <strong>de</strong> mire, l’idéal <strong>de</strong> la rencontre<br />

inter-cultures. D<strong>ans</strong> les années 70 notamment, les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ont eu le souci <strong>de</strong><br />

réhabiliter et <strong>de</strong> promouvoir les cultures populaires et dominées : cultures régionales, expression <strong>de</strong>s<br />

minorités ethniques et immigrées, création <strong>de</strong>s jeunes, <strong>de</strong>s femmes…<br />

e) l’ambivalence socio-politique : école <strong>de</strong> la démocratie et/ou du<br />

pouvoir ?<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont formé et forment <strong>de</strong> nouveaux cadres sociaux qui<br />

prennent <strong>de</strong>s responsabilités associatives et politiques au niveau municipal mais aussi<br />

départemental, régional et national. Les élections municipales <strong>de</strong> 1977 et les législatives <strong>de</strong> 1981<br />

sont marquées par l’arrivée <strong>de</strong> nouveaux “notables” issus du champ <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle<br />

et notamment <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 2 .<br />

1 Les modèles mis en évi<strong>de</strong>nce par C. Grignon et J.-C. Passeron ( Sociologie <strong>de</strong> la culture et sociologie<br />

<strong>de</strong>s cultures populaires,<br />

Séminaire <strong>de</strong> l’EHESS, 1982, Document du GIDES n° 4) peuvent<br />

parfaitement éclairer les pratiques d’intervention culturelle et leurs dérivés possibles : déni culturel,<br />

misérabilisme, populisme, assistanat…<br />

2<br />

L’observatoire du changement social et culturel dirigé par M. Lautman avait très tôt mis en évi<strong>de</strong>nce<br />

ce phénomène à classer d<strong>ans</strong> ce que l’on pourrait appeler “les nouveaux itinéraires <strong>de</strong><br />

notabilisation”. En effet, on a connu en 1977 <strong>de</strong> nombreux cas <strong>de</strong> conseils d’administration <strong>de</strong> <strong>MJC</strong><br />

qui se sont retrouvés en gran<strong>de</strong> partie à la direction <strong>de</strong>s municipalités nouvellement élues.


- 148 -<br />

Ces nouveaux acteurs sociaux et hommes politiques sont-ils d’une autre facture que les notables<br />

et hommes politiques traditionnels ? Autrement dit, les pratiques d’intervention socio-culturelle<br />

“produisent”-elles <strong>de</strong> nouveaux démocrates ou tout simplement <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> pouvoir ? Y a-t-il<br />

une culture civique, citoyenne et politique spécifique aux responsables issus <strong>de</strong>s structures<br />

associatives <strong>de</strong> type <strong>MJC</strong> ? La mise en oeuvre d’un projet d’éducation populaire, à travers la<br />

cogestion notamment, a-t-elle pour effet <strong>de</strong> favoriser le développement d’une démocratie<br />

participative, différente d’une démocratie purement représentative ?<br />

La réponse à <strong>de</strong> telles questions exigerait une recherche spécifique. On peut cependant<br />

remarquer, à partir <strong>de</strong> l’observation <strong>de</strong> quelques cas, la volonté <strong>de</strong> démocratie participative <strong>de</strong><br />

nombreux élus issus <strong>de</strong>s structures socio-culturelles et d’éducation populaire, volonté marquée par<br />

une consultation régulière du milieu associatif et <strong>de</strong> la population locale, par la mise en place <strong>de</strong><br />

structures <strong>de</strong> concertation (commissions extra-municipales, offices, comités <strong>de</strong> quartier...). On a<br />

aussi vu certains conseils municipaux remettre en cause, au nom <strong>de</strong> la démocratie locale, les<br />

prérogatives du mouvement associatif dont ils étaient pourtant majoritairement issus...<br />

Voilà donc pour ce que nous avons appelé les ambivalences <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture. Ainsi, au-<strong>de</strong>là du caractère scientifiquement opérationnel - qu’il s’agirait <strong>de</strong> tester - <strong>de</strong> cette<br />

problématique complexe <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> quant à leur production sociale 1 , peut-on affirmer que ces<br />

interrogations, plus ou moins clairement formulées, jalonnent l’histoire <strong>de</strong> ces structures. Elles font<br />

en quelque sorte partie du patrimoine culturel <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, et en raison<br />

<strong>de</strong> leur caractère ambivalent, elles laissent entrevoir cette difficulté bien réelle d’être animateur<br />

bénévole ou professionnel d’une institution dont les effets sociaux sont, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la difficulté qu’il y<br />

a à les i<strong>de</strong>ntifier, vraisemblablement contradictoires. “Incertains animateurs” avons-nous dit 2 ,<br />

“impossible métier” concluait Michel Simonot peu auparavant 3 .<br />

4 - La culture <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

Comme tous mouvements ou institutions, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture se définissent<br />

par une “culture”, <strong>de</strong>s valeurs, certains diront une idéologie, propres et spécifiques. En effet,<br />

comment concevoir l’existence <strong>de</strong> fédérations appuyées sur la libre affiliation <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong><br />

base s<strong>ans</strong> qu’il existe un esprit - une sorte <strong>de</strong> “Geist” au sens hégélien du terme - fédérateur <strong>de</strong><br />

l’ensemble ?<br />

1 Nous avons le sentiment d’ouvrir quelques chantiers <strong>de</strong> recherche - que d’autres avant nous, et en<br />

premier lieu tous ceux qui ont collaboré aux Cahiers <strong>de</strong> l’animation, ont abordés - s<strong>ans</strong> prétendre,<br />

d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> ce travail, apporter <strong>de</strong>s réponses ni même affirmer que ces interrogations sont les<br />

seules ni les plus pertinentes.<br />

2 “Les ambivalences <strong>de</strong>s actions socio-culturelles” Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 51.<br />

3 “Le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s animateurs”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 44-45.


- 149 -<br />

On pourrait certes se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ce fédéralisme et sa pérennité, même conflictuelle et<br />

cahotique, ne s’expliquent pas par l’existence <strong>de</strong> liens purement utiliaires. Cette seule explication,<br />

surtout pour la fin <strong>de</strong>s années 80, est très insuffisante. Les moyens financiers dont disposent les<br />

<strong>MJC</strong> ne viennent pas <strong>de</strong>s échelons fédéraux. Comme nous l’avons vu, ces moyens financiers sont<br />

perçus localement, s<strong>ans</strong> intermédiaire fédéral. Les quelques moyens financiers dont peuvent<br />

bénéficier les <strong>MJC</strong> venant <strong>de</strong>s conseils généraux, <strong>de</strong>s conseils régionaux, <strong>de</strong>s caisses d’allocations<br />

familiales, du Fonds d’Action Sociale, <strong>de</strong>s services centraux ou déconcentrés <strong>de</strong> l’Etat, sont<br />

directement négociés et perçus par les associations <strong>de</strong> base. En matière purement financière, même<br />

si les cotisations restent faibles en comparaison d’autres institutions, les fédérations régionales<br />

reçoivent plus <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qu’elles ne leur apportent. Face à celà, les services fédéraux, “matériels” et<br />

“utilitaires” sont mo<strong>de</strong>stes comparés, là aussi, à ceux d’autres fédérations et mouvements. A titre<br />

d’exemple, la Fédération régionale méditerranéenne <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

comprend seulement un délégué régional, une secrétaire <strong>de</strong> direction et un <strong>de</strong>mi-poste <strong>de</strong> chargée<br />

<strong>de</strong> mission aux échanges internationaux et interculturels pour près <strong>de</strong> 80 structures fédérées, 30<br />

cadres <strong>de</strong> direction et un espace géographique allant <strong>de</strong> Béziers à Briançon, et à Bastia. Les sièges<br />

fédéraux d’autres grands mouvements et fédérations sont nettement plus consistants et divisés en<br />

services agissant directement pour le développement <strong>de</strong>s associations ou structures <strong>de</strong> terrain.<br />

Une question revient souvent : à quoi sert la fédération, et qu’est ce qui pousse les <strong>MJC</strong> à se<br />

fédérer et à rester affiliées ? La réponse à cette question relève, nous semble-t-il, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux éléments<br />

essentiels d’explication.<br />

La fédération négocie et gère les postes <strong>de</strong> directeurs, recrute, forme et met à disposition ces<br />

professionnels 1 dont on sait qu’ils constitutent, historiquement et encore actuellement, une <strong>de</strong>s<br />

armatures essentielles <strong>de</strong> l’Institution, certains même diront sa colonne vertébrale. Colonne<br />

vertébrale particulièrement sensible puisque, comme nous le verrons d<strong>ans</strong> l’analyse historique, les<br />

différents enjeux et crises <strong>de</strong> cette institution concernent généralement la place et la gestion <strong>de</strong> ces<br />

personnels. Certes, moins <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont concernées directement par la mise à<br />

disposition d’un directeur fédéral. Mais très souvent, les directeurs ont un rayon d’action large, soit<br />

en vertu <strong>de</strong> missions définies comme telles (directeurs-coordonateurs locaux ou départementaux<br />

intervenant sur plusieurs <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> permanent fédéral), soit par <strong>de</strong>s interventions plus ou moins<br />

régulières, en plus <strong>de</strong> la direction d’une stucture particulière, qui font d’eux <strong>de</strong>s représentants<br />

permanents locaux <strong>de</strong> la fédération.<br />

Le <strong>de</strong>uxième ingrédient du ciment fédéral est un certain esprit complexe, souvent contesté par<br />

les acteurs eux-mêmes ; c’est un système <strong>de</strong> valeurs 2 où cohabitent non s<strong>ans</strong> difficultés, les grands<br />

1<br />

De manière différente selon que l’on est à la FF<strong>MJC</strong> ou à l’UNIREG, où la gestion du personnel<br />

d’encadrement administratif et pédagogique relève quasi totalement <strong>de</strong>s fédérations régionales.<br />

2 Ces <strong>de</strong>rnières années, la FF<strong>MJC</strong>, notamment, reviendra régulièrement sur la question <strong>de</strong>s valeurs et<br />

du sens (Journées nationales d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux en 1988, par exemple).


- 150 -<br />

référents idéologiques (solidarité, égalité, démocratie) et les catégories du pragmatisme social et<br />

économique (efficacité et rentabilité, équilibres financiers, rigueur <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s biens et <strong>de</strong>s<br />

personnes, organisation...) ; c’est aussi un agencement particulier entre “<strong>de</strong>s sous-cultures” 1 , par<br />

exemple celles <strong>de</strong>s bénévoles et <strong>de</strong>s professionels, <strong>de</strong>s directeurs et <strong>de</strong>s autres salariés avec leurs<br />

savoir-faire professionnels, celles <strong>de</strong> tel ou tel syndicat avec ses valeurs et revendications propres,<br />

agencement qui suivant les moments et évènements peut faire cohérence ou être conflictuel.<br />

Quelles sont les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> force <strong>de</strong> la “culture” <strong>de</strong> ces différentes structures<br />

juridiquement indépendantes mais institutionnellement liées selon <strong>de</strong>s règles fédérales ? Cinq<br />

éléments apparaissent déterminants pour la cohérence d’un ensemble presque toujours marqué par<br />

une certaine instabilité.<br />

a) un humanisme fonctionnel<br />

La culture <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est faite d’une certaine conception implicite<br />

ou explicite <strong>de</strong> la culture. La culture pour les <strong>MJC</strong> ne se limite pas aux oeuvres <strong>de</strong> l’art et du savoir<br />

qui, <strong>de</strong> plus, ne sont pas une fin en soi. A la différence <strong>de</strong>s structures d’action culturelle (Maisons <strong>de</strong><br />

la Culture, Centres culturels divers), les <strong>MJC</strong> se posent, d<strong>ans</strong> leur travail <strong>de</strong> développement culturel,<br />

la question du public et <strong>de</strong>s rapports sociaux, bien avant celle <strong>de</strong>s objets culturels et <strong>de</strong> leur valeur<br />

esthétique. Leur projet est politique et social avant d’être artistique et éducatif, ce qui ne veut pas<br />

dire que le savoir et la création n’y occupent pas une place centrale à titre opérationnel et<br />

pédagogique. Les artistes, les créateurs divers y ont leur place plus par leur fonction sociale que par<br />

leurs oeuvres. A ce titre, la conception spécifique <strong>de</strong> la culture véhiculée par les <strong>MJC</strong> est significative<br />

:<br />

“Nous nous refusons à réduire la Culture aux Beaux-Arts ; nous défendons une conception<br />

globale et dynamique <strong>de</strong> la culture, capable <strong>de</strong> prendre en compte l’homme d<strong>ans</strong> son<br />

environnement. L’homme “cultivé” est celui qui est en possession du savoir et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s,<br />

<strong>de</strong>s modèles esthétiques et d’organisation qui lui permettent <strong>de</strong> comprendre sa situation d<strong>ans</strong><br />

le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la décrire, <strong>de</strong> lui donner un sens et d’agir éventuellement sur elle pour la<br />

tr<strong>ans</strong>former” 2 .<br />

En fait, contrairement à ce que la présence <strong>de</strong> l’“éventuellement” laisse penser, la tr<strong>ans</strong>formation<br />

<strong>de</strong>s rapports entre l’individu et le collectif, social ou politique, constitue l’essentiel, le sens du projet<br />

culturel <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Plus précisément, les <strong>MJC</strong> ne considèrent pas que<br />

1 Au sens <strong>de</strong> Maurice Thévenet (Audit <strong>de</strong> la culture d’entreprise, Éditions d’organisation, 1986) et <strong>de</strong><br />

R. Sainsaulieu (L’i<strong>de</strong>ntité au travail, Presses <strong>de</strong> la Fondation nationale <strong>de</strong>s Sciences politiques,<br />

1977).<br />

2 Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations (réflexions et propositions présentées et mises<br />

en débat au Conseil d’administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> le 30/09/90).


- 151 -<br />

leur mission est <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>former directement les rapports <strong>de</strong> domination sociale et politique - rôle qui<br />

est reconnu comme celui <strong>de</strong>s syndicats et <strong>de</strong>s partis politiques - mais bien plutôt <strong>de</strong> faciliter, par<br />

l’action culturelle et le savoir, les prises <strong>de</strong> conscience 1 permettant à l’individu <strong>de</strong> rentrer sciemment<br />

d<strong>ans</strong> cette démarche <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation. La culture pour les <strong>MJC</strong> est ce qui rend possible les<br />

tr<strong>ans</strong>formations sociales et politiques, s<strong>ans</strong> que pour autant elles les conduisent elles-mêmes 2 .<br />

La pierre angulaire <strong>de</strong> cette culture consiste en une conception et une pratique particulière <strong>de</strong> la<br />

laï cité : ni fermée (chacun a ses opinions et les gar<strong>de</strong> pour soi), ni anticléricale (d’abord combat<br />

contre toutes formes <strong>de</strong> religion et d’Eglise), la laï cité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est ouverte, respectueuse <strong>de</strong> la<br />

diversité <strong>de</strong>s opinions et <strong>de</strong>s courants <strong>de</strong> pensée, tolérante sauf pour l’intolérable, c’est à dire pour<br />

tout ce qui met en cause les droits <strong>de</strong> l’homme et du citoyen, la liberté <strong>de</strong> pensée et d’expression.<br />

Cette laï cité n’est pas formelle. Ce n’est pas un simple concept. Par vocation éducative et<br />

culturelle, en vertu précisément <strong>de</strong> cet humanisme fonctionnel, la <strong>MJC</strong> suscite et organise la<br />

rencontre, le dialogue, la confrontation ouverte à tous les courants <strong>de</strong> pensée et d’opinion<br />

philosophiques, religieux ou politiques qui désirent s’y exprimer. Elle n’est inféodée à aucun d’entre<br />

eux et ne peut en écarter aucun. Mais elles n’est pas neutre, notamment quant elle affirme sa<br />

volonté <strong>de</strong> lutte contre toute forme <strong>de</strong> fascisme et <strong>de</strong> racisme.<br />

Cette laï cité prend une forme institutionnelle et structurelle qui peut conduire, non s<strong>ans</strong> difficulté,<br />

<strong>de</strong>s partenaires d’opinions et d’engagements différents voire opposés, à cogérer un projet culturel,<br />

éducatif et <strong>de</strong> développement local commun 3 .<br />

Ainsi, s<strong>ans</strong> que cette conception fonctionnelle, opérationnelle, tr<strong>ans</strong>formatrice, voire<br />

révolutionnaire, <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> la laï cité véhiculée par les <strong>MJC</strong> et d’une manière plus générale<br />

par l’éducation populaire ait peut-être jamais réellement fait preuve <strong>de</strong> cette efficacité 4 , il n’empêche<br />

qu’elle a marqué et marque encore l’esprit <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

1 Le “conscientisation” dont parle Jean Laurain (L’éducation populaire ou la vraie révolution).<br />

2 On peut comprendre cependant, au moment où certains espéraient - et d’autres craignaient - que<br />

l’agitation culturelle ne prépare l’agitation sociale, l’enjeu qu’ont pu représenter les <strong>MJC</strong> et leur<br />

fédération.<br />

3 Aussi n’est-il pas rare <strong>de</strong> rencontrer au conseil d’administration <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> un représentant <strong>de</strong> la CGT,<br />

le curé ou le pasteur du quartier, <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> la jeune chambre économique, <strong>de</strong>s parents<br />

d’élèves <strong>de</strong> sensibilités très différentes. Cette conception et surtout cette pratique <strong>de</strong> la laï cité<br />

tranchent avec celles <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement par exemple, même si aujourd’hui, cette<br />

<strong>de</strong>rnière se réclame <strong>de</strong> la “laï cité plurielle”. En fait, pour la FF<strong>MJC</strong> du moins, c’est le terme <strong>de</strong><br />

“laï cité ouverte active” qui convient le mieux, et qui a valu et vaut encore à cette institution <strong>de</strong><br />

nombreux conflits quand il y a passage à l’acte. A titre d’exemple : l’accueil <strong>de</strong> “France-Palestine” et<br />

<strong>de</strong> certains mouvements juifs à la <strong>MJC</strong> Bellegar<strong>de</strong> d’Aix-en-Provence, au début <strong>de</strong>s années 80, a bien<br />

failli coûter, d<strong>ans</strong> le contexte municipal <strong>de</strong> l’époque, l’existence même <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> et du poste du<br />

directeur.<br />

4 Le résultat est peut-être bien plus la gestion <strong>de</strong>s contradictions sociales que leur tr<strong>ans</strong>formation. En<br />

effet, l’éducation populaire, modèle <strong>MJC</strong>, ne serait-elle pas plus “un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> restructuration <strong>de</strong>s<br />

rapports entre classes et fractions <strong>de</strong> classes sociales”, et leurs animateurs “les gérants d’une<br />

cohérence sociale en mal <strong>de</strong> participation” ? (J. Ion, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 38, 1982, p. 42).


) un pragmatisme au quotidien<br />

- 152 -<br />

Même si la parole est un outil essentiel <strong>de</strong>s acteurs bénévoles et professionnels <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, les<br />

exigences du faire priment sur la production discursive. Il y a en effet un primat du décisionnel et <strong>de</strong><br />

l’opérationnel sur le conceptuel 1 . A la différence <strong>de</strong> mouvements comme la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement<br />

ou <strong>de</strong> Peuple et Culture dont la production intellectuelle est considérable 2 , les <strong>MJC</strong> et leurs<br />

fédérations se donnent rarement les moyens <strong>de</strong> produire le savoir <strong>de</strong> pratiques qui exigent pourtant<br />

une gran<strong>de</strong> activité intellectuelle.<br />

La production théorique nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est faible, pour ne<br />

pas dire inexistante. Les responsables régionaux et nationaux, bénévoles et professionnels, viennent<br />

tous du terrain. Les différents prési<strong>de</strong>nts et délégués fédéraux qui se sont succédés étaient issus <strong>de</strong><br />

la base militante ou professionnelle <strong>de</strong> l’Institution, sauf peut-être André Philip, Prési<strong>de</strong>nt-fondateur<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> jusqu’en 1968, qui tout en étant un théoricien <strong>de</strong> l’économie et du socialisme, faisait<br />

preuve d’un soli<strong>de</strong> pragmatisme politique.<br />

On pourrait même aller jusqu’à dire, à la différence d’autres mouvements d’éducation populaire et<br />

d’action culturelle, que les intellectuels n’ont jamais véritablement eu droit <strong>de</strong> cité d<strong>ans</strong> cette<br />

Institution. Un réseau aussi important ne s’est par exemple jamais doté d’un conseil pédagogique et<br />

scientifique, ni du reste d’un véritable service d’étu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> recherche. L’intervention d’intellectuels<br />

venus <strong>de</strong> l’extérieur d<strong>ans</strong> les assemblées générales, congrès, journées d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs, est<br />

toujours un exercice périlleux pour les organisateurs et évi<strong>de</strong>mment pour les intervenants eux-<br />

mêmes 3 .<br />

A quoi tient ce pragmatisme teinté d’un certain anti-intellectualisme, notamment chez les<br />

directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ? Vraisemblablement à l’immersion localisée permanente <strong>de</strong>s structures, à leur<br />

responsabilité totale, s<strong>ans</strong> secours financier réel possible <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’appareil fédéral, à<br />

l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité <strong>de</strong>s espaces, <strong>de</strong>s biens et <strong>de</strong>s personnes, aux<br />

contraintes inhérentes à la gestion quotidienne du bâti, aux exigences incontournables, compte tenu<br />

<strong>de</strong>s moyens engagés, <strong>de</strong> rentabilité sociale, d’équilibre économique, <strong>de</strong> gestion d’équipes <strong>de</strong><br />

personnel souvent importantes. La consolidation très contemporaine <strong>de</strong> ce pragmatisme socio-<br />

économique s’explique à la fois par le développement structurel <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et par la domination<br />

1 Les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> se considèrent d’abord comme <strong>de</strong>s “faiseurs”.<br />

2 “Pléthorique” dit même Michel Leroy secrétaire général <strong>de</strong>s A.I.L. (Amis <strong>de</strong> l’Instruction Laï que) <strong>de</strong>s<br />

Bouches du Rhône. Les cercles Condorcet éditent en effet 10 brochures par an.<br />

3 François Dubet, sociologue, gar<strong>de</strong> un souvenir cuisant <strong>de</strong> son intervention à l’assemblée générale <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong> du M<strong>ans</strong> en 1967, qui s’est déroulée, il est vrai, d<strong>ans</strong> un contexte <strong>de</strong> tension extrême :<br />

“Quand je suis rentré à Paris, je me suis <strong>de</strong>mandé ce que j’étais venu faire et pourquoi on m’avait<br />

<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> venir...” Entretiens.


- 153 -<br />

ambiante d’une esprit d’entreprise marqué par le nécessaire respect <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la concurrence, <strong>de</strong><br />

l’efficacité et <strong>de</strong> la rentabilité 1 .<br />

c) une culture professionnelle forte mais multiforme<br />

Même si le bénévolat et le militantisme sont particulièrement développés d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, même si l’engagement <strong>de</strong>s personnes marque considérablement l’histoire<br />

d’une institution qui n’a pourtant jamais revendiqué d’être un mouvement mais un service, il est<br />

indéniable que la professionnalisation <strong>de</strong>s structures va <strong>de</strong> pair avec leur propre développement. A<br />

la différence <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s autres institutions et mouvements d’éducation populaire, l’apparition<br />

<strong>de</strong>s permanents, <strong>de</strong>s professionnels, notamment les directeurs-éducateurs et avant eux les chefs <strong>de</strong><br />

maison 2 , est contemporaine <strong>de</strong> la création d’abord <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes, puis <strong>de</strong> la République<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et enfin <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> 3 .<br />

Ce phénomène <strong>de</strong> professionnalisation occupe et préoccupe beaucoup l’ensemble <strong>de</strong>s acteurs<br />

<strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> base et <strong>de</strong>s fédérations, les professionnels d’abord et les administrateurs<br />

bénévoles ensuite, à tel point qu’à l’intérieur, et également pour les observateurs extérieurs, on a le<br />

sentiment que ces institutions ont plus le souci <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> leurs propres structures que <strong>de</strong><br />

définir leurs missions et d’évaluer le résultat <strong>de</strong> leurs actions.<br />

S’il est bien vrai que la professionnalisation reste le levier essentiel du développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il<br />

est tout aussi vrai et cohérent que ce phénomène se traduise par une culture dominante, voire un<br />

culte du professionnel pas toujours faciles à vivre ou même à accepter par les bénévoles 4 .<br />

Cette culture professionnelle, très fréquente d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> et leurs fédérations, quelle est-elle ?<br />

La division du travail induit une diversité culturelle dont il serait bien long <strong>de</strong> faire l’inventaire et<br />

l’analyse : la culture professionnelle <strong>de</strong>s directeurs, ses valeurs et ses représentations, ne sont pas<br />

les mêmes que celles <strong>de</strong> l’encadrement, du personnel administratif, <strong>de</strong>s animateurs globaux ou<br />

sectoriels, <strong>de</strong>s animateurs-enseignants, <strong>de</strong>s techniciens d’activité, <strong>de</strong>s artistes, du personnel<br />

1 C’est <strong>de</strong> plus en plus sur ces bases-là que se négocient et se contractualisent la création d’une <strong>MJC</strong><br />

et la mise à disposition d’un directeur, la gestion municipale directe étant présentée comme non<br />

dynamique, peu innovante et déresponsabilisante pour les acteurs et les usagers.<br />

2 Sous le gouvernement <strong>de</strong> Vichy, pério<strong>de</strong> sur laquelle nous reviendrons en détail d<strong>ans</strong> l’analyse<br />

historique.<br />

3 Les effets <strong>de</strong> cette démarche <strong>de</strong> professionnalisation sont particulièrement évi<strong>de</strong>nts encore<br />

aujourd’hui. Les plus petites <strong>MJC</strong> n’hésitent pas à embaucher <strong>de</strong>s salariés et à se tr<strong>ans</strong>former en<br />

employeurs alors que les foyers ruraux ont les plus gran<strong>de</strong>s réticences à le faire et s’accommo<strong>de</strong>nt<br />

facilement du seul bénévolat (entretien avec le délégué régional PACA <strong>de</strong>s Foyers Ruraux).<br />

4 Cette situation a plusieurs effets possibles : l’exaspération <strong>de</strong> certains administrateurs bénévoles qui<br />

acceptent mal qu’on se préoccupe tant <strong>de</strong>s salariés et <strong>de</strong> leurs revendications permanentes, le refus<br />

<strong>de</strong> nombreux administrateurs jeunes <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s responsabilités d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> décision<br />

qui, pour eux, se préoccupent plus <strong>de</strong> personnel et <strong>de</strong> gros sous que d’actions. A l’opposé, le<br />

sentiment gratifiant d’administrateurs qui se perçoivent comme <strong>de</strong>s patrons d’entreprise,<br />

gestionnaires <strong>de</strong> personnels et interlocuteurs reconnus <strong>de</strong>s pouvoirs constitués.


- 154 -<br />

technique et d’entretien. Cette culture professionnelle est faite <strong>de</strong> sous-cultures dont l’une est à<br />

l’évi<strong>de</strong>nce dominante et joue le rôle <strong>de</strong> grand intégrateur : celle <strong>de</strong>s directeurs, situés à l’articulation<br />

du décisionnel et <strong>de</strong> l’opérationnel d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, à l’articulation <strong>de</strong> la fédération et <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong><br />

base d<strong>ans</strong> l’ensemble institutionnel.<br />

Or cette culture professionnelle <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> n’est pas - c’est le moins que l’on puisse<br />

dire - homogène, ce qui est vraisemblablement un élément essentiel d’explication <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong> ouverte à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong> en 1987.<br />

Cette diversité culturelle <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> tient à <strong>de</strong> nombreux facteurs : les origines et les<br />

itinéraires <strong>de</strong> plus en plus diversifiés <strong>de</strong> ces professionnels, leur pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> recrutement, leur niveau<br />

<strong>de</strong> formation initiale, leur appartenance syndicale (CGT, CFDT et non-syndiqué), la nature, la<br />

mission et l’importance <strong>de</strong>s structures qu’ils gèrent, la diversité <strong>de</strong> leurs productions, par ailleurs<br />

difficiles à évaluer et à i<strong>de</strong>ntifier 1 .<br />

Ne peut-on pas cependant mettre en évi<strong>de</strong>nce, d<strong>ans</strong> cette diversité, <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> référence<br />

culturels communs qui, nous semble-t-il, sont aujourd’hui plus liés à une position structurelle d<strong>ans</strong><br />

l’Institution et à <strong>de</strong>s savoir-faire communs, qu’à <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong>s projets partagés par tous ? 2<br />

La situation <strong>de</strong> “mise à disposition” <strong>de</strong>s directeurs leur donne en quelque sorte un statut <strong>de</strong> “chef<br />

d’entreprise-fonctionnaire” 3 : “chefs d’entreprises” en vertu <strong>de</strong>s rôles, missions qu’ils assument d<strong>ans</strong><br />

les structures qu’ils dirigent ; “fonctionnaires” <strong>de</strong> par leur statut professionnel (recrutement, formation,<br />

gestion et mouvement national, grille unique s<strong>ans</strong> promotion ni sanction, avancement à la seule<br />

ancienneté). Ainsi un directeur, employé <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, peut-il tout à fait fonctionner selon un double<br />

registre <strong>de</strong> valeurs : celles du syndicaliste <strong>de</strong> base, défendant bec et ongles ses intérêts face à<br />

l’employeur fédéral 4 ; celles du directeur, chef d’entreprise et <strong>de</strong> personnel, avec ses exigences<br />

1 Quelles peuvent être les valeurs professionnelles <strong>de</strong> référence communes à tel directeur préoccupé<br />

quotidiennement d’insertion sociale <strong>de</strong> jeunes en situation d’exclusion et à tel autre, gestionnaire <strong>de</strong><br />

plusieurs festivals et réalisateur d’émissions <strong>de</strong> télévision ?<br />

2 S’agissant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, l’analyse historique montrera vraisemblablement une évolution considérable<br />

d<strong>ans</strong> ce domaine entre les années 70 et la fin <strong>de</strong>s années 80. On passerait, en dix <strong>ans</strong>, d’un primat<br />

<strong>de</strong>s valeurs “politiques” (démocratie locale, lutte, revendication, changement ...) à celui <strong>de</strong>s valeurs<br />

“techniques” (développement, gestion, communication, image, savoir-faire, compétence,<br />

évaluation). Les Journées nationales d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux (1988) animées par le Groupe Français<br />

d’Éducation Nouvelle ont mis en évi<strong>de</strong>nce à la fois la cohabitation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux systèmes <strong>de</strong> valeur et<br />

cette évolution axiologique. La <strong>de</strong>rnière définition <strong>de</strong>s compétences et missions du directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong><br />

est à ce titre significative (travail réalisé sous la direction <strong>de</strong> P. Paupy, délégué chargé <strong>de</strong> la<br />

formation, du recrutement et <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s ressources humaines).<br />

3 L’expression est <strong>de</strong> Catherine Flament, lors <strong>de</strong> son intervention d<strong>ans</strong> les Journées régionales d’étu<strong>de</strong><br />

(Aix en Provence, février 1991). A la FF<strong>MJC</strong>, les directeurs sont employés <strong>de</strong>s fédérations<br />

régionales, recrutés et gérés nationalement, mis à disposition <strong>de</strong> structures indépendantes très<br />

variables (<strong>MJC</strong>, offices divers, municipalités, services municipaux ...). A l’UNIREG, la situation n’est<br />

pas très différente, même s’il n’y a pas <strong>de</strong> véritable statut national.<br />

4 A la FF<strong>MJC</strong>. les relations syndicats-employeurs peuvent en effet, prendre <strong>de</strong>s formes aiguës, violentes<br />

même : grèves, interventions massives d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision, écrits virulents et attaques<br />

personnelles.


- 155 -<br />

d’efficacité, d’équilibres financiers, <strong>de</strong> développement, <strong>de</strong> productivité ; à la fois donc les référents et<br />

pratiques du syndicalisme ouvrier et ceux du patron responsable <strong>de</strong> la bonne marche d’une petite<br />

entreprise. Ces <strong>de</strong>ux systèmes <strong>de</strong> valeur, ces <strong>de</strong>ux “cultures”, semblent tout à fait bien cohabiter<br />

d<strong>ans</strong> les mêmes individus. On va même jusqu’à dire que les meilleurs “patrons” d<strong>ans</strong> les structures<br />

qu’ils dirigent, les plus exigeants avec leur personnel, sont souvent les syndicalistes les plus<br />

efficaces et les plus virulents 1 .<br />

La culture <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est donc faite <strong>de</strong> la cohabitation étonnante <strong>de</strong><br />

ces systèmes <strong>de</strong> valeurs, souvent portés par les mêmes hommes, d’un mélange d’individualisme<br />

forcené et <strong>de</strong> collectivisme, d’une sorte, donc, d’anarcho-syndicalisme 2 générateur <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s et<br />

<strong>de</strong>s discours les plus contradictoires 3 et les plus imprévisibles 4 .<br />

Cette mobilité - ambivalence pourrait-on dire là aussi - axiologique et pratique, loin d’être vécue<br />

comme une contrainte et un handicap, est considérée plutôt comme un atout et une richesse. Cela<br />

fait en quelque sorte partie du projet et <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture que<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>voir à la fois défendre <strong>de</strong>s valeurs humanistes, sociales, culturelles et d’éducation populaire,<br />

progressistes, voire humanitaires, et prendre <strong>de</strong>s décisions apparemment contradictoires (sanctions,<br />

licenciements, suppression <strong>de</strong> secteurs d’activités trop couteux...) 5 .<br />

Mais il y a d’autres éléments déterminants <strong>de</strong> cette culture professionnelle :<br />

• D’abord l’immatérialité et l’indétermination <strong>de</strong>s productions pour <strong>de</strong>s publics (les moins fortunés<br />

1 Nous ne citerons pas <strong>de</strong> noms.<br />

Les délégués régionaux, notamment à la FF<strong>MJC</strong>, ont, étonnamment, une marge <strong>de</strong> manoeuvre<br />

“entreprenariale” ou patronale comme l’on voudra, beaucoup plus faible avec ce qui est leur “outil”<br />

<strong>de</strong> développement essentiel (les directeurs), contraints qu’ils sont par la gestion d’un corps unique<br />

<strong>de</strong> professionnels d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> règles qu’ils ne peuvent contourner ou tr<strong>ans</strong>gresser qu’au prix<br />

d’une gymnastique ou <strong>de</strong> conflits toujours éprouvants. Au contraire, les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>,<br />

particulièrement opposés en tant que syndicalistes à la hiérarchisation et à la diversification <strong>de</strong>s<br />

fonctions <strong>de</strong> leur propre corps professionnel, ont une extraordinaire facilité à diviser le travail, à<br />

hiérarchiser les fonctions et les salaires d<strong>ans</strong> les structures qu’ils dirigent (<strong>de</strong> l’animateur-cadreadjoint-<strong>de</strong>-direction<br />

au TUC).<br />

2 Georges Rouan (L’animation socio-culturelle, une institution en action, 1979) parle <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong><br />

socialisme utopique proche du fouriérisme, remarque qui a toute sa pertinence pour l’animation<br />

socio-culturelle et les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années 70, mais qui serait à revoir pour comprendre l’évolution qu’a<br />

connue ce secteur d<strong>ans</strong> les années 80.<br />

3 C’est ce que l’on appelle à la FF<strong>MJC</strong> les “changements <strong>de</strong> casquette” s<strong>ans</strong> que pour autant l’on<br />

suppose, sauf en cas <strong>de</strong> polémique, qu’il y ait malhonnêteté ou duplicité.<br />

4 C’est ainsi qu’il n’y a rien d’étonnant ni d’incohérent à entendre, <strong>de</strong> la part d’un directeur responsable<br />

syndical, un discours attaquant violemment la fédération sur ses pratiques patronales, et réclamant<br />

en même temps <strong>de</strong>s sanctions contre <strong>de</strong>s salariés qui ne rempliraient pas leur mission ou ne<br />

respecteraient pas les règles.<br />

5 Jean-Jacques Queyranne, député-Maire <strong>de</strong> Bron, mettait bien en évi<strong>de</strong>nce cette fonction éducative<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> qui pouvait conduire le même homme à être salarié, défendant syndicalement ses intérêts<br />

d<strong>ans</strong> l’entreprise qui l’emploie, et à la fois “prési<strong>de</strong>nt-employeur” à la <strong>MJC</strong> (Intervention à l’occasion<br />

du 25 ème anniversaire <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Bron).


- 156 -<br />

en priorité) dont les besoins réels et exprimés sont d’abord matériels, et <strong>de</strong>s partenaires (les élus<br />

locaux principalement) qui n’en perçoivent pas forcément avec précision ni la nécessité ni les enjeux,<br />

si bien que les professionnels et les structures sont en permanence contraints à valoriser et à justifier<br />

<strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> production dont l’utilité et l’évaluation sont loin d’être évi<strong>de</strong>ntes (le relationnel, la<br />

sociabilité, le loisir, la culture, la prise <strong>de</strong> responsabilité, l’insertion, l’intégration, l’i<strong>de</strong>ntité,<br />

l’expression…) 1 . Cette situation explique en gran<strong>de</strong> partie les discours et les jugements les plus<br />

différents et les plus contradictoires portés sur les <strong>MJC</strong> et le travail <strong>de</strong> leurs professionnels 2 , discours<br />

et jugements qui sont en eux-mêmes constitutifs <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> ces structures : “bricolage et sous-<br />

culture” (discours <strong>de</strong>s “cultureux”), “foyers d’agitation inutile ou dangereuse” (certains hommes<br />

politiques), “repaire <strong>de</strong> petits-bourgeois consommateurs d’activités” (certains travailleurs sociaux),<br />

“baba-cool et ringard” (discours <strong>de</strong>s jeunes “branchés-communicants”), mais aussi espace<br />

d’initiative, <strong>de</strong> liberté, d’insertion , ouvert, décontracté, sympa, où il se passe <strong>de</strong>s choses très<br />

diverses, où à la limite tout est possible à condition <strong>de</strong> s’en donner les moyens ou <strong>de</strong> les<br />

revendiquer, où l’on peut à la fois faire, parler, proposer et déci<strong>de</strong>r, où l’on peut à son goût agir ou<br />

consommer en respectant quelques règles communes que les responsables sont d’ailleurs prêts à<br />

vous expliquer ...<br />

• Ensuite la nécessaire gestion <strong>de</strong> la complexité, dictée par la diversité <strong>de</strong>s actions, la multiplicité<br />

<strong>de</strong>s partenaires réels ou possibles, <strong>de</strong>s savoir-faire et <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail 3 , la nécessité <strong>de</strong><br />

répondre à plusieurs comman<strong>de</strong>s en tenant compte du potentiel <strong>de</strong> la structure (comman<strong>de</strong> sociale,<br />

comman<strong>de</strong> politique, comman<strong>de</strong> institutionnelle). Cette situation professionnelle, décrite ici à grands<br />

traits, a connu <strong>de</strong>s évolutions considérables rattachées à <strong>de</strong>s valeurs tellement différentes qu’il est<br />

plus facile aujourd’hui <strong>de</strong> parler d’une culture <strong>de</strong>s différences professionnelles que <strong>de</strong> sa cohérence.<br />

Quels sont les référents communs, sinon l’exigence d’une efficacité qui se paie 4 , entre le “permanent<br />

engagé” <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, le “spécialiste <strong>de</strong> la généralité” 5 , directeur <strong>de</strong> structure touche-à-tout <strong>de</strong>s<br />

1 “Il s’agit d’aller vers l’invention <strong>de</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> valorisation du travail - le travail pour produire<br />

<strong>de</strong>s biens, mais aussi le travail pour produire du relationnel, du culturel, <strong>de</strong> l’environnement”. Félix<br />

Guattari : “La révolution moléculaire”, Le Mon<strong>de</strong> du 7/12/90. Les <strong>MJC</strong> sont encore d<strong>ans</strong> cette nonvalorisation,<br />

voire illégitimité, <strong>de</strong> leur travail, à la différence <strong>de</strong>s structures d’action sociale et <strong>de</strong><br />

création culturelle dont les services et les objets sont soit <strong>de</strong> première nécessité, soit parfaitement<br />

i<strong>de</strong>ntifiables et évaluables, par la critique d’art par exemple.<br />

2 Une simple anecdote : après une longue explication d’un directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sur son activité, la diversité<br />

<strong>de</strong>s missions qu’il remplit, son interlocuteur lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : “mais à part ça, qu’est ce que vous faites<br />

comme métier ?”. La remarque d’un autre directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> : “J’ai abandonné tout espoir <strong>de</strong> faire<br />

comprendre à mon père, ancien ouvrier, en quoi pouvait bien consister mon métier”.<br />

3 Les enquêtes <strong>de</strong> Christian Lucie et d’Alain Rissel, que nous avons en partie reprises, mettent bien en<br />

évi<strong>de</strong>nce cette diversité en évolution.<br />

4 Le directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> est un <strong>de</strong>s rares professionnels à savoir au centime près ce qu’il coûte et par<br />

conséquent à combien on le vend (287.568F = taux moyen FF<strong>MJC</strong> 1991).<br />

5 L’expression est <strong>de</strong> Gérard Sanvicens, délégué chargé <strong>de</strong> la formation à la FF<strong>MJC</strong> au début <strong>de</strong>s<br />

années 80.


- 157 -<br />

années 70, et le gestionnaire <strong>de</strong> la complexité, négociateur <strong>de</strong> projet et stratège <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années<br />

80 ?<br />

Ainsi la culture <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> - les tr<strong>ans</strong>formations successives <strong>de</strong>s référents professionnels ainsi que<br />

l’histoire houleuse <strong>de</strong>s structures l’attestent - est-elle plus faite <strong>de</strong> ses ruptures que <strong>de</strong> ses traits <strong>de</strong><br />

longue durée.<br />

d) une conception dominante du lien social et du politique<br />

Même si <strong>de</strong>s formes “organicistes” <strong>de</strong> type corporatif existent et si <strong>de</strong>s formes “contractuelles”<br />

sont définies institutionnellement entre les individus et les partenaires, il apparait que la forme<br />

“sociabilitaire” 1 <strong>de</strong> lien social <strong>de</strong>vient dominante au fur et à mesure que l’on se rapproche <strong>de</strong>s<br />

pratiques localisées et quotidiennes <strong>de</strong>s structures.<br />

En effet - malgré l’organisation <strong>de</strong> plus en plus hiérarchisée et complexe <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, compte tenu<br />

du développement <strong>de</strong> la majorité d’entre elles - une certaine démocratie participative, une<br />

communication très horizontale, le développement <strong>de</strong> liens concrets ouverts 2 , généralement régulés<br />

par <strong>de</strong>s valeurs humaines et <strong>de</strong> confiance commune où l’on fait la place aux différences, sont les<br />

pratiques <strong>de</strong> sociabilité valorisées, référentielles, même si elles ne sont pas forcément toujours et<br />

partout réalisées. C’est ce qui constitue l’esprit, l’accueil, la convivialité, l’ambiance <strong>MJC</strong>, cette sorte<br />

<strong>de</strong> modèle <strong>de</strong> vie en société dont on trouve les concepts essentiels d<strong>ans</strong> les statuts même :<br />

formation <strong>de</strong> la personnalité, développement <strong>de</strong>s aptitu<strong>de</strong>s individuelles, mais aussi responsabilité,<br />

citoyenneté et finalement communauté vivante par opposition au corporatisme, à la dépendance,<br />

voire au clanisme (forme organiciste) et au formalisme abstrait <strong>de</strong>s rapports simplement<br />

contractuels.<br />

Cette conception dominante du lien social va <strong>de</strong> pair avec <strong>de</strong>s pratiques et <strong>de</strong>s conceptions<br />

particulières <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> décision, du pouvoir, <strong>de</strong> la démocratie et finalement du politique, qui<br />

peuvent se définir par quelques principes là aussi précisés d<strong>ans</strong> les statuts et les grands textes<br />

“historiques” 3 : la participation active au quotidien <strong>de</strong>s adhérents et usagers, la cogestion entre les<br />

différents partenaires concernées par le projet et les actions <strong>de</strong> la structure, l’implication régulière<br />

d<strong>ans</strong> la démocratie locale aussi bien au niveau opérationnel que propositionnel et décisionnel, autant<br />

1 “Organicistes”, “contractuelles” et “sociabilité”, typologie du lien social que nous empruntons à<br />

Catherine Flament (premiers travaux <strong>de</strong> sa thèse Entreprise et cohésion sociale, 40 pages, ronéo),<br />

qui elle-même la construit à partir <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> différents sociologues, Simmel, Durkheim et Ion<br />

notamment.<br />

2 Nous retrouvons là le modèle réticulaire d’organisation et d’implantation sociale mis en évi<strong>de</strong>nce plus<br />

haut.<br />

3 Le discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (janvier 1948), les textes<br />

préparatoires au congrès <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Nanterre (novembre 1977), <strong>de</strong> Reims (mai 1982) et <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (novembre 1991).


- 158 -<br />

<strong>de</strong> principes et <strong>de</strong> pratiques différents <strong>de</strong> ceux du mon<strong>de</strong> du travail, <strong>de</strong> l’administration publique et <strong>de</strong><br />

la démocratie purement représentative.<br />

Ainsi à certaines pério<strong>de</strong>s, le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> décision et <strong>de</strong> gestion type <strong>MJC</strong> est-il apparu comme un<br />

modèle <strong>de</strong> société en rupture avec les pratiques établies 1 .<br />

e) une histoire mouvementée et un jeu avec la mort<br />

L’ambivalence <strong>de</strong>s productions et <strong>de</strong>s fonctions sociales <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture, cette incertitu<strong>de</strong> fondamentale, font partie, avons-nous dit, <strong>de</strong> leur patrimoine culturel. Et<br />

comme si cette situation inconfortable ne suffisait pas, on a le sentiment que ces structures et les<br />

fédérations qui les gèrent éprouvent un malin plaisir à jouer avec les crises, et finalement avec la<br />

mort 2 .<br />

A moins que le conflit local ou fédéral ne soit conçu comme un outil pédagogique 3 et <strong>de</strong><br />

développement qui voudrait que l’on mette en jeu la vie <strong>de</strong>s structures elles-mêmes ! Et il est bien<br />

vrai qu’à certaines pério<strong>de</strong>s et qu’encore en <strong>de</strong> nombreux cas, les acteurs bénévoles et<br />

professionnels considèrent que le projet ne se réalise jamais aussi bien que d<strong>ans</strong> le conflit, la lutte, la<br />

remise en cause d’ordres établis à l’intérieur comme à l’extérieur <strong>de</strong> l’Institution, situations d<strong>ans</strong><br />

lesquelles l’existence même <strong>de</strong>s structures est en jeu.<br />

De fait, cette institution, pour <strong>de</strong> multiples raisons idéologiques, politiques, structurelles,<br />

économiques même, qu’il nous appartient d’analyser maintenant, a une histoire mouvementée,<br />

complexe, à multiples entrées, faite d’images partielles, partiales, voire fausses, portées par les<br />

différents acteurs internes ou externes et qui marquent chaque pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> crise, <strong>de</strong> conflit ou <strong>de</strong><br />

développement.<br />

On pourrait donc écrire les multiples histoires <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, et<br />

essayer <strong>de</strong> construire le système <strong>de</strong> ces regards croisés, qui sont eux aussi constitutifs <strong>de</strong> la culture<br />

<strong>de</strong> ces institutions. On se rendrait vraisemblablement compte qu’il n’existe pas véritablement, à la<br />

FF<strong>MJC</strong> ou à l’UNIREG, <strong>de</strong> mémoire collective très structurée, largement connue et partagée par<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s acteurs qui pèsent d<strong>ans</strong> les décisions locales, régionales et nationales. Par contre, il<br />

existe, du moins à l’intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, une histoire dominante quasi-officielle, <strong>de</strong> l’Institution,<br />

appuyée sur ce qu’il faut bien appeler un mythe fondateur, un âge d’or puis une gran<strong>de</strong> crise avec<br />

1 D’où l’image contestataire, libertaire, voire révolutionnaire, repaire <strong>de</strong> communistes et <strong>de</strong> gauchistes,<br />

<strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong>, notamment d<strong>ans</strong> les années 70, pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> conflits locaux souvent violents<br />

entre ce type <strong>de</strong> structures et certaines collectivités locales.<br />

2 Certains parlent <strong>de</strong> “masochisme institutionnel”.<br />

3 Certains textes mettent en évi<strong>de</strong>nce et revendiquent cette pédagogie du conflit, voire <strong>de</strong><br />

l’affrontement (textes préparatoires au congrès <strong>de</strong> Reims, 1982).


- 159 -<br />

ses bons et ses méchants, dont on sentirait encore les effets 1 L’histoire <strong>de</strong>s faits, quant à elle, n’a<br />

jamais véritablement été écrite 2 .<br />

1 Les documents <strong>de</strong> présentation <strong>de</strong> cette histoire sont assez rare (le plus récent et le plus concis<br />

étant la plaquette <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1985). Il s’agit en fait surtout d’une histoire orale.<br />

2 Le travail le plus concis et le plus rigoureux qui a donné lieu à quelques articles (Cahiers <strong>de</strong><br />

l’animation et Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>) est celui <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Paquin. Les autres spécialistes ont plutôt<br />

traité <strong>de</strong> l’éducation populaire et <strong>de</strong> l’animation socioculturelle en général (B. Cacérès, G. Pujol, P.<br />

Bénard, G. Rouan, etc...). De son côté, Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer, malgré un important travail<br />

d’investigation et <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> documents que nous utiliserons, s’est fourvoyé - à trop vouloir<br />

démolir le mythe - d<strong>ans</strong> une analyse polémique qui occulte les faits et l’analyse sérieuse <strong>de</strong>s<br />

données (Histoire et sociologie <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> sa phase <strong>de</strong>s gestation - La création ambiguë <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>, 1991).


- 161 -<br />

DEUXIÈME PARTIE<br />

L’INVENTION DES MAISONS DES JEUNES ET DE<br />

LA CULTURE


- 163 -<br />

CHAPITRE - I -<br />

LA PRÉHISTOIRE DES MAISONS DES JEUNES ET DE LA<br />

CULTURE<br />

D’une manière générale, et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s multiples approches et interprétations possibles, on<br />

pourrait diviser le développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture en quatre grands<br />

moments :<br />

- d’abord ce que nous appellerons “la longue émergence du concept” qui arrive, nous<br />

semble-t-il, à son terme avec la création <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en janvier 1948 et la définition <strong>de</strong>s statuts,<br />

règlements et textes fondamentaux 1 ;<br />

- ensuite la pério<strong>de</strong> du “formalisme pédagogique” avec <strong>de</strong>ux grands moments : une<br />

traversée du désert jusqu’en 1959, puis une croissance prodigieuse jusqu’en 1968 ;<br />

- puis les années <strong>de</strong> “l’engagement démocratique” - du moins pour les <strong>MJC</strong> affiliées à la<br />

FF<strong>MJC</strong> - qui s’étend <strong>de</strong> 1969 (la scission) à 1983 ;<br />

- enfin la <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong> que nous appellerons du “management social et culturel local”.<br />

Cette histoire peut également s’accommo<strong>de</strong>r d’un autre découpage non contradictoire avec le<br />

premier :<br />

- la préhistoire, qui se termine en 1940,<br />

- l’antiquité qui va <strong>de</strong> 1940 à la création <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (1948),<br />

(ces <strong>de</strong>ux pério<strong>de</strong>s correspon<strong>de</strong>nt à la “longue émergence du concept”),<br />

- le moyen-âge, qui s’étend jusqu’à la fin <strong>de</strong> la IV e République et qui correspond à la<br />

première pério<strong>de</strong> du “formalisme pédagogique”,<br />

- les temps mo<strong>de</strong>rnes, <strong>de</strong> 1959 à 1968, moment <strong>de</strong> croissance rapi<strong>de</strong> et<br />

d’institutionnalisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>,<br />

- le temps <strong>de</strong>s crises et <strong>de</strong>s révolutions, qui se prolonge par une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

repositionnement d<strong>ans</strong> la gestion du développement local liée à la décentralisation étatique (<strong>de</strong> 1969<br />

à 1983, puis les années récentes).<br />

“L’archéologie” <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait une investigation longue et<br />

complexe que l’on <strong>de</strong>vrait conduire à <strong>de</strong>ux niveaux : d<strong>ans</strong> le champ <strong>de</strong>s pratiques où il faudrait<br />

repérer toutes les expériences <strong>de</strong> structures collectives à vocation éducative, sociale et culturelle ;<br />

1 Un document référentiel largement diffusé rassemble en effet le discours d’André Philip lors <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (15/01/48), la réponse <strong>de</strong> M. Naegelen, Ministre <strong>de</strong><br />

l’Éducation Nationale, les statuts-type d’une <strong>MJC</strong>, d’une fédération départementale, les statuts <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong>, les règlements intérieurs <strong>de</strong> ces structures, les statuts <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>s extraits<br />

<strong>de</strong> circulaires ministérielles.


- 164 -<br />

d<strong>ans</strong> le champ théorique où se formulent <strong>de</strong>puis longtemps les gran<strong>de</strong>s questions du savoir et du<br />

pouvoir, <strong>de</strong> la démocratisation <strong>de</strong> la culture, <strong>de</strong>s intellectuels et du peuple, <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>de</strong> la<br />

citoyenneté, <strong>de</strong>s meilleures formes <strong>de</strong> gouvernement, du passage <strong>de</strong> l’enfance à l’état d’adulte, <strong>de</strong> la<br />

tr<strong>ans</strong>mission et <strong>de</strong> la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> société.<br />

Afin d’éviter le piège d’une analyse historique récurrente s<strong>ans</strong> limite, nous nous contenterons<br />

pour l’essentiel d’une généalogie contemporaine <strong>de</strong> la naissance <strong>de</strong> l’Institution.<br />

1 - La Maison pour tous <strong>de</strong> la “Mouffe”<br />

Nombreux sont les témoins, chroniqueurs et historiens 1 qui s’accor<strong>de</strong>nt à reconnaître que la<br />

“Maison pour tous <strong>de</strong> la Mouffe” est bien l’ancêtre <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

Il y a en effet une filiation directe. André Lefèvre, dit “vieux castor”, qui prend le relais <strong>de</strong><br />

Catherine Descroix en 1910 et prési<strong>de</strong>ra avec Marthe Levasseur notamment (“mère louve”) aux<br />

<strong>de</strong>stinées <strong>de</strong> la Mouffe, <strong>de</strong>viendra commissaire national <strong>de</strong>s Eclaireurs <strong>de</strong> France et l’un <strong>de</strong>s<br />

créateurs <strong>de</strong> la première école <strong>de</strong>s cadres, chefs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> Jeunes (Chamarges en 1941).<br />

D’autre part, la Maison pour tous <strong>de</strong> la Mouffe rejoindra la FF<strong>MJC</strong> après la guerre et sera “dotée”<br />

d’un directeur, Georges Bilbille (mieux connu sous le nom <strong>de</strong> “Bill”) 2 .<br />

A notre connaissance, l’histoire <strong>de</strong> la Mouffe n’a pas été écrite. Il existe cependant <strong>de</strong> nombreux<br />

documents et témoignages. Une association <strong>de</strong>s anciens et amis <strong>de</strong> la Mouffe se propose <strong>de</strong><br />

rassembler les éléments qui permettraient à une étudiant <strong>de</strong> réaliser “une thèse universitaire<br />

retraçant l’oeuvre <strong>de</strong> la Maison pour tous <strong>de</strong> la rue Mouffetard” 3 . Une émission <strong>de</strong> télévision, diffusée<br />

par Antenne 2, a été consacrée à cette longue expérience <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 70 années.<br />

En 1906, une étudiante, Cathe Descroix, venue se loger au 6 <strong>de</strong> la rue Mouffetard avec <strong>de</strong>ux<br />

autres étudiantes, “sillonistes” comme elle, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> cesser ses étu<strong>de</strong>s pour se consacrer<br />

entièrement à ce V e arrondissement <strong>de</strong> Paris d<strong>ans</strong> lequel les conditions <strong>de</strong> vie sont particulièrement<br />

difficiles. Elle crée un petit groupe qui s’appelle “Chez nous” 4 . Pour gagner <strong>de</strong> l’argent, elle gère rue<br />

<strong>de</strong> l’Epée <strong>de</strong> Bois un dépôt <strong>de</strong> chaussures en accord avec une coopérative <strong>de</strong> Fougères. Grâce à<br />

l’argent <strong>de</strong> ses ventes, elle constitue <strong>de</strong>s groupes, rattachées au Sillon, commence à organiser <strong>de</strong>s<br />

colonies <strong>de</strong> vacances, <strong>de</strong>s conférences, une bibliothèque, <strong>de</strong>s sorties appelées “caravanes”. Ses<br />

1 “La maison pour tous <strong>de</strong> la rue Mouffetard [....] associait déjà <strong>de</strong>s laï ques, <strong>de</strong>s protestants et <strong>de</strong>s<br />

catholiques. Elle mérite bien le titre d’ancêtre <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>”. G. Poujol (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 32,<br />

page 128).<br />

2 “Bill”, ancien salarié <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> actuellement à la retraite, participe encore régulièrement aux<br />

assemblées générales <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et aux journées nationales d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs.<br />

3 Courrier reçu en janvier 1990.<br />

4 “Chez nous” est le nom du restaurant du XVII e arrondissement <strong>de</strong> Paris où les délégués <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

se ren<strong>de</strong>nt régulièrement pour prendre leur repas. Simple coï nci<strong>de</strong>nce !


- 165 -<br />

réflexions en matière pédagogique l’amènent à constituer <strong>de</strong>s groupes mixtes, l’éducation <strong>de</strong>s<br />

garçons et <strong>de</strong>s filles <strong>de</strong>vant se faire ensemble - ce qui est très novateur à l’époque 1 .<br />

Cathe Descroix, en<strong>de</strong>ttée, accepte en 1910 un poste à Alexandrie pour trois <strong>ans</strong>. Ensuite elle<br />

sera infirmière à l’armée d’Orient, si bien que <strong>de</strong> 1911 à 1921, elle ne se préoccupera plus<br />

directement <strong>de</strong> “Chez nous”. C’est alors André Lefèvre qui prend le relais jusqu’à la guerre. D<strong>ans</strong><br />

une espèce <strong>de</strong> baraque qu’il a louée rue Gracieuse, il organise tous les mercredis un cercle<br />

d’étu<strong>de</strong>s. Pendant la guerre, le groupe <strong>de</strong>s garçons se disloque, et aucun <strong>de</strong> ceux qui participent au<br />

groupe choral et musical du Sillon du quartier Mouffetard ne reviendra. Le lien n’est cependant pas<br />

rompu. Une correspondance se crée. On tire une lettre circulaire tous les mois qui arrive d<strong>ans</strong> les<br />

tranchées, et que Cathe Descroix elle-même reçoit.<br />

Marguerite Walther, envoyée par Cathe Descroix et venue <strong>de</strong> l’armée d’Orient, rejoint “Chez<br />

nous” en octobre 1919. Elle met en place un cinéma d<strong>ans</strong> un quartier non électrifié (on utilise un<br />

moteur <strong>de</strong> l’armée, récupéré par Vieux Castor), se lance d<strong>ans</strong> le scoutisme (louveteaux et éclaireurs<br />

constituent la “tribu du gui”), prend en charge les jeunes enfants grâce à une nouvelle arrivée, Renée<br />

Sainte Claire Deville, se penche sur les difficultés <strong>de</strong> la condition féminine 2 , ouvre un restaurant.<br />

“Chez nous” s’est alors installé d<strong>ans</strong> un local plus vaste au 76, rue Mouffetard, qui avait été le siège<br />

d’une Maison <strong>de</strong>s syndicats et d’une Université Populaire avant la première guère mondiale. Lucien<br />

Herr, Léon Bloy, Jean Jaurès et Trotski venaient y parler aux ouvriers parisiens. Lénine lui-même y<br />

aurait pris la parole, avec Montehus, ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> l’époque, en premier partie 3 .<br />

Ainsi en 1920, huit volontaires et <strong>de</strong> nombreux amis, entraînés par eux, gèrent “Chez nous” :<br />

quatre femmes bénévoles à temps plein (Marguerite Walther pour le cinéma, les familles, les<br />

mouvements féminins ; Marie-Ma<strong>de</strong>leine Ricard pour le restaurant ; Renée Sainte Claire Deville qui<br />

est trésorière, et Marie Raimbault qui gère le bar) ; quatre volontaires à temps partiel quotidien<br />

(André Lefèvre, <strong>de</strong>ssinateur en béton armé, Marthe Levasseur, couturière en chambre, Marguerite<br />

Levasseur, fourreuse ; Henriette Devillers qui s’occupe du secrétariat est employée). De nombreux<br />

amis (20 à 30) donnent chacun une ou <strong>de</strong>ux soirées par semaine. A ces personnes s’ajoute la<br />

participation financière <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 100 personnes ayant acheté <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> 100 F lancées par<br />

l’association d’éducation populaire “Chez nous”.<br />

1 La question <strong>de</strong> la mixité d<strong>ans</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’éducation plonge ses racines, semble-t-il, d<strong>ans</strong> les<br />

mouvements d’éducation populaire : après le Sillon et l’expérience <strong>de</strong> la Mouffe, les Auberges <strong>de</strong><br />

Jeunesse joueront un rôle important d<strong>ans</strong> ce domaine...<br />

2 “Je ferai quelque chose pour les filles. Il faut leur apprendre à se battre” dit Marguerite Walther,<br />

surnommée “la Patronne”. (La majorité <strong>de</strong> ces informations sont extraites d’une conférence <strong>de</strong><br />

Marthe Levasseur, silloniste dès 14 <strong>ans</strong>, pilier <strong>de</strong> la Mouffe jusqu’à plus <strong>de</strong> 80 <strong>ans</strong>, et <strong>de</strong> la<br />

publication qui lui a été consacrée en 1988 avec le soutien <strong>de</strong>s Eclaireuses et éclaireurs <strong>de</strong> France,<br />

<strong>de</strong>s Centres d’entraînement aux métho<strong>de</strong>s d’éducation active, <strong>de</strong>s Francs et franches camara<strong>de</strong>s, <strong>de</strong><br />

ses collèges et amis <strong>de</strong> la Caisse d’Allocations familiales <strong>de</strong> la région parisienne. Nous nous inspirons<br />

également du témoignage <strong>de</strong> Georges Bilbille sur le théâtre Mouffetard, Ronéo, 54 p.).<br />

3 D’après le témoignage <strong>de</strong> “Bill”.


- 166 -<br />

Cette première naissance <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>viendra la Mouffe appelle quelques remarques. L’esprit du<br />

Sillon <strong>de</strong> Marc Sangnier y est déterminant. Mouvement à la fois catholique et démocratique, branche<br />

progressiste <strong>de</strong> l’Action catholique <strong>de</strong> la Jeunesse française, fondée par Albert <strong>de</strong> Mun à la fin <strong>de</strong>s<br />

années 1880, le Sillon <strong>de</strong> Marc Sangnier en 1906 se situe d<strong>ans</strong> le prolongement d’un catholicisme<br />

social, où “l’éveil démocratique” 1 prend le pas sur les intérêts directs <strong>de</strong> l’Eglise catholique. La<br />

dimension sociale, du moins au tout début, et l’implication <strong>de</strong>s femmes, y sont importantes. Mais<br />

rapi<strong>de</strong>ment les activités culturelles, éducatives et <strong>de</strong> jeunesse y occupent une place considérable, si<br />

bien qu’on peut avancer que l’expérience <strong>de</strong> la Mouffe se situe quasi immédiatement après le départ<br />

<strong>de</strong> Cathe Descroix, en rupture à la fois avec la démarche <strong>de</strong>s universités populaires, caractérisées<br />

par l’action d’intellectuels qui vont au peuple, et avec l’esprit et les pratiques <strong>de</strong>s mouvements, ici le<br />

Sillon, qui a pourtant donné naissance à l’expérience.<br />

Du reste, ce basculement, du mouvement à l’Institution en quelque sorte, ne tar<strong>de</strong>ra pas à<br />

s’opérer. Il prendra la forme d’une rupture, A la fin <strong>de</strong> 1921, Cathe Descroix réapparaît. A la<br />

stupéfaction <strong>de</strong> tous, elle désapprouve l’action menée en son absence. Elle reproche notamment la<br />

laï cité d<strong>ans</strong> laquelle “Chez nous” s’est engagée. Pour elle, “il faut avoir le souci constant <strong>de</strong> se<br />

conduire en parfaits chrétiens et en parfaits démocrates ... fidèles au serment <strong>de</strong> vivre pour la gloire<br />

du Christ et pour le bien du peuple” 2 .<br />

Pour André Lefèvre, Marguerite Walther et les autres, pour ces chrétiens, y compris pour l’abbé<br />

Viollet, aumônier du groupe, un autre cheminement a été accompli pendant et peut-être à cause <strong>de</strong><br />

la guerre :<br />

“Si nous faisons toutes ces choses (mettre le Christ d<strong>ans</strong> la salle du cercle, faire la prière à<br />

haute voix et dire le Bénédicité avant le repas en colonie <strong>de</strong> vacances), notre tendance est<br />

confessionnelle. Si nous voulons être neutres, il faut supprimer tout cela. Il y a tout un travail<br />

moral, social, syndicaliste que nous <strong>de</strong>vons faire avec tous et pour tous quelles que soient<br />

leurs opinions religieuses” [L’abbé Viollet, 19 mai 1919].<br />

“Après la guerre, <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s se sont rendu compte <strong>de</strong> la difficulté <strong>de</strong> l’éducation … Même<br />

le contact perpétuel <strong>de</strong>s bonnes âmes est impuissant à faire perdre <strong>de</strong> mauvaises habitu<strong>de</strong>s<br />

enracinées. Voyez le groupe d’éclaireurs mis en train et dirigé par <strong>de</strong>ux protestants et un libre<br />

penseur. Est-ce que pratiquement nous n’avons pas senti la possibilité, même la bienfaisance<br />

du travail ainsi réalisé en commun ? … Ce qui semble donc rester, c’est faire en effet <strong>de</strong><br />

l’éducation s<strong>ans</strong> vouloir faire <strong>de</strong> l’éducation chrétienne” [André Lefèvre, 5 avril 1921].<br />

“Nous voulons, n’est-ce pas, nous occuper d’éducation populaire et d’éducation à la<br />

démocratie. Eh bien commençons par être nous-mêmes organisés, nous-mêmes disciplinés,<br />

et au 30 octobre (date d’ouverture du cinéma <strong>de</strong> Chez nous) que pas un <strong>de</strong> nous ne manque !<br />

1 Voir photos d’archives retr<strong>ans</strong>crites d<strong>ans</strong> les Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n° 4, décembre 1980, p. 6.<br />

2 “Correspondance <strong>de</strong>s volontaires” in Marthe Levasseur, mère louve <strong>de</strong> la Mouffe, p. 5.


[Marguerite Walther, 30 septembre 1919] 1 .<br />

- 167 -<br />

D<strong>ans</strong> l’action, une autre conception éducative dite <strong>de</strong> “neutralité religieuse”, que bien plus tard on<br />

appellera “laï cité ouverte”, s’est élaborée, une conception éducative moins faite d’engagement<br />

idéologique que d’un pragmatisme au quotidien reposant sur <strong>de</strong>s valeurs communes : tolérance,<br />

respect <strong>de</strong>s opinions et <strong>de</strong>s engagements qui se confrontent, organisation et discipline<br />

collectivement choisis, le tout au service d’un projet éducatif et démocratique.<br />

A la différence <strong>de</strong> Cathe Descroix, Marguerite Walther et la majorité <strong>de</strong> l’équipe pensent que les<br />

sections du mouvement <strong>de</strong> Marc Sangnier sont “clairement orientées, que c’est autre chose mais<br />

que ça n’est pas leur travail” 2 . C’est donc la rupture. Au début <strong>de</strong> 1923, une nouvelle association est<br />

déclarée à la Préfecture <strong>de</strong> la Seine sous le nom <strong>de</strong> “Maison pour Tous”. Le “patron” (André Lefèvre)<br />

et “la patronne” (Marguerite Walther) restent à la tête <strong>de</strong> la Maison.<br />

Dès lors, la Maison pour tous fonctionnera selon <strong>de</strong>s principes relativement simples, ce qui<br />

n’exclut pas, bien au contraire, la multiplicité et la richesse <strong>de</strong> ses expériences. Principes et missions<br />

qui marqueront son histoire jusqu’à sa disparition du quartier Mouffetard à la fin <strong>de</strong>s années 70 et à<br />

“sa nouvelle greffe” 3 à Marcoussis :<br />

“Qu’est-ce qu’une Maison pour tous ? C’est une maison ouverte à tout le mon<strong>de</strong> : les enfants,<br />

les jeunes, les parents ; pas <strong>de</strong> ségrégation d’âge ou <strong>de</strong> race naturellement. Mais c’est aussi<br />

un centre social, une Maison <strong>de</strong> Jeunes et centre culturel qui constituent un bloc” 4 .<br />

Et Georges Bilbille, 67 <strong>ans</strong> plus tard, ne dit pas autre chose :<br />

“Cette maison reconnue d’utilité publique, d’abord appelée “Chez nous”, se présente d<strong>ans</strong> le<br />

quartier Mouffetard si agissante, si inventive, si particulière, dont l’imagination créative a<br />

continué jusqu’à son expropriation. Cette Maison, ne ressemblant à nulle autre, n’avait <strong>de</strong><br />

cesse que <strong>de</strong> faire profiter <strong>de</strong> ses expériences, s<strong>ans</strong> le moindre esprit <strong>de</strong> thésaurisation [...]<br />

quel que soit par ailleurs leur lieu d’implantation, qu’il s’agisse <strong>de</strong> centres éducatifs, <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>,<br />

<strong>de</strong> centres sociaux, <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong> prévention ou <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> la Culture ; la Mouffe a été la<br />

première à être tout cela …” 5 .<br />

Avec les réserves critiques qui s’imposent vis à vis <strong>de</strong> paroles <strong>de</strong> militants et professionnels<br />

engagés, on doit évi<strong>de</strong>mment faire le partage entre ce qui relève <strong>de</strong>s objectifs ou <strong>de</strong>s intentions, <strong>de</strong>s<br />

visions rétrospectives, et, finalement, <strong>de</strong>s reconstructions mythologisantes d’un part, et les faits<br />

d’autre part.<br />

Tout en sachant que l’engagement <strong>de</strong>s militants, leur vision <strong>de</strong> la réalité et la définition <strong>de</strong>s<br />

1 Marthe Levasseur, mère louve <strong>de</strong> la Mouffe, p. 5.<br />

2 Ibid. p. 6.<br />

3 Clau<strong>de</strong> Mollard, Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Maison à partir <strong>de</strong> 1978 (Marthe Levasseur…, p. 29).<br />

4 Marthe Levasseur. Extrait du rapport moral <strong>de</strong> 1924 (Marthe Levasseur…, p. 11).<br />

5 Le théâtre Mouffetard, p. 5.


- 168 -<br />

projets font partie <strong>de</strong>s faits, qu’en est-il <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> cette Maison pour tous Mouffetard jusqu'en<br />

1940 ?<br />

C’est d’abord une action importante en direction <strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong>s jeunes, qui vise à lutter contre<br />

l’enfermement d’un quartier misérable et s<strong>ans</strong> horizon. Ce sont <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> jeunes organisés<br />

selon les règles <strong>de</strong> la vie scoute, d’où l’on s’efforce déjà <strong>de</strong> chasser les relents militaristes et<br />

obsolètes. On y développe les camps volants, la découverte <strong>de</strong> la nature d<strong>ans</strong> toutes ses<br />

dimensions, en altitu<strong>de</strong> et en sous-sol, la rencontre avec <strong>de</strong>s jeunes d’autres pays. La mixité <strong>de</strong>s<br />

groupes est couramment pratiquée 1 . C’est également la colonie <strong>de</strong> vacances <strong>de</strong> Mont-Martin en<br />

Normandie qui fonctionne régulièrement sous la responsabilité <strong>de</strong> Marthe Levasseur. Les grands<br />

principes <strong>de</strong> ces différentes activités sont l’épanouissement <strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong>s jeunes, le bien-être<br />

physique et moral, l’acquisition <strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’hygiène, la responsabilité individuelle et collective,<br />

la discipline librement acceptée, tout cela <strong>de</strong>vant se réaliser “s<strong>ans</strong> laï us pédagogique mais en<br />

pratique ... s<strong>ans</strong> faire <strong>de</strong> la morale, s<strong>ans</strong> imposer <strong>de</strong>s règles sévères, s<strong>ans</strong> longues exhortations,<br />

mais par l’atmosphère <strong>de</strong> bien-être moral et d’harmonie” 2 . Les <strong>de</strong>ux principaux responsables <strong>de</strong> ce<br />

“secteur jeunes”, vraisemblablement le plus important <strong>de</strong> la Mouffe jusqu’en 1945, sont André<br />

Lefèvre (Vieux Castor), <strong>de</strong>venu le commissaire national <strong>de</strong>s Eclaireurs <strong>de</strong> France, et Marthe<br />

Levasseur (Mère Louve), nommée commissaire régionale <strong>de</strong>s Louveteaux et Eclaireurs <strong>de</strong> France 3 .<br />

L’action sociale est également importante. Marie Raimbault a ouvert un bar anti-alcoolique à<br />

l’intérieur <strong>de</strong> la Maison pour tous. Marthe Levasseur reconnait avec le recul 4 que “c’était une douce<br />

illusion”. Les ivrognes ne sont évi<strong>de</strong>mment pas venus mais, dit-elle, “si on n’a pas converti les<br />

ivrognes, on a appris à leurs enfants - ce qui était beaucoup plus important - à vivre autrement et<br />

surtout à boire autrement. Et je dois dire que nous avons eu là une certaine réussite” 5 .<br />

D<strong>ans</strong> le domaine social, la Mouffe organise une caisse <strong>de</strong>s loyers du V e arrondissement. Une<br />

<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> misère est le moment du terme rarement prévu au budget familial. Pour<br />

remédier à cela, toutes les familles peuvent chaque semaine venir verser une partie <strong>de</strong> leur terme.<br />

L’argent, qui rapporte, permet <strong>de</strong> payer les loyers et le cas échéant d’organiser la solidarité envers<br />

<strong>de</strong>s familles particulièrement nécessiteuses. On organise également <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> collecte <strong>de</strong><br />

1 “Tout était mis en oeuvre pour favoriser l’épanouissement. Nous étions traitées <strong>de</strong> la même façon<br />

que les garçons. D<strong>ans</strong> la vie courante, le sexe féminin était presque toujours dévalorisé ; à la Maison<br />

pour Tous, nous avions tous la même valeur” (Denise Lambert-Pigelet, dite Belette, in Marthe<br />

Levasseur…, p. 13).<br />

2 Textes divers in Marthe Levasseur…, p. 14 et 15. Ajoutons que la Maison pour tous recevra le<br />

2/1/1930 l’annonce officielle <strong>de</strong> sa reconnaissance d’Utilité Publique.<br />

3 Ce qui permet aux Éclaireurs et Éclaireuses <strong>de</strong> France d’affirmer qu’ils sont les fondateurs <strong>de</strong> la<br />

première <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> France (entretien avec Françoise Tétard, historienne au CNRS, spécialisée d<strong>ans</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse en France).<br />

4 Enregistrement vidéo <strong>de</strong> 1983.<br />

5 Enregistrement vidéo <strong>de</strong> 1983.


- 169 -<br />

vêtements et d’objets que l’on revend d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s bra<strong>de</strong>ries, ce qui permet à la fois <strong>de</strong> secourir<br />

les plus défavorisés et d’alimenter quelque peu la caisse <strong>de</strong> la Maison pour tous.<br />

Le restaurant, longtemps conçu comme une table familiale, accueille à la fois <strong>de</strong>s gens du<br />

quartier qui travaillent et <strong>de</strong>s étudiants. Les responsables <strong>de</strong> la Mouffe en mesurent rapi<strong>de</strong>ment<br />

l’intérêt pédagogique et culturel :<br />

“...On a eu immédiatement un public extrêmement intéressant parce qu’il était mélangé <strong>de</strong><br />

travailleurs manuels, d’étudiants et d’intellectuels. Et la table familiale a fonctionné <strong>de</strong> cette<br />

façon jusqu’en 1940” 1 .<br />

L’ouverture à tous, quelles que soient les origines <strong>de</strong> classe et le niveau <strong>de</strong> connaissance, et plus<br />

précisément le rêve <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong>s intellectuels et du peuple, prend corps pour ces militants <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire, même si vraisemblablement l’envergure <strong>de</strong> l’expérience reste mo<strong>de</strong>ste.<br />

En matière proprement culturelle, la Maison pour tous gère le cinéma, la bibliothèque et continue<br />

à organiser <strong>de</strong>s cercles d’étu<strong>de</strong>s sur <strong>de</strong>s questions souvent très pratiques : la vie sociale,<br />

l’apprentissage, les assurances, la solidarité. Mais c’est surtout après la <strong>de</strong>uxième guerre mondiale,<br />

notamment avec l’arrivée <strong>de</strong> Georges Bilbille, que la Mouffe prendra une ampleur culturelle<br />

considérable, tout en gardant sa dimension <strong>de</strong> structure d’éducation populaire, et cela jusqu’à sa<br />

disparition. Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s acteurs et créateurs, d<strong>ans</strong> les domaines les plus divers (théâtre<br />

surtout mais aussi cinéma, arts plastiques, musique, ch<strong>ans</strong>on, poésie), y feront leurs premiers pas 2 .<br />

Les grand intellectuels du moment, Sartre et Simone <strong>de</strong> Beauvoir entre autres, viendront y parler<br />

politique, littérature, condition féminine...<br />

Le principe <strong>de</strong> cette action culturelle est que la création est essentielle, et que chacun peut<br />

apprendre <strong>de</strong> tous :<br />

“Le cercle d’étu<strong>de</strong>s était ouvert à tout le mon<strong>de</strong>. Il a étudié <strong>de</strong>s problèmes politiques, littéraires,<br />

notamment la condition féminine avec Simone <strong>de</strong> Beauvoir. Notre ami Jacques Bador, qui était<br />

en 1947 secrétaire du Ministre <strong>de</strong> la Reconstruction Claudius Petit, vint nous parler du rôle du<br />

chef <strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> ministre. On peut dire aussi que la parole était donnée à chacun pour<br />

présenter son métier, son intérêt, ses difficultés” 3 .<br />

Mais d<strong>ans</strong> le même temps, les soeurs Levasseur continuent à organiser camps d’été et colonies<br />

<strong>de</strong> vacances.<br />

Pendant la pério<strong>de</strong> d’avant 1940, d’où vient l’argent ? Sur un budget <strong>de</strong> 29.700 F (année 1922,<br />

vraisemblablement au moment où Ronald Seydoux prend la trésorerie), la participation <strong>de</strong>s<br />

cotisations et <strong>de</strong>s familles représente seulement 8.700 F, les dons et les concerts 21.000 F. Le<br />

travail <strong>de</strong>s bénévoles est considérable ainsi que l’apport <strong>de</strong>s membres fondateurs et <strong>de</strong> quelque 200<br />

1 Enregistrement vidéo <strong>de</strong> 1983.<br />

2 Voir pour cela le témoignage <strong>de</strong> G. Bilbille (Le théâtre Mouffetard).<br />

3 Marthe Levasseur…, p. 11.


- 170 -<br />

membres donateurs, qui participent pour <strong>de</strong>s sommes moindres et variables. Il faudra attendre 1945<br />

pour qu’interviennent <strong>de</strong>s financements publics et externes d<strong>ans</strong> une proportion approchant les 50%<br />

du budget 1 .<br />

2 - L’expérience <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong>s Jeunesse<br />

Nous n’avons pas, là non plus, la prétention <strong>de</strong> faire l’histoire - elle aussi particulièrement agitée -<br />

<strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, mais <strong>de</strong> repérer, en nous méfiant <strong>de</strong>s illusions rétrospectives, les<br />

éléments relevant à la fois <strong>de</strong> l’esprit 2 et <strong>de</strong>s pratiques qui, selon nous, balisent le chemin conduisant<br />

aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Nous nous y sentons d’autant mieux autorisé que la<br />

première véritable définition <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se fera par rapport aux “auberges” 3 et que d’anciens Ajistes<br />

jouent un rôle important d<strong>ans</strong> la création <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> 4<br />

Au-<strong>de</strong>là du rôle déterminant, là aussi, <strong>de</strong> Marc Sangnier qui crée la première auberge <strong>de</strong><br />

jeunesse “française” à Bierville en 1930, puis la “Ligue Française <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> la Jeunesse” en<br />

1933, quelques liens généalogiques entre l’expérience <strong>de</strong>s auberges et celle <strong>de</strong>s futures <strong>MJC</strong> nous<br />

semblent bien réels.<br />

D’abord une préoccupation déterminante pour la jeunesse, la reconnaissance <strong>de</strong> cette classe<br />

d’âge, <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité, <strong>de</strong> son importance, <strong>de</strong> l’enjeu social, culturel, économique, et surtout politique,<br />

qu’elle représente dès les années 30, préoccupation et conscience <strong>de</strong>s enjeux qui, d<strong>ans</strong> cette<br />

pério<strong>de</strong> s’exprimeront d’une manière claire, percutante et contradictoire d<strong>ans</strong> le champ politique,<br />

avec toutes les répercussions facilement repérables d<strong>ans</strong> les auberges elles-mêmes. Il serait long et<br />

hors <strong>de</strong> notre propos <strong>de</strong> relater les faits d<strong>ans</strong> toutes leurs dimensions, notamment d<strong>ans</strong> l’Allemagne<br />

et la France <strong>de</strong>s années 30. On peut se contenter <strong>de</strong> rappeler les déclarations <strong>de</strong> Léo Lagrange dont<br />

le soutien a permis le fulgurant développement <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse 5 :<br />

“Nous voulons que croissent et se multiplient les Auberges <strong>de</strong> Jeunesse. Non seulement pour<br />

offrir aux nouvelles générations <strong>de</strong>s hôtels à bon marché, mais pour que d<strong>ans</strong> chaque auberge<br />

se crée un foyer <strong>de</strong> vie collective où le jeune intellectuel et le jeune ouvrier, la jeune dactylo et<br />

1 “L’ai<strong>de</strong> considérable que nous apportèrent la Caisse d’Allocations Familiales et la Fédération <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture en prenant en charge les salaires <strong>de</strong>s directeurs ou directrices<br />

nécessaires fut déterminante pour notre équilibre financier” Fernand Bouteille (in Marthe<br />

Levasseur…, p. 16).<br />

2 Pour les <strong>MJC</strong> comme pour les Auberge <strong>de</strong> Jeunesse, nous préférons parler “d’esprit”, <strong>de</strong> “climat”, <strong>de</strong><br />

“culture”, voire “d’idéologie” que <strong>de</strong> doctrine.<br />

3 Jean Rous : “La Maison <strong>de</strong> Jeunes”, Esprit n° 11, octobre 1945. Texte essentiel sur lequel nous<br />

reviendrons longuement.<br />

4 Jean et Germaine Bellec par exemple.<br />

5 En 1939, il y aurait 900 auberges <strong>de</strong> jeunesse en France fréquentées par <strong>60</strong>.000 jeunes, souvent<br />

organisés en clubs ou en groupes d’usagers.


- 171 -<br />

la jeune paysanne forgeront cette unité morale <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> notre pays et du mon<strong>de</strong> s<strong>ans</strong><br />

laquelle il n’y a pas <strong>de</strong> salut possible. Notre ambition commune est <strong>de</strong> sauver les valeurs<br />

spirituelles du mon<strong>de</strong> et pour cela nous comptons spécialement sur le jeunesse, cette réserve<br />

d’or <strong>de</strong>s nations, parce qu’elle a profondément le sentiment <strong>de</strong> l’amitié et <strong>de</strong> l’amour” 1 .<br />

Ce texte, saturé <strong>de</strong> sens, est en effet très significatif à la fois <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong>s auberges et <strong>de</strong> l’enjeu<br />

socio-politique que représente la jeunesse, d<strong>ans</strong> cette pério<strong>de</strong>, mais aussi d<strong>ans</strong> les contextes très<br />

différents qui vont suivre et marquer l’émergence véritable <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes puis <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture (1940, 1944 puis 1947).<br />

Cet esprit particulier, c’est d’abord une pédagogie très pratique, et non un enseignement<br />

livresque et théorique, <strong>de</strong> l’autonomie <strong>de</strong>s jeunes, <strong>de</strong> la vie collective et sociale selon <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong><br />

démocratie, <strong>de</strong> fraternité, <strong>de</strong> tolérance, <strong>de</strong> rencontre, <strong>de</strong> mixité, où les structures, la hiérarchie sont<br />

réduites au minimum 2 . Cet esprit se réalise concrètement d<strong>ans</strong> la gestion collective du quotidien,<br />

d<strong>ans</strong> une expression culturelle et sportive spécifique <strong>de</strong>s jeunes ajistes et d<strong>ans</strong> l’organisation <strong>de</strong><br />

clubs et groupes d’usagers. De là il est facile d’établir un lien avec les conseils <strong>de</strong> maison, conseils<br />

<strong>de</strong> jeunes et assemblées générales d’adhérents et usagers qui caractériseront l’expérience <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>.<br />

Autre élément essentiel <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong>s auberges, que l’on retrouvera d<strong>ans</strong> les pratiques, ou du<br />

moins le projet, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : la rencontre au niveau <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong>s différentes classes sociales (“le<br />

jeune intellectuel et le jeune ouvrier, la jeune dactylo et la jeune paysanne...”). De ce point <strong>de</strong> vue-là,<br />

les auberges, et plus tard les <strong>MJC</strong>, enten<strong>de</strong>nt se démarquer <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse construits<br />

selon <strong>de</strong>s repères sociaux ou idéologiques précis, dont les plus beaux exemples sont la Jeunesse<br />

Ouvrière Chrétienne, la Jeunesse Agricole Chrétienne et la Jeunesse Etudiante Chrétienne, mais<br />

aussi les jeunesses communistes, les jeunesses socialistes.<br />

D<strong>ans</strong> le même temps, les préoccupations du politique en matière <strong>de</strong> jeunesse apparaissent<br />

clairement et pour <strong>de</strong> longues années. Il s’agit - d’abord pour Léo Lagrange et plus tard pour le<br />

gouvernement <strong>de</strong> Vichy, certes avec un projet <strong>de</strong> société très différent - <strong>de</strong> “forger une unité morale<br />

<strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> notre pays et du mon<strong>de</strong>, s<strong>ans</strong> laquelle il n’y a pas <strong>de</strong> salut possible” 3 . Ainsi c’est<br />

l’intervention <strong>de</strong> l’Etat qui permettra, aussi bien pour les Auberges <strong>de</strong> Jeunesse en 1936 que pour les<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes en 1940 puis en 1944 et surtout à partir <strong>de</strong> 1959, <strong>de</strong> développer une politique <strong>de</strong><br />

la jeunesse appuyée sur ce type <strong>de</strong> structures, ce qui ne veut pas dire pour autant que ni les unes ni<br />

1 Sixième conférence internationale <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse en 1937 (cité par P. Gaudibert in<br />

Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 32, p. 79).<br />

2 Pierre Gaudibert parle même d’expérience d’autogestion <strong>de</strong> la jeunesse et établit un lien entre l’esprit<br />

<strong>de</strong>s auberges <strong>de</strong> 1930 et le mouvement étudiant <strong>de</strong> 1968 (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 32 ).<br />

3 Léo Lagrange. Texte déjà cité qui pourrait s’appliquer aux projets politiques les plus opposés : le<br />

Front Populaire, la Révolution nationale vichyste et le projet du Conseil national <strong>de</strong> la Résistance (ce<br />

qui peut expliquer aujourd’hui le malaise que crée le terme même <strong>de</strong> “politique <strong>de</strong> la jeunesse”).


- 172 -<br />

les autres aient été, compte tenu <strong>de</strong> leur organisation et <strong>de</strong> leur esprit, inféodées aux décisions et à<br />

l’autorité <strong>de</strong> l’Etat.<br />

Autres éléments comparables, et ceux-là plus prosaï ques, entre les Auberges <strong>de</strong> Jeunesse et<br />

les futures Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture : d’une part une action éducative en direction <strong>de</strong>s<br />

jeunes appuyée sur un équipement, d’autre part la présence <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>viendra rapi<strong>de</strong>ment un<br />

permanent, voire un professionnel attaché à la gestion et à l’animation <strong>de</strong> cet équipement (le père<br />

aubergiste pour les auberges <strong>de</strong> jeunesse, le chef puis le directeur pour les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et à<br />

leur suite les <strong>MJC</strong>).<br />

3 - “L’effet 36”<br />

En matière <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>s actions en direction <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> la culture, on accor<strong>de</strong><br />

généralement un rôle considérable au Front populaire, à ses choix et à ses hommes. Les écrits sur<br />

cette question sont nombreux 1 et il ne nous appartient pas ici <strong>de</strong> juger globalement “l’effet 36” d<strong>ans</strong> le<br />

secteur qui nous concerne comme d<strong>ans</strong> d’autres.<br />

S’agissant <strong>de</strong> ce qui peut préfigurer les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, nous nous<br />

contenterons <strong>de</strong> signaler quelques faits et initiatives, significatifs et déterminants pour l’avenir.<br />

La Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement - il s’agit là d’une initiative associative <strong>de</strong> terrain pourrait-on dire - se<br />

mobilise sur le projet <strong>de</strong> “foyer rural”. L’implantation <strong>de</strong> ce mouvement, dont les conceptions sont très<br />

proches <strong>de</strong> celles du Front populaire, lui permet d’avancer l’idée d’une nouvelle Institution appuyée<br />

sur un équipement qui, d<strong>ans</strong> chaque commune, viendrait animer et gérer la vie collective après<br />

l’Eglise, la Mairie et l’Ecole. L’exposition <strong>de</strong> 1937 sera l’occasion pour la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement <strong>de</strong><br />

présenter un modèle <strong>de</strong> foyer rural, initiative qui n’aura pas immédiatement <strong>de</strong> suite, en raison<br />

vraisemblablement <strong>de</strong> la fin du front populaire et <strong>de</strong> l’arrivée <strong>de</strong> la guerre.<br />

Autre expérience significative : la première Maison <strong>de</strong> la Culture créée en 1935 par André<br />

Malraux mobilise <strong>de</strong>s intellectuels qui enten<strong>de</strong>nt s’adresser au peuple et ouvrir les portes <strong>de</strong> la<br />

culture, jusqu’alors réservée à une élite <strong>de</strong> privilégiés. Cette organisation, semble-t-il très liée au<br />

Parti communiste 2 , à sa nouvelle conception unanimiste et patrimoniale <strong>de</strong> la Culture, va essaimer<br />

1 Parmi bien d’autres, le livre <strong>de</strong> Benigno Cacérès : Allons au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la vie. La naissance du temps<br />

<strong>de</strong>s loisirs en 1936, Maspéro, 1981, permet une approche facile et concrète <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>.<br />

2 Le Parti communiste a joué un rôle considérable d<strong>ans</strong> le développement <strong>de</strong> l’action culturelle en<br />

France, aussi bien d<strong>ans</strong> les conceptions que d<strong>ans</strong> la pratique. Il semble qu’à partir <strong>de</strong> 1934, le PCF<br />

passe d’une conception “culture <strong>de</strong> classe” à une conception “culture patrimoniale et unanimiste”<br />

qu’il s’agirait <strong>de</strong> faire partager à tous et prioritairement à ceux qui n’y accè<strong>de</strong>nt pas facilement. Ainsi<br />

les conceptions d’un Malraux, y compris à partir <strong>de</strong> 1959, et celles du PCF ne sont-elles pas si<br />

éloignées, à tel point que l’on peut dire que les communistes et les gaullistes se retrouvent à ce<br />

moment-là sur <strong>de</strong>ux terrains : la politique étrangère <strong>de</strong> la France et la Culture.<br />

Sur cette question du Parti communiste et <strong>de</strong> la culture on peut citer quelques textes : Pascal Ory<br />

(L’action culturelle du Front populaire. Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 32), Marc Lazar (Le parti<br />

communiste et la culture. Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57/58), et Roland Leroy (La culture au présent,<br />

Éditions Sociales, 1972).


- 173 -<br />

en France et même en Algérie. Albert Camus crée la Maison <strong>de</strong> la Culture d’Alger. La Maison <strong>de</strong> la<br />

Culture <strong>de</strong> la rue Navarin, puis <strong>de</strong> la rue d’Anjou, donnera naissance à un certain nombre<br />

d’associations qui tenteront <strong>de</strong> “populariser” - aujourd’hui on dirait “démocratiser” - la culture 1 . Même<br />

si l’émergence et le développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes puis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture sont plus liés à une problématique <strong>de</strong> la jeunesse que <strong>de</strong> la culture, il nous apparaît<br />

important <strong>de</strong> faire état <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> ces premières expériences <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture, ne<br />

serait-ce qu’à cause <strong>de</strong>s confusions qui existent, d<strong>ans</strong> les esprits et d<strong>ans</strong> les pratiques même, entre<br />

ces <strong>de</strong>ux institutions 2 .<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces intentions et <strong>de</strong> ces expériences qui connaîtront d<strong>ans</strong> le temps court <strong>de</strong> l’après 36<br />

un développement mo<strong>de</strong>ste, ce qui nous parait beaucoup plus déterminant pour l’avenir, c’est la<br />

nouvelle attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat, même si d<strong>ans</strong> l’immédiat il y a peu <strong>de</strong> réalisations concrètes, du moins<br />

pour ce qui concerne directement notre objet.<br />

Déjà le 21 avril 1919 <strong>de</strong>vant le congrès national extraordinaire du parti socialiste réuni à<br />

Strasbourg, Léon Blum disait 3 :<br />

“J’aurais été tenté d’insister également sur l’organisation du loisir. C’est un point qui a une<br />

gran<strong>de</strong> importance. Car je ne crois que ni la révolution, ni l’état intermédiaire qui la prépare et<br />

en rapprochera le moment, doivent avoir uniquement pour objet <strong>de</strong> procurer au prolétariat un<br />

bien-être matériel. Le prolétariat, qui est la force agissante du mon<strong>de</strong> par son travail, a droit, si<br />

je puis dire, à toutes les fleurs que ce travail fait naître, à toutes jouissances <strong>de</strong> la culture, à<br />

toutes les jouissances <strong>de</strong> l’art. C’est un problème capital.”<br />

Et Léo Lagrange précise le 10 juin 1936 à l’émission “la voix <strong>de</strong> Paris” 4 :<br />

“Nous allons attaquer <strong>de</strong> front tous ces problèmes. Nous ne voulons pas que notre action ait<br />

pour seul objet <strong>de</strong> mettre d<strong>ans</strong> les mains <strong>de</strong> nos jeunes un fusil.<br />

C’est en messager <strong>de</strong> vie et non pas <strong>de</strong> mort que nous voulons nous présenter. D’ailleurs, je<br />

Il nous appartiendra également <strong>de</strong> saisir l’influence <strong>de</strong>s communistes d<strong>ans</strong> l’éducation populaire et<br />

notamment à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

1 Sur la question <strong>de</strong>s premières expériences <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> la Culture, nous n’avons pas fait <strong>de</strong><br />

recherche particulière. Nous nous appuyons sur les informations communiquées par Pascal Ory et<br />

Raymond Labourie (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 32).<br />

2 Quelques éléments très éloignés les uns <strong>de</strong>s autres d<strong>ans</strong> le temps sont très significatifs <strong>de</strong> ce que<br />

nous pourrions appeler un télescopage d<strong>ans</strong> les esprits et sur le terrain entre Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture d’un côté, et Maisons <strong>de</strong> la Culture ou Centres culturels divers <strong>de</strong> l’autre : la circulaire<br />

du 13/11/44, le courrier d’André Malraux <strong>de</strong> 1959 <strong>de</strong>mandant à la FF<strong>MJC</strong> d’abandonner le mot<br />

culture, l’émission <strong>de</strong> France Culture <strong>de</strong> 1990 que nous avons déjà citée. Il est vrai que d<strong>ans</strong> <strong>de</strong><br />

nombreuses villes, les <strong>MJC</strong> sont amenées à remplir les fonctions <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> la Culture ou <strong>de</strong><br />

Centres d’action culturelle inexistants.<br />

3 Cité par José Baldizzone (De l’éducation populaire à l’animation globale, Éditions <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement, non daté).<br />

4 Cité par Eugène Rand et Gilbert Prouteau (Le message <strong>de</strong> Léo Lagrange, Éditions la Compagnie du<br />

Livre, Paris, 1950, p. 117).


- 174 -<br />

suis sûr qu’en agissant ainsi nous servirons à la fois les intérêts permanents et solidaires <strong>de</strong> la<br />

civilisation et <strong>de</strong> notre pays...<br />

Nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons aux athlètes déjà couronnés par la gloire sportive <strong>de</strong> ne point oublier que<br />

leur mission n’aura un sens réel que le jour où ils seront <strong>de</strong>venus les animateurs d’une<br />

jeunesse pour laquelle, selon la forte parole <strong>de</strong> l’écrivain André Malraux, aura cessé le temps<br />

du mépris.<br />

La semaine <strong>de</strong> quarante heures, les congés payés, l’accession <strong>de</strong> la classe ouvrière et <strong>de</strong>s<br />

masses populaires <strong>de</strong> notre pays à une vie que le travail n’absorbera pas intégralement, pose<br />

<strong>de</strong>vant nous le problème <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong>s loisirs.<br />

Loisirs sportifs, loisirs touristiques, loisirs culturels où doivent s’associer et se compléter les<br />

joies du sta<strong>de</strong>, les joies <strong>de</strong> la promena<strong>de</strong>, du camping et du voyage et les joies <strong>de</strong>s spectacles<br />

et <strong>de</strong>s fêtes.<br />

Nous voulons que l’ouvrier, le paysan et le chômeur trouvent d<strong>ans</strong> le loisir la joie <strong>de</strong> vivre et le<br />

sens <strong>de</strong> leur dignité.<br />

Pour mettre <strong>de</strong>bout cette oeuvre immense, pour l’animer du souffle puissant <strong>de</strong> la vie<br />

populaire, je compte sur la collaboration active <strong>de</strong> toutes les organisations qui existent et<br />

notamment sur celle <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> la classe ouvrière.<br />

Je compte surtout sur le concours <strong>de</strong> la jeunesse elle-même pour créer avec elle les<br />

instruments <strong>de</strong> sa force, <strong>de</strong> sa santé, <strong>de</strong> sa joie.”<br />

Il ébauche un projet <strong>de</strong> club <strong>de</strong> loisirs :<br />

“Il faut une salle ; point n’est besoin qu’elle soit gran<strong>de</strong>, mais elle doit être ouverte à <strong>de</strong>s<br />

heures régulières, aménagée et gérée par les usagers eux-mêmes. Des tables pour jouer et<br />

pour lire ; une radio, un phonographe, une table <strong>de</strong> ping-pong ; un billard au besoin.<br />

Au club on viendra d’abord pour lire, pour se distraire, pour jouer, pour réunir la chorale, pour<br />

préparer une fête, pour organiser la sortie du dimanche, les vacances heureuses. On y viendra<br />

ensuite pour échanger s<strong>ans</strong> contrainte les fruits <strong>de</strong>s expériences différentes. Le mineur,<br />

l’artisan, le maçon, l’employé, l’instituteur, le paysan sentiront ainsi, peu à peu, plus profon<strong>de</strong><br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s techniques, l’unité du travail humain.<br />

Le Club organisera <strong>de</strong>s conférences ; <strong>de</strong>s visites <strong>de</strong> musées, <strong>de</strong>s visites d’usines. Il sera le<br />

protecteur bienveillant, naturel <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> la Jeunesse dont ses jeunes adhérents seront<br />

les hôtes, et l’animateur nécessaire d’une vie sportive ouverte aux masses populaires <strong>de</strong> notre<br />

pays.<br />

Le Club <strong>de</strong>s Loisirs sera bientôt, à mon sens, aussi nécessaire aux travailleurs que le Syndicat<br />

lui-même dont il doit être le complément.<br />

Mais il serait détourné <strong>de</strong> son rôle, il mériterait un rapi<strong>de</strong> échec s’il <strong>de</strong>venait une sorte <strong>de</strong><br />

patronage pour adultes recherchant un équilibre savant entre la pédagogie et la bienfaisance<br />

pour préparer une insipi<strong>de</strong> corvée <strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> culture.<br />

Ce Club <strong>de</strong>s Loisirs ne doit vivre qu’en étant une manifestation nouvelle <strong>de</strong> la maturité sociale


- 175 -<br />

<strong>de</strong>s masses populaires. C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il appartient <strong>de</strong> le créer, <strong>de</strong> le<br />

diriger, <strong>de</strong> le faire vivre s<strong>ans</strong> contrainte sinon s<strong>ans</strong> appui.<br />

Et l’Etat remplira son rôle en suscitant les initiatives, en aidant les bonnes volontés, en<br />

coordonnant les efforts.<br />

La joie ne s’impose pas, elle s’acquiert et elle se mérite.<br />

Le Club <strong>de</strong>s Loisirs sera pour l’ouvrier, le paysan, le chômeur un moyen nouveau d’acquérir la<br />

joie et <strong>de</strong> conquérir la dignité.<br />

Il n’y a rien <strong>de</strong> plus spontané que la joie. Elle n’existe pas lorsqu’elle est créée, imposée<br />

artificiellement, lorsqu’au lieu <strong>de</strong> s’épanouir librement, la personnalité <strong>de</strong>s jeunes doit prendre<br />

un moule déterminé par le Gouvernement. Et l’unification n’est-elle pas contraire à la liberté, à<br />

la dignité humaine ? C’est pourquoi je suis opposé à une politique <strong>de</strong> loisirs dirigés. Il faut<br />

mettre à la disposition <strong>de</strong>s masses toutes les espèces <strong>de</strong> loisirs. Que chacun choisisse pour<br />

soi. Aux jeunes il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes.<br />

Mon objectif politique … c’est <strong>de</strong> rapprocher les différents éléments <strong>de</strong> la jeunesse, le jeune<br />

ouvrier <strong>de</strong>s jeunes intellectuels, le jeune paysan du jeune ouvrier. A l’heure actuelle, entre eux<br />

existe un mur invisible : ils ne se connaissent pas ; ils ne se comprennent pas.<br />

Les rapprocher d<strong>ans</strong> les Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, les faire se rencontrer sur les mêmes sta<strong>de</strong>s,<br />

les associer aux mêmes jeux, aux mêmes représentations populaires, c’est les amener peu à<br />

peu à se comprendre, à se connaître, à constater leurs différences, mais aussi découvrir leurs<br />

similitu<strong>de</strong>s et leurs affinités. Le jour où les différentes parties <strong>de</strong> la jeunesse auront pris<br />

contact, chacune d’entre elles pourra prendre une route différente ; pourtant entre elles il n’en<br />

restera pas moins <strong>de</strong>s liens assez forts pour que ces différentes parties conservent les unes<br />

vis à vis <strong>de</strong>s autres l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sympathie et respect nécessaire au fair play, au jeu libre et<br />

équitable <strong>de</strong> la démocratie.”<br />

Ces déclarations appellent quelques remarques.<br />

L’intervention <strong>de</strong> Léon Blum en 1919 et les projets <strong>de</strong> Léo Lagrange en 1936 ne sont évi<strong>de</strong>mment<br />

pas à mettre sur le même plan. D<strong>ans</strong> le premier cas, c’est le militant socialiste révolutionnaire qui<br />

parle, d<strong>ans</strong> le <strong>de</strong>uxième cas, c’est le Sous-secrétaire d’Etat à la Jeunesse aux Sports et aux Loisirs<br />

qui s’exprime au nom d’un gouvernement <strong>de</strong> Front populaire dirigé par l’ancien militant socialiste<br />

révolutionnaire. Il y a cependant <strong>de</strong>s lignes d’action communes. Il s’agit, d’une part pour le parti <strong>de</strong> la<br />

classe ouvrière, d’autre part pour l’Etat et son gouvernement <strong>de</strong> Front populaire, <strong>de</strong> prendre en<br />

charge l’organisation d’un secteur nouveau : les loisirs sportifs, touristiques, artistiques et culturels et<br />

non plus seulement le bien-être matériel du peuple et plus particulièrement du prolétariat.<br />

Le fait déterminant, décisif pour une longue durée, et que l’on peut dater <strong>de</strong> 1936, est<br />

l’intervention <strong>de</strong> l’Etat d<strong>ans</strong> un domaine qui jusque là ne semblait relever que <strong>de</strong> l’initiative privée,<br />

voire même <strong>de</strong>s choix intimes <strong>de</strong>s individus ; c’est la dimension politique donnée aux loisirs comme<br />

moyens <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la société ; c’est l’intervention prioritaire en direction <strong>de</strong>s jeunes qui<br />

portent les espoirs <strong>de</strong> la nouvelle société <strong>de</strong> <strong>de</strong>main. Ainsi commence à se construire une logique <strong>de</strong>


- 176 -<br />

concepts et <strong>de</strong> structures hybri<strong>de</strong>s qui associent pour une longue durée une génération prioritaire (la<br />

jeunesse) avec <strong>de</strong>s pratiques et <strong>de</strong>s contenus : jeunesse/sports et loisirs en 1936, jeunesse et<br />

culture, jeunesse, culture et éducation populaire, jeunesse et sports à partir <strong>de</strong> 1944. A partir <strong>de</strong><br />

1936 le secteur <strong>de</strong> la jeunesse, <strong>de</strong> la culture, <strong>de</strong>s loisirs et du sport, le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s structures,<br />

mouvements ou institutions qui l’animent, seront indissociablement liés à l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat.<br />

En effet, déjà en 1936, l’Etat, pour mener à bien sa politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong>s loisirs,<br />

s’appuie sur la collaboration active <strong>de</strong>s organisations existantes, celles <strong>de</strong> classe ouvrière et celles<br />

<strong>de</strong> la jeunesse, autrement dit les organisations qui portent prioritairement les aspirations <strong>de</strong>s jeunes<br />

et <strong>de</strong>s ouvriers. L’Etat se fait à la fois coordonnateur et soutien <strong>de</strong>s forces organisées existantes,<br />

incitateur, voire instigateur plus qu’organisateur autoritaire 1 , ce qu’il <strong>de</strong>viendra plus tard, d<strong>ans</strong> un<br />

autre contexte avec un autre gouvernement, à partir <strong>de</strong> 1940.<br />

S’agissant plus particulièrement <strong>de</strong> ce qui <strong>de</strong>viendra les Maisons <strong>de</strong> Jeunes puis les Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, on ne peut nier que le Club <strong>de</strong>s Loisirs imaginé par Léo Lagrange en soit<br />

une préfiguration qu’il s’agirait <strong>de</strong> réaliser à gran<strong>de</strong> échelle.<br />

D’abord d<strong>ans</strong> son projet : la rencontre, d<strong>ans</strong> le respect <strong>de</strong>s différences, <strong>de</strong> toutes les<br />

composantes actives qui font le peuple laborieux : “Mon objectif politique ... c’est <strong>de</strong> rapprocher les<br />

différents éléments <strong>de</strong> la jeunesse, le jeune ouvrier <strong>de</strong>s jeunes intellectuels, le jeune paysan du<br />

jeune ouvrier”.<br />

Ensuite d<strong>ans</strong> son infrastructure et ses activités. Le Club <strong>de</strong>s Loisirs est un lieu, une salle, pas<br />

forcément très gran<strong>de</strong> mais ouverte à <strong>de</strong>s heures régulières, où l’on vient “pour lire, pour se distraire,<br />

pour jouer, pour réunir la chorale, pour préparer une fête, pour organiser la sortie du dimanche, les<br />

vacances heureuses ... pour échanger s<strong>ans</strong> contrainte les fruits <strong>de</strong>s expériences différentes”. Le<br />

Club <strong>de</strong>s Loisirs doit organiser <strong>de</strong>s conférences, <strong>de</strong>s visites <strong>de</strong> musées, <strong>de</strong>s visites d’usines. Il est le<br />

complément <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> jeunesse dont il est le protecteur bienveillant, du syndicat ; il est<br />

“l’animateur d’une vie sportive ouverte aux masses populaires”.<br />

Enfin d<strong>ans</strong> sa gestion et son fonctionnement, le centre <strong>de</strong> loisirs doit être aménagé et géré par les<br />

usagers eux-mêmes. “C’est aux travailleurs eux-mêmes qu’il appartient <strong>de</strong> le créer, <strong>de</strong> le diriger, <strong>de</strong><br />

le faire vivre s<strong>ans</strong> contrainte sinon s<strong>ans</strong> appui”. Le seul rôle <strong>de</strong> l’Etat est <strong>de</strong> “susciter les initiatives,<br />

en aidant les bonnes volontés, en coordonnant les efforts”.<br />

La joie d<strong>ans</strong> sa spontanéité, l’épanouissement libre <strong>de</strong> la personnalité <strong>de</strong>s jeunes, la dignité<br />

humaine, le choix, après confrontation <strong>de</strong> routes différentes, le “jeu libre et équitable <strong>de</strong> la<br />

démocratie” interdisent “une politique <strong>de</strong> loisirs dirigés” et l’application “d’un moule déterminé par le<br />

1 Pascal Ory (L’action culturelle du Front populaire) rappelle à ce sujet que “le grand argument <strong>de</strong><br />

l’opposition <strong>de</strong> droite était <strong>de</strong> dire, on s’en doute, que le gouvernement voulait embriga<strong>de</strong>r la<br />

jeunesse, mettre au pas ce qui est par excellence le domaine <strong>de</strong> la gratuité, du désintéressement”,<br />

critique qui ne manque ni d’intérêt ni <strong>de</strong> sel très amer en comparaison avec ce qui se passera quatre<br />

années plus tard.


- 177 -<br />

Gouvernement” 1 . La plupart <strong>de</strong>s principes, <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong>s pratiques pédagogiques qui fon<strong>de</strong>ront<br />

les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes en 1944, puis en 1948 à la création <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, sont déjà présents d<strong>ans</strong><br />

le projet <strong>de</strong>s clubs <strong>de</strong> loisirs <strong>de</strong> Léo Lagrange en 1936.<br />

L’“unification <strong>de</strong> la jeunesse”, “contraire à la liberté et à la dignité humaine”, n’est pas l’objectif <strong>de</strong><br />

la politique <strong>de</strong> la jeunesse du Front populaire, malgré ce que certains détracteurs affirment à ce<br />

moment-là.<br />

Par contre “l’enrégimentation <strong>de</strong> la jeunesse” 2 , la tentation et même la tentative <strong>de</strong> créer une<br />

jeunesse unifiée, voire même unique, caractériseront la politique du gouvernement <strong>de</strong> Vichy qui se<br />

met en place à partir <strong>de</strong> l’été 1940.<br />

1 Ce qui est totalement nouveau, c’est que ce projet libéral d’organisation <strong>de</strong>s loisirs et <strong>de</strong> politique <strong>de</strong><br />

la jeunesse est défini d<strong>ans</strong> ses gran<strong>de</strong>s lignes par l’État lui-même.<br />

2 Comme le dit Wilfred D. Halls d<strong>ans</strong> Les jeunes et la politique <strong>de</strong> Vichy (Éditions Syros, Alternatives,<br />

octobre 1988).


- 179 -<br />

CHAPITRE - II -<br />

LES MAISONS DES JEUNES SOUS VICHY<br />

“...il est impossible d<strong>ans</strong> l’affaire qui<br />

nous occupe <strong>de</strong> remonter à l’envers<br />

le film <strong>de</strong> l’évolution et à plus forte<br />

raison <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une coupure<br />

correspondant à celle <strong>de</strong>s années<br />

qui nous plaisent le moins”. Fenêtre<br />

ouverte n° 20, juillet 1944.<br />

Bien <strong>de</strong>s travaux, y compris les plus sérieux, portant sur les questions <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation<br />

populaire pendant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Vichy ne concernent que d’une manière très marginale la création et<br />

le développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes pendant cette pério<strong>de</strong>.<br />

Le numéro 49-50 <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> l’Animation, publié en avril 1985, (Education populaire -<br />

Jeunesse d<strong>ans</strong> la France <strong>de</strong> Vichy - 1940-44) 1 , ne consacre aucun article ni débat à l’émergence <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes, même si par ailleurs les indications chronologiques <strong>de</strong> Raymond Labourie font<br />

clairement état <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> ce dispositif essentiel d<strong>ans</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> Vichy. Par<br />

ailleurs, l’important travail <strong>de</strong> Wilfred D. Halls (Les jeunes et la politique <strong>de</strong> Vichy) ne consacre que<br />

quelques lignes aux Maisons <strong>de</strong> Jeunes 2 sur les 500 pages que contient l’ouvrage. Seul Bernard<br />

Comte (Une utopie combattante - L’école <strong>de</strong>s cadres d’Uriage 1940-42) 3 revient à 17 reprises sur les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. Mais sa bibliographie, pourtant particulièrement consistante, ne signale aucune<br />

étu<strong>de</strong> spécifique sur les maisons <strong>de</strong> jeunes sous Vichy.<br />

Les Maisons <strong>de</strong> Jeunes, leur création, leurs structures et leur évolution mériteraient donc une<br />

recherche spécifique approfondie et autant d’intérêt que l’école <strong>de</strong>s cadres d’Uriage, d<strong>ans</strong> la mesure<br />

où elles constituent un <strong>de</strong> dispositifs 4 importants, non seulement <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong><br />

Vichy, mais aussi du projet <strong>de</strong> Révolution nationale du Maréchal Pétain.<br />

1 - Une politique d’encadrement <strong>de</strong> la jeunesse<br />

Là aussi, pour comprendre la dynamique ultérieure <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, il<br />

faut distinguer ce qui relève <strong>de</strong>s initiatives individuelles et collectives, en quelque sorte privées et <strong>de</strong><br />

terrain, et ce qui est à mettre au compte <strong>de</strong>s décisions <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> son gouvernement.<br />

1 Il s’agit <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong>s communications <strong>de</strong>s Journées d’Étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Recherche <strong>de</strong>s 5, 6 et 7<br />

décembre 1983, consacrées à cette question.<br />

2 Op. cit., p. 162.<br />

3 Fayard, octobre 1991.<br />

4 Avec les écoles <strong>de</strong> cadres et les chantiers <strong>de</strong> la jeunesse.


- 180 -<br />

Au titre <strong>de</strong>s initiatives <strong>de</strong> terrain, relevons l’exemple <strong>de</strong> l’Office municipal <strong>de</strong> la Jeunesse <strong>de</strong><br />

Caen. En mai-juin 1940, <strong>de</strong>s jeunes <strong>de</strong> toutes sensibilités et <strong>de</strong> tous les groupements se dépensent<br />

pendant <strong>de</strong>s jours et <strong>de</strong>s nuits pour secourir les français chassés <strong>de</strong> leurs foyers par l’avance<br />

alleman<strong>de</strong> et accueillir à leur passage à Caen <strong>de</strong>s familles évacuées <strong>de</strong>s départements du Nord et<br />

<strong>de</strong> la région parisienne. Quand se termine cette tâche sociale d’urgence, ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> “maintenir<br />

l’union réalisée et quelques uns d’entre eux en délégation <strong>de</strong>mandèrent à Monsieur le Maire <strong>de</strong><br />

Caen la création d’un organisme géré par la municipalité et susceptible <strong>de</strong> réunir tous les services<br />

utiles à l’action et à l’éducation <strong>de</strong>s jeunes <strong>de</strong> la ville. Le conseil municipal approuva la création <strong>de</strong><br />

cet organisme et vota une subvention <strong>de</strong> 120.000 F pour le fonctionnement <strong>de</strong>s services en 1940 ;<br />

l’Office municipal <strong>de</strong> la Jeunesse était né” 1 . Selon E. Colin, son directeur, cet office n’eut, pendant<br />

l’occupation, et pour <strong>de</strong>s raisons que l’on peut comprendre, qu’un rôle purement social. En créant un<br />

restaurant et un centre d’accueil, il reste cependant au service <strong>de</strong>s jeunes. Mais en même temps “il<br />

servit <strong>de</strong> camouflage aux mouvements <strong>de</strong> jeunesse dissous par l’occupant et apporta l’ai<strong>de</strong><br />

nécessaire à ceux qui voulaient se soustraire à la déportation et au travail obligatoire” 2 .<br />

Le véritable essor <strong>de</strong> cette structure date en fait <strong>de</strong> la Libération. Car comme le dit E. Colin, “une<br />

Maison <strong>de</strong> Jeunes est l’expression <strong>de</strong> la liberté. Elle ne peut vivre que d<strong>ans</strong> la liberté” 3 .<br />

L’équipement, incendié d<strong>ans</strong> la nuit du 13 au 14 juin 1944, éventré par les bombes et les obus, est<br />

remis en état par les jeunes qui reconstruisent murs et escaliers, remettent portes et fenêtres<br />

récupérés en ville. Dès les premiers jours <strong>de</strong> décembre <strong>de</strong> la même année, le restaurant <strong>de</strong> l’O.M.J.<br />

pouvait servir 400 repas aux sinistrés <strong>de</strong> la ville.<br />

Après la guerre, cette structure eut un fonctionnement <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture et<br />

se rapprochera <strong>de</strong> la Fédération. “La gestion <strong>de</strong> l’O.M.J. est assurée par la ville <strong>de</strong> Caen avec l’ai<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” 4 . Les représentants locaux <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse<br />

y sont très impliqués. Les activités sont très variées comme l’atteste le programme <strong>de</strong> janvier 1947 5 :<br />

culturelles, sportives, loisirs et vacances, sociales, associatives, récréatives. Les conférences sur<br />

l’armistice <strong>de</strong> 1940 ou sur la politique économique mondiale cohabitent avec les arbres <strong>de</strong> Noël, les<br />

cours d’Anglais, les concerts et représentations théâtrales, les réunions du photo-club et du groupe<br />

plein-air, les regroupements locaux <strong>de</strong>s mouvements les plus divers et la visite aux enfants <strong>de</strong><br />

l’hôpital <strong>de</strong> Caen. Les jeunes occupent une place centrale. Ce sont eux que l’on accueille en priorité.<br />

1 Note d’Édouard Colin, instituteur, directeur <strong>de</strong> l’Office municipal <strong>de</strong> la Jeunesse <strong>de</strong> Caen (Ronéo, 10<br />

pages, non daté - 1948 probablement).<br />

2 Ibid. p. 1.<br />

3 Ibid. p. 1.<br />

4 Ibid. p. 8.<br />

5 Ibid. p. 4-5-6.


- 181 -<br />

Le foyer en reçoit 200 à 300 par jour, ouvriers, employés et étudiants, filles et garçons. 200 d’entre<br />

eux fréquentent la bibliothèque. Certains ont récupéré sur le champ <strong>de</strong> bataille la carcasse d’un<br />

avion anglais et l’ont aménagée en local.<br />

On peut donc affirmer, en l’occurrence, que c’est d<strong>ans</strong> la pratique et le vécu d’une expérience<br />

balbutiante et tumultueuse que se sont forgés les principes et les valeurs d’une pédagogie du<br />

passage à l’état d’adulte. “La gran<strong>de</strong> raison d’être <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est <strong>de</strong> permettre aux<br />

jeunes, à tous les jeunes, l’essai <strong>de</strong> leurs audaces et <strong>de</strong> leurs forces naissantes, d<strong>ans</strong> la<br />

connaissance totale <strong>de</strong> leur âge et <strong>de</strong> leur état, d<strong>ans</strong> l’entière liberté d’expression. Il faut avoir assisté<br />

à toutes les étapes <strong>de</strong> cette tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> l’adolescent timi<strong>de</strong> en jeune homme responsable et<br />

décidé, avoir été spectateur <strong>de</strong> ses hésitations et <strong>de</strong> ses tâtonnements et soudain <strong>de</strong> sa propre<br />

découverte pour affirmer la nécessité vitale <strong>de</strong> créer partout le climat <strong>de</strong> travail et cette ambiance <strong>de</strong><br />

liberté qui sont ceux d’une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture” 1 .<br />

De son côté la Maison pour tous <strong>de</strong> la rue Mouffetard continua à vivre malgré les difficultés et les<br />

interdictions. Les activités <strong>de</strong>s Eclaireurs <strong>de</strong> France interdits par l’occupant ont pu continuer “à l’abri<br />

<strong>de</strong> la fonction d’ai<strong>de</strong> et d’action sociale <strong>de</strong> la Maison, le théâtre, la bibliothèque, les cours du soir<br />

protégeant la troupe d’éclaireurs qui continuait ses réunions, ses sorties et ses camps”. 2 Ainsi les<br />

actions en direction <strong>de</strong>s enfants et <strong>de</strong>s jeunes purent-elles peu ou prou continuer malgré <strong>de</strong>s<br />

passages <strong>de</strong> ligne <strong>de</strong> démarcation un peu périlleux, <strong>de</strong>s convocations par la Gestapo pour activités<br />

interdites et la disparition en déportation <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moiselle Cahen, chargée <strong>de</strong> l’alimentation <strong>de</strong>s<br />

enfants. “On fit du théâtre <strong>de</strong> marionnettes d<strong>ans</strong> différentes salles et d<strong>ans</strong> les hôpitaux, si bien qu’à<br />

la Libération, <strong>de</strong>ux tournées très réussies, en Alsace en 1945, en Auvergne en 1946” 3 furent<br />

organisées. Après le bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> 1944, toute l’activité <strong>de</strong> la maison fut momentanément<br />

tournée vers le service (déblaiement <strong>de</strong>s maisons et accueil <strong>de</strong>s prisonniers libérés à la gare<br />

d’Orsay) avant que la Mouffe ne reparte en 1945 en retrouvant ses anciennes activités et en<br />

développant <strong>de</strong>s actions nouvelles, notamment d<strong>ans</strong> le domaine culturel :<br />

“L’action clan<strong>de</strong>stine m’ayant propulsé à la Mairie du V e à la libération <strong>de</strong> Paris, je <strong>de</strong>vins<br />

aussi maire <strong>de</strong> la Mouffe. J’ai vu très vite que la rue Mouffetard avait un centre, la Maison pour<br />

tous, que ce centre était un lieu <strong>de</strong> rencontre exceptionnel où l’on pouvait croiser <strong>de</strong>s femmes<br />

et <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> toutes conditions, <strong>de</strong> toutes obédiences et <strong>de</strong> qualité rare : <strong>de</strong>s<br />

pédagogues tels que Georges Bertier, André Bas<strong>de</strong>vant, Ronald Seydoux, Pierre Kergomard,<br />

<strong>de</strong>s comédiens tels que Raymond Rouleau, <strong>de</strong>s poètes comme Pierre Emmanuel ...” 4 .<br />

1 Note d’Édouard Colin, p. 10.<br />

2 Francis Lafon (témoignage) d<strong>ans</strong> Marthe Levasseur…, p. 18.<br />

3 Jean-René Kergomard (témoignage) d<strong>ans</strong> Marthe Levasseur…, p. 18.<br />

4 Raymond Pédrot, Maire du V e arrondissement <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong> 1946 à 1977 (témoignage) d<strong>ans</strong> Marthe<br />

Levasseur…, p. 20).


- 182 -<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la zone occupée, nous nous arrêterons à cette <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> cas. Si l’on en<br />

croit certains témoignages que nous n’avons pas pu vérifier, quelque 350 Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

auraient fonctionné pendant l’occupation, dont 200 en zone nord, ce qui parait peu probable,<br />

notamment pour la zone nord. On comprend en effet assez mal comment un tel développement<br />

aurait pu avoir lieu en si peu <strong>de</strong> temps d<strong>ans</strong> un espace où l’occupant n’était pas enclin - c’est le<br />

moins que l’on puisse dire - à accepter l’implantation <strong>de</strong> structures pouvant favoriser l’organisation<br />

autonome <strong>de</strong>s jeunes. Du reste, l’arrêté <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> jeunesse du 9 janvier<br />

1945, signé <strong>de</strong> René Capitant, ne concerne que quelque 12 structures implantées en zone nord,<br />

dont, pour certaines d’entre elles, la dénomination ne fait aucune référence directe aux Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes.<br />

Mais le plus important n’est pas là. De son côté, d<strong>ans</strong> le droit fil <strong>de</strong> son projet <strong>de</strong> reconstruction,<br />

<strong>de</strong> rénovation et <strong>de</strong> Révolution nationale, le gouvernement <strong>de</strong> Vichy met en place une politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse qui passe par trois dispositifs essentiels : les écoles <strong>de</strong> cadres ou <strong>de</strong> chefs, les chantiers<br />

<strong>de</strong> jeunesse et la Maisons <strong>de</strong>s Jeunes.<br />

Ces trois dispositifs seront conçus, décidés et mis en route d<strong>ans</strong> les premiers mois du<br />

gouvernement <strong>de</strong> Vichy : les chantiers <strong>de</strong> jeunesse projetés le 4 juillet 1940 seront créés le 30 en<br />

zone sud ; Dunoyer <strong>de</strong> Segonzac quitte Vichy le 17 août <strong>de</strong> la même année et installe son école <strong>de</strong><br />

cadres à la Faulconnière près <strong>de</strong> Gannat (Allier) ; dès le début septembre on met en place un<br />

secrétariat général <strong>de</strong> la jeunesse, en même temps qu’on définit le projet <strong>de</strong> création <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes.<br />

Comment le gouvernement <strong>de</strong> Vichy conçoit-il le rôle, l’organisation et l’action <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes ? Parmi <strong>de</strong> nombreux textes publiés notamment d<strong>ans</strong> Fenêtre ouverte 1 , il nous paraît<br />

important <strong>de</strong> nous pencher sur l’un d’entre eux 2 qui, semble-t-il, a l’avantage <strong>de</strong> faire synthèse et <strong>de</strong><br />

pouvoir ensuite être mis en parallèle avec celui <strong>de</strong> Jean Rous 3 qui, lui, définit la conception que l’on<br />

se fera <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong> Jeunes à la Libération.<br />

La création <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes s’inscrit en effet très précisément d<strong>ans</strong> “le besoin d’une<br />

rénovation totale, d’une révolution” qui, selon les responsables <strong>de</strong> Vichy, se justifie par “l’insuffisance<br />

<strong>de</strong>s institutions et la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s moeurs” 4 . Le législateur a un rôle important à jouer mais “ce ne<br />

1 Fenêtre ouverte : bulletin <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes publié par le secrétariat général à la<br />

jeunesse, publication sur laquelle nous aurons l’occasion <strong>de</strong> revenir.<br />

2 Texte cité par J.-C. Leroyer qui le tient d’Albert Léger, et dont il pense qu’il a été en gran<strong>de</strong> partie<br />

rédigé par André Lefèvre, alors délégué général aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. En effet, certains textes<br />

contenus d<strong>ans</strong> Fenêtre ouverte (n° 7 <strong>de</strong> juin 1942, par exemple) reprennent les gran<strong>de</strong>s dispositions<br />

définies d<strong>ans</strong> ce texte intégralement cité par J.-C. Leroyer sous le titre “Texte <strong>de</strong> Vichy” (Histoire et<br />

sociologie <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> sa phase <strong>de</strong> gestation, Rom<strong>ans</strong>, avril 1991).<br />

3 “La Maison <strong>de</strong> Jeunes” (Esprit, octobre 1945).<br />

4 “Texte <strong>de</strong> Vichy” (op. cit.).


- 183 -<br />

sont pas <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> lois qui changeront les hommes s’ils n’ont pas eux-mêmes la volonté arrêtée<br />

<strong>de</strong> changer <strong>de</strong> mentalité et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir meilleurs”. Il faut donc s’atteler à un “travail d’éducation qui<br />

n’est vraiment efficace que lorsqu’il s’applique à la jeunesse”, car “même si les résultats se font<br />

attendre un peu plus longtemps... le travail se fera avec <strong>de</strong> bien plus gran<strong>de</strong>s garanties <strong>de</strong> solidité et<br />

<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur” 1 .<br />

Pour réaliser ce grand projet, le “gouvernement du Maréchal” a pris <strong>de</strong>s décisions. Après avoir<br />

“prodigué un encouragement moral et matériel considérable” aux mouvements <strong>de</strong> jeunesse<br />

existants 2 , le gouvernement a créé un secrétariat général à la jeunesse avec tout un réseau <strong>de</strong><br />

délégués, dispositif qui doit “coordonner tout ce qui concerne les jeunes”. En créant les écoles <strong>de</strong><br />

cadres, “il a entendu organiser le moyen d’intégrer d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> la Révolution nationale un nombre<br />

s<strong>ans</strong> cesse croissant <strong>de</strong> jeunes et surtout atteindre certaines catégories qui offrent un intérêt spécial<br />

telles que les jeunes chômeurs”. Cette oeuvre est couronnée par l’obligation imposée à tous les<br />

jeunes <strong>de</strong> vingt <strong>ans</strong> <strong>de</strong> mener pendant huit mois la vie ru<strong>de</strong> et vivifiante <strong>de</strong>s chantiers. Enfin,<br />

l’efficacité maximum <strong>de</strong> cette action auprès <strong>de</strong> la jeunesse passe par la mise en place et le<br />

développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes auxquelles il faut confier “une mission bien distincte” et<br />

“une place <strong>de</strong> choix” entre la fin <strong>de</strong> la scolarisation, le chantier <strong>de</strong> jeunesse et au-<strong>de</strong>là.<br />

Les objectifs sont donc assez clairs. Il faut agir sur les mentalités pour les tr<strong>ans</strong>former, condition<br />

indispensable <strong>de</strong> la rénovation <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s rapports politiques et sociaux. Il s’agit <strong>de</strong><br />

gagner les jeunes à l’esprit <strong>de</strong> la Révolution Nationale d<strong>ans</strong> l’espoir d’y associer, à terme, l’ensemble<br />

<strong>de</strong> la population. Même s’il ne s’agit pas, du moins d<strong>ans</strong> les déclarations et les intentions, <strong>de</strong><br />

remettre en cause l’originalité et les prérogatives <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse existants ou à venir,<br />

il n’empêche que l’ensemble du projet d<strong>ans</strong> sa définition et sa mise en oeuvre dépend <strong>de</strong> la volonté<br />

bien arrêtée <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong>s services mis en place, qui, à tout le moins, veulent “coordonner tout ce<br />

qui concerne les jeunes” et “organiser les moyens d’intégrer d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> la Révolution Nationale<br />

un nombre s<strong>ans</strong> cesse croissant <strong>de</strong> jeunes”.<br />

Même si le terme employé est le même, on est loin <strong>de</strong> la simple organisation <strong>de</strong>s loisirs du Front<br />

populaire. On a affaire à une véritable politique <strong>de</strong> la jeunesse d<strong>ans</strong> la mesure où l’éducation <strong>de</strong>s<br />

jeunes se donne un objectif clairement politique, qui concerne la promotion <strong>de</strong> nouveaux rapports<br />

entre l’individu et la société. La tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mentalités <strong>de</strong>vient donc clairement une question<br />

politique ; elle est l’affaire <strong>de</strong> l’Etat, même s’il entend s’appuyer sur <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse<br />

d’initiative privée. A partir <strong>de</strong> ce moment-là, et pour une longue durée, on peut clairement dire que la<br />

question <strong>de</strong> la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mentalités, <strong>de</strong> leur contrôle et <strong>de</strong> leur gestion, concernera peu ou<br />

prou l’Etat ainsi que les structures qui se donnent une mission d’intérêt général et, au premier chef,<br />

1 Ibid. p. 74.<br />

2 Cf. notamment la déclaration du Maréchal Pétain du 13 août 1940.


- 184 -<br />

les futures Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, même si elles ont toujours refusé toute volonté <strong>de</strong><br />

prosélytisme. Les textes les plus significatifs <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s ultérieures sont - certes avec <strong>de</strong>s objectifs<br />

tout à fait opposés à celui <strong>de</strong> la Révolution nationale - celui <strong>de</strong> Jean Rous 1 et celui <strong>de</strong> Jean Lorrain 2<br />

qui, eux aussi, articulent clairement acte éducatif, tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mentalités et réalisation d’un<br />

projet <strong>de</strong> société.<br />

Revenons aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Vichy. La manière avec laquelle doit s’effectuer cette<br />

éducation <strong>de</strong> la jeunesse passe par le choix d’un certain pluralisme, “c’est à dire la coexistence <strong>de</strong><br />

plusieurs mouvements <strong>de</strong> jeunesse permettant d’intégrer au travail d’éducation <strong>de</strong>s jeunes les<br />

ressources si riches et si variées qu’offrent d<strong>ans</strong> leur diversité les différentes familles spirituelles <strong>de</strong><br />

la France” 3 .<br />

Ainsi a-t-on préféré le pluralisme au mouvement unique. La jeunesse doit être d<strong>ans</strong> un même<br />

esprit <strong>de</strong> rénovation nationale, <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s moeurs et <strong>de</strong>s mentalités s<strong>ans</strong> que, pour autant, il<br />

apparaisse opportun pour le Maréchal Pétain, du moins jusqu’en 1943, <strong>de</strong> mettre en place un<br />

mouvement unique, obligatoire et contraignant, <strong>de</strong> la jeunesse 4 .<br />

Cependant ce pluralisme <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse doit être limité : “Autant un pareil<br />

pluralisme est <strong>de</strong> nature à enrichir la spiritualité <strong>de</strong> la jeunesse française, autant un foisonnement<br />

anarchique <strong>de</strong> groupements éphémères ou s<strong>ans</strong> assises réelles et profon<strong>de</strong>s serait contraire aux<br />

véritables intérêts <strong>de</strong> la jeunesse et à l’avenir <strong>de</strong> la Révolution Nationale” 5 .<br />

C’est d<strong>ans</strong> un tel contexte que le projet <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes peut se comprendre. La Maison<br />

<strong>de</strong>s Jeunes, “trait d’union entre les mouvements”, <strong>de</strong>vrait favoriser une jeunesse unie, tout en<br />

respectant d’une part un pluralisme limité d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> la Révolution Nationale, et<br />

d’autre part en écartant les tentatives <strong>de</strong> mouvement unique. La Maison <strong>de</strong> Jeunes est, sous le<br />

contrôle du gouvernement <strong>de</strong> Vichy, un dispositif garantissant à la fois l’union, voire l’unité <strong>de</strong> la<br />

jeunesse d<strong>ans</strong> le respect d’une certaine diversité, dont il est bien difficile, malgré les pleins pouvoirs<br />

donnés au Maréchal, <strong>de</strong> ne pas accepter l’héritage. Car à vrai dire, le gouvernement <strong>de</strong> Vichy est<br />

bien contraint d’accepter, du moins d<strong>ans</strong> un premier temps, cette diversité héritée du passé <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>de</strong> jeunesse : “Malgré leurs imperfections, ces mouvements ont réalisé un effort tel que<br />

les artis<strong>ans</strong> <strong>de</strong> la Révolution Nationale n’ont pas pu ne pas tenir compte <strong>de</strong> leur existence et ne pas<br />

1 La Maison <strong>de</strong> jeunes.<br />

2 L’Éducation populaire ou la vraie révolution. L’expérience <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, qu’il faut prendre plus comme un<br />

document que comme un travail <strong>de</strong> recherche.<br />

3 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 75.<br />

4 Sur la tentation et les tentatives <strong>de</strong> mise en place d’un mouvement unique style “jeunesses<br />

hitlériennes” sous Vichy, voir W. D. Halls (op. cit.).<br />

5 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 75.


- 185 -<br />

compter sur eux pour collaborer étroitement à l’oeuvre du relèvement par la jeunesse” 1 .<br />

Les mouvements <strong>de</strong> jeunesse existants - dont les conditions d’expression ne vont pas<br />

s’améliorer, c’est le moins que l’on puisse dire, avec le temps - se voient donc imposer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs<br />

impérieux et immédiats d<strong>ans</strong> le cadre du projet <strong>de</strong> Révolution Nationale, <strong>de</strong>voirs dont il est bien<br />

difficile <strong>de</strong> ne pas penser qu’il s’agit du tribut à payer pour leur existence, même si les chefs <strong>de</strong> ces<br />

mouvements réunis à Uriage à <strong>de</strong>ux reprises, début mars et début juin 1941, ont reconnu ces<br />

<strong>de</strong>voirs et déclaré solennellement leur engagement auprès <strong>de</strong> Pétain.<br />

En fait, la Maison <strong>de</strong> Jeunes, trait d’union tolérant et souvent protecteur <strong>de</strong>s différents<br />

mouvements <strong>de</strong> jeunesse d<strong>ans</strong> leurs activités locales, suscite “hésitations, incompréhension ou<br />

même opposition” comme le reconnait Vichy : “De nombreux chefs <strong>de</strong> le jeunesse, ont eu, en<br />

entendant parler <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, le sentiment d’un double emploi, d’une concurrence, et<br />

bien souvent les dirigeants locaux <strong>de</strong>s mouvements ont accueilli assez froi<strong>de</strong>ment, ou même avec<br />

une hostilité ouverte, l’annonce d’un projet <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” 2 .<br />

Cette méfiance - ou cette hostilité - <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire vis à<br />

vis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes, et plus tard <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, n’est pas seulement liée au contexte politique du<br />

moment. L’histoire <strong>de</strong> ces structures est, comme nous le verrons, faite <strong>de</strong> relations complexes et<br />

contradictoires avec les différents mouvements, ce qui peut expliquer aussi pour une part l’histoire<br />

mouvementée <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, institution souvent soupçonnée d’impérialisme ou <strong>de</strong> volonté d’hégémonie<br />

par <strong>de</strong>s mouvements plus spécialisés.<br />

Qu’est ce qui conduit le secrétariat général à le jeunesse <strong>de</strong> Vichy à imaginer et à promouvoir<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et à ne pas s’appuyer tout simplement sur les mouvements <strong>de</strong> jeunesse ?<br />

La première raison invoquée est que la richesse <strong>de</strong>s mouvements, la diversité <strong>de</strong>s familles<br />

spirituelles dont ils émanent n’ont pas que <strong>de</strong>s avantages. Le sectarisme, l’intolérance et l’esprit <strong>de</strong><br />

chapelle qui marquent aussi les mouvements <strong>de</strong> jeunesse seraient une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> la défaite et<br />

<strong>de</strong>s abîmes qui séparent <strong>de</strong> nombreux citoyens, ce qui est bien évi<strong>de</strong>mment peu favorable à l’unité<br />

et à la Révolution Nationale. La <strong>de</strong>uxième raison, qui va <strong>de</strong> pair avec la première, est que ces seuls<br />

mouvements qui touchent pourtant, selon Vichy même, un nombre important <strong>de</strong> jeunes, “ne<br />

sauraient <strong>de</strong> par leur nature même espérer rallier l’ensemble <strong>de</strong> la jeunesse française” 3 4 . Et comme<br />

les mouvements s<strong>ans</strong> base confessionnelle, théoriquement ouverts à tous, laï ques en quelque sorte<br />

1 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 75.<br />

2 Ibid. p. 76.<br />

3 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 77.<br />

4 Selon <strong>de</strong>s statistiques faites par le secrétariat général à la jeunesse peu <strong>de</strong> temps après l’armistice, il<br />

résultait qu’à ce moment-là, un septième à peine <strong>de</strong> la jeunesse française avait été atteint par les<br />

mouvements. C’est en utilisant un argument comparable que François Missoffe, Secrétaire d’État à<br />

la jeunesse <strong>de</strong> 1966 à 1968, remit en cause la crédibilité et la légitimité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et décida <strong>de</strong> créer<br />

un dispositif nouveau (les Mille Clubs).


- 186 -<br />

et à cause <strong>de</strong> cela souvent taxés d’anticléricalisme 1 , ne sauraient davantage rallier l’ensemble <strong>de</strong> la<br />

jeunesse, il faut “créer, du neuf, le créer immédiatement sur une base tellement large qu’aucune<br />

étiquette ne puisse en limiter le champ d’action” 2 .<br />

Ce dispositif nouveau, c’est la Maison <strong>de</strong>s Jeunes “ouverte à tous les Français s<strong>ans</strong> distinction<br />

aucune”, la situation du moment ayant conduit les responsables <strong>de</strong> Vichy à “réserver provisoirement<br />

la question <strong>de</strong>s jeunes étrangers” 3 .<br />

Comment la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est-elle administrée ? la Maison est gérée par une association et<br />

un conseil d’administration qui doit être “un miroir aussi fidèle que possible <strong>de</strong> la population du lieu.<br />

On doit y trouver <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s différents milieux professionnels aussi bien que <strong>de</strong>s libres<br />

penseurs, <strong>de</strong>s patrons et <strong>de</strong>s salariés, <strong>de</strong>s intellectuels et <strong>de</strong>s artis<strong>ans</strong> et, si la population <strong>de</strong> l’endroit<br />

en comporte, <strong>de</strong>s agriculteurs” 4 .<br />

L’association - à part les membres honoraires, spécialement désignés comme tels par le conseil<br />

d’administration en raison <strong>de</strong> leurs mérites particuliers - comprend <strong>de</strong>s membres actifs âgés <strong>de</strong> 14 à<br />

21 <strong>ans</strong> à l’intention <strong>de</strong>squels fonctionne la maison, et les membres adhérents qui sont d’anciens<br />

membres actifs <strong>de</strong>venus majeurs, ou <strong>de</strong>s sympathisants.<br />

L’association est administrée par un conseil <strong>de</strong> 5 à 12 membres, “en principe élus par<br />

l’assemblée générale mais pour garantir dès le début une sage administration, éliminer autant que<br />

possible les intrigues personnelles ou politiques ainsi que les élections par surprise et surtout pour<br />

pouvoir assurer ce dosage [...] qui permet précisément à la Maison <strong>de</strong>s Jeunes d’apparaître vraiment<br />

comme un organisme placé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les factions et <strong>de</strong> toutes les tendances, les statuts<br />

ont prévu certaines mesures <strong>de</strong> précaution : tout d’abord le premier conseil est, avant le vote <strong>de</strong>s<br />

statuts, nommé pour un an” 51 . Les statuts-types ne disent pas par qui mais il est clair qu’il s’agit là du<br />

fruit <strong>de</strong> ce dosage savant que <strong>de</strong>vra réaliser, dès ses premières démarches, le directeur désigné par<br />

le Secrétariat. “Après la première année, le conseil est élu pour trois <strong>ans</strong> et renouvelable par tiers<br />

tous les <strong>ans</strong>. Le conseil comprend obligatoirement un tiers <strong>de</strong> membres actifs, c’est à dire <strong>de</strong> jeunes.<br />

Ce conseil, pour être vraiment un organe actif, doit se réunir au moins une fois tous les mois et en<br />

plus chaque fois que le jugera utile son prési<strong>de</strong>nt, le quart <strong>de</strong> ses membres ou le délégué régional” 6 .<br />

1 Faut-il voir là une préfiguration <strong>de</strong> la distinction, voire <strong>de</strong> l’opposition, entre les mouvements <strong>de</strong><br />

jeunesse et d’éducation populaire laï ques, souvent marqués par l’anticléricalisme (la Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement, par exemple), et les institutions comme les <strong>MJC</strong> qui se réclament d’une “laï cité<br />

ouverte” ?<br />

2 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 76.<br />

3 Ibid. p. 76.<br />

4 Ibid. p. 77.<br />

5 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, cité par Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer, p. 83.<br />

6 Ibid. p. 83.


- 187 -<br />

Cette forme d’administration appelle quelques remarques.<br />

a) Même s’il est prévu qu’à terme le conseil d’administration “soit en principe élu par<br />

l’assemblée générale”, les responsables <strong>de</strong> Vichy ont surtout le souci qu’il soit représentatif bien plus<br />

<strong>de</strong> la population du lieu, autrement dit <strong>de</strong> la communauté locale, que <strong>de</strong>s usagers eux-mêmes. Cette<br />

volonté <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la maison l’expression <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> tous et non <strong>de</strong> quelques-uns 1 , fussent-ils<br />

membres adhérents et actifs, est, nous semble-t-il, significative <strong>de</strong> cette méfiance vis à vis <strong>de</strong> la<br />

gestion démocratique <strong>de</strong>s usagers et du souci qu’a l’Etat <strong>de</strong> contrôler la Maison par la mission qu’il<br />

donne au directeur d’effectuer le bon dosage d<strong>ans</strong> la composition <strong>de</strong> l’instance dirigeante.<br />

b) L’Etat joue en fait un rôle <strong>de</strong> contrôle considérable que du reste il ne cache pas :<br />

“La plupart <strong>de</strong>s personnes, en entendant parler pour la première fois <strong>de</strong> la` Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes, ont le sentiment qu’il s’agit là d’un organisme d’Etat, <strong>de</strong> quelque chose qui d<strong>ans</strong><br />

l’esprit <strong>de</strong> la Révolution Nationale, <strong>de</strong>vrait faire suite à l’école primaire publique et servir <strong>de</strong><br />

complément d’éducation générale pour ceux qui continuent leurs étu<strong>de</strong>s au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’âge <strong>de</strong><br />

14 <strong>ans</strong>. Cette conception n’est vraie qu’en partie.... En réalité, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes tient à la<br />

fois <strong>de</strong> l’organisme d’Etat et <strong>de</strong> l’institution privée. L’Etat intervient surtout initialement. C’est <strong>de</strong><br />

lui tout d’abord, c’est à dire du Secrétariat Général à la Jeunesse qu’émane la conception.<br />

C’est par l’Etat aussi qu’est nommé le directeur qui doit avoir été formé d<strong>ans</strong> une Ecole <strong>de</strong><br />

Cadres ; les délégués régionaux ou leurs représentants exercent sur les maisons un contrôle<br />

effectif. Le conseil d’administration lui-même qui doit représenter par excellence l’élément<br />

décentralisé est plus ou moins effectivement nommé par le délégué ou le directeur. Enfin,<br />

l’Etat intervient par l’octroi d’une subvention” 2 .<br />

Pour naître, la Maison <strong>de</strong> Jeunes “<strong>de</strong>man<strong>de</strong> le concours <strong>de</strong>s volontés locales, s’épanouissant<br />

grâce à la tutelle du pouvoir. Seule en effet la puissance publique possè<strong>de</strong> la plénitu<strong>de</strong> totale ; seul<br />

l’Etat peut prési<strong>de</strong>r à la naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes ; seule son ai<strong>de</strong> financière et sa tutelle<br />

administrative sont assez pures et détachées <strong>de</strong>s intérêts particuliers pour assurer aux institutions<br />

communautaires naissantes les garanties d’indépendance nécessaires [...] Emanation d’une<br />

communauté naturelle concrétisée en forme juridique, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est aussi une<br />

manifestation du pouvoir [...] le pouvoir apportera aussi l’appui <strong>de</strong> sa compétence en formant pour<br />

elle un chef grâce à une école et grâce à <strong>de</strong>s maîtres qu’aucune collectivité locale ne pourrait<br />

obtenir. Avec la formation post-scolaire, elle lui donnera la direction politique nécessaire à l’unité <strong>de</strong><br />

la nation. Ainsi d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes se trouve mieux qu’en un autre lieu, réunis<br />

harmonieusement le concours <strong>de</strong> la communauté locale la plus fragile avec l’autorité suprême” 3 .<br />

1 Autre texte très significatif : “... la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est une institution. Elle n’est pas le fait <strong>de</strong><br />

volontés associées ; elles n’est pas le résultat <strong>de</strong> campagnes ou <strong>de</strong> mots d’ordre, elle n’est pas<br />

oeuvre artificielle imposée ou provoquée, mais produite du milieu, du cadre naturel, du groupe<br />

ethnique, <strong>de</strong>s croyances, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinées historiques et sociales, elle est attachée à une portion <strong>de</strong><br />

terre bien déterminée.” Fenêtre ouverte n° 8, décembre 1942, p. 2.<br />

2 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 82.<br />

3 Fenêtre ouverte n° 8, p. 2.


- 188 -<br />

c) Ainsi se trouve justifié - par la conception que se fait le gouvernement <strong>de</strong> Vichy <strong>de</strong>s<br />

relations entre les individus, les communautés locales et l’autorité <strong>de</strong> l’Etat - le contrôle par ce<br />

<strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes conçue comme une machine à intégrer, à caporaliser ou à<br />

enrégimenter la jeunesse. Le directeur ou le chef est un maillon central <strong>de</strong> ce dispositif, intermédiaire<br />

mandaté entre l’Etat qui le paie et le met à disposition et l’association, expression <strong>de</strong> la communauté<br />

locale 1 .<br />

Le directeur organise à proprement parler le travail d’éducation. “Aussi le recrutement et la<br />

formation <strong>de</strong> ce personnage seront-ils l’objet <strong>de</strong> soins particulièrement vigilants” 2 . Il <strong>de</strong>vra avoir une<br />

maturité suffisante, tout en restant par son âge proche <strong>de</strong>s jeunes (<strong>de</strong> 23 à 45 <strong>ans</strong> environ). Il <strong>de</strong>vra<br />

avoir un niveau <strong>de</strong> culture générale, pas nécessairement attestée par <strong>de</strong>s diplômes. Il <strong>de</strong>vra être<br />

sportif et considérer son travail comme une véritable vocation. Salarié et si possible logé d<strong>ans</strong> la<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes - ce qui facilite le travail du directeur, sa vie <strong>de</strong> famille, et “est <strong>de</strong> nature à avoir<br />

une influence favorable sur l’ambiance générale <strong>de</strong> la maison” 3 - il “<strong>de</strong>vra être tout à sa tâche s<strong>ans</strong><br />

ménager ni sa peine si son temps” 4 . Les engagements antérieurs auprès <strong>de</strong>s jeunes, la capacité à<br />

s’intéresser à autre chose qu’à <strong>de</strong>s questions strictement matérielles, permettront aux délégués<br />

régionaux et à leurs adjoints <strong>de</strong> “dépister” <strong>de</strong>s hommes possédant les qualités nécessaires à la<br />

fonction <strong>de</strong> direction <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong>s Jeunes, et <strong>de</strong> les signaler au Secrétariat Général à la Jeunesse<br />

qui déci<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> leur admission à l’Ecole spéciale <strong>de</strong> Chamarges 5 .<br />

Le directeur, qui est avant tout un éducateur et un organisateur, ne peut pas être, malgré sa<br />

formation, compétent en toutes choses. Il <strong>de</strong>vra donc s’entourer <strong>de</strong> spécialistes professionnels ou<br />

amateurs intervenant bénévolement. Il <strong>de</strong>vra confier <strong>de</strong>s responsabilités aux jeunes en les<br />

répartissant par activités ou par équipes, comme c’est le cas d<strong>ans</strong> le scoutisme par exemple.<br />

d) Autre élément essentiel d<strong>ans</strong> la pédagogie et la gestion <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong> Jeunes qui, en<br />

soi, peut apparaître anodin mais qui, nous semble-t-il, préfigure le futur conseil <strong>de</strong> maison ou le<br />

1 La position actuelle <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> est bien évi<strong>de</strong>mment, comme nous l’avons vu, toute<br />

différente entre <strong>de</strong>s instances décisionnelles émanant d’une base et un opérationnel qui s’adresse à<br />

la même base (les usagers, la population).<br />

2 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 83.<br />

3 Ibid. p. 86.<br />

4 Ibid. p. 84.<br />

5 Pendant longtemps, et d<strong>ans</strong> un contexte idéologique et institutionnel totalement différent, les<br />

critères <strong>de</strong> recrutement <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ne seront pas si différents. La FF<strong>MJC</strong> (ce n’est<br />

évi<strong>de</strong>mment plus l’État) tentera <strong>de</strong> dépister <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes engagés, prêts à donner <strong>de</strong><br />

leur temps au projet, avant d’assurer, plus ou moins bien selon les pério<strong>de</strong>s, leur formation d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

centres spécifiques et au contact <strong>de</strong> directeurs plus anciens. Un texte ronéoté <strong>de</strong> Jean Destrée,<br />

directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> puis délégué régional, actuellement à la retraite, parle avec humour <strong>de</strong> ses<br />

premiers jours <strong>de</strong> directeur stagiaire (tribulations d’un vocataire). D<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, un jury <strong>de</strong><br />

recrutement s’inquiète encore qu’une candidate n’ait pas les dispositions physiques pour animer les<br />

activités sportives et <strong>de</strong> pleine nature, et conclut qu’elle serait plus à sa place comme hôtesse<br />

d’accueil (dossier <strong>de</strong> recrutement <strong>de</strong> Michèle Destrée, actuellement directrice <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à Martigues).


- 189 -<br />

conseil <strong>de</strong> jeunes : le conseil d’administration doit comprendre obligatoirement un tiers <strong>de</strong> membres<br />

actifs, c’est à dire <strong>de</strong> jeunes. Et en effet dès les premières années <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Vichy, la<br />

participation <strong>de</strong>s jeunes sera, comme nous le verrons plus loin, la préoccupation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes et <strong>de</strong> leurs chefs.<br />

Ainsi organisée, que fait la Maison <strong>de</strong> Jeunes ? Que propose-t-elle ?<br />

La nature <strong>de</strong> ses actions est déterminée par son caractère “localiste” : c’est un local, un bâtiment<br />

plus ou moins important (cela peut aller <strong>de</strong> la simple baraque à un équipement conçu et aménagé<br />

spécifiquement pour sa mission), implanté d<strong>ans</strong> un espace clairement localisé (ville, village, quartier)<br />

d<strong>ans</strong> lequel on propose aux jeunes 1 <strong>de</strong>s activités que l’on peut répartir en trois catégories :<br />

- L’éducation physique et les sports selon quelques métho<strong>de</strong>s et orientations précises. On<br />

met en avant la métho<strong>de</strong> Hébert qui, par l’entraînement progressif, “amène les garçons non pas à<br />

battre les records <strong>de</strong>s autres, ce qui provoque un esprit <strong>de</strong> compétition malsain et décourageant pour<br />

ceux que la nature a moins bien doués, mais à battre leurs propres records, ce qui permet même<br />

aux plus faibles <strong>de</strong> constater et <strong>de</strong> rechercher les progrès” 2 . On a également une nette préférence<br />

pour les sports collectifs, où c’est moins l’individu qui compte que l’équipe, considérée comme point<br />

<strong>de</strong> départ du sens communautaire. Enfin la marche, surtout en montagne, est considérée comme un<br />

excellent sport qui “procure au garçon un changement d’air” et “développe en lui la connaissance et<br />

l’amour <strong>de</strong> la nature” 3 .<br />

- Le travail manuel qui “ouvrira au garçon <strong>de</strong>s horizons” et lui permettra “<strong>de</strong> se découvrir<br />

essentiellement du goût pour telle ou telle activité, ensuite à le débrouiller”. Ainsi on “enseignera les<br />

éléments du travail du bois et du fer, <strong>de</strong> l’installation électrique, <strong>de</strong> la décoration sous ses formes si<br />

diverses (<strong>de</strong>ssin, peinture, mo<strong>de</strong>lage, sculpture sur bois, cuirs et métaux repoussés, pyrogravure,<br />

papier à la cuve, etc...)” 4 . De son côté, la construction <strong>de</strong> modèles réduits d’avions, <strong>de</strong> navires, a une<br />

valeur éducative toute particulière parce qu’elle exige soin et minutie, ce “qui donne au garçon<br />

l’habitu<strong>de</strong> du travail bien fait” 5 .<br />

- L’éducation intellectuelle et artistique qui, d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes “doit<br />

avant tout éveiller l’intérêt, suggérer <strong>de</strong>s activités et, la curiosité une fois éveillée, orienter le garçon<br />

1 D<strong>ans</strong> le texte <strong>de</strong> Vichy qui nous occupe on ne parle que <strong>de</strong> garçons, comme si c’était le seul public<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes. Nous verrons que <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes féminines seront également<br />

créées.<br />

2 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 88. Signalons que d<strong>ans</strong> les années 70, et aujourd’hui encore, <strong>de</strong> nombreuses<br />

<strong>MJC</strong> marquent une nette méfiance à l’égard <strong>de</strong> la compétition sportive.<br />

3 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 88.<br />

4 Ibid. p. 89.<br />

5 Ibid.


- 190 -<br />

vers les sources qui lui permettront d’augmenter son savoir et d’approfondir sa pensée” 1 . Les<br />

activités d’éveil artistique et intellectuel pourront être très diverses : la bibliothèque, <strong>de</strong>s cercles<br />

d’étu<strong>de</strong>, la connaissance <strong>de</strong>s “beautés <strong>de</strong> la foi”, <strong>de</strong> l’histoire, <strong>de</strong> la géographie, <strong>de</strong>s questions<br />

sociales et économiques, <strong>de</strong>s traditions et du folklore local, la pratique <strong>de</strong>s jeux dramatiques et <strong>de</strong> la<br />

musique, notamment la flûte douce et la guitare “car ces instruments sont à la fois faciles à<br />

apprendre, d’un prix abordable et d’une parfaite musicalité” 2 .<br />

Mais la mission <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes va bien au-<strong>de</strong>là. Elle doit avoir “une action bien plus<br />

profon<strong>de</strong> encore que celle résultant <strong>de</strong>s différentes activités physiques, manuelles, intellectuelles ou<br />

artistiques” 3 . Ce n’est donc pas une simple structure <strong>de</strong> loisirs s’occupant <strong>de</strong>s jeunes pendant leur<br />

temps libre. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit se préoccuper <strong>de</strong> leur activité professionnelle actuelle et<br />

future, <strong>de</strong> la place qu’ils prendront d<strong>ans</strong> la société en leur donnant le sens du <strong>de</strong>voir civique. L’action<br />

sociale et éducative <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est aussi <strong>de</strong> trois ordres :<br />

- L’orientation professionnelle et le placement. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes accueille ces<br />

<strong>de</strong>rniers à partir <strong>de</strong> 14 <strong>ans</strong>, âge qui est précisément celui où commence à se poser la question <strong>de</strong><br />

l’orientation professionnelle, notamment pour ceux issus <strong>de</strong>s familles nombreuses aux revenus<br />

mo<strong>de</strong>stes. Le jeune a besoin <strong>de</strong> trouver à côté <strong>de</strong> ses parents souvent mal informés une autre<br />

personne mieux documentée, susceptible <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s conseils sur les métiers et les carrières.<br />

S<strong>ans</strong> se substituer aux offices <strong>de</strong> placement et aux directeurs <strong>de</strong>s établissements scolaires, le<br />

directeur <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes pourra jouer un rôle <strong>de</strong> liaison entre les différents organismes, le<br />

jeune, ses goûts et aptitu<strong>de</strong>s, et la famille avec ses besoins et ses possibilités matérielles. Après<br />

entretien avec chacun, “le directeur <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes sera alors à même <strong>de</strong> donner au<br />

garçon un conseil vraiment utile. Enfin, grâce aux relations nombreuses qu’il se sera faites peu à<br />

peu, il pourra bien souvent procé<strong>de</strong>r au placement proprement dit” 4 .<br />

- L’hygiène et la santé, mission déjà clairement affirmée en 1936 - le sous-secrétariat d’Etat<br />

à la jeunesse, aux sports et aux loisirs était rattaché à la Santé publique - est ici, en partie du moins<br />

et d<strong>ans</strong> sa dimension éducative et <strong>de</strong> dépistage, confiée au directeur <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes qui<br />

<strong>de</strong>vra organiser <strong>de</strong>s cours faits par un mé<strong>de</strong>cin, <strong>de</strong>s cercles d’étu<strong>de</strong>, mettre à disposition quelques<br />

ouvrages bien choisis, “faire prendre à ses garçons <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s salutaires” qui pourront se<br />

communiquer à la famille “auprès <strong>de</strong> laquelle les jeunes pourront jouer un rôle <strong>de</strong> missionnaire<br />

1 Ibid. p. 90.<br />

2 Ibid. p. 92.<br />

3 Ibid.<br />

4 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 93. Cette mission qu’aujourd’hui nous appelons d’insertion sociale et<br />

professionnelle entre très souvent, notamment <strong>de</strong>puis 1982, d<strong>ans</strong> les fonctions <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, <strong>de</strong> son personnel et <strong>de</strong>s ses partenaires.


- 191 -<br />

d’hygiène” 1 . La démarche du directeur pourra être en la matière particulièrement incisive. Il <strong>de</strong>vra<br />

exercer une “surveillance étroite” sur les jeunes qui à l’âge <strong>de</strong> la croissance “sont particulièrement<br />

exposés à certaines maladies”. Il orientera, si nécessaire, vers le dispensaire, facilitera l’entrée d<strong>ans</strong><br />

un sanatorium, collaborera étroitement avec l’assistante sociale.<br />

- Le service civique. Il faut apprendre aux jeunes à rendre <strong>de</strong>s service à la collectivité, à la<br />

communauté locale et nationale, en aidant le Secours National, en offrant ses bras à l’agriculture à<br />

un moment où celle-ci manque <strong>de</strong> main d’oeuvre, en se formant par exemple au secourisme, à<br />

l’écriture Braille, en organisant <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> solidarité. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes et son<br />

directeur doivent promouvoir l’indispensable esprit <strong>de</strong> solidarité et <strong>de</strong> communauté, combattre<br />

“l’individualisme égoï ste qui a fait tant <strong>de</strong> mal à la France”, faire s’épanouir la tendance à la<br />

générosité <strong>de</strong>s jeunes “pour le plus grand bien <strong>de</strong> l’individu et <strong>de</strong> la société” 2 .<br />

2 - Action et implantation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

Pour créer, gérer et animer <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes, on a besoin <strong>de</strong> directeurs, appelés<br />

habituellement chefs, qui sont, comme nous l’avons vu, les acteurs essentiels <strong>de</strong> leur<br />

développement et <strong>de</strong>s missions qu’elles doivent accomplir.<br />

Du 9 au 17 décembre 1940 a lieu à Uriage - où l’équipe <strong>de</strong> Dunoyer <strong>de</strong> Segonzac vient <strong>de</strong><br />

s’installer après un court passage à la Faulconnière - un stage réservé aux responsables <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. Ce stage rassemble trente-trois personnes : <strong>de</strong>ux avocats, un pasteur, <strong>de</strong>s<br />

officiers, un auteur dramatique, un jeune acteur, un écrivain-traducteur, <strong>de</strong>s employés, <strong>de</strong>ux<br />

pharmaciens, <strong>de</strong>s étudiants et <strong>de</strong>ux épouses <strong>de</strong> stagiaires. S’agit-il déjà <strong>de</strong> futurs chefs rapi<strong>de</strong>ment<br />

formés pour prendre en charge les premières Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, ou <strong>de</strong> responsables en quelque<br />

sorte bénévoles <strong>de</strong> ces structures ? Nous n’avons pas poussé suffisamment loin notre investigation<br />

pour le dire 3 . Ce qui est plus important, s<strong>ans</strong> doute, c’est que ce stage, d’abord placé sous la<br />

responsabilité d’un marin, le chef Bourgau, sera dirigé à partir du 11 décembre par Joffre<br />

Dumazedier, ancien stagiaire <strong>de</strong> la Faulconnière “qui a une idée plus ouverte <strong>de</strong> la pédagogie et<br />

sauvera le stage” 4 et <strong>de</strong>viendra, selon Segonzac, “un rouage précieux du Bureau <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

1 “Texte <strong>de</strong> Vichy”, p. 93. Toutes ces interventions sont, <strong>de</strong>puis, plutôt dévolues aux travailleurs<br />

sociaux et structures sociales, mais il n’est pas rare que <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, agréées ou non par la Caisse<br />

d’Allocations Familiales, interviennent sur l’hygiène et la santé : toxicomanie, sida, malnutrition...<br />

2 Ibid. p. 95.<br />

3 Antoine Delestre (Uriage, une communauté et une école d<strong>ans</strong> la tourmente. 1940-1945, Presses<br />

universitaires <strong>de</strong> Nancy, 1989) parle simplement <strong>de</strong> “stage réservé aux responsables <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes”, ce qui pour nous reste assez vague. Bernard Comte, malgré un développement plus<br />

complet, ne répond pas mieux à notre question (op. cit., p. 86-87).<br />

4<br />

Antoine Delestre, op. cit. p. 35.


d’Uriage” 1 .<br />

- 192 -<br />

Mais dès 1941, on ouvre d<strong>ans</strong> la zone Sud à proximité <strong>de</strong> Die, d<strong>ans</strong> le château <strong>de</strong> Chamarges 2<br />

sommairement réaménagé, une école <strong>de</strong> cadres, chefs <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong> Jeunes. La première session<br />

se déroule à partir <strong>de</strong> mars 1941. Joffre Dumazedier 3 en est en quelque sorte le responsable<br />

pédagogique et le directeur <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. L’école est dirigée par Maurice Rouchy, responsable <strong>de</strong>s<br />

CEMEA, avec “en arrière-plan, comme délégué général <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, André Lefèvre,<br />

Vieux Castor” 4 . Cette première promotion, la promotion Péguy, a formé trente chefs qui sont sortis <strong>de</strong><br />

l’école le 11 mai 1941, et ont été envoyés d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes pour les diriger. La<br />

promotion suivante et - selon les témoignages - la <strong>de</strong>rnière, formera dix-sept stagiaires nouveaux,<br />

parmi lesquels on comptera Paul J<strong>ans</strong>en, futur directeur <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong> et<br />

délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> 1969 à sa retraite.<br />

L’enseignement dispensé à Chamarges ressemble beaucoup à celui <strong>de</strong>s cadres d’Uriage où<br />

Joffre Dumazedier continue à être instructeur et chargé <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. La formation est à la fois morale,<br />

intellectuelle et physique. On apprend la sociologie, la pédagogie et la psychologie, tout en<br />

entretenant son corps d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s conditions assez dures et quasi militaires. Il y a <strong>de</strong>s épreuves<br />

sportives, et le dérouillage ou décrassage le matin avant le petit déjeuner ne fait, semble-t-il, pas que<br />

<strong>de</strong>s a<strong>de</strong>ptes. Les stagiaires doivent sortir <strong>de</strong> la formation “gonflés à bloc”, être <strong>de</strong> “véritables<br />

parachutistes <strong>de</strong> l’éducation populaire” 5 .<br />

Il y a en effet une cohérence et un parallèle évi<strong>de</strong>nt, aussi bien à Chamarges qu’à Uriage, entre<br />

l’entraînement physique et l’entraînement intellectuel et mental. “Il faut beaucoup <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong><br />

répétition pour que le corps du sportif <strong>de</strong>vienne ce qu’il veut qu’il soit ; il ne faut pas moins <strong>de</strong> temps<br />

ni <strong>de</strong> répétition pour que la personnalité soit ce que nous voulons qu’elle soit [...] La personnalité est<br />

au centre <strong>de</strong> la culture vraie, son développement et son entraînement sont comparables au<br />

développement et à l’entraînement du corps” 6 . L’action et l’expérience sont premières. “En<br />

éducation, ce n’est pas la personnalité qui doit être au service <strong>de</strong> l’action, mais l’action qui doit être<br />

1 Cité par A. Delestre, p. 35.<br />

2 Pour être plus précis, cette école est fondée en 1940 à Martouret, près <strong>de</strong> Die, puis tr<strong>ans</strong>férée à<br />

Chamarges en 1941.<br />

3 Rappelons que Joffre Dumazedier sera cofondateur <strong>de</strong> Peuple et Culture et, en tant que chercheur et<br />

universitaire, l’initiateur <strong>de</strong> la sociologie <strong>de</strong>s loisirs.<br />

4 Paul J<strong>ans</strong>en d<strong>ans</strong> Éléments pour l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire (document INEP n° 21, octobre<br />

1976) p. 44. André Lefèvre est, rappelons-le, cofondateur <strong>de</strong> la Maison pour tous <strong>de</strong> la Mouffe,<br />

responsable <strong>de</strong>s Éclaireurs <strong>de</strong> France. Il aurait été en quelque sorte le premier délégué général <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes.<br />

5 Éléments pour l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire (op.cit.), p. 45. La <strong>de</strong>rnière promotion se sol<strong>de</strong>ra par<br />

l’exclusion <strong>de</strong> plusieurs stagiaires et le départ, par solidarité avec eux, <strong>de</strong> P. J<strong>ans</strong>en, fait qui n’est<br />

peut-être pas étranger à la fermeture prématurée <strong>de</strong> l’école (entretien avec P. J<strong>ans</strong>en).<br />

6 Joffre Dumazedier “Jeunesse France”, Cahiers d’Uriage n° 33, juillet 1942, p. 29 et 30.


- 193 -<br />

au service <strong>de</strong> la personnalité” 1 . “La culture ainsi acquise offre à tout homme digne <strong>de</strong> ce nom la<br />

possibilité <strong>de</strong> dominer sa vie, <strong>de</strong> la situer d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> pour la mieux conduire” 2 . Ainsi l’influence<br />

d’Uriage sur l’éducation populaire tout entière, en particulier sur les Maisons <strong>de</strong> Jeunes, puis sur les<br />

futures <strong>MJC</strong>, est-elle indéniable 3 .<br />

Comment d<strong>ans</strong> le concret du quotidien ces Maisons <strong>de</strong>s Jeunes sont-elles créées et se<br />

développent-elles ? Que font-elles et comment vivent-elles ? En la matière, les témoignages directs<br />

et le bulletin <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, Fenêtre ouverte, sont les sources d’information<br />

essentielles.<br />

“Fruit d’un groupe, la Maison ne peut être l’oeuvre ni d’un mouvement, ni d’un parti, ni d’un<br />

homme ; pour naître, elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le concours <strong>de</strong>s volontés locales, s’épanouissant grâce à la<br />

tutelle du pouvoir. Seule en effet, la puissance publique possè<strong>de</strong> la plénitu<strong>de</strong> totale, seul l’Etat peut<br />

prési<strong>de</strong>r à la naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes...” 4 . Autrement dit, structure à vocation <strong>de</strong><br />

développement communautaire, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit être l’expression <strong>de</strong> la communauté<br />

locale sous la tutelle <strong>de</strong> l’Etat garant <strong>de</strong> la communauté nationale. A vrai dire, la création d’une<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes tient le plus souvent <strong>de</strong> l’initiative locale portée par la municipalité et <strong>de</strong>s<br />

notables, initiative locale animée par une volonté <strong>de</strong> rénovation nationale, soutenue par l’Etat, ses<br />

délégués régionaux à la jeunesse et <strong>de</strong>s mouvements qui sont censés agir d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> Vichy. Le<br />

chef, quant à lui, arrive généralement un peu plus tard pour donner forme au projet ou tout<br />

simplement pour diriger la structure.<br />

Quelques exemples : La Maison <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> la Motte d’Aveill<strong>ans</strong> (Isère) est fondée par un<br />

pharmacien, M. Germain, qui en est le premier animateur bénévole. Il a suivi le premier stage à<br />

Uriage en décembre 1940. Un dénommé Léon Rosa arrivera plus tard pour en assurer la direction,<br />

M. Germain ne pouvant pour <strong>de</strong>s raisons professionnelles y consacrer le temps nécessaire 5 . On doit<br />

la Maison <strong>de</strong> Cromac, petit village <strong>de</strong> la Haute Vienne à une famille : M. Paintendre, maire <strong>de</strong><br />

Cromac et délégué cantonal <strong>de</strong> la corporation paysanne, sa femme qui l’animait, sa belle-mère et<br />

son fils. La Maison <strong>de</strong> Rive-<strong>de</strong>-Gier (Loire) aurait été créée par les Compagnons <strong>de</strong> France 6 ,<br />

1 Ibid. p. 30.<br />

2 Ibid. p. 28. Il s’agit d’une définition très fonctionnelle <strong>de</strong> la culture que l’on retrouve souvent d<strong>ans</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire et notamment d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

3 “...L’évolution <strong>de</strong> l’éducation populaire, à laquelle Dumazedier et Cacérès, <strong>de</strong>ux anciens d’Uriage,<br />

attachèrent leur nom constitue un autre exemple <strong>de</strong> l’influence que l’école a exercée d<strong>ans</strong> le<br />

domaine <strong>de</strong> la pédagogie. Et enfin, la fondation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes doit également quelque<br />

chose à Uriage.” W. D. Halls Les jeunes et la politique <strong>de</strong> Vichy,<br />

p. 332.<br />

4 Fenêtre ouverte n° 8, décembre 1942, p. 2.<br />

5<br />

6<br />

Le nouveau local spacieux, doté d'un logement pour le futur chef, sera inauguré le 9 mars 1941 en<br />

présence <strong>de</strong> M. Lamirand, Secrétaire général <strong>de</strong> la Jeunesse.<br />

Selon Jean Destrée (entretiens).


- 194 -<br />

mouvement fondé en juin 1940 par Henri d’Havernas, commissaire national <strong>de</strong>s Scouts <strong>de</strong> France,<br />

soutenu par le gouvernement <strong>de</strong> Vichy avec lequel le mouvement eut plus tard <strong>de</strong>s différends, et qui<br />

finit par prononcer sa dissolution (21/1/44) 1 .<br />

Ces Maisons <strong>de</strong>s Jeunes sont à la fois implantées d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> rural et d<strong>ans</strong> le milieu urbain. Il<br />

y a <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes masculines et <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes féminines, ou comme à Cromac<br />

<strong>de</strong>s sections <strong>de</strong> jeunes filles et sections <strong>de</strong> “garçons”. Mais, à notre connaissance, même s’il existait<br />

<strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> cadres pour les femmes 2 , il ne semble pas qu’elles aient formé <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> maison<br />

du sexe féminin avec un statut professionnel comparable à celui <strong>de</strong>s hommes.<br />

Les activités pratiquées et les actions conduites sont très diverses. On opère les choix en<br />

fonction <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s compétences locales. Il ne semble pas, malgré les principes<br />

contraignants qui sont avancés et la volonté <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> l’Etat, que l’on impose ou interdise telle<br />

action plutôt que telle autre. Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes restent en quelque sorte <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong><br />

relative liberté et d’initiative, d<strong>ans</strong> un cadre défini plus par <strong>de</strong>s principes moraux et civiques que par<br />

<strong>de</strong>s obligations <strong>de</strong> contenu. Il y a cependant quelques passages obligés que se charge <strong>de</strong> rappeler<br />

Fenêtre ouverte, le bulletin <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> maisons : la fête <strong>de</strong> Jeanne d’Arc, la fête <strong>de</strong>s mères, les<br />

actions <strong>de</strong> secours en direction <strong>de</strong>s familles...<br />

Au compte, en quelque sorte, <strong>de</strong> cette pratique <strong>de</strong> la liberté et <strong>de</strong> l’initiative encadrées, il faut<br />

signaler l’expérience <strong>de</strong>s premiers conseils <strong>de</strong> maison.: les textes prévoient en effet que le conseil<br />

d’administration <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit comprendre un tiers <strong>de</strong> membres actifs, c’est à dire <strong>de</strong><br />

jeunes. Mais on ne dit pas comment ces jeunes sont désignés et il y a tout lieu <strong>de</strong> penser qu’il sont<br />

choisis par le chef <strong>de</strong> maison. Il semble bien que le conseil <strong>de</strong> maison, espace d’initiative quotidienne<br />

et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s jeunes par eux-mêmes, ait été conçu à Chamarges et d’abord expérimenté d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong> leur formation par les futurs chefs.<br />

Ce que l’on appellera plus tard la pédagogie institutionnelle - autrement dit cette adéquation entre<br />

l’objectif d’apprentissage et le cadre institutionnel d<strong>ans</strong> lequel s’opère l’acte pédagogique - est en<br />

effet conçue et déjà expérimentée à Chamarges, pour pouvoir être pratiquée d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes sous la direction pédagogique du chef. Paul J<strong>ans</strong>en en témoigne :<br />

“A Chamarges, le chef Rouchy était appelé directeur-chef ; moi j’étais le chef <strong>de</strong> maison et les<br />

garçons m’appelaient “chef” [...] lorsque l’on parle <strong>de</strong> pédagogie institutionnelle d<strong>ans</strong> mon<br />

association actuellement, eh bien je souris. Ce sont les jeunes psychologues actuels ou les<br />

jeunes pédagogues qui parlent <strong>de</strong> pédagogie institutionnelle ; c’est beau, eh bien c’était<br />

simplement ce que nous faisions à Chamarges. On disait : il faut vivre d<strong>ans</strong> l’école <strong>de</strong> cadres<br />

1 Au sujet <strong>de</strong>s compagnons <strong>de</strong> France, voir notamment Éducation populaire et jeunesse d<strong>ans</strong> la France<br />

<strong>de</strong> Vichy. 1940-1944 et Les jeunes et la politique <strong>de</strong> Vichy.<br />

2 À Ecully-les-Lyon par exemple.


- 195 -<br />

comme vous vivrez d<strong>ans</strong> votre Maison <strong>de</strong>s Jeunes ; les mêmes problèmes doivent se<br />

retrouver <strong>de</strong> façon que vous puissiez tr<strong>ans</strong>poser - bien sûr il y a une tr<strong>ans</strong>position nécessaire -<br />

et pour cela on se fie à votre intelligence et à votre sensibilité. Mais il faut vivre d<strong>ans</strong> les<br />

mêmes conditions. Vous aurez <strong>de</strong>s équipes, aurez <strong>de</strong>s activités, vous ferez <strong>de</strong>s sorties, vous<br />

organiserez tout vous-mêmes, etc.. etc...” 1 .<br />

En fait ce conseil <strong>de</strong> maison était “un conseil parallèle <strong>de</strong> jeunes” 2 qui n’avait ni statut ni pouvoir<br />

juridique. “Ce conseil parallèle obtenait quand même <strong>de</strong> la part du conseil d’administration <strong>de</strong>s<br />

assurances sur un certain nombre <strong>de</strong> domaines ; par exemple sur la marche interne <strong>de</strong> la Maison, il<br />

avait le pouvoir d’organiser les horaires, l’entretien, toutes les tâches relativement mineures” 3 .<br />

Le bulletin Fenêtre ouverte fait effectivement état <strong>de</strong> ce conseil <strong>de</strong> maison, <strong>de</strong> son rôle et <strong>de</strong> son<br />

fonctionnement :<br />

“D<strong>ans</strong> une petite salle, dix jeunes sont maintenant autour d’une table et discutent. C’est le<br />

conseil <strong>de</strong> maison. Mais vous ne pouvez savoir ce qu’est un conseil <strong>de</strong> maison ? En un mot,<br />

c’est une réunion hebdomadaire <strong>de</strong> jeunes qui dirigent eux-mêmes leur Maison. C’est la<br />

direction, le cerveau <strong>de</strong> la M.J. <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong>” 4 .<br />

Ce conseil <strong>de</strong> maison constitue une expérience novatrice et “en fait assez révolutionnaire” 5 d<strong>ans</strong><br />

le domaine <strong>de</strong> l’éducation <strong>de</strong>s jeunes. En effet jusqu’à ce moment-là “toutes les associations quelles<br />

qu’elles soient, même et surtout les associations <strong>de</strong> jeunesse, étaient dirigées par <strong>de</strong>s notables. Les<br />

notables étaient en général <strong>de</strong>s gens sympathiques, ouverts, qui se penchaient avec générosité sur<br />

les jeunes, comme les intellectuels se penchaient sur les ouvriers ...” 6<br />

Il semble que là l’éducation populaire ait fait un nouveau pas - et d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> qui, <strong>de</strong> prime<br />

abord, ne se caractérise pas par le progrès - d<strong>ans</strong> ses métho<strong>de</strong>s pédagogiques en essayant <strong>de</strong><br />

dépasser institutionnellement et d<strong>ans</strong> la pratique, l’opposition entre ceux qui ont le savoir et le<br />

pouvoir, et ceux qu’il s’agit d’éduquer (les jeunes, les ouvriers, les couches populaires en général).<br />

Et <strong>de</strong> fait, ce conseil <strong>de</strong> maison, où <strong>de</strong>s jeunes peuvent prendre collectivement <strong>de</strong>s décisions<br />

avec l’ai<strong>de</strong> pédagogique du chef <strong>de</strong> maison, a eu rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s effets, pas toujours favorables à<br />

l’esprit <strong>de</strong> Vichy et aux fondateurs <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. L’expérience <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong> est à ce titre<br />

1 Éléments pour l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire, p. 49.<br />

2 Ibid. p. 50.<br />

3 Ibid. p. 50.<br />

4 Bulletin <strong>de</strong> décembre 1943.<br />

5 Paul J<strong>ans</strong>en, op. cit. p. 49. Révolutionnaire, pas forcément au sens <strong>de</strong> la Révolution nationale, mais<br />

plutôt au sens d’école élémentaire <strong>de</strong> la démocratie et <strong>de</strong> la responsabilité, qui pouvait déboucher<br />

sur la contestation du pouvoir et <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong>s conseils d’administration. C’est le rôle que jouera<br />

souvent le conseil <strong>de</strong> maison d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années 50 et <strong>60</strong>.<br />

6 Paul J<strong>ans</strong>en, op. cit. p. 49.


- 196 -<br />

significative 1 . Dès 1942 et après l’organisation <strong>de</strong> camps d<strong>ans</strong> le Vercors tout proche, les jeunes vont<br />

exiger <strong>de</strong> s’organiser eux-mêmes d<strong>ans</strong> un conseil <strong>de</strong> maison, dont ils vont contester les statuts<br />

élaborés à Chamarges et mis en place par leur chef. En s’inspirant d’autres expériences décrites<br />

d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> la bibliothèque, ils vont élaborer <strong>de</strong> nouveaux statuts et règlements. Ce sont ces<br />

mêmes jeunes que l’on retrouvera avec leur chef, les années suivantes, d<strong>ans</strong> les maquis du Vercors<br />

et d<strong>ans</strong> les combats <strong>de</strong> la Résistance 2 .<br />

A quel rythme et selon quelle répartition géographique ces Maisons <strong>de</strong>s Jeunes s’implantent-elles<br />

? Pendant les <strong>de</strong>ux premières années se créent un peu plus <strong>de</strong> trente Maisons <strong>de</strong>s Jeunes 3 d<strong>ans</strong><br />

<strong>de</strong>s localités d’importance très diverse : d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes comme Lyon ou Toulouse, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

petites villes comme Rom<strong>ans</strong> ou Thonon, mais aussi d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s petites localités et <strong>de</strong>s villages<br />

comme Pouzols (Hérault) ou Condat (Cantal). Déjà la région Rhône-Alpes fait figure <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>r en<br />

matière d’implantation, puisqu’elle regroupe à elle seule plus du tiers <strong>de</strong>s premières Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes créées en zone Sud 4 .<br />

La carte <strong>de</strong>s associations gestionnaires <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes dissoutes par René Capitant en<br />

1945 confirme la répartition géographique <strong>de</strong>s premières années : la région Rhône-Alpes regroupe<br />

près du tiers <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> l’ensemble du territoire, que le nouveau gouvernement a jugé bon<br />

<strong>de</strong> dissoudre. Mais déjà la région Midi-Pyrénées connait une implantation qui préfigure son<br />

développement et son dynamisme à venir 5 . A partir <strong>de</strong>s documents en notre possession, il est bien<br />

difficile <strong>de</strong> donner le nombre exact <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes réellement vivantes et reconnues<br />

comme telles à la libération du pays. Le décret <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong> R. Capitant concerne aussi bien <strong>de</strong>s<br />

associations départementales voire régionales que <strong>de</strong>s associations locales, si bien qu’il est tout à<br />

fait cohérent <strong>de</strong> conclure que le nombre <strong>de</strong> Maisons est bien supérieur à celui <strong>de</strong>s associations<br />

dissoutes, chacune d’entre elle pouvant en gérer plusieurs. Mais à l’inverse, on peut supposer que<br />

<strong>de</strong>s associations ne gèrent ou ne coordonnent aucune Maison <strong>de</strong> Jeunes en réelle activité et qu’elles<br />

aient été seulement créées pour assurer leur développement futur 6 . Le compte rendu <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> l’association nationale “Les amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” annonce “130 maisons<br />

1 Même si elle est vraisemblablement exceptionnelle et isolée.<br />

2 Entretiens avec Paul J<strong>ans</strong>en et témoignages rassemblés d<strong>ans</strong> Les adhérents <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong><br />

d<strong>ans</strong> la Résistance, J.-C. Leroyer, Rom<strong>ans</strong>, 1991.<br />

3 Selon B. Comte (op. cit. p. 48). Le Secrétariat général à la jeunesse en prévoyait une par canton.<br />

4 Selon la carte dressée par J.-C. Leroyer Histoire et sociologie <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> sa phase <strong>de</strong><br />

gestation, p. 111 (annexe 37).<br />

5 Toujours selon la carte dressée par J.-C. Leroyer, op. cit. p. 112 (annexe 38).<br />

6 Ce sont les missions que se donnent l’“Association pour la création et l’organisation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes <strong>de</strong> la Haute Garonne” et l’“association pour la création et l’organisation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes <strong>de</strong> l’Ariège” (arrêté <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong> R. Capitant).


- 197 -<br />

environ” pour la seule zone sud, s<strong>ans</strong> qu’à notre connaissance une liste précise ait été dressée.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s chiffres, il est à remarquer que se sont créées <strong>de</strong>s associations départementales et<br />

régionales qui préfigurent une vie fédérative territoriale ainsi qu’une association nationale, “Les amis<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes”, d<strong>ans</strong> laquelle on peut voir la forme embryonnaire <strong>de</strong> la future fédération<br />

française. Mais, comme nous allons le voir, d’autres évènements et évolutions marqueront l’histoire<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, notamment à partir <strong>de</strong> 1943.<br />

3 - Organisation, troubles et basculements<br />

Les prérogatives <strong>de</strong> l’Etat en matière <strong>de</strong> création, <strong>de</strong> développement et <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes encore affirmées en décembre 1942 1 vont rapi<strong>de</strong>ment connaître une sensible<br />

atténuation. En effet, dès les 27 et 28 mai 1943, l’association <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes,<br />

réunie au siège social à Lyon, a d’autres prétentions que celles d’une simple amicale. Elle rassemble<br />

“<strong>de</strong>s représentants régionaux <strong>de</strong> l’association <strong>de</strong> Toulouse, Marseille, Lyon, Montpellier, Limoges”.<br />

L’Etat y est effectivement représenté par MM. Prat et Bay, du Secrétariat à la Jeunesse qui<br />

“assistaient à cette réunion” 2 . Mais les objectifs <strong>de</strong> cette association nationale sont ambitieux et<br />

significatifs <strong>de</strong> la place que l’organisation associative fédérative doit occuper d<strong>ans</strong> le développement<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes qui pourtant semble relever <strong>de</strong> l’intervention directe <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong> ses<br />

services et fonctionnaires.<br />

Avec l’accord au moins formel <strong>de</strong> l’Etat qui donne à l’association <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes une habilitation administrative et financière <strong>de</strong> gestion, on va donc rapi<strong>de</strong>ment passer d’un<br />

ménage à <strong>de</strong>ux (l’Etat et les Maisons <strong>de</strong> Jeunes) à un ménage à trois (l’Etat, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et un appareil fédératif fonctionnant d’une manière associative). Et donc, dès le mois <strong>de</strong> mai 1943,<br />

on convient <strong>de</strong> “créer <strong>de</strong>s associations locales et <strong>de</strong>s fédérations départementales en vue d’aboutir à<br />

une assemblée nationale constitutive d’une fédération nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” 3 .<br />

On insiste plus d<strong>ans</strong> le numéro 10 <strong>de</strong> Fenêtre ouverte 4 sur l’union <strong>de</strong> la jeunesse d<strong>ans</strong> sa<br />

diversité et sur les principes <strong>de</strong> l’associationnisme et du fédéralisme que sur la Révolution Nationale,<br />

à laquelle l’éditorial ne fait explicitement aucune référence. On renvoie par contre à l’expérience<br />

passée du syndicalisme français : “Nous aimons à nous référer à ces pionniers du syndicalisme<br />

1 “Seule en effet la puissance publique possè<strong>de</strong> la plénitu<strong>de</strong> totale, seul l’État peut prési<strong>de</strong>r à la<br />

naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes ; seule son ai<strong>de</strong> financière et sa tutelle administrative sont assez<br />

pures et détachées <strong>de</strong>s intérêts particuliers pour assurer aux institutions communautaires les<br />

garanties d’indépendance nécessaires”. Fenêtre ouverte n° 8.<br />

2 Fenêtre ouverte n° 10, juillet-août-septembre 1943, p. 2.<br />

3 Ibid. p. 2.<br />

4 Bulletin qui déjà rend <strong>de</strong>s comptes à l’association <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes dont il est,<br />

semble-t-il <strong>de</strong>venu l’organe. “M. Savio rendit compte <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> “Fenêtre ouverte” et <strong>de</strong><br />

l’orientation sociale et civique qu’il entendait donner au bulletin <strong>de</strong> l’association”. Ibid. p. 2.


- 198 -<br />

français qui, au prix d’un long apostolat, affirmèrent l’institution <strong>de</strong>s Bourses du Travail. Nous ne<br />

cachons pas notre satisfaction <strong>de</strong> voir que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes peuvent être comme les Bourses<br />

<strong>de</strong> l’espérance active <strong>de</strong> la Nation” 1 .<br />

Et l’on met en avant le succès et le bien fondé <strong>de</strong> l’“associationnisme”. L’assemblée régionale <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> la région Haut-Languedoc-Gascogne a en effet rassemblé huit cent jeunes<br />

les 31 juillet et 1er août <strong>de</strong> la même année et, dit l’éditorial 2 , “ce succès rehausse les principes <strong>de</strong><br />

l’associationnisme dont nous nous réclamons. Loin <strong>de</strong> considérer que les associations pouvaient<br />

concurrencer leur autorité, le délégué régional et son adjoint chargé <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes ont, au<br />

contraire, visé à créer et à faire vivre ces communautés indépendantes où les élites officielles et<br />

actives sont mobilisées au service <strong>de</strong> la jeunesse. De ce concours réciproque <strong>de</strong> l’autorité et <strong>de</strong> la<br />

liberté est résulté un grand bénéfice. Les Maisons y ont trouvé une ai<strong>de</strong> matérielle, morale, humaine<br />

que l’Etat n’est pas toujours en mesure <strong>de</strong> fournir”.<br />

Ainsi cette articulation difficile mais supposée dynamique <strong>de</strong> l’un et du multiple, <strong>de</strong> l’autorité <strong>de</strong><br />

l’Etat et <strong>de</strong> la liberté d’initiative 3 est-elle au principe <strong>de</strong> la vie associative et fédérative qui se structure<br />

d’une manière nouvelle, notamment lors <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> l’association nationale “les amis<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” le 10 septembre à Lyon au Palais <strong>de</strong> la Mutualité.<br />

Cette assemblée générale est à nouveau l’occasion <strong>de</strong> réaffirmer les attributions, présentées<br />

comme simplement “techniques” 4 , particulièrement importantes <strong>de</strong> l’association nationale.<br />

“Elle est avant toute chose la personne morale qui assume soit directement, soit par<br />

l’intermédiaire <strong>de</strong>s associations locales ou départementales, la gestion administrative et<br />

financière <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes Sud, soit 130 maisons environ. En outre, elle doit être, à<br />

côté <strong>de</strong> la Maison, le centre <strong>de</strong>stiné à faciliter les rencontres et les efforts <strong>de</strong>s personnalités les<br />

plus diverses du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’éducation, <strong>de</strong> l’instruction, <strong>de</strong> la presse, <strong>de</strong>s mouvements. Elle ne<br />

vise à se substituer ni aux organismes responsables <strong>de</strong> l’Etat ni aux mouvements spécialisés.<br />

Elle requiert, pour assurer cette oeuvre d’union respectueuse <strong>de</strong>s diversités et <strong>de</strong> l’autorité, un<br />

personnel <strong>de</strong> militants ayant par tradition le souci <strong>de</strong> l’équilibre, du contre-poids, un<br />

fédéralisme positif.” 5<br />

Pour asseoir ce “fédéralisme positif”, elle se donne un prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> poids, M. André, vice-<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Mutualité française et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Artisanat français qui représente “une<br />

association où 9 millions <strong>de</strong> familles françaises sont unies par les affinités les plus diverses, pour le<br />

1 Fenêtre ouverte n° 10, p. 1.<br />

2 Ibid. p. 1-2.<br />

3 “L’union respectueuse <strong>de</strong>s diversités et <strong>de</strong> l’autorité”. Compte rendu <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong><br />

l’association nationale “les amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes”, 10 septembre 1943 (Fenêtre ouverte n°<br />

11, octobre 1943).<br />

4 Il s’agit s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> ne pas prétendre clairement empiéter sur les attributions politiques <strong>de</strong> l’État.<br />

5 Compte rendu d<strong>ans</strong> Fenêtre ouverte n° 11.


service commun” 1 .<br />

- 199 -<br />

En outre, l’association nationale en s’adjoignant prési<strong>de</strong>nts et représentants <strong>de</strong>s principales<br />

associations locales ou départementales <strong>de</strong>vient une sorte <strong>de</strong> pré-fédération en attendant la création<br />

d’une plus vaste “Fédération Nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” 2 .<br />

Autre élément nouveau et d’importance : cette assemblée générale déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> constituer aux<br />

côtés <strong>de</strong> l’équipe <strong>de</strong> direction un conseil national consultatif “<strong>de</strong>stiné à élargir l’association” 3 . En plus<br />

<strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nts d’associations départementales ou régionales <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> Jeunes, ce conseil est<br />

constitué <strong>de</strong> M. André, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Mutualité du Rhône, <strong>de</strong> M. Fabrègue, directeur du journal<br />

“Demain”, <strong>de</strong> M. Dupouey, <strong>de</strong>s Compagnons <strong>de</strong> France, <strong>de</strong> M. Auclerc <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunes, <strong>de</strong><br />

M. Guiraud, <strong>de</strong>s cercles <strong>de</strong> jeunes travailleurs, <strong>de</strong> M. Thiébaut, <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> Marly, <strong>de</strong> M.<br />

le représentant <strong>de</strong>s chantiers <strong>de</strong> le Jeunesse.<br />

Ainsi cette association nationale passe-t-elle d’une simple amicale à une structure partenariale,<br />

cogestionnaire dira-t-on plus tard, à vocation fédérative, où sont associés <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s<br />

associations locales et territoriales, <strong>de</strong>s représentants d’institutions et <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> jeunesse,<br />

<strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> l’Etat.<br />

L’administration, par l’intermédiaire <strong>de</strong> MM. Vion et Prat, témoigne <strong>de</strong> son intérêt pour cette<br />

association nationale d<strong>ans</strong> la mesure où il “doit y avoir entre les <strong>de</strong>ux une collaboration tout à fait<br />

précieuse d<strong>ans</strong> l’intérêt <strong>de</strong> la jeunesse” 4 . Les représentants du Secrétariat général <strong>de</strong> la Jeunesse<br />

affirment en effet que “l’orientation <strong>de</strong> l’association ne s’oppose nullement aux intérêts <strong>de</strong><br />

l’administration. C’est à l’administration qu’appartiennent les responsabilités <strong>de</strong> l’orientation et du<br />

contrôle. C’est à l’association qu’appartient la gestion. Les cas particuliers où se révélaient tout à la<br />

fois une confusion <strong>de</strong> ces attributions et une incompréhension <strong>de</strong>s justes rapports <strong>de</strong> l’autorité et <strong>de</strong><br />

la liberté ont été vivement regrettés par tous et il a été décidé d’y mettre fin” 5 .<br />

L’association nationale a une tâche d’union, <strong>de</strong> rapprochement <strong>de</strong>s mouvements d<strong>ans</strong> le respect<br />

<strong>de</strong> leur diversité, <strong>de</strong> rejet <strong>de</strong> toute tentative <strong>de</strong> monopoliser la jeunesse d<strong>ans</strong> un but particulier et par<br />

<strong>de</strong>s structures particulières (partis, organismes syndicaux ou corporatifs). Il conviendra en effet <strong>de</strong><br />

“faire à toutes les organisations syndicales ou corporatives une place correspondant à leur<br />

importance d<strong>ans</strong> les diverses Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. Mais l’initiative et l’orientation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes ne peuvent appartenir qu’à une organisation propre <strong>de</strong> la jeunesse” 6 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Compte rendu <strong>de</strong> l’Assemblée Générale <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, Fenêtre ouverte n° 11.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid.


- 200 -<br />

“Cette organisation nationale propre à la jeunesse indépendamment <strong>de</strong>s classes, milieux, partis,<br />

etc...” 1 dont on doit reconnaître la nécessité, que doit-elle être et comment doit-elle fonctionner ? Ne<br />

s’agit-il pas d<strong>ans</strong> d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes d’un élargissement fédérateur <strong>de</strong><br />

l’association nationale qui rassemblerait les associations locales et territoriales, les gran<strong>de</strong>s<br />

institutions et mouvements concernant la jeunesse et qui, concrètement et localement, agirait d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, lieux <strong>de</strong> rencontre et d’initiative <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong> tous les<br />

mouvements ? Mais d<strong>ans</strong> ce cas-là ne peut-on pas entrevoir les évolutions les plus contradictoires :<br />

le développement d’une organisation impérialiste qui pourrait limiter et réglementer l’initiative <strong>de</strong>s<br />

mouvements et à terme, si elle était fortement contrôlée par l’Etat, dériver vers un dispositif<br />

d’institution et <strong>de</strong> jeunesse uniques ? ou à l’opposé la constitution d’une organisation à la fois<br />

impérialiste vis à vis <strong>de</strong>s mouvements et autonome vis à vis du pouvoir politique et qui ainsi pourrait<br />

<strong>de</strong>venir une sorte d’Etat d<strong>ans</strong> l’Etat ? 2<br />

Cette organisation propre <strong>de</strong> la jeunesse ne vit pas le jour, ni sous Vichy, ni plus tard, du reste.<br />

On pourrait même avancer que les tentations vichystes d’enrégimenter la jeunesse - soit, comme ce<br />

fut le cas à partir <strong>de</strong> 1943 3 , en soutenant les tentatives <strong>de</strong> mouvement unique <strong>de</strong> type nazi, soit en<br />

voulant contrôler une organisation nationale fédérant initiatives et mouvements - ont rendu difficile<br />

voire impossible et pour longtemps tout projet <strong>de</strong> mettre en place une politique <strong>de</strong> la jeunesse 4 .<br />

Pour en revenir à l’association nationale <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes, il est important <strong>de</strong><br />

constater, contrairement à ce que le contexte <strong>de</strong> l’époque laisserait facilement supposer, qu’un<br />

fédéralisme encore embryonnaire se construit par le bas. Il ne semble pas en effet que cette<br />

association nationale rassemblant en peu <strong>de</strong> temps associations locales et territoriales et<br />

mouvements, soit une association para-étatique organisée par le haut, même si ses responsables<br />

ont l’assentiment du secrétariat général à la jeunesse qui, bien sûr, pose <strong>de</strong>s limites et met <strong>de</strong>s<br />

gar<strong>de</strong>-fous.<br />

Et malgré la répartition <strong>de</strong>s responsabilités entre l’administration d’Etat (orientation et contrôle<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes) et l’association (gestion), il est clair que rapi<strong>de</strong>ment, le contexte aidant 5 , les<br />

relations entre l’Etat et les Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes vont <strong>de</strong>venir difficiles. On n’en veut pour<br />

1 Ibid.<br />

2 Comme nous le verrons, l’histoire ultérieure <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> s’inscrira souvent d<strong>ans</strong> ces interrogations et<br />

enjeux.<br />

3 Voir W. D. Halls (op. cit.). Déat semble représenter la tendance la plus extrémiste : jeunesse unique,<br />

organisation et parti unique, camps <strong>de</strong> travail pour les jeunes “comme en Italie et en Allemagne”.<br />

4 Aujourd’hui encore on peut envisager d’élaborer une politique <strong>de</strong> tous les secteurs y compris et<br />

surtout les plus brûlants : la culture, l’immigration, le troisième âge, les rapatriés, les handicapés...<br />

mais le projet d’une politique <strong>de</strong> la jeunesse fait rapi<strong>de</strong>ment frémir.<br />

5 Lamirand n’est plus secrétaire général à la jeunesse ; la milice <strong>de</strong> Darnand a créé son école <strong>de</strong> cadres<br />

à Uriage que Dunoyer <strong>de</strong> Segonzac et son équipe ont dû quitter ; la collaboration et le pouvoir se<br />

durcissent.


- 201 -<br />

preuve qu’un texte <strong>de</strong> décembre 1943 1 qui oppose un schéma idéal et la réalité.<br />

On rappelle en effet un certain nombre <strong>de</strong> principes intangibles : il ne peut y avoir <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong><br />

Jeunes s<strong>ans</strong> association dont les missions sont <strong>de</strong> gérer la structure, “d’organiser la liberté d<strong>ans</strong> le<br />

domaine <strong>de</strong> l’éducation”, d’être le centre <strong>de</strong> liaison <strong>de</strong>s initiatives prises et <strong>de</strong> tous ceux qui “peuvent<br />

concourir à l’éducation : syndicats, mutualité, presse, enseignement, associations sportives,<br />

municipalités, etc...” 2 . La place <strong>de</strong> l’Etat qui “à l’origine <strong>de</strong>vait être l’animateur et l’initiateur <strong>de</strong> ces<br />

communautés” ne doit avoir qu’un rôle <strong>de</strong> contrôle limité : “contrôle du directeur <strong>de</strong> la Maison d<strong>ans</strong> le<br />

domaine général, contrôle <strong>de</strong> la gestion en tant qu’il s’agit <strong>de</strong>s subventions <strong>de</strong> l’Etat” 3 .<br />

On rappelle également que l’association nationale <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes s’était fixé<br />

pour tâche <strong>de</strong> faire respecter ces principes et qu’à dater du 10 septembre 1943 elle s’est réorganisée<br />

“pour être autre chose qu’un simple appendice du Secrétariat à la Jeunesse et <strong>de</strong>venir une véritable<br />

association” 4 . Il est bien précisé qu’elle avait été habilitée et en quelque sorte émancipée<br />

juridiquement par une sorte <strong>de</strong> délégation reçue <strong>de</strong> l’Etat pour être soit directement, soit par<br />

l’entremise <strong>de</strong>s associations autonomes d<strong>ans</strong> le cadre fédéral, la personne morale gestionnaire<br />

nationale en zone sud et qu’“elle entendait tirer toutes les conséquences <strong>de</strong> cette émancipation<br />

juridique” 5 .<br />

La réalité est bien différente. Les responsables <strong>de</strong> l’association et le directoire <strong>de</strong>s mouvements<br />

ont appris, s<strong>ans</strong> avoir été consultés, qu’une circulaire du Secrétaire à la Jeunesse du 11 novembre<br />

1943 enlevait à l’association nationale l’habilitation générale qu’elle avait reçue pour la gestion <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes <strong>de</strong> la zone sud.<br />

Les responsables, son prési<strong>de</strong>nt notamment, ne s’avouèrent pas vaincus. Il ne ménagèrent pas<br />

leurs efforts pour sauvegar<strong>de</strong>r les droits <strong>de</strong> l’association nationale : “Nous entendons assumer sur le<br />

plan national la tâche <strong>de</strong> défense <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> l’associationnisme, <strong>de</strong> conseiller et <strong>de</strong> défendre<br />

toutes les associations <strong>de</strong> jeunesse, <strong>de</strong> faire respecter en un mot l’organisation <strong>de</strong> la liberté d<strong>ans</strong> le<br />

domaine <strong>de</strong> la jeunesse ...” 6 .<br />

Les relations entre l’Etat vichyste et les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes qu’il a fortement contribué à créer et<br />

à développer ne vont donc plus <strong>de</strong> soi, notamment au moment où, d’une part, la situation nationale<br />

se durcit et où, d’autre part, les responsables <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes enten<strong>de</strong>nt bien s’organiser<br />

1 “Les associations au service <strong>de</strong>s Maisons”, Fenêtre ouverte n° 13.<br />

2 Fenêtre ouverte n° 13, décembre 1943..<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid.


- 202 -<br />

selon <strong>de</strong>s principes qui marquent leur différence et leur prise d’autonomie par rapport à la politique<br />

<strong>de</strong> l’Etat.<br />

Ces évolutions, troubles, basculements, ruptures même, sont également repérables d<strong>ans</strong> Fenêtre<br />

ouverte. Initialement, Fenêtre ouverte 1 est le bulletin <strong>de</strong>s “chefs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” qui, comme<br />

nous l’avons vu, ont pour mission <strong>de</strong> développer l’esprit “Révolution Nationale” d<strong>ans</strong> les Maisons<br />

qu’ils dirigent. La rédaction et l’administration du bulletin sont au grand casino <strong>de</strong> Vichy. Fin 1942,<br />

l’administration et la rédaction <strong>de</strong> Fenêtre ouverte se déplacent à Lyon tout en restant sous le<br />

contrôle du Secrétariat général à la Jeunesse 2 . Jusqu’à ce moment-là, l’emprise directe <strong>de</strong> l’Etat et<br />

<strong>de</strong> son idéologie est évi<strong>de</strong>nte : directives précises quant à la mission et à l’organisation <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes, textes du Maréchal Pétain et même <strong>de</strong> Salazar.<br />

Mais au printemps <strong>de</strong> 1943 3 , Fenêtre ouverte ne s’intitule plus “bulletin <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes”. Cette “nouvelle série” 4 , rédigée et administrée à Lyon, ne fait plus mention d<strong>ans</strong> sa “carte<br />

d’i<strong>de</strong>ntité” du Secrétariat général à la Jeunesse. Elle est déjà <strong>de</strong>venue l’organe <strong>de</strong> l’Association<br />

nationale <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, à qui son rédacteur, Léonard Savio 5 , rend <strong>de</strong>s<br />

comptes 6 . Les textes <strong>de</strong> Vichy ont disparu pour laisser la place à <strong>de</strong>s éditoriaux <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong><br />

la revue 7 ou <strong>de</strong> l’Association nationale, le Prési<strong>de</strong>nt André notamment. On y développe par exemple<br />

<strong>de</strong>s analyses sur le syndicalisme (“Les gran<strong>de</strong>s étapes du mouvement ouvrier en France”) ou sur la<br />

condition féminine (“Pourquoi <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes féminines ?”) qui sont, pour le moins, en<br />

rupture avec l’esprit <strong>de</strong> la Révolution Nationale. On compare, comme le fera plus tard Jean Rous, les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes aux Bourses du Travail : “Sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong> leurs métho<strong>de</strong>s à<br />

l’égard <strong>de</strong>s mouvements, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes jouera sensiblement le même rôle que la Bourse du<br />

Travail par rapport aux grands syndicats ouvriers” 8 . On s’oppose même clairement à l’étatisme :<br />

“Aucune Maison <strong>de</strong> Jeunes ne peut servir <strong>de</strong> mainmise <strong>de</strong> l’Etat sur la jeunesse” 9 .<br />

1 Le numéro 1 est d’octobre 1942.<br />

2 Il s’agit du n° 8, seul numéro, semble-t-il, qui, tout en restant sous le contrôle du Secrétariat général<br />

à la Jeunesse, soit édité à Lyon.<br />

3 Il s’agit du n° 9 <strong>de</strong> mai 1943. Il n’y a donc pas eu d’édition entre décembre 1942 (n° 8 publié sous le<br />

contrôle <strong>de</strong> Vichy) et mai 1943 (n° 9 rédigé et administré au 25, rue <strong>de</strong> la Tête d’Or à Lyon).<br />

4 Nouveau sous-titre <strong>de</strong> Fenêtre ouverte.<br />

5 Ronald Seydoux, un <strong>de</strong>s responsable <strong>de</strong> la Mouffe, était le premier rédacteur <strong>de</strong> Fenêtre ouverte.<br />

6 “M. Savio rendit compte <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> “Fenêtre ouverte” et <strong>de</strong> l’orientation sociale et civique<br />

qu’il entendait donner au bulletin <strong>de</strong> l’association” (réunion du conseil d’administration <strong>de</strong><br />

l’Association <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong>s 27 et 28 mai 1943). Fenêtre ouverte n° 10,<br />

juillet-août-septembre 1943.<br />

7 Signés tout simplement F.O. (Fenêtre ouverte).<br />

8 Fenêtre ouverte n° 16, mars 1944.<br />

9 Fenêtre ouverte n° 17, avril 1944.


- 203 -<br />

Autrement dit, au moment où le gouvernement <strong>de</strong> Vichy entre clairement d<strong>ans</strong> une pratique <strong>de</strong><br />

collaboration qui <strong>de</strong>vrait justifier <strong>de</strong> sa part un contrôle strict <strong>de</strong>s structures qu’il a soutenues et <strong>de</strong><br />

leur organe d’expression, il y a au contraire un certain relâchement qui, au-<strong>de</strong>là du retrait <strong>de</strong><br />

l’habilitation à l’association nationale, laisse une certaine marge <strong>de</strong> manoeuvre aux Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et à leurs responsables. C’est que, s<strong>ans</strong> aucun doute, en matière d’encadrement <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse, le gouvernement <strong>de</strong> Vichy a fait d’autres choix plus fiables et plus efficaces d<strong>ans</strong> ce<br />

combat ultime qui opposera <strong>de</strong> nombreux jeunes Français.<br />

Sur le terrain <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, comme d<strong>ans</strong> les mouvements <strong>de</strong> jeunesse 1 , on est loin,<br />

en effet, <strong>de</strong> suivre à la lettre les consignes <strong>de</strong> la Révolution Nationale. Certes, contrairement à ce<br />

qu’un mythe <strong>de</strong> l’origine <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> véhicule, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes ne s’engagèrent pas<br />

massivement et spectaculairement d<strong>ans</strong> la Résistance. Mais après tout, résister n’est pas forcément<br />

spectaculaire, et là comme ailleurs, <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes, <strong>de</strong>s jeunes, firent à un certain<br />

moment <strong>de</strong>s choix souvent individuels que ces structures, à la fois <strong>de</strong> rencontre et normalement très<br />

contrôlées, purent faciliter et couvrir.<br />

Cependant, s’il y a un mythe fondateur héroï que <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, c’est bien qu’il y a un fon<strong>de</strong>ment au<br />

mythe. Il faut aller le chercher d<strong>ans</strong> la Drôme, à Rom<strong>ans</strong>, où Paul J<strong>ans</strong>en est chef <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes masculine à partir <strong>de</strong> février 1942. Dès l’été <strong>de</strong> la même année, et à la faveur <strong>de</strong><br />

l’organisation <strong>de</strong> camps <strong>de</strong> vacances d<strong>ans</strong> le Vercors tout proche, certains jeunes <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et leur chef entrent en contact avec les premiers maquisards et mouvements <strong>de</strong> Résistance.<br />

Dès lors, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong> a une double vie : une vie au grand jour, officielle en<br />

quelque sorte, pendant laquelle on répond s<strong>ans</strong> zèle excessif 2 aux exigences <strong>de</strong> Vichy (actes <strong>de</strong><br />

solidarité par exemple 3 ), et une vie cachée faite <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>port d’armes, <strong>de</strong> sabotages, <strong>de</strong> longs<br />

séjours d<strong>ans</strong> le Vercors.<br />

Durant cette pério<strong>de</strong> on fait également l’expérience <strong>de</strong> l’éducation populaire :<br />

“Pendant les hivers nous montions pour ravitailler les jeunes ayant échappé au S.T.O. ou les<br />

prisonniers évadés d’Allemagne et nous avons fait <strong>de</strong>s soirées d’éducation populaire s<strong>ans</strong> le<br />

savoir. Nous discutions <strong>de</strong> tout ; on reconstruisait le mon<strong>de</strong>, et je me suis rendu compte - cela<br />

a été la naissance <strong>de</strong> ma propre vocation - qu’il était tout à fait facile <strong>de</strong> faire cohabiter <strong>de</strong>s<br />

gens qui avaient <strong>de</strong>s tendances et <strong>de</strong>s âges différents, lorsqu’on discutait <strong>de</strong> problèmes qui les<br />

1 Voir W. D. Halls (op. cit.).<br />

2 “.... Plusieurs fois <strong>de</strong>s conflits ont éclaté entre la municipalité et la direction <strong>de</strong> la Maison lorsque par<br />

exemple la municipalité exigeait que les discours du chef <strong>de</strong> l’État, le Maréchal Pétain, soient<br />

retr<strong>ans</strong>mis par <strong>de</strong>s haut-parleurs fixés sur l’ensemble <strong>de</strong> la Maison... C’est là que commença s<strong>ans</strong><br />

doute la première manifestation <strong>de</strong> Résistance. Certains jeunes <strong>de</strong> la maison ont pris <strong>de</strong>s<br />

dispositions pour saboter les retr<strong>ans</strong>missions du maréchal Pétain”. (Paul J<strong>ans</strong>en, op. cit.).<br />

3 “Très souvent, la Maison <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong> a été sollicitée pour servir <strong>de</strong> point d’appui avec les opérations<br />

du gouvernement <strong>de</strong> Vichy pour le sens <strong>de</strong> l’action civique et la maison n’a répondu que s’il<br />

s’agissait d’opérations très précises comme la recherche <strong>de</strong> bois pour les vieillards, la construction<br />

d’objets pour les enfants déshérités”, selon P. J<strong>ans</strong>en cité par J.-C. Leroyer.


- 204 -<br />

touchaient particulièrement, comme le travail après guerre, la reconstruction du pays, la<br />

famille, etc... Les idéologies disparaissaient et on trouvait <strong>de</strong>s cheminements qui nous<br />

permettaient <strong>de</strong> travailler très correctement ensemble ... sur les grands problèmes, on trouvait<br />

<strong>de</strong>s points communs, un accrochage commun et c’était passionnant. Nous nous sommes dit,<br />

en faisant la même réflexion que les futurs animateurs <strong>de</strong> Peuple et Culture : il doit y avoir là<strong>de</strong>d<strong>ans</strong><br />

quelque chose pour l’avenir ...” 1 .<br />

Paul J<strong>ans</strong>en <strong>de</strong>scend cependant très régulièrement à la Maison <strong>de</strong>s Jeunes pour sauver les<br />

apparences, jusqu’au 6 juin 1944 où lui et son équipe prennent véritablement le maquis et entrent<br />

d<strong>ans</strong> la lutte armée. Sur une soixantaine <strong>de</strong> jeunes du groupe, seize garçons <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> vingt <strong>ans</strong><br />

disparaîtront d<strong>ans</strong> les combats 2 .<br />

Avec toutes les précautions nécessaires liées à une approche <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue<br />

<strong>de</strong>s acteurs et <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s où l’on se place, quel bilan peut-on tirer <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Vichy ? Etonnamment, un texte “à chaud” <strong>de</strong> juillet 1944 3 nous éclaire sur ce bilan<br />

s<strong>ans</strong> tomber d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s appréciations violemment opposées et caricaturales.<br />

D’abord sur l’opportunité pour <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> s’impliquer d<strong>ans</strong> une opération initialement portée<br />

et contrôlée par le gouvernement <strong>de</strong> Vichy. L’argumentaire, nécessairement auto-justificatif à un<br />

moment <strong>de</strong> bilan <strong>de</strong>vant l’Histoire, voire <strong>de</strong> règlement <strong>de</strong> comptes, ne manque pas d’intérêt :<br />

“Certaines personnes qui pratiquent l’art <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la lorgnette par le petit bout se prennent<br />

à penser qu’il eût mieux valu qu’“elles se missent en sommeil”, selon l’expression classique,<br />

pendant quatre <strong>ans</strong> au lieu d’avoir tenté avec difficulté et insuccès <strong>de</strong> se mêler au présent. La<br />

question se pose ainsi : toute appréciation critique sur l’expérience elle-même étant réservée,<br />

était-il bon par soi-même <strong>de</strong> se mêler à ladite expérience ou fallait-il au contraire imiter la<br />

position illustrée par Ponce Pilate ? ... Ce qui comptera en définitive ce sera l’acquis technique<br />

et humain, si faible soit-il et non l’opinion légère et fluctuante qui sera portée sur la question.<br />

C’est pourquoi il fallait et il faut se mêler au présent, c’est à dire à la vie et tenter, d<strong>ans</strong> les<br />

difficultés du réel, <strong>de</strong> penser et d’agir bien. Seul le présent est révolutionnaire” 4 .<br />

Cet “acquis technique et humain” quel est-il, et comment est-il évalué en 1944 par les acteurs<br />

1 Paul J<strong>ans</strong>en : Éléments pour l’histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire, p. 46-47.<br />

2 Pour suivre l’itinéraire <strong>de</strong> cet engagement, voir J.-C. Leroyer : Les adhérents <strong>de</strong> la MJ <strong>de</strong> Rom<strong>ans</strong><br />

d<strong>ans</strong> la Résistance 1942-44 (Rom<strong>ans</strong>, 1991).<br />

3 Éditorial <strong>de</strong> Fenêtre ouverte n° 20 (<strong>de</strong>rnier numéro <strong>de</strong> la revue), intitulé “Vertus révolutionnaires du<br />

présent”.<br />

4 Fenêtre ouverte n° 20, p. 1. On remarque <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s comparables chez certains “animateurs”<br />

d’Uriage : “Des relations <strong>de</strong> collaboration confiante s’ébauchent avec <strong>de</strong>s militants <strong>de</strong> gauche qui<br />

choisissent la présence d<strong>ans</strong> les nouvelles institutions <strong>de</strong> jeunesse, avec la volonté <strong>de</strong> faire respecter<br />

leur autonomie et leurs convictions. Ces anciens <strong>de</strong>s Auberges laï ques et <strong>de</strong>s organisations liées au<br />

Front populaire estiment les dangers <strong>de</strong> l’abstention pires que les risques <strong>de</strong> compromission avec les<br />

éléments réactionnaires du régime”. (B. Comte, op. cit. p. 89).


- 205 -<br />

mêmes, et plus précisément par les responsables <strong>de</strong> Fenêtre ouverte dont on connaît maintenant<br />

l’évolution ? Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’aspect politique propagandiste du projet vichyste <strong>de</strong> Révolution Nationale<br />

que l’immense majorité <strong>de</strong>s Français, surtout en 1944, s’accor<strong>de</strong>nt à faire passer définitivement aux<br />

poubelles <strong>de</strong> l’Histoire, l’acquis donc purement technique et humain est, malgré le contexte qui invite<br />

à tout jeter, présenté <strong>de</strong> la manière suivante :<br />

“- Qu’on juge cela bien ou mal, les problèmes <strong>de</strong> la jeunesse ont subi <strong>de</strong>puis quatre <strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

modifications et parfois <strong>de</strong>s bouleversements dont certains sont irrévocables parce que liés à<br />

la nature <strong>de</strong> l’évolution.<br />

- Tout d’abord, la question <strong>de</strong> la jeunesse est-elle une affaire d’Etat et d’intérêt national ?<br />

Toute une administration dont on peut penser ce qu’on voudra (nous ne nous gênons pas trop<br />

ici-même pour formuler notre avis) existe et fonctionne.<br />

- En ce qui concerne ensuite le rassemblement <strong>de</strong> la jeunesse elle-même, le problème du seul<br />

mouvement est partiellement dépassé (qui dit dépassé dit inclus et non supprimé !) par celui<br />

<strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> jeunesse, un peu comme d<strong>ans</strong> le domaine ouvrier, l’action syndicale<br />

traditionnelle doit être prolongée par l’intégration institutionnelle d<strong>ans</strong> la nation. Nous sommes<br />

à l’époque où les activités <strong>de</strong> gestion s’ajoutent positivement aux activités <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>. Nos<br />

lecteurs ont pu voir quelle était notre contribution commençante d<strong>ans</strong> le débat, mieux d<strong>ans</strong><br />

cette lutte. On sait que nous souhaitons pour notre part que les institutions <strong>de</strong> gestion soient<br />

<strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> liberté, nullement caporalisées...<br />

- En ce qui concerne les institutions proprement dites, l’existence d’auberges, <strong>de</strong> centres <strong>de</strong><br />

jeunes travailleurs, <strong>de</strong> maisons, est un début qui s’est enraciné d<strong>ans</strong> le réel ...<br />

- En bref, et pour conclure, il est impossible d<strong>ans</strong> l’affaire qui nous occupe <strong>de</strong> remonter à<br />

l’envers le film <strong>de</strong> l’évolution et à plus forte raison <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une coupure correspondant à<br />

celles <strong>de</strong>s années qui nous plaisent le moins...” 1 .<br />

Et en effet, pour ce qui concerne le développement et l’organisation d’une politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse en général et <strong>de</strong>s futures Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture en particulier, l’expérience<br />

<strong>de</strong> ces quatre années apparait considérable. Une administration d’Etat s’est mise en place ; la<br />

question <strong>de</strong> la jeunesse est <strong>de</strong>venue une affaire d’intérêt national ; on a concrètement développé<br />

une politique d’intervention appuyée sur l’équipement et non plus seulement sur les mouvements ;<br />

une profession nouvelle, certes d’une manière embryonnaire a vu le jour : celle <strong>de</strong> directeur-<br />

éducateur <strong>de</strong> Maison <strong>de</strong> Jeunes ou d’animateur <strong>de</strong> Maison Pour Tous, avec laquelle il faudra<br />

compter localement en plus du curé et <strong>de</strong> l’instituteur ; malgré le contexte, ces Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

ont réussi quelque peu à se dégager <strong>de</strong> l’autorité contraignante <strong>de</strong> l’Etat pour affirmer <strong>de</strong>s principes,<br />

un mo<strong>de</strong> d’organisation et une pédagogie appuyés sur l’associationnisme et le fédéralisme ; jusque<br />

d<strong>ans</strong> le détail même <strong>de</strong> l’organisation et <strong>de</strong>s pratiques quotidiennes, il semble que l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

1 Fenêtre ouverte n° 20, juillet 1944, p. 1.


- 206 -<br />

dispositifs futurs qui feront l’originalité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> soient, sinon en place, du moins fortement anticipés :<br />

le conseil <strong>de</strong> maison, la cogestion, la formation, le statut et même le logement <strong>de</strong> fonction du<br />

directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.<br />

En 1945, Ma<strong>de</strong>moiselle Andrée Laforêt sera nommée liquidateur <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s associations<br />

gestionnaires <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes dissoutes 1 et Jean Rous, conseiller juridique <strong>de</strong> l’association<br />

nationale <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, assurera le tr<strong>ans</strong>fert du patrimoine <strong>de</strong> la structure à la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes nouvellement créée 2 . En raison <strong>de</strong> la nécessaire exorcisation du passé, les<br />

effets liquidateurs et <strong>de</strong> rupture furent d<strong>ans</strong> l’immédiat plus forts, semble-t-il, que les effets <strong>de</strong><br />

tr<strong>ans</strong>fert et <strong>de</strong> capitalisation <strong>de</strong>s acquis. C’est que déjà le Conseil National <strong>de</strong> la Résistance, le<br />

Comité Français <strong>de</strong> Libération nationale et à leur suite le Gouvernement Provisoire <strong>de</strong> la République<br />

Française, enten<strong>de</strong>nt conduire une politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> la culture novatrice, qui doit rompre<br />

radicalement avec les errances du passé. En effet, dès le 2 octobre 1943 à Alger, le gouvernement a<br />

créé un service <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports au sein du Commissariat à l’Intérieur, a donné un statut<br />

aux organisations <strong>de</strong> la jeunesse 3 et a mis en place un Conseil <strong>de</strong>s Sports et un Conseil <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse. Enfin André Philip, commissaire à l’Intérieur puis chargé <strong>de</strong>s rapports entre l’assemblée<br />

provisoire consultative et le Comité Français <strong>de</strong> Libération Nationale, crée le 4 octobre 1944 à Lyon<br />

la République <strong>de</strong>s Jeunes considérée comme la véritable préfiguration <strong>de</strong> la Fédération Française<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Même si l’expérience <strong>de</strong>s hommes ne se dissout pas par<br />

décret - nombre d’entre eux, acteurs <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes sous Vichy, continueront à la<br />

Libération 4 - il semble qu’à ce moment-là on veuille recommencer à zéro. Et la nécessaire rupture<br />

1 Arrêté du 9 janvier 1945 en vertu <strong>de</strong> l’ordonnance du 2 octobre 1943 portant statut provisoire <strong>de</strong>s<br />

groupements sportifs et <strong>de</strong> jeunesse.<br />

2 Selon Clau<strong>de</strong> Paquin : “De la République <strong>de</strong>s Jeunes à la FF<strong>MJC</strong>” d<strong>ans</strong> “L’espérance contrariée -<br />

Éducation populaire et jeunesse à la Libération (1944-1947)”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57-58,<br />

décembre 1986.<br />

3 Notamment la définition d’un agrément officiel indispensable pour l’obtention d’une subvention d’État<br />

ou d’une collectivité publique après consultation du Conseil <strong>de</strong> la Jeunesse.<br />

4 Paul J<strong>ans</strong>en, Jean Rous par exemple, ainsi que <strong>de</strong> nombreux responsables <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong><br />

jeunesse.


- 207 -<br />

avec un passé immédiat peu glorieux indique qu’on le dise haut et fort, alors et encore aujourd’hui.


- 209 -<br />

CHAPITRE - III -<br />

LES MAISONS DES JEUNES A LA LIBERATION<br />

L’histoire officielle <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture veut que<br />

ce soit les mouvements <strong>de</strong> jeunesse <strong>de</strong> la Résistance et certains syndicats, la CGT en tête, qui se<br />

regroupant, aient créé la République <strong>de</strong>s Jeunes, véritable préfiguration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

S<strong>ans</strong> minimiser le rôle <strong>de</strong> ces différents mouvements et organisations sur lesquelles nous<br />

reviendrons, il semble difficile d’affirmer que la création <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes ainsi que cette<br />

secon<strong>de</strong> naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes auraient été possibles s<strong>ans</strong> l’action d’André Philip et, à<br />

travers lui, s<strong>ans</strong> la volonté <strong>de</strong> l’Etat et du Gouvernement Provisoire <strong>de</strong> la République Française.<br />

C’est qu’André Philip a <strong>de</strong>s responsabilités importantes et entretient <strong>de</strong>s relations privilégiées et<br />

déterminantes avec le général <strong>de</strong> Gaulle 1 . Ce brillant économiste, docteur en économie politique puis<br />

en sciences juridiques, reçu premier à l’agrégation, élu S.F.I.O., s’est refusé à voter les pleins<br />

pouvoirs à Pétain en 1940. Engagé d<strong>ans</strong> la Résistance dès 1941 d<strong>ans</strong> le cadre du mouvement<br />

“Libération Sud”, recherché par la Gestapo et accusé <strong>de</strong> trahison par Vichy, il rejoint <strong>de</strong> Gaulle à<br />

Londres en juillet 1942. Celui-ci lui confie alors une mission auprès <strong>de</strong> Roosevelt (le convaincre <strong>de</strong> la<br />

légitimité du général) et le nomme commissaire national à l’Intérieur.<br />

Ainsi la création en octobre 1944 <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes et la reprise du projet <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes prennent-elles une dimension d’ordre national, légitimée par l’intervention <strong>de</strong><br />

l’Etat <strong>de</strong> la Libération. Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et l’ensemble <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse<br />

semblent donc à ce moment-là promis à un bel avenir.<br />

1 - André Philip et la République <strong>de</strong>s Jeunes<br />

La préoccupation n’est, semble-t-il, pas totalement nouvelle. Lorsqu’il était commissaire national à<br />

l’Intérieur d<strong>ans</strong> le gouvernement provisoire, André Philip “avait étudié avec les mouvements <strong>de</strong><br />

jeunesse <strong>de</strong> la Résistance le problème <strong>de</strong> la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s Maison <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Vichy” 2 . Ainsi<br />

malgré la volonté affirmée à la Libération d’opérer une rupture avec la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Vichy, il apparait<br />

qu’on veuille se saisir <strong>de</strong> l’expérience acquise et peut-être aussi reprendre sous un autre nom le<br />

projet <strong>de</strong> 1936, en lui donnant une dimension qui dépasse le cadre <strong>de</strong> la seule organisation <strong>de</strong>s<br />

loisirs.<br />

1 Une preuve parmi d’autres : la lettre qu’André Philip adresse au général <strong>de</strong> Gaulle le 27 juin 1943<br />

d<strong>ans</strong> laquelle il ne mâche pas ses mots sur les “erreurs” du chef <strong>de</strong> la France libre (Loï c Philip d<strong>ans</strong><br />

André Philip par lui-même, Éditions Bauchêne, avant-propos p. 14-15-16).<br />

2 Loï c Philip d<strong>ans</strong> André Philip par lui-même, p. 20.


- 210 -<br />

La République <strong>de</strong>s Jeunes est donc créée à Lyon le 4 octobre 1944 1 .<br />

Les principes <strong>de</strong> fonctionnement et les objectifs <strong>de</strong> cette nouvelle organisation sont les suivants :<br />

“- organisation <strong>de</strong> la liberté. Pas <strong>de</strong> mouvement unique mais une libre fédération où chaque<br />

mouvement désigne son représentant ;<br />

- gestion associationniste <strong>de</strong> foyers, maisons et cercles. Pas d’étatisme. L’Etat contrôlera par<br />

<strong>de</strong>s commissaires délégués ;<br />

- pas <strong>de</strong> paternalisme. L’activité <strong>de</strong> la jeunesse sera dirigée par les jeunes eux-mêmes élisant<br />

leurs conseils par maison. Le conseil d’administration <strong>de</strong> la personne morale aura un rôle <strong>de</strong><br />

soutien d<strong>ans</strong> tous les domaines.<br />

- [...] l’association fédérative “La République <strong>de</strong>s Jeunes” doit être une fédération d’institutions<br />

(“la Fédération <strong>de</strong>s Bourses <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la Jeunesse”) qui sera partie intégrante d’une plus<br />

vaste confédération <strong>de</strong> la Jeunesse” 2 .<br />

Ce texte fait clairement état d’une double attitu<strong>de</strong> : la reprise <strong>de</strong>s acquis <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes sous Vichy (l’organisation associationniste et fédérative, la gestion <strong>de</strong>s jeunes<br />

par eux-mêmes d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong> maison, la liberté d<strong>ans</strong> les actions déjà revendiquée et<br />

pratiquée avant la Libération) ; le rejet <strong>de</strong>s principes et <strong>de</strong>s tentatives vichystes (le mouvement<br />

unique, l’étatisme et le paternalisme). Le maître mot qui inspire le projet <strong>de</strong> République <strong>de</strong>s Jeunes<br />

est “l’organisation <strong>de</strong> la liberté” 3 avec ce que cette expression peut avoir <strong>de</strong> contradictoire d’un point<br />

<strong>de</strong> vue théorique mais aussi d’opérationnel d<strong>ans</strong> la pratique. La préoccupation essentielle est celle<br />

<strong>de</strong> la jeunesse, du rôle qu’elle <strong>de</strong>vra jouer d<strong>ans</strong> la reconstruction <strong>de</strong> la République, <strong>de</strong> sa<br />

coordination ainsi que celle <strong>de</strong>s différents mouvements et organisations. En effet, “cette jeunesse<br />

diverse, libre et responsable, ne doit pas se répartir en mouvements rivaux s’ignorant les uns les<br />

autres, d’où la nécessité d’institutions ayant pour but <strong>de</strong> rapprocher les diverses organisations en<br />

vue d’une coopération fécon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> mettre à leur disposition, à tous, certains moyens d’action” 4 .<br />

Cette République <strong>de</strong>s Jeunes est composée <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> jeunesse<br />

1 Selon Clau<strong>de</strong> Paquin (“La Genèse <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>”, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 47, octobre 84, p. 92)<br />

s’appuyant sur les témoignages <strong>de</strong> René Porte et <strong>de</strong> Jean Kounitsky, la création <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s<br />

Jeunes aurait été décidée conjointement par André Philip, René Porte, alors secrétaire général <strong>de</strong>s<br />

Jeunesses <strong>de</strong> Libération Nationale et André Bas<strong>de</strong>vant, secrétaire général du scoutisme français <strong>de</strong><br />

1940 à 43 et chargé <strong>de</strong> mission à la jeunesse auprès du Conseil National <strong>de</strong> la Résistance.<br />

2 Lettre adressée par André Philip au Ministère <strong>de</strong> l’Éducation nationale, René Capitant, et lue au cours<br />

du premier conseil d’administration <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes, le 4 octobre 1944 (cité par Clau<strong>de</strong><br />

Paquin d<strong>ans</strong> De la République <strong>de</strong>s Jeunes à la FF<strong>MJC</strong>, p. 232).<br />

3 Les questions <strong>de</strong> la liberté, <strong>de</strong> la tutelle, <strong>de</strong> la réglementation et <strong>de</strong> la contrainte à l’intérieur <strong>de</strong><br />

l’Institution et d<strong>ans</strong> les rapports avec les partenaires extérieurs (l’État principalement) sont<br />

centrales d<strong>ans</strong> l’histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Aujourd’hui on parle régulièrement, à la FF<strong>MJC</strong> notamment, <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> comme “espaces <strong>de</strong> liberté”.<br />

4 André Philip, d<strong>ans</strong> un texte publié en juillet 1945 (selon Clau<strong>de</strong> Paquin qui le cite d<strong>ans</strong> De la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes à la FF<strong>MJC</strong>, p. 232) d<strong>ans</strong> un bulletin national <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes qui<br />

s’intitulait “Cahier <strong>de</strong> documentation”.


- 211 -<br />

(Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, Conseil Protestant <strong>de</strong> la Jeunesse, Eclaireurs <strong>de</strong> France), d’organisations<br />

syndicales (CGT et CGA 1 ) et <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> résistance (Forces Unies <strong>de</strong> la Jeunesse<br />

Patriotique). Puis viendront s’y adjoindre les Jeunesses Socialistes, l’Union <strong>de</strong> la Jeunesse<br />

Républicaine <strong>de</strong> France 2 , la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, le Syndicat National <strong>de</strong>s Instituteurs,<br />

l’Association Catholique <strong>de</strong> la Jeunesse Française et les Scouts <strong>de</strong> France. Le but <strong>de</strong> cette<br />

organisation nationale est <strong>de</strong> susciter et <strong>de</strong> coordonner le développement <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes,<br />

institutions qui doivent permettre le rapprochement <strong>de</strong>s diverses organisations et mouvements, leur<br />

apporter <strong>de</strong>s moyens d’action, mais aussi accueillir les jeunes inorganisés.<br />

Force est <strong>de</strong> constater que ce sont <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> certaines organisations qui manifestent<br />

le plus grand scepticisme - changé pour certains bientôt en critique - vis à vis <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes qu’elle entend promouvoir. Le Conseil Protestant <strong>de</strong> la Jeunesse<br />

et les Eclaireurs <strong>de</strong> France soutiennent, semble-t-il, s<strong>ans</strong> réserve le projet, alors que SNI, l’ACJF et<br />

la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement sont particulièrement réticents. Ainsi, c’est plus à l’Etat qu’à l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse, souvent en retrait, notamment ceux qui ont déjà une longue tradition<br />

historique en matière <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire, que l’on doit cette secon<strong>de</strong> et véritable<br />

naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture telles qu’elles ont pu se développer d<strong>ans</strong> les<br />

décennies qui ont suivi. A ce titre, <strong>de</strong>ux circulaires ministérielles, l’une du 13 novembre 1944 et<br />

l’autre du 8 mai 1945, indiquent assez clairement l’esprit, la direction à suivre et les structures à<br />

mettre en place.<br />

La circulaire du 13 novembre 1944 signée, pour le Ministère <strong>de</strong> l’Education nationale, par Jean<br />

Guéhenno, alors Inspecteur Général chargé <strong>de</strong> mission aux mouvements <strong>de</strong> jeunesse et à la culture<br />

populaire, éclaire “les fins poursuivies par la nouvelle direction <strong>de</strong> la culture populaire et <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>de</strong> jeunesse” 3 .<br />

En plus <strong>de</strong>s services anciens qui jusqu’alors relevaient <strong>de</strong> l’ex-commissariat général à la<br />

jeunesse (colonies <strong>de</strong> vacances, formations <strong>de</strong>s jeunes, mouvements <strong>de</strong> jeunesse, maisons et<br />

auberges <strong>de</strong> la jeunesse, service <strong>de</strong> l’action civique et sociale) et <strong>de</strong>s services relevant directement<br />

<strong>de</strong> l’instruction publique (oeuvres post- et péri-scolaires), cette nouvelle direction couvrira “<strong>de</strong>s<br />

services nouveaux <strong>de</strong>stinés à promouvoir, à la faveur <strong>de</strong> l’évènement, la culture populaire, c’est à<br />

dire la culture <strong>de</strong> tout le peuple” 4 .<br />

S<strong>ans</strong> “laisser se perdre l’effort entrepris <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années par <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunesse” 5 ,<br />

1 Confédération Générale <strong>de</strong>s Agriculteurs <strong>de</strong>venue <strong>de</strong>puis le CNJA - conseil national <strong>de</strong>s jeunes<br />

agriculteurs.<br />

2 Organisation <strong>de</strong> jeunesse du P.C.F. <strong>de</strong>venue <strong>de</strong>puis Mouvement <strong>de</strong> la jeunesse communiste.<br />

3 Circulaire du 13 novembre 1944.<br />

4 Circulaire du 13 novembre 1944.<br />

5 Ibid.


- 212 -<br />

l’Etat, d<strong>ans</strong> ce domaine comme d<strong>ans</strong> d’autres, doit occuper toute sa place : il doit “intervenir - selon<br />

<strong>de</strong> toutes nouvelles règles et une doctrine rénovée - d<strong>ans</strong> leur surveillance et leur contrôle” 1 .<br />

Cette attitu<strong>de</strong> très interventionniste <strong>de</strong> l’Etat entend évi<strong>de</strong>mment se démarquer clairement <strong>de</strong><br />

celle du Commissariat Général à la Jeunesse <strong>de</strong> Vichy qui “était un organisme politique avant tout<br />

préoccupé <strong>de</strong> faire une propagan<strong>de</strong>, sa propagan<strong>de</strong>” 2 . La direction <strong>de</strong> la culture populaire et <strong>de</strong>s<br />

mouvements <strong>de</strong> jeunesse au Ministère <strong>de</strong> l’Education nationale doit être “un organe professionnel” 3<br />

qui “ai<strong>de</strong>ra les diverses jeunesses du pays car il y a <strong>de</strong>s jeunes en même temps qu’une jeunesse” 4 .<br />

Un certain nombre <strong>de</strong> principes et <strong>de</strong> directions sont clairement affirmés qui situent l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’Etat et <strong>de</strong> son oeuvre éducative d<strong>ans</strong> une tradition républicaine interrompue par quatre années <strong>de</strong><br />

gouvernement <strong>de</strong> fait. “Une administration démocratique” doit donner au jeunes gens “le moyen <strong>de</strong><br />

prendre conscience” à la fois <strong>de</strong> la variété et <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong> “la jeunesse <strong>de</strong> France” qui est “comme la<br />

France elle-même diverse et une” 5 . Les jeunes ne doivent pas être “les dupes d’une propagan<strong>de</strong>” car<br />

“le préjugé politique ne peut jamais être le fon<strong>de</strong>ment d’une éducation” 6 . Une “éducation humaniste<br />

et critique” <strong>de</strong> la jeunesse doit simplement l’“ai<strong>de</strong>r respectueusement selon ses divers caractères et<br />

non en mettant en oeuvre une mécanique <strong>de</strong> l’enthousiasme, l’avilir et l’exploiter” 7 . Loin <strong>de</strong> mettre les<br />

jeunes “tous ensemble sur un seul chemin”, elle “en fera les citoyens d’une démocratie” 8 .<br />

Le présent et l’avenir <strong>de</strong> ce projet éducatif et politique se construit en référence avec <strong>de</strong>ux<br />

gran<strong>de</strong>s dates républicaines :<br />

“Il nous plairait que l’année 1945 fût, pour l’Education nationale, une aussi gran<strong>de</strong> année que le<br />

fut l’année 1792, cette année où Condorcet proclamait la nécessité - d<strong>ans</strong> une république “<strong>de</strong> rendre<br />

la Raison populaire”, les années 1880 qui virent les écoles publiques fleurir d<strong>ans</strong> toutes les<br />

campagnes <strong>de</strong> France. Les évènements mêmes doivent favoriser notre entreprise. Il faut tout mettre<br />

en oeuvre pour provoquer parmi les masses elles-mêmes un appel, un désir <strong>de</strong> lumière et, ensuite,<br />

pour y répondre” 9 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid.<br />

7 Ibid.<br />

8 Ibid.<br />

Ce projet historique suppose “une profon<strong>de</strong> réforme <strong>de</strong> l’état d’esprit <strong>de</strong> tous ceux qui ont la<br />

9 Circulaire du 13 novembre 1944.


- 213 -<br />

charge et la chance <strong>de</strong> la culture, artistes, éducateurs, savants” 1 . Il est en effet “proprement<br />

intolérable qu’on puisse opposer ce que certains appellent ‘l’esprit primaire’ à une prétendue culture<br />

qui serait réservée à <strong>de</strong>s mandarins <strong>de</strong>s sciences, <strong>de</strong>s lettres et <strong>de</strong>s arts. Il n’y a qu’une culture et<br />

tous les hommes y ont droit” 2 . Il faudra donc démocratiser la culture, condition d’une véritable<br />

démocratie <strong>de</strong> citoyens, en cherchant ensemble “les moyens d’action <strong>de</strong> cet humanisme militant” 3 .<br />

La réalisation <strong>de</strong> ce projet passe par une série <strong>de</strong> dispositions et <strong>de</strong> dispositifs :<br />

- la revalorisation <strong>de</strong> la fonction d’instituteur qui “arraché à son isolement”, doté “<strong>de</strong>s moyens d’un<br />

enrichissement continu”, formé “comme le maître qu’il doit être <strong>de</strong> la culture populaire”, fait “<strong>de</strong> lui au<br />

village vraiment le représentant <strong>de</strong> l’esprit” 4<br />

- la récupération <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> cadres du “pseudo-gouvernement <strong>de</strong> Vichy” qui “n’ont servi à<br />

quelques exceptions près qu’à mieux enraciner la sottise” mais qui “‘laissent au moins l’héritage<br />

d’immeubles” où le gouvernement <strong>de</strong> la Libération compte “installer <strong>de</strong>s centres éducatifs <strong>de</strong><br />

pédagogie active, <strong>de</strong> culture populaire” animés “par <strong>de</strong> vrais maîtres dont la compétence sera autre<br />

que celle que confère la soumission à une doctrine officielle” 5<br />

- enfin la mise en place <strong>de</strong> nouvelles structures prolongeant la mission <strong>de</strong> l’école.:<br />

“Nous voudrions qu’après quelques années, une maison d’école au moins d<strong>ans</strong> chaque ville<br />

ou village soit <strong>de</strong>venue une Maison <strong>de</strong> la culture”, une “Maison <strong>de</strong> la jeune France”, un “Foyer<br />

<strong>de</strong> la nation”, <strong>de</strong> quelque nom qu’on désire la nommer, où les hommes ne cesseraient plus<br />

d’aller, sûrs d’y trouver, un cinéma, <strong>de</strong>s spectacles, une bibliothèque, <strong>de</strong>s journaux, <strong>de</strong>s<br />

revues, <strong>de</strong>s livres, <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong> la lumière.<br />

Cette maison serait en même temps une maison <strong>de</strong>s jeunes. C’est eux qu’il faut servir d’abord,<br />

lancer vivement d<strong>ans</strong> la vie pour qu’ils ne vieillisent pas et ne s’endorment pas trop tôt. Elle<br />

serait le point d’appui <strong>de</strong> ces gran<strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunes dont par ailleurs nous avons la<br />

charge. Et ainsi, d<strong>ans</strong> les faits mêmes, se ferait reconnaître l’unité <strong>de</strong> notre entreprise” 6 .<br />

Il s’agit donc <strong>de</strong> provoquer l’organisation sur <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s divers <strong>de</strong> “maisons <strong>de</strong> culture”, supports<br />

<strong>de</strong> “ce grand mouvement d’éducation populaire” pour le lancement duquel le gouvernement adresse<br />

à tous “le plus puissant appel” 7 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

L’Etat a donc à ce moment-là une réelle politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> la culture caractérisée par<br />

3 Ibid. On retrouvera ces thèmes d<strong>ans</strong> le manifeste <strong>de</strong> Peuple et Culture du 15 janvier 1946.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Circulaire du 13 novembre 1944.<br />

7 Ibid.


- 214 -<br />

un certain nombre <strong>de</strong> principes, une certaine philosophie repoussant toute démarche doctrinaire,<br />

garantissant donc la liberté d’initiative s<strong>ans</strong> exclure cependant une “unité <strong>de</strong> l’entreprise” par<br />

l’exercice d’une certaine surveillance et contrôle. Et une fois <strong>de</strong> plus d<strong>ans</strong> un projet <strong>de</strong> société<br />

radicalement différent <strong>de</strong> celui du gouvernement <strong>de</strong> Vichy, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes apparaît comme la<br />

structure le mieux à même d’assurer “l’organisation <strong>de</strong> la liberté” dont parle André Philip, d’articuler<br />

une politique unitaire nationale en matière <strong>de</strong> jeunesse et <strong>de</strong> culture, tout en facilitant la diversité <strong>de</strong>s<br />

initiatives et <strong>de</strong>s mouvements indispensable à la reconstruction d’une démocratie, dont l’élément <strong>de</strong><br />

base doit être le citoyen.<br />

C’est ce que confirme la circulaire du 8 mai 1945 1 qui ne concerne, elle, que les Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes dont la direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education Populaire a l’intention <strong>de</strong><br />

“favoriser le développement sur le territoire français” 2 .<br />

La Maison <strong>de</strong>s Jeunes y est définie très simplement. C’est d’abord un “lieu où les jeunes <strong>de</strong><br />

milieux les plus divers d’une même ville, d’un même quartier ou d’un village, peuvent se rencontrer<br />

pour y trouver <strong>de</strong>s distractions, <strong>de</strong>s avantages matériels, et <strong>de</strong>s possibilités <strong>de</strong> culture” 3 . “Il ne peut y<br />

avoir <strong>de</strong> formule unique <strong>de</strong> maisons <strong>de</strong>s jeunes” mais selon les publics et les milieux “<strong>de</strong>s types <strong>de</strong><br />

maisons très différents” 4 : d<strong>ans</strong> certains cas - d<strong>ans</strong> un village par exemple - quelques salles suffiront<br />

; d<strong>ans</strong> d’autres cas, la maison pourra comprendre <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> réunions, <strong>de</strong> jeux, d’activités, une<br />

bibliothèque, une salle <strong>de</strong> restaurant ...<br />

La Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit cependant répondre à un critère précis dont l’Etat, par le truchement<br />

<strong>de</strong> l’agrément, reste juge : “Ne seront considérées comme Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et subventionnées à<br />

ce titre, que les entreprises n’ayant aucun caractère politique ou confessionnel” 5 . Les mouvements<br />

<strong>de</strong> jeunesse politiques ou confessionnels peuvent par exemple ouvrir <strong>de</strong>s foyers leur permettant<br />

d’accueillir et <strong>de</strong> réunir <strong>de</strong>s jeunes mais ne peuvent, <strong>de</strong> ce fait, prétendre au titre <strong>de</strong> “Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes”.<br />

Incitation, agrément, ai<strong>de</strong> financière ; l’intervention <strong>de</strong> l’Etat semble s’arrêter là. On aurait en effet<br />

pu concevoir que “l’Etat crée directement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes, y place <strong>de</strong>s fonctionnaires, y<br />

développe certaines activités conformément à un programme qu’il se serait tracé et cherche à y<br />

attirer les jeunes. Cette solution n’a pas été retenue” 6 . Et il y a quelques bonnes raisons à cela :<br />

1 Toujours <strong>de</strong> Jean Guéhenno, alors directeur <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Éducation Populaire<br />

pour le Ministre <strong>de</strong> l’Éducation nationale, René Capitant.<br />

2 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

6 Ibid.


- 215 -<br />

• une raison <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce : les maisons <strong>de</strong>s jeunes n’en sont encore qu’à leur phase<br />

expérimentale et “il serait dangereux pour l’Etat <strong>de</strong> généraliser systématiquement <strong>de</strong>s expériences<br />

qui <strong>de</strong>meurent d’inégale valeur” 1 ;<br />

• une raison plus politicienne liée au contexte historique : “De telles maisons risqueraient<br />

d’apparaître comme <strong>de</strong>s instruments d’une politique d’Etat et il convient à cet égard <strong>de</strong> rompre<br />

entièrement avec certaines tendances qui s’étaient déjà manifestées au sein <strong>de</strong> l’ex-Commissariat<br />

général à la Jeunesse” 2 ;<br />

• une raison politique liée à un certain modèle <strong>de</strong> société : “La conception qui doit prévaloir est<br />

essentiellement celle qui convient à un pays <strong>de</strong> tradition démocratique” 3 . Leur implantation ne doit<br />

pas suivre en quelque sorte une logique administrative (une par chef-lieu <strong>de</strong> canton par exemple)<br />

mais répondre à “un besoin suffisamment caractérisé” 4 . Ainsi conviendra-t-il “d’ai<strong>de</strong>r les initiatives<br />

spontanées tendant à assurer l’éducation <strong>de</strong>s jeunes gens et jeunes filles actuellement isolés” 5 .<br />

Cette naissance en quelque sorte par le bas, dépendant <strong>de</strong>s initiatives locales, que l’Etat a en<br />

charge d’encourager, <strong>de</strong> reconnaître et <strong>de</strong> soutenir, justifie qu’en matière d’organisation et <strong>de</strong> gestion<br />

la Maison <strong>de</strong>s Jeunes prenne “la forme d’une association selon la loi du 1er juillet 1901, cette<br />

association ayant précisément pour objet soit <strong>de</strong> gérer une maison déterminée, soit l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

maisons ouvertes d<strong>ans</strong> un département” 6 .<br />

S’agissant <strong>de</strong>s moyens d’action, l’association <strong>de</strong>vra se procurer <strong>de</strong>s “ressources personnelles,<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat n’étant que complémentaire” 7 . Ces ai<strong>de</strong>s pourront être <strong>de</strong>mandées aux départements,<br />

aux communes et d’une façon générale aux collectivités publiques ou privées sachant qu’il est<br />

rappelé que “l’ordonnance du 2 octobre 1943 (art. 6) portant statut provisoire <strong>de</strong>s groupements<br />

sportifs et <strong>de</strong> jeunes, interdit aux collectivités publiques <strong>de</strong> verser <strong>de</strong>s subventions aux organismes<br />

qui ne sont pas agréés” 8 . Il n’est cependant pas fait allusion, d<strong>ans</strong> les ressources, à la participation<br />

financière <strong>de</strong>s usagers et <strong>de</strong>s ménages 9 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid. A ce moment-là comme au moment <strong>de</strong> Vichy, les <strong>de</strong>ux possibilités existent : gestion locale ou<br />

gestion départementale. Le développement ultérieur <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> verra se généraliser la gestion locale<br />

(une association par maison), ce qui n’exclut pas la création <strong>de</strong> fédérations départementales avec<br />

mission <strong>de</strong> coordination et <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base.<br />

7 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

8 Ibid.<br />

9 Ibid. Pense-t-on à ce moment-là, au niveau <strong>de</strong> l’État du moins, que les services fournis par les Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes doivent être totalement gratuits ou que la participation <strong>de</strong>s usagers, <strong>de</strong>s jeunes en


- 216 -<br />

Autre élément essentiel <strong>de</strong> la circulaire du 8 mai 1945 : la reconnaissance et l’appui apporté à<br />

“l’action entreprise par la République <strong>de</strong>s Jeunes (adresse : 57, avenue <strong>de</strong> Neuilly) qui se présente<br />

sous l’aspect d’une Fédération nationale <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> Jeunes” 1 . Il est rappelé que “cette fédération<br />

groupe en son sein <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse les plus divers, <strong>de</strong>s militants<br />

syndicalistes et <strong>de</strong>s techniciens <strong>de</strong> l’éducation 2 . Aussi bien les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d’agrément et <strong>de</strong><br />

subventions <strong>de</strong>s associations seront-elles présentées par l’intermédiaire <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s<br />

Jeunes. Les initiatives locales dont le support juridique ne pourra être constitué immédiatement,<br />

seront rattachées à titre provisoire directement à la République <strong>de</strong>s Jeunes selon <strong>de</strong>s dispositions<br />

structurelles <strong>de</strong> cette organisation” 3 .<br />

Ainsi la mission dévolue par l’Etat à la République <strong>de</strong>s Jeunes, conçue comme organe fédérateur<br />

national <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, est-elle importante : <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’agrément <strong>de</strong>s maisons, <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

et - nous le verrons - gestion et redistribution <strong>de</strong>s subventions <strong>de</strong> l’Etat, gestion <strong>de</strong> structures locales<br />

avant qu’elles accè<strong>de</strong>nt à l’autonomie juridique. Ce nouvel acte <strong>de</strong> naissance <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> leur fédération nationale porte le sceau <strong>de</strong> l’Etat qui, tout en gardant l’initiative <strong>de</strong><br />

l’agrément, et par là-même du soutien financier, délègue à une nouvelle institution une mission<br />

d’intérêt général qui aurait pu relever <strong>de</strong> l’intervention directe <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> ses services. Il s’agit<br />

véritablement <strong>de</strong> la mise en place <strong>de</strong> ce que l’on appellera pendant longtemps un “service public par<br />

voie démocratique” 4 c’est-à-dire ne fonctionnant pas d’une manière hiérarchique comme l’école mais<br />

organisé d’une manière associative et fédérative 5 .<br />

La tutelle <strong>de</strong> l’Etat, face à la liberté <strong>de</strong>s initiatives <strong>de</strong> terrain, est cependant importante et<br />

clairement affirmée, notamment à ce moment-là. Par l’intermédiaire <strong>de</strong> ses inspecteurs régionaux et<br />

départementaux, l’administration centrale est juge <strong>de</strong> l’attribution du titre <strong>de</strong> “Maison <strong>de</strong>s Jeunes”, et<br />

donc du soutien financier. Ses différentes initiatives (arrêté <strong>de</strong> dissolution du 9/1/45 <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes existant avant la Libération, circulaires du 13/11/44 et 8/5/45) la ren<strong>de</strong>nt seul juge <strong>de</strong>s<br />

bonnes et <strong>de</strong>s mauvaises initiatives. D’abord, par la mesure <strong>de</strong> dissolution, la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education Populaire “a voulu que ne puissent subsister sous le nom<br />

particulier, ne peut être que très exceptionnelle ? C’est tout à fait possible. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes,<br />

<strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue-là du moins, pourrait être comparée à l’école laï que, gratuite, ouverte à tous -<br />

mais non obligatoire - ce qui est d<strong>ans</strong> l’esprit <strong>de</strong> la circulaire du 13 novembre 1944.<br />

1 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

2 La place <strong>de</strong>s professionnels d<strong>ans</strong> la gestion fédérale est donc reconnue par l’État.<br />

3 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

4 Formule régulièrement entendue <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong>s acteurs professionnels et bénévoles <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

5 Il ne s’agit donc pas d’un mouvement ou d’une organisation <strong>de</strong> jeunesse <strong>de</strong> plus, en quelque sorte<br />

étatique, ce qui serait complètement contradictoire avec le projet et l’état d’esprit <strong>de</strong> la Libération<br />

qui entend bien ne pas retomber, y compris avec un autre projet <strong>de</strong> société, d<strong>ans</strong> les errements<br />

vichystes.


- 217 -<br />

<strong>de</strong> “Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” et avec l’appui <strong>de</strong> l’Etat, que <strong>de</strong>s organismes répondant aux exigences<br />

précisées ci-<strong>de</strong>ssus” 1 . Ensuite, le liquidateur désigné par l’arrêté <strong>de</strong> dissolution a pour mission<br />

d’apprécier la situation <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s maisons, afin <strong>de</strong> déterminer les conditions d<strong>ans</strong> lesquelles<br />

les initiatives heureuses pourront être continuées, et <strong>de</strong> mettre fin à l’activité <strong>de</strong>s autres” 2 . Enfin, d<strong>ans</strong><br />

“tous les cas où la maison sera reprise, il conviendra que se forme à l’échelon local ou<br />

départemental une association qui, pour solliciter son agrément, se mettra simultanément en rapport<br />

avec la République <strong>de</strong>s Jeunes et l’inspecteur <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education<br />

Populaire. Cette association <strong>de</strong>vra présenter notamment un budget <strong>de</strong> fonctionnement faisant<br />

connaître le montant <strong>de</strong> ses ressources propres et celui <strong>de</strong> la participation financière <strong>de</strong>mandée à<br />

l’Etat” 3 .<br />

Ainsi le nouvel Etat issu <strong>de</strong> la Libération gérera-t-il, d<strong>ans</strong> ce domaine comme d<strong>ans</strong> d’autres, sa<br />

volonté <strong>de</strong> rompre avec le gouvernement <strong>de</strong> Vichy et reformulera-t-il un projet, celui <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes, qui semblait condamné par l’Histoire.<br />

2 - Principes, actions et organisation <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes<br />

D<strong>ans</strong> un texte 4 <strong>de</strong>nse et d’une gran<strong>de</strong> portée si on le lit avec le recul du temps, Jean Rous, qui fut<br />

partie prenante <strong>de</strong> l’association <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes et, semble-t-il 5 , chargé <strong>de</strong><br />

tr<strong>ans</strong>férer son patrimoine à la République <strong>de</strong>s Jeunes, décrit “les principales activités concrètes et<br />

démonte, en quelque sorte sur table, les diverses pièces d’une Maison <strong>de</strong> Jeunes” 6 .<br />

L’activité <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes s’appuie essentiellement sur les loisirs : “Le jeu, c’est l’art du<br />

jeune. Mener le jeu est l’art suprême <strong>de</strong> l’éducateur” 7 , ce qui rompt en matière éducative et<br />

pédagogique avec la tradition <strong>de</strong> la pratique scolaire appuyée sur le travail et l’apprentissage. Et<br />

quand Jean Rous parle <strong>de</strong> jeu, il ne se réfère pas seulement aux jeux classiques, loisirs simples qui<br />

“occupent notamment à la campagne les longues veillées d’hiver” (cartes, échecs...), mais à l’art<br />

dramatique et à la d<strong>ans</strong>e. Pour lui, “il ne s’agit pas tant <strong>de</strong> fabriquer <strong>de</strong>s chefs d’oeuvre que <strong>de</strong> viser<br />

à l’éducation <strong>de</strong> l’expression” 8 . Mais il conviendra aussi <strong>de</strong> proposer aux jeunes <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong><br />

1 Circulaire du 8 mai 1945.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 “La Maison <strong>de</strong> Jeunes”, Esprit (octobre 1945).<br />

5 Selon Clau<strong>de</strong> Paquin d<strong>ans</strong> De la République <strong>de</strong>s Jeunes à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

6 La Maison <strong>de</strong> Jeunes, p. <strong>60</strong>4.<br />

7 Ibid.<br />

8 Ibid. Le soutien à l’expression, le développement <strong>de</strong> la “créativité” seront au centre <strong>de</strong>s pratiques<br />

quotidiennes <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> notamment d<strong>ans</strong> les années 70.


- 218 -<br />

choix suivis <strong>de</strong> débats car “d<strong>ans</strong> la discussion s’affine le goût et l’esprit critique” 1 . On enseignera<br />

également la pratique “<strong>de</strong>s arts dits mineurs : la reliure, la linogravure, la pyrogravure, la poterie”<br />

s<strong>ans</strong> oublier, là où elles sont restées vivaces, “les traditions, les moeurs anciennes, la langue, l’art<br />

choral et poétique” 2 . Ainsi “les maisons <strong>de</strong>viendront tout naturellement le centre <strong>de</strong> rayonnement <strong>de</strong>s<br />

originalités régionales” 3 . Enfin, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes favorisera la pratique <strong>de</strong> tous les sports, soit en<br />

les organisant elle-même, soit en prêtant ses locaux à une association sportive déjà constituée. “Les<br />

techniques sportives les plus coûteuses peuvent ainsi être mises à la disposition <strong>de</strong> tous les<br />

jeunes” 4 .<br />

La Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit aussi offrir <strong>de</strong>s “services éducatifs”. Le jeu, le folklore, le plein air ne<br />

suffisent pas “quoiqu’on ait semblé le croire ces <strong>de</strong>rnières années” 5 à la culture <strong>de</strong>s jeunes. Il faut<br />

également mettre en oeuvre “tout ce qui peut contribuer à accroître cette culture du jeune sur le plan<br />

humain et professionnel” 6 . S<strong>ans</strong> se substituer aux divers enseignements, la Maison <strong>de</strong>s Jeunes “sera<br />

le plus précieux auxiliaire du professeur et <strong>de</strong> l’instituteur non en les rejetant” (il faut employer son<br />

tact “à faire oublier l’atmosphère <strong>de</strong> l’école” !) mais en ajoutant “tout un rayonnement <strong>de</strong> beauté et <strong>de</strong><br />

vie profon<strong>de</strong>” 7 . Ainsi les activités proposées par les Maisons <strong>de</strong> Jeunes seraient-elles un “précieux<br />

adjuvant du travail <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s élites ouvrières et paysannes” 8 . En matière <strong>de</strong> formation du<br />

citoyen - objectif essentiel et ultime <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes - on veillera, notamment d<strong>ans</strong> les<br />

espaces éloignés <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes, à constituer un centre d’information et <strong>de</strong> documentation<br />

(bibliothèque, journaux, revues, T.S.F.), à préparer les jeunes à la vie syndicale ouvrière, paysanne,<br />

artisanale, par le témoignage, la conférence, la participation à l’expérience concrète et, “d<strong>ans</strong> le<br />

même esprit, tous le rouages <strong>de</strong> la vie civique, à la ville et au village, pourront être révélés d’une<br />

manière vivante, à la fois d<strong>ans</strong> leur présent et d<strong>ans</strong> leur histoire” 9 . Il s’agit <strong>de</strong> susciter l’engagement<br />

du jeune y compris d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s services sociaux et civiques qu’il pourra animer lui-même ou avec son<br />

équipe : secrétariat social, information juridique, technique et professionnelle, entrai<strong>de</strong> au projet <strong>de</strong>s<br />

réfugiés, sinistrés, mala<strong>de</strong>s, indigents, tout cela en relation directe avec les divers milieux sociaux<br />

1 Ibid. Il s’agit là aussi d’une pratique traditionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid. Jean Rous fait évi<strong>de</strong>mment référence à la conception que l’on se fait <strong>de</strong> la culture notamment<br />

d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong> Jeunes pendant la pério<strong>de</strong> Vichy.<br />

6 Ibid.<br />

7 La Maison <strong>de</strong> Jeunes.<br />

8 Ibid. p. <strong>60</strong>6.<br />

9 Ibid. p. <strong>60</strong>7.


intéressés (ouvrier, paysan, étudiant).<br />

- 219 -<br />

Ce dénombrement <strong>de</strong>s activités et services n’est pas limitatif et il ne saurait présenter un<br />

caractère <strong>de</strong> monopole. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes “n’a pas à concurrencer les activités et services<br />

existant d<strong>ans</strong> le quartier ou le village et orientés d<strong>ans</strong> le même sens. Elle est avant tout un centre <strong>de</strong><br />

coordination” 1 . Plutôt que <strong>de</strong> créer ses propres services, elle a à susciter les structures et<br />

compétences locales : associations sportives, syndicats, mé<strong>de</strong>cins et travailleurs sociaux, orienteurs<br />

professionnels, écoles, auberges <strong>de</strong> jeunesse, mouvements .... “Créée pour donner plus d’ampleur<br />

et <strong>de</strong> cohésion aux entreprises favorables aux intérêts <strong>de</strong> la jeunesse, la Maison est comparable sur<br />

ce point à la Bourse du Travail : elle admet toutes les activités comme la Bourse admet tous les<br />

syndicats s<strong>ans</strong> en concurrencer aucun. Mais elles entend être une “Bourse du Travail” comme la<br />

voulait Pelloutier : une personne morale vivante et d’une haute tenue éducative” 2 .<br />

Car la Maison <strong>de</strong>s Jeunes ne se réduit pas à une simple organisation <strong>de</strong> services : “elle est avant<br />

tout une collectivité morale animée par un directeur assisté d’un conseil <strong>de</strong> maison et gérée par une<br />

association” 3 . Le directeur ou chef <strong>de</strong> maison 4 apparaît comme la pièce maîtresse du dispositif. C’est<br />

“une sorte d’instituteur promu à l’éducation” 5 qui doit connaître les activités pour les diriger mais<br />

aussi savoir s’entourer <strong>de</strong> spécialistes. “Son grand art consistera à se lier au milieu local” 6 et pour<br />

cela il ne doit pas être qu’un éducateur mais avant tout “un militant, un créateur, un organisateur”. La<br />

tâche est complexe, le métier s’apprend et “il est souhaitable qu’existent <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> formation<br />

spécialisées” 7 . Leur nom importe peu. “L’expérience <strong>de</strong> Vichy condamne l’enseignement servile et<br />

réactionnaire. Mais le principe <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> cadres n’a rien à avoir avec le contenu <strong>de</strong> leur<br />

enseignement. C’est un grand malheur pour notre jeunesse qu’on lui refuse les grands moyens, sous<br />

prétexte que les totalitaires en ont fait un usage pernicieux. A ce compte, il faudrait conclure que<br />

seules les institutions comme le Sénat sortiront grandies <strong>de</strong> l’épreuve, attendu qu’il n’en a point<br />

existé (à notre connaissance) en Allemagne hitlérienne” 8 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

Aux côtés du directeur, “les jeunes sont représentés par un conseil <strong>de</strong> maison élu” 9 . Cette<br />

4 J. Rous emploie indifféremment les <strong>de</strong>ux appellations.<br />

5 La Maison <strong>de</strong> Jeunes. L’instituteur <strong>de</strong>vant être chargé essentiellement <strong>de</strong> “l’instruction”.<br />

6 Ibid.<br />

7 Ibid. p. <strong>60</strong>8.<br />

8 Ibid. A ce sujet, Jean Rous est, un peu plus loin (p. 621), tout aussi clair et clairvoyant : “Nous<br />

sommes <strong>de</strong>vant ce terrible dilemme : ou bien l’État veut caporaliser les jeunes et d<strong>ans</strong> ce cas, il leur<br />

consacre quelques crédits, ou bien il est pour la liberté et laisse tomber la jeunesse”.<br />

9 Ibid.


- 220 -<br />

formule, torpillée selon Jean Rous par le paternalisme vichyssois, permet au jeune <strong>de</strong> faire<br />

l’apprentissage <strong>de</strong> la République : “Les jeunes garçons et filles délibèrent <strong>de</strong> leurs propres affaires,<br />

forment <strong>de</strong>s équipes pour animer les services <strong>de</strong> la maison, contrôlent et critiquent leur propre<br />

activité sous l’arbitrage amical du chef <strong>de</strong> maison” 1 .<br />

Indépendamment <strong>de</strong> ce dispositif dont la fonction est essentiellement pédagogique, la Maison est<br />

ordinairement gérée par une association déclarée selon la loi <strong>de</strong> 1901 ou un conseil <strong>de</strong> gestion qui<br />

mobilisent “les élites et ressources locales et régionales”, assurent “l’intégration organique <strong>de</strong>s corps<br />

sociaux par les délégués <strong>de</strong> l’éducation (mouvements), <strong>de</strong>s syndicats ouvriers, pays<strong>ans</strong>, d’artis<strong>ans</strong>,<br />

<strong>de</strong> l’enseignement, <strong>de</strong>s associations d’étudiants, <strong>de</strong>s mutualités”. Ainsi par ce moyen, “la jeunesse<br />

n’est point coupée <strong>de</strong> ses milieux naturels et cependant elle <strong>de</strong>meure libre d<strong>ans</strong> ses maisons et<br />

foyers <strong>de</strong> se gérer elle-même” 2 , d’autant que les usagers se trouvent représentés au conseil <strong>de</strong><br />

gestion et d’association par certains <strong>de</strong> leurs membres, délégués par les conseils <strong>de</strong> maison eux-<br />

mêmes.<br />

Cette collectivité morale qu’est la Maison <strong>de</strong>s Jeunes doit-elle pour autant rassembler ses<br />

usagers et responsables autour d’une doctrine déterminée ? La réponse est non. La doctrine <strong>de</strong><br />

quelque ordre qu’elle soit, politique, sociale, religieuse, est du ressort <strong>de</strong>s mouvements et <strong>de</strong>s partis.<br />

La Maison <strong>de</strong>s Jeunes “est par excellence le rond-point d’union, le havre <strong>de</strong> conciliation aux côtés<br />

<strong>de</strong>s remous <strong>de</strong> la bataille” 3 . Mais cela ne signifie cependant pas qu’un état d’esprit <strong>de</strong> neutralité soit<br />

<strong>de</strong> rigueur. La maison doit se situer d<strong>ans</strong> un certain climat, climat <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> liberté, favorable à<br />

ce que Jean Rous appelle “la création institutionnelle” 4 , mais qu’il s’attache peu à définir sinon à la<br />

situer par différence avec “l’ar<strong>de</strong>ur militante du domaine spirituel ou politique 5 ” <strong>de</strong>s mouvements et<br />

<strong>de</strong>s partis.<br />

Le moins que l’on puisse dire, c’est que “ce climat”, qui doit prési<strong>de</strong>r selon J. Rous au<br />

développement et à l’action <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, n’est pas tempéré, mais porteur <strong>de</strong><br />

changement voire <strong>de</strong> turbulences. Jugeons-en : “Il ne sera pas, en définitive, possible d’assister à un<br />

puissant essor institutionnel d<strong>ans</strong> un régime qui <strong>de</strong>meurerait, sous la coquille “démocratique”,<br />

foncièrement capitaliste. Le style <strong>de</strong> l’Institution <strong>de</strong> Jeunes doit tendre à faire aimer et vouloir une<br />

société débarrassée <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong> l’homme par l’homme et basée sur la propriété commune<br />

<strong>de</strong>s grands moyens <strong>de</strong> production. En l’espèce, ce “socialisme” ou syndicalisme ou coopératisme n’a<br />

pas à se référer à une école particulière. D<strong>ans</strong> le domaine éducatif, il les faut admettre toutes, d<strong>ans</strong><br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 La Maison <strong>de</strong> Jeunes, p. 610.<br />

4 Ibid. p. <strong>60</strong>9.<br />

5 Ibid.


- 221 -<br />

leur libre compétition. Tirant positivement les leçons <strong>de</strong> l’expérience capitaliste et réactionnaire, il<br />

faudrait surtout s’attacher à composer les personnes morales <strong>de</strong> nos institutions <strong>de</strong> représentants et<br />

d’amis du progrès social et <strong>de</strong> la liberté. Les “patrons” tout désignés, aux côtés du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire, s’appellent CGT en coordination avec la CFTC, CGA, artisanat, mutualité.<br />

Mieux que les proclamations abstraites, ces présences situeront l’orientation générale <strong>de</strong>s maisons<br />

et associations” 1 .<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes peuvent, avec cet état d’esprit, servir l’homme et son épanouissement,<br />

respecter “l’éminente dignité <strong>de</strong> sa personne” 2 . Ainsi, un humanisme fondamental, tr<strong>ans</strong>posant sur le<br />

plan <strong>de</strong> la cité les valeurs dont se revendiquent aussi bien le socialisme que le christianisme, sera le<br />

lien spirituel commun <strong>de</strong>s Maisons” 3 .<br />

Ce climat pour le moins engagé qui doit prési<strong>de</strong>r au développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et à<br />

leurs mo<strong>de</strong>s d’action, Jean Rous a l’occasion d’en préciser la portée historique plus loin, d<strong>ans</strong> sa<br />

comparaison entre mouvements et maisons. Rappelant que “la Maison est aux mouvements ce que<br />

la Bourse du Travail est aux syndicats” et, par suite, qu’“elles ne sauraient être l’Institution d’un seul<br />

mouvement, mais <strong>de</strong> tous” 4 , il donne la clé <strong>de</strong>s rapports entre mouvements et maisons d<strong>ans</strong> une<br />

perspective socio-politique très précise : “Nous sommes entrés d<strong>ans</strong> l’époque où les activités <strong>de</strong><br />

gestion doivent s’ajouter positivement aux activités purement propagandistes ou éducatives. Le<br />

mouvement, quel qu’il soit, est dépassé par l’Institution. L’important, c’est que ce dépassement<br />

s’accomplisse en conservant la liberté et la diversité <strong>de</strong>s mouvements. Cette loi n’est d’ailleurs pas<br />

particulière au domaine <strong>de</strong> la jeunesse. Le pluralisme parlementaire et libéral est partout dépassé.<br />

Tout le problème est <strong>de</strong> savoir s’il le sera d<strong>ans</strong> la voie progressive et civilisée d’un fédéralisme et<br />

d’un associationnisme qui est (ce qui ne gâte rien) d<strong>ans</strong> la stricte tradition française, ou si, sous une<br />

forme nouvelle ou ancienne, nous ne serons pas à nouveau menacés par le totalitarisme. Pluralisme<br />

fédéraliste ou totalitarisme, tel est le dilemme. C’est aux mouvements <strong>de</strong> comprendre le sens <strong>de</strong><br />

l’histoire” 5 .<br />

La définition d’un grand <strong>de</strong>stin promis aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes conduit Jean Rous à préciser<br />

certaines relations avec un certain nombre <strong>de</strong> structures et d’autres institutions. D’abord les<br />

Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, particulièrement chères à Léo Lagrange, avec lesquelles on pourrait les<br />

1 Ibid. p. 610.<br />

2<br />

3<br />

Ibid. p. 611 (entre guillemets d<strong>ans</strong> le texte).<br />

Ibid. On rencontre peu <strong>de</strong> texte ou <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> position affirmant aussi fort l’engagement<br />

pédagogique et, pourrions-nous dire faute d’un terme meilleur, “sociétal” <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture, sinon le livre <strong>de</strong> J. Laurain ( L’éducation populaire ou la vraie révolution - L’expérience<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>)<br />

qui, lui aussi, se réfère à un humanisme tentant <strong>de</strong> rassembler les valeurs du socialisme et<br />

du christianisme pour en faire les lignes <strong>de</strong> force d’une pédagogie.<br />

4 La Maison <strong>de</strong> Jeunes,<br />

p. 612.<br />

5 Ibid.


- 222 -<br />

confondre. L’Auberge est liée à la route et attachée à l’idée d’évasion ; la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est liée<br />

à la cité et attachée à l’idée d’enracinement. Les qualités pour l’action ne sont pas les mêmes. Le<br />

militant “ajiste” sera le plus souvent “un artiste en action, un idéaliste qui essaie <strong>de</strong> construire son<br />

rêve d’une cité meilleure au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s taudis <strong>de</strong> la cité capitaliste, sensible à toutes les beautés mais<br />

ayant plutôt tendance à fuir les lai<strong>de</strong>urs qu’à les vaincre par le corps à corps <strong>de</strong> la lutte quotidienne” 1 .<br />

Le chef <strong>de</strong> maison au contraire “doit être rompu à toutes les techniques <strong>de</strong> la vie civique et sociale. Il<br />

doit être essentiellement un mainteneur ou un créateur d’institutions, un animateur <strong>de</strong> relations<br />

sociales, <strong>de</strong> manière à faire <strong>de</strong> sa construction l’expression <strong>de</strong> la cité ; en un certain sens, sa qualité<br />

dominante <strong>de</strong>vra être le sens politique, ce mot étant débarrassé <strong>de</strong> son acceptation partisane [...]<br />

C’est un animateur et un créateur d’institutions sé<strong>de</strong>ntaires avec ce que cela comporte <strong>de</strong> sens <strong>de</strong>s<br />

réalités” 2 .<br />

C’est que les Maisons <strong>de</strong> Jeunes doivent “s’infléchir à l’existence <strong>de</strong>s classes et milieux sociaux<br />

divers [...] Expression du milieu local, la maison sera en même temps l’expression du milieu social<br />

[...] Cette élévation au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l’horizon coutumier qu’implique la culture partira du lieu où le jeune<br />

vit, travaille, agit, grandit. Si par une volonté vaine on voulait sauter par <strong>de</strong>ssus la réalité, cette<br />

<strong>de</strong>rnière ne tar<strong>de</strong>rait pas à prendre sa revanche” 3 . Et l’auteur <strong>de</strong> faire l’inventaire <strong>de</strong>s différentes<br />

sortes <strong>de</strong> maisons en fonction <strong>de</strong>s milieux sociaux dominants (maisons ouvrières, paysannes,<br />

étudiantes, maisons <strong>de</strong> petites villes accueillant <strong>de</strong>s publics mélangés, qui, par <strong>de</strong>s rassemblements<br />

périodiques et le fédéralisme, peuvent favoriser la rencontre <strong>de</strong>s jeunes <strong>de</strong> divers milieux.<br />

Les Maisons <strong>de</strong> Jeunes doivent également permettre la rencontre entre jeunes <strong>de</strong> sexes<br />

différents. Même si certaines activités ont plutôt un caractère masculin et d’autres un caractère<br />

féminin, on favorisera la mixité. “Si on l’admet pour les Auberges qui impliquent la cohabitation, à<br />

plus forte raison doit-on l’admettre pour les Maisons qui n’impliquent que la co-activité” 4 . La mixité<br />

sera aussi “une <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> l’apprentissage <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la préparation au mariage et à la vie<br />

familiale. La Maison sera, d<strong>ans</strong> le plein sens du mot “un lieu <strong>de</strong> rencontre” incomparablement plus<br />

décent que les lieux clan<strong>de</strong>stins ou improvisés. Elle contribuera même au renouvellement <strong>de</strong> la<br />

morale, par <strong>de</strong>là l’hypocrisie organique et la pourriture du mon<strong>de</strong> capitaliste” 5 .<br />

Pas plus qu’on ne doit confondre ni opposer Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et Auberges <strong>de</strong> Jeunesse, on<br />

n’opposera ni ne confondra école et Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. On a chargé l’école <strong>de</strong> l’instruction, ce qui<br />

est sa raison d’être, mais aussi <strong>de</strong> l’éducation s<strong>ans</strong> lui donner pour cette <strong>de</strong>rnière tâche ni moyens ni<br />

1 Ibid. p. 613.<br />

2 La Maison <strong>de</strong> Jeunes.<br />

3 Ibid. p. 616.<br />

4 Ibid. p. 218.<br />

5 Ibid.


- 223 -<br />

doctrine. Seule la juxtaposition <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> l’école peut ai<strong>de</strong>r à résoudre le<br />

problème <strong>de</strong> l’éducation nationale en France. En complément <strong>de</strong> l’école qui représente pour les<br />

jeunes l’effort et la contrainte, la maison, “leur maison” sera pour eux un domaine <strong>de</strong> libre culture et<br />

<strong>de</strong> loisir. Le chef <strong>de</strong> maison n’empiètera pas sur les attributions du maître d’école car il ne saurait<br />

faire <strong>de</strong> sa maison une autre école, la collaboration entre les <strong>de</strong>ux institutions pouvant trouver sa<br />

plus gran<strong>de</strong> efficacité d<strong>ans</strong> le détachement <strong>de</strong>s instituteurs et professeurs pendant leurs premières<br />

années à la direction <strong>de</strong> maisons <strong>de</strong> jeunes.<br />

Autres relations importantes à préciser : celles <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> l’Etat. La question<br />

est difficile et les dangers nombreux. La tentation est gran<strong>de</strong> pour l’Etat <strong>de</strong> régenter l’éducation d’une<br />

manière autoritaire : “C’est la voie <strong>de</strong> la facilité, et c’est pourquoi elle n’est pas spéciale aux états<br />

totalitaires” 1 . L’expérience récente <strong>de</strong> Vichy a clairement démontré qu’un étatisme tatillon est<br />

contradictoire avec l’existence même <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> jeunes. Toutes les fois que les associations<br />

gestionnaires usaient <strong>de</strong> leur liberté, elles entraient en conflit avec l’administration si bien qu’elle ne<br />

pouvaient survivre “qu’en tant qu’appendices et instruments <strong>de</strong> l’Etat” 2 . Aujourd’hui, d<strong>ans</strong> la liberté<br />

retrouvée, on serait menacé du danger inverse. “L’Etat qui accepte volontiers <strong>de</strong> n’être que<br />

conseiller, soutien et arbitre, a tendance à interpréter sa fonction d<strong>ans</strong> le sens du laisser-faire alors<br />

qu’il lui faudrait faire preuve <strong>de</strong> décision sur la base d’un plan rigoureux” 3 . Face à ces <strong>de</strong>ux dangers,<br />

autoritarisme ou laisser-faire <strong>de</strong> l’Etat, Jean Rous définit une attitu<strong>de</strong> tout à fait prémonitoire <strong>de</strong><br />

l’histoire ultérieure <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture : “...quelles que soient les perspectives<br />

d’avenir, ne nous lassons pas <strong>de</strong> lutter pour que les Maisons soient librement gérées par <strong>de</strong>s<br />

associations et non par l’Etat, ... que l’Etat lui-même ait un rôle efficace et <strong>de</strong> soutien. Nous<br />

proposons non une opposition mais un équilibre. Et cet équilibre sera lui-même le produit d’une lutte<br />

incessante” 4 .<br />

Un <strong>de</strong>s critères décisifs <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> la Nation d<strong>ans</strong> les oeuvres <strong>de</strong> jeunesse et<br />

<strong>de</strong> liberté est la politique financière. “Après avoir engouffré <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> milliards pour <strong>de</strong>s<br />

oeuvres <strong>de</strong> mort et <strong>de</strong> barbarie, l’humanité s’avèrera-t-elle capable <strong>de</strong> sacrifier <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong><br />

milliards pour les oeuvres <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> civilisation ? Est-ce toujours le même problème qui se repose<br />

tous les vingt <strong>ans</strong> ?” 5 . Et dès 1945, Jean Rous pousse un cri d’alarme : “Un <strong>de</strong>s principaux critères<br />

<strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> toute politique nouvelle sera : combien y a-t-il en France <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> Maisons et<br />

auberges <strong>de</strong> jeunesse ? Malheureusement, à ce jour, en 1945, nous sommes obligés d’enregistrer<br />

1 La Maison <strong>de</strong> Jeunes,<br />

p. 614.<br />

2 Ibid. p. 615.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid. p. 620.


- 224 -<br />

que les moyens mis à la disposition <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes sont encore plus faibles que ceux<br />

qu’octroyait Vichy (13 millions au lieu <strong>de</strong> 22 millions). Nous sommes <strong>de</strong>vant ce terrible dilemme : ou<br />

bien l’Etat veut caporaliser les jeunes, et d<strong>ans</strong> ce cas, il leur consacre quelques crédits, ou bien il est<br />

pour la liberté, et laisse tomber la jeunesse. N’y a-t-il pas place pour une audacieuse politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse édifiant pour elle et avec elle <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> liberté ? Au départ, l’Etat doit faire le<br />

principal et premier effort <strong>de</strong> lancement. Il doit doter (s<strong>ans</strong> cesser <strong>de</strong> les contrôler) les associations<br />

gestionnaires <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong>stinés à permettre la réalisation d’un plan <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur : mille<br />

maisons <strong>de</strong> jeunes par an” 1 .<br />

Un certain optimisme est cependant <strong>de</strong> rigueur. Indépendamment <strong>de</strong>s critiques que l’on peut<br />

adresser à l’expérience récente, il faut souligner que “l’orientation <strong>de</strong> principe n’a jamais été<br />

meilleure” 2 . L’Etat a compris “du moins d<strong>ans</strong> l’abstrait” 3 que la jeunesse avait le droit <strong>de</strong> se gérer elle-<br />

même. L’initiative lyonnaise “La République <strong>de</strong>s jeunes” étendue au niveau national a été habilitée<br />

par la Direction <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education populaire avec missions <strong>de</strong> développement et <strong>de</strong><br />

fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes. “Dès maintenant, on peut voir qu’elles sont les lignes <strong>de</strong> force<br />

d’un heureux <strong>de</strong>stin” 4 : l’abandon, d<strong>ans</strong> le travail commun, <strong>de</strong>s préoccupations partisanes,<br />

l’articulation <strong>de</strong> la structure générale à partir <strong>de</strong>s organismes représentatifs <strong>de</strong>s milieux sociaux, la<br />

création d’un type propre et nouveau <strong>de</strong> militant “sorte <strong>de</strong> mutuelliste <strong>de</strong> la jeunesse, sachant<br />

équilibrer tous les apports d<strong>ans</strong> une voie créatrice” 5 . Il ne fait aucun doute que si elle sait éviter les<br />

écueils du paternalisme et du bureaucratisme passés, du sectarisme et <strong>de</strong> l’opportunisme toujours<br />

possibles et avoir les concours qui lui sont dus, “la République <strong>de</strong>s Jeunes sera d<strong>ans</strong> quelques<br />

années une <strong>de</strong>s plus rayonnantes institutions populaires <strong>de</strong> la France” 6 . Ainsi pourra-t-on former un<br />

“type d’homme nouveau” 7 pour une société nouvelle, par là-même préparer la “révolution socialiste”,<br />

seul remè<strong>de</strong> à la contradiction permanente du régime social actuel et à l’exploitation <strong>de</strong> l’homme par<br />

l’homme. “L’éducation doit préparer cette révolution pour que, le moment venu, elle ne soit pas<br />

exposée à toutes défigurations et dégénérescences [...] A cet égard, le rôle <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes<br />

est éminent et irremplaçable [...] d<strong>ans</strong> la bienfaisante atmosphère <strong>de</strong> l’institution <strong>de</strong> jeunes,<br />

l’humanisme et le socialisme seront donc conciliés en permanence. Et la reconstruction nationale<br />

1 Ibid. p. 621.<br />

2 La Maison <strong>de</strong> Jeunes, (p. 621). A preuve, en effet, les circulaires du 13 novembre 1944 et du 8 mai<br />

1945 dont nous avons parlé plus haut.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid. p. 622.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid.<br />

7 Ibid. p. 623.


- 225 -<br />

ainsi que la révolution sociale trouveront d<strong>ans</strong> la jeunesse ‘leur flamme la plus pure’ et leur plus<br />

noble élan” 1 .<br />

Même si l’analyse, souvent très engagée, <strong>de</strong> J. Rous est en partie à mettre au compte <strong>de</strong> ses<br />

convictions personnelles et d’un certain climat du moment 2 (en effet, rarement d<strong>ans</strong> son histoire la<br />

FF<strong>MJC</strong> reprendra les orientations <strong>de</strong> société très explicites d<strong>ans</strong> ce texte), il n’empêche que ce<br />

propos reste un document historique significatif à plusieurs titres : <strong>de</strong> l’espérance <strong>de</strong> la Libération en<br />

une véritable politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> la culture tournant délibérément le dos au passé et<br />

porteuse d’un avenir radieux, <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> société d<strong>ans</strong> lesquels seront prises les futures Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, <strong>de</strong>s difficultés, heurs et malheurs, y compris à très court terme,<br />

auxquels la République <strong>de</strong>s Jeunes et plus tard la FF<strong>MJC</strong> seront confrontées, et par là-même <strong>de</strong>s<br />

combats que leurs responsables militants et professionnels auront à livrer.<br />

3 - Premières réalisations, premières difficultés<br />

Si l’on en juge par les circulaires gouvernementales <strong>de</strong>s 13 novembre 1944 et 8 mai 1945, et par<br />

l’importance <strong>de</strong> leur mission définie par J. Rous, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes sont promises à un <strong>de</strong>stin à<br />

la dimension du grand <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> société porté par les hommes et les courants issus <strong>de</strong> la<br />

Libération 3 . Mais qu’en est-il d<strong>ans</strong> les faits <strong>de</strong> la réalisation du plan <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur (1.000<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes par an) dont rêvait Jean Rous ?<br />

L’implantation progresse lentement : 62 Maisons <strong>de</strong>s Jeunes en 1945, 76 en 1946 4 , 77 en 1947 5 ,<br />

dont certaines existaient déjà sous le gouvernement <strong>de</strong> Vichy 6 . Mais déjà, dès 1945, se <strong>de</strong>ssine à<br />

1 Ibid.<br />

2 Rappelons l’influence que le seul parti communiste, sorti grandi <strong>de</strong>s combats <strong>de</strong> la Libération,<br />

exercera à ce moment-là et jusqu’à la fin <strong>de</strong>s années 70 sur les élites <strong>de</strong> la culture, <strong>de</strong> la jeunesse et<br />

<strong>de</strong> l’éducation populaire. S’agissant <strong>de</strong> Jean Rous nous n’avons cependant fait aucune recherche sur<br />

ses possibles engagements politiques partis<strong>ans</strong>.<br />

3 A ce titre, on peut effectivement dire que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont issues <strong>de</strong> la<br />

Libération, ou du moins <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong> la Libération et <strong>de</strong> la reconstruction nationale qui doit suivre.<br />

4 Pour 1945 et 1946, la liste <strong>de</strong> ces Maisons est donnée par un document non signé, qui a pu être<br />

réalisé par Albert Léger, alors délégué général, ou par un administrateur (le trésorier <strong>de</strong> la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes, par exemple), et non daté (vraisemblablement <strong>de</strong> décembre 1947 pour la<br />

tenue <strong>de</strong> l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>). (Archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>).<br />

5 Le chiffre est donné par André Philip en personne (discours prononcé à l’assemblée générale<br />

constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, Saint-Cloud, 15/1/48).<br />

6 Il est difficile <strong>de</strong> comptabiliser, en l’état <strong>de</strong> nos recherches, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes “<strong>de</strong> Vichy” qui,<br />

après dissolution <strong>de</strong> l’association, ont été agréées par la Direction <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Éducation<br />

populaire et se sont affiliées à la République <strong>de</strong>s Jeunes puis à la FF<strong>MJC</strong>, d’autant que les<br />

associations dissoutes par arrêté du 9 janvier 1945 étaient souvent <strong>de</strong>s associations<br />

départementales gérant plusieurs Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, et que la liste <strong>de</strong>s années 45 et suivantes ne<br />

concerne que <strong>de</strong>s structures locales.


- 226 -<br />

grands traits le futur paysage <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture : 24 maisons pour la seule<br />

région Rhône-Alpes, dont 9 pour le département du Rhône ; 11 en Midi-Pyrénées ; viennent ensuite<br />

4 en Languedoc-Roussillon et en Ile-<strong>de</strong>-France, 3 en Lorraine, Aquitaine, 2 en Basse-Normandie,<br />

Poitou-Charentes et Nord-Pas-<strong>de</strong>-Calais, une enfin en Picardie, Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, Alsace,<br />

Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Bretagne et Pays-<strong>de</strong>-Loire, aucune pour les autres<br />

régions. L’implantation un peu plus importante en 1946 s’explique en gran<strong>de</strong> partie par la création <strong>de</strong><br />

quelques Maisons en Auvergne, dont 3 d<strong>ans</strong> le Cantal, et par la montée en force du Tarn (16<br />

maisons contre 3 seulement l’année précé<strong>de</strong>nte), certaines maisons ayant par ailleurs disparu.<br />

L’ensemble institutionnel (Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et Fédération nationale) est doté d’un corps<br />

professionnel <strong>de</strong> 71 personnes en 1947 1 : 9 attachés au centre fédéral (dont 4 délégués couvrant les<br />

gran<strong>de</strong>s régions d’implantation 2 ), 36 directeurs salariés plus trois adjoints, et enfin 24 directeurs<br />

différemment in<strong>de</strong>mnisés (<strong>de</strong> 650 F à 4.000 F). Le corps professionnel <strong>de</strong>s directeurs salariés est<br />

d’une moyenne d’âge <strong>de</strong> 27 <strong>ans</strong> et 8 mois (le plus jeune a 22 <strong>ans</strong> et le plus âgé 41 <strong>ans</strong>). Le moins<br />

que l’on puisse dire est qu’il est peu impliqué d<strong>ans</strong> le boum démographique <strong>de</strong> l’après-guerre : 22<br />

enfants seulement.<br />

Cette progression lente <strong>de</strong> l’Institution s’explique en partie par la faiblesse <strong>de</strong>s moyens d’Etat.<br />

Alors qu’en 1945 la République <strong>de</strong>s Jeunes semblait assurée d’une première subvention <strong>de</strong> 18<br />

millions <strong>de</strong> francs et qu’elle étoffait le centre national <strong>de</strong> manière à lancer d<strong>ans</strong> la Nation un<br />

mouvement favorable aux Maisons <strong>de</strong> Jeunes, elles voyait sa dotation amputée <strong>de</strong> 4 millions <strong>de</strong><br />

francs et subissait un retard important d<strong>ans</strong> le versement (19 millions en septembre 1945 et 5<br />

millions le 5 mars <strong>de</strong> l’année suivante). Ainsi, “dès le début, cette contradiction entre les prévisions et<br />

la réalité mettait les premières maisons <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes d<strong>ans</strong> une situation<br />

extrêmement difficile” 3 .<br />

L’exercice 1946 ne fut pas plus gai. Après avoir envisagé une subvention probable <strong>de</strong> 30 millions<br />

<strong>de</strong> francs en janvier, ensuite <strong>de</strong> 15 millions, celle-ci fut fixée officiellement à 10 millions pour être, en<br />

définitive, réduite à 7 millions <strong>de</strong> francs. 15 Maisons, dites <strong>de</strong> “valeur contestable” 4 , furent<br />

abandonnées ou fermées ; les associations départementales furent averties <strong>de</strong> ne plus compter sur<br />

les subventions fédérales ; le centre national fut ramené <strong>de</strong> 32 personnes à 16. Le personnel ne<br />

recevait pas les augmentations <strong>de</strong> salaires légales (plus d’un million <strong>de</strong> francs) et les maisons étaient<br />

en<strong>de</strong>ttées pour une somme totale <strong>de</strong> 6.300.000 F. Grâce aux interventions du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes et à celles du syndicat du personnel soutenu par le SNI, la FEN et le<br />

1 Propositions du conseil d’administration national du 22/10/47 et décision <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Éducation populaire du 20/11/47 (Archives FF<strong>MJC</strong>).<br />

2 Sud-Est, Sud-Ouest, Nord-Est, plus la Région parisienne.<br />

3 Document non signé et non daté (Archives FF<strong>MJC</strong>), cité p. 368, note 2.<br />

4 Ibid.


- 227 -<br />

représentant <strong>de</strong> la CGT au conseil d’administration, un crédit supplémentaire <strong>de</strong> 4.800.000 F fut<br />

obtenu au Parlement, et la catastrophe évitée.<br />

Au début <strong>de</strong> 1947, la situation semblait s’améliorer, la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et<br />

d’Education populaire ayant l’assurance d’une subvention <strong>de</strong> 20 millions pour frais <strong>de</strong><br />

fonctionnement et <strong>de</strong> 15 millions pour frais <strong>de</strong> premier aménagement <strong>de</strong>s maisons nouvellement<br />

créées. Malheureusement le Parlement n’ayant voté le budget qu’en juillet, les subventions<br />

n’arrivèrent qu’au compte-goutte, si bien qu’en novembre, la fédération n’avait reçu, en tranches<br />

successives, que 16 millions dont 13.450.000 dus pour l’exercice précé<strong>de</strong>nt. Seuls, <strong>de</strong>ux prêts d’un<br />

million <strong>de</strong> francs, consentis par le service <strong>de</strong> liquidation <strong>de</strong>s anciennes Maisons <strong>de</strong> Jeunes,<br />

permirent d’échapper <strong>de</strong> justesse à la faillite. Une fois <strong>de</strong> plus le personnel se sacrifia, qui ne toucha<br />

son traitement <strong>de</strong> juin que fin juillet, attendit jusqu’au 2 juin 1947 son rappel d’augmentation légale <strong>de</strong><br />

25% pour 1946 et jusqu’au 26 novembre 1947 celui <strong>de</strong> 1947 1 .<br />

Les difficultés financières répétées du jeune ensemble institutionnel conduit les responsables à<br />

faire certaines analyses et propositions d<strong>ans</strong> la perspective <strong>de</strong> l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong>. En effet, “ce n’est pas d<strong>ans</strong> une perpétuelle incertitu<strong>de</strong> du len<strong>de</strong>main qu’un travail éducatif<br />

<strong>de</strong> longue haleine et l’expression souhaitable <strong>de</strong> notre oeuvre pourront se faire” 2 . Et <strong>de</strong> rappeler les<br />

engagements pris : “si la culture populaire est essentielle au relèvement <strong>de</strong> la France comme le<br />

proclament les représentants du Parlement et Gouvernement, et si, comme l’indique le préambule <strong>de</strong><br />

la Constitution, ‘la nation garantit l’égal accès <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> l’adulte à l’instruction, la formation<br />

professionnelle et la culture’, il est juste et nécessaire que l’Etat finance une oeuvre comme la<br />

nôtre” 3 . Force est en effet <strong>de</strong> constater qu’en 1947, si la subvention d’Etat est re<strong>de</strong>venue<br />

globalement la même qu’en 1945, les dépenses essentielles ont été multipliées par le coefficient<br />

2,66. Ainsi, aux 18 millions <strong>de</strong> 1945 <strong>de</strong>vraient correspondre 45 millions en 1948, et “si l’on estime<br />

qu’une expérience comme la nôtre peut s’étendre, c’est une centaine <strong>de</strong> millions qu’il serait<br />

raisonnable d’obtenir ...” 4 .<br />

Les responsables fédéraux admettent cependant qu’il ne faut pas compter sur la seule ai<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’Etat et que les maisons “doivent d’abord être soutenues par leurs usagers et trouver <strong>de</strong>s ressources<br />

locales” 5 . Du reste, communes et départements sont invités par la circulaire ministérielle du 30 mai<br />

1947 à participer au financement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. L’expérience montre par<br />

1 Une lettre d’un directeur, au nom <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, adressée au délégué général fait clairement état<br />

<strong>de</strong> leurs réelles motivations, mais aussi <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail catastrophiques et <strong>de</strong> l’insécurité<br />

salariale qu’ils connaissent.<br />

2 Document cité p. 368, note 2.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.


- 228 -<br />

ailleurs que les maisons implantées artificiellement, ne vivant que <strong>de</strong> subventions nationales,<br />

échouent et disparaissent (Besançon, St-Germain, Figeac, Albi… ). L’effort local, encore inégal mais<br />

jugé “en nette progression”, est donc significatif <strong>de</strong> l’enracinement <strong>de</strong> la maison et <strong>de</strong> sa vitalité, à<br />

condition que ses responsables veillent à prouver, chiffres en mains, cette vitalité 1 , et à administrer<br />

l’association “avec la même vigoureuse exactitu<strong>de</strong> que nos établissements d’enseignement public et<br />

donner aux fonctionnaires qui les contrôlent la garantie d’une gestion irréprochable” 2 .<br />

Mais les difficultés <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes ne sont pas uniquement financières. Dès le<br />

début 1945, elle connait <strong>de</strong>s dissensions puis une crise grave. C’est que les représentants <strong>de</strong><br />

nombreux mouvements qui la composent ont marqué d’emblée leur scepticisme à la fois sur les<br />

objectifs et sur l’organisation. L’Union <strong>de</strong> la Jeunesse Républicaine <strong>de</strong> France sera assez<br />

rapi<strong>de</strong>ment hostile à une organisation nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes perçue comme<br />

concurrente <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire, suivie en cela<br />

par une partie <strong>de</strong>s inspecteurs <strong>de</strong> la Direction dont certains sont très liés à la Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement 3 . De son côté, l’Action Catholique <strong>de</strong> la Jeunesse Française, qui se retirera, est en<br />

désaccord sur les modalités d’intervention <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes très différente du principe<br />

d’intervention par milieux sociaux (ouvriers, agriculteurs, étudiants) qu’elle défend 4 .<br />

Quant à la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement et au Syndicat National <strong>de</strong>s Instituteurs, le désaccord<br />

s’établit, officiellement du moins, sur la question <strong>de</strong> la laï cité, mais aussi sur l’avenir <strong>de</strong> l’éducation<br />

nationale, sujet sur lequel ces organisations ont quelques raisons récentes d’avoir <strong>de</strong>s griefs à<br />

l’encontre d’André Philip lui-même. Elles considèrent que ce <strong>de</strong>rnier soutient le confessionnalisme.<br />

C’est qu’en effet, André Philip, en tant que prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la commission d’étu<strong>de</strong> du problème <strong>de</strong>s<br />

rapports entre l’enseignement public et l’enseignement privé (novembre 1944, février 1945), s’est<br />

opposé aux thèses <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement et du SNI, et a soutenu le ministre démocrate-<br />

chrétien René Capitant, attitu<strong>de</strong> qui correspond, comme le rappelle très justement Clau<strong>de</strong> Paquin, “à<br />

ses convictions <strong>de</strong> toujours”, déjà exprimées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s débats internes à la SFIO en 1929 5 .<br />

Le SNI quittera la République <strong>de</strong>s Jeunes. D<strong>ans</strong> sa lettre <strong>de</strong> démission du 8 mars 1946, “le SNI<br />

1 “Certains conseil d’administration croient en effet fort habile <strong>de</strong> dissimuler leurs ressources et <strong>de</strong><br />

faire à appel à la pitié plutôt qu’à l’estime. C’est une erreur grave” (ibid.).<br />

2 Document cité p. 368, note 2.<br />

3 Clau<strong>de</strong> Paquin (Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 47, op. cit., p. 93) cite notamment un certain Pierre Arents.<br />

Cette attitu<strong>de</strong>, très tôt acquise, <strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong> l’administration, marquera longtemps leur attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

méfiance vis à vis <strong>de</strong> l’encadrement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>s délégué régionaux notamment, perçus comme<br />

un danger pour leur position qu’ils veulent dominante d<strong>ans</strong> le secteur <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire, et ce, même si la circulaire du 30/11/46 fait <strong>de</strong>s inspecteurs <strong>de</strong> la Jeunesse<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> droit <strong>de</strong>s associations régionales et départementales <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes.<br />

4 Ce n’est pas totalement vrai si l’on se réfère à Jean Rous, qui défend le principe <strong>de</strong> Maisons en phase<br />

avec les milieux sociaux dominants (étudiants, ouvriers, pays<strong>ans</strong>). Mais il est vrai que l’objectif final<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes est la rencontre <strong>de</strong> toutes les jeunesses.<br />

5 Selon Georges Lefranc, Le mouvement socialiste sous la III e République (1875-1940), Payot, 1963.


- 229 -<br />

regrette que le rapport du délégué général [il s’agit d’A. Léger] établisse une confusion regrettable<br />

entre les notions <strong>de</strong> “neutralité” et <strong>de</strong> “laï cité”. Pour le SNI, la laï cité implique la neutralité<br />

confessionnelle mais exige une prise <strong>de</strong> position hardiment républicaine. Il n’apparait pas qu’il soit<br />

d<strong>ans</strong> les projets <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes <strong>de</strong> développer d<strong>ans</strong> les maisons l’esprit<br />

républicain, l’amour <strong>de</strong> la liberté, la pratique du rationalisme” 1 . André Philip opposera la notion <strong>de</strong><br />

“laï cité ouverte” 2 , attitu<strong>de</strong> décrite <strong>de</strong> la manière suivante :<br />

“Nous prévoyons d<strong>ans</strong> nos programmes une formation civique résolument républicaine en<br />

faisant pratiquer la démocratie par les activités et d<strong>ans</strong> l’organisation <strong>de</strong>s maisons et une<br />

formation objective sur les problèmes sociaux, politiques et moraux qui sont posés à notre<br />

époque” 3 .<br />

La Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement ne tar<strong>de</strong>ra pas à emboîter le pas au SNI. La raison invoquée est<br />

également un conception différente <strong>de</strong> la laï cité. Ce n’est s<strong>ans</strong> doute pas la raison principale, mais<br />

bien plutôt une gran<strong>de</strong> méfiance à l’endroit <strong>de</strong> la concurrence possible <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, <strong>de</strong><br />

leur projet et leur organisation nationale. C’est que déjà la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement n’entend pas être<br />

traitée comme n’importe quel autre mouvement : “Nous ne sommes pas une famille spirituelle parmi<br />

d’autres familles spirituelles, une tendance idéologique parmi d’autres tendances idéologiques : nous<br />

représentons, au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les diversités d’opinion, l’unité <strong>de</strong> la République” 4 . Ce n’est s<strong>ans</strong><br />

doute pas une hasard si le général <strong>de</strong> Gaulle honore <strong>de</strong> sa présence le 56ème congrès <strong>de</strong> la Ligue<br />

<strong>de</strong> l’Enseignement (25-29 novembre 1945) où il dira “qu’elle a reparu tout naturellement avec la<br />

République” 5 . Les associations affiliées à la Ligue sont dispensées <strong>de</strong> l’avis du Conseil <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse pour obtenir l’agrément et le mouvement bénéficie <strong>de</strong> personnels mis à disposition par<br />

l’Etat (plus <strong>de</strong> 200). La Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement tient par <strong>de</strong>ssus tout à son monopole sur le secteur<br />

du périscolaire que “nul ne songe au fond à disputer sérieusement aux laï ques” 6 sauf peut-être les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes qui sont souvent présentées comme l’auxiliaire et le prolongement <strong>de</strong> l’école 7 . A<br />

ce titre, la délibération du Bureau <strong>de</strong> la Ligue du 26 juin 1946 est s<strong>ans</strong> équivoque : “Les documents<br />

1 Cité par Jean-Paul Martin, L’univers laï que face aux remaniements <strong>de</strong> la tradition républicaine d<strong>ans</strong><br />

les Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57-58, note n° 18, p. 53.<br />

2 D<strong>ans</strong> certains textes, on trouve le terme <strong>de</strong> “laï cité active”, ce qui signifie comme pour la “laï cité<br />

ouverte” qu’il faut favoriser, d<strong>ans</strong> l’acte éducatif, la confrontation <strong>de</strong> toutes les opinions. La Ligue<br />

<strong>de</strong> l’Enseignement, quant à elle, défend une laï cité dite républicaine souvent anticléricale avant d’en<br />

arriver très récemment à la notion <strong>de</strong> “laï cité plurielle”.<br />

3 Réponse au SNI en date du 21 mars 1946.<br />

4 L’action laï que n° 90 (février 1947).<br />

5 Cité par Bruno Jung, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57-58, p. 23. Précisons que la FF<strong>MJC</strong> ne se verra<br />

jamais honorée <strong>de</strong> la présence d’un chef <strong>de</strong> l’État...<br />

6 Jean-Paul Martin (op. cit.).<br />

7 Circulaires <strong>de</strong>s 13/11/44 et 8/5/45, textes <strong>de</strong> Jean Rous (op. cit.).


- 230 -<br />

laissés par M. Léger ten<strong>de</strong>nt à montrer que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes veulent prendre en main la<br />

formation culturelle <strong>de</strong> la jeunesse. C’est là une tâche que la Ligue a entreprise <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longues<br />

années et qui est sa raison même <strong>de</strong> vivre. Toute collaboration avec les Maisons <strong>de</strong> Jeunes ne peut<br />

se faire qu’en posant très nettement ce principe et en réservant à leur fédération le rôle d’organisme<br />

technique [... Aussi la ligue ne pourrait continuer sa collaboration avec elle...] qu’à condition qu’elle<br />

se cantonne d<strong>ans</strong> un rôle technique et nous laisse celui <strong>de</strong> grouper les usagers” 1 . Autrement dit, aux<br />

responsables <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes la gestion et l’entretien <strong>de</strong>s locaux, et la pédagogie à la Ligue<br />

<strong>de</strong> l’Enseignement !<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et leur organe fédératif entendaient bien regrouper et soutenir tous les<br />

mouvements mais ne voulaient porter les valises, même pédagogiques, d’aucun, fut-ce <strong>de</strong> la Ligue<br />

<strong>de</strong> l’Enseignement avec laquelle la FF<strong>MJC</strong> cherchera cependant à resserrer les liens 2 . Mais pour<br />

l’heure, compte tenu <strong>de</strong> toutes ces dissi<strong>de</strong>nces d’importance, la République <strong>de</strong>s Jeunes est bien mal<br />

en point 3 , si mal que son prési<strong>de</strong>nt A. Philip est amené à dire “que c’est le principe même <strong>de</strong><br />

l’existence <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes qui est mis en cause ainsi que celui <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes susceptibles <strong>de</strong> se fédérer” 4 . Jusqu’au représentant du Centre Protestant <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse et <strong>de</strong>s Eclaireurs Unionistes, proches d’André Philip et soutiens <strong>de</strong> la première heure, qui<br />

déclarera que “si d’ici trois ou quatre mois les buts <strong>de</strong> l’organisation et <strong>de</strong> la Direction n’ont pas<br />

acquis une stabilité plus gran<strong>de</strong>”, il se retirera, “ne voulant pas participer aux querelles et aux<br />

rivalités mesquines dont toutes les institutions <strong>de</strong> jeunesse en France sont actuellement l’objet” 5 .<br />

Ne rassemblant plus les mouvements et institutions <strong>de</strong> jeunesse qu’elle avait pour mission, par<br />

l’intermédiaire <strong>de</strong>s maisons, <strong>de</strong> soutenir et au niveau national <strong>de</strong> fédérer, la République <strong>de</strong>s Jeunes<br />

n’a plus <strong>de</strong> raison d’être, sinon à se tr<strong>ans</strong>former radicalement pour ne <strong>de</strong>venir, peut-être, qu’une<br />

institution <strong>de</strong> jeunesse par d’autres. La crise va être dénouée et <strong>de</strong>s perspectives nouvelles définies,<br />

en partie, grâce à la nomination au poste <strong>de</strong> délégué général d’Albert Léger en janvier 1946.<br />

1 Cité par Jean-Paul Martin : “L’univers laï que face aux remaniements <strong>de</strong> la tradition républicaine” d<strong>ans</strong><br />

les Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57-58, note n° 18, p. 54.<br />

2 Notamment d<strong>ans</strong> les années 50, comme l’attestent les archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

3 Paul J<strong>ans</strong>en signale d<strong>ans</strong> plusieurs textes (Éléments pour une histoire <strong>de</strong> l’éducation populaire, par<br />

exemple) qu’un certain nombre <strong>de</strong> jeunes et <strong>de</strong> responsables venus <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse<br />

étaient <strong>de</strong>s trotskistes, ce qui ne facilitait pas les relations avec certaines organisations. D’autre<br />

part, P. J<strong>ans</strong>en raconte avoir été “choqué par leur attitu<strong>de</strong> très désinvolte, par leurs propos, car<br />

nous étions quand même un peu bourgeois” (ibid. p. 52).<br />

4 Cité par Clau<strong>de</strong> Paquin : De la République <strong>de</strong>s Jeunes à la FF<strong>MJC</strong>, Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 57-58, p.<br />

233.<br />

5 Lettre <strong>de</strong> janvier 1946, citée également par Clau<strong>de</strong> Paquin (ibid. p. 233).


4 - La FF<strong>MJC</strong>, quand même<br />

- 231 -<br />

Albert Léger, inspecteur principal <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports mis à disposition en quelque sorte<br />

par Albert Châtelet, successeur <strong>de</strong> Jean Guéhenno à la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et<br />

d’Education populaire, prend donc ses fonctions le 6 janvier 1946.<br />

Le conseil d’administration <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes entérine cette mise à disposition le 7<br />

janvier 1946 d<strong>ans</strong> une réunion qui rassemble encore les représentants <strong>de</strong>s principales organisations<br />

constitutives <strong>de</strong> la Fédération nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes : CGT, ACJF, Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement, Eclaireurs <strong>de</strong> France, SNI, CGA, Scouts, UJRF, Auberges <strong>de</strong> Jeunesse. Sont<br />

présents également André Philip, M. Cortat, représentant M. Châtelet, MM. Lecuyer et Vendroux,<br />

intérimaires en attendant l’arrivée du délégué général. Guy <strong>de</strong> Boisson, secrétaire <strong>de</strong>s Fédérations<br />

Unies <strong>de</strong> la Jeunesse Patriotique (FUJP), qui aurait déclenché les négociations aboutissant à la<br />

désignation d’A. Léger comme délégué général 1 , est absent.<br />

Quelle est la mission <strong>de</strong> celui que les anciens <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> appellent encore d<strong>ans</strong> un mélange <strong>de</strong><br />

nostalgie et d’affection le “petit père Léger” ? Une idée couramment admise à la FF<strong>MJC</strong> veut qu’il ait<br />

été nommé par l’administration d’Etat pour “liqui<strong>de</strong>r” la République <strong>de</strong>s Jeunes, et à sa suite les<br />

Maison <strong>de</strong>s Jeunes. Selon le témoignage <strong>de</strong> l’intéressé lui-même, la mission qui doit être décisive<br />

pour l’avenir <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes ne présente pas le caractère impératif <strong>de</strong> liquidation qu’on<br />

tend à lui attribuer. L’entretien entre André Bas<strong>de</strong>vant, Directeur-adjoint <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong><br />

Jeunesse et d’Education populaire, et Albert Léger avant sa prise <strong>de</strong> fonctions, en témoigne :<br />

“- Tu as tous les pouvoirs. Tout, c’est tout.<br />

- Bien, ce sont les instructions officielles. Mais <strong>de</strong> toi à moi : que me conseilles-tu ?<br />

- Eh bien, liqui<strong>de</strong> ! C’est la pétaudière et tout le mon<strong>de</strong> t’approuvera. C’est dommage car les<br />

principes étaient excellents ; si tu trouvais quelque chose digne d’être conservé, alors essaie ;<br />

il y a peut-être une gran<strong>de</strong> chose à faire” 2 .<br />

Les pouvoirs confiés à Albert Léger sont effectivement importants, et l’avenir <strong>de</strong> l’Institution est<br />

s<strong>ans</strong> doute à ce moment-là entre ses seules mains. C’est qu’André Philip est momentanément d<strong>ans</strong><br />

l’impasse et conduit à accepter l’arbitrage <strong>de</strong> l’Etat pouvant découler <strong>de</strong> la mission d’A. Léger. Il<br />

participera certes à quelques réunions <strong>de</strong> directeurs et <strong>de</strong> la commission consultative, mais sa<br />

situation <strong>de</strong> Ministre <strong>de</strong>s Finances 3 et <strong>de</strong> responsable politique, qui pouvait être gênante d<strong>ans</strong> sa<br />

défense <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, le conduisit à faire largement confiance à Albert Léger.<br />

Même si ses premières propositions peuvent présenter un aspect liquidateur (mais pouvait-il faire<br />

1 Selon Albert Léger en personne (Réponses à J.-C. Leroyer le 2/06/91, Ronéo, 16 pages).<br />

2 Toujours selon Albert Léger lui-même (op. cit.).<br />

3 A. Philip fut en effet Ministre <strong>de</strong> l’Économie et <strong>de</strong>s Finances (Gouvernements Gouin janvier-juin 1946<br />

et Blum décembre 46-janvier 47) et Ministre <strong>de</strong> l’Économie nationale (Gouvernement Ramadier<br />

janvier-mai 1947).


- 232 -<br />

autrement ?), Albert Léger choisir d’assainir la situation et <strong>de</strong> reconstruire. Dès le 14 janvier 1946,<br />

d<strong>ans</strong> une lettre adressée au Directeur <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire, il<br />

formule <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s, propose <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s mesures radicales qui <strong>de</strong>vraient favoriser les<br />

“réformes qui s’imposent” 1 . D’abord il faut que les subventions d’Etat prévues pour l’exercice 1945<br />

soient enfin versées. Sur les 18 millions <strong>de</strong> francs initialement prévus, 9 millions ont été<br />

effectivement versés, 4 millions ont été virés aux Foyers Ruraux et 5 millions sont attendus. Albert<br />

Léger <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que le contrôleur <strong>de</strong>s dépenses qui, “en raison <strong>de</strong> la mauvaise administration <strong>de</strong><br />

l’équipe dirigeant la République <strong>de</strong>s Jeunes n’a pu autoriser jusqu’ici ce versement”, soit désormais<br />

invité à le faire. Cela permettrait <strong>de</strong> payer l’arriéré <strong>de</strong>s dépenses engagées et d’assurer le<br />

fonctionnement <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes en attendant le versement <strong>de</strong> la première subvention<br />

prévue au titre <strong>de</strong> l’exercice 1946.<br />

D’autre part, le processus <strong>de</strong> réforme et <strong>de</strong> restructuration est en route. Sur proposition <strong>de</strong> la<br />

Direction <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire, le conseil d’administration fédéral<br />

a désigné Albert Léger comme délégué général, ce qui assure dorénavant une participation<br />

constante <strong>de</strong> cette Direction à l’administration <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes, et un comité directeur<br />

<strong>de</strong> quatre membres a été chargé d’étudier <strong>de</strong> près les réformes nécessaires. Mais, plus important<br />

encore, A. Léger propose <strong>de</strong> prendre un certain nombre <strong>de</strong> mesures draconiennes :<br />

- Le renvoi “en bloc <strong>de</strong> l’équipe dirigeante dont la faillite est patente et [son remplacement]<br />

par une équipe restreinte et composée <strong>de</strong> personnes <strong>de</strong> valeur” 2 .<br />

- La suppression du service “contentieux” <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes. “Les questions qu’il<br />

a à examiner ne justifient pas le traitement d’un docteur en droit, d’où une économie <strong>de</strong> 118.220 F.<br />

Toutes questions seront soumises au service compétent <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong><br />

Jeunesse et d’Education populaire, ce qui permettra un contrôle plus effectif <strong>de</strong> l’Etat sur notre<br />

gestion” 3 .<br />

- La suppression du service <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> “pour raison d’économie (123.000F) et parce<br />

que c’est avec <strong>de</strong>s réalisations et non par <strong>de</strong>s discours ou <strong>de</strong>s papiers que j’entends faire ma<br />

propagan<strong>de</strong>” 4 .<br />

- La suppression du service <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s cadres. “J’ai l’intention <strong>de</strong> recruter désormais<br />

<strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et leurs assistants parmi les éducateurs déjà éprouvés<br />

1 Lettre du 14 janvier 1946 (documents communiqués par P. J<strong>ans</strong>en).<br />

2 Lettre du 14 janvier 1946. En réponse à Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer (Histoire et sociologie <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ....<br />

p. 56) qui l’affuble du qualificatif <strong>de</strong> dictateur, A. Léger répond qu’il n’a “qu’une seule pièce à son<br />

tableau, Lécuyer”, délégué administratif, qu’il a licencié. “Les autres, conscients <strong>de</strong> leur faillite<br />

étaient déjà partis ou sont partis d’eux-mêmes” (Réponse à J.-C. Leroyer).<br />

3 Lettre du 14 janvier 1946.<br />

4 Lettre du 14 janvier 1946.


- 233 -<br />

(instituteurs et chefs <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> jeunesse), <strong>de</strong> les former par <strong>de</strong>s stages d<strong>ans</strong> les meilleures<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes et par <strong>de</strong>s stages d’information que je dirigerai avec mes adjoints et pour<br />

lesquels je ferai appel à la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire, ainsi<br />

qu’aux mouvements et institutions <strong>de</strong> jeunesse plus compétents que nous en certaines activités et à<br />

qui la République <strong>de</strong>s Jeunes ne doit plus avoir la prétention <strong>de</strong> se substituer” 1 .<br />

- La suppression du service <strong>de</strong> “liaisons-Province” composé d’un chef <strong>de</strong> service, <strong>de</strong> cinq<br />

inspecteurs nationaux et <strong>de</strong> quatre inspecteurs régionaux. Ces inspecteurs, dit A. Léger, font double,<br />

voire triple emploi. “Le service sera assuré dorénavant par les inspecteurs <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire” 2 .<br />

déplacements.<br />

- La réduction du nombre <strong>de</strong>s dactylos, du montant <strong>de</strong>s frais <strong>de</strong> service, notamment <strong>de</strong><br />

Par contre, il a l’intention <strong>de</strong> recruter trois ou quatre adjoints à qui il proposera “<strong>de</strong>s traitements<br />

comparables à ceux <strong>de</strong>s inspecteurs <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire [et<br />

d’augmenter les salaires] du personnel conservé, à compter du 1er janvier 1946” 3 .<br />

Grâce à ces mesures, “il est raisonnable d’envisager en définitive une réduction d’environ 50% <strong>de</strong><br />

la somme actuellement dépensée [et] d’effectuer une administration rigoureuse et à l’échelon<br />

national et d<strong>ans</strong> chaque Maison <strong>de</strong> Jeunes” 4 .<br />

La portée <strong>de</strong> ces nouvelles dispositions est importante à court et à plus long terme. La tutelle <strong>de</strong><br />

l’Etat, sa capacité d’arbitrage, arrivent en force d<strong>ans</strong> une Institution jeune et affaiblie par ses<br />

dissensions internes et, semble-t-il, selon A. Léger du moins, par la faillite <strong>de</strong> son équipe dirigeante 5 .<br />

La Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education populaire reprend du poids : contrôle<br />

<strong>de</strong> la gestion, service “liaisons-Province” confié aux inspecteurs <strong>de</strong> la Direction. La formation initiale<br />

<strong>de</strong>s cadres est abandonnée et il faudra attendre les années <strong>60</strong>, moment <strong>de</strong> développement<br />

important <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l’emploi <strong>de</strong> directeurs, pour que la FF<strong>MJC</strong> se lance d<strong>ans</strong> une politique <strong>de</strong><br />

formation audacieuse. Enfin les prétentions <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes par rapport aux autres<br />

organisations <strong>de</strong> jeunesse sont réduites.<br />

Cependant le recrutement <strong>de</strong> trois ou quatre adjoints, l’augmentation <strong>de</strong>s salaires, la<br />

recentralisation nationale <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes et le souci <strong>de</strong> clarté d<strong>ans</strong> la gestion attestent<br />

<strong>de</strong> cette volonté <strong>de</strong> reconstruction et <strong>de</strong> développement, qui passe également par la mise à l’étu<strong>de</strong><br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 A. Léger vise, semble-t-il, uniquement les cadres administratifs permanents, et non les responsables<br />

<strong>de</strong>s organisations et mouvements <strong>de</strong> jeunesse qui composent le conseil d’administration <strong>de</strong> la<br />

République <strong>de</strong>s Jeunes, ni bien sûr les directeurs et directrices <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes.


- 234 -<br />

<strong>de</strong>s statuts et règlement définitifs - sinon cohérents et précis - <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, <strong>de</strong>s<br />

fédérations départementales, <strong>de</strong> la Fédération nationale et <strong>de</strong>s directeurs.<br />

En effet, pendant les années 46 et 47, on élaborera les statuts-types d’une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture, d’une fédération départementale, <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, le règlement intérieur <strong>de</strong> ces trois<br />

structures ainsi que les statuts <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, autant <strong>de</strong> textes qui seront, après approbation<br />

ministérielle, adoptés par l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, réunie à Saint-Cloud le 15 janvier 1948.<br />

Même si le vocable <strong>de</strong> “maison <strong>de</strong>s jeunes” ou <strong>de</strong> “maison <strong>de</strong> jeunes” reste, et pour longtemps 1 ,<br />

couramment employé, il est à remarquer que ces statuts, règlements et textes fondamentaux 2<br />

concernent <strong>de</strong>s structures appelées désormais Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Pourquoi donc<br />

l’ajout du mot “culture” au vocable “maison <strong>de</strong>s jeunes” qui conduit à l’assemblage hétéroclite d’un<br />

lieu, d’une génération et d’un concept complexe et sujet à multiples interprétations ? 3<br />

On peut avancer plusieurs explications, <strong>de</strong>s plus simples aux plus sophistiquées, qui ne sont pas<br />

exclusives les unes <strong>de</strong>s autres. Il s’agit s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> se démarquer, un peu plus et définitivement,<br />

<strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Vichy en définissant les statuts et règlements <strong>de</strong> structures locales et<br />

fédérales concernant désormais <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Il y a aussi une autre<br />

explication plus simple : on n’a pas trouvé une appellation meilleure que Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong><br />

la Culture pour dire que ces structures ne <strong>de</strong>vaient pas être réservées au jeunes, mais aussi<br />

ouvertes à tous. On a finalement inventé “<strong>MJC</strong>” pour ne pas employer “Maison Pour Tous” 4 . Mais ce<br />

qui est s<strong>ans</strong> doute plus déterminant, c’est le contexte <strong>de</strong> l’époque. Le décret du 18 août 1945 portant<br />

organisation <strong>de</strong> la Direction Générale <strong>de</strong> l’Enseignement prévoit <strong>de</strong> “promouvoir d<strong>ans</strong> toute la Nation<br />

la pensée, la culture et la conscience” 5 et le préambule <strong>de</strong> la Constitution <strong>de</strong> 1946 dit que “la Nation<br />

garantit l’égal accès <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la<br />

culture” 6 . De son côté, la commission ministérielle, dite Langevin-Wallon, préconise que “l’éducation<br />

populaire [qu’il s’agit <strong>de</strong> promouvoir] n’est pas seulement l’éducation pour tous [mais] la possibilité<br />

1 Encore aujourd’hui, d<strong>ans</strong> le langage courant <strong>de</strong> nombreux usagers, partenaires, et même<br />

responsables, on entend toujours parler <strong>de</strong> la “M.J.”.<br />

2 Ces documents, longtemps utilisés, sont rassemblés d<strong>ans</strong> une brochure d’une quarantaine <strong>de</strong> pages<br />

et constitueront pour <strong>de</strong> longues années la “bible <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>”.<br />

3 Le “logo” lui-même, qui apparaît, semble-t-il, à ce moment-là, pourrait donner libre cours à une<br />

importante production <strong>de</strong> sens : le M <strong>de</strong> Maison, auquel on a ajouté la toiture abrite les Jeunes (J)<br />

tandis que le C, parcouru <strong>de</strong> vagues, englobe, <strong>de</strong> manière ouverte et orientée, le tout, et donne à<br />

l’ensemble une forme d’oeil.<br />

4 C’est l’interprétation <strong>de</strong> Lucien Trichaud, futur délégué général (entretiens). Rappelons qu’au congrès<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Metz (1975), on déci<strong>de</strong>ra d’employer désormais le vocable <strong>de</strong> Maison Pour Tous<br />

(MPT).<br />

5 Ce texte fait partie <strong>de</strong>s fameux “Statuts règlements et textes fondamentaux” <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

6 Également d<strong>ans</strong> Statuts règlements et textes fondamentaux.


- 235 -<br />

pour tous <strong>de</strong> poursuivre, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’école et durant toute leur existence, le développement <strong>de</strong> leur<br />

culture intellectuelle, esthétique, professionnelle, civique et morale” 1 . D<strong>ans</strong> un tel contexte, le vocable<br />

<strong>de</strong> Maison <strong>de</strong>s Jeunes parait en effet bien inapproprié d’autant que ces structures se donnent pour<br />

mission la prise <strong>de</strong> conscience, la responsabilité et le développement <strong>de</strong> la démocratie, et que<br />

l’appellation <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, même si elle n’est pas totalement satisfaisante, peut à la fois dire, “maison <strong>de</strong><br />

la culture”, “maison <strong>de</strong> la jeune France”, “foyer <strong>de</strong> la Nation”, “maison <strong>de</strong>s jeunes” 2 et finalement<br />

“maison pour tous” “où les hommes ne cesseraient plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, <strong>de</strong>s<br />

spectacles, une bibliothèque, <strong>de</strong>s journaux, <strong>de</strong>s revues, <strong>de</strong>s livres, <strong>de</strong> la joie et <strong>de</strong> la lumière” 3 .<br />

C’est bien l’ensemble <strong>de</strong> ces projets assortis <strong>de</strong> principes d’action que reprennent, d<strong>ans</strong> leurs<br />

statuts et règlements, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture rassemblées à Saint-Cloud en janvier<br />

1948. Les statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> font état <strong>de</strong>s multiples services et activités proposés “à la population et en<br />

particulier à la jeunesse” 4 : accueil (salles <strong>de</strong> réunion, restaurant, bar, hébergements...), activités<br />

récréatives et éducatives (éducation physique, formation familiale, formation pratique, culturelle,<br />

intellectuelle et artistique, formation et information civiques, économiques et sociales. Si “la <strong>MJC</strong> est<br />

également ouverte à tous : individus isolés, mouvements <strong>de</strong> jeunesse, sociétés et institutions<br />

d’éducation populaire [...] d<strong>ans</strong> le respect <strong>de</strong>s convictions individuelles et d<strong>ans</strong> l’indépendance à<br />

l’égard <strong>de</strong>s partis politiques et <strong>de</strong>s groupements confessionnels” 5 , il est bien précisé que “toute<br />

propagan<strong>de</strong> politique ou religieuse est interdite à l’intérieur <strong>de</strong> la maison” 6 . Ce que l’on appellera la<br />

cogestion entre les différents partenaires (membres <strong>de</strong> doit, associés, représentants <strong>de</strong>s personnels)<br />

et usagers majoritaires au niveau <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, entre les différents partenaires et <strong>MJC</strong> affiliées au niveau<br />

fédéral, est institutionnalisé. Le conseil d’administration <strong>de</strong> la Fédération Française “nomme avec<br />

l’approbation du gouvernement aux emplois <strong>de</strong> délégué général, délégués et délégués-adjoints <strong>de</strong> la<br />

Fédération Française et, avec en plus l’accord <strong>de</strong>s conseils d’administration respectifs <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, à ceux <strong>de</strong> directeur, directrices, adjoints et adjointes <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture” 7 .<br />

Le règlement intérieur apporte <strong>de</strong>s précisions sur les principes, les objectifs et les missions <strong>de</strong><br />

1 Texte rappelé également d<strong>ans</strong> les documents <strong>de</strong> référence : L’espérance contrariée - Éducation<br />

populaire et jeunesse à la Libération (1944-1947).<br />

2 Autant <strong>de</strong> termes employés, rappelons-le, d<strong>ans</strong> la circulaire du 13 novembre 1944.<br />

3 Ibid.<br />

4 Article 2 (Statuts règlements et textes fondamentaux, p. 11).<br />

5 Article 3 (Statuts règlements et textes fondamentaux).<br />

6 Article 4 (ibid.). Cet article est considérablement plus rigoureux et strict que l’article 5 actuellement<br />

en vigueur : “La <strong>MJC</strong> est laï que, c’est à dire respectueuse <strong>de</strong>s convictions personnelles. Elle<br />

s’interdit toute attache avec un parti ou une confession”.<br />

7 Statuts .<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, article 13 (ibid., p. 25) approuvé par le décret ministériel n° 48-764 du 24 avril<br />

1948.


- 236 -<br />

chaque niveau fédéral. Il est rappelé que “la Constitution d<strong>ans</strong> son préambule garantit l’égal accès<br />

<strong>de</strong> tous à la culture [et que] avec l’ai<strong>de</strong> et sous le contrôle du Ministère <strong>de</strong> l’Education nationale,<br />

s’inspirant <strong>de</strong> l’idéal démocratique et social <strong>de</strong> la IV e République, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture groupées en fédérations départementales et en Fédération Française, ont pour mission <strong>de</strong><br />

diffuser la culture d<strong>ans</strong> toute la Nation...” 1 . Il s’agit <strong>de</strong> laisser à chaque association et à chaque<br />

individu, les jeunes notamment, “le maximum d’initiative et <strong>de</strong> liberté [et <strong>de</strong>] donner à l’Institution tout<br />

entière le maximum d’efficacité éducative” 2 . La pédagogie s’appuie essentiellement sur l’organisation<br />

<strong>de</strong>s usagers eux-mêmes en activités, selon leurs goûts, si bien que la formation s’opère par<br />

l’exercice même <strong>de</strong>s responsabilités. Les fédérations départementales, échelons non administratifs<br />

et facultatifs, doivent jouer un rôle <strong>de</strong> “patronage”, <strong>de</strong> “liaison”, <strong>de</strong> “développement”, <strong>de</strong><br />

représentation et <strong>de</strong> défense “<strong>de</strong>s intérêts communs <strong>de</strong>s Maisons” 3 . La Fédération Française, elle,<br />

est investie <strong>de</strong> missions importantes : représentation et défense <strong>de</strong>s intérêts communs <strong>de</strong>s Maisons<br />

et <strong>de</strong>s fédérations départementales, préparation du budget général qu’elle soumet au Ministère <strong>de</strong><br />

l’Education nationale, élaboration <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qu’elle diffuse et fait appliquer, recrutement,<br />

formation et suivi <strong>de</strong>s directeurs, directrices et adjoints. Tout en visant “non à imposer ses décisions<br />

mais à dégager <strong>de</strong>s expériences particulières, les enseignements valables pour tous, [...] son but<br />

essentiel est [...] <strong>de</strong> grouper tous les responsables <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maison [...] en une équipe<br />

fraternelle et enthousiaste, résolue à offrir au Peuple entier la possibilité d’accé<strong>de</strong>r à toute la culture<br />

à laquelle il a droit” 4 .<br />

Autre avancée d’importance : la définition, la détermination <strong>de</strong>s attributions et <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong><br />

gestion <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, pièces maîtresses <strong>de</strong> l’ensemble institutionnel. Les directeurs ou<br />

directrices <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ont d’abord <strong>de</strong>s attributions éducatives et d’animation : “Les connaissances, la<br />

pratique pédagogique active et le sens <strong>de</strong>s contacts humains [les] ren<strong>de</strong>nt aptes à maintenir, et au<br />

besoin à créer, l’esprit <strong>de</strong> liberté, <strong>de</strong> tolérance politique et religieuse, <strong>de</strong> fraternité sociale et<br />

d’enrichissement mutuel qui doit être la caractéristique <strong>de</strong>s maisons agréées par la FF<strong>MJC</strong>” 5 . Le<br />

conseil <strong>de</strong> maison dont il doit favoriser le fonctionnement démocratique efficace, “examiner,<br />

approuver, corriger ou rejeter [… ] les pl<strong>ans</strong> d’activités [… ] les projets d’avenir, les enseignements” 6 ,<br />

est l’outil pédagogique primordial du directeur. Ce <strong>de</strong>rnier remplit également <strong>de</strong>s missions<br />

1 Statuts, règlements et textes fondamentaux, Règlement intérieur, article 1, p. 29.<br />

2 Ibid. p. 29.<br />

3 Ibid. p. 30.<br />

4 Statuts, règlements et textes fondamentaux, Règlement intérieur, article 1, p. 30.<br />

5 Statuts, règlements et textes fondamentaux, Statuts <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture (p. 33).<br />

6 Ibid.


- 237 -<br />

administratives et d’organisation qui le ren<strong>de</strong>nt “capable <strong>de</strong> créer et <strong>de</strong> gérer l’institution la plus<br />

adaptée aux besoins <strong>de</strong>s jeunes” 1 . Cela passe évi<strong>de</strong>mment par <strong>de</strong>s activités plus terre à terre :<br />

application <strong>de</strong>s décisions administratives <strong>de</strong> l’association, information, gestion, comptabilité, entretien<br />

<strong>de</strong>s locaux, sécurité… Enfin, les directeurs accè<strong>de</strong>nt à un véritable statut professionnel et salarial. Le<br />

conseil d’administration fédéral du 24 mai 1947 admet le principe <strong>de</strong> l’assimilation <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong><br />

directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à celle d’instituteur chargé <strong>de</strong> la direction d’un cours complémentaire. Les<br />

conditions d’embauche, <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> poste, <strong>de</strong> rupture <strong>de</strong> contrat, et éventuellement <strong>de</strong><br />

reclassement professionnel, sont précisées.<br />

La circulaire ministérielle du 4 juillet 1947, tout en définissant le rôle <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong> la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education populaire et <strong>de</strong> ses fonctionnaires, apporte son crédit à<br />

la future Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Se référant à la circulaire<br />

du 13 novembre 1944, prévoyant que se crée d<strong>ans</strong> chaque ville et village une Maison où les<br />

hommes ne cesseraient plus d’aller ... et que cette maison soit en même temps le point d’appui <strong>de</strong>s<br />

organisations <strong>de</strong> jeunesse, la circulaire du 4 juillet 1947 précise que c’est cette double mission que<br />

s’est efforcée <strong>de</strong> réaliser la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, dont les<br />

nouveaux statuts sont désormais communiqués aux inspecteurs <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education<br />

populaire. Il est notifié que ceux-ci sont “statutairement membres <strong>de</strong> droit avec voix délibérative <strong>de</strong>s<br />

conseils d’administration <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong>s fédérations départementales” 2 et qu’ils sont<br />

investis d’une triple mission <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> ces structures : l’administration (gestion, respect <strong>de</strong>s<br />

obligations statutaires), la laï cité, la valeur éducative et morale <strong>de</strong>s activités qui doivent permettre<br />

“<strong>de</strong> développer l’esprit d’initiative et le sens <strong>de</strong>s responsabilités” 3 . Il est ensuite rappelé, comme le<br />

préconisait la circulaire du 8 mai 1945, que les Maisons doivent “naître d’un besoin suffisamment<br />

caractérisé” 4 et que les fonctionnaires <strong>de</strong> l’Etat n’ont pas à les créer eux-mêmes, mais à veiller à leur<br />

qualité, leur viabilité, à leur bonne implantation, ainsi qu’au “regroupement à l’intérieur <strong>de</strong> la<br />

Fédération Française <strong>de</strong>s oeuvres diverses, actuellement isolées et qui, par leur esprit laï que et la<br />

valeur éducative <strong>de</strong> leurs résultats, s’efforcent <strong>de</strong> réaliser les mêmes fins” 5 . Ainsi tous les espoirs<br />

sont-ils à nouveau permis : “Le jour où notre pays sera doté d’un bel équipement <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, urbaines ou rurales, mais actives, vivantes, prospères, sera en gran<strong>de</strong> partie<br />

résolu le problème qui s’offre à la IV e République, celui <strong>de</strong> l’Education populaire” 6 .<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Circulaire du 4 juillet 1947.<br />

4 Extrait <strong>de</strong> la circulaire du 8 mai 1945, repris d<strong>ans</strong> la circulaire du 4 juillet 1947.<br />

5 Circulaire du 4 juillet 1947.<br />

6 Ibid.


- 238 -<br />

C’est donc fort du travail accompli, <strong>de</strong>s restructurations opérées et d’une légitimité retrouvée,<br />

qu’André Philip peut s’adresser d<strong>ans</strong> un langage clair à M. Naegelen, Ministre <strong>de</strong> l’Education<br />

nationale, lors <strong>de</strong> l’assemblée générale constitutive qui se tient au centre d’éducation populaire <strong>de</strong><br />

Saint-Cloud le 15 janvier 1948. André Philip rappelle d’abord l’objectif essentiel <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> -<br />

“réaliser une éducation et une culture générale <strong>de</strong>s jeunes par eux-mêmes, par les métho<strong>de</strong>s<br />

d’éducation mo<strong>de</strong>rne, par une initiative venant <strong>de</strong> la jeunesse elle-même prenant conscience <strong>de</strong> ses<br />

besoins, <strong>de</strong> ses désirs, <strong>de</strong> ses possibilités” 1 - et les principes fondamentaux qui l’animent. D’abord la<br />

liberté, c’est à dire le rejet <strong>de</strong> tout paternalisme, autoritarisme et étatisme au profit <strong>de</strong> la diversité la<br />

plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées, <strong>de</strong>s initiatives et <strong>de</strong>s activités. La laï cité ensuite “entendue d<strong>ans</strong> un sens<br />

positif… [favorisant]… la véritable éducation <strong>de</strong> l’esprit démocratique, c’est à dire la recherche en<br />

groupe d’une solution à tous les problèmes envisagés, la recherche <strong>de</strong> la vérité d<strong>ans</strong> l’esprit<br />

d’humilité qui est celui <strong>de</strong> la véritable recherche scientifique avec le sentiment qu’aucun d’entre nous<br />

n’est capable d’atteindre jamais la vérité totale, mais que chacun peut la chercher” 2 .<br />

André Philip fait aussi longuement état <strong>de</strong>s difficultés (“Jusqu’ici nous n’avons guère connu que<br />

<strong>de</strong>s difficultés” 3 ) d’ordre moral (faire comprendre le projet), mais surtout d’ordre matériel. Les moyens<br />

ne sont pas à la hauteur <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong> cette institution nouvelle qui <strong>de</strong>vrait “<strong>de</strong>venir pour la<br />

Quatrième ce que l’école laï que a été pour la Troisième” 4 . S’appuyant sur l’analyse <strong>de</strong> la situation<br />

financière <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>puis sa fondation 5 , il rappelle que la condition <strong>de</strong>s Maisons est<br />

“véritablement tragique, [qu’il] faudrait pour fonctionner normalement quatre ou cinq fois plus <strong>de</strong><br />

crédits que ceux dont nous disposons à l’heure présente” 6 et, qu’en plus, la régularité <strong>de</strong>s<br />

versements soit assurée. André Philip <strong>de</strong>man<strong>de</strong> avec insistance au Ministre <strong>de</strong> se “pencher sur ce<br />

problème, <strong>de</strong> faire le maximum [… ] pour une Institution [… ] animée par une véritable vocation,<br />

[celle <strong>de</strong> permettre aux jeunes] <strong>de</strong> constituer les fon<strong>de</strong>ments d’une démocratie saine, soli<strong>de</strong>, et qui<br />

ne craindra plus rien d<strong>ans</strong> l’avenir” 7 .<br />

1 Discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (Statuts, règlements et<br />

textes fondamentaux, p. 1).<br />

2 Statuts, règlements et textes fondamentaux, p. 2 et 3. On est donc bien loin du projet <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Vichy qui proclamaient d<strong>ans</strong> leurs statuts : “L’objet <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes est <strong>de</strong><br />

donner aux jeunes le sens toujours plus vif <strong>de</strong> la communauté française, <strong>de</strong> les rassembler, qu’ils<br />

appartiennent ou non à un mouvement <strong>de</strong> jeunes, en vue <strong>de</strong> leur éducation civique et <strong>de</strong> leur<br />

développement physique et moral”.<br />

3 Statuts, règlements et textes fondamentaux, p. 1.<br />

4 Ibid. p. 3.<br />

5 Voir document longuement analysé plus haut (compte-rendu financier, archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>).<br />

6 Discours d’André Philip à l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (Statuts, règlements et<br />

textes fondamentaux).<br />

7 Ibid. p. 5).


- 239 -<br />

Après <strong>de</strong>s remerciements appuyés, notamment <strong>de</strong> lui “avoir parlé tout à l’heure avec franchise” 1 ,<br />

le Ministre, d<strong>ans</strong> sa réponse, fait longuement état <strong>de</strong>s difficultés financières <strong>de</strong> la quatrième<br />

République, <strong>de</strong> la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> son administration 2 , du dénuement du système éducatif, notamment<br />

<strong>de</strong>s universités. Conscient <strong>de</strong> l’insuffisance <strong>de</strong>s subventions versées aux <strong>MJC</strong>, il s’engage à faire la<br />

maximum et à accélérer les procédures <strong>de</strong> versement. Il se dit réconforté par l’enthousiasme <strong>de</strong>s<br />

représentants <strong>de</strong>s Maisons et par la pertinence <strong>de</strong>s objectifs et <strong>de</strong>s principes qui les animent,<br />

notamment la conception avancée <strong>de</strong> la laï cité et <strong>de</strong> la liberté : “Laï cité, cela signifie pour nous<br />

respect <strong>de</strong> toutes les opinions, <strong>de</strong> toutes les croyances.[… ] Vous avez le droit, et je dirai que vous<br />

avez le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> les confronter. Il n’est pas <strong>de</strong> véritable liberté s’il n’est pas <strong>de</strong> confrontation <strong>de</strong>s<br />

idées et <strong>de</strong>s croyances” 3 . Et le Ministre <strong>de</strong> conclure, malgré les difficultés du moment, sur une<br />

parabole qui invite à l’optimisme :<br />

“Lorsqu’un danger menaçait nos lointains ancêtres, un signal s’allumait pour prévenir du<br />

danger, ou aussi pour annoncer un rassemblement ou une fête : c’était le feu. On l’allumait sur<br />

un lieu élevé, pour qu’il fût aperçu <strong>de</strong> loin et que tous les hommes comprennent.<br />

Eh bien, lorsque vous créez une <strong>de</strong> vos Maisons <strong>de</strong>s Jeunes d<strong>ans</strong> quelqu’un <strong>de</strong> nos<br />

faubourgs, d<strong>ans</strong> quelqu’un <strong>de</strong> nos villages, vous allumez un <strong>de</strong> ces feux. Faites-en jaillir le<br />

plus possible, et si vous ne voyez pas l’aurore, un jour ils se seront rejoints et l’aurore<br />

resplendira sur l’humanité” 4 .<br />

1 Réponse <strong>de</strong> M. Naegelen (ibid. p. 6).<br />

2 “Trois années se sont écoulées et il ne semble pas que cette oeuvre <strong>de</strong> rénovation ait été accomplie<br />

et qu’un sang plus jeune et plus vigoureux coule d<strong>ans</strong> les veines <strong>de</strong> la quatrième République” dit-il<br />

(Réponse <strong>de</strong> M. Naegelen, ibid. p. 6).<br />

3 Réponse <strong>de</strong> M. Naegelen (Statuts, règlements et textes fondamentaux), p. 9.<br />

4 Réponse <strong>de</strong> M. Naegelen (Statuts, règlements et textes fondamentaux), p. 10.


- 241 -<br />

CHAPITRE IV -<br />

LA QUATRIÈME RÉPUBLIQUE : MOYEN-ÂGE DES <strong>MJC</strong> ?<br />

On s’étend généralement peu sur le développement et la place <strong>de</strong>s Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture pendant la quatrième République ainsi que, du reste, sur le sort réservé à l’éducation<br />

populaire d<strong>ans</strong> cette pério<strong>de</strong>. En quelques pages, José Baldizzone 1 se contente <strong>de</strong> mettre surtout en<br />

évi<strong>de</strong>nce le peu d’intérêt que les gouvernements successifs portent à l’éducation populaire, la course<br />

aux subventions qui “épuise les animateurs <strong>de</strong>s grands mouvements” 2 et d’une manière générale le<br />

refus <strong>de</strong> toute innovation <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s pouvoirs publics, alors que déjà les tr<strong>ans</strong>formations sociales<br />

“commencent à poser <strong>de</strong>s questions nouvelles au secteur socio-éducatif” 3 , et que s’accroissent les<br />

besoins d’une jeunesse plus nombreuse. De son côté, Clau<strong>de</strong> Paquin tout en reconnaissant que<br />

“cette décennie est importante comme pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> maturation <strong>de</strong>s bases sur lesquelles la politique<br />

d’exp<strong>ans</strong>ion du socio-culturel va se constituer au début <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>” 4 , se limite d<strong>ans</strong> un court<br />

paragraphe à quelques remarques : le faible développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui se battent pour survivre, la<br />

quasi-absence <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> l’Etat d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l’éducation populaire, les<br />

projets s<strong>ans</strong> len<strong>de</strong>main contenus d<strong>ans</strong> le plan Monnet et d<strong>ans</strong> les propositions <strong>de</strong>s gouvernements<br />

que dirigent Pierre Mendès-France et Edgar Faure en 1954 et 55.<br />

Cette décennie <strong>de</strong> latence - pour certains d’immobilité, <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>, voire même <strong>de</strong> recul - souvent<br />

considérée comme marquée par un certain obscurantisme 5 , est en fait une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> réflexion,<br />

d’expérimentation et <strong>de</strong> maturation qui prépare, du moins pour les <strong>MJC</strong>, l’exp<strong>ans</strong>ion <strong>de</strong> la décennie<br />

suivante.<br />

1 - “Une lente et sûre progression”<br />

C’est ainsi 6 que le trésorier fédéral, R. Piatti, qualifie l’évolution <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> lors <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale nationale <strong>de</strong> Lézignan le 14 avril 1957. En effet, les chiffres témoignent <strong>de</strong> cette “lente et<br />

sûre progression” que les responsables opposent régulièrement aux promesses et espoirs formulés<br />

1 De l’éducation populaire à l’animation globale, p. 59 et suivantes.<br />

2 Ibid. p. <strong>60</strong>.<br />

3 Ibid.<br />

4 “Approche historique <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>” d<strong>ans</strong> Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n° 4, p. 12.<br />

5 J. Baldizzone dit par exemple que les institutions et organismes nouveaux, nés à la Libération, sont<br />

confrontés à <strong>de</strong>s conditions politiques qui “éloignent toute réflexion <strong>de</strong> fond”, qu’“ils évoluent<br />

souvent vers la distribution <strong>de</strong> services, perdant <strong>de</strong> vue leurs finalités éducatives”. (op. cit., p. 59).<br />

6 Rapport financier, p. 3 (Archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>).


<strong>de</strong>puis 1944, et même pendant les années 50.<br />

- 242 -<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture sont au nombre <strong>de</strong> 118 en 1950, <strong>de</strong> 120 en 1951, <strong>de</strong><br />

128 en 1952, <strong>de</strong> 129 en 1953, <strong>de</strong> 138 en 1954, <strong>de</strong> 156 en 1955, <strong>de</strong> 176 en 1956, <strong>de</strong> 196 en 1957, <strong>de</strong><br />

200 en 1958, <strong>de</strong> 206 en septembre 1959. Ces maisons, à la fois implantées d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> rural et<br />

en milieu urbain, se créent généralement grâce aux initiatives locales. La FF<strong>MJC</strong> n’a ni les moyens,<br />

ni s<strong>ans</strong> doute la volonté affirmée <strong>de</strong> conduire une véritable politique d’implantation. En effet, même si<br />

on formule souvent le projet 1 soit <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r l’installation au niveau départemental ou cantonal <strong>de</strong><br />

maisons-pilotes qui, en quelque sorte, pourraient faire école, soit <strong>de</strong> créer plusieurs maisons <strong>de</strong><br />

quartiers d<strong>ans</strong> une même ville, il n’en reste pas moins vrai que les créations relèvent essentiellement<br />

<strong>de</strong> la libre initiative, et que les délégués régionaux, peu nombreux, condamnés à couvrir d’immenses<br />

espaces, ne peuvent que soutenir les structures existantes ou naissantes. Mais, comme le fait<br />

remarquer le secrétaire général d<strong>ans</strong> son rapport moral, lors <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes,<br />

“consolidation, stabilisation et approfondissement” sont les tâches que la Fédération essaie <strong>de</strong><br />

remplir.<br />

La fréquentation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> progresse elle-même lentement, et suit globalement la courbe<br />

d’implantation <strong>de</strong>s structures. En 1950, les 118 <strong>MJC</strong> rassemblent un peu moins <strong>de</strong> 25.000 usagers<br />

régulièrement inscrits, soit environ 210 par maison. En 1957, le chiffre total est d’un peu plus <strong>de</strong><br />

50.000, soit une moyenne <strong>de</strong> 258 par maison 2 . Le nombre <strong>de</strong> personnes touchées passera <strong>de</strong><br />

227.000 en 1952 à 320.000 en 1957 3 . D<strong>ans</strong> un document <strong>de</strong> synthèse daté <strong>de</strong> 1959 4 , on trouve <strong>de</strong>s<br />

chiffres tout à fait similaires. Les quelque 200 <strong>MJC</strong> alors en fonctionnement rassembleraient 40.000<br />

inscrits et cotisants, 25.000 non inscrits mais fréquentant régulièrement les équipements, et 35.000<br />

personnes “intéressées occasionnellement” 5 . Ainsi en 1959 chaque <strong>MJC</strong> accueillerait-elle en<br />

moyenne 325 usagers réguliers et, en y ajoutant les intéressés occasionnels, un peu plus <strong>de</strong> 2.000<br />

personnes par an.<br />

La population accueillie reste, pendant cette même décennie, majoritairement masculine. En<br />

1954, les <strong>MJC</strong> reçoivent encore <strong>de</strong>ux garçons pour une fille, mais les comparaisons <strong>de</strong> chiffres<br />

montrent que l’on va progressivement vers une équivalence. En 1956, les garçons représentent 65%<br />

<strong>de</strong>s usagers alors qu’en 1957 et 58, il s ne sont plus que <strong>60</strong>%. La préoccupation <strong>de</strong>s responsables<br />

<strong>de</strong> voir les <strong>MJC</strong> fréquentées aussi bien par les filles que par les garçons semble donc satisfaite, et,<br />

d<strong>ans</strong> les rapports préparatoires à l’assemblée générale <strong>de</strong> Rouen (30 avril 1958), on peut lire que<br />

1 Notamment aux assemblées générales <strong>de</strong> Caen (4 avril 1955) et <strong>de</strong> Vincennes (13 mai 1956).<br />

2 Rapports préparatoires à l’assemblée générale <strong>de</strong> Rouen (3 avril 1958), p. 10 (Archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>).<br />

3 Ibid. p. 10.<br />

4 Document réalisé par Paul J<strong>ans</strong>en, Ronéo 31 pages (archives personnelles <strong>de</strong> l’intéressé).<br />

5 Ibid. p. 11.


- 243 -<br />

“cette proportion est encourageante si l’ont tient compte que la participation <strong>de</strong> l’élément féminin aux<br />

activités <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong> loisir offertes à une population déterminée est le plus souvent très inférieure<br />

à celle <strong>de</strong> l’élément masculin”.<br />

D<strong>ans</strong> les années 50, conformément aux objectifs fixés, les <strong>MJC</strong> restent avant tout <strong>de</strong>s Maisons<br />

<strong>de</strong> Jeunes. En 1956, les 14-25 <strong>ans</strong> représentent 63% <strong>de</strong>s usagers réguliers chez les garçons et 65%<br />

chez les filles. Parmi eux, les 18-21 <strong>ans</strong> sont les plus nombreux, chez les garçons comme chez les<br />

filles (28% <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s usagers). Cependant une évolution déjà repérée les années<br />

précé<strong>de</strong>ntes s’est confirmée : en 1954, soit <strong>de</strong>ux années auparavant, les 14-25 <strong>ans</strong> représentaient<br />

67% <strong>de</strong>s usagers masculins et les 18-21 <strong>ans</strong> 29%. D’autre part en 1957, les plus <strong>de</strong> 25 <strong>ans</strong><br />

dépassent le quart <strong>de</strong>s effectifs (27% <strong>de</strong>s hommes et 29% <strong>de</strong>s femmes) alors que l’année<br />

précé<strong>de</strong>nte ils n’étaient que 20%. Face à cette évolution due aux classes creuses et à l’allongement<br />

<strong>de</strong> la durée du service militaire d’une part, au développement d<strong>ans</strong> les maisons <strong>de</strong>s activités<br />

culturelles intéressant <strong>de</strong> plus en plus les adultes d’autre part, les responsables se posent une fois<br />

<strong>de</strong> plus la question du “recrutement <strong>de</strong> jeunes usagers” 1 .<br />

Toujours pour les usagers réguliers, les scolaires et les étudiants représentent 31% chez les<br />

garçons et 33% chez les filles. Ensuite viennent les ouvriers (30% <strong>de</strong>s garçons et 21% <strong>de</strong>s filles)<br />

puis les employés (respectivement 16% et 26%), les agriculteurs, les artis<strong>ans</strong>, les commerçants et<br />

autres professions ne représentant en moyenne que 5% <strong>de</strong>s usagers chacune. Cette<br />

comptabilisation ne permet évi<strong>de</strong>mment pas <strong>de</strong> savoir l’origine sociale <strong>de</strong>s scolaires et <strong>de</strong>s étudiants<br />

sauf à prendre le risque <strong>de</strong> faire une hypothèse appuyée sur les statistiques générales mettant en<br />

évi<strong>de</strong>nce le pourcentage faible <strong>de</strong> fils d’ouvriers qui suit un enseignement long. D’autre part, les<br />

chiffres en notre possession permettent <strong>de</strong> déceler une évolution indicative d’un tassement,<br />

notamment chez les garçons, <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong>s ouvriers. De 1956 à 1957, les ouvriers perdaient 7<br />

points, baisse confirmée et stabilisée en 1958.<br />

Malgré les difficultés rencontrées d<strong>ans</strong> le recueil <strong>de</strong>s données 2 , les responsables nationaux et les<br />

représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ont un réel souci <strong>de</strong> suivre ces évolutions et <strong>de</strong> réfléchir à <strong>de</strong>s solutions<br />

pratiques. A titre d’exemple, les participants à l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes se posent<br />

longuement la question du recrutement <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong> la cohabitation <strong>de</strong>s générations. Selon eux,<br />

“il faut avant tout que les Maisons <strong>de</strong> Jeunes soient <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong>s jeunes” 3 et comprendre que,<br />

dès qu’une maison est envahie par <strong>de</strong>s adultes, il y a un problème <strong>de</strong> générations, et qu’à ce<br />

moment-là les jeunes ont tendance à quitter les lieux.<br />

1 Paul J<strong>ans</strong>en : Les <strong>MJC</strong>, Ronéo, p. 11.<br />

2 A l’assemblée générale <strong>de</strong> Colmar, les 17 et 18 mai 1959, on regrette <strong>de</strong> ne possé<strong>de</strong>r que <strong>de</strong>s<br />

chiffres partiels et on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelle signification on peut leur accor<strong>de</strong>r (textes préparatoires, p.<br />

8).<br />

3 Rapport <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, p. 141.


- 244 -<br />

On évoque également les difficultés <strong>de</strong> l’accueil <strong>de</strong>s travailleurs manuels, <strong>de</strong>s jeunes ouvriers et<br />

agriculteurs dont la proportion tend à baisser au profit <strong>de</strong>s scolaires et <strong>de</strong>s étudiants. A ce sujet, on<br />

fait longuement état <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> ces jeunes travailleurs, <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> leur proposer<br />

<strong>de</strong>s activités et <strong>de</strong>s services qui répondraient à leurs attentes. Les <strong>MJC</strong> sont ainsi confrontées aux<br />

inégalités sociales et culturelles qu’il est bien difficile <strong>de</strong> réduire quand, d<strong>ans</strong> le même temps, on<br />

s’efforce d’être ouvert à tous.<br />

Le “recrutement <strong>de</strong>s jeunes” est lié également à la question <strong>de</strong> leur participation aux décisions et<br />

<strong>de</strong> leur droit <strong>de</strong> vote d<strong>ans</strong> les assemblées générales. Certes, les jeunes peuvent s’exprimer et<br />

prendre <strong>de</strong>s initiatives d<strong>ans</strong> les activités, le foyer et le conseil <strong>de</strong> maison. Mais ils doivent attendre<br />

l’âge <strong>de</strong> 18 <strong>ans</strong> pour avoir le droit <strong>de</strong> voter à l’assemblée générale. Après un long débat, les<br />

représentants <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> 1 déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> faire connaître leur proposition à la Direction <strong>de</strong> la jeunesse : il<br />

faudra avoir 18 <strong>ans</strong> pour être élu au conseil d’administration, mais seulement 16 <strong>ans</strong> pour voter à<br />

l’assemblée générale.<br />

Les activités et les services proposés sont d’une extrême variété. Les activités sportives et <strong>de</strong><br />

pleine nature sont les plus nombreuses, les plus souvent pratiquées, et celles qui touchent le plus<br />

d’usagers. Sur 106 <strong>MJC</strong> ayant fourni <strong>de</strong>s renseignements précis en 1958, 92 proposent du ping-<br />

pong (près <strong>de</strong> 2.500 pratiquants), 44 du camping (plus <strong>de</strong> 2.000 pratiquants), 39 du ski (1.200<br />

pratiquants), 36 <strong>de</strong> l’éducation physique (1.400 pratiquants), 33 <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> vacances (2.100<br />

pratiquants)… Mais on propose aussi <strong>de</strong>s sports encore peu pratiqués à cette époque : judo et arts<br />

martiaux, escrime, tennis, badmington, tir, alpinisme, patinage, canoë, kayak, vol à voile, spéléo. Par<br />

contre les sports collectifs les plus pratiqués, football (640 usagers) et rugby (115 usagers) sont très<br />

peu développés d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, ce qui est significatif <strong>de</strong> leur volonté <strong>de</strong> ne pas se substituer aux<br />

clubs sportifs mais, par contre, d’ouvrir les jeunes à <strong>de</strong>s pratiques nouvelles, moins couramment<br />

pratiquées ou encore réservées à une minorité, voire à une élite.<br />

Les “ateliers”, dont certains sont très fréquemment proposés, touchent un public plus restreint. La<br />

photo est l’activité la plus pratiquée : d<strong>ans</strong> 50 <strong>MJC</strong> sur 106 par près <strong>de</strong> 800 usagers. Ensuite<br />

viennent le bricolage (41 <strong>MJC</strong> et près <strong>de</strong> <strong>60</strong>0 participants), la peinture-décoration (30 <strong>MJC</strong> et près <strong>de</strong><br />

300 participants), la reliure (21 <strong>MJC</strong>, 180 pratiquants), la radio (20 <strong>MJC</strong>, 170 pratiquants),<br />

l’aéromodélisme (12 <strong>MJC</strong> et 120 adhérents) 2 .<br />

Les cours et les activités culturelles rassemblent les disciplines les plus diverses : 85 <strong>MJC</strong> sur<br />

106 ont une bibliothèque (5.000 usagers), 67 organisent <strong>de</strong>s conférences (1.400 participants), 57<br />

<strong>de</strong>s auditions musicales (2.800 participants), 34 <strong>de</strong>s sorties-spectacles (1.<strong>60</strong>0 personnes) ; 29<br />

proposent <strong>de</strong>s ciné-documentaires (2.700 personnes) et 25 <strong>de</strong>s ciné-jeunes (4.200 spectateurs). Les<br />

1 Lors <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes (13 mai 1956).<br />

2 Tous ces chiffres sont extraits du rapport préparatoire à l’assemblée générale <strong>de</strong> Rouen (3 avril<br />

1958)


- 245 -<br />

cours <strong>de</strong> coupe-couture, <strong>de</strong> langues, <strong>de</strong> solfège, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin, d’enseignement ménager, d’éducation<br />

civique et sociale sont assez répandus. On organise également <strong>de</strong>s visites <strong>de</strong> musées et d’usines,<br />

<strong>de</strong>s enquêtes, <strong>de</strong>s cours d’enseignement agricole et artisanal, <strong>de</strong> secourisme et beaucoup <strong>de</strong> <strong>MJC</strong><br />

ont un télé-club. Les cercles d’étu<strong>de</strong>s et la rédaction <strong>de</strong> journaux rassemblent un nombre non<br />

négligeable <strong>de</strong> participants (près <strong>de</strong> 1.500 personnes). Par contre, les activités musicales, la d<strong>ans</strong>e,<br />

et les activités corporelles d’intérieur (gymnastique sous toute ses formes), qui connaîtront un essor<br />

considérable à partir <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, sont quasi-inexistantes d<strong>ans</strong> les années 50.<br />

Les manifestations, également très diverses, touchent beaucoup d’usagers “occasionnellement<br />

intéressés” et permettent aux <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> se donner une image <strong>de</strong> structure culturelle, <strong>de</strong> création et <strong>de</strong><br />

rencontre ouverte à tous, qui les distingue <strong>de</strong>s simples foyers <strong>de</strong> jeunes. Pour bien mettre en<br />

évi<strong>de</strong>nce la double démarche à la fois <strong>de</strong> création et d’organisation d’une part et <strong>de</strong> diffusion d’autre<br />

part, l’enquête dont les résultats sont communiqués à l’assemblée générale <strong>de</strong> Rouen distingue bien<br />

les participants à la préparation et à la présentation, et les spectateurs. Le théâtre, le cinéma-débat,<br />

les expositions, le chant choral, la d<strong>ans</strong>e, la musique sont régulièrement proposés, touchent un réel<br />

public et mobilisent un nombre important <strong>de</strong> bénévoles : près <strong>de</strong> 45.000 spectateurs <strong>de</strong> théâtre,<br />

16.000 <strong>de</strong> ciné-club, 13.500 pour le chant choral, 50.000 pour les spectacles <strong>de</strong> d<strong>ans</strong>e. Le nombre<br />

<strong>de</strong> participants actifs approche les 10.000. Les manifestations plus festives et conviviales<br />

(kermesses, rencontres <strong>de</strong> jeunes, bals et sauteries) sont proposées par la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

et rassemblent <strong>de</strong>s usagers nombreux, mais dont il est difficile <strong>de</strong> donner un chiffre, même<br />

approchant.<br />

Les <strong>MJC</strong> proposent également <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> rencontre quasi-permanents et <strong>de</strong>s services. Le<br />

foyer, plus ou moins structuré, et l’accueil informel <strong>de</strong> jeunes sont les “activités” <strong>de</strong> base <strong>de</strong>s<br />

maisons, notamment celles qui sont dotées d’un directeur permanent. Près du tiers <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ayant<br />

répondu à l’enquête 1 disait gérer un bar 2 et une dizaine <strong>de</strong>s douches publiques. Une quinzaine <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> gèrent <strong>de</strong>s restaurants où elles disent disposer <strong>de</strong> 1.100 places, accueillir près <strong>de</strong> 13.000<br />

personnes différentes et servir près <strong>de</strong> 500.000 repas par an. Les utilisateurs sont en majorité <strong>de</strong>s<br />

“touristes”, mais parmi les utilisateurs locaux, les ouvriers et les employés sont <strong>de</strong> loin les plus<br />

nombreux. Ainsi, d<strong>ans</strong> quelques villes, les <strong>MJC</strong> offrent-elles un service <strong>de</strong> restauration social à la<br />

disposition <strong>de</strong>s jeunes travailleurs, <strong>de</strong>s entreprises et <strong>de</strong>s services.<br />

S<strong>ans</strong> pour autant vouloir se substituer aux Auberges <strong>de</strong> Jeunesse ni aux centre d’accueil et <strong>de</strong><br />

séjour dont c’est l’unique vocation, trente <strong>MJC</strong> ayant répondu à l’enquête gèrent un centre<br />

d’hébergement. Ces centres d’hébergement, d’importance inégale (<strong>de</strong> quelques lits à 200, avec un<br />

total <strong>de</strong> 1.300), disent avoir géré en 1957 près <strong>de</strong> 100.000 nuitées et accueilli près <strong>de</strong> 25.000<br />

1 Op. cit., p. 15<br />

2 Ce qui pose souvent quelques problèmes <strong>de</strong> relation avec les débits <strong>de</strong> boisson traditionnels, comme<br />

en témoignent certains responsables <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.


- 246 -<br />

personnes, dont un nombre quasi-équivalent <strong>de</strong> Français et d’étrangers.<br />

A partir <strong>de</strong> ces quelques indications chiffrées, quelle image <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> peut-on dégager pour les<br />

années 50 ? La Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, initialement “maison <strong>de</strong> jeunes” (pour les<br />

jeunes) et “maison <strong>de</strong>s jeunes” (appartenant aux jeunes) 1 ne se réduit pas à un foyer <strong>de</strong> jeunes.<br />

C’est un lieu où se côtoient d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s activités, <strong>de</strong>s manifestations et <strong>de</strong>s services les plus divers,<br />

<strong>de</strong>s populations d’âges et <strong>de</strong> conditions sociales <strong>de</strong> plus en plus diversifiés. A la différence <strong>de</strong> la<br />

majorité <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunes, <strong>de</strong>s associations et services thématiques, <strong>de</strong>s équipements<br />

spécialisés (théâtre, musées, centres <strong>de</strong> séjour), les <strong>MJC</strong> se caractérisent par la polyvalence dont<br />

elles feront, au début <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> 2 , avec la laï cité, les <strong>de</strong>ux principes essentiels. Et en effet la<br />

revendication <strong>de</strong> la polyvalence <strong>de</strong>s missions, <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s activités a pris le pas sur la<br />

revendication <strong>de</strong> la liberté mise en évi<strong>de</strong>nce d<strong>ans</strong> le contexte très différent <strong>de</strong> l’après-guerre.<br />

Cette polyvalence, souvent stigmatisée et contestée (<strong>MJC</strong> “touche-à-tout”, “fourre-tout”, s<strong>ans</strong><br />

compétence particulière, “généraliste” ou “hégémonique” voire “totalitaire”) est, dès les années 50, à<br />

la fois un principe, un objectif, une revendication et un combat. A preuve ce texte :<br />

“… Nous <strong>de</strong>vons tous insister sur les caractéristiques essentielles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> :<br />

- d’une part leur polyvalence. C’est en effet une tendance naturelle d<strong>ans</strong> l’administration (qu’il<br />

s’agisse <strong>de</strong>s différents ministères - au sein d’un même ministère, <strong>de</strong>s différentes directions -<br />

au sein d’une même direction <strong>de</strong>s différents bureaux) <strong>de</strong> cloisonner jalousement son activité et<br />

<strong>de</strong> la défendre âprement contre les empiètements <strong>de</strong>s voisins : il en résulte qu’à chaque<br />

instant nous sommes invités, même par les amis les mieux intentionnés, à abandonner une<br />

part importante <strong>de</strong> nos activités : tantôt c’est le secteur social (restaurant, chambres pour<br />

jeunes célibataires) tantôt ce sont les activités sportives [… ], et ce serait même les activités<br />

culturelles si, suivant certains conseils, nous nous résignions à n’être plus que “<strong>de</strong>s maisons<br />

<strong>de</strong>s jeunes” à côté <strong>de</strong>s “centres culturels” ou <strong>de</strong>s “maisons <strong>de</strong> la culture” milliardaires dont il<br />

est <strong>de</strong> plus en plus question,<br />

- d’autre part, notre conception et notre pratique <strong>de</strong> la laï cité ouverte ...” 3 .<br />

Mais ce souci <strong>de</strong> préserver et d’élargir l’espace opérationnel n’empêche pas les <strong>MJC</strong> et leurs<br />

responsables <strong>de</strong> préciser, pendant cette longue décennie <strong>de</strong> latence, leurs principes, leurs modalités<br />

d’organisation et métho<strong>de</strong>s d’intervention.<br />

1 Rappelons-nous la <strong>de</strong>vise <strong>de</strong> l’Office municipal <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> Caen : “Jeune, qui que tu sois, cette<br />

maison est ta maison”. (Rapport d’E. Colin, 1948, archives personnelles <strong>de</strong> P. J<strong>ans</strong>en).<br />

2 Projet <strong>de</strong> rapport moral pour l’assemblée générale nationale <strong>de</strong> Chambéry (5/6 juin 19<strong>60</strong>), p. 7<br />

(Archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>).<br />

3 Projet <strong>de</strong> rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry, p. 7.


2 - Douze années <strong>de</strong> maturation<br />

- 247 -<br />

La lente mais régulière progression <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture a un avantage : elle<br />

permet, comme d<strong>ans</strong> un laboratoire, <strong>de</strong> suivre, souvent cas par cas, les expériences, <strong>de</strong> redéfinir à<br />

chaque rassemblement les principes d’action et <strong>de</strong> modéliser les pratiques d’intervention. Le rapport<br />

moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry qui clôt cette décennie (5-6 juin 19<strong>60</strong>) rappelle que<br />

jusqu’à ce moment-là, “il fallait suivre <strong>de</strong> très près les expériences en cours d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> pour<br />

définir en commun les principes <strong>de</strong> notre action” 1 . En effet pendant ces années, la FF<strong>MJC</strong> fait un<br />

important travail <strong>de</strong> formalisation institutionnelle : elle se construit un mental, éprouve ses principes,<br />

affine et affirme ses structures.<br />

Deux questions générales mais essentielles d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> où le bien-fondé <strong>de</strong>s MC est<br />

encore à démontrer, animent la réflexion <strong>de</strong>s responsables, bénévoles et professionnels : l’éducation<br />

populaire et la culture d’une part, la laï cité d’autre part. S’agissant <strong>de</strong> l’éducation populaire, <strong>de</strong> la<br />

culture et <strong>de</strong> la culture populaire 2 , les responsables, très pragmatistes, <strong>de</strong>s maisons ne l’abor<strong>de</strong>nt<br />

souvent qu’en pointillé, au détour d’une analyse <strong>de</strong> leur propre expérience. Par contre, les<br />

responsables nationaux, André Philip et Albert Léger notamment, abor<strong>de</strong>nt ces questions d’une<br />

manière très construite et, à partir <strong>de</strong> 1955, la revue “Pas à Pas”, alors véritablement prise en charge<br />

par Lucien Trichaud 3 , fait régulièrement et largement état <strong>de</strong> textes théoriques, dont certains sont<br />

produits par <strong>de</strong> plus lointains collaborateurs <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

Un certain Maurice Eymard, présenté comme un professeur qui collabore avec la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Metz et<br />

avec Peuple et Culture, s’étend longuement sur les conditions d’une véritable culture populaire 4 .<br />

L’inégalité est flagrante d<strong>ans</strong> ce qu’il appelle le “partage <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> culture” 5 : 35 à 40 % <strong>de</strong>s<br />

enfants <strong>de</strong> France n’iraient pas au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’école primaire et près la moitié d’entre eux n’ont même<br />

pas en poche “le fameux, le mo<strong>de</strong>ste, le dérisoire certificat d’étu<strong>de</strong>s primaires” 6 . Sur mille étudiants<br />

1 Ibid. p. 1.<br />

2 On rencontre régulièrement tous ces termes, mais pas encore celui d’animation socio-culturelle. Par<br />

contre, au même moment, Joffre Dumazedier introduit le concept d’action socio-culturelle (“mo<strong>de</strong><br />

conscient intentionnel organisé voire planifié <strong>de</strong> culturation s’opposant aux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

conditionnement socio-culturels aveugles et anarchiques”) dont l’éducation populaire serait une<br />

modalité : “mo<strong>de</strong> organisé d’action socio-culturelle qui s’exerce sur les travailleurs <strong>de</strong> toutes<br />

conditions sociales et <strong>de</strong> tous niveaux d’instruction par le moyen d’activités et d’organisations <strong>de</strong><br />

plus en plus variés afin <strong>de</strong> provoquer l’adaptation optimale <strong>de</strong> tous aux changements techniques et<br />

sociaux <strong>de</strong> la société”. Aspects collectifs <strong>de</strong> la mobilité sociale et sociologique <strong>de</strong> l’éducation<br />

populaire, Actes du 3e Congrès mondial <strong>de</strong> Sociologie, Amsterdam, 1954 (cité par C. Paquin).<br />

3 Lucien Trichaud, futur délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, puis <strong>de</strong> l’UNIREG, signe dès 1955 la plupart <strong>de</strong>s<br />

éditoriaux <strong>de</strong> Pas à Pas, l’organe <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> qui, à partir <strong>de</strong> mai-juin 1953, a pris la suite du Bulletin<br />

du Liaison.<br />

4 Pas à Pas n° 54, mai 1955, p. 14 et suivantes.<br />

5 Ibid. p. 14.<br />

6 Pas à Pas n° 54, mai 1955, p. 14.


- 248 -<br />

d’université, 37 seulement sont fils d’ouvriers agricoles ou d’industrie. Il y a “prolétarisation<br />

intellectuelle” et grave injustice sociale qui empêchent une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> maîtriser<br />

leur pensée, <strong>de</strong> s’exprimer, <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> la domination et <strong>de</strong> l’humiliation.<br />

Il est donc indispensable <strong>de</strong> mettre au point <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> culture populaire. Si en la matière<br />

l’objectif est assez clair - “rendre le peuple à la culture et rendre la culture au peuple” 1 - les écueils<br />

sont nombreux et difficiles à éviter : création d’une fausse ou sous-culture, attitu<strong>de</strong> con<strong>de</strong>scendante<br />

et humiliante <strong>de</strong> celui qui, après avoir enfilé une une chemise sale, “va au paysan et à l’ouvrier”,<br />

vanité <strong>de</strong> l’intellectuel qui s’adresse aux travailleurs manuels comme à <strong>de</strong>s écoliers” avec l’arrière<br />

pensée <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la pêche à la ligne, d’extraire <strong>de</strong>ux ou trois individus <strong>de</strong> leur milieu réel qui bientôt<br />

d’ailleurs les renierait comme traîtres à leur classe” 2 .<br />

Car la culture populaire n’est pas une distribution <strong>de</strong> connaissances “mais une initiation à un art<br />

<strong>de</strong> vivre la vie quotidienne” 3 pour laquelle Maurice Eymard propose précisément une démarche<br />

initiatique, en quelque sorte par paliers : le but doit être tôt ou tard l’initiation aux gran<strong>de</strong>s oeuvres ;<br />

d<strong>ans</strong> un foyer <strong>de</strong> culture, institution <strong>de</strong> loisirs, on met d’abord en place une infrastructure qui veille à<br />

l’éducation par les loisirs sportifs, les activités corporelles, les activités manuelles ; puis une supra-<br />

structure oeuvre à l’éducation par les loisirs proprement culturels offerts à un public étendu (ciné-<br />

club, conférences, récitals) ou volontairement plus restreint (cercles d’étu<strong>de</strong>, entraînement mental) ;<br />

on débouche enfin sur l’activité personnelle (lecture par exemple) “car, qu’on le veuille ou non,<br />

l’essentiel sera toujours le travail personnel que chacun fera pour se cultiver” 4 . L’animateur <strong>de</strong> culture<br />

populaire doit “rester assez humble pour que l’on sente le moins possible sa présence” 5 , ai<strong>de</strong>r les<br />

jeunes travailleurs à vaincre progressivement leurs difficultés, leur permettre d’organiser eux-mêmes<br />

leurs loisirs, ce qui serait la meilleure manière <strong>de</strong> gravir lentement et sûrement “les échelons d’une<br />

promotion humaine” 6 . Cet animateur qui, à la différence <strong>de</strong> l’enseignant diffusant <strong>de</strong>s connaissances,<br />

doit s’atteler avec le jeune travailleur à la “compréhension <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie” 7 , est à recruter d<strong>ans</strong><br />

le mon<strong>de</strong> du travail et Maurice Eymard reconnait que ce n’est pas facile.<br />

De son côté, André Philip d<strong>ans</strong> son ouvrage La démocratie industrielle est amené à poser les<br />

1 Maurice Eymard reprend ici les mots d’ordre <strong>de</strong> Peuple et Culture.<br />

2 Maurice Eymard (op. cit., p. 15). Sont là, rapi<strong>de</strong>ment pointées, les difficultés <strong>de</strong> toute pensée qui ne<br />

voudrait pas “faire injustice interprétative” aux cultures populaires (C. Grignon et J.-C. Passeron :<br />

Sociologie <strong>de</strong> la culture et sociologie <strong>de</strong>s cultures populaires), ainsi que les effets pervers <strong>de</strong> la<br />

volonté, en soi louable, <strong>de</strong> cultiver le peuple.<br />

3 Maurice Eymard (op. cit., p. 15).<br />

4 Ibid.<br />

5 Maurice Eymard (op. cit., p. 15).<br />

6 Ibid. p. 15.<br />

7 Ibid. p. 15.


- 249 -<br />

principes <strong>de</strong> l’éducation ouvrière et plus largement <strong>de</strong> l’éducation populaire. La revue Pas à Pas en<br />

offre, en mai 1956 1 , avec l’aimable autorisation <strong>de</strong> l’auteur et <strong>de</strong>s Presses Universitaires <strong>de</strong> France,<br />

un long passage à ses lecteurs, qui “y retrouveront les principes <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture” 2 .<br />

La question soulevée par André Philip est la suivante : “D<strong>ans</strong> un mon<strong>de</strong> où les techniques sont<br />

<strong>de</strong> plus en plus compliquées, l’évolution n’est-elle pas fatalement vers une technocratie plus ou<br />

moins brutale, plus ou moins corrigée par <strong>de</strong>s institutions démocratiques ?” La réponse dépend <strong>de</strong> la<br />

capacité <strong>de</strong> l’homme, du travailleur en particulier, “<strong>de</strong> vivre son expérience quotidienne, <strong>de</strong> prendre<br />

<strong>de</strong>s responsabilités d<strong>ans</strong> le cadre qui lui est habituel et partant <strong>de</strong> cette expérience, d’être capable<br />

<strong>de</strong> la dépasser pour se poser <strong>de</strong>s problèmes généraux <strong>de</strong> gestion économique et politique” 3 . Pour A.<br />

Philip, cela suppose un grand effort d’éducation ouvrière, et plus généralement d’éducation populaire<br />

s’adressant à toutes les catégories <strong>de</strong> travailleurs.<br />

L’éducation populaire, ce n’est pas une éducation professionnelle qui vise “à donner à tous les<br />

travailleurs la connaissance réelle du métier pour leur permettre <strong>de</strong> s’adapter à toute situation <strong>de</strong> la<br />

conjoncture [mais qui] ne suffit pas pour donner la conscience d’une responsabilité d<strong>ans</strong> la gestion<br />

d’ensemble <strong>de</strong> la vie économique” 4 . Ce n’est pas non plus une “culture au rabais”, “pseudo-<br />

bourgeoise”, “permettant <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> tout s<strong>ans</strong> rien connaître en réalité” 5 . Au contraire, la culture<br />

populaire doit être précise, concrète, conçue pour passer à l’action. Elle est essentiellement “un<br />

éveil”, un “art <strong>de</strong> vivre”, “une prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> problèmes et <strong>de</strong> responsabilités afin <strong>de</strong> se<br />

mettre en état <strong>de</strong> comprendre et d’agir”, “une connaissance <strong>de</strong> l’absence actuelle <strong>de</strong> liberté” 6 .<br />

Cette conception <strong>de</strong> la culture populaire et, comme nous allons le voir, <strong>de</strong> la manière <strong>de</strong><br />

l’acquérir, tranche avec la définition <strong>de</strong> la culture cultivée et avec une conception, largement<br />

répandue déjà à cette époque, <strong>de</strong> l’action culturelle visant à démocratiser, à populariser un<br />

patrimoine artistique jusque-là réservé à une élite 7 . André Philip, d<strong>ans</strong> ce texte du moins, est très<br />

clair : “[La culture populaire] n’est pas une culture littéraire ou artistique séparée <strong>de</strong> la vie<br />

quotidienne. Il ne s’agit pas d’une assimilation passive, même <strong>de</strong>s éléments les plus valables <strong>de</strong> la<br />

culture traditionnelle, car elle représenterait pour le travailleur une évasion hors <strong>de</strong> son expérience<br />

1 “Éducation populaire, éducation ouvrière”, Pas à Pas n° 64, p. 2 et suivantes.<br />

2 Ibid. p. 2.<br />

3 Ibid. p. 2.<br />

4 Ibid. p. 3.<br />

5 Ibid. p. 3.<br />

6 Pas à Pas n° 64, p. 3.<br />

7 Conception que l’on rencontre aussi bien chez les communistes, chez Jeanne Laurent, et chez André<br />

Malraux.


- 250 -<br />

réelle et une consolation par rêve d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s domaines où il n’est pas capable <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s<br />

responsabilités” 1 .<br />

A partir <strong>de</strong> là, il n’y a rien d’étonnant à ce que les métho<strong>de</strong>s d’éducation et <strong>de</strong> culture populaire<br />

soient guidées par <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong>s principes différents <strong>de</strong> la culture artistique, et que les<br />

démarches pédagogiques soient également différentes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’action culturelle. Ici le beau et<br />

l’appropriation <strong>de</strong>s oeuvres d’art sont secondaires par rapport à la recherche <strong>de</strong> la vérité et à la prise<br />

<strong>de</strong> conscience. L’enjeu <strong>de</strong> la culture ouvrière et <strong>de</strong> l’éducation populaire est plus social et politique<br />

qu’esthétique. L’exemple du cinéma est à ce titre significatif. C’est, pour André Philip, “le moyen <strong>de</strong><br />

formation le plus puissant <strong>de</strong> notre époque” ; il “tr<strong>ans</strong>met <strong>de</strong>s mythes”, véhicule <strong>de</strong>s valeurs<br />

généralement “liées à <strong>de</strong>s conceptions capitalistes <strong>de</strong> la vie” ; il “forme et déforme les consciences” 2 .<br />

C’est pour cela qu’il faut multiplier les ciné-clubs qui, en faisant suivre la projection d’une discussion<br />

“tant sur la valeur esthétique du film que sur les conceptions sociales ou philosophiques qu’il<br />

présuppose”, sont “un moyen précieux <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> l’esprit critique” 3 . Une appropriation intime <strong>de</strong><br />

l’oeuvre d’art, s<strong>ans</strong> confrontation <strong>de</strong>s différents regards que chacun peut porter sur elle, serait donc<br />

nocive à la culture du peuple 4 .<br />

La confrontation <strong>de</strong>s opinions, d<strong>ans</strong> un esprit <strong>de</strong> tolérance soucieux <strong>de</strong> rechercher<br />

scientifiquement la vérité avec la certitu<strong>de</strong> qu’on ne l’atteindra jamais véritablement 5 - ce qu’André<br />

Philip appelle la laï cité active - est la démarche centrale <strong>de</strong> l’éducation populaire qui doit partir <strong>de</strong>s<br />

préoccupations concrètes <strong>de</strong>s travailleurs, permettre d’accé<strong>de</strong>r à la maîtrise <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> son milieu<br />

<strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> s’assumer comme membre d’une famille, d’être un citoyen conscient et actif, d’oeuvrer<br />

à une solidarité ouvrière internationale et à une politique généreuse d’immigration.<br />

Les buts ultimes <strong>de</strong> l’éducation populaire sont <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s hommes libres “vis à vis <strong>de</strong> tout, y<br />

compris du mouvement ouvrier”, “d’atteindre l’objectivité s<strong>ans</strong> la neutralité, <strong>de</strong> réaliser une prise <strong>de</strong><br />

parti s<strong>ans</strong> parti pris, <strong>de</strong> maîtriser son <strong>de</strong>stin [d’] homme responsable d<strong>ans</strong> une société responsable” 6 .<br />

Mais toutes ces démarches supposent l’affirmation <strong>de</strong> certaines valeurs universelles abandonnées<br />

par la bourgeoisie.: les valeurs morales du travail, la liberté, l’esprit d’initiative et <strong>de</strong> création.<br />

1 Pas à Pas n° 64, p. 3.<br />

2 Ibid. p. 5.<br />

3 Ibid. p. 5-6.<br />

4 Le débat après la projection ou la représentation resta pendant longtemps un passage obligé <strong>de</strong> la<br />

pratique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, alors que c’était très rarement le cas d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong> la Culture et les centres<br />

culturels.<br />

5 Cette conception est chère à André Philip. Souvenons-nous qu’elle était déjà formulée <strong>de</strong>ux fois d<strong>ans</strong><br />

son discours prononcé à l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. La recherche <strong>de</strong> la vérité<br />

(démarche platonicienne) est pour lui préférable à sa possession (démarche aristotélicienne). Il y<br />

aurait du reste <strong>de</strong>s parallèles intéressants à établir entre la dialectique platonicienne et la démarche<br />

d’éducation populaire jusque d<strong>ans</strong> leurs dimensions politiques (mythe <strong>de</strong> la caverne).<br />

6 Pas à Pas n° 64, p. 6.


- 251 -<br />

Albert Léger, quant à lui, considère 1 que dix <strong>ans</strong> après la déclaration solennelle contenue d<strong>ans</strong> le<br />

préambule <strong>de</strong> la Constitution (“la Nation garantit l’égal accès <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> l’adulte à l’instruction, à<br />

la formation professionnelle et à la culture”) l’éducation populaire est encore à créer, et même à<br />

définir. Les milieux cultivés, universitaires et dirigeants la dédaignent, l’expression même d’éducation<br />

populaire évoquant souvent et seulement, chez les gens sérieux, “les marionnettes, les jeux scouts<br />

et les amusements puérils” 2 .<br />

Et pourtant les enjeux sont d’importance : les conditions actuelles d’existence au travail et d<strong>ans</strong><br />

les loisirs occasionnent fréquemment <strong>de</strong>s déséquilibres individuels et collectifs ; les techniques<br />

mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> travail à l’usine, au bureau et d<strong>ans</strong> les champs, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s hommes capables <strong>de</strong><br />

s’adapter, <strong>de</strong> dépasser leur formation première mais en même temps, elles les spécialisent d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

tâches monotones et parcellaires qui atrophient leur personnalité. Le travail “enfermerait donc<br />

l’homme d<strong>ans</strong> une étrange et tragique contradiction exigeant <strong>de</strong> lui une valeur toujours plus gran<strong>de</strong><br />

et détériorant cette valeur même” 3 .<br />

Face à cette évolution <strong>de</strong> la condition <strong>de</strong>s travailleurs, il faut réviser notre conception du loisir et<br />

mieux définir une éducation populaire permettant “<strong>de</strong> rendre aux hommes leur mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> les<br />

réconcilier avec lui, et d’abord d<strong>ans</strong> leur travail” 4 . Le loisir n’est plus “le privilège du riche” ou “la<br />

paresse du pauvre” ; ce n’est même plus “le repos du travailleur”. Il ne s’oppose pas au travail ; il en<br />

est le complément nécessaire; Il faut donc l’“organiser avec le même sérieux que le travail même” 5 .<br />

S’agissant <strong>de</strong> l’éducation populaire, A. Léger reprend globalement les conceptions rencontrées<br />

plus haut chez Eymard et Philip. Il insiste particulièrement sur la priorité au jeune travailleur rural ou<br />

urbain, qui, abandonné à la sortie <strong>de</strong> l’école primaire “est déconcerté par le désordre social dont il<br />

est la première victime : rupture <strong>de</strong>s traditions morales et sociales, désagrégation du lien familial,<br />

incertitu<strong>de</strong> du len<strong>de</strong>main…”. Selon A. Léger, nous accusons un retard humiliant et on ne peut plus<br />

temporiser : “la course est ouverte entre la catastrophe et l’éducation” 6 .<br />

La <strong>MJC</strong> et l’éducation populaire tout entière, dont la mission consiste au fond à remonter une<br />

entropie sociale accélérée, à reconstruire en permanence l’homme et la société, à jouer les<br />

démiurges du quotidien, ne peuvent trouver en elles seules les savoirs <strong>de</strong> leurs pratiques. La revue<br />

Pas à Pas rend assez souvent compte <strong>de</strong>s réflexions conduites ailleurs (séminaires <strong>de</strong> l’UNESCO,<br />

1 “Qu’est ce que l’éducation populaire ?” Pas à Pas n° 70, janvier 1957, p. 2 et suivantes.<br />

2 Ibid. p. 2.<br />

3 Ibid.<br />

4 Jean Guéhenno, cité par Albert Léger (ibid. p. 2).<br />

5 Ibid. p. 2.<br />

6<br />

Ibid. p. 3.


- 252 -<br />

colloques divers). D<strong>ans</strong> un article intitulé “Education populaire et sociologie” 1 , Albert Léger, suite à un<br />

stage européen réunissant sociologues et éducateurs (Wégimont, Belgique, du 25 avril au 7 mai<br />

1954), fait état <strong>de</strong> ce qu’il attend <strong>de</strong>s chercheurs en sciences sociales.<br />

Pour les éducateurs, l’instruction, la réflexion personnelle et le simple bon sens ne suffisent pas :<br />

“Nous ignorons nos ignorances, dit A. Léger ; la psychologie <strong>de</strong> l’adolescent, la psychanalyse ont fait<br />

<strong>de</strong> tels progrès que celui qui ne les a pas étudiées passe à côté <strong>de</strong> faits importants s<strong>ans</strong> les<br />

remarquer” 2 . L’éducateur ne sera plus moralisateur mais enquêteur : en connaissant les causes, il<br />

pourra s’attaquer à la racine du mal et agir efficacement. Les éducateurs ont également besoin<br />

d’observateurs étrangers pour organiser leur travail, avoir une connaissance globale <strong>de</strong>s<br />

phénomènes et <strong>de</strong>s comportements, éviter <strong>de</strong> prendre le conjoncturel et l’acci<strong>de</strong>ntel pour le général.<br />

Ils leur faut donc acquérir une soli<strong>de</strong> formation psychologique et sociologique.<br />

Les usagers eux-mêmes ont besoin <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong>s sciences humaines d<strong>ans</strong> leur vie<br />

quotidienne <strong>de</strong> parents (psychologie <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> l’adolescent), d<strong>ans</strong> leur vie professionnelle<br />

(économie, droit) et civique (droit et politique). Cette acquisition <strong>de</strong> savoir peut être très active et il est<br />

nécessaire d’initier les participants aux techniques <strong>de</strong> l’enquête dont “les métho<strong>de</strong>s sont en elles-<br />

mêmes directement éducatives et trouvent <strong>de</strong> ce fait leur place d<strong>ans</strong> l’éducation populaire” 3 . Selon A.<br />

Léger, ces enquêtes sont éducatives, plus par la “tournure nouvelle qu’elles donnent à l’esprit” 4 , que<br />

par leurs résultats : elles font reculer l’obscurantisme, la croyance à la fatalité, sensibilisent à la<br />

notion <strong>de</strong> loi sociologique, et forment un esprit critique. Ainsi les hommes sauront-ils mieux voir et<br />

tolérer, mieux comprendre leur <strong>de</strong>stin pour le dominer.<br />

Autre apport <strong>de</strong>s sciences sociales à l’éducation populaire : le contrôle <strong>de</strong>s résultats 5 . L’animateur<br />

1 Pas à Pas n° 84, mai 1958, p. 2.<br />

2 Ibid. p. 2.<br />

3 Pas à Pas n° 84, p. 3. En 1957, sur 106 <strong>MJC</strong> questionnées, 13 disent réaliser <strong>de</strong>s enquêtes, qui<br />

mobilisent près <strong>de</strong> 300 participants. Les conférences et cercles d’étu<strong>de</strong>s concernent pus <strong>de</strong> 15.000<br />

personnes.<br />

4 Ibid. p. 3. L’idée que l’éducation populaire engage une sorte <strong>de</strong> conversion intérieure aussi bien pour<br />

l’éducateur que pour l’usager, est assez répandue. On la trouve chez André Philip (Pas à Pas n° 64,<br />

p. 5) ; on la retrouvera chez les pédagogues et les animateurs <strong>de</strong> l’après 68. Cette conversion est<br />

avant tout intellectuelle ; plus précisément, elle touche la posture intellectuelle, alors que, pour<br />

l’action culturelle, elle est essentiellement esthétique. “La conversion <strong>de</strong> l’homme aveuglé passera<br />

par les images” (L’État culturel, Marc Fumaroli, Ed. <strong>de</strong> Fallois, 1991, p. 123).<br />

L’enjeu <strong>de</strong> cette conversion, générée par l’éducation, est <strong>de</strong> dimension historique et apparaît, <strong>de</strong> ce<br />

fait, disproportionné avec les moyens dont disposent les structures. Qu’on en juge ! D<strong>ans</strong> un libre<br />

propos intitulé “Pour la Révolution” (Pas à Pas n° 67, octobre 1956, p. 6), un certain Gilbert Allan<br />

écrit : “Je suis pour la Révolution. Comme beaucoup <strong>de</strong> Français, beaucoup d’hommes et <strong>de</strong> femmes<br />

du mon<strong>de</strong> entier, je pense qu’il faut que ça change ... Partout portons la Révolution nécessaire,<br />

consentie, libératrice ... Une révolution n’est digne <strong>de</strong> s’appeler ainsi que si elle menée par <strong>de</strong>s<br />

hommes nouveaux. Pour que ça change, il faut <strong>de</strong>s hommes nouveaux... Le goût <strong>de</strong> la Révolution<br />

peut prendre naissance sous l’impulsion <strong>de</strong> son animateur d<strong>ans</strong> un foyer culturel tel qu’une Maison<br />

<strong>de</strong>s Jeunes”.<br />

5 Ce que nous appelons aujourd’hui l’évaluation.


- 253 -<br />

essaie <strong>de</strong> mesurer les effets <strong>de</strong> son action et <strong>de</strong> comprendre les raisons <strong>de</strong> son succès ou <strong>de</strong> son<br />

échec. Il attend <strong>de</strong>s scientifiques qu’ils viennent apporter métho<strong>de</strong>s et exemples <strong>de</strong> contrôle,<br />

analyses <strong>de</strong> résultats et suggestions, en espérant - ce qui n’est peut être pas une attitu<strong>de</strong><br />

scientifique, reconnait volontiers A. Léger - qu’ils feront ainsi “apparaître plus clairement à tous les<br />

organismes publics et privés intéressés, la portée <strong>de</strong> l’éducation populaire et l’urgence <strong>de</strong> ses<br />

besoins” 1 .<br />

En cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> désintérêt flagrant <strong>de</strong> l’Etat pour l’éducation populaire (choix délibéré ou<br />

impossibilité ?), les <strong>MJC</strong> ont en effet autant besoin <strong>de</strong> légitimité que d’idées claires d<strong>ans</strong> leurs projets<br />

et métho<strong>de</strong>s. Cette légitimité que ne leur confère pas l’autorité <strong>de</strong> tutelle, elles vont la chercher chez<br />

les intellectuels (André Philip est aussi un éminent économiste) et d<strong>ans</strong> les rencontres<br />

internationales. A. Léger se plaît à rappeler 2 l’intérêt soutenu que portent les spécialistes <strong>de</strong>s pays<br />

étrangers à l’expérience française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

Mais il y a une autre question qui préoccupe les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : la laï cité et la manière<br />

<strong>de</strong> la mettre en oeuvre.<br />

La laï cité ouverte ou active dont se réclame la FF<strong>MJC</strong> n’est pas celle <strong>de</strong> l’école qui doit<br />

tr<strong>ans</strong>mettre les savoirs rationnels et les principes républicains à l’exclusion <strong>de</strong> toutes les autres,<br />

religieux ou politiques. Pour la <strong>MJC</strong>, la laï cité n’a pas <strong>de</strong> réel contenu, tout au plus <strong>de</strong>s principes ;<br />

c’est essentiellement un acte, une attitu<strong>de</strong> à visée pédagogique <strong>de</strong>vant favoriser le développement<br />

<strong>de</strong> la démocratie 3 . C’est qu’en effet, “la liberté ne se prêche pas, elle ne s’acquiert que par l’exercice<br />

[<strong>de</strong> même que] l’expérience ne se tr<strong>ans</strong>met pas <strong>de</strong>s adultes aux adolescents ; chacun doit acquérir<br />

la sienne et ne peut l’acquérir que par l’action, avec ses succès et ses échecs” 4 .<br />

Malgré la certitu<strong>de</strong> du bien-fondé <strong>de</strong> leur conception <strong>de</strong> la laï cité et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s pédagogiques<br />

qui en découlent, les <strong>MJC</strong> ont besoin pendant cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> revenir régulièrement sur cette<br />

question. C’est que, compte tenu <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>ste implantation <strong>de</strong>s Maisons, la reconnaissance <strong>de</strong><br />

cette idée, somme tout assez nouvelle 5 , <strong>de</strong> laï cité, est un enjeu important. Si les <strong>MJC</strong> veulent être le<br />

complément et le prolongement <strong>de</strong> l’école, <strong>de</strong>venir pour la quatrième République ce que fut<br />

1 Stage <strong>de</strong> Wégimont, cité par A. Léger in Pas à Pas n° 84, p. 4.<br />

2 Réponse à Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer (02/06/91), p. 9. A. Léger fait ici état <strong>de</strong> rencontres du Palais <strong>de</strong><br />

l’Europe à Strasbourg, au Canada et d’un séminaire <strong>de</strong> l’UNESCO à Grenoble.<br />

3 On pourrait ainsi faire la différence - ce qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait une réflexion approfondie - entre la laï cité<br />

républicaine (celle <strong>de</strong> l’école et <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement) et la laï cité démocratique dont se<br />

revendiquent notamment les <strong>MJC</strong>. L’opposition dont A. Touraine est coutumier entre république et<br />

démocratie est éclairante si on l’applique au développement <strong>de</strong>s mouvements sociaux d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong>s années 70.<br />

4 Bulletin du liaison n° 4, avril 1950, p. 4 et suivantes. Ce qui permet <strong>de</strong> mieux comprendre que les<br />

acteurs, bénévoles et professionnels, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> soient avant tout <strong>de</strong>s “faiseurs”, préoccupés par<br />

l’action.<br />

5<br />

Clau<strong>de</strong> Paquin dit qu’elle vient <strong>de</strong>s mouvements protestants, ce qui est possible mais à démontrer.


- 254 -<br />

l’institution scolaire pour la troisième République, il faut véritablement clarifier l’articulation <strong>de</strong>s<br />

principes et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qui en découlent, et d’abord faire reconnaître le principe qui prési<strong>de</strong> au<br />

développement <strong>de</strong> cette Institution jeune, nouvellement entrée d<strong>ans</strong> le champ pédagogique et<br />

politique 1 .<br />

Cette clarification et cette reconnaissance sont d’autant plus nécessaires que <strong>de</strong> nombreux<br />

responsables et professionnels sont <strong>de</strong>s enseignants, principalement instituteurs ou anciens<br />

instituteurs. Les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, bénévoles ou simplement in<strong>de</strong>mnisés, sont généralement <strong>de</strong>s<br />

instituteurs qui assurent cette fonction en plus <strong>de</strong> leur profession, et à la place d’un directeur<br />

permanent fédéral qui n’a pu être proposé par manque <strong>de</strong> moyens financiers 2 . Certains ont, du reste,<br />

fait le choix <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s distances, voire <strong>de</strong> quitter les mouvements et institutions périscolaires, la<br />

Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement notamment, pour créer et gérer une Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

En effet, les mouvements qui tiennent le haut du pavé d<strong>ans</strong> le champ scolaire et péri-scolaire ne<br />

sont pas prêts, bien au contraire, à soutenir le développement <strong>de</strong> cette nouvelle Institution et <strong>de</strong> sa<br />

conception <strong>de</strong> la laï cité. Malgré la recherche permanente <strong>de</strong> rapprochement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> avec la<br />

Fédération <strong>de</strong> l’Education nationale, le Syndicat National <strong>de</strong>s Instituteurs et la Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement 3 , les relations sont distendues, voire mauvaises. André Philip porte à la<br />

connaissance <strong>de</strong>s participants à l’assemblée générale <strong>de</strong> Pau (6 avril 1952) la démission <strong>de</strong> la FEN<br />

et du mouvement laï c <strong>de</strong>s Auberges <strong>de</strong> Jeunesse qui estiment “que notre structure et notre action<br />

ne sont pas suffisamment laï ques ni démocratiques” 4 . Il rappelle les principes qui jusqu’à ce jour ont<br />

été ceux <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et invite l’assemblée générale à discuter <strong>de</strong> cette conception <strong>de</strong> la laï cité et <strong>de</strong> la<br />

structure <strong>de</strong> la Fédération. Après avoir constaté unanimement qu’“aucune difficulté n’existe chez<br />

eux”, les représentants <strong>de</strong>s Maisons estiment “qu’aucune modification n’est actuellement<br />

nécessaire” 5 . Le congrès <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong>s 24, 25, 26 mai 1951 avait abouti à la même conclusion:<br />

1 Le combat n’est pas terminé. La FF<strong>MJC</strong> vient <strong>de</strong> se voir refuser en 1991 l’agrément <strong>de</strong> l’Éducation<br />

nationale, alors que l’intervention <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les secteurs péri- et post-scolaires est régulière et<br />

que d’autres mouvements, plus éloignés <strong>de</strong> l’école et bien moins présents, l’ont obtenu <strong>de</strong>puis<br />

longtemps.<br />

2 C’est pour cela que, d<strong>ans</strong> les années 50, les journées <strong>de</strong> regroupement <strong>de</strong>s directeurs sont<br />

généralement fixées pendant les vacances scolaires afin que les directeurs in<strong>de</strong>mnisés puissent y<br />

participer, ce qui pose un autre problème, celui <strong>de</strong> l’encadrement <strong>de</strong>s jeunes en pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

vacances. On trouve souvent trace <strong>de</strong> discussions sur ce problème, difficilement soluble.<br />

3<br />

“Le Comité directeur déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> mettre à l’étu<strong>de</strong> la question <strong>de</strong>s rapports entre la Fédération et la<br />

Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, un accord lui paraissant nécessaire” Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 1 (1949). “Il<br />

s’agit aussi <strong>de</strong> définir notre position laï que au point <strong>de</strong> vue politique comme au point <strong>de</strong> vue<br />

confessionnel et <strong>de</strong> la comparer à celle <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> l’Éducation Nationale, du Syndicat<br />

National <strong>de</strong>s Instituteurs et <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, afin <strong>de</strong> rétablir avec ces organisations la<br />

collaboration que nous souhaitons unanimement”. Intervention d’A. Léger au congrès <strong>de</strong>s directeurs.<br />

Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 17, p. 2. A. Léger vient <strong>de</strong> l’Éducation nationale où il a été enseignant,<br />

inspecteur et directeur d’École Normale.<br />

4 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 32 (supplément), p. 7.<br />

5 Ibid.


- 255 -<br />

tout en souhaitant sincèrement un rapprochement avec le SNI, la FEN et la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement,<br />

on avait estimé “qu’aucune modification profon<strong>de</strong> ne [pouvait] être apportée à l’esprit ni à la structure<br />

<strong>de</strong> [notre] Institution” 1 .<br />

Mais la fermeté, malgré les attaques, sur la question <strong>de</strong> la laï cité n’empêche pas la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

débattre régulièrement et profondément <strong>de</strong> son fonctionnement, <strong>de</strong> sa pédagogie, et d’opérer les<br />

modifications statutaires et règlementaires qui semblent opportunes. Par exemple, l’article 4 <strong>de</strong>s<br />

statuts <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> qui prévoit que “toute propagan<strong>de</strong> politique ou religieuse est interdite au sein <strong>de</strong><br />

l’association” suscitera <strong>de</strong> nombreux débats quant à son interprétation et à sa mise en oeuvre. Suite<br />

à l’assemblée générale <strong>de</strong> Paris (21 janvier 1951) et au conseil d’administration qui a suivi (25 février<br />

1951), le bureau fédéral finira par faire sienne l’interprétation, qu’il traduira en directives, du<br />

représentant du Conseil Protestant <strong>de</strong> la Jeunesse, M. Frie<strong>de</strong>l : il faut faire la différence entre d’une<br />

part “l’information et la discussion qui sont un <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong>s activités éducatives normales <strong>de</strong> nos<br />

maisons [et d’autre part] l’action et la propagan<strong>de</strong>, interdites par nos statuts et qui sont du domaine<br />

<strong>de</strong> la vie civique” 2 ; ainsi faut-il mettre à la disposition <strong>de</strong> usagers toutes les informations sur les<br />

sujets qui peuvent les intéresser, leur “donner la possibilité <strong>de</strong> discuter et <strong>de</strong> confronter<br />

courtoisement leurs divers points <strong>de</strong> vue [… mais] en aucun cas un cercle d’étu<strong>de</strong>s, un conseil <strong>de</strong><br />

maison ou un conseil d’administration n’ont à prendre parti sur une question politique ou religieuse” 3 .<br />

Il serait fastidieux <strong>de</strong> faire état <strong>de</strong> tous les débats sur les questions réglementaires et statutaires.<br />

Nous nous contentons donc d’en citer certains, essentiels pour les responsables du moment et pour<br />

une Institution qui, ce faisant, se construit progressivement un mental et asseoit son organisation et<br />

son fonctionnement : le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à l’assemblée générale nationale 4 , la<br />

participation et le vote <strong>de</strong>s jeunes d<strong>ans</strong> les instances <strong>de</strong> décision 5 , le droit <strong>de</strong> vote <strong>de</strong>s<br />

administrateurs fédéraux à l’assemblée générale 6 , les missions et l’organisation <strong>de</strong>s fédérations<br />

départementales 7 .<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 17, p. 7.<br />

2 “Directives”, texte d’André Philip, vraisemblablement <strong>de</strong> 1951 (Archives FF<strong>MJC</strong>), p. 2.<br />

3 Ibid. p. 4.<br />

4 Assemblée générale <strong>de</strong> Paris (21/01/51), qui propose une représentation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> au prorata du<br />

nombre d’usagers, disposition encore en vigueur aujourd’hui à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

5 Directives fédérales <strong>de</strong> 1950 in Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, et Assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes<br />

(13/5/56).<br />

6 Assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes (13/5/56). La question est <strong>de</strong> savoir si les administrateurs<br />

fédéraux qui doivent rendre compte <strong>de</strong> leur mission aux représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> réunis en assemblée<br />

générale peuvent voter. D<strong>ans</strong> l’affirmative, ils seraient juge et partie, ce qui pose effectivement une<br />

question importante <strong>de</strong> démocratie représentative.<br />

7 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 5 (mai 1950), Assemblées générales <strong>de</strong> Caen (4/4/55) et <strong>de</strong> Vincennes<br />

(13/5/56).


- 256 -<br />

Les conseils <strong>de</strong> maison, dispositifs centraux <strong>de</strong> la pédagogie <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> méritent qu'on s’y attar<strong>de</strong><br />

un peu plus. En 1950, s’appuyant sur quatre années d’expérience, la FF<strong>MJC</strong>, après mise à l’étu<strong>de</strong><br />

au centre national, à la commission consultative et approbation du bureau, adresse une circulaire<br />

“pour étu<strong>de</strong> et application” 1 aux directeurs, aux conseils <strong>de</strong> maison et aux conseils d’administration<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Ceux-ci sont invités à faire connaître leur point <strong>de</strong> vue sur les conseils <strong>de</strong> maison au<br />

centre fédéral qui pourra ensuite apporter les modifications nécessaires à un texte soumis à nouveau<br />

au conseil d’administration national pour qu’il <strong>de</strong>vienne enfin une instruction 2 .<br />

Que dit cette circulaire à laquelle se réfère encore mot pour mot Paul J<strong>ans</strong>en en 1959 3 et qui sera<br />

régulièrement appliquée d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> jusqu’à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> ? Le conseil <strong>de</strong> maison tire sa<br />

légitimité <strong>de</strong>s buts essentiels <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> ses principes d’éducation : la <strong>MJC</strong> doit viser la<br />

formation civique et démocratique <strong>de</strong>s jeunes ; or comme “la liberté ne se prêche pas” mais<br />

“s’acquiert par l’exercice”, il faut “offrir aux usagers le maximum d’initiative et d’autonomie” 4 ; les<br />

usagers, selon leurs goûts, s’organisent en activités, les responsables <strong>de</strong> ces diverses équipes se<br />

groupent et s’organisent selon le règlement intérieur propre <strong>de</strong> la maison et prennent les décisions<br />

nécessaires à la marche quotidienne <strong>de</strong> la structure ; c’est cela le conseil <strong>de</strong> maison.<br />

Le conseiller <strong>de</strong> maison est en principe un jeune, responsable d’une activité, ce qui ne veut pas<br />

dire qu’il en soit l’animateur même lorsque celui-ci est bénévole. C’est donc un jeune qui a la<br />

confiance <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, est désigné par eux, et joue ainsi le rôle <strong>de</strong> trait d’union entre les<br />

usagers, le professeur, moniteur ou animateur d’une part, et le conseil <strong>de</strong> maison d’autre part. Les<br />

modalités <strong>de</strong> constitution du conseil <strong>de</strong> maison dépen<strong>de</strong>nt du “<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> maturité” 5 <strong>de</strong> la structure, <strong>de</strong><br />

ses usagers et responsables. Le directeur qui assume la responsabilité éducative joue là un rôle<br />

essentiel 6 : en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> démarrage, il désigne lui-même les responsables d’activités ; en pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>ition, il les choisit en accord avec les usagers concernés ; enfin les responsables d’activités<br />

sont désignés par les usagers eux-mêmes avec l’approbation du directeur ; <strong>de</strong>s représentants<br />

d’usagers non inscrits d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s activités particulières peuvent renforcer le conseil <strong>de</strong> maison et<br />

“défendre aussi les intérêts généraux <strong>de</strong> la maison à côté <strong>de</strong>s intérêts particuliers <strong>de</strong> chaque<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, p. 4.<br />

2 Ce long cheminement d’une réflexion, qui doit aboutir à une décision applicable, est déterminé par<br />

une double exigence : le souci d’une prise <strong>de</strong> décision collective et démocratique, la nécessité qu’il y<br />

a, d<strong>ans</strong> un système fédératif et non hiérarchique, que les directives soient largement débattues si<br />

l’on veut qu’elles soient suivies d’effet. En 1990-91, la FF<strong>MJC</strong> s’est engagée, d<strong>ans</strong> un contexte<br />

institutionnel très différent, d<strong>ans</strong> une démarche comparable (“Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>”).<br />

3 Les <strong>MJC</strong>, Ronéo, p. 23 et suivantes.<br />

4 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, p. 4.<br />

5 Ibid. p. 5.<br />

6 Liberté, initiative et autonomie ne signifient pas, bien au contraire, absence d’éducateur. Avec les<br />

directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, il semble bien que naisse un autre type d’éducateurs, très différents <strong>de</strong>s<br />

enseignants, même <strong>de</strong> ceux qui se réclament <strong>de</strong> la pédagogie Freinet.


activité” 1 .<br />

- 257 -<br />

Mais quel que soit le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> désignation, les conseillers <strong>de</strong> maison sont responsables <strong>de</strong>vant<br />

les usagers qui les ont désignés et ils doivent leur rendre compte <strong>de</strong> leur mandat. Le conseil <strong>de</strong><br />

maison, qui désigne lui-même son propre prési<strong>de</strong>nt, peut délibérer, seul ou en présence du<br />

directeur, mais ses décisions ne sont valables qu’après approbation du directeur. Il s’agit là d’éviter<br />

la situation <strong>de</strong> double pouvoir, celui du conseil d’administration et du conseil <strong>de</strong> maison qui, livré à<br />

lui-même et s<strong>ans</strong> contrôle, pourrait prendre <strong>de</strong>s décisions en totale contradiction avec l’instance<br />

dirigeante.<br />

Les relations entre le conseil <strong>de</strong> maison et les usagers sont fort variables. Il peut délibérer seul<br />

mais ses décisions sont affichées d<strong>ans</strong> la maison ou communiquées aux personnes intéressées qui<br />

en font la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il peut également délibérer en présence <strong>de</strong>s usagers qui le désirent, ces<br />

<strong>de</strong>rniers restant muets ou participant seulement avec voix consultative. Le conseil <strong>de</strong> maison peut<br />

aussi inviter à ses réunions <strong>de</strong>s membres du conseil d’administration ou d’autres personnalités. Pour<br />

“se pénétrer <strong>de</strong> l’esprit <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>” et prendre les décisions les plus pertinentes d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> sa<br />

mission, le conseil <strong>de</strong> maison doit bénéficier d’une documentation, connaître les statuts, règlements,<br />

circulaires et instructions <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et recevoir le bulletin <strong>de</strong> liaison.<br />

Les responsabilités et missions du conseil <strong>de</strong> maison sont multiples. Il doit étudier, rédiger,<br />

modifier, appliquer son propre règlement intérieur et celui <strong>de</strong> la maison. Il est responsable du climat<br />

qui règne d<strong>ans</strong> la <strong>MJC</strong>, du programme, du fonctionnement et du renouvellement <strong>de</strong>s activités et<br />

actions. Il prononce l’admission <strong>de</strong>s usagers, désigne son représentant à la fédération<br />

départementale, propose <strong>de</strong>s représentants au conseil d’administration <strong>de</strong> la maison et à<br />

l’assemblée générale fédérale. Il rédige un rapport trimestriel <strong>de</strong> son action, le remet au directeur<br />

pour être tr<strong>ans</strong>mis au conseil d’administration <strong>de</strong> la maison et, par l’intermédiaire du délégué, à la<br />

Fédération française.<br />

Selon la circulaire 1950, le fonctionnement du conseil <strong>de</strong> maison présente peu <strong>de</strong> dangers et<br />

beaucoup d’avantages. Certes <strong>de</strong>s conflits peuvent naître entre le conseil <strong>de</strong> maison d’une part, et le<br />

directeur ou le conseil d’administration, d’autre part. C’est au délégué régional, et d<strong>ans</strong> les cas les<br />

plus difficiles au délégué général, <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s solutions. Le conseil <strong>de</strong> maison peut également<br />

former un clan, exclure <strong>de</strong> fait <strong>de</strong>s membres nouveaux, voir s’éterniser <strong>de</strong>s conseillers souvent très<br />

compétents et à qui on fait trop longtemps confiance. D<strong>ans</strong> ces cas, c’est au règlement intérieur <strong>de</strong><br />

fixer les règles <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s usagers, soit en limitant la durée du mandat <strong>de</strong> conseiller, soit<br />

en fixant un âge maximum 2 .<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, p. 5.<br />

2 La circulaire préconise cette <strong>de</strong>rnière solution, suivant en cela le règlement intérieur fédéral qui<br />

conseille “<strong>de</strong> donner ce rôle à <strong>de</strong>s jeunes qui renouvellent les activités <strong>de</strong> la maison”. Ainsi les<br />

conseils <strong>de</strong> maison ont-ils été souvent <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> jeunes.


- 258 -<br />

Mais le conseil <strong>de</strong> maison a <strong>de</strong> multiples avantages favorables au projet éducatif et culturel. Il<br />

exprime effectivement, et pas simplement formellement, la volonté concrète <strong>de</strong>s usagers. Il se<br />

renouvelle fréquemment et maintient ainsi la maison “d<strong>ans</strong> une perpétuelle adolescence, avec ses<br />

enthousiasmes et son dynamisme, mais aussi avec ses tâtonnements et ses erreurs” 1 , qu’il faut<br />

accepter comme une richesse, car “l’expérience ne se tr<strong>ans</strong>met pas <strong>de</strong>s adultes aux adolescents [et]<br />

… chacun doit donc acquérir la sienne” 2 . Et <strong>de</strong> fait, jusqu’à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, les conseils <strong>de</strong><br />

maison, dont les rapports seront régulièrement étudiés par le centre fédéral national, assureront la<br />

vitalité <strong>de</strong>s maisons et permettront le renouvellement <strong>de</strong>s administrateurs locaux, départementaux et<br />

même nationaux.<br />

Les directeurs sont bien le maillon central du fonctionnement et <strong>de</strong> la réalisation du projet<br />

pédagogique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Le nombre <strong>de</strong> ceux qui sont réellement rémunérés par la FF<strong>MJC</strong> augmente<br />

peu d<strong>ans</strong> les années 50 et ne suit pas le développement pourtant mo<strong>de</strong>ste <strong>de</strong>s structures. A la fin <strong>de</strong><br />

l’année 1947, on en compte 36 pour moins <strong>de</strong> 80 <strong>MJC</strong>, alors qu’en 1959, ils ne sont que 47 pour plus<br />

<strong>de</strong> 200 <strong>MJC</strong>. La présence <strong>de</strong> directeurs bénévoles ou plus ou moins in<strong>de</strong>mnisés pallie cette carence,<br />

explicable par le manque <strong>de</strong> moyens financiers.<br />

Malgré une définition précise <strong>de</strong> leur statut 3 qui tient lieu <strong>de</strong> contrat collectif, les conditions <strong>de</strong><br />

travail et <strong>de</strong> rémunération <strong>de</strong>s directeurs restent difficiles et précaires d<strong>ans</strong> les années 50. On se<br />

rappelle la lettre, vraisemblablement <strong>de</strong> 1946 ou 1947, envoyée par un directeur, au nom <strong>de</strong> ses<br />

collègues <strong>de</strong> la région Sud-Est, au délégué général, lettre d<strong>ans</strong> laquelle il décrit longuement les<br />

difficultés extrêmes <strong>de</strong> leur situation professionnelle et personnelle. D<strong>ans</strong> un texte qui ne manque<br />

pas d’humour 4 , Jean Destrée raconte son expérience <strong>de</strong> stagiaire à Annecy et <strong>de</strong> directeur à part<br />

entière <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Rive-<strong>de</strong>-Gier en 1953, où il doit gérer un bâtiment <strong>de</strong> 1.<strong>60</strong>0 m 2 <strong>de</strong> surface<br />

développée, chauffé par 32 poêles à bois, s<strong>ans</strong> mobilier ni logement équipé. Il <strong>de</strong>vra d’abord<br />

débarrasser cette vieille maison <strong>de</strong> maître <strong>de</strong> forge <strong>de</strong> plusieurs tonnes <strong>de</strong> vieux lits, caisses et<br />

morceaux <strong>de</strong> ferraille, et passera ses premières nuits d<strong>ans</strong> la pièce qui <strong>de</strong>viendra son bureau, et où il<br />

a installé son duvet.<br />

Les représentants <strong>de</strong> la CGT, seul syndicat <strong>de</strong>s directeurs à ce moment-là, attirent régulièrement<br />

l’attention <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et, à travers elle, <strong>de</strong> l’Etat sur leur situation professionnelle. La motion<br />

déposée par M. Bombourg à l’assemblée générale d’Annecy le 27 mai 1957 résume assez bien cette<br />

situation :<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, p. 8.<br />

2 Bulletin <strong>de</strong> Liaison n° 4, p. 8.<br />

3 Élaboré en 1947 et janvier 1948 et adopté par l’assemblée générale constitutive <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

4 Les tribulations d’un vocataire, Ronéo, 6 pages.


- 259 -<br />

“Constatant les nombreux départs <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>s (en 1950, démission <strong>de</strong> 25% d’entre eux), la<br />

section syndicale attire l’attention du conseil d’administration fédéral et <strong>de</strong> Monsieur le<br />

représentant du Ministère sur la nécessité <strong>de</strong> payer régulièrement le personnel <strong>de</strong> la<br />

Fédération et <strong>de</strong> se pencher particulièrement sur les difficultés professionnelles qui ne leur<br />

permettent pas d’avoir une vie familiale normale et risquent souvent <strong>de</strong> briser celle qui leur<br />

reste” 1 .<br />

Pourtant les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ne sont pas particulièrement exigeants ni arc-boutés sur <strong>de</strong>s<br />

acquis syndicaux et professionnels qu’il est, à ce moment-là, bien difficile d’apprécier 2 . Ce sont avant<br />

tout <strong>de</strong>s pionniers engagés aux côtés <strong>de</strong>s militants et qui acceptent, pour ceux qui durent, <strong>de</strong> mettre<br />

souvent leur vie personnelle au service d’une cause, et ce malgré l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur fonction et<br />

l’insécurité <strong>de</strong> leur statut <strong>de</strong> salarié. La “mission militante <strong>de</strong>s directeurs” 3 est régulièrement prônée<br />

par l’Institution et acceptée comme telle par <strong>de</strong>s professionnels qui sacrifient souvent leurs vacances<br />

légales et leur sommeil à la réalisation du projet et au développement <strong>de</strong> la maison. Cependant les<br />

responsables nationaux eux-mêmes - le prési<strong>de</strong>nt et le délégué général notamment - rappellent<br />

régulièrement que “tout directeur a le droit et le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prendre les congés réglementaires s<strong>ans</strong><br />

lesquels il n’est ni vie personnelle ou familiale, ni équilibre dont tout éducateur doit donner<br />

l’exemple” 4 . Tout récemment, Albert Léger rappelle cet engagement militant et professionnel <strong>de</strong>s<br />

directeurs :<br />

“Ils ne comptaient pas leurs heures <strong>de</strong> présence. J’ai dû exiger qu’ils prennent un jour <strong>de</strong><br />

repos par semaine et quand, préparant le contrat collectif, j’envisageai un mois <strong>de</strong> vacances,<br />

j’essuyai <strong>de</strong>s récriminations : “… mais c’est le moment <strong>de</strong>s randonnées et <strong>de</strong>s camps”.<br />

Désirant nous rencontrer nous avions choisi le moment <strong>de</strong> Noël puisqu’alors les Maisons ne<br />

sont guère fréquentées. Cette fois, c’est Philip qui se fâcha et interdit ce stage” 5 .<br />

Même si les conditions <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> vie restent aussi difficiles jusqu’à la fin <strong>de</strong>s années 50, on<br />

a cependant progressé sur les questions <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s directeurs, <strong>de</strong> règlementation et <strong>de</strong> défense<br />

<strong>de</strong> leurs droits. Le témoignage écrit <strong>de</strong> Pierre Moraine, secrétaire syndical, en fait foi : “Etaient<br />

successivement crées la commission consultative, le syndicat du personnel, la commission paritaire<br />

et enfin la commission <strong>de</strong>s nominations <strong>de</strong> Marly en 1959. Tout ceci d<strong>ans</strong> le cadre d’un contrat<br />

collectif et <strong>de</strong> règlement administratif lentement mûris” 6 .<br />

1 Compte-rendu <strong>de</strong> l’assemblée générale d’Annecy, p. 4 (Archives FF<strong>MJC</strong>).<br />

2 Néanmoins, certains esprits malveillants et même <strong>de</strong>s responsables ministériels considèrent qu’ils<br />

sont d<strong>ans</strong> une situation <strong>de</strong> fonctionnaires confortablement installés.<br />

3 Compte-rendu du congrès <strong>de</strong>s directeurs (24-25-26 mai 1952). Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 17, p. 3.<br />

4 Ibid.<br />

5 Réponse à Jean-Clau<strong>de</strong> Leroyer, op. cit., p. 3.<br />

6 “Considérations sur la fonction <strong>de</strong> directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1946 à nos jours” Pas à pas n° 100, janvier<br />

19<strong>60</strong>, p. 4.


- 2<strong>60</strong> -<br />

Le manque <strong>de</strong> formation initiale et permanente <strong>de</strong> ces directeurs est également une<br />

préoccupation pendant cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s années 50. La qualité pédagogique et le développement<br />

<strong>de</strong>s maisons s’en ressentent. A l’assemblée générale <strong>de</strong> Caen (4 avril 1955), un représentant <strong>de</strong><br />

Metz rapporte comment une maison, pourtant bien implantée d<strong>ans</strong> la vie messine, est désormais,<br />

après le passage <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux directeurs manquant <strong>de</strong> formation, presque réduite à néant. L’année<br />

suivante, à l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes (3 mai 1956), la même question revient en débat. Un<br />

délégué <strong>de</strong> Reims précise que “la difficulté majeure, pourrions-nous dire la seule, est l’absence <strong>de</strong><br />

personnel qualifié [...] et qu’un grand effort est à faire sur le plan fédéral pour le recrutement et d<strong>ans</strong><br />

la rémunération <strong>de</strong>s directeurs” 1 .<br />

Ce manque <strong>de</strong> formation initiale et permanente tient en gran<strong>de</strong> partie au manque <strong>de</strong> moyens. Il<br />

est en effet très difficile d’assurer les salaires <strong>de</strong>s actifs et donc encore plus difficile <strong>de</strong> financer une<br />

formation initiale et permanente, même <strong>de</strong> courte durée. Après le recrutement, on fait, d<strong>ans</strong> le<br />

meilleurs <strong>de</strong>s cas, un stage pratique aux côtés d’un directeur expérimenté avant <strong>de</strong> prendre la<br />

direction d’une maison, souvent nouvellement créée ou même en difficulté 2 . Les journées d’étu<strong>de</strong><br />

nationales rassemblent les directeurs quelques jours par an pendant lesquels ils peuvent tout au plus<br />

confronter leurs expériences, avec un souci très pragmatiste d’échanger <strong>de</strong>s savoir-faire, voire <strong>de</strong>s<br />

recettes, plus que d’acquérir un réel savoir théorique.<br />

Ce manque <strong>de</strong> formation tient également à la difficulté <strong>de</strong> construire le savoir d’une profession<br />

nouvelle qui fait appel à une multiplicité <strong>de</strong> disciplines, et à fortiori <strong>de</strong> le tr<strong>ans</strong>mettre. On sent bien<br />

que le directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> doit être à la fois psychologue, sociologue, pédagogue, juriste, mais aussi<br />

gestionnaire, comptable et si possible sportif, comédien, musicien… , et également graphiste,<br />

électricien, plombier… Il apparait donc bien difficile <strong>de</strong> lui inculquer même les rudiments d<strong>ans</strong> chaque<br />

discipline et, y serait-on parvenu qu’on n’aurait pas forcément formé un bon professionnel 3 . La<br />

motivation tient donc souvent lieu <strong>de</strong> savoir-faire et les journées d’étu<strong>de</strong> servent avant tout à<br />

“regonfler” les directeurs 4 .<br />

Mais malgré ces carences et ces longs tâtonnements, la formation <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> va faire<br />

1 Rapport d’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, p. 59.<br />

2 “Mais bien souvent le candidat partait nanti du “Pas à pas” <strong>de</strong> l’époque, <strong>de</strong>s fiches <strong>de</strong> documentation<br />

et tentait <strong>de</strong> s’implanter d<strong>ans</strong> quelque far-west <strong>de</strong> la culture populaire”. Pierre Moraine, secrétaire<br />

syndical d<strong>ans</strong> “Considérations sur la fonction <strong>de</strong> directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> 1946 à nos jours” Pas à pas n°<br />

100, janvier 19<strong>60</strong>, p. 4.<br />

3 La question reste encore aujourd’hui presque entière d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> et d<strong>ans</strong> les structures<br />

universitaires qui, <strong>de</strong>puis longtemps déjà, forment <strong>de</strong>s praticiens <strong>de</strong> l’intervention sociale et<br />

culturelle en articulant <strong>de</strong>s stages pratiques et un enseignement pluridisciplinaire.<br />

4 “Lorsque je dis ‘formation <strong>de</strong>s cadres’, je ne pense pas seulement à la formation <strong>de</strong> nouveaux<br />

éléments mais celle <strong>de</strong>s directeurs en place <strong>de</strong>puis plusieurs années. En effet, lorsque je vois <strong>de</strong>s<br />

directeurs qui <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années luttent contres <strong>de</strong>s difficultés financières <strong>de</strong> tous ordre, je peux<br />

penser qu’ils éprouvent une certaine lassitu<strong>de</strong> et qu’il serait bon <strong>de</strong> les reprendre <strong>de</strong> temps en<br />

temps d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s stages pour - ce que j’appellerai - les regonfler”. Assemblée générale <strong>de</strong> Caen, 4<br />

avril 1955, p. 26, intervention <strong>de</strong> R. Piatti.


- 261 -<br />

un bond en avant considérable à la fin <strong>de</strong>s années 50. En effet, en 1959-<strong>60</strong> est organisé le premier<br />

stage <strong>de</strong> longue durée préparant les nouveaux directeurs à leurs futures fonctions. Le programme a<br />

été établi en tenant compte <strong>de</strong> l’expérience acquise les <strong>de</strong>ux années précé<strong>de</strong>ntes d<strong>ans</strong> la formation,<br />

par la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> directeurs et <strong>de</strong> cadres d’éducation populaire d’Afrique noire. Les responsables<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ne peuvent que se réjouir que “pour la première fois à leur connaissance, non seulement<br />

d<strong>ans</strong> leur Fédération mais en France, une formation sérieuse d’éducateurs populaires vienne d’être<br />

instituée” 1 , d’autant qu’elle bénéficie <strong>de</strong> l’appui financier du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux<br />

Sports et <strong>de</strong> la collaboration <strong>de</strong> nombreux mouvements et spécialistes.<br />

Cette première formation <strong>de</strong> longue durée, dirigée par Lucien Trichaud assisté d’Armand<br />

Buisson, est l’occasion pour la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> préciser les compétences et missions <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> : ces professionnels doivent nécessairement associer “les qualités d’un animateur à celles d’un<br />

éducateur et d’un administrateur ; … [ils doivent possé<strong>de</strong>r] une connaissance non seulement <strong>de</strong>s<br />

métho<strong>de</strong>s d’éducation populaire et d’enseignement mais encore <strong>de</strong>s problèmes sociaux,<br />

économiques et culturels <strong>de</strong> leurs pays. Ils doivent être le ferment d’une mise en valeur globale et<br />

progressive <strong>de</strong>s hommes et du milieu” 2 .<br />

La définition <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière mission, que nous appellerions aujourd’hui <strong>de</strong> “développement<br />

local”, apparait aussi essentielle que nouvelle d<strong>ans</strong> l’action <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. On la retrouve du reste d<strong>ans</strong><br />

les objectifs et les contenus <strong>de</strong> la formation : “Les stagiaires doivent acquérir une information<br />

sérieuse sur les lois sociales, sur la législation <strong>de</strong>s associations, sur l’histoire du XX e siècle, sur les<br />

réalités économiques et sociales <strong>de</strong> notre temps, sur les diverses expériences poursuivies en<br />

matière d’éducation <strong>de</strong> base d<strong>ans</strong> un certain nombre <strong>de</strong> pays, ainsi que sur les expériences <strong>de</strong> mise<br />

en valeur et d’aménagement” 3 .<br />

Le programme <strong>de</strong> ce premier stage se subdivise en <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s parties : les étu<strong>de</strong>s et travaux<br />

pratiques d’une part, les voyages d’étu<strong>de</strong> d’autre part. D<strong>ans</strong> la partie étu<strong>de</strong>s et travaux pratiques, on<br />

abor<strong>de</strong> le domaine <strong>de</strong> l’éducation populaire et <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> jeunesse, la connaissance du milieu<br />

(métho<strong>de</strong>s d’enquête et applications), les gran<strong>de</strong>s questions économiques et sociales (mon<strong>de</strong><br />

contemporain, mouvement ouvrier, la démographie, le sous-développement, l’aménagement du<br />

territoire, l’urbanisme ...), l’entraînement mental, les techniques d’animation culturelle et d’éducation<br />

populaire (cercles d’étu<strong>de</strong>s, information, documentation, bibliothèque, la diffusion et le “montage<br />

culturel”, l’audio-visuel, le théâtre, cinéma, etc...). On accor<strong>de</strong> également une place importante à<br />

l’administration, à la gestion, à la connaissance <strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong>s institutions.<br />

Le programme <strong>de</strong> voyages d’étu<strong>de</strong> apparait imposant pour cette première formation : France,<br />

1 Assemblée générale fédérale <strong>de</strong> Chambéry (5-6 juin 19<strong>60</strong>). Projet <strong>de</strong> rapport moral, p. 3.<br />

2 Pas à pas n° 100, p. 12.<br />

3 Souligné d<strong>ans</strong> le texte (ibid. p. 12).


- 262 -<br />

mais aussi Belgique, Allemagne et Italie. Les expériences et les structures d’intervention en direction<br />

<strong>de</strong>s jeunes, mais aussi la gestion <strong>de</strong>s rapports entre le développement économique et l’action socio-<br />

cultuelle sont les thèmes d’observation et d’étu<strong>de</strong> les plus couramment abordés 1 .<br />

Avec ce premier stage, la FF<strong>MJC</strong> entend répondre à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s pressantes <strong>de</strong> création <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> directeurs et en même temps promouvoir “une future école <strong>de</strong> cadres”<br />

comparable, d<strong>ans</strong> un autre contexte, à celle d’Uriage et <strong>de</strong> Chamarges. Et il y a en effet <strong>de</strong>s points<br />

communs, au moins d<strong>ans</strong> le fonctionnement : on y fait cohabiter la formation théorique, les activités<br />

pratiques, la vie communautaire et l’éducation physique et sportive.<br />

3 - Un combat <strong>de</strong> tous les instants<br />

La lente progression et maturation que nous venons <strong>de</strong> décrire se fait d<strong>ans</strong> la douleur et les pires<br />

difficultés. Il faut toute la détermination <strong>de</strong>s militants et <strong>de</strong> quelques professionnels, toute la vitalité<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs conseils <strong>de</strong> maison pour ne pas se décourager <strong>de</strong>vant autant<br />

d’incompréhension et accepter les affres <strong>de</strong> ce qu’il faut bien appeler un combat.<br />

L’Etat et sa Direction <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education Populaire ne sont pas, par principe,<br />

opposés au développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. Ils ont même souvent un<br />

discours qui augure d’un avenir radieux et font <strong>de</strong>s promesses qui apparaissent d’une extrême<br />

naï veté si on les compare à la stagnation, voire à la récession, <strong>de</strong>s moyens consentis. Par exemple,<br />

à l’assemblée générale <strong>de</strong> Pau (6 avril 1952), M. Dussedat, chef du Cabinet, représentant <strong>de</strong> M.<br />

Jean Masson, Secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports, annonce<br />

sous le sceau du secret le projet <strong>de</strong> “création <strong>de</strong> 350 Maisons urbaines et <strong>de</strong> 1.400 Maisons rurales<br />

d<strong>ans</strong> le plan quadriennal” 2 .<br />

En fait, les <strong>MJC</strong> ressentent une incompréhension <strong>de</strong> l’Etat et subissent son désengagement<br />

financier. Sous une forme ou sous une autre, <strong>de</strong> la bouche du trésorier national ou <strong>de</strong>s représentants<br />

<strong>de</strong>s Maisons, la question financière revient à chaque rassemblement et d<strong>ans</strong> les documents publiés<br />

par la FF<strong>MJC</strong>, le Bulletin <strong>de</strong> liaison, puis ensuite Pas à pas ...<br />

A l’assemblée générale d’Annecy (27 mai 1951), le prési<strong>de</strong>nt André Philip expose le point <strong>de</strong> vue<br />

fédéral :<br />

“Nos craintes viennent <strong>de</strong>s difficultés financières parfois tragiques <strong>de</strong> la Fédération : le centre<br />

fédéral est maintenant représenté par une équipe réduite et accablée <strong>de</strong> travail ; malgré <strong>de</strong>s<br />

suppressions <strong>de</strong> postes, il n’est toujours pas possible <strong>de</strong> payer les traitements <strong>de</strong>s directeurs.<br />

1 Un voyage d’étu<strong>de</strong> en Italie concerne la mise en valeur économique et les structures socio-culturelles<br />

et un autre voyage d<strong>ans</strong> le Tarn porte sur l’action socio-culturelle et ses rapports avec l’évolution<br />

économique. Remarquons que là apparaît très clairement le terme d’“action socio-culturelle” mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce quelques années plus tôt par Joffre Dumazedier.<br />

2 Bulletin <strong>de</strong> liaison, supplément au n° 32, p. 11.


- 263 -<br />

Le conseil d’administration fédéral s’est même parfois <strong>de</strong>mandé si d<strong>ans</strong> ces conditions, il<br />

serait possible <strong>de</strong> maintenir la Fédération [d’autant que] la Direction générale [<strong>de</strong> la Jeunesse<br />

et <strong>de</strong> l’Education populaire], sur le même chapitre budgétaire, verse maintenant elle-même<br />

aux Maisons - et s<strong>ans</strong> l’avis <strong>de</strong> la Fédération - les subventions <strong>de</strong> fonctionnement que la<br />

Fédération, jusqu’alors, avait versées elle-même et que, en tout cas, elles est statutairement et<br />

légalement habilitée à proposer. D<strong>ans</strong> ces conditions, certains d’entre nous ne pouvaient pas<br />

ne pas se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si la Direction générale ne cherchait pas à supplanter progressivement la<br />

Fédération auprès <strong>de</strong>s Maisons” 1 .<br />

A l’assemblée générale <strong>de</strong> Brive (11 avril 1954), le trésorier fédéral, J.-M. Le Fournier, dit d<strong>ans</strong> la<br />

conclusion <strong>de</strong> son rapport financier :<br />

“Depuis plusieurs années, aussi bien en assemblée générale qu’en conseil d’administration,<br />

nous voyons que les mêmes mots servent à désigner les mêmes problèmes toujours posés <strong>de</strong><br />

la même manière, s<strong>ans</strong> qu’il soit jamais apporté <strong>de</strong> solution susceptible <strong>de</strong> changer quelque<br />

peu le cours <strong>de</strong> nos préoccupations quotidiennes [...] situation terriblement angoissante pour<br />

ceux qui croient en l’utilité <strong>de</strong> l’oeuvre entreprise [...]. Or il est quelquefois nécessaire que <strong>de</strong>s<br />

esprits neufs s’essaient à résoudre d’anciennes difficultés. Une équipe sera donc constituée<br />

d<strong>ans</strong> ce but. Souhaitons-lui dès maintenant le courage nécessaire au combat qu’il lui faudra<br />

mener” 2 .<br />

Trois <strong>ans</strong> plus tard, à l’assemblée générale <strong>de</strong> Lézignan (14 avril 1957), le trésorier R. Piatti<br />

pousse un cri d’alarme et invite au combat :<br />

“... ce qui importe aujourd’hui, c’est <strong>de</strong> relever quelques unes <strong>de</strong> nos imperfections en<br />

souhaitant que l’on puisse rapi<strong>de</strong>ment y apporter remè<strong>de</strong>. Au rang <strong>de</strong> ces insuffisances, je<br />

citerai en premier lieu notre passivité en face <strong>de</strong> l’indifférence et <strong>de</strong> l’inconscience dont font<br />

preuve certains services ou bureaux <strong>de</strong> l’administration [...]. Nous allons à une asphyxie<br />

certaine - et on parlera bientôt <strong>de</strong> notre propre suici<strong>de</strong> - si nous ne secouons pas cette torpeur<br />

qui déjà nous envahit. D’autres ont trouvé les moyens d’en sortir. A nous <strong>de</strong> nous en inspirer” 3 .<br />

Et pourtant, pendant cette décennie, les motions, appels au secours, protestations, pétitions et<br />

démarches auprès <strong>de</strong>s autorités officielles n’ont pas manqué. En 1950, le conseil d’administration<br />

fédéral s’est élevé contre les propositions budgétaires <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s Economies. Il ne s’est<br />

pas contenté <strong>de</strong> défendre les intérêts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ni même ceux <strong>de</strong> l’éducation populaire et sportive. Il a<br />

soulevé le problème <strong>de</strong> l’éducation nationale d<strong>ans</strong> son ensemble et a “fait appel à tous les<br />

mouvements et à toutes les organisations <strong>de</strong> jeunesse pour qu’une protestation générale s’élève<br />

contre cette tradition déshonorante <strong>de</strong> placer la France, quant à son budget <strong>de</strong> l’éducation nationale,<br />

1 Rapport d’assemblée générale d’Annecy (p. 3-4).<br />

2 Rapport financier à l’assemblée générale <strong>de</strong> Brive (p. 20).<br />

3 Assemblée générale <strong>de</strong> Lézignan. Rapport financier, p. 1.


- 264 -<br />

au <strong>de</strong>rnier rang <strong>de</strong>s pays civilisés” 1 . Le conseil d’administration fédéral <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à toute les Maisons<br />

<strong>de</strong> s’associer à cette protestation, d’alerter toutes les organisations locales <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d’éducation populaire, <strong>de</strong> rédiger leur propre motion et <strong>de</strong> l’adresser à tous les élus <strong>de</strong> leur<br />

département - députés, conseillers <strong>de</strong> la République et conseillers généraux - ainsi qu’aux<br />

administrations compétentes (directions départementales <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, préfectures<br />

...). Huit <strong>ans</strong> après, à l’assemblée générale <strong>de</strong> Rouen (30 mars 1958), la Fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la<br />

Seine propose une motion qui soulève <strong>de</strong>s problèmes tout à fait similaires ...<br />

La Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, laï que, ne reste donc pas neutre sur ce qu’elle pense être les<br />

grands problèmes <strong>de</strong> société. Il est vrai que la situation qui lui est faite, ainsi qu’à la majorité <strong>de</strong>s<br />

institutions et mouvements <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire, est inquiétante. Les chiffres parlent<br />

d’eux-mêmes. L’analyse financière <strong>de</strong> 1945 à 1953, présentée d<strong>ans</strong> le rapport financier <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Brive, est éclairante : la subvention <strong>de</strong> l’Etat au centre fédéral passe <strong>de</strong> 14<br />

à 46 millions, alors que d<strong>ans</strong> le même temps le coût <strong>de</strong> la vie a été multiplié par six, et que le nombre<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> a plus que doublé. Si la participation <strong>de</strong> l’Etat s’était maintenue au même niveau, c’est 170<br />

millions <strong>de</strong> francs environ que la FF<strong>MJC</strong> aurait dû recevoir. Les chiffres témoignent également <strong>de</strong><br />

l’évolution rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong> la Fédération par rapport à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat : en 1945, ces<br />

ressources ne sont qu’une fraction <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat, mais dès 1946, les ressources propres<br />

dépassent l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Etat et, <strong>de</strong> 1949 à 1953, elles croissent régulièrement pour atteindre plus du<br />

triple <strong>de</strong>s subventions d’Etat...<br />

Certes les <strong>MJC</strong> et la Fédération n’atten<strong>de</strong>nt pas tout <strong>de</strong> l’Etat. Elles savent qu’elles doivent<br />

solliciter les collectivités locales et leurs propres usagers. Mais ce désengagement brutal <strong>de</strong> l’Etat en<br />

francs constants par rapport à l’augmentation du nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, non seulement freine le<br />

développement, mais réduit les capacités <strong>de</strong>s structures existantes. Le nombre <strong>de</strong>s directeurs, dont<br />

les postes sont totalement financés par l’Etat, stagne ; leur situation salariale ainsi que les équilibres<br />

financiers fédéraux restent toujours aussi précaires. Aucune réelle amélioration ne se fait jour les<br />

années suivantes : en 1957, la FF<strong>MJC</strong> reçoit 63 millions <strong>de</strong> l’Etat alors que le coût <strong>de</strong> la vie ne cesse<br />

d’augmenter et que les <strong>MJC</strong> sont au nombre <strong>de</strong> 196.<br />

Le passé historique du prési<strong>de</strong>nt Philip, sa verve, sa position <strong>de</strong> député et d’ancien ministre, ne<br />

lui permettront pas d’améliorer, pendant cette pério<strong>de</strong>, le quotidien <strong>de</strong> la Fédération. Tout au plus<br />

réussira-t-il à la maintenir d<strong>ans</strong> une situation <strong>de</strong> survie financière, ce qui n’empêchera pas les <strong>MJC</strong>,<br />

comme nous l’avons vu, <strong>de</strong> progresser sur <strong>de</strong> nombreux terrains. D’une certaine manière, la<br />

Fédération s’arme d<strong>ans</strong> la rigueur et les difficultés, tandis que son prési<strong>de</strong>nt défend ses mo<strong>de</strong>stes<br />

subventions d’Etat et réclame une loi sur l’éducation populaire.<br />

Le bulletin <strong>de</strong> liaison n° 7 fait largement état du débat du 16 juillet 1950 au Parlement, qui porte<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 5 (mai 1950), d<strong>ans</strong> un éditorial intitulé “ALERTE !”.


- 265 -<br />

sur la situation et l’avenir <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. André Philip n’est pas le seul à<br />

défendre les <strong>MJC</strong> et l’ensemble <strong>de</strong>s mouvements et organisations <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation<br />

populaire. Messieurs Farine pour le M.R.P., et Giovoni pour le P.C.F., interviennent pour mettre en<br />

évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s situations et poser <strong>de</strong>s questions assez semblables.<br />

Le représentant du M.R.P. souligne “combien <strong>de</strong>s hommes d’opinions politiques différentes<br />

tiennent à ce que soit défendue cette oeuvre <strong>de</strong> culture et d’éducation populaire” 1 et s’inquiète <strong>de</strong><br />

voir <strong>de</strong>s Maisons directement subventionnées par les inspecteurs départementaux, ce qui lui “parait<br />

en contradiction avec le décret du 24 avril 1948 qui a approuvé les statuts <strong>de</strong> la Fédération<br />

Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes” 2 . On pourrait se trouver à terme “en présence d’une poussière<br />

<strong>de</strong> maisons qui risquent <strong>de</strong> dévier <strong>de</strong> la ligne directrice <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, soit <strong>de</strong> s’appauvrir<br />

intellectuellement, parce qu’elles ne seront pas rattachées à un tronc qui les vivifierait” 3 . M. Farine<br />

craint que les inspecteurs régionaux ou départementaux n’aient “le désir <strong>de</strong> prendre eux-mêmes en<br />

mains la direction <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes, [pratique qui] aboutirait à un étatisme larvé [...] très<br />

grave pour l’avenir <strong>de</strong> l’Institution” 4 .<br />

Le représentant du parti communiste insiste tout particulièrement sur les réductions budgétaires.<br />

Compte tenu <strong>de</strong> l’augmentation <strong>de</strong> leur nombre et <strong>de</strong> l’indice du coût <strong>de</strong> la vie, les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>vraient<br />

avoir “184 millions <strong>de</strong> subvention en 1950 pour qu’elles reçoivent <strong>de</strong> l’Etat, toute proportion gardée,<br />

l’ai<strong>de</strong> obtenue en 1945” 5 . De plus, une partie <strong>de</strong> ces maigres crédits sont redistribués directement<br />

par les inspecteurs régionaux et départementaux. M. Giovoni fait remarquer que plusieurs autres<br />

mouvements et institutions “voient leurs subventions mutilées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s proportions scandaleuses.<br />

Peuple et Culture reçoit 2.400.000 F contre 4 millions <strong>de</strong> francs en 1949 ; la subvention <strong>de</strong> Travail et<br />

Culture tombe <strong>de</strong> 2.400.000 F à un million <strong>de</strong> francs … Les Eclaireurs <strong>de</strong> France, la Fédération <strong>de</strong>s<br />

Eclaireuses, les Francs et Franches Camara<strong>de</strong>s sont frappés par <strong>de</strong>s mesures i<strong>de</strong>ntiques” 6 . Autre<br />

difficulté signalée par le représentant du P.C.F. : les diminutions sont signifiées en juin alors que les<br />

organisations ont déjà arrêté, souvent réalisé, leurs programmes et engagé les dépenses. Il faut<br />

alors envisager le licenciement d’une gran<strong>de</strong> partie du personnel.<br />

1 Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 7, p. 2.<br />

2 Ibid. p. 2.<br />

3 Ibid. p. 3.<br />

4 Ibid. p. 3.<br />

5 Ibid. p. 3. Si l’on s’en tient au tableau élaboré par la FF<strong>MJC</strong> pour la pério<strong>de</strong> 1945-53 (rapport<br />

financier pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Brive du 11 avril 54), on obtiendrait pour l’année 1950 un<br />

chiffre assez inférieur. Les <strong>MJC</strong> et leur fédération auraient du recevoir 140 millions <strong>de</strong> l’État, alors<br />

qu’elles ont reçu un peu moins <strong>de</strong> 25 millions.<br />

6 Ibid. p. 3.


- 266 -<br />

Après avoir rappelé le grand projet 1 <strong>de</strong> culture populaire initié par Léo Lagrange d<strong>ans</strong> les années<br />

d’avant-guerre et impulsé par Jean Guéhenno à la Libération, André Philip, pour la S.F.I.O., décrit la<br />

situation “tragique ... dramatique” 2 d<strong>ans</strong> laquelle se trouvent les organisations <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d’éducation populaire et spécialement les <strong>MJC</strong> dont il a la responsabilité.<br />

En raison <strong>de</strong> l’augmentation du coût <strong>de</strong> la vie et du nombre <strong>de</strong>s maisons, “une réduction <strong>de</strong> près<br />

<strong>de</strong>s sept huitièmes [...] a été opérée sur le montant <strong>de</strong>s subventions” 3 d’Etat <strong>de</strong>puis 1945. Avec le<br />

crédit <strong>de</strong> 19 millions <strong>de</strong> francs prévu pour 1950 4 (en 1949 il était <strong>de</strong> 27 millions), la FF<strong>MJC</strong> ne pourra<br />

assurer les salaires <strong>de</strong>s quelque 40 directeurs permanents, à moins que ceux-ci ne renoncent à<br />

l’augmentation à laquelle ils ont droit par suite du reclassement général <strong>de</strong>s fonctionnaires. Les<br />

directeurs semi-permanents ne seront plus in<strong>de</strong>mnisés. On ne pourra plus équiper les Maisons ni<br />

leur apporter l’ai<strong>de</strong> exceptionnelle prévue au moment <strong>de</strong> leur création. S<strong>ans</strong> volant financier à la fin<br />

<strong>de</strong> l’année, on ne pourra garantir le paiement <strong>de</strong>s salaires après le 1er janvier. Bien pis : “si <strong>de</strong>s<br />

ressources supplémentaires ne sont pas dégagées, la Fédération nationale <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

sera obligée au 1er octobre <strong>de</strong> prononcer sa dissolution faute <strong>de</strong> moyens suffisants” 5 . A la fin <strong>de</strong> son<br />

allocution, André Philip précise que “face à l’effort accompli d<strong>ans</strong> les pays voisins même les plus<br />

pauvres, notre carence est vraiment indigne <strong>de</strong> la France [et que l’insuffisance <strong>de</strong> crédit pour<br />

l’éducation populaire] risque <strong>de</strong> conduire à l’échec ce qui avait été une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s promesses<br />

au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la Libération” 6 .<br />

D<strong>ans</strong> sa réponse, le Secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique, à la Jeunesse et aux Sports<br />

conteste à André Philip que la culture populaire connaisse en France un sort si funeste : les chiffres<br />

<strong>de</strong>s stages seraient en augmentation sensible et <strong>de</strong>s succès très vifs ont été rencontrés d<strong>ans</strong> le<br />

domaine du chant choral, d<strong>ans</strong> le théâtre universitaire et d’amateurs. Après avoir donné l’assurance<br />

que tout serait fait pour que les <strong>MJC</strong> ne disparaissent pas, le Secrétaire d’Etat se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si elles<br />

“ne peuvent pas fonctionner s<strong>ans</strong> ces directeurs permanents qui, d<strong>ans</strong> un mo<strong>de</strong>ste budget,<br />

représentent tout <strong>de</strong> même une dépense voisine <strong>de</strong> 16 millions <strong>de</strong> francs” 7 . Il conteste que les <strong>MJC</strong><br />

aient toujours une gestion parfaite et rigoureuse, et que les principes <strong>de</strong> laï cité dont elles se<br />

1 André Philip rappelle une fois <strong>de</strong> plus que l’éducation populaire <strong>de</strong>vait être pour la IVe République ce<br />

que l’école laï que a été pour la IIIe République (Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 7, p. 4).<br />

2 Ibid. p. 4.<br />

3 Ibid. p. 4.<br />

4 La FF<strong>MJC</strong> a effectivement reçu 24.915.000 F pour 1950.<br />

5 Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 7, p. 5.<br />

6 Ibid. p. 6.<br />

7 Ibid. p. 7.


éclament aient toujours et partout été respectés 1 .<br />

- 267 -<br />

D<strong>ans</strong> une nouvelle intervention, André Philip précise sa position. Il y a certes un essor marqué <strong>de</strong><br />

la culture populaire, mais encore faut-il lui apporter “un peu d’ai<strong>de</strong> effective qui dégagerait les<br />

hommes qui s’y consacrent du souci quotidien <strong>de</strong> l’organisation matérielle et <strong>de</strong>s nécessités<br />

impérieuses <strong>de</strong> l’existence” 2 . Il n’y a que 40 directeurs permanents pour 125 Maisons, les autres ne<br />

“touchant que <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités dérisoires qui ne couvrent même pas les frais qu’ils engagent” 3 . Or<br />

l’expérience prouve que lorsqu’on supprime le directeur permanent, la Maison risque <strong>de</strong> disparaître,<br />

“car c’est lui l’animateur, c’est lui l’éducateur, c’est lui qui trouve localement les ressources,<br />

maintenant doubles <strong>de</strong> celles que l’Etat fournit” 4 . La FF<strong>MJC</strong> est prête à accepter tous les contrôles<br />

financiers mais sa survie ne peut dépendre <strong>de</strong> subventionnements irréguliers. Il faut faire voter “une<br />

loi établissant un statut définitif <strong>de</strong> l’éducation populaire française” 5 . Et une fois <strong>de</strong> plus, André Philip<br />

établit un parallèle avec l’école publique : “Quand on a créé l’école publique, on l’a créée non pas<br />

avec <strong>de</strong>s organismes divers, fonctionnant à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> subventions ; on l’a créée d<strong>ans</strong> le cadre même<br />

d’un effort général <strong>de</strong> la Nation” 6 .<br />

Ce débat parlementaire est significatif <strong>de</strong>s incompréhensions, voire <strong>de</strong>s divergences, qui existent<br />

à ce moment-là entre les conceptions et les pratiques d’éducation populaire prônées par la FF<strong>MJC</strong><br />

et celles <strong>de</strong> l’Etat. En ne donnant comme exemple <strong>de</strong> réussite <strong>de</strong> culture populaire que <strong>de</strong>s pratiques<br />

artistiques d’amateurs, en contestant l’utilité <strong>de</strong>s directeurs et en suspectant la laï cité <strong>de</strong>s Maisons,<br />

le Secrétaire d’Etat remet en cause, même s’il s’en défend, le projet <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, son originalité, son<br />

caractère <strong>de</strong> service public qui, à travers <strong>de</strong>s pratiques diverses, doit favoriser la prise <strong>de</strong><br />

responsabilité luci<strong>de</strong> <strong>de</strong>s individus et la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la société.<br />

C’est que déjà les <strong>MJC</strong>, pourtant peu nombreuses, dérangent. Elles dérangent d’abord par leurs<br />

pratiques. En plus <strong>de</strong>s tenanciers <strong>de</strong> bar qui considèrent la <strong>MJC</strong> et son foyer comme une<br />

concurrence déloyale 7 , <strong>de</strong> nombreux responsables locaux y voient déjà “une tentative d’emprise<br />

idéologique sur la jeunesse” 8 . Ils nient souvent l’activité culturelle <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, stigmatisent la mixité,<br />

1 “Sur différents points du territoire, <strong>de</strong>s critiques ont été apportées sur le fonctionnement <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong> Jeunes, les principes <strong>de</strong> laï cité qui ont été définis tout à l’heure ayant été ça et là, me<br />

dit-on, plus ou moins entamées par une action qui ne serait plus une action laï que, mais une action<br />

partisane qui n’a pas à s’exercer d<strong>ans</strong> ce domaine”. Bulletin <strong>de</strong> liaison n° 7, p. 7. Le Secrétaire d’État<br />

ne cite cependant aucun fait concret.<br />

2 Ibid. p. 8.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

6 Ibid.<br />

7 On signale <strong>de</strong>s faits à l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes (13 mai 1956).<br />

8 Rapport d’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, p. 55.


- 268 -<br />

n’acceptent pas que les jeunes eux-mêmes gèrent la maison.<br />

D’autre part, les <strong>MJC</strong> et leur fédération ne sont pas neutres. Elles prennent position sur les<br />

grands problèmes <strong>de</strong> société et sur les questions nationales du moment. C’est le cas, nous l’avons<br />

vu, sur les questions touchant à la jeunesse, à l’éducation populaire et à l’enseignement en général.<br />

La FF<strong>MJC</strong> se fait, par exemple, l’écho <strong>de</strong>s revendications <strong>de</strong> l’Union Nationale <strong>de</strong>s Etudiants <strong>de</strong><br />

France et <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s Gran<strong>de</strong>s Ecoles qui, sous la plume d’un certain Jacques Balland,<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt le vote “d’une loi instituant une allocation d’étu<strong>de</strong> en faveur <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong><br />

l’enseignement supérieur ayant satisfait à <strong>de</strong> strictes critères universitaires” 1 et critiquent une<br />

“politique <strong>de</strong> la jeunesse [qui <strong>de</strong>vrait] assurer ‘le libre accès <strong>de</strong> tous à la culture’ que la constitution<br />

proclame mais que la législation n’organise pas” 2 .<br />

Mais ce sont la question algérienne et les retombées <strong>de</strong> la guerre qui préoccupent le plus les<br />

<strong>MJC</strong> et leur Fédération pendant cette pério<strong>de</strong>. Le conseil d’administration réuni le 22 avril 1956 a<br />

adopté une motion qui sera communiquée aux Maisons. Elle concerne à la fois la situation <strong>de</strong>s<br />

jeunes appelés et <strong>de</strong> leurs familles, et l’attitu<strong>de</strong> à adopter vis à vis <strong>de</strong> la guerre elle même. Cette<br />

motion, tout en précisant “que les statuts <strong>de</strong> la Fédération Française ne lui permettent pas <strong>de</strong><br />

prendre position sur une question spécifiquement politique et lui interdisent toute motion aux<br />

pouvoirs publics 3 , [déclare que le conseil d’administration fédéral] prend sa part <strong>de</strong>s angoisses qui<br />

sont celles <strong>de</strong>s familles <strong>de</strong>s mobilisés et comprend le poignant problème <strong>de</strong> conscience qui est posé<br />

aux mobilisés eux-mêmes” 4 . Les attitu<strong>de</strong>s préconisées ne sont pas neutres et enten<strong>de</strong>nt bien<br />

favoriser <strong>de</strong>s actions, <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> position collectives et individuelles d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong> la conception <strong>de</strong> la laï cité que se font les <strong>MJC</strong>. Ainsi le conseil d’administration “soucieux<br />

<strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> cette question <strong>de</strong>s peuples en évolution qui revendiquent leurs responsabilités<br />

civiques propres :<br />

- recomman<strong>de</strong> aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> faire place d<strong>ans</strong> leurs étu<strong>de</strong>s à<br />

ces préoccupations nationales,<br />

- félicite celles qui se sont déjà soucié <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le contact avec les jeunes mobilisés et<br />

d’ai<strong>de</strong>r leurs familles d<strong>ans</strong> toute la mesure du possible,<br />

- <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que la Fédération Française soit prévenue au cas où <strong>de</strong>s membres mobilisés <strong>de</strong>s<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture auraient, à titre individuel, besoin <strong>de</strong> notre ai<strong>de</strong> d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

situations particulières,<br />

- informe les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture que si elles ne peuvent, en tant que<br />

1 “Les étudiants <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une allocation d’étu<strong>de</strong>” Pas à pas n° 54, p. 32.<br />

2 Ibid. p. 32.<br />

3 Souligné d<strong>ans</strong> le texte.<br />

4 Motion du 22 avril 1956 (Archives FF<strong>MJC</strong>).


- 269 -<br />

maisons, prendre une position publique sur ce problème, leurs membres <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maison et<br />

<strong>de</strong>s conseils d’administration sont absolument libres <strong>de</strong> prendre toute position personnelle qu’il<br />

jugeraient moralement utile ou politiquement efficace” 1 .<br />

En se souciant aussi fortement du sort <strong>de</strong>s jeunes appelés et en invitant aussi clairement à la<br />

réflexion et à la prise <strong>de</strong> position, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture contestent en fait la<br />

légitimité <strong>de</strong> cette guerre et la politique gouvernementale. A preuve cette déclaration du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

séance <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> du 13 mai 1956 à Vincennes :<br />

“Nous sommes, en tant que Français, engagés d<strong>ans</strong> un angoissant conflit où déjà en Algérie<br />

coule le sang <strong>de</strong> peuples frères et peut-être aussi celui <strong>de</strong> quelques jeunes <strong>de</strong> nos Maisons.<br />

Nous voulons penser aux problèmes que pose à leur conscience d’homme et <strong>de</strong> Français<br />

cette action dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne réunit pas une totale unanimité<br />

nationale”. 2<br />

C’est que la FF<strong>MJC</strong> est directement et institutionnellement concernée. La question algérienne<br />

touche prioritairement les jeunes. Le jeune, au retour d’Algérie, “a d’énormes difficultés à se<br />

réadapter. Parti adolescent, il revient ancien combattant [et les organisations <strong>de</strong> jeunesse] ne<br />

peuvent rester indifférentes aux méfaits <strong>de</strong> la guerre” 3 . Les <strong>MJC</strong> doivent donc “limiter les effets<br />

néfastes <strong>de</strong> cette guerre, [ai<strong>de</strong>r le jeune] à se réadapter à la vie normale et à reprendre conscience<br />

<strong>de</strong> son rôle à jouer d<strong>ans</strong> la société” 4 .<br />

D’autre part <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont implantées en Algérie. En 1956, l’Algérie compte une <strong>de</strong>mi-douzaine<br />

<strong>de</strong> Maisons affiliées à la FF<strong>MJC</strong> : Oran, Béni-Saf, Tlemcen, Nemours, Sidi-Bel-Abbès, Alger,<br />

Mostaganem. A l’assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, le délégué général A. Léger rend longuement<br />

compte <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> ces Maisons et <strong>de</strong>s difficultés à faire appliquer les principes qui doivent les<br />

régir. A Tlemcen, où l’on accueillait tous les jeunes (un tiers <strong>de</strong> Musulm<strong>ans</strong>, un tiers d’Israélites et un<br />

tiers d’origine européenne), le général commandant la Région s’est installé d<strong>ans</strong> le local. Le<br />

directeur, après un long interrogatoire, doit se replier sur Oran ; “les jeunes Musulm<strong>ans</strong>, les<br />

Israélistes et les Européens qui étaient là ont pleuré <strong>de</strong>vant l’effondrement <strong>de</strong> cette volonté d’union<br />

morale qui existait” 5 .<br />

Les <strong>MJC</strong> d’Algérie essayeront jusqu’au bout, avec le soutien <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> maintenir cet esprit<br />

<strong>de</strong> rencontre et d’entente entre jeunes d’opinions et d’origines différentes. La <strong>MJC</strong> d’Oran<br />

1 Motion du 22 avril 1956 (Archives FF<strong>MJC</strong>).<br />

2 Rapport Assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, p. 10.<br />

3 Texte élaboré par la commission sur la situation <strong>de</strong>s jeunes à leur retour d’Algérie et voté à<br />

l’unanimité moins 1 voix et 3 abstentions par l’assemblée générale plénière <strong>de</strong> Chambéry, le 6 juin<br />

19<strong>60</strong> (p. 43).<br />

4 Ibid. p. 44.<br />

5 Compte-rendu Assemblée générale <strong>de</strong> Vincennes, p. 94.


- 270 -<br />

accueillera, y compris d<strong>ans</strong> la pério<strong>de</strong> la plus difficile <strong>de</strong> la guerre, une troupe d’expression arabe<br />

animée par le comédien et marionnettiste Saï d Hamidi. Pendant cette pério<strong>de</strong>, la FF<strong>MJC</strong> propose<br />

régulièrement l’organisation en métropole <strong>de</strong> tournées <strong>de</strong> troupes venues d’Algérie et regroupant <strong>de</strong>s<br />

Français et <strong>de</strong>s Musulm<strong>ans</strong>. Tout cela jusqu’au jour où, la situation <strong>de</strong>venant intenable, les<br />

directeurs fédéraux d’Algérie <strong>de</strong>vront regagner la métropole 1 .<br />

En 19<strong>60</strong>, la position <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> sur la question algérienne est alors parfaitement explicite. Pour<br />

certains, il est “moins question <strong>de</strong> préparer les jeunes à cette guerre ou <strong>de</strong> s’organiser pour les<br />

recevoir à leur retour, que <strong>de</strong> tout mettre en oeuvre pour que cette guerre cesse” 2 . L’assemblée<br />

générale nationale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> invite les 53 organisations <strong>de</strong> jeunesse rassemblées d<strong>ans</strong> le GEROJEP 3<br />

à organiser sur le plan national, et le plus largement possible, une pétition condamnant cette guerre<br />

néfaste. C’est que déjà, quelques années plus tôt, le prési<strong>de</strong>nt André Philip a donné le ton. Alors<br />

membre du comité directeur <strong>de</strong> la SFIO, il avait condamné publiquement le détournement <strong>de</strong> l’avion<br />

<strong>de</strong> Ben Bella et exprimé son désaccord avec la politique <strong>de</strong> Guy Mollet. Exclu du parti en 1957, il<br />

1 “Mon expérience <strong>de</strong> comédien professionnel et d’instructeur CEMEA avait conduit Christiane Faure,<br />

responsable <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire en Algérie - et pour la petite<br />

histoire, belle-soeur d’Albert Camus - à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> prendre la direction <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Tlemcen à<br />

son ouverture en juin 1955. Les <strong>MJC</strong> étaient quasiment le seul endroit public où <strong>de</strong>s jeunes et<br />

adultes européens et arabes pouvaient parler sereinement, sinon en sécurité, <strong>de</strong>s “évènements”.<br />

Après l’occupation <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Tlemcen par l’armée française et un long et pénible interrogatoire<br />

par les services <strong>de</strong> police (nous accueillions <strong>de</strong> nombreuses jeunes élites engagées ou proches du<br />

FLN), j’ai regagné prestement Oran, où Christiane Faure m’a confié la direction <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. Nous<br />

gérions <strong>de</strong>s locaux éclatés, un théâtre qui accueillait <strong>de</strong>s artistes aussi bien d’expression arabe que<br />

française. Au moment <strong>de</strong> l’O.A.S., les locaux ont été plastiqués. J’ai été sommé <strong>de</strong> choisir mon camp<br />

; j’ai reçu <strong>de</strong>s menaces <strong>de</strong> mort et ma voiture a été incendiée. En novembre 1961, j’ai regagné la<br />

France avec femme et enfants et j’ai pris la direction <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> d’Epernay avant d’être nommé à Aixen-Provence”<br />

(Entretiens avec Jean Nehr qui sera plus tard délégué régional <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> auprès <strong>de</strong><br />

la Région Méditerranée).<br />

2 Compte-rendu <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry (5-6 juin 19<strong>60</strong>), p. 44.<br />

3 Groupe d’Étu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> Rencontres <strong>de</strong>s Organisations <strong>de</strong> Jeunesse et d’Éducation Populaire.


- 271 -<br />

rejoindra bientôt le Parti Socialiste Autonome puis le Parti Socialiste Unifié.<br />

Mais nous sommes déjà entrés d<strong>ans</strong> une nouvelle ère pour les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture. Le général <strong>de</strong> Gaulle prési<strong>de</strong> aux <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong> la France et Maurice Herzog s’engage<br />

résolument d<strong>ans</strong> une politique nationale <strong>de</strong> la jeunesse.


- 273 -<br />

TROISIÈME PARTIE<br />

L’INSTITUTION ACHEVEE


- 275 -<br />

CHAPITRE - I -<br />

LE DÉVELOPPEMENT DES <strong>MJC</strong> DANS LES ANNÉES <strong>60</strong><br />

1 - Une politique nationale <strong>de</strong> la jeunesse<br />

Octobre 1958 voit la création d’un Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Maurice<br />

Herzog, qui en est le Haut Commissaire, en même temps que le secrétaire général du Haut<br />

commissariat à la Jeunesse, fait rapi<strong>de</strong>ment connaître les intentions d’un gouvernement qui entend<br />

rompre, d<strong>ans</strong> ce domaine comme d<strong>ans</strong> d’autres, avec l’apathie <strong>de</strong>s équipes d’une quatrième<br />

République empêtrée d<strong>ans</strong> les difficultés liées à l’instabilité gouvernementale et aux problèmes <strong>de</strong> la<br />

décolonisation.<br />

D<strong>ans</strong> son principe, la politique <strong>de</strong> la jeunesse que préconise Maurice Herzog s’appuie à la fois<br />

sur la tradition et l’innovation :<br />

“Tout ce qui est entrepris en faveur <strong>de</strong> la jeunesse doit procé<strong>de</strong>r d’une même intention. Notre<br />

action commune est définie par cette tradition <strong>de</strong> civilisation et <strong>de</strong> culture qui a donné naissance à<br />

l’humanisme, source et but <strong>de</strong> toute formation intellectuelle, physique et morale.... Servir la jeunesse,<br />

c’est continuer, en l’amplifiant, en l’adaptant aux nécessités présentes, un travail qui remonte aux<br />

sources même <strong>de</strong> nos traditions universitaires : l’innovation n’est durable que d<strong>ans</strong> la<br />

reconnaissance <strong>de</strong> ce qui, au cours <strong>de</strong>s siècles, a été si honnêtement et si brillamment accompli” 1 .<br />

Cette politique se réfère à quelques observations et valeurs simples : le progrès technique met en<br />

péril la qualité humaine ; la France sera bientôt un <strong>de</strong>s pays les plus jeunes par sa population ; il faut<br />

donc former “<strong>de</strong>s hommes meilleurs, plus complets, mieux assurés pour la vie et aussi pour le<br />

bonheur” 2 ; l’homme ne peut s’épanouir que d<strong>ans</strong> un climat <strong>de</strong> liberté, d’autant que “le <strong>de</strong>stin du<br />

mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne est lié à l’éducation à la sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la liberté” 3 .<br />

Cette politique <strong>de</strong> la jeunesse est s<strong>ans</strong> aucun doute constitutive <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> la France que se fait<br />

le général <strong>de</strong> Gaulle :<br />

“La France en a conscience : son avenir, plus que toute autre richesse, est d<strong>ans</strong> la valeur <strong>de</strong><br />

ses enfants. Nous voulons faire en sorte que sa jeunesse, d<strong>ans</strong> tous les domaines <strong>de</strong> l’action<br />

et <strong>de</strong> la pensée, renouvelle constamment l’élan créateur que notre pays se doit à lui-même et<br />

1 Extrait <strong>de</strong> l’allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (Pas à pas n° 89,<br />

décembre 1958, p. 2).<br />

2 Extrait <strong>de</strong> l’allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (p. 2).<br />

3 Ibid.


que le mon<strong>de</strong> attend <strong>de</strong> nous” 1 .<br />

- 276 -<br />

Cette politique éducative et culturelle doit être globale et coordonnée : “L’homme se cultive<br />

également sur les sta<strong>de</strong>s, à la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et sur les bancs <strong>de</strong> l’école, [et les solutions aux<br />

enjeux <strong>de</strong> notre temps] doivent être recherchés avec les représentants <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong><br />

jeunesse et <strong>de</strong>s administrations intéressées” 2 . D’où l’institution à la Prési<strong>de</strong>nce du Conseil, d’un Haut<br />

Comité à la Jeunesse <strong>de</strong> France et d’Outre-Mer, dont le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux<br />

Sorts assure le secrétariat général. Ainsi a-t-on tout à fait le sentiment qu’au niveau consultatif du<br />

moins, la politique <strong>de</strong> la jeunesse gar<strong>de</strong>ra et englobera la politique éducative alors que jusqu’à ce<br />

moment-là elle n’a été, sous la forme d’une Direction <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education populaire,<br />

qu’un mo<strong>de</strong>ste service <strong>de</strong> l’Education nationale.<br />

Le Haut Comité à la Jeunesse <strong>de</strong> France et d’Outre-mer, d<strong>ans</strong> sa réunion du 17 décembre 1958<br />

présidée par le général <strong>de</strong> Gaulle, est investi <strong>de</strong>s missions suivantes :<br />

“- Commission consultative pour les ministères intéressés, notamment le Haut Commissariat à<br />

la Jeunesse et aux Sports, pour toutes les questions relatives à la jeunesse.<br />

- Lieu <strong>de</strong> rencontre où doit s’établir un dialogue entre les pouvoirs publics et la jeunesse.<br />

- Cercle d’étu<strong>de</strong> où peuvent s’élaborer différentes conceptions concernant le rôle <strong>de</strong> la<br />

jeunesse d<strong>ans</strong> le pays, où peuvent naître les suggestions dont seront saisis les différents<br />

ministères intéressés, et particulièrement le Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports” 3 .<br />

Pour les domaines qui le concernent directement (l’éducation populaire, les colonies <strong>de</strong><br />

vacances, l’éducation physique et sportive), le Haut Commissariat à la Jeunesse aura pour mission<br />

d’ “associer la jeunesse aux réalisations du pays [par] une politique d’animation, d’expression et <strong>de</strong><br />

déconcentration qui se substituera à la politique <strong>de</strong> répartition et <strong>de</strong> centralisation <strong>de</strong>s années<br />

antérieures” 4 . Ses moyens sont dès 1959 très sensiblement augmentés : 30% <strong>de</strong> plus pour<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s missions du Haut Commissariat, près <strong>de</strong> 75% pour les actions auprès <strong>de</strong> la<br />

jeunesse, 50% pour l’éducation populaire, 20% pour l’éducation physique et sportive, 10% pour les<br />

équipements en attendant que ne soit programmé un plan pluriannuel d’équipement.<br />

L’Etat, tout en adoptant à nouveau une attitu<strong>de</strong> interventionniste et très innovatrice, affirme par la<br />

bouche <strong>de</strong> M. Maurice Herzog “sa volonté <strong>de</strong> favoriser les initiatives prises au sein <strong>de</strong>s mouvements<br />

<strong>de</strong> jeunesse et d’apporter son ai<strong>de</strong> en respectant les libertés, l’indépendance et la pluralité <strong>de</strong> la<br />

jeunesse” 5 . Ainsi s’agit-il d’encourager “non pas une jeunesse organisée par l’Etat, mais une<br />

1 Allocution prononcée par M. Maurice Herzog aux Inspecteurs d’Académie (p. 2).<br />

2 Ibid.<br />

3 Conférence <strong>de</strong> presse <strong>de</strong> M. Maurice Herzog du 17 décembre 1958, dont la revue Pas à pas publie<br />

l’intégralité du texte (n° 90, janvier 1959, p. 1 à 3).<br />

4 Ibid. p. 1.<br />

5 Conférence <strong>de</strong> presse <strong>de</strong> M. Maurice Herzog du 17 décembre 1958 (p. 3).


- 277 -<br />

jeunesse luci<strong>de</strong> et consciente qui s’associera d’elle-même aux réalisations du pays” 1 .<br />

Ce pari d’une autonomie participative <strong>de</strong> la jeunesse favorable au développement et au<br />

rayonnement <strong>de</strong> la France 2 a besoin, pour réussir, <strong>de</strong> structures susceptibles à la fois <strong>de</strong> rassembler<br />

localement les organisations <strong>de</strong> jeunesse et d’accueillir la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s jeunes inorganisés<br />

dont une frange non négligeable connait <strong>de</strong>s difficultés d’intégration sociale et morale. En effet, la<br />

jeunesse <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 50, en plus d’être plus nombreuse, se caractériserait à la fois par<br />

“l’instabilité” mais aussi une certaine “lucidité”, par “l’isolement moral” et un “tourment permanent” <strong>de</strong><br />

telle sorte que “l’esprit qui l’anime a subi une dégradation civique grave au cours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières<br />

années [et que] condamnant et méprisant les moeurs politiques, la jeunesse [se serait] réfugiée d<strong>ans</strong><br />

l’abstention ou les excès” 3 .<br />

D’emblée, le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sports s’est particulièrement intéressé à<br />

l’expérience <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture qui accueillent <strong>de</strong>s jeunes pas encore<br />

organisés, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s structures permanentes, ouvertes et repérables, et qui, là où elles sont<br />

implantées, ont généralement le soutien financier <strong>de</strong>s municipalités. La revue Pas à pas relate avec<br />

précision, documents photographiques à l’appui, les différentes visites <strong>de</strong> M. Maurice Herzog d<strong>ans</strong><br />

les <strong>MJC</strong>, notamment à Alger 4 et à Château-du-Loir où un équipement vient d’être construit 5 .<br />

L’interview que M. Maurice Herzog donnera au journal Le Mon<strong>de</strong> le 18 septembre 1959 sonnera<br />

le coup d’envoi du développement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. De nombreux maires<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront la création d’une <strong>MJC</strong> : d<strong>ans</strong> la semaine qui suit la parution <strong>de</strong> l’article, la FF<strong>MJC</strong><br />

enregistrera <strong>60</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s au lieu <strong>de</strong> 3 ou 4 habituellement 6 .<br />

De ce long entretien avec Eugène Mannoni, le journal extrait trois idées maîtresses qu’il met en<br />

évi<strong>de</strong>nce d<strong>ans</strong> la présentation :<br />

“• L’une <strong>de</strong>s chances <strong>de</strong> la France est <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r une jeunesse exceptionnelle.<br />

• Les véritables “blousons noirs” existent mais ils sont peu nombreux.<br />

• Un programme en voie d’élaboration prévoit notamment la multiplication <strong>de</strong>s “Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes”.<br />

Maurice Herzog se penche en effet longuement sur le phénomène <strong>de</strong>s “Blousons noirs” qu’il ne<br />

faut ni sous-estimer, ni exagérer. Les Blousons noirs ne sont qu’une infime partie <strong>de</strong> la jeunesse, qui<br />

1 Ibid. p. 3.<br />

2 Maurice Herzog affirme qu’au renouveau démographique et économique <strong>de</strong> la France doit répondre<br />

“un renouveau politique”. (Ibid. p. 1).<br />

3 Ibid. p. 1.<br />

4 Pas à pas n° 90, janvier 1959.<br />

5 Pas à pas n° 97/98, octobre 1959.<br />

6 Entretien avec Paul J<strong>ans</strong>en.


- 278 -<br />

se recrute généralement d<strong>ans</strong> les milieux très défavorisés où les conditions matérielles et morales<br />

d’existence sont difficiles pour <strong>de</strong>s jeunes, par ailleurs vulnérables et victimes <strong>de</strong> l’influence néfaste<br />

d’un certain cinéma et d’une certaine presse 1 . Mais le phénomène peut s’amplifier car les causes<br />

sont bien réelles : les banlieues <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villes sont sous-équipées sur le plan sportif et socio-<br />

culturel, et, pour <strong>de</strong> nombreux jeunes, “l’éducation n’est souvent qu’enseignement à l’école et routine<br />

à la maison” 2 .<br />

Le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sports préconise quelques remè<strong>de</strong>s dont “l’exp<strong>ans</strong>ion<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes”, la création d’équipements socio-culturels d<strong>ans</strong> les groupes<br />

d’habitations mo<strong>de</strong>rnes”, “le développement <strong>de</strong>s sports d<strong>ans</strong> les milieux déclarés vulnérables,<br />

notamment <strong>de</strong>s sports d’équipe virils (rugby) et tout particulièrement <strong>de</strong>s sports <strong>de</strong> risque”, le soutien<br />

“aux métiers saisonniers”... -“puisqu’on constate durant les vacances une recru<strong>de</strong>scence <strong>de</strong>s<br />

ban<strong>de</strong>s”- , le développement “<strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> cogestion”.<br />

Les Maires sont particulièrement sollicités, notamment pour l’extension <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes<br />

et <strong>de</strong>s équipement collectifs qui doivent relever d’une étroite collaboration entre l’Etat et les<br />

collectivités locales : “[Les maires] peuvent prendre <strong>de</strong> larges initiatives d<strong>ans</strong> ce domaine en faisant<br />

les propositions jugées par eux les plus adéquates. Le Haut Commissariat subventionnera au<br />

maximum, d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> ses possibilités, leurs efforts” 3 .<br />

Les maires, plus habitués à gérer du béton et du bitume que <strong>de</strong>s problèmes éducatifs, culturels et<br />

sociaux, sont en effet souvent désemparés <strong>de</strong>vant la montée <strong>de</strong>s jeunes. Ils redoutent les<br />

phénomènes <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s que les médias, notamment la presse, ont tendance à exagérer. Les<br />

propositions <strong>de</strong> collaboration <strong>de</strong> l’Etat et <strong>de</strong> soutien financier à leurs initiatives, conduiront<br />

rapi<strong>de</strong>ment nombre d’entre eux à s’engager d<strong>ans</strong> ce nouveau secteur <strong>de</strong> l’action municipale 4 .<br />

Dès lors et jusqu’en 1966, la FF<strong>MJC</strong> bénéficiera, en la personne <strong>de</strong> M. Herzog, d’une oreille<br />

particulièrement attentive <strong>de</strong> l’Etat. “Il est agréable au secrétaire fédéral <strong>de</strong> présenter cette année le<br />

rapport moral : jamais en effet notre situation n’a été aussi favorable, lit-on d<strong>ans</strong> le rapport <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry 5 ; nous étions au bord du fossé... Mais en automne 1958, le Haut<br />

Commissariat à la Jeunesse et aux Sports nous assurait que les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture conserveraient leur structure, maintiendraient leurs principes et continueraient leur action ;<br />

1 Pour M. Herzog, James Dean et “La fureur <strong>de</strong> vivre” aurait été incontestablement un mauvais<br />

exemple pour toute une catégorie <strong>de</strong> jeunes livrés aux loisirs inactifs.<br />

2 Interview au Mon<strong>de</strong>.<br />

3 Ibid.<br />

4 C’est en effet à partir <strong>de</strong> ces années-là que les collectivités locales développeront réellement une<br />

politique <strong>de</strong> la jeunesse, <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l’animation socio-culturelle, d’autant que, d<strong>ans</strong> un<br />

domaine proche, la politique culturelle conduite par André Malraux est également fortement<br />

incitatrice.<br />

5 5-6 juin 19<strong>60</strong> (op. cit., p. 2).


- 279 -<br />

par un complément <strong>de</strong> subvention <strong>de</strong> 5 millions d’anciens francs, il couvrait une partie du déficit”.<br />

Depuis fort longtemps, les <strong>MJC</strong> et leur fédération mettaient en évi<strong>de</strong>nce les difficultés<br />

d’intégration sociale d’une jeunesse <strong>de</strong> plus en plus nombreuse. D<strong>ans</strong> les textes préparatoires à<br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Colmar (17-18 mai 1959), les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> faisaient une large<br />

place à une situation particulière mais facilement généralisable à l’ensemble <strong>de</strong> l’espace urbain : la<br />

population actuelle <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Caen s’élève à 85.000 habitants dont 14.000 enfants d’âge scolaire<br />

(6-14 <strong>ans</strong>), ce qui donnera 12.000 adolescents <strong>de</strong> 14 à 20 <strong>ans</strong> d<strong>ans</strong> les prochaines années : or les<br />

jeunes sont <strong>de</strong> plus en plus en rupture avec la société <strong>de</strong>s adultes ; les mutations sociales se<br />

traduisent par une emprise <strong>de</strong> plus en plus faible <strong>de</strong> la famille sur les jeunes qui ont une propension<br />

à se rassembler et à former <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s. Ils ont en fait besoin “<strong>de</strong> point d’appui, <strong>de</strong> dialogue avec <strong>de</strong>s<br />

adultes compréhensifs” 1 ; la <strong>MJC</strong> doit donc créer un maximum <strong>de</strong> points d’appui, c’est dire <strong>de</strong> locaux<br />

et <strong>de</strong> postes d’éducateurs.<br />

Mais jusqu’à ce moment-là, l’Etat n’avait jamais réellement répondu aux projets d’équipement et<br />

<strong>de</strong> développement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Le premier plan d’équipement quinquennal correspondant aux<br />

années 1952 à 56, déposé sur invitation du Secrétariat d’Etat par la FF<strong>MJC</strong> en octobre 1951, était en<br />

effet resté lettre morte. Même chose pour le <strong>de</strong>uxième, déposé le 13 mai 1956, qui prévoyait la<br />

création <strong>de</strong> 468 Maisons nouvelles entre 1957 et 1961. A l’opposé, les lois-programme d’équipement<br />

proposées par Maurice Herzog et votées à la quasi unanimité par le parlement auront un effet très<br />

sensible, voire spectaculaire, sur le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : au milieu <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, on construit<br />

<strong>de</strong>ux <strong>MJC</strong> par semaine et la <strong>de</strong>uxième loi-programme (1966-70) prévoit <strong>de</strong> construire 750 maisons<br />

nouvelles.<br />

Comment les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture traduisent-elles en actes, en pratiques<br />

éducatives quotidiennes, la politique <strong>de</strong> la jeunesse voulue par le Haut Commissaire à la Jeunesse<br />

et aux Sports ? Vraisemblablement, pour <strong>de</strong>ux raisons essentielles et concomitantes - d’une part<br />

l’originalité, la pertinence, et l’efficacité avérée <strong>de</strong> leur projet expérimenté d<strong>ans</strong> les années<br />

antérieures, d’autre part la confiance, que certains ont qualifiée <strong>de</strong> s<strong>ans</strong> bornes, du Haut<br />

Commissaire - les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ont conduit une action qui, tout en restant<br />

attentive à la volonté <strong>de</strong> l’Etat, s’est développée selon les principes, les pratiques éducatives et les<br />

structures élaborées intellectuellement et d<strong>ans</strong> l’expérience, <strong>de</strong>puis leur fondation en 1944, et fixées<br />

d<strong>ans</strong> les textes fondamentaux <strong>de</strong> 1948.<br />

Il serait faux <strong>de</strong> dire que les <strong>MJC</strong> n’ont pas évolué d<strong>ans</strong> leurs pratiques pendant toute cette<br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> forte croissance ; elles l’ont fait d<strong>ans</strong> les domaines les plus divers : les activités, les<br />

relations avec les collectivités locales et l’Etat, l’accueil <strong>de</strong> publics plus nombreux et diversifiés, le<br />

recrutement et la formation <strong>de</strong>s bénévoles et <strong>de</strong>s professionnels. Mais ce qui domine, c’est leur<br />

1 Rapport <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry, p. 20.


- 280 -<br />

capacité à mettre en oeuvre <strong>de</strong>s principes constitutifs <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité (laï cité ouverte, liberté) et à<br />

faire fonctionner <strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong>s dispositifs pédagogiques élaborés pendant la traversée du<br />

désert (vie fédérative, développement <strong>de</strong>s activités culturelles en plus <strong>de</strong>s simples activités <strong>de</strong><br />

rencontre et <strong>de</strong> loisir, conseil <strong>de</strong> maison). C’est en fait une institution jeune, forte <strong>de</strong> la certitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />

l’expérience <strong>de</strong> nombreux <strong>de</strong> ses pionniers, qui entre, s<strong>ans</strong> concession véritable 1 , d<strong>ans</strong> cette<br />

nouvelle ère politique, sociale et économique qu’est la France <strong>de</strong> la V e République.<br />

D<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, l’originalité <strong>de</strong> l’apport <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> aux questions <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation<br />

populaire se résume globalement d<strong>ans</strong> le concept <strong>de</strong> développement communautaire que l’on<br />

retrouve d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreux textes <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>. Les concepts <strong>de</strong> responsabilité, d’initiative, <strong>de</strong><br />

formation et <strong>de</strong> réflexion individuelle, <strong>de</strong> démocratie n’ont pas été abandonnés. Ils sont articulés d<strong>ans</strong><br />

un concept à la fois plus large et plus opérationnel qui décrit et gui<strong>de</strong> tout un itinéraire pédagogique<br />

conduisant <strong>de</strong> l’individu au collectif.<br />

L’un <strong>de</strong>s textes les plus explicites <strong>de</strong> ce développement communautaire se trouve d<strong>ans</strong> les<br />

documents préparatoires à l’assemblée générale nationale <strong>de</strong> Nancy (1-2-3 juin 1963) 2 qui<br />

reproduisent sur cette question un rapport réalisé par l’une <strong>de</strong>s commissions <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes<br />

journées d’étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s directeurs. Le développement communautaire y est décrit moins comme un<br />

modèle d’organisation sociale que comme un mo<strong>de</strong> d’intervention socio-culturelle appuyé sur un<br />

certain nombre <strong>de</strong> principes et <strong>de</strong> dispositifs pédagogiques et structurels.<br />

D’abord pour les principes : l’individu ne peut appréhen<strong>de</strong>r les problèmes sociaux, économiques<br />

et culturels que d<strong>ans</strong> le cadre d’une démocratie. La mission d’une démarche d’éducation populaire<br />

est “d’amener chaque individu à être capable <strong>de</strong> formuler un jugement sur les problèmes généraux<br />

et à se sentir responsable <strong>de</strong> leurs solutions” 3 , ce qui exige que l’on mène <strong>de</strong>ux formations<br />

complémentaires, “chacune puisant d<strong>ans</strong> l’autre un complément d’enrichissement et <strong>de</strong> dynamisme :<br />

1) la culture personnelle <strong>de</strong>stinée à développer la curiosité, le souci d’information, l’esprit<br />

d’analyse et <strong>de</strong> synthèse, le jugement, le choix débouchant sur l’action ;<br />

2) le sens communautaire” 4 .<br />

Ensuite, la démarche pédagogique. La vie au sein <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> étant avant tout <strong>de</strong> forme<br />

communautaire, la cohabitation constante <strong>de</strong> l’individu avec une collectivité doit amener, peu à peu,<br />

celui-ci à se poser les problèmes inhérents à cette communauté, puis à toute communauté. Cette<br />

1 Sauf s<strong>ans</strong> doute sur le financement <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> directeurs d<strong>ans</strong> le cadre du FONJEP, décision très<br />

débattue d<strong>ans</strong> le FF<strong>MJC</strong> (1963-64), qui permettra le développement du corps <strong>de</strong>s directeurséducateurs<br />

mais ouvrira également la porte au désengagement financier <strong>de</strong> l’État.<br />

2 Rapport moral - rapport d’activité 1962. Textes et étu<strong>de</strong>s pour 1964 : “Quelques idées sur les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture et le développement communautaire”, p. 31.<br />

3 Textes préparatoires à l’assemblée générale <strong>de</strong> Nancy, p. 31.<br />

4 Textes préparatoires à l’assemblée générale <strong>de</strong> Nancy, p. 31.


- 281 -<br />

pédagogie institutionnelle, qui se donne les dispositifs éducatifs et les structures qu’elle juge les plus<br />

à même <strong>de</strong> réaliser le projet, a ses passages obligés d<strong>ans</strong> une sorte d’initiation par étapes. L’accueil<br />

est le premier contact <strong>de</strong> l’usager avec la <strong>MJC</strong>, “le premier moyen d’introduction d’un individu d<strong>ans</strong><br />

un milieu collectif, le premier point commun entre une individualité et un groupement” 1 . Ce moment<br />

doit être particulièrement soigné : climat, ambiance, cadre, réception amicale mais s<strong>ans</strong> démagogie,<br />

doivent faciliter l’entrée <strong>de</strong> l’individu d<strong>ans</strong> la collectivité. L’activité est le <strong>de</strong>uxième espace <strong>de</strong> ce<br />

cheminement à la fois individuel et collectif. Le jeune adhérent ne <strong>de</strong>vra pas se cantonner d<strong>ans</strong> la<br />

seule activité répondant à son intérêt personnel premier. On lui suggérera <strong>de</strong> se diriger vers <strong>de</strong>s<br />

activités nouvelles favorables à son épanouissement personnel et au développement d’aptitu<strong>de</strong>s<br />

individuelles et collectives qu’il ne soupçonnait pas lui-même : activités culturelles, d’expression, <strong>de</strong><br />

création collective (art dramatique, chant choral, audio-visuel...). L’étape suivante consistera à le<br />

faire participer à <strong>de</strong>s services intérieurs (foyer, bar, accueil <strong>de</strong> spectacles) et à le rendre actif au sein<br />

<strong>de</strong> groupes d’animation : “peu à peu, du rôle <strong>de</strong> participant, il passera au rôle <strong>de</strong> responsable” 2 .<br />

A ce moment-là, “le ‘lea<strong>de</strong>r’ aura pris corps ; il faudra alors le fixer d<strong>ans</strong> le cadre du conseil <strong>de</strong><br />

maison, du conseil d’administration où il aura <strong>de</strong>s responsabilités <strong>de</strong> gestion financières et<br />

créatrices” 3 . A ce sta<strong>de</strong>, l’usager fait l’expérience <strong>de</strong> la délégation <strong>de</strong> pouvoir dont il <strong>de</strong>vra rendre<br />

compte. Il a pris conscience <strong>de</strong> ses aptitu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> sa valeur <strong>de</strong> responsable au sein d’une collectivité.<br />

La question est désormais la suivante : “comment l’amener à une participation active au<br />

développement <strong>de</strong> la commune et <strong>de</strong> la région ?”<br />

Après l’accueil, les activités, les prises <strong>de</strong> responsabilités ponctuelles puis institutionnelles d<strong>ans</strong><br />

les instances <strong>de</strong> représentation, <strong>de</strong> concertation et <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, l’individu doit être à même<br />

<strong>de</strong> s’impliquer d<strong>ans</strong> la société, d’autant que le caractère ouvert et le fonctionnement co-gestionnaire<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> ont favorisé ce passage. En effet, d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s activités du conseil <strong>de</strong> maison, du<br />

conseil d’administration et <strong>de</strong>s diverses commissions, le responsable a eu à étudier <strong>de</strong>s problèmes<br />

qui débor<strong>de</strong>nt largement le seul cadre limité <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> : animation et développement global,<br />

finances, urbanisme..., toutes questions qui concernent la démocratie locale. Il a participé à <strong>de</strong>s<br />

actions concertées avec les associations, mouvements et institutions locales et a eu à débattre avec<br />

les représentants municipaux locaux.<br />

Le maillon institutionnel central <strong>de</strong> ce long cheminement <strong>de</strong> formation politique est le conseil <strong>de</strong><br />

maison, structure intermédiaire entre une vie collective - où l’individu entretient avec autrui <strong>de</strong>s liens<br />

sociabilitaires encore peu formalisés et où les prises <strong>de</strong> responsabilité restent ponctuelles ou très<br />

sectorielles - et l’organe <strong>de</strong> décision et <strong>de</strong> concertation avec les partenaires publics qu’est le conseil<br />

1 Ibid. p. 31.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid. p. 32.


- 282 -<br />

d’administration. C’est également d<strong>ans</strong> cette instance, sorte d’école élémentaire <strong>de</strong> la démocratie<br />

participative et représentative 1 , que s’organisent les rapports entre jeunes et adultes, et ce n’est pas<br />

un hasard si les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ont pendant les années <strong>60</strong> un souci permanent, d<strong>ans</strong><br />

leur analyse <strong>de</strong>s résultats, <strong>de</strong> comprendre le rôle joué par les conseils <strong>de</strong> maison 2 .<br />

L’articulation pourtant sophistiquée entre le conseil <strong>de</strong> maison et le conseil d’administration -<br />

rappelons que le conseil d’administration a droit <strong>de</strong> veto par l’intermédiaire du directeur sur les<br />

décisions du conseil <strong>de</strong> maison, lorsqu’elles sont contradictoires avec celles <strong>de</strong> l’organe <strong>de</strong> décision,<br />

mais que d<strong>ans</strong> le même temps les membres élus représentant les usagers doivent être pris pour un<br />

tiers d’entre eux parmi les membres du conseil <strong>de</strong> maison - a eu <strong>de</strong>s résultats que l’on peut<br />

considérer comme particulièrement positifs, tant du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la réalisation du projet<br />

pédagogique que du dynamisme <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. En effet, d<strong>ans</strong> cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> grand développement <strong>de</strong><br />

l’Institution, les <strong>MJC</strong> sont d’abord gérées par <strong>de</strong>s conseils d’administration généralement composés<br />

<strong>de</strong> notables locaux à titres divers : élus municipaux, responsables <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> jeunes,<br />

hommes et femmes <strong>de</strong> bonne volonté qui veulent faire quelque chose pour les jeunes. Le dispositif<br />

‘conseil <strong>de</strong> maison’ et le rôle pédagogique qu’y joue le directeur-éducateur auront pour effet<br />

bénéfique <strong>de</strong> revitaliser <strong>de</strong>s conseils d’administration qui, s<strong>ans</strong> cela, auraient périclité, et avec eux<br />

l’ensemble institutionnel. En effet l’ancrage fort <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maison d<strong>ans</strong> les activités et auprès<br />

<strong>de</strong>s usagers, leur donnait un poids qui compensait largement leur dépendance institutionnelle vis à<br />

vis du conseil d’administration et qui pouvait, lors <strong>de</strong>s assemblées générales, modifier les<br />

orientations et faire basculer <strong>de</strong>s majorités souvent appuyées sur le consensus <strong>de</strong>s fondateurs.<br />

Ces toniques tr<strong>ans</strong>formations, prises <strong>de</strong> responsabilité et <strong>de</strong> pouvoir ne se font pas toujours d<strong>ans</strong><br />

la douceur, d’autant que, compte tenu <strong>de</strong> l’importance grandissante <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la mission<br />

d’intérêt général qu’elles enten<strong>de</strong>nt remplir, les enjeux <strong>de</strong>viennent localement et même<br />

nationalement plus importants. L’analyse <strong>de</strong> 2<strong>60</strong> rapports sur 425 <strong>MJC</strong> réellement en exercice au<br />

31/12/65, fait longuement état <strong>de</strong>s relations généralement dynamiques mais aussi conflictuelles entre<br />

le conseil <strong>de</strong> maison, d’une part, le conseil d’administration, éventuellement les pouvoirs publics et<br />

même le directeur, d’autre part. Mais tout compte fait, une pédagogie du conflit, voire <strong>de</strong><br />

l’affrontement, reste préférable à un statu quo qui maintiendrait chaque partie d<strong>ans</strong> les positions<br />

acquises, charge au directeur-éducateur <strong>de</strong> trouver les solutions favorables à la réalisation du projet<br />

pédagogique et qui ne mettent pas en cause l’existence <strong>de</strong> la structure 3 .<br />

1 Le conseil <strong>de</strong> maison relève <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux formes : l’individu est très participatif d<strong>ans</strong> les activités et<br />

actions quotidiennes <strong>de</strong> la Maison ; mais en même temps il représente une partie plus ou moins<br />

importante <strong>de</strong>s usagers dont il est issu et dont il a mandat.<br />

2 L’analyse <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong> 1965 intitulée “Les jeunes et les adultes” ne concerne guère que le rôle du<br />

conseil <strong>de</strong> maison d<strong>ans</strong> le développement communautaire.<br />

3 D<strong>ans</strong> les années 70, l’affrontement et le conflit seront souvent érigés en métho<strong>de</strong> pédagogique <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire : “Très souvent, l’expérience a prouvé que le conflit agissait comme révélateur,<br />

permettait <strong>de</strong> mieux comprendre la situation qui l’avait provoqué et celle ainsi créée, conduisant à


- 283 -<br />

En fait, malgré la volonté affirmée du Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports <strong>de</strong> conduire<br />

une politique nationale <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> faire confiance à la FF<strong>MJC</strong> pour sa mise en oeuvre, les<br />

Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture ne voudront jamais être <strong>de</strong> simples maisons <strong>de</strong> jeunes et<br />

encore moins <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong>s jeunes. Le contact entre générations et l’accueil <strong>de</strong>s adultes seront<br />

une préoccupation constante <strong>de</strong>s responsables bénévoles et professionnels. On pense que la<br />

collaboration <strong>de</strong>s générations, même si elle n’est pas chose aisée, est fructueuse. On fait référence<br />

aux fondateurs en citant Jean Guéhenno : “Il n’y a pas <strong>de</strong> problèmes spécifiquement jeunes ; il y a<br />

<strong>de</strong>s problèmes généraux qui peuvent être étudiés d’un point <strong>de</strong> vue jeune” 1 . D’autre part, on pense<br />

que “la jeunesse avec un grand “J” séparée du pays est un concept totalitaire” 2 ; on rejette ainsi toute<br />

tentative interne ou externe d’embriga<strong>de</strong>r la jeunesse, <strong>de</strong> la traiter à part et à <strong>de</strong>s fins<br />

antidémocratiques, <strong>de</strong> la mettre en tutelle <strong>de</strong>s adultes voire d’un quelconque pouvoir politique<br />

comme ce fut le cas d<strong>ans</strong> la pério<strong>de</strong> d’avant 1946.<br />

Le souci constant <strong>de</strong>s responsables et <strong>de</strong>s éducateurs est <strong>de</strong> satisfaire à une double exigence,<br />

anthropologique et politique, qui est à la fois <strong>de</strong> faciliter “le passage délicat et important <strong>de</strong> l’état<br />

d’adolescent à l’état d’adulte” 3 et <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s citoyens pour une société plus communautaire, plus<br />

démocratique où responsabilités et pouvoirs seraient plus partagés et pas attribués d’avance. Les<br />

<strong>MJC</strong> sont et doivent être “<strong>de</strong>s pépinières <strong>de</strong> membres ou <strong>de</strong> responsables d’associations, <strong>de</strong><br />

syndicats, <strong>de</strong> partis, <strong>de</strong> conseils...” 4 . Pour cela, les individus, les générations et les classes sociales<br />

doivent se côtoyer, communiquer, éventuellement s’affronter d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> structures où la<br />

définition et le respect <strong>de</strong>s règles et décisions communes font force <strong>de</strong> loi 5 .<br />

Tant du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> leurs pratiques et activités que du point <strong>de</strong> vue du public accueilli, les<br />

l’évolution nécessaire. A ce point que l’on peut conclure que bien souvent cette pédagogie <strong>de</strong><br />

l’Institution est aussi une pédagogie <strong>de</strong> l’affrontement.” Texte préparatoire au rassemblement <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong> (Reims 29-30-31 mai 1982), qui fait le point sur les expériences <strong>de</strong>s années antérieures.<br />

1 Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale nationale <strong>de</strong> Villeurbanne (5 juin 1965), p. 22. La référence<br />

du texte dont est extraite cette citation n’est pas donnée.<br />

2 Ibid. p. 22.<br />

3 Ibid. p. 22.<br />

4 Ibid. p. 23.<br />

5 “Une <strong>MJC</strong> réclame, pour vivre, le pluralisme <strong>de</strong>s opinions et leur affrontement... Le principe <strong>de</strong> la<br />

rencontre et du dialogue s’il implique le refus du dogmatisme <strong>de</strong> la vérité unique ou du parti unique<br />

ou <strong>de</strong> la famille spirituelle unique n’implique pas pour autant la reconnaissance du droit <strong>de</strong> n’importe<br />

quelle opinion à équivaloir n’importe quelle autre. [...] Le dialogue suppose une base commune :<br />

cette base, la FF<strong>MJC</strong> la voit d<strong>ans</strong> l’acceptation <strong>de</strong> l’esprit coopératif. Qui n’accepte pas cela ne peut<br />

dialoguer valablement d<strong>ans</strong> une <strong>MJC</strong>... Il y a s<strong>ans</strong> doute quelque difficulté à maintenir une tension<br />

fécon<strong>de</strong> entre les <strong>de</strong>ux exigences... Orientées par la seule exigence <strong>de</strong> la rencontre et du dialogue,<br />

les <strong>MJC</strong> ne seraient en effet que <strong>de</strong>s auberges et les directeurs <strong>de</strong>s hôteliers. Orientées par la seule<br />

exigence <strong>de</strong> la coopération, les <strong>MJC</strong> pourraient vite glisser sur la pente <strong>de</strong> l’intégration et <strong>de</strong><br />

l’enrégimentement (<strong>de</strong> gauche ou <strong>de</strong> droite). La logique <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux exigences doit être<br />

corrigée par celle <strong>de</strong> l’autre”. Michel Amiot, Les jeunes et les adultes , supplément à Pas à pas n°<br />

164, 2 ème trimestre 1966 (p. 16-17).


- 284 -<br />

<strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> ne se laissent pas enfermer d<strong>ans</strong> le secteur limité <strong>de</strong>s loisirs, spontanément<br />

pratiquées par les jeunes : activités sportives, <strong>de</strong> rencontre, <strong>de</strong> pleine nature, foyer, soirées<br />

récréatives et surprise-parties... Les “Maisons <strong>de</strong>s Jeunes”, comme on les dénomme couramment à<br />

ce moment-là, sont et veulent être <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. D<strong>ans</strong> les années 50<br />

déjà, la revue Pas à pas se veut une revue culturelle incitant au développement d’activités culturelles<br />

d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, auprès <strong>de</strong>s jeunes qui n’y ont pas “spontanément accès”. La tendance se confirme<br />

d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>. On y traite à la fois <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong>s autres civilisations, <strong>de</strong> cinéma, <strong>de</strong><br />

poésie, <strong>de</strong> théâtre, <strong>de</strong> musique, d’échanges culturels internationaux, d’arts plastiques, <strong>de</strong> littérature...<br />

Malgré la tentative du nouveau Ministère <strong>de</strong> la Culture, qui est <strong>de</strong> cantonner les <strong>MJC</strong> à la<br />

jeunesse pour réserver la culture aux Maisons <strong>de</strong> la Culture 1 , les <strong>MJC</strong> ne cesseront <strong>de</strong> pratiquer et<br />

revendiquer une polyvalence s<strong>ans</strong> limite <strong>de</strong> leurs activités d<strong>ans</strong> les domaines du loisir, <strong>de</strong> la<br />

formation, <strong>de</strong> la création, et <strong>de</strong> la diffusion. Le titre d’un <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> Lucien Trichaud, alors<br />

délégué général et rédacteur en chef <strong>de</strong> la revue Pas à pas, est significatif : “De la jeunesse à la<br />

culture” 2 , rappelant par là que la <strong>MJC</strong> est bien polyvalente, tant d<strong>ans</strong> ses activités que d<strong>ans</strong> les<br />

publics accueillis. La différence fondamentale avec la Maison <strong>de</strong> la Culture - et c’est s<strong>ans</strong> doute cela<br />

l’éducation populaire - c’est que pour la FF<strong>MJC</strong>, la culture ne se limite pas aux beaux-arts, que toute<br />

discipline artistique peut faire l’objet d’une appropriation par le faire et pas seulement par le voir, que<br />

la culture ainsi conçue et pratiquée entre nécessairement d<strong>ans</strong> la formation du citoyen et concourt<br />

au développement communautaire à condition, comme c’est le cas d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, que cette culture<br />

soit acquise d<strong>ans</strong> une structure favorisant la décision collective, la participation, la prise <strong>de</strong><br />

responsabilité. Ainsi la FF<strong>MJC</strong> se préoccupe-t-elle tout autant et même s<strong>ans</strong> doute plus, <strong>de</strong>s<br />

conditions structurelles <strong>de</strong> la pratique culturelle que <strong>de</strong>s contenus artistiques et <strong>de</strong> leur valeur<br />

esthétique. Comme on le rappelle à l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux 3 , “il n’y a pas <strong>de</strong> maisons <strong>de</strong>s<br />

jeunes : il y a <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture”. Il faut donc que la FF<strong>MJC</strong> ai<strong>de</strong> les <strong>MJC</strong> à<br />

développer leur action culturelle, et c’est la fonction du service culturel déjà mis en place dix années<br />

auparavant.<br />

Cet engagement concret d<strong>ans</strong> une forme originale d’action culturelle qui tend à privilégier la<br />

promotion sociale et politique <strong>de</strong>s publics plutôt que celle <strong>de</strong>s oeuvres, conduit les <strong>MJC</strong>, pourtant<br />

historiquement premières, à ne pas voir d<strong>ans</strong> les Maisons <strong>de</strong> la Culture une concurrence déloyale et<br />

inopportune mais bien une complémentarité. Plutôt que d’entrer en concurrence avec ces futures<br />

cathédrales du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, il faut oeuvrer pour la synergie entre <strong>MJC</strong> et Maisons <strong>de</strong> la Culture :<br />

1 A la fin <strong>de</strong>s années 50, la FF<strong>MJC</strong> aurait reçu une lettre du tout jeune Ministère <strong>de</strong> la Culture lui<br />

<strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> supprimer le mot “culture” à <strong>MJC</strong> et ce d<strong>ans</strong> le souci d’éviter toute confusion entre<br />

Maison <strong>de</strong> la Culture et Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture. La FF<strong>MJC</strong> n’accepta pas et le Ministère<br />

<strong>de</strong> la Culture n’insista pas.<br />

2 Pas à pas n° 162, mars 1966, p. 2 et suivantes.<br />

3 Les 13-14-15 mai 1967. Rapport <strong>de</strong> la Commission n° 8, “Action culturelle”, p. 1.


- 285 -<br />

“Dès maintenant, il n’est plus question <strong>de</strong> modifier notre titre ni notre action et il semble acquis<br />

que d<strong>ans</strong> les petites villes et les localités plus mo<strong>de</strong>stes, la <strong>MJC</strong> sera considérée par le<br />

Ministère <strong>de</strong> la Culture comme son point d’appui... Si d<strong>ans</strong> une très gran<strong>de</strong> cité, une Maison<br />

<strong>de</strong> la Culture est toutefois créée parallèlement à une <strong>MJC</strong>, nul doute que leurs positions<br />

respectives et leurs fonctions réciproques ne soient aisément établies : <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés une<br />

même volonté loyale, confiante et efficace nous assure que seront trouvées les meilleures<br />

solutions pour les unes et pour les autres” 1 .<br />

C’est que s<strong>ans</strong> doute les enjeux <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> leur ministère <strong>de</strong> tutelle ne sont<br />

pas explicitement les mêmes que ceux <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, quoique certaines <strong>de</strong> leurs pratiques se<br />

ressemblent à s’y méprendre. Les enjeux esthétiques et <strong>de</strong> communion fusionnelle <strong>de</strong> l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s hommes d<strong>ans</strong> les oeuvres, qui caractérisent le projet <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture, tranchent avec<br />

les objectifs plus clairement politiques et engagés <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture qui<br />

apparaissent déjà, par la dynamique <strong>de</strong> confrontation qu’elles mettent en jeu, comme <strong>de</strong>s espaces<br />

<strong>de</strong> revendication, voire <strong>de</strong> contestation. Et il est vrai que, d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, elles enfourchaient<br />

déjà quelques chevaux <strong>de</strong> bataille : la guerre d’Algérie d’abord, la liberté d’expression 2 , la<br />

revendication <strong>de</strong> la majorité à 18 <strong>ans</strong> 3 , avant d’être considérées, aux grands moments <strong>de</strong> 1968,<br />

comme <strong>de</strong>s repaires <strong>de</strong> gauchistes.<br />

2 - Conditions et atouts d’un développement<br />

Des déterminations sociales profon<strong>de</strong>s ainsi que <strong>de</strong>s atouts historiques et structurels, hérités <strong>de</strong>s<br />

années <strong>de</strong> maturation, expliquent que d<strong>ans</strong> ces années <strong>60</strong> se développe jour après jour une<br />

institution, qui n’était pas promise au fulgurant <strong>de</strong>stin annoncé <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> la Culture, mais qui,<br />

pourtant, s’étend en un maillage particulièrement <strong>de</strong>nse <strong>de</strong> structures. Pourquoi en effet ce<br />

formidable développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à cette pério<strong>de</strong> précise ? Quel est le faisceau <strong>de</strong>s conditions qui<br />

sont réunies pour qu’une institution se développe brutalement à un tel rythme ?<br />

a) les conditions sociales<br />

Les raisons invoquées par les acteurs comme autant <strong>de</strong> justifications à cet accroissement ont<br />

effectivement <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments objectifs. D<strong>ans</strong> son mouvement séculaire, l’urbanisation connait un vif<br />

accroissement entre 1954 et 1968. L’augmentation moyenne passe <strong>de</strong> 0,9% par an entre 1851 et<br />

1954 à 2,5% par an entre 1954 et 1968 4 . Par contre, le recensement <strong>de</strong> 1982 permet <strong>de</strong> constater<br />

1 Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblé générale <strong>de</strong> Paris (21 mai 1961), p. 11.<br />

2 A propos <strong>de</strong> l’interdiction du film “La religieuse”, l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes (28-29-30 mai<br />

1966) vote une motion sur la liberté d’expression à l’unanimité <strong>de</strong>s <strong>60</strong>0 votants moins 2 voix<br />

contre et 9 abstentions.<br />

3 Également à l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes (compte-rendu, p. 32 et suivantes).<br />

4 Données sociales 1984, p. 234.


- 286 -<br />

l’arrêt <strong>de</strong> la croissance urbaine, phénomène amorcé au cours <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> 1968-75 et qui prend<br />

déjà les formes d’un net ralentissement. N’y a-t-il pas là une correspondance très nette avec le<br />

rythme <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ? Ne peut-on pas conclure <strong>de</strong> la simple correspondance à la<br />

détermination quand on sait que le développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> par région est lié à l’industrialisation,<br />

l’agglomération et l’urbanisation? Les <strong>MJC</strong> auraient ainsi mission <strong>de</strong> faciliter l’intégration <strong>de</strong> la<br />

population - notamment <strong>de</strong>s jeunes - brutalement tr<strong>ans</strong>plantée d<strong>ans</strong> le tissu urbain, style ville<br />

nouvelle.<br />

Et précisément, les années <strong>60</strong> correspon<strong>de</strong>nt à un pério<strong>de</strong> marquée par la “montée” <strong>de</strong>s jeunes<br />

et <strong>de</strong>s classes d’âge non actives. Là encore, la courbe d’évolution est claire : les 0-24 <strong>ans</strong> sont<br />

37,7% <strong>de</strong> la population en 1946, 38,1% en 1954, 39,1% en 1962, 40,9% en 1968, 40,8% en 1973,<br />

40,2% en 1975, 38,6% en 1979, 38,4% en 1983 1 . L’arrivée massive <strong>de</strong> ces jeunes d<strong>ans</strong> les années<br />

<strong>60</strong> correspond évi<strong>de</strong>mment au “boum” démographique <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 40. Il y a plus <strong>de</strong> jeunes<br />

d<strong>ans</strong> les villes nouvelles, ou nouvellement tr<strong>ans</strong>plantés d<strong>ans</strong> les villes. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes<br />

<strong>de</strong>vient un outil <strong>de</strong> socialisation. De culture aussi, car, d<strong>ans</strong> le même temps, le nombre <strong>de</strong> bacheliers<br />

fait plus que tripler, et celui <strong>de</strong>s étudiants plus que doubler 2 .<br />

En même temps, il y a une nette baisse en pourcentage <strong>de</strong> la population active d<strong>ans</strong> les années<br />

<strong>60</strong> (45,4% en 1954, 42,5% en 1962, 41,6% en 1968 3 ) si bien que la charge <strong>de</strong>s actifs <strong>de</strong>vient plus<br />

lour<strong>de</strong> alors que les non-actifs sont plus nombreux. L’équipement collectif, notamment d’éducation et<br />

<strong>de</strong> loisirs, apparait comme un palliatif <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> cette évolution. On remarque qu’effectivement, la<br />

croissance <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong>s loisirs est nette dès la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, d’une manière<br />

absolue, mais aussi relativement aux autre secteurs. En 1980, son rythme <strong>de</strong> progression vient juste<br />

après celui <strong>de</strong> la santé ; elle gagne 1,1 point <strong>de</strong> 1959 à 1982, alors que l’alimentation perd 14,7<br />

points d<strong>ans</strong> le même temps 4 .<br />

Evi<strong>de</strong>mment, toute consommation <strong>de</strong> loisirs ne passe pas par les <strong>MJC</strong>, loin s’en faut, mais on a<br />

pu remarquer que, pour une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s pratiques socio-culturelles, le mouvement <strong>de</strong> masse<br />

fut lancé d<strong>ans</strong> ce type <strong>de</strong> structures (d<strong>ans</strong>e jazz, mo<strong>de</strong>rne, gymnastique douce, arts martiaux,<br />

expression corporelle, ateliers musicaux, théâtre, photo...) avant <strong>de</strong> se développer d<strong>ans</strong> le marché<br />

privé 5 .<br />

Autre phénomène d’importance pour comprendre le développement <strong>de</strong>s structures socio-<br />

1 Ibid. p. 6.<br />

2 Ibid. p. 478-479. S’agissant <strong>de</strong>s bacheliers, la pointe <strong>de</strong> 1968 est, en partie, à mettre au compte <strong>de</strong>s<br />

conditions particulières d’examen, liées aux évènements.<br />

3 Ibid. p. 26.<br />

4 Données sociales 1984, p. 285-286.<br />

5 A notre connaissance, il n’existe aujourd’hui aucune étu<strong>de</strong> sur l’origine et le développement<br />

institutionnel du loisir <strong>de</strong> masse.


- 287 -<br />

culturelles d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> et notamment <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : la montée <strong>de</strong>s classes moyennes salariées.<br />

L’addition <strong>de</strong>s professions libérales, <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>s supérieurs et <strong>de</strong>s cadres moyens connait une<br />

progression fulgurante <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années 50 : ils représentent 9% <strong>de</strong>s actifs en 1954 et<br />

23% en 1981. D<strong>ans</strong> cet ensemble, les cadres moyens (ancienne nomenclature <strong>de</strong> l’INSEE) sont<br />

passés <strong>de</strong> 6% <strong>de</strong>s actifs à 15%. La représentation graphique <strong>de</strong> cette évolution est claire. Alors que<br />

<strong>de</strong> 1968 à 1981 les ouvriers, les personnels <strong>de</strong> service, les patrons <strong>de</strong> l’industrie et du commerce,<br />

les agriculteurs et les salariés agricoles sont en stagnation ou en diminution, les autres professions<br />

ne cessent d’augmenter, notamment les cadres moyens (+4,2%) 1 . Cette évolution sociale largement<br />

amorcée au début <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> emporte vraisemblablement, et dès cette même pério<strong>de</strong>, les <strong>MJC</strong><br />

vers <strong>de</strong> nouvelles <strong>de</strong>stinées : l’accueil et la promotion <strong>de</strong> ces nouvelles classes moyennes qui<br />

trouveront d<strong>ans</strong> ces structures ouvertes et inventives <strong>de</strong> quoi étancher une soif <strong>de</strong> loisirs, <strong>de</strong><br />

reconnaissance et <strong>de</strong> légitimité que <strong>de</strong>s structures soit plus culturelles (musées, Maisons <strong>de</strong> la<br />

Culture, centre culturels), soit carrément à vocation sociale (centre sociaux tournés vers les<br />

populations plus défavorisées), ne peuvent satisfaire. De ce point <strong>de</strong> vue, bien plus que le chiffre <strong>de</strong><br />

32% d’ouvriers masculins, et 12% pour les femmes, touchés par la <strong>MJC</strong>, ce sont les 37% <strong>de</strong><br />

garçons, étudiants et scolaires, et les 43% <strong>de</strong> filles <strong>de</strong> la même catégorie 2 qui importent : ils sont les<br />

classes moyennes <strong>de</strong> <strong>de</strong>main qui investiront ces espaces sociaux, et bien d’autres, et qui accè<strong>de</strong>ront<br />

majoritairement aux instances <strong>de</strong> décision <strong>de</strong> ces structures avant, pour certains d’entre eux, d’aller<br />

frapper aux portes du pouvoir municipal.<br />

b) les limites <strong>de</strong>s appareils traditionnels d’intégration sociale<br />

La société française <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 50 se trouve donc confrontée à <strong>de</strong>s recompositions<br />

sociales accélérées (urbanisation, montée <strong>de</strong>s classe d’âge non actives, montée <strong>de</strong>s classes<br />

moyennes salariées, tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s tendances <strong>de</strong> la consommation, phénomènes<br />

migratoires internes et externes au territoire) alors que, précisément, les appareils traditionnels<br />

d’intégration sociale sont en crise ou ne peuvent plus répondre à <strong>de</strong> nouvelles exigences.<br />

On assiste notamment à une baisse brutale <strong>de</strong>s pratiques religieuses. L’extension du temps <strong>de</strong><br />

scolarisation obligatoire jusqu’à seize <strong>ans</strong> met à mal l’apprentissage, qui correspondait à un espace<br />

d’initiation, <strong>de</strong> passage à l’état adulte et d’intégration socio-professionnelle.<br />

D<strong>ans</strong> ce contexte <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formations accélérées, la famille, première structure d’intégration<br />

sociale, est, elle-même, en pleine évolution. La population féminine active ne cesse <strong>de</strong> croître <strong>de</strong>puis<br />

les années <strong>60</strong>. L’urbanisation rapi<strong>de</strong> provoque un recul <strong>de</strong> la famille traditionnelle - par exemple<br />

communautaire d<strong>ans</strong> le Sud-Ouest - et la généralisation <strong>de</strong> la famille mono-nucléaire. S’agissant du<br />

divorce, <strong>de</strong> 1885 jusqu’au milieu <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, le nombre annuel s’est accru lentement, selon une<br />

1 Données sociales 1984, p. 39.<br />

2 Pourcentages pour l’année 1962. Assemblée générale <strong>de</strong> Nancy, 1-2-3 juin 1963 (rapport d’activité,<br />

p. 24).


- 288 -<br />

tendance linéaire assez régulière. Mais à partir <strong>de</strong> 1964, la croissance <strong>de</strong>vient beaucoup plus rapi<strong>de</strong><br />

pour s’accélérer encore d<strong>ans</strong> les années 70 1 .<br />

L’école <strong>de</strong> son côté, même si elle touche la quasi-totalité <strong>de</strong>s jeunes jusqu’à 16 <strong>ans</strong> et un grand<br />

nombre d’entre eux jusqu’à 20 <strong>ans</strong>, n’apparaît pas comme un espace d’intégration sociale<br />

parfaitement fiable, compte tenu <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement et d’encadrement : elle laisse<br />

autour d’elle <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> plus en plus larges <strong>de</strong> temps libre 2 , qu’elle essayera timi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

combler 3 , d<strong>ans</strong> les années 70, avec la création <strong>de</strong> foyers socio-éducatifs. D<strong>ans</strong> cet espace <strong>de</strong> temps<br />

libre, les mouvements péri-scolaires comme la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement jouent un rôle important,<br />

cependant très limité à l’action ponctuelle et aux loisirs péri- et post-scolaires.<br />

D<strong>ans</strong> un tel contexte, les <strong>MJC</strong> n’apparaissent-elles pas comme ces nouvelles institutions<br />

d’intégration sociale et <strong>de</strong> passage initiatique à l’âge adulte ? Leur projet pédagogique,<br />

essentiellement centré sur la jeunesse d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> 4 , permet <strong>de</strong> mettre en place <strong>de</strong>s<br />

pratiques originales <strong>de</strong> formation civique, <strong>de</strong> responsabilisation, <strong>de</strong> développement d’aptitu<strong>de</strong>s<br />

individuelles et collectives. Le conseil <strong>de</strong> maison où le jeune adhérent fait sa première expérience <strong>de</strong><br />

la responsabilité sera en effet, pendant longtemps, la structure <strong>de</strong> base <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, l’école élémentaire<br />

<strong>de</strong> la vie sociale et démocratique. Et on pourra dire que beaucoup <strong>de</strong> ces jeunes jetés d<strong>ans</strong> un<br />

mon<strong>de</strong> en rapi<strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation, ont désormais <strong>de</strong>ux maisons : la leur et la <strong>MJC</strong>, formule que l’on<br />

retrouve d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreux textes <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> pendant cette pério<strong>de</strong>.<br />

Ainsi et rapi<strong>de</strong>ment dit, les <strong>MJC</strong> d’un côté et les Maisons <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> l’autre, apparaissent<br />

comme ces nouvelles institutions d’intégration et d’unification nationale, face aux effets <strong>de</strong>s<br />

tr<strong>ans</strong>formations sociales et aux limites <strong>de</strong>s appareils d’intégration traditionnels, les unes (les <strong>MJC</strong>)<br />

comme structures d’encadrement <strong>de</strong> la jeunesse 5 , les autres (les Maisons <strong>de</strong> la Culture) comme<br />

“nouvelles cathédrales <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes” 6 .<br />

1 Données sociales 1984, p. 428.<br />

2 La population scolaire est <strong>de</strong> moins en moins interne et <strong>de</strong> plus en plus externe ou <strong>de</strong>mi-pensionnaire.<br />

3 Il y a une allergie certaine chez <strong>de</strong> nombreux enseignants (notamment les plus diplômés, capésiens et<br />

agrégés) à remplir ce rôle éducatif que, régulièrement, on tente <strong>de</strong> leur proposer. Cela s’est<br />

particulièrement bien vu au moment <strong>de</strong> la tentative <strong>de</strong> rénovation <strong>de</strong>s collèges (Rapport Legrand),<br />

et précisément sur la question du tutorat.<br />

4 A la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, et surtout d<strong>ans</strong> les années 70, on assiste à un net basculement idéologique<br />

et aussi praxéolologique du générationnel (la jeunesse) au spatial (le local, l’environnement),<br />

basculement qui correspond au passage éducation populaire/animation socio-culturelle (voir<br />

l’évolution sémantique <strong>de</strong> la revue <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, Pas à pas).<br />

5 C’est bien à propos <strong>de</strong> la question <strong>de</strong>s blousons noirs qu’Herzog incite les municipalités à créer <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>.<br />

6 Sur les notions <strong>de</strong> consensus et <strong>de</strong> salut culturel, voir P. Gaudibert : L’action culturelle : intégration<br />

et/ou subversion ?, Casterman Poche, 1973.


- 289 -<br />

c) références aux origines et projet <strong>de</strong> société<br />

Les conditions sociales et la crise <strong>de</strong>s appareils traditionnels d’intégration sociale n’expliquent<br />

pas, à elles seules, le formidable développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>. Pourquoi par<br />

exemple plutôt les <strong>MJC</strong> que les foyers Léo-Lagrange ?<br />

Ici l’explication passe par une volonté politique qui a, elle aussi, sa propre logique. Essayons <strong>de</strong><br />

comprendre pourquoi le gaullisme par l’intermédiaire <strong>de</strong> son Haut Commissariat à la Jeunesse et<br />

aux Sports dirigé par Maurice Herzog fait le choix <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> pour développer sa politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>.<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture bénéficient d’une bonne référence historique liée à la<br />

Résistance, au programme du C.N.R. et au Prési<strong>de</strong>nt-fondateur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, André Philip. L’origine<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> fonctionne ici comme un mythe fondateur, positif et sélectif. La légitimité historique qui est<br />

en oeuvre, est celle <strong>de</strong> la Résistance d<strong>ans</strong> le Vercors, puis <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes. Face à<br />

cela, les autres institutions ou mouvements <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire ne bénéficient pas<br />

<strong>de</strong>s mêmes atouts.<br />

La référence à Léo Lagrange, et aux foyers du même nom, est empreinte d’une partialité<br />

socialisante, d’autant qu’on ne masque pas son projet <strong>de</strong> société. la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement,<br />

malgré son projet <strong>de</strong> foyer <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire, reste très liée à l’école, à un<br />

discours “laï card” qui apparait souvent dépassé et sectaire. Les mouvements <strong>de</strong> jeunesse, dont<br />

certains sont marqués par <strong>de</strong>s positions confuses pendant la collaboration, prennent difficilement en<br />

compte les nouvelles aspirations <strong>de</strong> la jeunesse, et n’ont pas <strong>de</strong> politique novatrice en matière<br />

institutionnelle et pédagogique. Peuple et Culture apparait plus comme un laboratoire<br />

d’expérimentation, <strong>de</strong> formation et <strong>de</strong> recherche que comme un mouvement <strong>de</strong> masse et <strong>de</strong> terrain.<br />

Les foyers ruraux, pourtant en plein développement, agissent d<strong>ans</strong> le seul espace rural alors que les<br />

difficultés sociales sont surtout urbaines. Quant aux centres sociaux, ils s’adressent essentiellement<br />

aux familles et pas spécialement à la jeunesse ; leur basculement socio-culturel <strong>de</strong>s années 70, et<br />

leur rapprochement du domaine <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle, se feront d<strong>ans</strong> un autre contexte<br />

socio-politique.<br />

Le <strong>de</strong>uxième atout <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, c’est un projet <strong>de</strong> société qui se manifeste d<strong>ans</strong> leur pratique<br />

quotidienne et institutionnelle : la cogestion, le partenariat, la tolérance, le respect <strong>de</strong>s règles<br />

démocratiques et collectives, la responsabilisation, la laï cité ouverte, autant <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong><br />

pratiques qui <strong>de</strong>vraient favoriser une société participative et le dépassement <strong>de</strong>s affrontements <strong>de</strong><br />

classe. Le film <strong>de</strong> présentation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, “Les trois messieurs”, d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, met en scène<br />

trois personnes <strong>de</strong> classes différentes, isolées d<strong>ans</strong> leur appartement respectif, et qui se rencontrent<br />

par bonheur d<strong>ans</strong> la <strong>MJC</strong>, zone franche <strong>de</strong> tout affrontement violent. De plus, cette pratique<br />

participative est concrète ; elle passe par la gestion associative d’équipements collectifs, d<strong>ans</strong><br />

laquelle le directeur a la double fonction d’éducateur et <strong>de</strong> directeur et convient bien à la politique <strong>de</strong><br />

développement <strong>de</strong>s équipements collectifs du début <strong>de</strong> la cinquième République.


- 290 -<br />

L’organisation fédérative nationale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, leur polyvalence, leur pragmatisme, qui passe par<br />

<strong>de</strong>s services concrets et quotidiens rendus à la population, sont autant d’atouts supplémentaires<br />

d’une instituion qui, malgré les difficultés, s’est par ailleurs dotée très tôt <strong>de</strong> dispositfs utiles pour les<br />

acteurs <strong>de</strong> terrain : édition, service culturel, équipement, urbanisme et aménagement, matériel et<br />

documentation, échanges internationaux, formation et gestion du personnel. Rappelons-le, parmi<br />

tous ces dispositifs, le recrutement, la formation et la gestion nationale <strong>de</strong> personnels capables <strong>de</strong><br />

remplir à la fois les fonctions éducatives et gestionnaires, sont l’atout essentiel <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : les<br />

directeurs en poste et en formation, la présence <strong>de</strong>s délégués - certes encore peu nombreux - sont<br />

la garantie d’une pérennisation <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong>s structures ; ils consitueront la colonne vertébrale du<br />

développement et <strong>de</strong> la consolidation <strong>de</strong> l’ensemble institutionnel.<br />

Les conditions sociales et politiques sont donc réunies, au début <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, pour que les<br />

<strong>MJC</strong> se développent. Elles ne sont pas seulement nécessaires ; elles sont légitimes, estampillées<br />

du sceau <strong>de</strong> la légitimité gouvernementale, s<strong>ans</strong> pour autant apparaître, <strong>de</strong> par leur discours et leur<br />

fonctionnement, comme inféodées à une idéologie quelconque. D’autre part, l’efficacité <strong>de</strong> leur<br />

action, pourtant encore mo<strong>de</strong>ste en raison <strong>de</strong> leur implantation à la fin <strong>de</strong>s années 50, leur donne du<br />

crédit.<br />

Nous verrons comment cette légitimité éclatera à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>. Des hommes se<br />

sépareront, et les institutions s’affronteront. Les <strong>MJC</strong> auront alors besoin <strong>de</strong> tout leur crédit, <strong>de</strong> leur<br />

organisation militante et professionnelle, locale et nationale, pour résister puis reprendre le chemin<br />

d’un certain développement.<br />

3 - La constitution d’un Etat d<strong>ans</strong> l’Etat ?<br />

“Il est possible que l’administration éprouve quelque crainte à cause <strong>de</strong> notre extension : la<br />

Fédération risque <strong>de</strong> se laisser dépasser, la Fédération risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un Etat d<strong>ans</strong> l’Etat, etc...<br />

Qu’on se rassure. Si l’on nous donne les moyens nécessaires, nous saurons réaliser la<br />

déconcentration et la décentralisation qui s’imposent” 1 . Certains ne retiendront que le premier aspect<br />

: croissance prodigieuse, institution “trop gâtée”, développement “impérialiste”, “en vase clos comme<br />

si [la FF<strong>MJC</strong>] était seule au mon<strong>de</strong>... revendiquant pour elle le monopole quasi-absolu <strong>de</strong> l’éducation<br />

populaire... <strong>de</strong>mandant une concession <strong>de</strong> service public”... 2 D’autres retiendront surtout une<br />

décentralisation imposée par l’Etat, réalisée avec <strong>de</strong>s moyens considérablement réduits.<br />

Il est vrai que la FF<strong>MJC</strong> connait d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> un développement fulgurant que certains<br />

ressentent comme arrogant voire totalitaire. De 1958 à 1968, le budget <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports<br />

1 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes (28-29-30 mai 1966), p. 8 et 9.<br />

2 Jeunesse-Education, dossier n° 362, décembre 1969, p. 2, qui reprend ce que l’on entend<br />

régulièrement à ce moment-là.


- 291 -<br />

a été multiplié par 14 ; la FF<strong>MJC</strong> à elle seule reçoit la moitié <strong>de</strong>s subventions allouées aux<br />

organisations <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire ; ses responsables entretiennent <strong>de</strong>s relations<br />

privilégiées avec le pouvoir : Olivier Philip, fils d’André Philip, Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, est chef <strong>de</strong><br />

cabinet <strong>de</strong> Maurice Herzog ; <strong>de</strong> là à penser que les projets <strong>de</strong> lois <strong>de</strong> financement et d’équipement<br />

sont élaborés à la FF<strong>MJC</strong>… 1<br />

L’Institution tisse sa toile : 262 <strong>MJC</strong> en 19<strong>60</strong>, 293 en 1961, 350 en 1962, 455 en 1963, 505 en<br />

1964, 784 en 1966, 1.030 en 1967, près <strong>de</strong> 1.200 en 1968. La progression régulière s’accélère<br />

considérablement à partir <strong>de</strong> 1965, pour prendre jusqu’en 1968 un rythme galopant. Les graphiques<br />

élaborés par le bureau d’étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> 2 mettent en évi<strong>de</strong>nce cette progression, ainsi que celle<br />

<strong>de</strong>s subventions d’Etat et du nombre <strong>de</strong>s directeurs-éducateurs. A la différence <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong>s<br />

structures, ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières progressions connaissent un rythme régulier mais encore mo<strong>de</strong>ste<br />

jusqu’en 1963-64, une accélération assez remarquable jusqu’en 1966, puis un évolution réelle mais<br />

moins soutenue jusqu’en 1968. A partir <strong>de</strong> 1966, la croissance du montant <strong>de</strong>s subventions et du<br />

nombre <strong>de</strong>s directeurs ne suit plus celle <strong>de</strong> la création <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. L’avenir <strong>de</strong>vient alors <strong>de</strong> toute<br />

évi<strong>de</strong>nce moins radieux.<br />

Mais revenons un peu plus d<strong>ans</strong> le détail sur ce développement. Suite aux prises <strong>de</strong> position<br />

publiques <strong>de</strong> M. Maurice Herzog, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont un peu partout en projet et <strong>de</strong> nombreuses<br />

municipalités désirent créer la leur. Une soixantaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s, rappelons-le, d<strong>ans</strong> la semaine qui<br />

suit l’interview donnée au journal Le Mon<strong>de</strong> par le Haut Commissaire à la Jeunesse et aux Sorts. Le<br />

besoin <strong>de</strong> directeurs permanents se fait également sentir : les services fédéraux signalent en avril<br />

1959 que 32 nouveaux professionnels sont nécessaires ; en février 19<strong>60</strong>, ce chiffre monte à 40 ; en<br />

juin 19<strong>60</strong>, il est <strong>de</strong> 56 3 .<br />

A partir <strong>de</strong> ce moment-là, la FF<strong>MJC</strong> se prend à rêver. Persuadés qu’ils mettent au service <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire un instrument qui parait correspondre, mieux que tout autre, aux besoins<br />

locaux, les responsables fédéraux s’efforcent <strong>de</strong> répondre d<strong>ans</strong> les meilleurs délais et conditions aux<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s jeunes, <strong>de</strong>s municipalités urbaines et rurales, chaque jour plus nombreuses : “Nous<br />

<strong>de</strong>vons faire face à ces <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s ; nous <strong>de</strong>vons à tout prix suivre cet essor. Il faut avoir les moyens<br />

<strong>de</strong> cette action, car ce qui existe aujourd’hui n’est que l’embryon <strong>de</strong> l’institution que la Direction <strong>de</strong>s<br />

Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse et d’Education populaire se proposait en, 1945 <strong>de</strong> développer sur le<br />

1 “C’est vrai que d<strong>ans</strong> le Haut Comité à la jeunesse et aux Sports, nous jouions un rôle important,<br />

jouissions d’un certain prestige et bénéficiions d’une attention toute particulière <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />

Maurice Herzog. La politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l’éducation populaire s’élaborait là. Mais la FF<strong>MJC</strong><br />

n’était pas seule. Il y avait les autres gran<strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire,<br />

Pierre Mauroy par exemple pour la Fédération Léo-Lagrange”. Entretien avec Lucien Trichaud.<br />

2 Rapport moral pour l’assemblée générale, qui <strong>de</strong>vait se dérouler à Vichy les 1 er et 2 juin 1968, et qui<br />

eut lieu à Grenoble les 10-11 novembre 1968 (p. 22).<br />

3 Assemblée générale <strong>de</strong> Chambéry (4-6 juin 19<strong>60</strong>).


territoire français” 1 .<br />

- 292 -<br />

En 1961, les rapports <strong>de</strong>s délégués régionaux totaliseraient 220 projets nouveaux. Et la<br />

prospective va bon train. On avance en effet le nombre <strong>de</strong> 6 <strong>MJC</strong> pour 9.000 logements, c’est à dire<br />

pour quelque 36.000 personnes, soit une maison pour 6.000 habitants. Pour les 976 communes<br />

comptant plus <strong>de</strong> 5.000 habitants en 1954, il faudrait donc créer 3.540 <strong>MJC</strong> urbaines. Pour les<br />

37.000 autres comptant moins <strong>de</strong> 5.000 habitants, en estimant qu’il faille au moins une maison pour<br />

4 communes, cela nous conduit à 9.300 maisons rurales, soit au total plus <strong>de</strong> 13.000 <strong>MJC</strong>. Ces<br />

chiffres sont avancés par la FF<strong>MJC</strong> et l’on propose que ce vaste programme “soit réalisé d<strong>ans</strong> un<br />

délai qui ne saurait guère dépasser dix années” 2 .<br />

Il y a du chemin entre les besoins estimés, le rythme d’implantation souhaitable et un plan <strong>de</strong><br />

développement plus réaliste, plus conforme aux moyens publics et aux capacités fédératives. En<br />

1963, on va vers les 400 maisons affiliées et on affilie 10 à 12 maisons nouvelles par mois. Cent<br />

cinquante équipements nouveaux seront construits avant la fin du plan. Et une étu<strong>de</strong> plus sérieuse<br />

du centre fédéral que celle qui ne prendrait en compte que les seuls besoins, laisse à penser que<br />

l’on atteindra “un total <strong>de</strong> 550 <strong>MJC</strong> en 1964-65, 750 en 1966, plus <strong>de</strong> mille en 1967” 3 , chiffres<br />

finalement assez conformes au développement réel mis en évi<strong>de</strong>nce plus haut.<br />

En 1964, la FF<strong>MJC</strong> a affilié 100 <strong>MJC</strong>. A ce moment-là, la répartition géographique par académie<br />

est toujours aussi inégale. L’académie <strong>de</strong> Paris arrive largement en tête avec 75 <strong>MJC</strong> suivie <strong>de</strong><br />

l’académie <strong>de</strong> Grenoble (50 <strong>MJC</strong>), <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Strasbourg (49 <strong>MJC</strong>), <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong><br />

Toulouse (46 <strong>MJC</strong>). Au milieu du tableau, on compte l’académie <strong>de</strong> Caen (24 <strong>MJC</strong>), les académies<br />

<strong>de</strong> Rennes et d’Orlé<strong>ans</strong> (22 <strong>MJC</strong>), l’académie <strong>de</strong> Lyon (20 <strong>MJC</strong>), l’académie <strong>de</strong> Nancy (19 <strong>MJC</strong>),<br />

l’académie <strong>de</strong> Besançon (14 <strong>MJC</strong>). En queue <strong>de</strong> peloton arrivent les académies <strong>de</strong> Dijon (9 <strong>MJC</strong>),<br />

<strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux et <strong>de</strong> Clermont-Ferrand (8 <strong>MJC</strong> chacune), les académies d’Aix-Marseille (7 <strong>MJC</strong>), <strong>de</strong><br />

Rennes (3 <strong>MJC</strong>) et <strong>de</strong> Nantes (2 <strong>MJC</strong>).<br />

D<strong>ans</strong> le même temps, la création <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> directeurs, le recrutement et la formation du<br />

personnel permanent suivent une courbe <strong>de</strong> plus en plus ascendante : 13 directeurs formés en<br />

1959-<strong>60</strong> (plus 4 Africains et un Marocain), 15 en 19<strong>60</strong>-61 (plus 3 Tunisiens et 2 Suisses), 13 en<br />

1962-63 (plus 10 directeurs <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong> prévention), 20 en 1962-63 (plus 4 Nigériens et 10<br />

directeurs <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong> prévention), 50 en 1963-64 en <strong>de</strong>ux stages (plus 5 Tunisiens, 4 Nigériens, 4<br />

Centre-Africains, un Marocain), 65 en 1964-65 (plus 6 Tunisiens). En juin 1965, les directeurs sont<br />

au nombre <strong>de</strong> 379 (200 permanents, 117 semi-permanents, 62 stagiaires) et on estime que pour<br />

l’année, il en faudrait 80 <strong>de</strong> plus. Les maisons se créent à un tel rythme que ni les financements ni la<br />

1 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Paris (21 mai 1961), p. 17.<br />

2 Ibid. p. 17-18-19.<br />

3 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong>s 1-2-3 juin 1963 à Nancy, p. 4.


- 293 -<br />

formation ne peuvent suivre. Un fait encourageant cependant : l’information est maintenant mieux<br />

faite, et nombreux sont ceux qui portent <strong>de</strong> l’intérêt à cette nouvelle profession (300 candidatures<br />

pour le <strong>de</strong>rnier recrutement <strong>de</strong> 1965).<br />

C’est donc d<strong>ans</strong> un climat <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> satisfaction, quelque peu euphorique même, que la FF<strong>MJC</strong><br />

fête le XX e anniversaire <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s Jeunes, à Lyon les 5, 6 & 7 juin 1965.<br />

Le 10 avril a eu lieu l’émission “premier jour” d’un timbre-poste commémoratif représentant la<br />

maquette <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture <strong>de</strong> Troyes, structure considérée comme le<br />

prototype architectural <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> d’avenir, et que M. Maurice Herzog a inaugurée le 24 avril 1965.<br />

Le ton est en effet à la satisfaction et tous les documents <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> présentation (rapport<br />

moral, numéro spécial <strong>de</strong> Pas à pas préfacé par L. Pra<strong>de</strong>l, Maire <strong>de</strong> Lyon, numéro 206 <strong>de</strong> la<br />

Documentation française illustrée) témoignent <strong>de</strong> cet état d’esprit :<br />

“Disons-le nettement, en 1964, la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture a bien travaillé. La marche en avant s’est poursuivie. Nous sommes plus nombreux,<br />

plus grands, plus forts .[...] notre position est soli<strong>de</strong>. Sur le plan national d’abord : la presse, la<br />

radio, la télévision en témoignent largement. La Maison <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture a pris sa<br />

place d<strong>ans</strong> la vie quotidienne <strong>de</strong>s Français ; notre idée à fait son chemin .[...] Les relations<br />

entre le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports et la Fédération sont <strong>de</strong> tous les<br />

instants, courtoises, profitables, et l’estime qui nous est portée se matérialise en une<br />

subvention importante...<br />

Sur le plan international aussi notre action est reconnue, suivie, sollicitée. Nous organisons <strong>de</strong><br />

nombreux stages <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> directeurs pour une douzaine <strong>de</strong> pays, nous recevons <strong>de</strong>s<br />

visites, nous en rendons, nous apportons notre témoignage, notre doctrine, nos principes, nos<br />

conseils un peu partout maintenant à travers le mon<strong>de</strong> ...” 1<br />

Ce succès s’accompagne <strong>de</strong> difficultés qui mobilisent quotidiennement les responsables.<br />

L’exp<strong>ans</strong>ion très rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Fédération, à laquelle personne - ni l’Etat, ni la Fédération elle-même -<br />

n’était parfaitement préparé, est déjà décrite comme une crise <strong>de</strong> croissance qui se manifeste <strong>de</strong><br />

différentes manières : les maisons et les municipalités doivent attendre souvent plusieurs mois le<br />

directeur ou l’adjoint indispensables ; le recrutement et la formation <strong>de</strong>s professionnels, qui <strong>de</strong>vraient<br />

précé<strong>de</strong>r la croissance, ne permettent, au mieux, que <strong>de</strong> répondre à l’urgence et “d<strong>ans</strong> les cas les<br />

plus désespérés, la Fédération ne peut qu’envoyer un suppléant, rempli <strong>de</strong> bonne volonté<br />

assurément, mais peu préparé à son métier” 2 ; les services fédéraux, malgré leur développement<br />

rapi<strong>de</strong>, ne sont plus à la mesure <strong>de</strong>s besoins et s’essoufflent à tenter <strong>de</strong> suivre l’exp<strong>ans</strong>ion ; les<br />

délégués sont trop peu nombreux ; certains couvrent 100.000 km carrés et parcourent <strong>60</strong>.000 km par<br />

an en voiture, s<strong>ans</strong> compter leurs déplacements à Paris ou à l’étranger. On a conscience qu’il faut<br />

1<br />

2<br />

Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Lyon-Villeurbanne, p. 27-28.<br />

Ibid. p. 52.


- 294 -<br />

faire très vite et très grand, qu’il faut donc beaucoup plus plus d’argent et que par conséquent, il va<br />

falloir se tourner plus souvent et avec plus d’insistance encore vers l’Etat.<br />

La croissance s’accentue encore en 1966. Le <strong>de</strong>rnier mois <strong>de</strong> l’année 1965 a vu l’affiliation <strong>de</strong> dix<br />

maisons par semaine. En 1965, on affilie en moyenne une <strong>MJC</strong> tous les trois jours ; en 1966, le<br />

rythme est <strong>de</strong> une par jour. En 1968, la FF<strong>MJC</strong> regrouperait environ 1.153 structures parmi<br />

lesquelles on compte les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la métropole, <strong>de</strong>s territoires et départements d’outre-mer, les<br />

associations correspondantes, les unions locales et fédérations départementales. Elle gère quelque<br />

420 directeurs-éducateurs, une soixantaine d’employés administratifs, le tout coordonné par une<br />

vingtaine <strong>de</strong> cadres, chefs <strong>de</strong> services ou délégués régionaux.<br />

Mais le rayonnement national et international <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ne tient pas à la seule implantation <strong>de</strong><br />

ses structures. D<strong>ans</strong> la plupart <strong>de</strong>s domaines d’un secteur <strong>de</strong> l’intervention socio-culturelle encore<br />

balbutiant, la FF<strong>MJC</strong> marque ces années <strong>60</strong>, éclipse quelque peu d’autres institutions et<br />

mouvements pourtant plus anciens, fait même ombrage - c’est du moins comme cela que certains le<br />

ressentent - au Secrétariat <strong>de</strong> tutelle et à ses services qui, cependant, conduisent une politique<br />

ambitieuse.<br />

D<strong>ans</strong> le domaine du recrutement, <strong>de</strong> la formation, <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s professionnels et du<br />

financement <strong>de</strong> leurs postes <strong>de</strong> travail, alors que la plupart <strong>de</strong>s institutions et mouvements<br />

fonctionnent quasi-uniquement avec <strong>de</strong>s bénévoles ou, d<strong>ans</strong> le meilleurs <strong>de</strong>s cas, avec <strong>de</strong>s<br />

permanents, issus du militantisme ou mis à disposition par l’Etat 1 , la FF<strong>MJC</strong>, fidèle à son<br />

fonctionnement original se dote d’un corps professionnel, recruté et formé nationalement selon <strong>de</strong>s<br />

critères qui, tout en prenant en compte <strong>de</strong>s motivations et un engagement spécifique, cherchent à<br />

évaluer et à définir <strong>de</strong>s savoir-faire adaptés à la fonction : gestion, communication, négociation,<br />

pédagogie institutionnelle, direction d’équipe et <strong>de</strong> structure. Autrement dit, avec la FF<strong>MJC</strong> et le<br />

développement <strong>de</strong> son corps <strong>de</strong> directeurs-éducateurs, le secteur <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l’éducation<br />

populaire se dégage considérablement du seul militantisme pour entrer d<strong>ans</strong> une démarche <strong>de</strong><br />

professionnalisation - et <strong>de</strong> professionnalisme - qui ira partout en se confirmant. On peut dire que la<br />

FF<strong>MJC</strong> a réellement inventé la profession <strong>de</strong> cadre du développement éducatif et culturel et impose,<br />

à partir <strong>de</strong> ce moment-là, cette idée que la conduite d’une action durable ne peut se concevoir s<strong>ans</strong><br />

l’embauche ou la mise à disposition, à très court terme, d’un véritable salarié dont c’est le métier et<br />

qui en fait profession.<br />

La formation nationale <strong>de</strong>s directeurs-éducateurs mise en place dès la fin <strong>de</strong>s années 50, la<br />

réflexion régulière <strong>de</strong> la commission éducative et permanente <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d’une part et <strong>de</strong>s<br />

professionnels d’autre part d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s journées nationales d’étu<strong>de</strong>, sont déterminantes d<strong>ans</strong><br />

la mise en place d’un diplôme d’Etat. A titre d’exemple, les documents préparatoires à l’assemblée<br />

1 C’est généralement le cas <strong>de</strong>s mouvements péri-scolaires (Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement, CEMEA, Francs<br />

et Franches Camara<strong>de</strong>s).


- 295 -<br />

générale <strong>de</strong> Nancy 1 font largement état <strong>de</strong> la réflexion <strong>de</strong>s directeurs réunis en Journées nationales<br />

d’étu<strong>de</strong> du 27 au 30 mai 1963 et qui ont tenté d’apporter <strong>de</strong>s réponses aux questions posées au<br />

début <strong>de</strong> la saison par la commission éducative permanente. L’obtention d’un diplôme national est<br />

conçue en <strong>de</strong>ux temps : accès à une formation en <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong> ouverte prioritairement aux animateurs<br />

d’éducation populaire d<strong>ans</strong> une logique <strong>de</strong> promotion sociale, formation comprenant une partie<br />

théorique (français, sciences sociales, humaines, économiques, juridiques, législation,<br />

administration, communication, langues, sciences physiques, chimiques et naturelles), et une partie<br />

plus pratique (initiation aux arts, activités sportives, stages divers, formation aux techniques <strong>de</strong><br />

communication, audiovisuelles par exemple) ; examen <strong>de</strong> contrôle évaluant l’itinéraire du candidat,<br />

ses aptitu<strong>de</strong>s intellectuelles, humaines et physiques, son engagement personnel. On suggère que la<br />

formation soit assurée prioritairement par l’Université 2 et financée, traitement <strong>de</strong>s stagiaires compris,<br />

par un Office national, alimenté intégralement par l’Etat.<br />

Cette expérience et cette réflexion pousseront à la création, en septembre 1964, du diplôme<br />

d’Etat <strong>de</strong> conseiller d’éducation populaire (DECEP) conçu en <strong>de</strong>ux parties, la première générale,<br />

épreuves écrites et orales, la secon<strong>de</strong> plus spécialisée et plus pratique (entretiens, rapports <strong>de</strong><br />

stages pratiques). Son obtention, même si elle exige un certain niveau <strong>de</strong> culture générale, n’est pas<br />

suspendue à la possession d’un quelconque diplôme <strong>de</strong> type classique : le DECEP est donc<br />

largement ouvert aux autodidactes. Mais son contenu <strong>de</strong> formation reste faible d<strong>ans</strong> la mesure où<br />

l’on se contente surtout d’évaluer <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong>s expériences acquises en amont. La<br />

FF<strong>MJC</strong>, même si elle accueille favorablement la création <strong>de</strong> ce diplôme qui sanctionne la<br />

reconnaissance d’une profession encore nouvelle, considère que le DECEP ne constitue qu’“une<br />

case <strong>de</strong> départ ...,[qu’il reste] à étudier pour l’avenir une formation théorique et pratique beaucoup<br />

plus complète [et qu’il] faut donc songer dès à présent à une véritable Ecole <strong>de</strong> cadres” 3 .<br />

La FF<strong>MJC</strong> jouera également un rôle déterminant d<strong>ans</strong> la recherche <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> financement<br />

1 Les 1-2-3 juin 1963. Rapport moral - rapport d’activité 1962. Textes et étu<strong>de</strong>s pour 1964.<br />

2<br />

Il faudra véritablement attendre les années 70 pour que les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> commencent à être<br />

formés d<strong>ans</strong> un dispositif négocié avec l’Université (Paris VII), et les années 80 pour que ce<br />

dispositif arrive à son ultime élaboration (formation en <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong> à l’Université <strong>de</strong> Rennes <strong>de</strong><br />

directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, chefs <strong>de</strong> projet du développement social et culturel, titulaires d’une Licence et<br />

Maîtrise d’Administration Économique et Sociale).<br />

3 Assemblée générale <strong>de</strong> Lyon-Villeurbanne, 5-6-7 juin 1965, rapport moral p. 33. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’apport<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> la politique <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s cadres du développement social, culturel et éducatif<br />

reste à faire. On peut émettre l’hypothèse que cette formation, considérée par certains comme<br />

essentiellement “maison”, a plus marqué le développement <strong>de</strong>s professions et <strong>de</strong>s formations <strong>de</strong><br />

haut niveau d<strong>ans</strong> l’Université et d<strong>ans</strong> les ministères successifs <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports que les<br />

attitu<strong>de</strong>s souvent suivistes <strong>de</strong> nombreux mouvements et fédérations, qui ont fait <strong>de</strong> la formation un<br />

objectif, voire une source <strong>de</strong> financement, et qui se sont généralement contentés <strong>de</strong> mettre en<br />

oeuvre les projets ministériels (BAFA, BAFD, CAPASE, DEFA, BEATEP). L’actuelle formation <strong>de</strong>s<br />

cadres <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ne préfigure-t-elle pas ce que pourrait être le cursus universitaire d’ingénieur,<br />

maître du développement social et culturel, d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s récents Instituts Universitaires<br />

Professionnalisés ?


- 296 -<br />

nouvelles <strong>de</strong>s postes d’animateurs et, par là-même, d<strong>ans</strong> le développement <strong>de</strong> la profession,<br />

notamment d<strong>ans</strong> cette pério<strong>de</strong> où les financements d’Etat, pourtant en très sensible augmentation,<br />

s’essoufflent à suivre la croissance du secteur. Les réflexions et les travaux du Haut Comité <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse pendant les années 62, et surtout 63, conduiront à la création du Fonds <strong>de</strong> coopération <strong>de</strong><br />

la Jeunesse et <strong>de</strong> l’Education Populaire (FONJEP), dispositif encore en place aujourd’hui, qui<br />

associe l’Etat et les collectivités locales, principalement les municipalités, d<strong>ans</strong> le financement <strong>de</strong><br />

nombreux postes d’animateurs, dont les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>.<br />

La FF<strong>MJC</strong> par son délégué général, Lucien Trichaud, fut très active à rechercher une solution<br />

d<strong>ans</strong> le cadre du Haut Comité à la Jeunesse. De plus, M. Maurice Herzog, alors Secrétaire d’Etat à<br />

la Jeunesse et aux Sports, ainsi que <strong>de</strong> nombreux dirigeants d’associations, trouvèrent pertinent <strong>de</strong><br />

s’appuyer sur l’expérience <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> qui avait, au cours <strong>de</strong>s années précé<strong>de</strong>ntes, commencé à<br />

mettre sur pied un système <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> directeurs associant l’Etat et les<br />

communes. En effet, celles-ci pouvaient être amenées à prendre en charge 25, 50, 75 ou même<br />

100% du coût moyen <strong>de</strong>s postes, fixé chaque année par la FF<strong>MJC</strong>. Un petit groupe <strong>de</strong> travail<br />

composé <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong> l’administration et d’associations nationales, réuni dès mai 1963,<br />

conduisit Maurice Herzog à donner son accord et à permettre l’ai<strong>de</strong> financière pour la création d’un<br />

organisme géré selon le statut <strong>de</strong> la loi 1901. Le FONJEP fut donc créé le 31 janvier 1964 et Lucien<br />

Trichaud lui-même prit la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son bureau provisoire.<br />

Ce dispositif nouveau qui, en sollicitant la participation financière <strong>de</strong>s communes, permettait un<br />

développement plus rapi<strong>de</strong>, fut fortement contesté à l’intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> notamment par les<br />

directeurs et leurs organisations syndicales. C’est qu’il institutionnalisait ce que l’on commencera, à<br />

partir <strong>de</strong> ce moment, à stigmatiser sous le vocable <strong>de</strong> “désengagement financier <strong>de</strong> l’Etat”. En effet,<br />

ce qui avait été accepté parce que conjoncturel et provisoire pouvait maintenant <strong>de</strong>venir la règle.<br />

Ainsi la décision d’adhérer au FONJEP ne fut-elle prise, lors <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong><br />

Châteauroux (17 mai 1964), que par 186 voix contre 181 et 10 abstentions, si bien que le conseil<br />

d’administration fédéral décida, d<strong>ans</strong> un premier temps, par 20 voix contre 3 et un blanc, <strong>de</strong><br />

l’adhésion pour une année seulement. Mais même si cette première gran<strong>de</strong> bataille interne avait été<br />

ru<strong>de</strong> et laissait présager d’autres tensions plus importantes encore, il apparaissait cependant que la<br />

FF<strong>MJC</strong> avait joué là un rôle décisif pour l’ensemble du domaine <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l’éducation<br />

populaire, et pour ses relations à venir avec l’Etat et les collectivités locales.<br />

Pendant cette même pério<strong>de</strong>, le rayonnement international <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> renforce également<br />

cette image <strong>de</strong> puissance que plus rien ne semble <strong>de</strong>voir limiter et que, rappelons-le, certains<br />

considèrent comme hégémonique. Depuis fort longtemps, le Bureau d’Accueil et <strong>de</strong> Rencontre<br />

(BAR) organise <strong>de</strong>s échanges réguliers, avec l’ensemble <strong>de</strong>s pays d’Europe mais aussi avec <strong>de</strong><br />

nombreux autres pays d’Afrique et d’Amérique. La revue Pas à pas, diffusée à 25.000 exemplaires,<br />

est lue un peu partout d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> - même si elle touche prioritairement <strong>de</strong>s personnes averties -<br />

d<strong>ans</strong> tous les pays d’Europe, d<strong>ans</strong> la plupart <strong>de</strong>s pays d’Afrique et d’Amérique, et également en Asie


- 297 -<br />

et aux antipo<strong>de</strong>s. Les stages du service <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s cadres accueillent régulièrement <strong>de</strong>s<br />

participants venus majoritairement <strong>de</strong>s autres pays d’Europe occi<strong>de</strong>ntale et <strong>de</strong> l’Afrique francophone.<br />

Des missions d’étu<strong>de</strong>s rentrant d<strong>ans</strong> le programme <strong>de</strong> formation sont réalisées d<strong>ans</strong> l’ensemble <strong>de</strong><br />

ces pays avec une extension en 1966 et 1967 au Moyen-Orient, au Canada et à l’Amérique du Sud.<br />

L’expérience <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, comme ce fut le cas pour les Auberges <strong>de</strong><br />

Jeunesse trente années plus tôt, commence à faire école d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> entier. On évoque<br />

régulièrement l’idée d’une fédération internationale <strong>de</strong>s maisons et foyers culturels, ainsi que d’une<br />

fédération nationale <strong>de</strong>s animateurs qui pourrait - pourquoi pas ? - favoriser la création d’une<br />

fédération internationale <strong>de</strong> cette profession en développement 1 . On suppose en effet que d<strong>ans</strong> ces<br />

futures organisations favorisant les échanges, la FF<strong>MJC</strong>, et avec elles l’initiative française,<br />

occuperait le rôle <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>r. La FF<strong>MJC</strong> occupe déjà une place <strong>de</strong> choix d<strong>ans</strong> le bureau européen <strong>de</strong><br />

l’éducation populaire. Son délégué général, Lucien Trichaud, considéré comme un spécialiste <strong>de</strong> la<br />

question 2 , est, pendant toute cette pério<strong>de</strong>, membre du bureau permanent du Haut Comité <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse, Prési<strong>de</strong>nt du FONJEP, mais aussi secrétaire général du Centre d’Education et<br />

d’Information pour la Communauté Européenne, et membre élu <strong>de</strong> la commission française <strong>de</strong><br />

l’UNESCO. En 1964, il est choisi par le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports pour<br />

représenter la France à la conférence mondiale <strong>de</strong> l’UNESCO sur les problèmes <strong>de</strong> jeunesse, qui a<br />

lieu à Grenoble au mois <strong>de</strong> septembre <strong>de</strong> cette année 3 .<br />

D<strong>ans</strong> <strong>de</strong> telles conditions, la FF<strong>MJC</strong> ne peut que continuer à rêver. Et, jusqu’en 1966 du moins,<br />

elle a quelques bonnes raisons <strong>de</strong> le faire. A l’occasion du XX e anniversaire <strong>de</strong> sa création, on se<br />

prend à imaginer ce qu’elle sera en 1985 : une implantation <strong>de</strong> 2.500 <strong>MJC</strong> réparties sur l’ensemble<br />

du territoire, une restructuration départementale et régionale favorisant le dynamisme local, le<br />

soutien d’un “ministre <strong>de</strong> l’éducation populaire” à l’écoute, et qui aurait résolu les gran<strong>de</strong>s difficultés<br />

financières, une fédération internationale en pleine vie 4 . Pour les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, les<br />

besoins d’éducation et <strong>de</strong> culture d<strong>ans</strong> une société en évolution rapi<strong>de</strong> sont tels que le mouvement<br />

auquel ils participent est irréversible 5 .<br />

Mais dès 1966, année correspondant au départ <strong>de</strong> Maurice Herzog et à l’arrivée <strong>de</strong> François<br />

Missoffe, <strong>de</strong> gros nuages commencent à s'amonceler et la tension ne cesse <strong>de</strong> monter, même si,<br />

1 Ces idées sont déjà avancées à l’assemblée générale fédérale <strong>de</strong> Châteauroux (17 mai 1964).<br />

2<br />

Rapport moral, p. 7.<br />

Il est en effet l’auteur <strong>de</strong> nombreuses étu<strong>de</strong>s, presque toutes publiées aux éditions ouvrières,<br />

notamment L’éducation populaire en Europe,<br />

en trois tomes : La Gran<strong>de</strong> Bretagne, les pays<br />

scandinaves, l’Italie et les pays méditerranéens.<br />

3 Jean Nehr raconte avoir participé à une mission avec Lucien Trichaud en Tunisie en 1968. Celui-ci<br />

était reçu comme un représentant <strong>de</strong> l’État.<br />

4 Conclusion du rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Lyon (5-6-7 juin 1965).<br />

5<br />

Conclusion du rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux (13-14 mai 1967).


- 298 -<br />

d<strong>ans</strong> le même temps, le développement s’accentue. Avant <strong>de</strong> se pencher plus précisément sur le<br />

cheminement d’une crise qui atteindra son paroxysme en 1969, il n’est pas s<strong>ans</strong> intérêt <strong>de</strong> décrire,<br />

chiffres en main, le paysage <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en 1968.<br />

Si l’on s’en tient à l’annuaire <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> édité au premier trimestre 1969<br />

et qui rend compte <strong>de</strong> la situation au 31 décembre 1968, on dénombre quelque 974 <strong>MJC</strong><br />

métropolitaines dont la majeure partie est réellement affiliée, les autres étant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> stagiaires en<br />

fonctionnement et en création, ou même <strong>de</strong>s filiales. A cela il faut ajouter 33 <strong>MJC</strong> implantées à la<br />

Réunion, à la Martinique et en Gua<strong>de</strong>loupe, soit un total <strong>de</strong> 1.007 <strong>MJC</strong>. Le chiffre annoncé à cette<br />

même date du 31/12/69 par la FF<strong>MJC</strong> est un peu plus élevé : 1.021, mais la différence peut<br />

s’expliquer par <strong>de</strong>s créations récentes qui n’auraient pu encore être répertoriées d<strong>ans</strong> l’annuaire. De<br />

plus, la FF<strong>MJC</strong> regroupe 75 structures dites simplement “correspondantes” en raison <strong>de</strong> la non-<br />

conformité <strong>de</strong> leurs statuts aux statuts-type <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : clubs et foyers <strong>de</strong> jeunes, centres culturels,<br />

associations d’éducation populaire diverses, structures comparables aux <strong>MJC</strong> mais implantées à<br />

l’étranger... Enfin, la FF<strong>MJC</strong> a favorisé la création <strong>de</strong> 57 unions locales et fédérations<br />

départementales, ce qui fait un total <strong>de</strong> 1.253 associations affiliées ou correspondantes. Ainsi, selon<br />

les dénombrements, on peut dire qu’à la fin <strong>de</strong> 1968, la FF<strong>MJC</strong> rassemble 1.200 structures, ou un<br />

peu plus <strong>de</strong> 1.000 <strong>MJC</strong> 1 .<br />

La cartographie d’implantation que nous proposons ici 2 concerne les 974 <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la France<br />

métropolitaine recensées d<strong>ans</strong> l’annuaire. Si l’on considère les chiffres bruts, on remarque que les<br />

grands bastions régionaux <strong>de</strong>s années 80 sont généralement préfigurés en 1968 : l’Ile-<strong>de</strong>-France<br />

avec 159 <strong>MJC</strong>, puis Rhône-Alpes (154), la Lorraine (92), Midi-Pyrénées (64), l’Alsace (<strong>60</strong>),<br />

Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes (50). Certaines régions faiblement implantées aujourd’hui le sont déjà en<br />

1968 : le Limousin et l’Auvergne par exemple. Certaines régions, qu’elles soient restées fidèles à la<br />

FF<strong>MJC</strong> ou qu’elles aient majoritairement rejoint l’UNIREG, se sont particulièrement développées<br />

<strong>de</strong>puis la scission, ce qui tendrait à prouver que cet évènement, particulièrement traumatisant pour<br />

les acteurs, n’a pas forcément freiné le développement général : la Lorraine où l’on passe entre 1968<br />

et 1987 <strong>de</strong> 92 à 216 <strong>MJC</strong>, Midi-Pyrénées (<strong>de</strong> 64 à 101), le Languedoc-Roussillon (<strong>de</strong> 34 à 112), la<br />

Picardie (<strong>de</strong> 21 à 80), Provence-Alpes-Côte d’Azur (<strong>de</strong> 40 à 88). Par contre, certaines régions ont<br />

stagné ou régressé : le Nord (<strong>de</strong> 39 à 34), le Centre (<strong>de</strong> 44 à 42), la Basse-Normandie (<strong>de</strong> 34 à 21).<br />

Remarquons également que les <strong>de</strong>ux départements “historiques”, le Rhône et l’Isère, connaissent<br />

déjà en 1968 une implantation particulièrement forte : 36 pour le premier et 61 pour le second. D’une<br />

manière assez générale, la vague d’implantation <strong>de</strong>s années <strong>60</strong> se situe prioritairement à l’est <strong>de</strong> la<br />

1 Jean Destrée affirme qu’en 1968, on a inauguré la millième <strong>MJC</strong> à Thonon-les-Bains. Par contre, on<br />

considère qu’au moment <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux (23 mars 1969), la FF<strong>MJC</strong> fédère près<br />

<strong>de</strong> 1.200 <strong>MJC</strong>.<br />

2 Annexe 40.


- 299 -<br />

ligne Marseille-Le Havre et couvre l’espace fortement industrialisé et urbanisé.<br />

La carte d’implantation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en 1968 1 (nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> rapporté à la population par région),<br />

tout en confirmant les appréciations portées à partir <strong>de</strong>s données brutes, permet quelques<br />

remarques complémentaires. Avec moins <strong>de</strong> clarté, il est vrai, que d<strong>ans</strong> les années 80, on voit déjà<br />

se profiler un développement en tenaille dont l’articulation se situe en Alsace et Lorraine, qui battent<br />

tous les records : 1 <strong>MJC</strong> pour 23.000 habitants pour la première et 1 <strong>MJC</strong> pour 24.000 habitants<br />

pour la secon<strong>de</strong>. Viennent ensuite la région Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes pour la partie supérieure (1 <strong>MJC</strong><br />

pour 25.000 habitants), et la région Rhône-Alpes pour la partie inférieure (1 <strong>MJC</strong> pour 28.000<br />

habitants). Au-<strong>de</strong>là se profilent <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> forte implantation future : Midi-Pyrénées par exemple et<br />

même Languedoc-Roussillon. Certaines régions <strong>de</strong> moyenne importance et situées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s<br />

espaces intermédiaires, ont pour ainsi dire atteint une implantation comparable à celle <strong>de</strong>s années<br />

80 : le Centre avec 1 <strong>MJC</strong> pour 45.000 habitants, la Franche-Comté (1 <strong>MJC</strong> pour 47.000 habitants),<br />

la Bourgogne (1 <strong>MJC</strong> pour 62.000 habitants), la Haute-Normandie (1 <strong>MJC</strong> pour 55.000 habitants).<br />

Par contre, la Basse-Normandie, qui, avec 1 <strong>MJC</strong> pour 37.000 habitants en 1968, arrive en sixième<br />

position, connaîtra par la suite un net recul (1 <strong>MJC</strong> pour 64.000 habitants au milieu <strong>de</strong>s années 80).<br />

A l’opposé, certaines régions, ayant atteint quinze <strong>ans</strong> plus tard une bonne implantation en <strong>MJC</strong>,<br />

sont délaissées en 1968. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur n’a encore à cette date qu’une <strong>MJC</strong><br />

pour 82.000 habitants contre une pour 45.000 au milieu <strong>de</strong>s années 80. Autre exemple encore plus<br />

spectaculaire : la Picardie, à la traîne en 1968 (1 <strong>MJC</strong> pour 75.000 habitants), atteindra, 15 <strong>ans</strong><br />

après, une implantation <strong>de</strong> 1 pour 20.000 habitants. De son côté, l’Ile-<strong>de</strong>-France (1 <strong>MJC</strong> pour 62.000<br />

habitants) progressera peu (1 <strong>MJC</strong> pour 58.000 habitants).<br />

Au-<strong>de</strong>là, on repère quelques espaces <strong>de</strong> très faible implantation. L’Auvergne (1 <strong>MJC</strong> pour<br />

220.000 habitants) et la Corse (aucune <strong>MJC</strong>) sont quasi “désertiques”. Les extrémités<br />

géographiques sont, c’est le moins que l’on puisse dire, encore peu touchées par la vague <strong>MJC</strong> :<br />

une pour 120.000 habitants en Bretagne, une pour 98.000 en Aquitaine et d<strong>ans</strong> le Nord-Pas <strong>de</strong><br />

Calais, une pour 86.000 habitants en Pays-<strong>de</strong>-Loire, une pour 92.000 habitants en Limousin, qui<br />

semble faire équipe avec l’Aquitaine d’un côté et l’Auvergne <strong>de</strong> l’autre.<br />

Si l’on en juge par les indices et leur représentation graphique, les <strong>MJC</strong> semblent gagner<br />

l’ensemble du territoire à partir <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux épicentres : l’Alsace et la Lorraine - et là on pense<br />

nécessairement au développement <strong>de</strong> l’alphabétisation en France 2 ; la région Rhône-Alpes, berceau<br />

historique <strong>de</strong> l’Institution. A la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, l’Ile-<strong>de</strong>-France joue cependant un rôle essentiel,<br />

notamment Paris, qui rassemble un nombre important <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> (plus <strong>de</strong> 20). Mais cette place tient<br />

autant à la présence d’un centre fédéral en pleine exp<strong>ans</strong>ion, insuffisamment alimenté pour certains,<br />

1 Annexe 41.<br />

2<br />

Voir annexes 26 et 27.


oulimique pour d’autres.<br />

- 300 -<br />

Le siège social <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> rassemble quelque 45 salariés auxquels il faut ajouter une douzaine<br />

<strong>de</strong> délégués régionaux. Même si ce <strong>de</strong>rnier chiffre est bien loin <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s années 80 1 , il constitue<br />

un progrès considérable 2 par rapport à celui <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 50. La FF<strong>MJC</strong> gère une douzaine<br />

<strong>de</strong> services fédéraux à disposition <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leur développement : la délégation générale avec<br />

son service juridique et contentieux et son service promotion, la délégation générale adjointe et son<br />

bureau d’étu<strong>de</strong>s, les services administration et finances, du personnel, <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s cadres et<br />

questions rurales, d’animation culturelle et documentation, d’architecture et d’équipement, jeunesse<br />

et culture, enfin le bureau d’édition et le bureau d’accueil et <strong>de</strong> rencontres.<br />

Alors, la FF<strong>MJC</strong> : Etat d<strong>ans</strong> l’Etat ? Les responsables s’en défen<strong>de</strong>nt et contestent la formule<br />

qu’ils prennent pour une attaque. Certes jusqu’en 1968, les <strong>MJC</strong> bénéficient d’une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s<br />

subventions d’Etat allouées au secteur <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l’éducation populaire, mais on fait en<br />

même temps remarquer que ce subventionnement ne représente qu’un cinquième du financement<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et qu’il ne suit pas le rythme <strong>de</strong> croissance <strong>de</strong> l’Institution : en 1966, l’augmentation <strong>de</strong>s<br />

subventions d’Etat serait <strong>de</strong> 14% pour une croissance fédérale <strong>de</strong> 40% 3 . Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers chiffres,<br />

bien réels, sont cependant inquiétants pour l’Etat et les autres mouvements et institutions : que serait<br />

en effet la FF<strong>MJC</strong>, et que restait-il pour les autres initiatives si les financements d’Etat suivaient la<br />

croissance <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ?<br />

Mais, plus que son développement exponentiel, ce sont son organisation et l’importance <strong>de</strong> son<br />

armature professionnelle qui accréditeront cette inquiétante image d’Etat d<strong>ans</strong> l’Etat <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

Cette institution est à la fois très centralisée (importance <strong>de</strong> son centre fédéral, gestion nationale du<br />

personnel) et très décentralisée (autonomie associative <strong>de</strong> structures locales dont certaines ont déjà<br />

<strong>de</strong>s budgets importants). Son corps professionnel n’exclut pas, bien au contraire, une dynamique<br />

bénévole et militante complémentaire qui donne cette impression <strong>de</strong> mouvement irréversible. En<br />

1967, on évalue en effet à plus <strong>de</strong> 15.000 le nombre d’animateurs bénévoles <strong>de</strong>s activités, s<strong>ans</strong><br />

parler <strong>de</strong> ceux qui oeuvrent d<strong>ans</strong> les conseils <strong>de</strong> maison et les conseils d’administration 4 .<br />

Ce qui fait, à ce moment-là, la force <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, au-<strong>de</strong>là du soutien financier privilégié <strong>de</strong> l’Etat,<br />

c’est sa capacité à capter - vraisemblablement à cause <strong>de</strong> la permanence <strong>de</strong> ses structures et <strong>de</strong><br />

1 La FF<strong>MJC</strong> compte, à elle seule, d<strong>ans</strong> les années 80, environ 20 délégués pour un nombre <strong>de</strong><br />

structures affiliées à peu près comparable à celui <strong>de</strong> 1968, mais, il est vrai, sur un espace plus limité<br />

compte tenu <strong>de</strong> l’implantation <strong>de</strong> l’UNIREG. Ces délégués ont cependant, du fait <strong>de</strong> la régionalisation,<br />

<strong>de</strong>s missions plus lour<strong>de</strong>s (gestion et administration, services décentralisés).<br />

2 On a à ce moment-là plaisir à raconter l’histoire suivante : “Il y a un lion rue <strong>de</strong> la Condamine (siège<br />

social <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>). Mais le nombre <strong>de</strong> délégués est si important que ce lion en dévore un chaque<br />

matin et qu’on ne s’en rend pas compte”. Entretien avec Berna<strong>de</strong>tte Dumont et Inès Staï ner,<br />

secrétaires à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

3<br />

Chiffres communiqués à l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes, rapport moral, p. 30.<br />

4 Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux, p. 26-27.


- 301 -<br />

leur polyvalence - les financements locaux, les bonnes volontés et les savoir-faire d<strong>ans</strong> un secteur<br />

en pleine évolution. C’est cette position dominante d<strong>ans</strong> un champ en construction - mais du fait <strong>de</strong><br />

son organisation, difficilement contrôlable par un Etat qui pourtant le finance - qui renforce cette<br />

image conquérante, inquiétante, voire hégémonique, <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Etat d<strong>ans</strong> l’Etat ? Disons plutôt<br />

institution indépendante 1 <strong>de</strong> l’Etat, et bientôt dressée contre lui.<br />

1 “Les principes <strong>de</strong> l’Institution, gage d’indépendance et <strong>de</strong> vitalité”, titre d’un <strong>de</strong>s paragraphes du<br />

rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux (13-14-15 mai 1967), p. 33.


- 303 -<br />

CHAPITRE - II -<br />

L’ÉCLATEMENT DE LA FF<strong>MJC</strong><br />

1 - Crise <strong>de</strong> croissance et montée <strong>de</strong>s tensions<br />

Assurément, la FF<strong>MJC</strong> a <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> difficultés à gérer son propre développement, malgré<br />

l'importance d'un centre fédéral qui fait <strong>de</strong> nombreux envieux. Elle va en effet rapi<strong>de</strong>ment crouler<br />

sous les charges occasionnées par sa propre réussite. Et cela dès 1965. Ainsi, d<strong>ans</strong> le rapport moral<br />

<strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Lyon peut-on lire la phrase suivante : “C'est notre crise <strong>de</strong> croissance qui<br />

doit mobiliser notre attention [...] ; nous <strong>de</strong>vons former un plus grand nombre <strong>de</strong> directeurs que nous<br />

ne le faisons, mais nous n'en avons pas les moyens [...] ; nos services s'essoufflent [...] actuellement<br />

à suivre le courant [...] ; les délégués sont trop peu nombreux” 1 .<br />

Les mêmes inquiétu<strong>de</strong>s sont réaffirmées et précisées en 1967 à l'assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux<br />

: “La ca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s créations nouvelles ne permet plus à la Fédération <strong>de</strong> contrôler et d'ai<strong>de</strong>r avec<br />

efficacité les <strong>MJC</strong> en démarrage [...]. Les services fédéraux ne peuvent plus suivre une ca<strong>de</strong>nce<br />

aussi rapi<strong>de</strong>. Les délégués régionaux succombent sous la tâche [...] . La multiplication <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

favorise l'éloignement relatif du centre fédéral. Les contacts humains, les rencontres, possibles<br />

autrefois, sont remplacés par une liaison administrative ari<strong>de</strong> et décevante [...]. La machine est trop<br />

lour<strong>de</strong> et le moteur insuffisant” 2 .<br />

Face à ces maux, on prescrit <strong>de</strong>ux remè<strong>de</strong>s ; l'un financier : l'augmentation <strong>de</strong>s moyens par l'Etat<br />

renforcerait l'appareil fédéral, permettrait un développement plus rapi<strong>de</strong> du corps <strong>de</strong>s directeurs, et<br />

préviendrait un autre danger, celui du clivage entre petites <strong>MJC</strong> s<strong>ans</strong> permanent et <strong>MJC</strong> importantes<br />

dotées d'un permanent ; l'autre structurel : une déconcentration voire une décentralisation <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong> et d'une partie <strong>de</strong> ses services.<br />

Les réformes <strong>de</strong> structures ont très tôt été envisagées et, contrairement à ce que l'on dit et pense<br />

souvent, ce n'est pas Joseph Comiti seul qui a imaginé et décidé le processus <strong>de</strong> régionalisation <strong>de</strong><br />

l’Institution, même si, comme nous le verrons plus loin, il s'est réalisé sous son ministère et sous sa<br />

pression. C'est à l'assemblée générale <strong>de</strong> Nancy en 1963 que pour la première fois, semble-t-il, le<br />

principe <strong>de</strong> la régionalisation a été officiellement formulé. Avant cette assemblée générale, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong> l'Ouest s'étaient réunies en assises régionales et avaient rédigé une motion proposant la<br />

modification <strong>de</strong>s structures fédérales, pour permettre une plus gran<strong>de</strong> participation <strong>de</strong> la base, une<br />

1 Op. cit. p. 52.<br />

2 Rapport moral, p. 12-13.


- 304 -<br />

gestion administrative et une animation culturelle régionales. La motion fut appuyée par une<br />

candidature au conseil d'administration national. La motion fut acceptée et le candidat élu. L'année<br />

suivante, en 1964, on pense à nouveau qu'il va falloir en venir très vite à une certaine<br />

déconcentration du travail, [que] “l'actuel découpage <strong>de</strong>s délégations régionales ... <strong>de</strong>vra rapi<strong>de</strong>ment<br />

se faire plus précis, plus serré, [qu'] une certaine part du travail administratif <strong>de</strong>vra être faite à cet<br />

échelon [et que par conséquent si l'on veut être efficace], toute une réorganisation administrative <strong>de</strong><br />

notre fédération doit dès maintenant être pensée” 1 .<br />

En 1965, on parle déjà <strong>de</strong> “décentralisation” : “Il va falloir, dès que cela sera possible [...] lancer<br />

les fédérations départementales puis régionales là où elles n'existent pas. Elles préfigurent l'avenir.<br />

[...] Il faudra bien, par force, que nous y venions et bien <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> la Fédération auront à se tenir,<br />

d<strong>ans</strong> un très proche avenir, au plan régional, sinon départemental. De plus, et c'est là un argument<br />

qui a sa valeur, ces fédérations pourront obtenir <strong>de</strong>s collectivités locales <strong>de</strong>s subsi<strong>de</strong>s auxquels les<br />

maisons isolées auront à prétendre... ” 2 .<br />

En 1966, à l'assemblée générale <strong>de</strong> Troyes, on conçoit à la fois et d<strong>ans</strong> le même mouvement une<br />

déconcentration (mise en place <strong>de</strong> services administratifs et techniques régionaux dotés <strong>de</strong><br />

personnel) et une décentralisation (dévolution <strong>de</strong> pouvoirs à un conseil d'administration régional élu<br />

par <strong>de</strong>s assises régionales regroupant les représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>s associations locales et<br />

départementales). Lors <strong>de</strong> cette assemblée générale, <strong>de</strong>ux commissions (6A et 6B) 3 ont réfléchi à<br />

cette question <strong>de</strong>s structures qui, annonce-t-on, sera mise à l'étu<strong>de</strong> au sein <strong>de</strong> la commission<br />

consultative nationale du 28 juin <strong>de</strong> la même année.<br />

L'assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux (13-14 mai 1967) prend la question <strong>de</strong> la réforme <strong>de</strong>s structures<br />

à bras le corps. D<strong>ans</strong> un document <strong>de</strong> travail préparatoire 4 , la Fédération Française engage une<br />

réflexion globale sur la restructuration <strong>de</strong> la vie fédérative à tous les niveaux : la <strong>MJC</strong>, l'union locale,<br />

la fédération départementale, la fédération régionale, la fédération française. On s'efforce également<br />

<strong>de</strong> définir ou <strong>de</strong> préciser les rôles respectifs du directeur permanent <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, du directeur permanent<br />

<strong>de</strong> l'union locale, du directeur permanent départemental et du délégué régional. Nombre <strong>de</strong> ces<br />

instances et fonctions existent ; il s'agit simplement <strong>de</strong> repréciser leurs compétences et missions<br />

d<strong>ans</strong> le cadre d'une restructuration générale qui, rappelle-t-on, “est imposée par les faits [et] doit être<br />

réalisée avec métho<strong>de</strong>” 5 . D'autres sont à construire <strong>de</strong> toutes pièces : la fédération régionale, le<br />

conseil national, les fonctions <strong>de</strong> directeur permanent départemental ou d'union locale.<br />

1 Assemblée générale <strong>de</strong> Châteauroux, rapport moral, p. 7.<br />

2 Assemblée générale <strong>de</strong> Lyon, rapport moral, p. 35.<br />

3 Voir rapport <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes, p. 56 à <strong>60</strong>.<br />

4 Organisation interne - structures, 8/5/67, ronéo, 41 pages, 1.000 exemplaires.<br />

5 Ibid. p. 1.


- 305 -<br />

L'échelon régional fait l'objet d'une attention toute particulière car “c'est là que se situe l'essentiel<br />

<strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong> que nous <strong>de</strong>vons amorcer et mener à bien” 1 . On propose <strong>de</strong> donner aux régions (régions<br />

académiques plutôt que régions <strong>de</strong> programme économique, soit un total <strong>de</strong> 23) <strong>de</strong>s responsabilités<br />

réelles propositionnelles et décisionnelles d'abord, d<strong>ans</strong> le cadre d'instances juridiquement<br />

autonomes (étu<strong>de</strong>s et recherches, gestion d'un budget <strong>de</strong> développement et <strong>de</strong> création d'emplois,<br />

négociations avec les partenaires, désignation <strong>de</strong> représentants à l'assemblée fédérale nationale… ),<br />

<strong>de</strong>s responsabilités opérationnelles ensuite (services administratifs, du personnel, techniques et<br />

pédagogiques par exemple : animation, documentation, formation, édition... ). Ces 23 fédérations<br />

régionales pourraient constituer une confédération nationale.<br />

Les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sont mobilisés pour faire avancer la réflexion notamment à l'occasion <strong>de</strong>s<br />

journées nationales d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s 2 et 3 novembre 1967. Les propositions débattues lors <strong>de</strong><br />

l'assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux sont réexaminées avec cependant quelques éléments nouveaux<br />

intéressants pour l'avenir, et qui concernent plus particulièrement la gestion du personnel. On<br />

imagine que pourront se créer, un “bureau”, un “office interne à la fédération”, une “caisse”, un<br />

“conseil spécialisé”, un “organisme spécial” 2 , structure qui aurait pour seule mission <strong>de</strong> gérer le<br />

personnel et la masse salariale. Cette structure serait composée <strong>de</strong> représentants du personnel<br />

éducatif élus par leurs collègues, <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s 23 fédérations régionales et du conseil<br />

d'administration national, enfin <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong> financeurs (Etat, communes, conseils généraux).<br />

Elle “aurait la responsabilité <strong>de</strong> tout ce qui concerne la vie du personnel permanent et ses rapports<br />

avec les employeurs : conventions collectives, indices, avances, mutations, litiges etc... , et ses<br />

décisions ne seraient soumises au conseil d'administration national qu'en cas <strong>de</strong> désaccord<br />

(proportion à fixer) entre ses membres” 3 . Cette structure permettrait <strong>de</strong> conserver une gestion<br />

nationale du personnel d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la régionalisation : “un service comptable effectuerait toutes<br />

les opérations sur ordonnancement <strong>de</strong> chaque région. On économiserait ainsi le prix <strong>de</strong> revient d'une<br />

déconcentration complète en matière <strong>de</strong> comptabilité du personnel” 4 .<br />

Pendant cette année 1968, riche en bouleversements qui, comme nous le verrons, traverseront<br />

les <strong>MJC</strong> et leur fédération, la réflexion sur la modification <strong>de</strong>s structures a encore avancé, si bien<br />

qu'on pourra prendre une décision <strong>de</strong> principe et donner un mandat impératif au conseil<br />

1 Organisation interne - structures, p. 13.<br />

2 Autant <strong>de</strong> dénominations que l’on retrouve d<strong>ans</strong> l’exposé introductif du délégué général, Lucien<br />

Trichaud, aux Journées nationales d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong>s 2 et 3 novembre 1967 (Ronéo, 10<br />

pages, 1.250 exemplaires).<br />

3 Ibid. p. 8. Ironie <strong>de</strong> l’histoire : ce projet ressemble étonnamment à toutes les structures nationales<br />

mises en place ou imaginées par la FF<strong>MJC</strong> après la scission <strong>de</strong> 1969 : CIRP (Centre Interrégional <strong>de</strong> la<br />

paie), SIRP (Service interrégional <strong>de</strong> la paie) et surtout Conseil d’employeurs, décidé par l’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à Châlons-sur-Marne (10-11 novembre 1989).<br />

4 Ibid. p. 9.


- 306 -<br />

d'administration national pour préparer, avant Pentecôte 1969, un projet <strong>de</strong> modification statutaire.<br />

Lors <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Grenoble (10-11 novembre 1968), trois commissions ont réfléchi<br />

sur le rapport <strong>de</strong> commission nationale <strong>de</strong>s structures 1 . De la synthèse, se dégagent les points<br />

suivants : la régionalisation est nécessaire ; la <strong>MJC</strong> reste la cellule <strong>de</strong> base fondamentale ; la<br />

fédération nationale définit la politique générale ; l'assemblée régionale serait formée <strong>de</strong><br />

représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s fédérations départementales ; l'assemblée générale fédérale serait<br />

plus réduite et ne rassemblerait que les représentants <strong>de</strong>s régions, porteurs d'un certain nombre <strong>de</strong><br />

mandats. Les compétences <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux instances sont assez clairement définies : la politique<br />

générale, la représentation nationale et internationale, les statuts, la formation et la gestion du<br />

personnel pour l'échelon national ; l'affiliation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, unions locales et fédérations<br />

départementales par délégation <strong>de</strong> pouvoir, le relais entre la fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, la création <strong>de</strong>s<br />

postes, la pré-formation, la formation <strong>de</strong>s adjoints éducatif pour l'échelon régional. Le principe <strong>de</strong> la<br />

cogestion avec le personnel n’est à aucun niveau remis en cause. Après débat, l'assemblée <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong> peut procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s votes impératifs : pour le principe <strong>de</strong> la régionalisation (unanimité moins<br />

4 abstentions), mandat impératif au conseil d'administration pour préparer le projet avant Pentecôte<br />

(unanimité moins trois abstentions), et également à <strong>de</strong>s votes indicatifs : région économique ou<br />

académique ? (unanimité moins 28 voix en faveur <strong>de</strong> la région académique), fédération ou<br />

confédération ? (unanimité moins 10 voix contre et 10 abstentions pour la fédération), gestion du<br />

personnel par le conseil d'administration ou un organisme distinct (unanimité moins 9 abstentions en<br />

faveur du conseil d'administration), expérimentation régionale structurée ou informelle ? (unanimité<br />

pour l’expérimentation informelle avec réunions <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> recherche). Quant à la place et à la<br />

fonction <strong>de</strong>s délégués régionaux, elles <strong>de</strong>vront faire l'objet d'une étu<strong>de</strong> en commission.<br />

Lentement mais sûrement, la FF<strong>MJC</strong> a donc progressé sur cette difficile question <strong>de</strong> la réforme<br />

<strong>de</strong>s structures. Bien plus - et les votes <strong>de</strong> l'assemblée générale le démontrent - elle a, semble-t- il, su<br />

gar<strong>de</strong>r une unanimité <strong>de</strong> vue que ni la croissance rapi<strong>de</strong>, ni la décentralisation annoncée, ne<br />

semblent <strong>de</strong>voir perturber.<br />

Et pourtant, les choses ne vont pas aussi bien. Les <strong>MJC</strong> et leur fédération n'ont pas le soutien<br />

financier et moral <strong>de</strong> l'Etat que les responsables espèrent en cette pério<strong>de</strong> d'accélération <strong>de</strong> la<br />

croissance. En janvier 1966, François Missoffe est <strong>de</strong>venu ministre <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports en<br />

remplacement <strong>de</strong> Maurice Herzog, qui avait assuré jusque là, successivement, les fonctions <strong>de</strong> Haut<br />

Commissaire, puis <strong>de</strong> Secrétaire d'Etat. La création d'un véritable ministère laisse espérer aux<br />

responsables <strong>de</strong>s mouvements et institutions <strong>de</strong> jeunesse et d'éducation populaire, notamment à la<br />

FF<strong>MJC</strong>, un soutien encore plus important <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'Etat et une confiance soutenue du ministre<br />

et <strong>de</strong> l'administration.<br />

1 Qui s’était réunie les 8-9 mars et 20-21 avril 1968.


- 307 -<br />

Dès son arrivée au gouvernement, François Missoffe entend bien conduire une politique <strong>de</strong> la<br />

jeunesse originale, et qui ne serait pas la simple confirmation <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> son prédécesseur. Il choisit<br />

une démarche qui consiste dit-il “à associer les jeunes eux-mêmes à la recherche et à la définition<br />

d'une politique les concernant” 1 , et qui prendra la forme d'un “livre blanc <strong>de</strong> la jeunesse”, pour lequel<br />

une campagne d'information est lancée dès le mois <strong>de</strong> mai 1966.<br />

D<strong>ans</strong> un premier temps, la FF<strong>MJC</strong> joue le jeu. Pas à pas incite ses lecteurs à répondre à<br />

l'enquête lancée par le ministre et propose même un schéma <strong>de</strong> réflexion sous forme d'un<br />

questionnaire. Mais la situation va rapi<strong>de</strong>ment se dégra<strong>de</strong>r d'autant que François Missoffe <strong>de</strong>puis<br />

son arrivée à la rue <strong>de</strong> Châteaudun n'a pas ménagé ses critiques à l'égard <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (“conçues par<br />

les adultes pour les jeunes”, où “les jeunes ne sentent pas chez eux” 2 ) et <strong>de</strong> leurs animateurs qui, au<br />

bout <strong>de</strong> quelques années, risquent d'être inadaptés à leur fonction.<br />

François Missoffe pense que les jeunes ont besoin, à la place ou à côté <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, “<strong>de</strong> petits lieux<br />

<strong>de</strong> rencontres qui remplaceraient le bistrot [et que] cela correspond à cette cellule naturelle qu'on<br />

appelle la ban<strong>de</strong>” 3 . Il conçoit le projet <strong>de</strong>s “mille clubs” qu'il lance d<strong>ans</strong> le mois qui suit la campagne<br />

d'information sur “le livre blanc <strong>de</strong> la jeunesse”. A l'issue d'un concours entre constructeurs, cinq<br />

maquettes ont été retenues. Deux d'entre elles doivent servir <strong>de</strong> modèle à ce millier <strong>de</strong> micro-<br />

équipements d'une superficie au sol <strong>de</strong> 150 m 2 , que <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> jeunes recevront en pièces<br />

détachées et qu'ils <strong>de</strong>vront monter d'après une notice, sur <strong>de</strong>s terrains fournis et aménagés par les<br />

municipalités. Après assemblage, le local sera meublé par les jeunes eux-mêmes.<br />

Le livre blanc d'abord, puis et surtout le projet d’implantation <strong>de</strong> Mille clubs, sont évi<strong>de</strong>mment mal<br />

accueillis par <strong>de</strong> nombreux responsables bénévoles et professionnels <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui voient là une<br />

remise en cause très directe du travail éducatif et culturel qu'ils conduisent <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses<br />

années. On conteste le projet démagogique du ministre qui court-circuite les institutions oeuvrant en<br />

direction <strong>de</strong> la jeunesse. On pense que ces mini-clubs rapi<strong>de</strong>ment livrés aux ban<strong>de</strong>s risquent d'avoir<br />

une existence éphémère, conduire à la ségrégation <strong>de</strong> la jeunesse ou “fabriquer <strong>de</strong>s enfants attardés<br />

qui jouent sous bonne gar<strong>de</strong>” 4 .<br />

Les projets du ministre sont d'autant plus inquiétants que, d<strong>ans</strong> le même temps, les subventions<br />

à la FF<strong>MJC</strong> pour 1967 ne sont ni connues ni versées. Déjà, dès l'assemblée générale <strong>de</strong> Troyes, soit<br />

moins <strong>de</strong> 5 mois après l'arrivée <strong>de</strong> François Missoffe, les <strong>MJC</strong> étaient montées au créneau. D<strong>ans</strong><br />

une motion, la FF<strong>MJC</strong> s'était montrée “inquiète <strong>de</strong>s récentes déclarations prêtées par la presse et la<br />

1 Débat à l’assemblée nationale à l’occasion du vote du budget du Ministère <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s<br />

Sports pour l’année 1967 (Pas à pas n° 168, p. 4).<br />

2 Extraits d’interventions à l’assemblée nationale et d’interview (Le Progrès <strong>de</strong> Lyon du 7 février 1967,<br />

p. 13).<br />

3 Ibid.<br />

4 Propos d’un adhérent <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> (Le Progrès <strong>de</strong> Lyon du 7 février 1967, p. 13).


- 308 -<br />

radio à Monsieur le Ministre <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, déclarations qui semblent mettre en<br />

cause la structure, la gestion, l'animation, l'action et le financement <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s organisations<br />

<strong>de</strong> jeunesse et d’éducation populaire” 1 . Elle avait rappelé les principes qui l'animent et l'efficacité <strong>de</strong><br />

son action, avait invité “les mouvements <strong>de</strong> jeunesse, les syndicats, les organisations sociales et<br />

culturelles à défendre et à affermir une politique <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l'éducation populaire<br />

démocratique qui répon<strong>de</strong> à l'évolution du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne” 2 , et <strong>de</strong>mandé au ministre <strong>de</strong> “tenir un<br />

juste compte <strong>de</strong> l'action menée, <strong>de</strong> définir le rôle nécessaire et légitime <strong>de</strong> l'Etat d<strong>ans</strong> ce domaine...,<br />

d'apporter à ceux qui en auront la compétence et la responsabilité les moyens qui permettraient à<br />

nos institutions <strong>de</strong> sortir enfin d'une situation précaire” 3 .<br />

Début 1967, la tension monte encore d'un cran. Le conseil d'administration du 29 janvier 1967<br />

déci<strong>de</strong>, sur proposition du syndicat CGT <strong>de</strong>s directeurs, après un long débat et avec le soutien du<br />

délégué général, <strong>de</strong> réunir d<strong>ans</strong> les plus brefs délais une assemblée générale convoquée en session<br />

extraordinaire. Pourquoi une telle décision ? C'est que le représentant du Ministère <strong>de</strong> la Jeunesse et<br />

<strong>de</strong>s Sports présent au conseil d'administration est d<strong>ans</strong> l'incapacité <strong>de</strong> répondre à trois questions :<br />

quel est le montant <strong>de</strong> la subvention attribuée à la FF<strong>MJC</strong> pour 1967 ? Quand sera-t-elle mandatée ?<br />

Le ministère peut-il au moins s'engager à subventionner, ce qui permettrait à la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> contracter<br />

auprès d’une banque privée le prêt nécessaire aux traitements du personnel pour les mois à venir ?<br />

Cette assemblée générale a lieu à Paris, à la <strong>MJC</strong> Maurice Ravel, le 19 février 1967. S<strong>ans</strong><br />

attendre, une action a été engagée. D<strong>ans</strong> un texte diffusé à l'intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> 4 et signé du<br />

délégué général, le conseil d'administration fédéral conseille aux adhérents <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d'écrire<br />

directement au ministre, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux maires et conseils municipaux qu'ils fassent connaître leur<br />

étonnement <strong>de</strong> s'apercevoir que la position du ministre empêche notre fédération d'honorer les<br />

contrats qu'ils ont signés avec elle “[et qu'enfin] les élus et les candidats <strong>de</strong> tous les partis écrivent au<br />

ministre, avec double au premier ministre, que la presse locale, régionale et nationale soit informée<br />

du problème” 5 .<br />

Le texte introductif à l'assemblée générale <strong>de</strong> Paris-<strong>MJC</strong> “Ravel” précise les raisons <strong>de</strong> cette<br />

réunion extraordinaire - à savoir la non connaissance du montant <strong>de</strong>s subventions <strong>de</strong> l'Etat pour<br />

l'année 1967 - et prévient toutes les attaques portées contre les <strong>MJC</strong>, notamment par le ministre <strong>de</strong><br />

la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports : impérialisme, fédération organisée comme un Etat d<strong>ans</strong> l'Etat,<br />

1 Compte-rendu <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Troyes, p. 21.<br />

2 Ibid. p. 22.<br />

3 Ibid. p. 22.<br />

4 Commentaires pour préparer l’assemblée générale du 19 février 1967 et engager les actions locales,<br />

1/02/67, 1.000 exemplaires, ronéo, 4 pages.<br />

5 Commentaires pour préparer l’assemblée générale du 19 février 1967 et engager les actions locales.<br />

p. 3-4.


- 309 -<br />

engagement politique <strong>de</strong> l'Institution du fait <strong>de</strong> la syndicalisation du personnel et du caractère<br />

alarmiste <strong>de</strong> l'action conduite en pério<strong>de</strong> préélectorale. On y remet clairement en cause la politique<br />

ministérielle <strong>de</strong> la jeunesse, celle du livre blanc et <strong>de</strong>s Mille clubs.<br />

La motion, votée à l'issue <strong>de</strong>s débats, à l'unanimité moins une abstention, marque autant par le<br />

ton que par son contenu. Les représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> “protestent” et “s'insurgent”. La presse<br />

régionale et nationale se fait largement l'écho <strong>de</strong> cette assemblée <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> sept cents personnes<br />

qui a remis en cause en termes “vifs” le ministre et lui a reproché “<strong>de</strong> négliger le dialogue avec les<br />

représentants <strong>de</strong>s mouvements” 1 .<br />

Entre temps, François Missoffe a tenté <strong>de</strong> rassurer les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en leur signifiant<br />

qu'il allait “faire procé<strong>de</strong>r à l'engagement <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> la subvention qui avait été attribuée à la<br />

FF<strong>MJC</strong> en 1966” 2 , et en leur certifiant que le montant <strong>de</strong> la subvention en 1967 ne serait en aucun<br />

cas inférieur à celui <strong>de</strong> l'année précé<strong>de</strong>nte. La motion votée en assemblée générale, réunie en<br />

session extraordinaire, s'est contentée <strong>de</strong> prendre acte du fait, si bien que le ministre a jugé<br />

nécessaire <strong>de</strong> répondre sur un ton qui ne laisse pas augurer d'une amélioration <strong>de</strong>s relations. Il dit<br />

en effet comprendre mal les raisons d'une telle émotion et d'une telle inquiétu<strong>de</strong>, et reproche à la<br />

FF<strong>MJC</strong> “le caractère volontairement alarmiste <strong>de</strong> la campagne d'agitation” 3 entreprise. Il considère<br />

que la date <strong>de</strong> la conférence <strong>de</strong> presse projetée par la FF<strong>MJC</strong> (2 mars 1967) “ne peut que confirmer<br />

aux yeux <strong>de</strong> l'observateur le moins averti le caractère politique d'une action menée d<strong>ans</strong> un contexte<br />

électoral” 4 , et signifie au délégué général que d<strong>ans</strong> ces conditions, il ne lui paraît pas souhaitable<br />

d'accor<strong>de</strong>r au bureau <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> l'entretien qu'il sollicite.<br />

Il est vrai que, <strong>de</strong>puis plus d'un an, on ne compte plus les lettres s<strong>ans</strong> réponses et les ren<strong>de</strong>z-<br />

vous manqués. D<strong>ans</strong> une lettre du 14 décembre 1966, Lucien Trichaud rappelait déjà les six<br />

correspondances s<strong>ans</strong> suite adressées au ministre, et sollicitait un nouveau ren<strong>de</strong>z-vous. D<strong>ans</strong> la<br />

même année, la proposition <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> construire un centre d'hébergement, qui serait en<br />

même temps un centre <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s directeurs, était restée s<strong>ans</strong> suite 5 . André Philip aurait, lui,<br />

été reçu entre <strong>de</strong>ux portes par le jeune ministre.<br />

L'Assemblée Générale <strong>de</strong> Lisieux rappelle les inquiétu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. “Le dialogue ne s'est<br />

pas établi - dit-on - entre les responsables fédéraux et le ministère” 6 . L'Institution continue cependant<br />

1 Le Mon<strong>de</strong> du 21/02/67.<br />

2 Lettre du 15 février 1967.<br />

3 Lettre du 27 février 1967.<br />

4 Ibid.<br />

5 “Nous nous étions habitués à l’attitu<strong>de</strong> d’Herzog qui accueillait toujours positivement nos projets.<br />

Pour la Gran<strong>de</strong> Motte, F. Missoffe nous a répondu qu’il verrait. Nous nous sommes alors dit que<br />

quelque chose avait changé”. (Entretien avec André Jager, responsable du service Architecture-<br />

Equipement).<br />

6 Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux, p. 3.


- 310 -<br />

à se développer et la réflexion s'approfondit sur la question <strong>de</strong> la modification <strong>de</strong>s structures. Les<br />

<strong>MJC</strong> et leurs responsables ont su faire bloc d<strong>ans</strong> les moments difficiles, et chacun pense que le<br />

mouvement auquel il participe est irréversible.<br />

Cette montée <strong>de</strong>s tensions a d’autres explications. D<strong>ans</strong> la <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>,<br />

élément compréhensible mais nouveau, le personnel éducatif occupe une place <strong>de</strong> plus en plus<br />

importante d<strong>ans</strong> la gestion <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> mais aussi d<strong>ans</strong> les prises <strong>de</strong> position et <strong>de</strong> décision. Ce<br />

corps professionnel est <strong>de</strong> plus en plus nombreux, même si tout le mon<strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong>, à l'intérieur et<br />

même à l'extérieur <strong>de</strong> la fédération, à reconnaître qu'il est insuffisant et que son statut reste<br />

précaire 1 . S<strong>ans</strong> possé<strong>de</strong>r d'indications très précises, on peut cependant affirmer que le recrutement<br />

est très diversifié, que sa composante “enseignant”, très marquée d<strong>ans</strong> les années 50, est en<br />

régression au profit d'une dominante “promotion interne” 2 , d<strong>ans</strong> laquelle le type militant à la fois<br />

syndical ouvrier et d'éducation populaire occupe une place déterminante, sinon numérique du moins<br />

emblématique 3 .<br />

Ce personnel, après avoir d<strong>ans</strong> la première pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s années 40 et 50 fait corps avec les<br />

militants bénévoles <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, en vient d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> à se positionner également en défenseur<br />

<strong>de</strong> ses intérêts professionnels. Les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, à mesure qu'ils <strong>de</strong>viennent plus nombreux,<br />

s'organisent mieux syndicalement. Pour beaucoup d'entre eux, la défense <strong>de</strong> leurs intérêts et <strong>de</strong><br />

ceux <strong>de</strong> l'Institution relèvent d'un même combat qui, d<strong>ans</strong> les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> tension, désigne le même<br />

adversaire, l'Etat, attitu<strong>de</strong> qui accrédite l’idée entretenue par certains esprits malveillants, d'une<br />

confusion entre l'engagement éducatif et culturel d'une part, et le combat politique et syndical d'autre<br />

part.<br />

1 François Missoffe reconnaît lui-même à plusieurs reprises “la précarité <strong>de</strong> leur statut” ou plutôt<br />

“l’absence <strong>de</strong> statut” et, comme la gran<strong>de</strong> majorité d’entre eux, il “pense que l’avenir <strong>de</strong>vrait<br />

permettre <strong>de</strong> donner aux directeurs en poste et aux futurs directeurs une sécurité et une stabilité<br />

<strong>de</strong> leur emploi, assorties <strong>de</strong> garanties <strong>de</strong> carrière qui font actuellement défaut”. Il écrit souhaiter<br />

très vivement que “ce problème essentiel puisse être résolu d<strong>ans</strong> les prochains mois”. Le Mon<strong>de</strong> du<br />

15/2/67.<br />

2 Ceux que l’on appelle d<strong>ans</strong> les jury <strong>de</strong> recrutement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> les “purs produits <strong>de</strong> l’Institution”. On<br />

connaît <strong>de</strong>s cas, souvent cités en exemple, <strong>de</strong> militants socio-éducatifs qui après avoir gravi tous les<br />

échelons <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> (activités, conseil <strong>de</strong> maison, CA, bureau) sont <strong>de</strong>venus ensuite directeurs <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong>.<br />

3 “Un sondage au hasard, opéré sur une centaine <strong>de</strong> dossiers <strong>de</strong> directeurs permanents parmi les 400<br />

que salarie la FF<strong>MJC</strong>, nous a révélé qu’environ 70% <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers étaient issus <strong>de</strong> métiers autres<br />

que l’enseignement (20% ayant exercé d<strong>ans</strong> l’industrie après avoir obtenu un CAP ou un B.E.I., les<br />

50% restant ayant occupé <strong>de</strong>s emplois d<strong>ans</strong> le secteur tertiaire après avoir acquis un niveau <strong>de</strong><br />

culture égal au certificat d’étu<strong>de</strong> primaire pour 10%, et s’étendant d<strong>ans</strong> les divers <strong>de</strong>grés <strong>de</strong><br />

l’enseignement secondaire, première partie du baccalauréat incluse, pour les 40% restant). Auxquels<br />

il faut ajouter 10% d’enseignants issus du premier <strong>de</strong>gré ou <strong>de</strong> l’enseignement technique, 15%<br />

d’étudiants, et ... 5% d’anciens séminaristes. Au total, les cadres <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> viennent pour 80% <strong>de</strong> la<br />

vie active [...]. On observe que le recrutement <strong>de</strong>s premières générations <strong>de</strong> directeurs se fit par un<br />

écrémage <strong>de</strong>s équipes dirigeantes <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse <strong>de</strong> la Libération auxquels<br />

succédèrent <strong>de</strong>s militants ayant fait l’apprentissage <strong>de</strong> leurs responsabilités au sein <strong>de</strong>s “conseils <strong>de</strong><br />

maison”. Michel Amiot, “L’État et la Jeunesse. La Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> démantelée par son<br />

Ministère <strong>de</strong> tutelle”, Esprit n° 387, 1969.


- 311 -<br />

Ces directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sont majoritairement organisé à la CGT, le syndicat “autonome<br />

Fédération Education nationale” ne recueillant guère que 20 % <strong>de</strong>s voix aux élections <strong>de</strong>s délégués<br />

du personnel 1 . La décision d'adhérer au FONJEP (Assemblée générale <strong>de</strong> Châteauroux, 17 mai<br />

1974 ) avait déjà donné une bonne occasion au personnel <strong>de</strong> se manifester syndicalement, ce qui<br />

explique en gran<strong>de</strong> partie que cette décision n'ait été prise qu'à une courte majorité alors que le<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s postes d'animateurs s'inspirait <strong>de</strong> l'expérience <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> elle-même. La<br />

CGT combattait déjà le désengagement financier <strong>de</strong> l'Etat 2 qu'augurait un tel dispositif, même si d<strong>ans</strong><br />

le même temps le développement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> s'en trouvait favorisé.<br />

L'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> François Missoffe à l'égard <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> aura pour effet quasi-immédiat <strong>de</strong> mobiliser un<br />

peu plus le personnel autour <strong>de</strong> la CGT qui, en janvier 1967, joue semble-t-il un rôle décisif d<strong>ans</strong> le<br />

choix d'organiser d<strong>ans</strong> le plus bref délai une assemblée générale en session extraordinaire. La CGT,<br />

par la voix <strong>de</strong> son bureau syndical 3 , dit avoir elle-même proposé l'organisation <strong>de</strong> cette assemblée<br />

générale. Le contenu <strong>de</strong>s déclarations et le ton employé posent les problèmes en <strong>de</strong>s termes<br />

significatifs <strong>de</strong>s équivoques sur lesquelles les <strong>MJC</strong> continuent à se développer, ainsi que <strong>de</strong>s<br />

contradictions grandissantes qui déjà semblent ne <strong>de</strong>voir se résoudre que d<strong>ans</strong> le conflit :<br />

“L'épreuve <strong>de</strong> force, Monsieur Missoffe la recherche <strong>de</strong>puis son avènement. Il a été mis en<br />

place pour cela. Le remplacement <strong>de</strong> Monsieur Herzog ne fut pas fortuit. Il avait échoué d<strong>ans</strong><br />

un certain nombre <strong>de</strong> ses entreprises, mais surtout les associations <strong>de</strong> caractère<br />

démocratique, comme la nôtre, ne furent pas muselées comme l'entendait le pouvoir. La<br />

jeunesse, les sondages le prouvent, ne va pas d<strong>ans</strong> le sens que souhaite celui-ci. Non ce n'est<br />

pas nous qui politisons le problème. Mais le pouvoir nous intente un procès politique” 4 .<br />

Même si la situation, notamment financière, s'est entre temps améliorée, l'intervention du syndicat<br />

CGT à l'assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux (14 mai 1967) a <strong>de</strong>s tonalités toujours aussi virulentes :<br />

“Monsieur Missoffe peut bien dire qu’il faut “être saint ou raté” 5 , les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> lui font<br />

savoir aujourd'hui qu'ils n'acceptent pas ce genre <strong>de</strong> parure.<br />

Le personnel <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> préférerait qu'une discussion immédiate avec <strong>de</strong>s gens qui ne sont<br />

ni <strong>de</strong>s saints ni <strong>de</strong>s ratés, traite <strong>de</strong> la convention qui réglerait leur situation autrement que par<br />

quelque ordonnance gouvernementale.<br />

1 Entretiens avec Lucien Trichaud.<br />

2 “Le FONJEP a été notre premier grand combat. A ce moment-là, nous sommes définitivement passés<br />

d’une sorte <strong>de</strong> syndicat-“amicale” à un syndicat luttant sur <strong>de</strong>s principes et avec <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

classe” (Entretien avec Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot, ancien salarié <strong>de</strong> Renault, directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

Colombes, déjà responsable syndical CGT d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, et actuellement le plus ancien<br />

directeur en exercice).<br />

3 Déclaration d’appel à participer à l’assemblée générale <strong>de</strong> Paris-Ravel.<br />

4 Déclaration d’appel à participer à l’assemblée générale <strong>de</strong> Paris-Ravel, p. 2.<br />

5 Référence à une déclaration du ministre sur les éducateurs, parue d<strong>ans</strong> plusieurs journaux.


- 312 -<br />

Profondément conscient du mépris d<strong>ans</strong> lequel l'Etat et son ministre <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s<br />

Sports le tient, le personnel <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, dont le sort est lié à celui <strong>de</strong>s travailleurs, participera<br />

s<strong>ans</strong> hésitation et avec enthousiasme à la grève nationale du 17 mai !” 1 .<br />

Le processus d'escala<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tensions entre d’un côté la FF<strong>MJC</strong> et son personnel, et <strong>de</strong> l'autre le<br />

ministre et l'administration d'Etat, met progressivement à nu l'ambiguï té voire même l'équivoque sur<br />

laquelle s'est développée la FF<strong>MJC</strong>. Au fond, s<strong>ans</strong> le dire explicitement, l'Etat a vraisemblablement<br />

toujours attendu que les <strong>MJC</strong> participent à l'intégration <strong>de</strong> la jeunesse d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s règles<br />

sociales existantes, tout en répondant en même temps à un besoin grandissant d'animation <strong>de</strong> loisir<br />

manifesté par les adultes. A l'opposé, certains responsables <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> nombreux directeurs<br />

n’excluent pas que la réalisation du projet pédagogique ne se traduise par <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong><br />

responsabilités et <strong>de</strong>s engagements qui remettraient explicitement en cause les rapports sociaux<br />

existants. Michel Amiot ne cite-t-il pas, en 1966 2 , Jean Rous qui affirmait 20 <strong>ans</strong> plus tôt :<br />

“Il est indispensable <strong>de</strong> définir le climat <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> liberté qui sera celui <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong><br />

Jeunes [...]. Il ne sera pas, en définitive, possible d'assister à un puissant essor institutionnel<br />

d<strong>ans</strong> un régime qui <strong>de</strong>meurerait sous la coquille “démocratique” foncièrement capitaliste. Le<br />

style <strong>de</strong> l'institution <strong>de</strong> jeunes doit tendre à faire aimer et vouloir une société débarrassée <strong>de</strong><br />

l'exploitation <strong>de</strong> l'homme par l'homme et basée sur la propriété commune <strong>de</strong>s grands moyens<br />

<strong>de</strong> production [...]. Les “patrons” tout désignés aux côtés du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'éducation populaire<br />

s’appellent CGT en coordination avec la CFTC, CGA, Artisanat, Mutualité”.<br />

D'un côté, celui du ministre, on pense surtout loisir et intégration <strong>de</strong> la jeunesse ; <strong>de</strong> l'autre, celui<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> ses professionnels, on pense toujours plus éducation populaire, prise <strong>de</strong><br />

responsabilité et liberté d'engagement. Les tensions se nourrissent mutuellement et les discours se<br />

radicalisent jusqu'à générer <strong>de</strong>s divergences, y compris à l'intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Le premier<br />

évènement véritablement spectaculaire <strong>de</strong> ces divergences internes est la démission brutale du<br />

prési<strong>de</strong>nt André Philip.<br />

Cette démission marque, par l'acte lui-même du premier fondateur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, par le charisme<br />

du personnage mais aussi par les attendus <strong>de</strong> la décision et par la virulence du ton. Après avoir<br />

rappelé d<strong>ans</strong> quel contexte et selon quels objectifs il avait pris l'initiative <strong>de</strong> créer ce qui est <strong>de</strong>venu<br />

<strong>de</strong>puis la FF<strong>MJC</strong> - il s'agissait <strong>de</strong> prendre le contre-pied “du régime <strong>de</strong> Vichy qui aurait fait <strong>de</strong> la<br />

jeunesse une classe à part encadrée par l'administration et conditionnée par la propagan<strong>de</strong>” 3 - André<br />

Philip explique que “<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong> tout a changé” 4 et stigmatise d<strong>ans</strong> un langage direct les<br />

initiatives ministérielles : on considère “comme au temps <strong>de</strong> Vichy” la jeunesse “comme une classe<br />

1 Intervention à l’assemblée générale <strong>de</strong> Lisieux, ronéo, p. 8.<br />

2 Les jeunes et les adultes, p. 7.<br />

3 Lettre <strong>de</strong> démission d’André Philip. Le Mon<strong>de</strong>, 3 avril 1968.<br />

4 Ibid.


- 313 -<br />

séparée, confinée d<strong>ans</strong> un ghetto” ; on attaque les mouvements <strong>de</strong> jeunesse et les institutions<br />

d'éducation populaire et on bloque leurs crédits, cependant qu'“on gaspille <strong>de</strong>s ressources rares<br />

d<strong>ans</strong> la création <strong>de</strong> mini-clubs s<strong>ans</strong> éducateurs, soumis directement pour leur gestion à<br />

l'administration d'Etat” 1 . Et André Philip <strong>de</strong> conclure sur ce sujet : “J'ai tenté à <strong>de</strong>ux reprises<br />

d'expliquer au ministre <strong>de</strong> la Jeunesse, les problèmes <strong>de</strong> l'éducation permanente ; j'ai dû constater<br />

que rien ne l'intéressait en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> sa publicité personnelle, ce qui ne me permet plus <strong>de</strong> le<br />

respecter” 2 .<br />

Mais pour le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> les difficultés n'ont pas seulement une origine ministérielle :<br />

“Les progrès même <strong>de</strong> la Fédération ont ossifié sa structure ; les maisons en exp<strong>ans</strong>ion, accaparées<br />

par leur activité propre, ont peu à peu perdu le sens <strong>de</strong> la solidarité fédérale” 3 . Bien plus, “les<br />

directeurs <strong>de</strong> maison au lieu d'être les serviteurs <strong>de</strong>s usagers sont <strong>de</strong>venus leurs gui<strong>de</strong>s, et leur<br />

influence croissante d<strong>ans</strong> le conseil d'administration fédéral tend à substituer à l'auto-gestion<br />

démocratique l'autoritarisme d'un corporatisme professionnel” 4 .<br />

André Philip critique notamment l'attitu<strong>de</strong> du syndicat CGT du personnel qui, “renforcé par le<br />

mécontentement général suscité par l'attitu<strong>de</strong> du ministre, a substitué à la co-responsabilité<br />

gestionnaire un esprit <strong>de</strong> revendication et d'agitation permanente” 5 : blocage au conseil<br />

d'administration <strong>de</strong> la proposition <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux municipalités un financement <strong>de</strong>s postes à 50%,<br />

opposition, à la <strong>de</strong>rnière assemblée générale, à la création d'une cotisation individuelle <strong>de</strong>s usagers<br />

ainsi qu'à l'augmentation <strong>de</strong>s cotisations <strong>de</strong>s maisons, mise à profit <strong>de</strong>s instances “pour se livrer à<br />

une propagan<strong>de</strong> politique qui déconsidère la Fédération” 6 . Et André Philip conclut ainsi sa lettre <strong>de</strong><br />

démission :<br />

1 Ibid.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.<br />

“Tout se passe comme s'il y avait objectivement une collusion entre un ministre désireux <strong>de</strong><br />

détruire la Fédération et un syndicat soucieux <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>struction pour favoriser la<br />

propagan<strong>de</strong> d'un parti politique. Or, ayant été appelé à <strong>de</strong>s fonctions internationales<br />

importantes, je ne dispose plus du temps nécessaire pour combattre à la fois un ministre<br />

hostile et un syndicat irresponsable” 7 .<br />

Cette décision <strong>de</strong> démission qu'André Philip annonce au conseil d'administration fédéral du 31<br />

6 Lettre <strong>de</strong> démission d’André Philip.<br />

7 Ibid.


- 314 -<br />

mars “provoque un émoi d<strong>ans</strong> la Fédération tout entière” 1 . Pour mettre fin aux polémiques qui<br />

commencent à se développer à l'intérieur comme à l'extérieur <strong>de</strong> l'Institution, la majorité du bureau<br />

publie une déclaration dont le but est <strong>de</strong> préserver l'unité fédérale et rétablit l'équilibre budgétaire en<br />

répartissant le déficit antérieur sur trois <strong>ans</strong>. Mais il n'empêche que quelques jours avant les<br />

évènements <strong>de</strong> mai-juin 1968, la FF<strong>MJC</strong> a été secouée <strong>de</strong> soubresauts dont les effets n'ont pas fini<br />

<strong>de</strong> se faire sentir.<br />

L'assemblée générale fédérale ordinaire qui <strong>de</strong>vait se dérouler les 1 er et 2 juin 1968 n'aura pas<br />

lieu. L'organisation matérielle eut été difficile d<strong>ans</strong> une France paralysée et les <strong>MJC</strong>, ainsi que la<br />

Fédération, sont <strong>de</strong> fait - et aussi par choix - fortement impliquées d<strong>ans</strong> les évènements du moment.<br />

Le 19 mai, le conseil d'administration fédéral <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux <strong>MJC</strong> “<strong>de</strong> favoriser sous la responsabilité<br />

<strong>de</strong> leurs propres conseils d'administration toutes les rencontres et discussions concernant les<br />

problèmes actuels” 2 .<br />

En mai et juin 1968, les <strong>MJC</strong> se sont manifestées <strong>de</strong> façons très diverses 3 suivant le contexte<br />

local, le secteur géographique ou sociologique, la personnalité <strong>de</strong>s animateurs, <strong>de</strong>s conseils<br />

d'administration et <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maison. La revue Pas à pas <strong>de</strong> juin 1968 fait largement état <strong>de</strong> la<br />

diversité <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, qui d<strong>ans</strong> la majorité <strong>de</strong>s cas ont pu et su faire respecter la liberté<br />

<strong>de</strong>s expressions les plus diverses et la laï cité ouverte : ici on a accueilli les organisations syndicales<br />

ou corporatives les plus diverses ; là on a organisé débats, colloques sur les questions concernant<br />

les jeunes (l'éducation, la politique, le travail...) ; ailleurs, pour éviter tout débor<strong>de</strong>ment, le personnel<br />

<strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> s'est organisé en comité <strong>de</strong> grève et a pris la maison momentanément en charge en<br />

accord avec le directeur et le conseil d'administration. Les <strong>MJC</strong> sont généralement restées ouvertes<br />

et on ne relève “que quelques cas d'occupation, souvent par <strong>de</strong>s jeunes étrangers à la <strong>MJC</strong>” 4 .<br />

S<strong>ans</strong> entrer plus d<strong>ans</strong> le détail, on peut cependant comprendre les raisons du rôle joué par les<br />

<strong>MJC</strong> pendant les évènements <strong>de</strong> mai-juin 1968, rôle qui leur confèrera une place i<strong>de</strong>ntifiable d<strong>ans</strong><br />

l'histoire <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s années suivantes, mais qui également explique en gran<strong>de</strong> partie les<br />

turbulences à venir. Première raison : les <strong>MJC</strong> sont <strong>de</strong>s espaces ouverts où l'on peut entrer<br />

librement. Ainsi d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreuses villes, lorsque l'usine et le lycée ont fermé leurs portes parce<br />

que les responsables craignent l'occupation <strong>de</strong>s locaux, la <strong>MJC</strong> reste-t-elle souvent le seul lieu<br />

ouvert où l'on va pouvoir se rencontrer et se réunir. De lieu d'intégration <strong>de</strong> la jeunesse, la <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong>vient alors d<strong>ans</strong> ce contexte nouveau et exceptionnel, un lieu d'explosion, <strong>de</strong> contradiction, <strong>de</strong><br />

contestation, que les responsables politiques en place peuvent considérer et stigmatiser comme<br />

1 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Vichy, qui <strong>de</strong>vait avoir lieu les 1 er et 2 mai 1968, p. 15.<br />

2 Note complémentaire d’information : La Fédération <strong>de</strong> mai à octobre (8/10/68).<br />

3 Le rôle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> pendant cette pério<strong>de</strong> justifierait une étu<strong>de</strong> spécifique.<br />

4 Note complémentaire d’information, p. 10.


- 315 -<br />

espace d'agitation politique. Deuxième raison : le projet, les mo<strong>de</strong>s d'organisation et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong> correspon<strong>de</strong>nt assez bien aux aspirations d'une certaine jeunesse <strong>de</strong> mai-juin 1968 : critique <strong>de</strong><br />

la consommation basée sur le profit, place pour l'aventure, l’initiative et l’imagination, besoin <strong>de</strong><br />

communication et <strong>de</strong> fraternité, refus <strong>de</strong>s dispositifs autoritaires et hiérarchiques <strong>de</strong> gauche comme<br />

<strong>de</strong> droite, autogestion et cogestion du projet et <strong>de</strong>s actions... Ainsi, tout en gardant une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

recul critique, les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> prendront-ils acte <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong> connivence entre les<br />

aspirations <strong>de</strong> la jeunesse et le dispositif institutionnel <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> :<br />

“En ce qui nous concerne, nous nous félicitons <strong>de</strong> ce que nos textes fondamentaux, les<br />

structures démocratiques <strong>de</strong> cogestion <strong>de</strong> nos <strong>MJC</strong> répon<strong>de</strong>nt aux exigences exprimées au<br />

mois <strong>de</strong> mai ...<br />

Si nous avons envisagé surtout les aspects positifs, il ne faut pas cependant nous faire trop<br />

d'illusions. Tout ne fait que commencer. Des dangers <strong>de</strong>meurent. Le balancier du pendule<br />

risque <strong>de</strong> remettre tout en place s<strong>ans</strong> tenir compte <strong>de</strong>s évènements pour nous replacer tôt ou<br />

tard d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s circonstances analogues aggravées. On peut mettre en place une simulacre <strong>de</strong><br />

dialogue avec la jeunesse, s<strong>ans</strong> pour autant tenir compte <strong>de</strong> ses avis. Il y a le risque <strong>de</strong><br />

démagogie, d'utilisation à <strong>de</strong>s fins inavouées et inavouables. Enfin, loin <strong>de</strong> nier les effets<br />

constructifs <strong>de</strong> l'élan révolutionnaire, affirmons cependant que nous ne pourrions accepter un<br />

totalitarisme qui refuse les contradictions <strong>de</strong> la liberté” 1 .<br />

Troisième raison enfin, expliquant la position originale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en mai-juin 1968 : elles sont<br />

quasiment les seuls endroits où cohabitent et se rencontrent une fraction <strong>de</strong> la jeunesse ouvrière (ce<br />

que l'on appelle les jeunes travailleurs) et une fraction <strong>de</strong> la jeunesse intellectuelle (lycéens et<br />

étudiants). Ces espaces <strong>de</strong> rencontre 2 entre <strong>de</strong> futurs intellectuels - ou à tout le moins <strong>de</strong> futurs<br />

travailleurs intellectuels - d'une part, et <strong>de</strong>s travailleurs d'exécution (ouvriers et petits employés) ne<br />

sont finalement pas si nombreux. Ce ne sont ni l'université, qui ne rassemble que <strong>de</strong>s étudiants, ni<br />

l'usine, qui reste réservée aux travailleurs organisés par le patronat et les syndicats traditionnels, qui<br />

peuvent favoriser ce genre <strong>de</strong> rencontre.<br />

Le comportement <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture, <strong>de</strong> leurs responsables et<br />

professionnels, fut diversement apprécié. Certains reconnurent d<strong>ans</strong> ces structures <strong>de</strong>s espaces<br />

d'apprentissage <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> parole et <strong>de</strong> la démocratie. D'autres ne virent que “foyers <strong>de</strong> désordre<br />

et d'anarchie” 3 . L'invitation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à “favoriser toutes les rencontres et discussions concernant<br />

les problèmes actuels” 4 fut largement suivie et perçue par certains comme un appel à l'agitation, non<br />

1 Ibid.<br />

2 Selon une étu<strong>de</strong> citée par M. Amiot (Les <strong>MJC</strong> - analyse <strong>de</strong>s tableaux statistiques par le Groupement<br />

d’Étu<strong>de</strong> pour l’Équipement Rural, 26 bd Raspail, Paris, mai 1969), les <strong>MJC</strong> rassembleraient à ce<br />

moment-là 15 à 20% d’ouvriers et 20% d’employés, pour un total à peu près équivalent d’écoliers<br />

et d’étudiants (L’État et la Jeunesse, op. cit., p. 180).<br />

3 M. Mondon, député-Maire <strong>de</strong> Metz (Le Républicain lorrain, 16 juillet 1968).<br />

4 Conseil d’administration du 19 mai 1968.


- 316 -<br />

conforme à la mission <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Les “votes-tests” organisés auprès <strong>de</strong>s jeunes d<strong>ans</strong> certaines<br />

d'entre elles font réagir Monsieur Nungesser, prédécesseur <strong>de</strong> Monsieur Comiti, qui <strong>de</strong>manda aux<br />

préfets <strong>de</strong> les interdire. “On vit <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> fermées et gardées par la police, <strong>de</strong>s maires ceints <strong>de</strong> leur<br />

écharpe tricolore venant, au soir <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dimanches d'élection, saisir les urnes” 1 .<br />

D<strong>ans</strong> le rapport moral présenté à l'assemblée générale <strong>de</strong>s 10 et 11 novembre 1968 à Grenoble,<br />

le secrétaire général, Monsieur Hillairet, explique l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> pendant les mois <strong>de</strong> mai et juin<br />

et repousse les attaques :<br />

“On a beaucoup parlé <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture au cours <strong>de</strong>s évènements <strong>de</strong><br />

mai. Quand les esprits se sont calmés, certains n'ont pas ménagé les violentes attaques qui,<br />

largement diffusées et répandues, donnent une image fausse et <strong>de</strong> la Fédération et <strong>de</strong> nos<br />

<strong>MJC</strong>. On nous reproche d'avoir été mêlé aux évènements, mais qui, dites-moi, n'y a pas été<br />

mêlé ? Alors que les problèmes <strong>de</strong> la jeunesse, l'inadaptation <strong>de</strong> nos systèmes d'éducation<br />

face à un mon<strong>de</strong> en pleine mutation, la hantise d'une civilisation technicienne, froi<strong>de</strong> et<br />

inhumaine où tout est prévu, où il n'y a plus place pour l'aventure, étaient au coeur même <strong>de</strong> la<br />

révolte, il eût été impardonnable, inconcevable même que nos <strong>MJC</strong> n'aient pas participé au<br />

débat. Tous ces problèmes, nous les avons largement évoqués au cours <strong>de</strong> nos assemblées<br />

générales, d<strong>ans</strong> nos écrits, d<strong>ans</strong> Pas à pas et nos esprits, nos structures <strong>de</strong> participation et <strong>de</strong><br />

cogestion répondirent parfaitement aux aspirations <strong>de</strong> Mai. Imaginons le cas contraire et on<br />

nous aurait fait le reproche <strong>de</strong> notre propre inadaptation face aux besoins et aux désirs <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse… Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture n'ont pas été créées pour qu'on y<br />

apprenne à jouer à la marelle, à chanter ou à tenir une marionnette. Leurs activités ne sont<br />

pas une fin en soi et leur ambition est beaucoup plus noble. D<strong>ans</strong> le cas contraire, Monsieur le<br />

Ministre, il faudrait tout <strong>de</strong> suite les supprimer, nous n'aurions plus rien à y faire”.<br />

Il n'empêche que pour les <strong>MJC</strong>, les évènements <strong>de</strong> mai ont joué le rôle d'analyseur social.<br />

L'équivoque <strong>de</strong> leur fonction s'est dévoilée un peu plus... Il y a désormais les pro- et anti-<strong>MJC</strong>. On<br />

affuble d'autant plus facilement les <strong>MJC</strong> d'une image politique partisane que le successeur d'André<br />

Philip, Paul Jargot, est engagé au parti communiste 2 . Après les élections législatives <strong>de</strong> juin 1968, le<br />

balancier revient. Il frappera la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> plein fouet.<br />

2 - Histoire d’une rupture<br />

Les premiers rapports entre la FF<strong>MJC</strong> et le secrétaire d'Etat chargé <strong>de</strong> la Jeunesse et du Sports,<br />

Joseph Comiti, sont semble-t-il bons et empreints d'une volonté <strong>de</strong> dialogue. Après plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

années <strong>de</strong> relations difficiles avec F. Missoffe, les responsables fédéraux se félicitent 3 <strong>de</strong> cette<br />

1 La Croix, 15 novembre 1969 (Les jeunes et la société <strong>de</strong>s adultes. Le dossier <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture).<br />

2 D<strong>ans</strong> les années 70, il sera sénateur-maire <strong>de</strong> Crolles (Isère).<br />

3 Note complémentaire d’information préparatoire à l’assemblée générale <strong>de</strong> Grenoble, p. 10.


- 317 -<br />

reprise <strong>de</strong> dialogue avec l'Etat. Joseph Comiti a reçu le bureau fédéral le 2 septembre et, d'un<br />

commun accord, il a été décidé la création d'une commission <strong>de</strong> travail rassemblant <strong>de</strong>s<br />

représentants du secrétariat d'Etat et <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> la Fédération. Cette commission s'est<br />

réunie plusieurs fois ; les problèmes financiers ont été évoqués et ont reçu un début <strong>de</strong> solution pour<br />

l'année 1968. On a le sentiment que la mise en forme d'un statut <strong>de</strong>s animateurs, et qu'une<br />

convention entre l'Etat et les gran<strong>de</strong>s associations, sont en bonne voie.<br />

Monsieur Joseph Comiti conçoit déjà un projet <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s structures, du reste prévu par les<br />

statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la Fédération, et que les responsables eux-mêmes disent souhaiter car il<br />

pourrait constituer une garantie. On souhaite cependant “que les modalités et l'esprit du contrôle ne<br />

soient pas appliqués d<strong>ans</strong> un sens restrictif voire primitif [et que ce contrôle n'aboutisse pas trop vite]<br />

à <strong>de</strong>s solutions définitives” 1 .<br />

L'assemblée générale <strong>de</strong> Grenoble (10-11 novembre 68) a adopté le principe <strong>de</strong> la<br />

régionalisation. Le projet doit être prêt avant Pentecôte. Le personnel sera géré par le conseil<br />

d'administration lui-même et non par un organisme distinct. Les nouvelles structures feront d'abord<br />

l'objet d'une expérimentation informelle contrôlée par <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> recherche. Le<br />

secrétaire d'Etat, <strong>de</strong> son côté, veut aller plus vite et plus loin. Il le fait rapi<strong>de</strong>ment savoir. Le 21<br />

novembre, les services ministériels remettent à la fédération le texte <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong> Joseph<br />

Comiti pour une réforme <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, texte qui, selon le témoignage du prési<strong>de</strong>nt<br />

Paul Jargot, est “accompagné verbalement d'une menace grave concernant le versement <strong>de</strong> la<br />

subvention <strong>de</strong> l'Etat” 2 .<br />

Le département ministériel désire voir mettre en oeuvre par la Fédération, dès le mois d'avril, un<br />

plan qui concerne trois domaines : la gestion, la position <strong>de</strong>s directeurs et la refonte <strong>de</strong>s structures.<br />

De quoi s'agit - il ? Il faut d'abord revenir “à la gestion <strong>de</strong> la fédération par ses adhérents [...] ce qui<br />

implique que soit mis fin à la présence au conseil d'administration fédéral <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s<br />

agents permanents <strong>de</strong> la fédération et <strong>de</strong>s associations membres” 3 . Il faut ensuite - et c'est, nous<br />

semble-t-il, l'aspect essentiel <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> - radicalement modifier la position <strong>de</strong>s directeurs : ils<br />

<strong>de</strong>viennent employés <strong>de</strong>s associations locales, la création <strong>de</strong>s postes se faisant par accord entre les<br />

associations et le secrétariat d'Etat, représenté par les chefs <strong>de</strong> services académiques et<br />

départementaux. Le FONJEP rassemblant les fonds nécessaires les versera directement aux<br />

associations. On étudiera par ailleurs “les dispositions statutaires <strong>de</strong>s directeurs à la lumière d'un<br />

1 Ibid. p. 19.<br />

2 Rapport d’ouverture à l’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux (23 mars 1969), p. 1.<br />

3 Plan <strong>de</strong> réformes <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> présenté par le Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargé <strong>de</strong><br />

la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports (Ronéo, FF<strong>MJC</strong>, 200 exemplaires), daté du 22/11/68, ainsi que Le Figaro<br />

<strong>de</strong>s 23-24 novembre 68, qui reproduit intégralement ce texte.


- 318 -<br />

statut plus général <strong>de</strong>s animateurs” 1 . De là il découle - et c'est le troisième volet du projet - que “les<br />

structures fédérales seront allégées et assouplies [...]. Leur finalité sera profondément repensée en<br />

fonction d'une mission prioritaire : fournir <strong>de</strong>s prestations éducatives et culturelles aux <strong>MJC</strong> en<br />

premier lieu, mais aussi à toutes les associations d'éducation populaire qui en expriment le besoin<br />

suivant un système <strong>de</strong> cogestion. La Fédération re<strong>de</strong>viendra ainsi un centre <strong>de</strong> conception et<br />

d'incitation pour le développement <strong>de</strong> l'éducation populaire” 2 .<br />

Le secrétaire d'Etat a jeté d'emblée le bouchon suffisamment loin pour pouvoir, d<strong>ans</strong> les mois qui<br />

suivent, faire <strong>de</strong>s concessions s<strong>ans</strong> revenir sur l'essentiel. L'essentiel, c'est la suppression <strong>de</strong><br />

l'emploi et <strong>de</strong> la gestion nationale <strong>de</strong>s directeurs ainsi que <strong>de</strong> leur représentation avec voix<br />

délibérative d<strong>ans</strong> les conseils d'administration <strong>de</strong>s futures structures fédérales. La régionalisation<br />

n'est pas, en fait, l'enjeu essentiel du plan <strong>de</strong> réforme ministériel ; elle est évoquée une seule fois, et<br />

comme simple hypothèse 3 . Car en fait, la question est bien plus <strong>de</strong> savoir ce qui sera régionalisé,<br />

voire localisé, que d'imposer une régionalisation dont le principe a par ailleurs été accepté par<br />

l'assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> elle-même.<br />

Sur le contenu <strong>de</strong> la refonte <strong>de</strong>s structures proposé par Joseph Comiti, qui concerne<br />

essentiellement, comme nous venons <strong>de</strong> le voir, la gestion et la place du personnel éducatif, le<br />

conseil d'administration national <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est divisé 4 . Certains administrateurs sont sensibles “au<br />

retour à la gestion <strong>de</strong> la fédération par ses adhérents [et à l'idée] que soit mis fin à la présence au<br />

conseil d'administration fédéral <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s agents permanents <strong>de</strong> la fédération” 5 , d'autant<br />

que ces représentants sont majoritairement membres <strong>de</strong> la CGT. Que la Fédération, débarrassée <strong>de</strong><br />

la gestion du personnel, re<strong>de</strong>vienne “un centre <strong>de</strong> conception et d'incitation pour le développement<br />

<strong>de</strong> l'éducation populaire” 6 , une sorte <strong>de</strong> superstructure <strong>de</strong> réflexion, <strong>de</strong> proposition et <strong>de</strong> prestation,<br />

au service <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d'abord mais aussi <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s associations d'éducation populaire,<br />

1 Plan <strong>de</strong> réformes <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

2 Ibid.<br />

3 “D<strong>ans</strong> l’hypothèse d’une régionalisation <strong>de</strong>s structures, les fédérations régionales peuvent également<br />

fonctionner suivant ce principe” (i.e. le retrait <strong>de</strong>s représentants du personnel). Ibid.<br />

4 Division manifeste lors du conseil d’administration qui suivit l’assemblée générale <strong>de</strong> Grenoble et qui<br />

avait pour but le remplacement d’André Philip à la prési<strong>de</strong>nce et la constitution d’un bureau. Lors du<br />

premier tour <strong>de</strong> scrutin, P. Jargot était arrivé légèrement en tête, puis G. Hillairet avait obtenu la<br />

majorité absolue (19 voix contre 17 à P. Jargot). Il avait notamment obtenu les cinq voix <strong>de</strong>s<br />

ministères tandis que P. Jargot avait les quatre voix <strong>de</strong>s représentants du personnel. Mais G. Hillairet<br />

n’arriva pas à constituer un bureau, les personnes qu’il avait sollicitées s’étant récusées (P. Jargot<br />

n’a pas accepté le secrétariat général que G. Hillairet lui proposait). Après <strong>de</strong> longues discussions, le<br />

conseil d’administration avait donné mission aux <strong>de</strong>ux lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> s’entendre pour constituer un<br />

bureau, qui fut présenté en bloc aux suffrages et élu à la quasi-unanimité <strong>de</strong>s voix, moins quelques<br />

abstentions. C’est ainsi que P. Jargot, G. Hillairet et J. Laurain furent élus respectivement prési<strong>de</strong>nt,<br />

secrétaire général et trésorier.<br />

5 Plan <strong>de</strong> réformes (op. cit.).<br />

6 Ibid.


- 319 -<br />

pourrait conférer une légitimité et une audience nouvelle à l'Institution et à certains <strong>de</strong> ses<br />

responsables. Le secrétaire d'Etat laisse entendre qu'ainsi restructurée la Fédération entretiendrait<br />

une relation privilégiée avec l'Etat. Ainsi aurait-on, d'un côté un FONJEP qui, avec les différents<br />

employeurs - entendons les <strong>MJC</strong> - aurait la responsabilité <strong>de</strong> la gestion d'un personnel, et <strong>de</strong> l'autre<br />

une Fédération Française qui, avec l'Etat et les autres institutions, ne parlerait qu'éducation,<br />

animation et culture.<br />

Par contre, même si le secrétaire d'Etat donne le change sur les statuts du personnel (étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

“dispositifs statutaires <strong>de</strong>s directeurs à la lumière d'un statut plus général <strong>de</strong>s animateurs” 1 ), le<br />

syndicat CGT <strong>de</strong>s directeurs et une bonne partie <strong>de</strong>s administrateurs s'opposent à ce projet <strong>de</strong><br />

restructuration : le corps professionnel serait divisé, émietté, s<strong>ans</strong> possibilité <strong>de</strong> faire front pour<br />

défendre son statut déjà précaire ; le bon privilège <strong>de</strong> la réflexion et <strong>de</strong> la prestation culturelle confié<br />

à la Fédération ne serait qu'un leurre si d<strong>ans</strong> le même temps elle n'avait plus autorité sur les forces<br />

opérationnelles, et en premier lieu les salariés, pour passer à la mise en oeuvre. Ainsi ce projet <strong>de</strong><br />

réforme est-il rapi<strong>de</strong>ment perçu par certains comme un plan <strong>de</strong> démantèlement 2 .<br />

Les propositions ministérielles ont donc pour premier effet <strong>de</strong> diviser le conseil d'administration<br />

fédéral, d'affaiblir la Fédération et <strong>de</strong> faire craindre une scission 3 . L'unité sera cependant préservée<br />

encore quelques mois. Après une série <strong>de</strong> rencontres et <strong>de</strong> consultations (délégués nationaux et<br />

régionaux, syndicats <strong>de</strong> directeurs, membres du bureau et du conseil d'administration), le prési<strong>de</strong>nt<br />

fédéral aboutit le 18 janvier à une solution tant recherchée : “Nous nous présenterions <strong>de</strong>vant les<br />

<strong>MJC</strong> et l'opinion publique, non plus les uns contre les autres mais ensemble pour ce qui nous<br />

rassemblait et côte à côte pour ce qui nous séparait” 4 .<br />

L'assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux est donc programmée. Une consultation préalable <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

sur les options relatives aux réformes <strong>de</strong>s structures fédérales est organisée, et les réponses sont<br />

consignées d<strong>ans</strong> un document largement diffusé 5 . Une rencontre avec le secrétaire d'Etat et ses<br />

collaborateurs a ensuite lieu. Le conseil d'administration du 15 mars déci<strong>de</strong> qu'un rapport unique<br />

d'ouverture doit permettre à chaque partie <strong>de</strong> développer ses arguments et que par exemple le<br />

secrétaire général présentera l'argumentation en faveur <strong>de</strong>s options contradictoires, car chacun<br />

convient qu’“une information juste exige le développement <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue différents [et que d<strong>ans</strong>]<br />

1 Ibid.<br />

2 Les réactions <strong>de</strong> la presse nationale sont significatives. Le Figaro se contente <strong>de</strong> présenter le plan <strong>de</strong><br />

réformes ministériel. L’Humanité du 23 novembre 1968 titre : “Brutale attaque gouvernementale<br />

contre la Fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes”.<br />

3 C’est du moins ce qu’affirme Paul Jargot. (Rapport d’ouverture à l’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux, p.<br />

1).<br />

4 Rapport d’ouverture à l’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux, p. 2.<br />

5 Consultation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sur les options relatives aux structures fédérales. Relevé par région, 27/02/69,<br />

Ronéo, 19 pages, 1.700 exemplaires.


- 320 -<br />

une organisation éducative comme la nôtre, la thèse et l'antithèse doivent être présentées avec une<br />

égale objectivité” 1 .<br />

Il semble donc que malgré le temps court, et compte tenu <strong>de</strong> l'importance <strong>de</strong>s enjeux, cette<br />

assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux soit préparée avec soin et rigueur. Le projet <strong>de</strong> modification <strong>de</strong>s<br />

statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et le projet <strong>de</strong>s statuts-type d'une association régionale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sont présentés<br />

article par article, suivis d'un commentaire rendant compte du vote du conseil d'administration<br />

national du 23 février et <strong>de</strong> la position ministérielle. Les articles sur lesquels le conseil<br />

d'administration est divisé sont présentés avec <strong>de</strong>s choix optionnels. C'est d'abord le cas <strong>de</strong> l'article<br />

3, alinéa h, <strong>de</strong>s nouveaux statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> qui est proposé avec <strong>de</strong>ux options :<br />

“Option A1 :<br />

Elle (la FF<strong>MJC</strong>) assure le recrutement et l'emploi du personnel administratif technique du<br />

centre fédéral, et le recrutement, la formation et l'emploi, en accord avec les associations<br />

membres, d'un personnel éducatif et d'encadrement, ces responsabilités étant définies d<strong>ans</strong> le<br />

cadre d'un contrat collectif et d'une convention nationale.<br />

Option A2 :<br />

Elle (la FF<strong>MJC</strong>) assure le recrutement et l'emploi du personnel technique administratif du<br />

centre fédéral et du personnel d'encadrement national. Le personnel éducatif est employé par<br />

les fédérations régionales d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s règles établies par le conseil d'administration<br />

national en ce qui concerne la qualification, et d<strong>ans</strong> le cadre d'un contrat collectif ou d'une<br />

convention nationale” 2 .<br />

Le vote du conseil d'administration national s'établit comme suit : 20 voix pour l'option A1, 24 voix<br />

pour l'option A2 et une abstention, l'option A2 ayant recueilli l'accord du ministère <strong>de</strong> tutelle.<br />

L'article 6 qui concerne les membres <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> est présenté avec trois options pour la partie<br />

portant sur la représentation du personnel :<br />

“Option B1 :<br />

Avec voix délibérative, les représentants du personnel d'encadrement, du personnel éducatif<br />

et du personnel administratif <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> faisant partie du conseil d'administration, comme il<br />

est dit ci-après à l'article 9 paragraphe 2.<br />

Option B2 :<br />

Avec voix consultative, les représentants du personnel d'encadrement, du personnel éducatif<br />

et du personnel administratif <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> faisant partie du conseil d'administration, comme il<br />

est dit ci-après à l'article 9 paragraphe 2.<br />

Option B3 :<br />

1 Rapport d’ouverture, p. 5.<br />

2 Assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Sochaux (23 mai 1969). Texte <strong>de</strong> propositions, p. 6.


Pas <strong>de</strong> représentants du personnel” 1 .<br />

- 321 -<br />

Au conseil d'administration national, l'option B1 a obtenu 20 voix, l'option B2, 12 voix, l'option B3,<br />

13 voix, cette <strong>de</strong>rnière ayant reçu l'accord du ministère <strong>de</strong> tutelle.<br />

Des options comparables portant sur la représentation du personnel sont proposées d<strong>ans</strong> l'article<br />

9 paragraphe 2, consacré à la composition du conseil d'administration :<br />

“Option C1 :<br />

Avec voix délibérative, désignés respectivement par l'ensemble <strong>de</strong> leurs collègues sur<br />

présentation libre :<br />

- un représentant du personnel d'encadrement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>,<br />

- quatre représentants du personnel éducatif,<br />

- un représentant du personnel administratif <strong>de</strong> la Fédération.<br />

Option C2 :<br />

Avec voix consultative, désignés respectivement par l'ensemble <strong>de</strong> leurs collègues sur<br />

présentation libre :<br />

- un représentant du personnel d'encadrement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>,<br />

- quatre représentants du personnel éducatif,<br />

- un représentant du personnel administratif <strong>de</strong> la Fédération.<br />

Option C 3 :<br />

Pas <strong>de</strong> représentation” 2 .<br />

Le vote du conseil d'administration a donné 21 voix en faveur <strong>de</strong> l'option C1, une en faveur <strong>de</strong><br />

l'option C2, 21 voix en faveur <strong>de</strong> l'option C3, qui a recueilli l'accord du ministère <strong>de</strong> tutelle.<br />

D<strong>ans</strong> l'article 14 portant sur les prérogatives du conseil d'administration, <strong>de</strong>ux options sont aussi<br />

proposées :<br />

“Option D1 :<br />

Il nomme, avec l'accord <strong>de</strong>s conseils d'administration locaux, aux emplois <strong>de</strong> directeur,<br />

directrice, adjoints et adjoints <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

Option D2 :<br />

Paragraphe supprimé” 3 .<br />

Le conseil d'administration national a donné 21 voix à l'option D1 et 23 voix à l'option D2. L'option<br />

D2 a été approuvée par le ministère <strong>de</strong> tutelle. D<strong>ans</strong> le cas où cette <strong>de</strong>rnière option serait adoptée, le<br />

paragraphe supprimé serait placé d<strong>ans</strong> les statuts-type <strong>de</strong>s fédérations régionales, article 18.<br />

1 Ibid. p. 6.<br />

2 Textes <strong>de</strong> proposition à l’assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Sochaux, p. 8.<br />

3 Ibid. p. 9.


- 322 -<br />

D<strong>ans</strong> le projet <strong>de</strong> statuts-type d'une association régionale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, on retrouve à l'article 14<br />

(composition du conseil d'administration) les options B1, B2 et B3 :<br />

“Option B1 :<br />

Les représentants du personnel éducatif et administratif avec voix délibérative.<br />

Option B2 :<br />

Les représentants du personnel éducatif et administratif avec voix consultative.<br />

Option B3 :<br />

Pas <strong>de</strong> représentant du personnel” 1 .<br />

Les votes <strong>de</strong>s membres du conseil d'administration national sont les suivants : 18 en faveur <strong>de</strong><br />

B1, 2 en faveur <strong>de</strong> B2, 20 en faveur <strong>de</strong> B3 qui a obtenu l'accord du ministère <strong>de</strong> tutelle.<br />

Les choix proposés aux représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> concernent donc essentiellement la gestion du<br />

personnel et sa place d<strong>ans</strong> les organes <strong>de</strong> décision nationaux et régionaux. De son côté le secrétaire<br />

d'Etat a accepté le principe que le personnel éducatif soit géré par l'appareil fédéral et non<br />

directement par les <strong>MJC</strong> elles-mêmes, ce qui peut apparaître comme un recul par rapport à ses<br />

propositions <strong>de</strong> novembre 1968. Cependant en soutenant avec force les options A2 (emploi du<br />

personnel éducatif par les fédérations régionales), B3 et C3 (absence <strong>de</strong> représentants du personnel<br />

d<strong>ans</strong> les assemblées et conseils d'administration régionaux et nationaux), et enfin l'option D2 (refus<br />

<strong>de</strong> voir les directeurs nommés par le conseil d'administration national), Monsieur Joseph Comiti<br />

entend bien aboutir à ce qu'il appelle une vraie régionalisation, et rendre la gestion <strong>de</strong> la Fédération<br />

à ses adhérents, en partenariat avec les représentants <strong>de</strong> l'Etat, <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d'éducation populaire et même <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s centrales syndicales 2 . Autrement dit la représentation <strong>de</strong><br />

l'Etat ne remet pas en cause la cogestion d<strong>ans</strong> son principe, y compris avec le mouvement syndical.<br />

Il remet par contre en cause la cogestion avec le personnel salarié <strong>de</strong> l'Institution et avec ses<br />

organisations syndicales représentatives. Rien n’interdit d'autre part que les directeurs mis à<br />

disposition <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> soient membres <strong>de</strong> droit <strong>de</strong>s conseils d'administration - le projet <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s<br />

structures ne concerne pas les <strong>MJC</strong> - mais d<strong>ans</strong> ce cas, c'est à titre <strong>de</strong> professionnel, <strong>de</strong> technicien<br />

porteur du projet pédagogique et non au titre <strong>de</strong> représentant du personnel défendant ses intérêts <strong>de</strong><br />

salarié. Il ne peut du reste en être autrement puisque le projet <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s structures ne prévoit<br />

pas que les directeurs puissent être salariés <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

Autre élément essentiel : les administrateurs nationaux sont, c'est le moins que l'on puisse dire,<br />

1 Ibid. p. 15.<br />

2 Le ministère <strong>de</strong> tutelle a marqué son accord avec l’article 6 alinéa 3 <strong>de</strong>s statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, qui<br />

prévoit notamment que les représentants <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s centrales syndicales aient un statut <strong>de</strong><br />

membre associé à l’assemblée générale, et à qui rien n’interdit d’être aussi membres associés au<br />

conseil d’administration (Article 6 : “<strong>de</strong> 1 à 6 membres associés définis à l’article 9. Les membres<br />

fondateurs et les membres associés sont élus par l’assemblée générale sur proposition du conseil<br />

d’administration fédéral”, disposition qui a également reçu l’accord du ministère <strong>de</strong> tutelle).


- 323 -<br />

divisés sur ces options fondamentales. Le conseil d'administration national est donc loin <strong>de</strong> faire<br />

front, face aux exigences ministérielles. De leur côté, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture elles-<br />

mêmes se divisent, sur ces options, entre celles qui ont une tendance très “régionaliste” qui va <strong>de</strong><br />

pair avec la suppression <strong>de</strong> la représentation du personnel avec voix délibérative d<strong>ans</strong> les instances,<br />

et celles qui restent très “centralisatrices” et qui d<strong>ans</strong> le même temps enten<strong>de</strong>nt maintenir la<br />

participation délibérative <strong>de</strong>s représentants du personnel d<strong>ans</strong> les instances nationales. Mais entre<br />

les <strong>de</strong>ux cas <strong>de</strong> figure diamétralement opposés, on rencontre toutes les variantes : certaines <strong>MJC</strong><br />

favorables à la gestion régionale <strong>de</strong>s directeurs pensent qu'ils doivent être représentés avec voix<br />

délibérative ; d’autres <strong>MJC</strong> favorables à la gestion nationale, optent pour une représentation<br />

simplement consultative, voire même, comme par exemple la Fédération départementale du Tarn 1 ,<br />

par une absence totale <strong>de</strong> représentation.<br />

C'est d<strong>ans</strong> ce contexte que s'ouvre donc le 23 mars 1969, l'assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong><br />

Sochaux 2 . Un nombre très important (723) 3 <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ayant droit <strong>de</strong> vote 4 et disposant <strong>de</strong> 1.100<br />

mandats environ, est présent. Le prési<strong>de</strong>nt Paul Jargot ouvre la séance en présentant une partie du<br />

rapport introductif, l'autre partie étant, comme prévu, présentée par le secrétaire général, G. Hillairet.<br />

Le directeur <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Activités socio-éducatives Jean Maheu, représentant le secrétaire<br />

d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, exprime le point <strong>de</strong> vue du gouvernement. Trente-quatre<br />

personnes prennent la parole pendant la discussion, mais le secrétaire général G. Hillairet et le<br />

délégué général L. Trichaud retirent leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'intervention 5 , attitu<strong>de</strong> que regrette un<br />

administrateur national (M. Bourret). Les 29 articles généraux - options non comprises - sont adoptés<br />

par la majorité requise <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers, et ce <strong>de</strong> manière généralement très confortable (1.050<br />

mandats environ). Par contre, les modifications <strong>de</strong>s statuts fédéraux portant sur le fait <strong>de</strong> l'employeur<br />

(option A), la présence <strong>de</strong>s représentants du personnel aux assemblées générales et aux conseils<br />

d'administration (options B et C) n'obtiennent pas la majorité requise <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers, si bien que le<br />

statut quo est maintenu sur ces points. Cependant les statuts-type <strong>de</strong>s FR<strong>MJC</strong> sont adoptés d<strong>ans</strong><br />

leur totalité ainsi que les règlements intérieurs <strong>de</strong>s assemblées générales régionales et nationales.<br />

Les décisions majoritaires <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux qui conduisent, sur les questions<br />

essentielles du statut du personnel, au maintien <strong>de</strong> la situation (employeur national et présence avec<br />

1 Voir Consultation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> sur les options relatives aux structures fédérales.<br />

2 En fait, pour être plus précis, cette assemblée générale extraordinaire est “doublée” d’une assemblée<br />

générale ordinaire qui porte sur l’adoption <strong>de</strong>s statuts-type <strong>de</strong>s fédérations régionales ainsi que sur<br />

les règlements intérieurs <strong>de</strong>s assemblées générales <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s FR<strong>MJC</strong>.<br />

3 “Près <strong>de</strong> la totalité”, dit le compte-rendu.<br />

4 Les autres <strong>MJC</strong> ont, selon le règlement, un statut <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> stagiaire ou en création, qui ne leur donne<br />

pas le droit <strong>de</strong> voter.<br />

5 “Nous avons refusé <strong>de</strong> parler car la salle était noyautée. Dès lors j’ai compris qu’il faudrait inventer<br />

autre chose”. Lucien Trichaud (entretiens).


- 324 -<br />

voix délibérative <strong>de</strong>s représentants d<strong>ans</strong> les instances) sont diversement appréciées. L'Humanité<br />

considère que la “Fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> refuse la régionalisation gaulliste [et] son plan <strong>de</strong><br />

démantèlement” 1 . De son côté, le Figaro du même jour pense qu'il s'agit “d'une assemblée générale<br />

extraordinaire pour rien ou presque” tandis que le Mon<strong>de</strong> titre d<strong>ans</strong> sa rubrique “Jeunesse” : “La<br />

Fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes rejette les réformes proposées par Monsieur Comiti” 2 . Quant à la<br />

réaction du secrétaire d'Etat lui-même, elle est rapi<strong>de</strong> et brutale : “Le problème <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture est <strong>de</strong>venu un problème national” 3 ; il doit donc faire l'objet d'un traitement<br />

national que l'Etat, à défaut d'une décision majoritaire et statutaire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, va <strong>de</strong>voir administrer.<br />

Le 26 mars 1969, Monsieur Joseph Comiti reçoit une délégation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et lui signifie les<br />

décisions qu'il a prises suite à l'assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Sochaux. D<strong>ans</strong> une interview<br />

exclusive au Figaro 4 , il fait connaître ces mesures et son appréciation <strong>de</strong> la situation. Il explique<br />

notamment que “les renseignements recueillis montrent que d<strong>ans</strong> la plupart <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il y avait <strong>de</strong>s<br />

éléments gauchistes, qu'elles n'avaient plus l'audience qu'elles auraient dû avoir et que les jeunes<br />

n'y allaient pas” 5 . D'autre part, “les <strong>MJC</strong> semblaient réduites au problèmes <strong>de</strong>s directeurs” 6 , ce qui<br />

l'avait conduit à proposer d<strong>ans</strong> un premier temps que ces professionnels soient directement<br />

employés par les <strong>MJC</strong>, et enfin à accepter que l'employeur <strong>de</strong>vienne la fédération régionale. Enfin,<br />

Monsieur Joseph Comiti conteste la légitimité <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux où la proposition<br />

ministérielle n'a recueilli que “les suffrages <strong>de</strong> 400 mandats contre <strong>60</strong>0 à l'option du personnel : d<strong>ans</strong><br />

cette réunion syndicale bien préparée [dit-il], prise en main par la CGT et le parti communiste, ceux<br />

qui défendaient notre point <strong>de</strong> vue n'ont pas pu parler” 7 . Il a donc décidé <strong>de</strong>s mesures qui vont<br />

prendre effet immédiatement et qui sont les suivantes :<br />

“1) le refus d'approuver les statuts qui n'ont pas réuni la majorité nécessaire et qui sont une<br />

caricature <strong>de</strong> régionalisation. C'est en effet une fausse régionalisation <strong>de</strong> l'institution qui a été<br />

adoptée puisqu'on a créé un échelon supplémentaire qui n'aura aucun pouvoir <strong>de</strong> décision.<br />

2) l'obligation d'alléger le fonctionnement fédéral en supprimant <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> personnel.<br />

3) la limitation <strong>de</strong>s subventions aux activités justifiant l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Etat, c'est-à-dire l'animation et<br />

la diffusion culturelles en fonction d'un programme précis à présenter par la Fédération et qui<br />

1 Édition du 24 mars 1969.<br />

2 Édition du 25 mars 1969.<br />

3 Paroles rapportées par P. Jargot (Rapport <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux, p. 6).<br />

4 Édition du 27/03/69 (De plus, Le Mon<strong>de</strong>, d<strong>ans</strong> ses éditions datées du 28 puis du 29 mars, s’étend<br />

longuement sur cette question. Voir l’article <strong>de</strong> Jean-Marie Dupont : “Monsieur Comiti et la<br />

Fédération <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes. Mesures administratives ou opération politique ?”).<br />

5 Le Figaro (ibid.).<br />

6 Ibid.<br />

7 Ibid.


sera contrôlé à priori et à posteriori.<br />

- 325 -<br />

4) la suppression <strong>de</strong>s postes du Fonds <strong>de</strong> Coopération <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong> l'Education<br />

Populaire (FONJEP) à certaines <strong>MJC</strong> qui n'observent pas les statuts, en particulier en ce qui<br />

concerne l'obligation <strong>de</strong> neutralité.<br />

5) la suppression <strong>de</strong>s subventions d'équipement pour la construction <strong>de</strong> Maisons <strong>de</strong> Jeunes<br />

pour celles qui adhéreraient à la FF<strong>MJC</strong>” 1 .<br />

Ces mesures immédiates sont assorties <strong>de</strong> menaces pour l'avenir.<br />

“Ces réductions <strong>de</strong> crédit, ce contrôle, doivent être considérés comme une première étape<br />

pour cette année. C'est à la FF<strong>MJC</strong> qu'il appartient <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong>. S’il n'y a pas <strong>de</strong><br />

changement, nous supprimerons totalement la subvention <strong>de</strong> sept millions <strong>de</strong> francs en 1970<br />

et la répartirons entre les autres associations : les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs ne manquent pas” 2 .<br />

Dès lors, la FF<strong>MJC</strong> se retrouve institutionnellement d<strong>ans</strong> une impasse. Le voudrait-elle qu'elle ne<br />

pourrait même pas mettre en application les articles <strong>de</strong>s statuts qui ont fait l'objet d'un vote par plus<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s mandats puisque ces statuts n'ont pas reçu l'approbation nécessaire du ministère<br />

<strong>de</strong> tutelle, comme le prévoit l'article 27 <strong>de</strong>s statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. L'Institution est donc condamnée à<br />

gar<strong>de</strong>r les règles <strong>de</strong> fonctionnement antérieures, prise qu'elle est entre l'absence d'une majorité <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s mandats pour les modifications réclamées par l'Etat et le refus <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

d'accepter les dispositions statutaires majoritairement adoptées. D'autre part - autre impasse, celle-ci<br />

financière - les mesures draconiennes du secrétaire d'Etat menacent la FF<strong>MJC</strong> d'une asphyxie<br />

rapi<strong>de</strong> si elle reste d<strong>ans</strong> ses structures actuelles. Pour Jean-Marie Dupont, “<strong>de</strong>ux issues seulement<br />

paraissent possibles : nouvelle assemblée <strong>de</strong> la Fédération revenant sur les décisions <strong>de</strong> Sochaux<br />

par <strong>60</strong>% <strong>de</strong>s mandats et acceptant les réformes exigées par M. Comiti ; éclatement <strong>de</strong> la Fédération<br />

et mise en place d<strong>ans</strong> certaines régions <strong>de</strong> fédérations autonomes acceptant les règles du jeu<br />

acceptées par l'Etat” 3 .<br />

C'est à croire que ce journaliste était particulièrement perspicace ou bien qu'il avait eu vent <strong>de</strong><br />

stratégies en cours d'élaboration. En effet, quatre jours plus tard, Lucien Trichaud déci<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

démissionner <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> délégué général. “Le mardi 1er avril, écrit Paul J<strong>ans</strong>en, je rentrais à<br />

11heures à la Fédération. Trichaud me fit part <strong>de</strong> sa décision <strong>de</strong> démissionner. Il avait écrit en ce<br />

sens une lettre recommandée la veille au Prési<strong>de</strong>nt ; par sécurité, il avait doublée cette lettre d'une<br />

copie non recommandée, <strong>de</strong> façon qu'en cas <strong>de</strong> retard <strong>de</strong> la première, Jargot soit prévenu. C'était<br />

d'autant plus indispensable que la presse était avisée. La première édition du Mon<strong>de</strong> datée du 2<br />

avril, par conséquent paraissant le 1er avril en début d'après-midi, publiait la démission. A 12h10, le<br />

1 Le Figaro du 27 mars 1969. La plupart <strong>de</strong> ces mesures sont notifiées par écrit (lettre <strong>de</strong> M. Joseph<br />

Comiti à la FF<strong>MJC</strong> du 31 mars 1969).<br />

2 Le Figaro du 27 mars 1969.<br />

3 Le Mon<strong>de</strong> du 28 mars 1969.


- 326 -<br />

délégué général donnait lecture <strong>de</strong> sa lettre <strong>de</strong> démission qu'il avait l'intention d'envoyer à tout le<br />

personnel fédéral” 1 . D<strong>ans</strong> sa lettre <strong>de</strong> démission au Prési<strong>de</strong>nt, le délégué général déclare<br />

notamment :<br />

“... Le fait que notre ministère <strong>de</strong> tutelle ait choisi, quant à lui, telle ou telle option, n'est jamais<br />

entré d<strong>ans</strong> notre raisonnement. Vous le savez bien, et c'est un détail qui eut mérité d'être<br />

clairement dit à Grenoble et à Sochaux : nos propositions <strong>de</strong> réformes datent <strong>de</strong> trois <strong>ans</strong> et<br />

ne sont que le résultat d'une réflexion qui s'est voulue honnête en vue d'un meilleur<br />

développement <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l'éducation populaire. Notre réforme<br />

nécessairement profon<strong>de</strong> émanait <strong>de</strong> l'intérieur pour <strong>de</strong>s raisons techniques. Par entêtement<br />

ou par calcul, on en a fait une querelle politique, essentiellement appuyée sur un corps<br />

syndical, oubliant les intérêts <strong>de</strong>s adhérents, le dévouement <strong>de</strong>s animateurs bénévoles et la<br />

mission même <strong>de</strong> notre fédération et <strong>de</strong> nos <strong>MJC</strong>. Il m'est impossible <strong>de</strong> travailler plus<br />

longtemps d<strong>ans</strong> un tel malentendu ...”<br />

Après la démission <strong>de</strong> Lucien Trichaud, Paul J<strong>ans</strong>en, délégué général adjoint, assume <strong>de</strong> fait un<br />

intérim qui est tr<strong>ans</strong>formé en nomination au poste <strong>de</strong> délégué général lors <strong>de</strong> la réunion du conseil<br />

d'administration fédéral du 13 avril. On enregistre <strong>de</strong>s démissions en casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> membres du<br />

conseil d'administration, <strong>de</strong> personnels fédéraux et <strong>de</strong> délégués régionaux. Parmi les<br />

administrateurs, on note les démissions <strong>de</strong> G. Hillairet (secrétaire général), d'A. Viala, R. Fareng, A.<br />

Rouge, J. Yche, d’A. Philip lui-même 2 . Démissionnent également <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> service (par exemple<br />

Bruno Cuvellard, responsable <strong>de</strong> Pas à pas), <strong>de</strong>s délégués nationaux (A. Buisson, P. Mulet et P.<br />

Demaison) ainsi que <strong>de</strong> huit délégués régionaux (J. Bézu, R. Bombourg, G. Celariès, J. Denviolet, A.<br />

Legrand, M. Sala, J. Urbanek et J. Brasselet) et treize membres du personnel administratif. Pendant<br />

ces journées, la confusion et la tension sont extrêmes. “Le climat, écrit Paul J<strong>ans</strong>en, <strong>de</strong>vient<br />

intenable rue La Condamine. B. Dumont, seule, met sous enveloppe le texte du Prési<strong>de</strong>nt Jargot aux<br />

<strong>MJC</strong> ... Je souhaite avec Jager que le conseil d'administration soit ferme, dur. Licenciement général<br />

et départ à zéro. Il est impossible <strong>de</strong> redresser la situation au comité fédéral d'une autre manière ...” 3 .<br />

Lucien Trichaud serait allé le 4 avril à Narbonne pour créer une fédération autonome qui prend<br />

d'abord le nom d'APREREG (Association <strong>de</strong>s prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s régions) avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir, un an plus<br />

tard, l'UNIREG. Des fédérations régionales autonomes sont créées, à Paris par exemple, ainsi que<br />

<strong>de</strong>s services, notamment le Centre <strong>de</strong>s Echanges culturels internationaux (C.E.C.I) présidé par<br />

G.Hillairet, et qui est la réplique du Bureau d'Animation et <strong>de</strong> Rencontre (B.A.R). Mais d'autres <strong>MJC</strong><br />

1 Compte rendu <strong>de</strong> Paul J<strong>ans</strong>en (Ronéo, 8 pages).<br />

2 Après sa démission <strong>de</strong> la prési<strong>de</strong>nce, André Philip était resté membre du conseil d’administration<br />

fédéral, dont il démissionne avec ces mots : “L’assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux a une fois <strong>de</strong> plus<br />

écarté la réforme fondamentale qui seule aurait pu assurer le salut <strong>de</strong> la Fédération. D<strong>ans</strong> ces<br />

conditions, je ne puis plus prendre aucune part à une administration qui me parait engagée d<strong>ans</strong> une<br />

voie s<strong>ans</strong> issue.” (Lettre au Prési<strong>de</strong>nt).<br />

3 Compte-rendu <strong>de</strong> Paul J<strong>ans</strong>en.


- 327 -<br />

et fédérations départementales déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s Fédérations régionales “fidèles” à la FF<strong>MJC</strong> et<br />

selon “les mesures prises démocratiquement” 1 à Sochaux. Les représentants <strong>de</strong>s huit fédérations<br />

départementales parisiennes ont, par exemple, désigné un bureau provisoire chargé <strong>de</strong> convoquer<br />

une assemblée générale constitutive le dimanche 11 mai à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Colombes, et condamnent “la<br />

position <strong>de</strong> ceux qui, sciemment, d'une manière non démocratique, s'efforcent <strong>de</strong> faire accepter aux<br />

maisons ce qu'elles ont refusé à Sochaux, en démissionnant ou en créant <strong>de</strong>s fédérations<br />

autonomes” 2 . Initiative comparable à Grenoble, où cent cinquante représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

l'académie se sont réunis le 20 avril pour examiner la situation <strong>de</strong> la Fédération Française et<br />

préparer l'installation d'instances régionales, cette assemblée maintenant “sa confiance au conseil<br />

d'administration et au personnel qui poursuivent leur travail au sein <strong>de</strong> la Fédération Française” 3 .<br />

D'autres initiatives, pourrait-on dire médianes, ajoutent à la confusion d<strong>ans</strong> laquelle nombre <strong>de</strong> <strong>MJC</strong><br />

se trouvent : la Fédération départementale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> du Loiret publie un manifeste déclarant<br />

l'ancienne FF<strong>MJC</strong> morte et annonçant l'existence d'une nouvelle FF<strong>MJC</strong> ; elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux<br />

fédérations départementales <strong>de</strong> convoquer immédiatement les assises <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> leurs régions, <strong>de</strong><br />

créer 21 fédérations régionales qui prendront pour “base <strong>de</strong> travail les textes élaborés par les<br />

commissions FF<strong>MJC</strong> et proposées à Sochaux” 4 . Elle ajoute cependant : “Nous nous abstiendrons <strong>de</strong><br />

toute initiative scissionniste et condamnons toute initiative illégale <strong>de</strong> création <strong>de</strong> fédération régionale<br />

autonome telle que la fédération <strong>de</strong> la région parisienne instituée arbitrairement par sept prési<strong>de</strong>nts.<br />

Nous affirmons avec force notre entière indépendance. Il existe une et une seule fédération<br />

Française” 5 .<br />

On peut facilement imaginer la perplexité, le désarroi même, d<strong>ans</strong> lequel se trouvent bon nombre<br />

<strong>de</strong> responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, notamment d<strong>ans</strong> les régions où les tenants <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la<br />

fédération autonome s'affrontent. Pendant plusieurs mois une sorte <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> tranchées<br />

s'instaure. On convoque <strong>de</strong>s assemblées générales où les adhérents doivent opter pour la fédération<br />

<strong>de</strong> leur choix. Les partis<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations, élus et délégués, battent la campagne et<br />

échangent arguments et invectives, font feu <strong>de</strong> tout bois : rencontres diverses, pression sur les élus,<br />

les directeurs et les municipalités. Il arrive même que d<strong>ans</strong> la même assemblée générale, on assiste<br />

à <strong>de</strong>s revirements, lorsque par exemple, un directeur annonce qu'il a choisi <strong>de</strong> travailler pour l'autre<br />

fédération et qu'il <strong>de</strong>vra donc quitter son poste. D<strong>ans</strong> cette scission <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, les délégués<br />

1 Déclaration <strong>de</strong>s unions et fédérations départementales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> l’Essonne, <strong>de</strong>s Hauts <strong>de</strong> Seine, <strong>de</strong><br />

Paris, Seine Saint Denis, Val <strong>de</strong> Marne, Val d’Oise, Yvelines et Seine et Marne (Le Figaro du<br />

23/04/69).<br />

2 Déclaration <strong>de</strong>s unions et fédérations départementales... (Le Figaro du 23/04/69).<br />

3 Ibid. Déclaration <strong>de</strong> Marc Malet, délégué régional <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Grenoble.<br />

4 Ibid.<br />

5 Ibid.


- 328 -<br />

régionaux semblent jouer un rôle déterminant. Et il est vrai que les démissions <strong>de</strong> Legrand,<br />

Bombourg, Urbanek, Denviolet, Celariès, Sala, Bésu et Brasselet vont faciliter, au moins d<strong>ans</strong> les<br />

premiers temps, la constitution <strong>de</strong> l'UNIREG. Mais l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s individus, fussent-ils à la fois fidèles<br />

au délégué général et fortement implantés d<strong>ans</strong> leurs espaces respectifs, n'explique pas tout. Malgré<br />

la démission <strong>de</strong> Legrand, les <strong>MJC</strong> d'Ile-<strong>de</strong>-France resteront en majorité affiliées à la FF<strong>MJC</strong> et Sala<br />

ne réussira pas à ramener à l'UNIREG l'ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> du pourtour méditerranéen - notamment<br />

d<strong>ans</strong> l’Hérault, les Bouches du Rhône, le Vaucluse et les Alpes Maritimes. Entre les espaces-<br />

bastions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations, vont se <strong>de</strong>ssiner <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> partage moins précises qui resteront<br />

pendant longtemps et jusqu'à aujourd'hui, <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> friction sensibles.<br />

3 - Le partage <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

S'agissant <strong>de</strong> l'éclatement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en 1969 en <strong>de</strong>ux fédérations, on en reste souvent à <strong>de</strong>s<br />

explications simples et simplistes. On peut certes être d'accord sur les origines clairement<br />

repérables, pourrait-on dire factuelles, <strong>de</strong> la crise et <strong>de</strong> la scission : l'Etat par l'intermédiaire <strong>de</strong> son<br />

secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, entend imposer une forme <strong>de</strong> régionalisation à une<br />

fédération centralisée puissante, et cela en prenant appui sur un certain nombre d'administrateurs<br />

nationaux et surtout un délégué général qui fait autorité d<strong>ans</strong> l'Institution.<br />

Les raisons d'une telle initiative ? Elles sont <strong>de</strong> plusieurs ordres que nous pouvons rappeler.<br />

L'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> leurs directeurs et <strong>de</strong> leur fédération en mai-juin 1968 donne l'image d'une<br />

institution qui à l'évi<strong>de</strong>nce ne satisfait pas un Etat qui a pourtant et préalablement facilité son<br />

développement. Le secrétariat d'Etat revient régulièrement sur la “politisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> [que] les<br />

évènements <strong>de</strong> mai 1968 ont démontrée à l’évi<strong>de</strong>nce” 1 . A cette attaque qui vise une conception et<br />

une application d'un <strong>de</strong>s principes fondamentaux <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> - la laï cité ouverte - la FF<strong>MJC</strong> répond<br />

qu'il s'agit d'une “affirmation totalement gratuite” et qui “frise la calomnie” 2 . Sur 1.200 écrit-elle, “il y a<br />

eu moins <strong>de</strong> 10 <strong>MJC</strong> où <strong>de</strong>s difficultés se sont présentées. Par contre, le ministre oublie <strong>de</strong> signaler<br />

les centaines <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> où se sont déroulés <strong>de</strong>s carrefours, répondant ainsi rigoureusement à la<br />

vocation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>” 3 . En fait, les évènements <strong>de</strong> Mai jouent, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, le rôle d'analyseur<br />

social en éclairant l'équivoque politico-pédagogique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : appareil d'intégration sociale et<br />

politique <strong>de</strong> la jeunesse, ou espace <strong>de</strong> débats contradictoires et <strong>de</strong> pratiques subversives - ou<br />

perçues comme telles - favorisant <strong>de</strong>s tr<strong>ans</strong>formations sociales ? Il apparait à ce moment précis que<br />

<strong>de</strong>rrière le projet <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui est <strong>de</strong> “former <strong>de</strong>s citoyens actifs et responsables d'une communauté<br />

1 Circulaire n° 2998 du 17 septembre 1969.<br />

2 Réponse à la circulaire du 17/09/69 (document interne du 17/10/69, 150 exemplaires, ronéo, 14<br />

pages).<br />

3 Ibid. p. 1.


- 329 -<br />

vivante” 1 , tout le mon<strong>de</strong> ne met pas la même vision <strong>de</strong> la société.<br />

Autre raison : le centre fédéral est <strong>de</strong>venu trop important et dès lors qu'il favorise <strong>de</strong>s pratiques<br />

pouvant contredire les attentes <strong>de</strong> l'Etat, il n'est plus le partenaire fiable d'une politique <strong>de</strong> la<br />

Jeunesse. Le centre fédéral apparait comme un Etat d<strong>ans</strong> l'Etat, comme “une administration<br />

parallèle” 2 dotée <strong>de</strong> moyens humains et d'une légitimité comparables à ceux <strong>de</strong> son autorité <strong>de</strong><br />

tutelle. Il regroupe à Paris près <strong>de</strong> 50 personnes, s<strong>ans</strong> compter les délégués régionaux, alors que la<br />

Direction <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong> l'éducation populaire n’en compte guère qu’une vingtaine <strong>de</strong> plus.<br />

D<strong>ans</strong> certains départements, il a plus <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> que <strong>de</strong> fonctionnaires du secrétariat<br />

d'Etat, ce qui donne aux délégués régionaux un pouvoir et une audience auprès <strong>de</strong>s autorités locales<br />

comparable, voire supérieure, à ceux <strong>de</strong>s cadres ministériels. Dès lors, la régionalisation autoritaire,<br />

la déconcentration <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s personnels et leur retrait <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong> décision sont à la fois<br />

un enjeu <strong>de</strong> reprise <strong>de</strong> position tutélaire pour l'Etat et un moyen sûr d'affaiblissement <strong>de</strong> la<br />

Fédération.<br />

Dernière raison enfin et d'importance qui explique gran<strong>de</strong>ment la scission <strong>de</strong> 1969 comme la<br />

montée <strong>de</strong> tension à partir <strong>de</strong> 1966. Le personnel, notamment les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, viennent très<br />

souvent à la fois du mon<strong>de</strong> du travail et <strong>de</strong>s organisations d'éducation populaire où ils ont acquis,<br />

d<strong>ans</strong> leurs engagements, une expérience syndicale culturelle militante qui marque leur pratique<br />

professionnelle d<strong>ans</strong> un métier neuf où tout est encore possible, où l'initiative et l'engagement sont<br />

rois. Derrière le gentil éducateur qui est appelé à gérer les contradictions d'une société, se dévoile<br />

aussi un militant syndical et politique qui revendique d'autant plus légitimement la reconnaissance <strong>de</strong><br />

son emploi et <strong>de</strong> son statut qu'il a à charge <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s citoyens actifs responsables et engagés.<br />

De plus, ces directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> sont majoritairement - ce qui ne veut pas dire exclusivement -<br />

regroupés autour du syndicat CGT. Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> mai-juin 1968, c'est trop pour l'Etat. Le<br />

personnel ne <strong>de</strong>vra plus avoir <strong>de</strong> représentants avec voix délibérative d<strong>ans</strong> les structures fédérales.<br />

Cette cogestion avec le personnel qui constitue l'originalité fondatrice <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est remise en cause 3 .<br />

La majorité <strong>de</strong>s directeurs et, avec eux, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, ne l'acceptera pas.<br />

A la lumière <strong>de</strong> ces différentes explications, qu'est-ce qui est donc en jeu d<strong>ans</strong> cette crise <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong> qui aboutira à la scission <strong>de</strong> 1969 ? Pour <strong>de</strong>s raisons sur lesquelles nous nous sommes<br />

1 Statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, article 2.<br />

2 Marc Malet essaie d’expliquer les raisons qui ont pu donner cette fausse image <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : “Cette<br />

organisation un peu lour<strong>de</strong> a paru aussi constituer une administration parallèle” (Réflexion sur les<br />

problèmes actuels <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Leur origine, leur évolution, leur situation actuelle. L’avenir <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

et <strong>de</strong> la Fédération, 25/08/69, ronéo, 21 pages, p. 19).<br />

3 Le secrétaire d’État invoque souvent un argument juridique. D<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> la loi 1901, les salariés<br />

<strong>de</strong> l’association ne pourraient pas avoir <strong>de</strong> voix délibérative qui leur donnerait en même temps un<br />

pouvoir d’employeur. Par contre, la co-gestion pédagogique (présence du directeur comme membre<br />

<strong>de</strong> droit avec voix délibérative d<strong>ans</strong> les conseils d’administration <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>) n’est, semble-t-il, d<strong>ans</strong><br />

aucun texte remise en cause.


- 330 -<br />

longuement penchés, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture et leur fédération sont en passe <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, l'institution dominante d<strong>ans</strong> le champ <strong>de</strong> l'intervention sociale et<br />

culturelle en formation et en tr<strong>ans</strong>formation, dominante par rapport aux autres organisations et par<br />

rapport à l'Etat. Or, cette institution, à la différence <strong>de</strong> beaucoup d'autres oeuvrant d<strong>ans</strong> le même<br />

secteur, est fortement structurée autour d'un corps professionnel agissant à la fois au niveau local et<br />

au niveau national, corps professionnel lui-même très organisé syndicalement et, qui en plus est,<br />

autour <strong>de</strong> la CGT. A l'évi<strong>de</strong>nce, l'influence du parti communiste sur une institution qui oeuvre d<strong>ans</strong><br />

les domaines <strong>de</strong> la jeunesse, <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l'éducation est perçu par l'Etat comme un danger<br />

réel d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> mouvementée où le parti communiste, bien que contesté par les organisations<br />

d’extrême-gauche, apparait précisément comme la force d'opposition dominante au pouvoir en<br />

place 1 .<br />

A partir <strong>de</strong> là, une chape idéologique rendant impossible toute analyse rigoureuse <strong>de</strong> la scission<br />

et <strong>de</strong> la partition en <strong>de</strong>ux fédérations, va peser aussi bien à l'intérieur <strong>de</strong>s institutions qu'à l'extérieur,<br />

au point <strong>de</strong> ne produire que <strong>de</strong>s opinions caricaturales, fausses et polémiques. La Fédération<br />

UNIREG et ses <strong>MJC</strong> affiliées seraient “<strong>de</strong> droite” et la FF<strong>MJC</strong> “<strong>de</strong> gauche”, infiltrée, suivant les<br />

pério<strong>de</strong>s, par les communistes, les gauchistes et les socialistes 2 .<br />

La réalité est bien différente. La FF<strong>MJC</strong> est plutôt plus implantée d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s municipalités dites <strong>de</strong><br />

droite, surtout <strong>de</strong>puis les élections municipales <strong>de</strong> 1983, et la succession <strong>de</strong> ses prési<strong>de</strong>nts révèle un<br />

pluralisme incontestable : <strong>de</strong>puis la scission se sont succédés un sénateur communiste <strong>de</strong> l'Isère, un<br />

élu CDS du Nord, <strong>de</strong>ux administrateurs <strong>de</strong> l'académie <strong>de</strong> Grenoble s<strong>ans</strong> engagement politique<br />

affirmé, et enfin un militant <strong>de</strong> longue date <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Lorraine. Il est vrai aussi - et c'est un<br />

argument utilisé d'une manière polémique et outrancière - que le syndicat CGT est toujours<br />

majoritaire 3 parmi les personnels fédéraux, malgré la progression <strong>de</strong> la CFDT, et que pendant<br />

longtemps le parti communiste fut bien implanté parmi les directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> 4 .<br />

Cependant, si l'on arrive à expliquer la scission <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et l'image socio-politique qu'on leur<br />

attribue, une gran<strong>de</strong> question reste entière : pourquoi la partition <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fédérations passe-t-elle<br />

par le Languedoc et plus précisément par le Narbonnais ? La partition spatiale <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> correspond-<br />

elle à une partition politique <strong>de</strong> type droite-gauche, les régions “<strong>de</strong> gauche” opposés à l'Etat en 1969<br />

1 Souvenons-nous du score électoral réalisé par Jacques Duclos aux législatives <strong>de</strong> 1969.<br />

2 Louis Bériot, qui opère par classification sauvage et argumentation lapidaire, met l’UNIREG d<strong>ans</strong><br />

l’opposition (c’est-à-dire à droite au moment où est écrit Le Bazar <strong>de</strong> la Solidarité, J.-C. Lattès,<br />

1985) et la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> le camp <strong>de</strong>s socialistes.<br />

3 Ce qui constitue une exception d<strong>ans</strong> les corps professionnels du secteur social et socio-culturel, où la<br />

CFDT est généralement majoritaire.<br />

4 En 1976, aux Journées Nationales d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saint-Étienne, sur un peu moins <strong>de</strong> 400 directeurs<br />

présents, on pouvait dénombrer environ 120 personnes inscrites ou proches du PCF, 30 du PS, 15<br />

du PSU, 30 <strong>de</strong>s organisations d’extrême-gauche.


- 331 -<br />

restant fidèles à la FF<strong>MJC</strong>, alors que les régions “<strong>de</strong> droite” seraient passées à l'UNIREG, plus<br />

conciliante avec la majorité politique du moment ?<br />

Les cartes d'implantation politique dressées à partir <strong>de</strong>s consultations électorales <strong>de</strong>s années <strong>60</strong><br />

et 70 contredisent globalement cette hypothèse. En effet, la carte <strong>de</strong> forte implantation <strong>de</strong> l'UNIREG,<br />

notamment pour le Languedoc et le Midi-Pyrénées, correspond pour une bonne partie à la carte <strong>de</strong>s<br />

départements ayant donné la majorité <strong>de</strong>s suffrages à F. Mitterrand dès 1965, et à avoir marqué très<br />

tôt leur opposition au gaullisme. En 1978, les socialistes sont toujours fortement implantés d<strong>ans</strong> ce<br />

même espace à l'exception du Roussillon où précisément l'UNIREG n'est pas implantée 1 . Jusqu'au<br />

P.C.F. qui fait ses meilleurs scores d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s départements où l'UNIREG domine : Au<strong>de</strong>, Hérault,<br />

Bouches-du-Rhône et certains départements <strong>de</strong> l'espace central 2 . Le Nord-Pas <strong>de</strong> Calais, à la fois<br />

ouvrier et marqué par le parti communiste, est précisément très mo<strong>de</strong>stement pénétré par les <strong>MJC</strong><br />

ici affiliées à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

Les <strong>MJC</strong> affiliées à l'UNIREG se trouvent étonnamment implantées sur cette ligne à la fois <strong>de</strong><br />

partage et <strong>de</strong> rencontre entre les espaces celtes à l'Ouest, germains à l'Est et latins au Sud. Le<br />

bastion languedocien et midi-pyrénéen correspond assez précisément à l'espace d'une gauche non<br />

déchristianisée 3 qui remplit s<strong>ans</strong> doute le vi<strong>de</strong> anthropologique laissé par la famille communautaire<br />

large en voie <strong>de</strong> dégénérescence.<br />

Etonnant itinéraire que celui <strong>de</strong> ce midi rouge, traditionnellement socialiste et opposé à la<br />

politique gaulliste, qui choisit, d<strong>ans</strong> sa dimension socio-culturelle, d'accepter l'injonction d'un<br />

gouvernement - qui n'avait pas ses faveurs ni ses voix - et <strong>de</strong> rompre, par une scission brutale, avec<br />

la majorité fédérale <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Sochaux. Cette prise <strong>de</strong> position en décalage exige<br />

une explication.<br />

Le projet <strong>de</strong> régionalisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se donne les formes d'une plus gran<strong>de</strong> autonomie <strong>de</strong>s<br />

régions et d'une plus gran<strong>de</strong> liberté démocratique <strong>de</strong>s administrateurs bénévoles, d'autant que la<br />

suppression <strong>de</strong> la cogestion avec le personnel “allège” l'Institution du poids organisationnel,<br />

hiérarchisé et centralisé du syndicat CGT <strong>de</strong>s personnels 4 . Or le prédécoupage 5 régionaliste et anti-<br />

centralisateur existe traditionnellement d<strong>ans</strong> le Midi. D<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, il prend les formes d'un<br />

1 L’invention <strong>de</strong> la France, p. 357.<br />

2 Ibid. p. 357 et 359.<br />

3 Ibid. p. 398 (Annexe 42).<br />

4 En l’occurrence, l’effet gauche non déchristianisée, souvent anti-cégétiste et anti-communiste, a dû<br />

jouer sur cette question <strong>de</strong> la remise en cause <strong>de</strong> la cogestion avec le personnel. Du reste, d<strong>ans</strong><br />

l’Hérault, les <strong>MJC</strong> situées d<strong>ans</strong> les municipalités à forte implantation communiste et cégétiste sont<br />

généralement restées affiliées à la FF<strong>MJC</strong> : Béziers, Bédarieux, Balaruc, Sète, Montblanc, Murviel-les-<br />

Béziers.<br />

5 L’espace <strong>de</strong> la scission languedocienne et pyrénéenne est assez bien préfiguré lors <strong>de</strong> la consultation<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui prépare l’assemblée <strong>de</strong> Sochaux. Les options A2, B2, BC, C2, G3 y sont généralement<br />

majoritaires.


- 332 -<br />

vote négatif contre le général <strong>de</strong> Gaulle. Au moment <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, il s'exprimera par une<br />

attitu<strong>de</strong> clairement scissionniste vis-à-vis <strong>de</strong> la Fédération Française. Ces méridionaux sont un peu<br />

comme ces pays<strong>ans</strong> <strong>de</strong> l'Ouest sarthois analysés par Paul Bois, qui, d<strong>ans</strong> le contexte révolutionnaire<br />

<strong>de</strong> 1792-93, passeront rapi<strong>de</strong>ment d'une attitu<strong>de</strong> anti-nobiliaire à une attitu<strong>de</strong> anti-républicaine et<br />

donc pro-vendéenne 1 .<br />

La scission institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est prédécoupée en pointillés. Il n'y manque plus que le<br />

ciseau tenu par l'Etat, quelques administrateurs et le délégué général du moment, Lucien Trichaud.<br />

Ce prédécoupage <strong>de</strong>ssine les contours <strong>de</strong> cette Occitanie profon<strong>de</strong>, organisée en coopératives d<strong>ans</strong><br />

le midi producteur <strong>de</strong> vin, <strong>de</strong> cette Occitanie <strong>de</strong>s comités d'action viticoles <strong>de</strong> l'Au<strong>de</strong> animés par<br />

Cazes, Maffre-Baugé, Occitanie du Mouvement d'Intervention Viticole Occitan <strong>de</strong> Jean Huillet et <strong>de</strong>s<br />

soirées chau<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Montredon où l'on n'hésite pas à faire donner la poudre. Le souvenir <strong>de</strong> 1907,<br />

cette révolte <strong>de</strong>s gueux, animée par Marcellin Albert et qui fit plusieurs morts, dont une jeune fille <strong>de</strong><br />

vingt <strong>ans</strong>, à Narbonne, est ravivée à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, d<strong>ans</strong> son aspect mythique, par les Marti,<br />

Rouquette, Alranc et le théâtre <strong>de</strong> la Carriera.<br />

Voilà pour les fractures <strong>de</strong> surface, celles qui se donnent aux regards, affleurent encore à la<br />

conscience. Mais le prédécoupage est s<strong>ans</strong> doute plus profond ; il est inscrit d<strong>ans</strong> la longue durée ; il<br />

remonte à la nuit <strong>de</strong>s temps. La scission languedocienne et midi-pyrénéenne <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ne<br />

correspond-elle pas assez exactement à l'espace <strong>de</strong> l'influence cathare 2 soutenue par le Comté <strong>de</strong><br />

Toulouse contre l'acharnement sanguinaire du nord capétien et parisien ? Cette étonnante facilité à<br />

s'engouffrer d<strong>ans</strong> un projet <strong>de</strong> régionalisation radicale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, ne tient-elle pas à une attitu<strong>de</strong>,<br />

à peine consciente, <strong>de</strong> rejet d'une institution française, centralisée ailleurs, à Paris, selon les formes<br />

d'un Etat dit “jacobin” 3 , qui pourtant ne la soutient pas ?<br />

Décidément, les évènements du présent peuvent trouver leur explication d<strong>ans</strong> une histoire<br />

profon<strong>de</strong>, qui ainsi éclaire ce qui ne se présente que comme actuel. Et inversement, ces évènements<br />

“portent témoignage, éclairent un coin du paysage, parfois <strong>de</strong>s masses profon<strong>de</strong>s d'histoire” 4 .<br />

1 Les pays<strong>ans</strong> <strong>de</strong> l’Ouest, Editions Champs Flammarion, 1978.<br />

2 Voir notamment La Nouvelle France d’Emmanuel Todd, p. 20 (Annexe 42).<br />

3 Nous écrivons “dit jacobin” parce que l’on sait que la fameuse centralisation française n’est pas une<br />

invention jacobine. Elle est bien antérieure.<br />

4 F. Brau<strong>de</strong>l : La Méditerranée et le mon<strong>de</strong> méditerranéen à l’époque <strong>de</strong> Philippe II, p. 223.


- 333 -


- 335 -<br />

CHAPITRE - III -<br />

LES <strong>MJC</strong> DANS LES ANNÉES 70 : ENGAGEMENT ET<br />

RECHERCHE D’UNE NOUVELLE LÉGITIMITÉ<br />

Pendant les années 70, les <strong>de</strong>ux fédérations ainsi que les <strong>MJC</strong> qu'elles regroupent sont, au<br />

moins pendant un certain temps, conduites à suivre <strong>de</strong>s exigences ministérielles comparables. Et<br />

pourtant, les <strong>de</strong>ux institutions vont rapi<strong>de</strong>ment donner une image radicalement différente <strong>de</strong><br />

l'éducation populaire, <strong>de</strong> la vie associative et fédérative. L'une, l'UNIREG, reprend complètement à<br />

son compte les injonctions ministérielles en régionalisant radicalement et définitivement la vie<br />

fédérative et en supprimant toute participation statutaire <strong>de</strong>s représentants du personnel d<strong>ans</strong> les<br />

instances <strong>de</strong> décision. L'autre, la FF<strong>MJC</strong>, même si elle est, sous peine <strong>de</strong> disparition,<br />

momentanément contrainte à appliquer les décisions ministérielles, n'acceptera véritablement jamais<br />

<strong>de</strong> voir remise en cause sa liberté intellectuelle, pédagogique et organisationnelle. Aussi a-t-on d'un<br />

côté une UNIon <strong>de</strong>s fédérations REGionales <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> semble-t-il s<strong>ans</strong> histoire, calme, certains<br />

diraient docile, voire soumise, et <strong>de</strong> l'autre, une FF<strong>MJC</strong> combative, rebelle, contestataire, en<br />

perpétuelle agitation, qui fait régulièrement parler d'elle et que certains considèrent comme engagée<br />

et <strong>de</strong> parti pris 1 . S<strong>ans</strong> pour autant minimiser l'audience <strong>de</strong> l'UNIREG et le dynamisme <strong>de</strong> ses<br />

structures, force est <strong>de</strong> reconnaître l'impact, d<strong>ans</strong> les années 70, d'une FF<strong>MJC</strong> certes<br />

numériquement, humainement et financièrement affaiblie, mais qui, malgré cela, va continuer à se<br />

développer.<br />

1 - La reformulation du projet<br />

Alors qu'à l'UNIREG, <strong>de</strong> l'aveu même <strong>de</strong>s responsables, on en reste souvent à “<strong>de</strong>s professions<br />

<strong>de</strong> foi très humanistes” 2 et à <strong>de</strong>s discussions sur les affiliations, les animations collectives, les fêtes<br />

inter-<strong>MJC</strong> et les relations avec les municipalités, la FF<strong>MJC</strong> dès l'assemblée générale qui suit la<br />

scission, à Versailles les 8 et 9 novembre 1969, s'engage sur une analyse <strong>de</strong> société et sur une<br />

reformulation <strong>de</strong> son projet. Les termes et les attitu<strong>de</strong>s qui marqueront la décennie à venir <strong>de</strong><br />

l'ensemble institutionnel sont déjà formulés et définis. Les 1.200 représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, réunis à<br />

Versailles, débattent du “nouveau visage <strong>de</strong> l'éducation populaire permanente… <strong>de</strong>s mutations du<br />

1 C’est l’image qu’en ont encore Lucien Trichaud (“c’est un mouvement et non une institution”) et J.-<br />

P. Sirérols, actuel délégué général <strong>de</strong> l’UNIREG (“à la FF<strong>MJC</strong>, on est <strong>de</strong> parti pris”). Entretiens.<br />

2 Cf. J.-P. Sirérols (entretiens) et également ce texte très significatif <strong>de</strong> Lucien Trichaud : “... J’étais du<br />

parti <strong>de</strong>s hommes et pas du parti <strong>de</strong>s partis”. Assemblée générale <strong>de</strong> l’UNIREG, Amboise 14-15 juin<br />

1986, Synchro n° 113-114, p. 18.


- 336 -<br />

mon<strong>de</strong>… <strong>de</strong>s orientations nouvelles” 1 . On y parle <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> la concentration urbaine, <strong>de</strong> la<br />

mobilité d<strong>ans</strong> le travail, le loisir et la rési<strong>de</strong>nce, <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong>s<br />

techniques (automation et informatique), du développement industriel, mais aussi <strong>de</strong> la<br />

tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mentalités et <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> résistance <strong>de</strong>s hommes à la puissance militaire et<br />

économique, notamment d<strong>ans</strong> la guerre du Vietnam. Ainsi les enjeux sociaux et culturels sont-ils<br />

posés et livrés à la réflexion <strong>de</strong> congressistes, encore mal remis d'un éclatement brutal <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

:<br />

“Un homme social nouveau commence à naître. Ces mutations, ce <strong>de</strong>venir doivent être<br />

intégrés d<strong>ans</strong> un système éducatif et culturel nouveau. Aussi réfléchissons-nous s<strong>ans</strong> rêve<br />

aux gran<strong>de</strong>s orientations à donner à notre institution, si nous voulons encore faire oeuvre utile<br />

et conserver d<strong>ans</strong> le siècle futur la place et le rôle que notre association avait su conquérir<br />

après la libération. Si nous refusons cette réflexion et cette anticipation, ayons alors le courage<br />

d'aller jusqu'au terme <strong>de</strong> notre refus, en cessant <strong>de</strong> prétendre aux bienfaits et à l'efficacité <strong>de</strong><br />

nos actions ; si nous n'avons pas la vigueur et les moyens <strong>de</strong> réinventer notre fonction,<br />

cessons <strong>de</strong> nous prendre au sérieux et ne venons pas renforcer la cohorte déjà bien fournie<br />

<strong>de</strong>s organismes sclérosés et marginaux” 2 .<br />

La volonté <strong>de</strong> réinvention <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et la reformulation <strong>de</strong> leur projet se traduit par<br />

une inflation <strong>de</strong> concepts somme toute assez nouveaux d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> mais aussi d<strong>ans</strong> le domaine<br />

<strong>de</strong> l'intention socio-culturelle. Les mots s'entrechoquent et se superposent, les anciens - éducation<br />

populaire, développement communautaire - et les nouveaux -développement social et culturel,<br />

aménagement et développement urbain, loisir récréatif éducatif et créateur, information et animation<br />

culturelle. Le directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> ne sera pas seulement éducateur mais aussi animateur social et<br />

culturel du plus grand nombre. La <strong>MJC</strong> n'est plus seulement polyvalente d<strong>ans</strong> ses activités et actions<br />

; elle doit remplir une mission globale d<strong>ans</strong> un espace social défini (village, ville, quartier) et en<br />

cohérence avec le contexte qui marque les populations qui y habitent : travail, cadre <strong>de</strong> vie,<br />

disparités sociales et générationnelles, inégalités culturelles. On est en même temps convaincu, et<br />

cela fait partie <strong>de</strong> la réinvention du projet, que seule “la lutte portera ses fruits [...] , que l'Institution se<br />

débarassera d'une part appréciable <strong>de</strong> ses difficultés si [on présente] clairement nos buts, notre<br />

orientation générale, nos métho<strong>de</strong>s et nos moyens” 3 . Pour réussir cette entreprise, on appelle donc<br />

les jeunes et les adultes “à cette nouvelle action militante” 4 .<br />

A l'assemblée générale suivante (Colombes, 7 juin 1970), on pense qu'“il faut réinventer une<br />

1 Rapport moral, p. 11 et suivantes.<br />

2 Assemblée générale <strong>de</strong> Versailles, rapport moral, p. 17.<br />

3 Ibid. p. 16.<br />

4 Ibid.


- 337 -<br />

pédagogie <strong>de</strong> l'éducation, et <strong>de</strong> l'insertion sociale” 1 et, lors du premier congrès qui suit la<br />

régionalisation (Epernay, 29-30 mai 1971), on s'interroge très précisément sur ce que sont les <strong>MJC</strong>,<br />

leur raison d'être, et la manière avec laquelle elles conduisent leur action. Des éléments <strong>de</strong> réponse<br />

sont apportés par Bernard Stasi, ancien membre <strong>de</strong> conseil <strong>de</strong> maison et député-maire d'Epernay :<br />

face à ce qu’il croit être réellement une crise <strong>de</strong> civilisation qui frappe d'abord les jeunes, les <strong>MJC</strong><br />

doivent chercher à comprendre, s'adresser d'abord à l'individu, développer la solidarité et la<br />

responsabilité, être “un carrefour où s'élabore une culture pour notre temps, [et enfin] contribuer à<br />

animer la cité” 2 . De son côté, le prési<strong>de</strong>nt Paul Jargot définit quelques principes et démarches : il faut<br />

répondre au besoin légitime <strong>de</strong>s élus qui tiennent à gérer eux-mêmes le développement socio-<br />

culturel <strong>de</strong> leur cité, mais aussi au besoin, non moins légitime, <strong>de</strong>s mouvements et institutions qui<br />

enten<strong>de</strong>nt gar<strong>de</strong>r leur indépendance ; d<strong>ans</strong> le même ordre d'idée, il faut “concilier la mentalité d'un<br />

service public, que nous avons la prétention d'être, et le développement <strong>de</strong> la conscience politique,<br />

qui est l'un <strong>de</strong> nos rôles essentiels” 3 ; pour cela, il faut revoir les métho<strong>de</strong>s ; les <strong>MJC</strong> doivent se sentir<br />

davantage solidaires <strong>de</strong>s autres associations car “une chose est certaine ... le monopole du passé<br />

est terminé” 4 .<br />

S'agissant <strong>de</strong> ce projet repensé d'éducation populaire et d'animation socio-culturelle (<strong>de</strong>ux termes<br />

que pendant <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong> au moins, on essaiera <strong>de</strong> faire cohabiter), on se pose la question <strong>de</strong> savoir<br />

qui doit légitimement avoir l'initiative <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r un nécessaire partenariat : la municipalité ? les<br />

associations <strong>de</strong> regroupement et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s équipements ? les forces vives indépendantes<br />

(mouvements, partis, syndicats) ? les établissements traditionnels d'enseignement ? le commerce et<br />

l'industrie ? On se pose également les questions suivantes : “Quel est, d<strong>ans</strong> ce domaine, la part du<br />

privé et celle du public ? Doit-on, à notre époque, bâtir le développement socio-culturel sur <strong>de</strong>s<br />

bénévoles ou <strong>de</strong>s professionnels ? Y-a-t-il possibilité d'un développement culturel s<strong>ans</strong> moyens<br />

publics et s<strong>ans</strong> autogestion par les intéressés ?” 5<br />

Il semble donc que la crise <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et le contexte socio-culturel <strong>de</strong> l'après 68, aient eu pour<br />

effet <strong>de</strong> faire émerger <strong>de</strong>s questions nouvelles d<strong>ans</strong> cette institution qui, compte tenu <strong>de</strong>s attaques<br />

dont elle est l'objet,aurait pu se replier sur elle même et chercher à préserver ses acquis et ses<br />

certitu<strong>de</strong>s. On va également jusqu'à remettre en cause ce qui a fait, d<strong>ans</strong> les décennies suivantes, le<br />

dynamisme <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : le conseil <strong>de</strong> maison, au sujet duquel on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si “c'est encore une<br />

1 Rapport moral et d’orientation, p. 20.<br />

2 Compte rendu <strong>de</strong>s débats du premier congrès <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Supplément à Pas à pas n° 14, p. 3-4.<br />

3 Ibid. p. 5.<br />

4 Ibid. p. 5.<br />

5 Rapport d’ouverture au congrès d’Epernay. Supplément à Pas à pas n° 12, p. 8. Nous retrouvons là<br />

autant <strong>de</strong> questions encore d’actualité en 1992.


institution valable” 1 .<br />

- 338 -<br />

Toujours au sujet <strong>de</strong> cette mission éducative et socio-culturelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> leur fonction sociale,<br />

certains posent les questions en termes <strong>de</strong> projet <strong>de</strong> société et <strong>de</strong> lutte <strong>de</strong> classes. Un responsable<br />

<strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Nantes-Rennes (Francis Le Hérissé) <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, par exemple, qu’“on réfléchisse sur les<br />

finalités <strong>de</strong> notre action. La pédagogie part nécessairement d'une cogestion <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la société.<br />

Alors, au nom <strong>de</strong> quelle société veut-on former <strong>de</strong>s hommes ?” 2 De son côté, la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Garches-<br />

les-Gonesses montre “que l'éducation populaire est un combat <strong>de</strong> classe et a essentiellement une<br />

signification politique” 3 .<br />

Cette reformulation du projet, on la retrouve également, d'une manière souvent plus incisive<br />

encore, d<strong>ans</strong> les Journées Nationales d'Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Directeurs. En juin 1974 à Dieppe, on s'interroge<br />

sur le “projet démocratique d'animation éducative et culturelle <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture” 4 en <strong>de</strong>s termes très politiques, qui engagent un choix <strong>de</strong> société. A preuve ces quelques<br />

phrases très significatives :<br />

“Constater cette capacité <strong>de</strong> résistance et <strong>de</strong> vie, souligner comment les <strong>MJC</strong> ont su résister<br />

aux plus incroyables mesures et bombar<strong>de</strong>ments idéologiques, font que les <strong>MJC</strong> ne peuvent<br />

plus s'expliquer comme un phénomène coupé <strong>de</strong>s grands courants démocratiques et<br />

populaires que fécon<strong>de</strong> notre pays... Nous sommes <strong>de</strong> ceux qui expliquent qu'il n'y a pas<br />

d'activité n’ayant rien à voir avec la politique...<br />

Les <strong>MJC</strong> ne peuvent et n'ont pas vocation <strong>de</strong> changer la société. Mais leur vocation ne peut<br />

consister à rendre cette société plus acceptable alors que rien ne serait changé...” 5 .<br />

Les commissions n° 4 et n° 5 vont très loin d<strong>ans</strong> la définition <strong>de</strong> la mission <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la<br />

responsabilité du directeur. On mesure le chemin parcouru en quelques années :<br />

“Le rôle passé <strong>de</strong> l'institution (FF<strong>MJC</strong>) était un rôle <strong>de</strong> collaboration <strong>de</strong> classe. Actuellement,<br />

son rôle est <strong>de</strong> faire découvrir la réalité sociale en vue <strong>de</strong> la satisfaction <strong>de</strong>s besoins... A<br />

présent, nous paraissent réunies en plus grand nombre les conditions permettant une véritable<br />

tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la société. La prise <strong>de</strong> conscience clairement exprimée qu'un réel<br />

changement est possible se traduit par un développement <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s classes dont une <strong>de</strong>s<br />

conséquences, qui touche directement à notre pratique professionnelle, est l'importance<br />

accrue <strong>de</strong> la lutte idéologique. La <strong>MJC</strong> n'est évi<strong>de</strong>mment pas l'outil <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la<br />

société mais étant un terrain <strong>de</strong> rencontres, d'échanges et d'actions, elle participe à cette lutte<br />

1 Compte-rendu <strong>de</strong>s débats du congrès d’Epernay (commission n° 3 : Pédagogie <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>),.p. 10<br />

2 Rapport congrès d’Epernay, p. 6.<br />

3 Ibid. p. 6.<br />

4 Il s’agit du thème <strong>de</strong> ces journées nationales d’étu<strong>de</strong>.<br />

5 Intervention <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot, responsable du syndicat CGT <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, et qui, à ce<br />

moment-là, est déjà pressenti pour occuper le poste <strong>de</strong> délégué général (Cahiers <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> n° 1, avril 1975, p. 1).


- 339 -<br />

idéologique. Le directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> peut-il en être le neutre observateur ? Cette neutralité<br />

reviendrait à laisser libre cours à l'idéologie dominante opposée à la tr<strong>ans</strong>formation souhaitée.<br />

Il n'est donc aujourd'hui qu'une voie possible. Un projet démocratique d'animation éducative et<br />

culturelle ne peut se concevoir que d<strong>ans</strong> la définition <strong>de</strong>s modalités pratiques <strong>de</strong> l'insertion <strong>de</strong><br />

la <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> son directeur d<strong>ans</strong> le processus <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> société” 1 .<br />

D<strong>ans</strong> la commission n° 5 notamment, en fin <strong>de</strong> discussion sur le contenu et les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

mise en oeuvre du “projet démocratique”, les “axes politiques suivants” sont dégagés :<br />

“- donner la possibilité aux gens <strong>de</strong> s'exprimer<br />

- favoriser la relation et la communication<br />

- créer une force assiociative <strong>de</strong> pression par rapport au pouvoir<br />

- faire prendre conscience aux gens <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s classes pour tr<strong>ans</strong>former la société<br />

- développement <strong>de</strong> l'individu par la participation<br />

- réflexion et prise <strong>de</strong> conscience collective<br />

- rencontre-élaboration-décision-réalisation-contrôle<br />

- accentuer les contradictions et les conflits” 2 .<br />

Dès lors s'exprime régulièrement la volonté <strong>de</strong> positionner les <strong>MJC</strong> et leurs directeurs par rapport<br />

aux enjeux économiques, sociaux et politiques du moment. Aux journées nationales d'étu<strong>de</strong>s du<br />

Havre (13-16 décembre 1977), les directeurs réfléchissent sur “la profession d'éducateur-directeur<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong> et le développement <strong>de</strong> la démocratie locale d<strong>ans</strong> la perspective et la mise en oeuvre du<br />

programme commun” 3 . Les thèmes <strong>de</strong>s carrefours sont clairement situés d<strong>ans</strong> cette nouvelle<br />

perspective politique : “Pourquoi et comment le Programme Commun est utile au secteur <strong>de</strong>s<br />

activités éducatives et culturelles (carrefour n°1) ; la place objective du personnel et notamment du<br />

personnel éducateur-directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> une Fédération qui se doit d'être ouverte à tous les<br />

progrès démocratiques (carrefour n°2) ; d<strong>ans</strong> la perspective <strong>de</strong>s changements nécessaires, quels<br />

doivent être l'organisation et le fonctionnement <strong>de</strong> l'Institution pour que vive une Fédération refusant<br />

toutes les formes et structures autoritaires, centralisatrices et bureaucratiques qui ne font que<br />

perpétuer les schémas et les contenus idéologiques d'éducation et <strong>de</strong> culture du passé ? (carrefour<br />

n°3)...” 4 . Enfin, et pour s'arrêter aux <strong>de</strong>rnières journées nationales d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> <strong>de</strong><br />

la décennie, l'ensemble <strong>de</strong> la profession est invitée à réfléchir, à Mâcon (12 au 15 juin 1979), sur le<br />

1 Cahiers <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> n° 1, avril 1975, p. 5.<br />

2<br />

3<br />

4<br />

Ibid. p. 5.<br />

Cahiers <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> n° 2-3, avril 1979, p. 5. Le délégué général du moment, Gérard Kolpak,<br />

condamnera le choix par la CGT <strong>de</strong> ce thème qu’il juge trop engagé, non conforme aux statuts <strong>de</strong> la<br />

Fédération, et refusera <strong>de</strong> participer à ces Journées Nationales d’Étu<strong>de</strong>.<br />

Ibid. p. 5-6.


- 340 -<br />

thème suivant : “Les <strong>MJC</strong> face à la crise du système capitaliste” 1 .<br />

Il apparaît donc clairement qu'à la FF<strong>MJC</strong>, on soit passé d'une sorte <strong>de</strong> formalisme pédagogique,<br />

somme toute assez conservateur, à un engagement culturel et éducatif, dit démocratique - posé<br />

souvent en terme <strong>de</strong> classes et même <strong>de</strong> lutte <strong>de</strong> classes 2 - qui se situe par rapport à <strong>de</strong>ux éléments<br />

déterminants <strong>de</strong>s années 70 : le développement <strong>de</strong> la crise économique et la perspective <strong>de</strong> mise en<br />

oeuvre du programme commun <strong>de</strong> la gauche. Les <strong>MJC</strong> n'ont ni la force, ni la mission <strong>de</strong> changer la<br />

société mais elles ont vocation <strong>de</strong> favoriser l'expression, l'échange, la confrontation <strong>de</strong>s individus et<br />

<strong>de</strong>s groupes sociaux d<strong>ans</strong> la cité, ce qui les situe d<strong>ans</strong> l'objectif culturel que Gérard Kolpak, alors<br />

délégué général, donne à l'éducation populaire : “L'homme cultivé [est] celui qui est en possession<br />

du savoir et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qui lui permettent <strong>de</strong> comprendre sa situation d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la<br />

décrire et d'agir éventuellement sur elle pour la tr<strong>ans</strong>former” 3 .<br />

D<strong>ans</strong> le même mouvement, les métho<strong>de</strong>s pédagogiques <strong>de</strong> cette éducation populaire refinalisée<br />

et reformulée changent. Les conseils <strong>de</strong> maison, statutairement très codifiés, même s'ils ne l'étaient<br />

pas toujours d<strong>ans</strong> la pratique, disparaissent progressivement au profit <strong>de</strong> commissions et <strong>de</strong><br />

collectifs plus ou moins informels. Une pédagogie du conflit voire <strong>de</strong> l'affrontement prend le pas sur<br />

une pédagogie <strong>de</strong> la simple confrontation qui était conduite généralement d<strong>ans</strong> le cadre strictement<br />

règlementaire.<br />

Tout se passe comme si les attaques, dont les <strong>MJC</strong> sont l'objet <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'Etat et <strong>de</strong> certaines<br />

municipalités, étaient utilisées <strong>de</strong> manière réactive comme métho<strong>de</strong>s pédagogiques, appuyées sur la<br />

revendication, le conflit et l'affrontement. C'est en effet souvent le cas sur le terrain 4 , et nombreux<br />

sont les textes qui “théorisent” cette attitu<strong>de</strong>, notamment d<strong>ans</strong> la <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong>s années 70. A<br />

preuve ce document proposé en débat au congrès <strong>de</strong> Nanterre (11, 12 et 13 novembre 1977) et qui<br />

sera quasi intégralement repris au rassemblement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Reims (29, 30 et 31 mai 1982) :<br />

“L'expérience nous indique que les relations <strong>MJC</strong>-Municipalité ou élus-salariés ne sont pas<br />

toujours faciles, qu'elles sont parfois contradictoires voire conflictuelles. Très souvent,<br />

l'expérience a prouvé que le conflit agissait comme révélateur, permettait <strong>de</strong> mieux<br />

comprendre la situation qui l'avait provoqué, exigeait une évolution nécessaire. A ce point<br />

qu'on peut conclure que, très souvent, cette pédagogie <strong>de</strong> l'Institution est aussi une pédagogie<br />

<strong>de</strong> l'affrontement. Conflit, affrontement, dont il faut dire qu'ils sont rarement liés, contrairement<br />

1 Cahiers <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> n° 4, décembre 1979, p. 4 et suivantes.<br />

2 L’assemblée extraordinaire <strong>de</strong> Poitiers (2 mai 1978) confirme par exemple, par 1.868 voix et 3<br />

abstentions, l’orientation suivante du congrès <strong>de</strong> Nanterre : “participation s<strong>ans</strong> restriction <strong>de</strong>s<br />

immigrés d<strong>ans</strong> les conseils d’administration”.<br />

3 “L’action culturelle aujourd’hui : le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>”. Cahiers <strong>de</strong> l’Animation n° 30, p. 30.<br />

4 Pendant les années 70, Michel Mayer, alors délégué régional en Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, avait l’habitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> dire, à l’occasion d’un conflit interne ou externe aux <strong>MJC</strong> : “On a vécu un grand moment<br />

d’éducation populaire !”


- 341 -<br />

à l'expression qu'on en donne parfois, à <strong>de</strong>s problèmes psychologiques, affectifs ou <strong>de</strong><br />

personne, mais beaucoup plus à <strong>de</strong>s données objectives qui tiennent à <strong>de</strong>s divergences<br />

idéologiques ou d'intérêts relevant étroitement du contexte économique, social et politique qui<br />

nous régit” 1 .<br />

La revendication est étroitement liée à l'action pédagogique et culturelle, à tel point que d<strong>ans</strong><br />

certains textes on peut lire qu'elle est “synonyme <strong>de</strong> notre action… : nous avons pu constater que<br />

l'action éducative, sociale et culturelle que nous voulons conduire nous force à la revendication. Rien<br />

d'étonnant à cela. La progression démocratique est exigeante à tous les niveaux” 2 .<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette modification très sensible du discours pédagogique institutionnel et <strong>de</strong>s<br />

nouvelles métho<strong>de</strong>s préconisées au niveau national, qu'en est-il sur le terrain, d<strong>ans</strong> les pratiques<br />

quotidiennes <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> leurs acteurs bénévoles et professionnels ? Les pratiques sont très<br />

diverses et disparates. Malgré un discours qui se veut généralement militant, combatif et<br />

mobilisateur, <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> vont continuer leur petit bonhomme <strong>de</strong> chemin, se tenir loin <strong>de</strong>s<br />

agitations fédératives et fonctionner encore longtemps selon les principes, structures et habitu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>s années <strong>60</strong> : développement <strong>de</strong>s activités traditionnelles, accueil <strong>de</strong>s jeunes d<strong>ans</strong> le foyer,<br />

conseil <strong>de</strong> maison, relations s<strong>ans</strong> histoire avec les municipalités. A l'opposé, certaines - certes peu<br />

nombreuses - considèrent que la pédagogie <strong>de</strong>s décennies précé<strong>de</strong>ntes est totalement dépassée,<br />

que la <strong>MJC</strong>, au mépris <strong>de</strong>s règles élémentaires <strong>de</strong> la concertation et <strong>de</strong> la cogestion, est avant tout<br />

un lieu <strong>de</strong> remise en cause <strong>de</strong>s systèmes établis et donc <strong>de</strong> production d'une culture politique<br />

totalement nouvelle et subversive 3 .<br />

D<strong>ans</strong> cette diversité d'attitu<strong>de</strong>s, déterminées généralement par les contextes locaux, la<br />

personnalité et l'engagement <strong>de</strong>s acteurs, on peut cependant repérer <strong>de</strong>s traits généraux. Et d'abord<br />

<strong>de</strong>s décalages <strong>de</strong> langage évi<strong>de</strong>nts. Même si au niveau national, d<strong>ans</strong> un premier temps (Congrès<br />

<strong>de</strong> Versailles en 1969, puis <strong>de</strong> Colombes en 1970) on introduit une série <strong>de</strong> termes nouveaux<br />

(développement social et culturel, animation socio-culturelle par exemple), il apparait rapi<strong>de</strong>ment, et<br />

pour longtemps, que le projet reformulé <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> s'articule toujours autour du concept d'éducation<br />

populaire qui, d<strong>ans</strong> l'ensemble du domaine <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle y compris d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong> base, est supplanté par celui d'animation socio-culturelle, ou tout simplement d'animation.<br />

Autrement dit, ce qu'il faut bien appeler la “socio-culturalisation” <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> n'est pas reprise d<strong>ans</strong> le<br />

1 Quatre points pour <strong>de</strong>main,<br />

textes préparatoires au congrès <strong>de</strong> Nanterre, p. 10, et également<br />

L’éducation populaire et le changement,<br />

texte préparatoire au rassemblement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à Reims<br />

(page intérieure du journal mural).<br />

2 Pour une réforme <strong>de</strong> structure,<br />

texte préparatoire à l’assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Marly le<br />

Roi (17-18 janvier 1981), p. 7.<br />

3<br />

“Nous avons été un certain nombre à penser à ce moment-là que la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>vait être avant tout un<br />

lieu d’agit-prop”. Entretien avec Jean-Jacques Mitterrand qui était, pendant ces années, directeur <strong>de</strong><br />

la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Viry-Châtillon, partiellement et brutalement rasée à coup <strong>de</strong> bulldozer, à cause<br />

précisément <strong>de</strong> ses activités considérées comme subversives.


- 342 -<br />

discours institutionnel fédéral, comme si les responsables rassemblés voulaient - au moins d<strong>ans</strong> le<br />

discours - échapper à une certaine dérive du langage et <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> leurs structures. Cette<br />

situation <strong>de</strong> décalage conduit à <strong>de</strong>ux paradoxes : les instances fédérales ne parlent pas toujours <strong>de</strong><br />

ce que font les <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> ce que vivent leurs acteurs et usagers, ou, si elles en parlent, ce n'est pas<br />

avec le même langage ; d'autre part l'image, certes caricaturale, accrochée <strong>de</strong> l'extérieur aux <strong>MJC</strong><br />

<strong>de</strong>s années 70, perçues comme l'espace même <strong>de</strong> l'animation socio-culturelle que l'on ne tar<strong>de</strong>ra<br />

pas à stigmatiser, n'est précisément pas celle que théorise et véhicule d<strong>ans</strong> son discours l'institution<br />

qui fédère ces structures.<br />

Mais après tout, c'est peut-être aussi d<strong>ans</strong> cet écart <strong>de</strong> langage et ces paradoxes que se<br />

construisent la richesse, la vivacité et le dynamisme <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années 70. Les structures<br />

pédagogiques traditionnelles - le conseil <strong>de</strong> maison par exemple - sont bousculées, éclatent,<br />

disparaissent même, à l'UNIREG comme à la FF<strong>MJC</strong> du reste, et ce pour plusieurs raisons. La<br />

première, c'est que ces structures ne sont plus uniquement appuyées sur les activités régulières et le<br />

foyer. Elles sont <strong>de</strong> plus en plus fréquentées par les adultes et ouvertes sur le quartier, la cité, les<br />

forces vives <strong>de</strong> l'environnement social. Elles <strong>de</strong>viennent et veulent être <strong>de</strong>s maisons pour tous 1 , se<br />

débarrasser définitivement d'une étiquette qui leur colle souvent à la peau, celle <strong>de</strong> n'être souvent<br />

perçues que comme <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> jeunes. Les conseils <strong>de</strong> maisons, considérés comme trop<br />

étriqués et ne répondant souvent qu'à la gestion d'intérêts très parcellaires (le foyer, les activités),<br />

sont déjà progressivement remplacés par <strong>de</strong>s commissions diverses, ouvertes sur l'extérieur :<br />

commissions d'animation, <strong>de</strong> programmation, à thème ou à vocation <strong>de</strong> développement global et<br />

général (commissions formation, information, finances...).<br />

Mais ce qui est, s<strong>ans</strong> aucun doute, le plus marquant d<strong>ans</strong> l'évolution <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années 70 et<br />

qui explique également l'éclatement <strong>de</strong> ses structures pédagogiques traditionnelles, tient à quatre<br />

points essentiels repérés d<strong>ans</strong> gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s structures, notamment d<strong>ans</strong> le milieu urbain.<br />

D'abord le développement fulgurant <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> loisirs culturels et sportifs pour tous les âges,<br />

enfants, jeunes et adultes, et d<strong>ans</strong> les domaines les plus divers. On assiste notamment à un regain<br />

<strong>de</strong>s activités artisanales et à une multiplication <strong>de</strong>s activités corporelles : gymnastique, d<strong>ans</strong>e, arts<br />

martiaux... Les <strong>MJC</strong> qui, d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, étaient fréquentées majoritairement par <strong>de</strong>s jeunes et<br />

un public <strong>de</strong> sexe masculin, s'ouvrent rapi<strong>de</strong>ment d<strong>ans</strong> les années 70 aux adultes - y compris le<br />

troisième âge - et aux femmes. En raison <strong>de</strong> cette diversification <strong>de</strong>s publics, les heures d'ouverture<br />

sont plus nombreuses, peuvent couvrir l'ensemble <strong>de</strong> la journée et ne se limitent plus aux pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

non-travail (fin d'après-midi, vacances, soirées...). Les usagers augmentent en nombre, exigent plus<br />

<strong>de</strong> qualité technique et <strong>de</strong> disponibilité <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s animateurs. Le salariat remplace<br />

progressivement le bénévolat. Les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>s structures employeurs qui<br />

1 Aux États Généraux <strong>de</strong> Metz (17-18 mai 1975), elles déci<strong>de</strong>ront <strong>de</strong> s’appeler <strong>MJC</strong>/MPT (Maison <strong>de</strong>s<br />

Jeunes et <strong>de</strong> la Culture/Maison Pour Tous).


- 343 -<br />

voient leurs budgets augmenter régulièrement, en raison surtout <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong>s usagers au<br />

financement <strong>de</strong>s activités. Certaines <strong>MJC</strong> rassemblent ainsi plusieurs milliers d'usagers fréquentant<br />

la structure aux heures les plus diverses et selon un emploi du temps et <strong>de</strong> l'espace très précis,<br />

usagers qui ne se rencontrent pas forcément, sinon d<strong>ans</strong> leur activité, et qui ne se sentent pas<br />

nécessairement partie prenante <strong>de</strong> ce que <strong>de</strong>vrait être la vie collective, communautaire et<br />

démocratique <strong>de</strong> l'association. Les populations touchées par ce développement <strong>de</strong>s activités<br />

appartiennent majoritairement aux nouvelles classes moyennes salariées, situation que la FF<strong>MJC</strong><br />

met bien en évi<strong>de</strong>nce quand elle écrit :<br />

"Elles [les <strong>MJC</strong>] s'adressent à toute la population s<strong>ans</strong> exclusive, mais visent d'abord à la<br />

formation culturelle et sociale <strong>de</strong>s couches les plus défavorisées, y compris les travailleurs<br />

immigrés et leurs familles. Elles doivent mettre tout en oeuvre pour atteindre cet objectif. Elles<br />

ne peuvent se satisfaire <strong>de</strong> la réalité économique et sociale actuelle qui les amène à toucher<br />

principalement les couches moyennes.” 1<br />

Deuxième trait marquant : le développement <strong>de</strong> pratiques pédagogiques qui privilégient le<br />

collectif, le groupal, l'expression, la créativité, la non-directivité, et se réfèrent à une idéologie<br />

libertaire qui entend rompre avec toutes les pratiques éducatives, sociales et culturelles <strong>de</strong><br />

l’inculcation et du renoncement. Le “différent”, “l'ailleurs”, “l'autrement”, favorisant l'épanouissement<br />

et le plaisir individuels et collectifs sont les maîtres-mots <strong>de</strong> cette éducation nouvelle, bien d<strong>ans</strong> la<br />

ligne <strong>de</strong> ce que l'on a pu appeler “l'idéologie contre-culturelle”. Ce vent libertaire va bousculer, voire<br />

balayer, les pratiques d'animation et <strong>de</strong> gestion encadrantes et jugées autoritaires, aussi bien d<strong>ans</strong><br />

les activités que d<strong>ans</strong> les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> décision. En théâtre par exemple on préférera<br />

l'expression corporelle, la dynamique du groupe et la création collective, aux techniques individuelles<br />

et à l’appropriation du texte d'auteur. D<strong>ans</strong> les centres <strong>de</strong> loisir pour enfants, on va privilégier le jeu,<br />

l'expression libre, souvent s<strong>ans</strong> apprentissage préalable, le plaisir <strong>de</strong> dire, <strong>de</strong> faire et <strong>de</strong> défaire.<br />

D<strong>ans</strong> les prises <strong>de</strong> décision et la mise en oeuvre <strong>de</strong> choix, on va multiplier les “collectifs”, les<br />

“commissions”, les "conseils”. D<strong>ans</strong> la réflexion, on va s'appuyer plus sur l'auto-formation, sur la<br />

dynamique du groupe, que sur l'apport extérieur d'un spécialiste livrant son savoir 2 . “Tr<strong>ans</strong>former un<br />

instrument <strong>de</strong> jouissance en instrument pédagogique” : c'est en reprenant cette formule <strong>de</strong> Brecht<br />

que la FF<strong>MJC</strong> exprime le mieux 3 l'orientation pédagogique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les années 70.<br />

1 Texte du congrès <strong>de</strong> Nanterre (11-12-13 novembre 1977) régulièrement repris par la suite,<br />

notamment d<strong>ans</strong> le rapport d’orientation <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Villeurbanne (12-13 décembre<br />

1982).<br />

2 Il est à remarquer qu’à aucun moment pendant les années 70 on n’a fait appel à <strong>de</strong>s intervenants<br />

extérieurs pour animer les journées nationales d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs, sauf, semble-t-il, une seule<br />

fois, au Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN) qui n’a pas précisément pour métho<strong>de</strong> et<br />

mission d’apporter du savoir mais <strong>de</strong> libérer les compétences et savoir-faire <strong>de</strong> chacun. Par contre,<br />

<strong>de</strong>puis plusieurs années, les journées régionales et nationales d’étu<strong>de</strong> débutent toujours par <strong>de</strong>s<br />

interventions magistrales <strong>de</strong> spécialistes.<br />

3 Rapports préparatoires à l’assemblée générale <strong>de</strong> Colombes (12-13 juin 1976), Jeunesse et Culture<br />

n° spécial 127, p. 37.


- 344 -<br />

Troisième trait <strong>de</strong> ce tableau : le bouillonnement culturel <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui <strong>de</strong>viennent, d<strong>ans</strong> ces<br />

années là <strong>de</strong>s lieux 1 d'expression pour les artistes les plus divers, <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> formes artistiques<br />

expérimentales nouvelles, tâtonnantes ou en réhabilitation : théâtre d'avant-gar<strong>de</strong>, café-théâtre,<br />

ch<strong>ans</strong>on, musiques pop, rock, folk, expressions artistiques régionales, tiers-mondistes, <strong>de</strong>s peuples<br />

en oppression ou en voie <strong>de</strong> libération (Chili, Portugal, Espagne, par exemple). Des artistes peu<br />

connus, à l'avenir incertain, généralement non acceptés d<strong>ans</strong> les gran<strong>de</strong>s structures culturelles<br />

privées et publiques, s'expriment d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> où l'on a souvent plus le souci <strong>de</strong> l'accueil, <strong>de</strong> la<br />

chaleur <strong>de</strong> l'ambiance, que <strong>de</strong> l'importance numérique du public. L'essentiel est que ça soit<br />

“chouette”, qu'on communique, que cela se termine par la fête aussi bien pour le directeur et les<br />

bénévoles qui organisent et mobilisent le public, que pour les artistes, qui se produisent souvent<br />

d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s conditions matérielles et financières mo<strong>de</strong>stes, et logent éventuellement chez l'habitant.<br />

Ces <strong>MJC</strong> sont alors le point d'appui et le carrefour d'une culture différente, échevelée, aux<br />

techniques approximatives et incertaines. Des groupements influents comme “action-ch<strong>ans</strong>on”, et<br />

l'association du jeune théâtre (A.J.T) prennent appui sur les <strong>MJC</strong> pour promouvoir <strong>de</strong> jeunes artistes,<br />

souvent socialement et esthétiquement très engagés 2 .<br />

Dernier élément <strong>de</strong> ce nouveau visage <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et s<strong>ans</strong> aucun doute le plus important : les <strong>MJC</strong><br />

entrent d<strong>ans</strong> l'histoire <strong>de</strong> la France <strong>de</strong>s années 70 parce qu’une partie <strong>de</strong> l'histoire <strong>de</strong> ces années là<br />

entre en elles, s'élabore d<strong>ans</strong> leur murs. Localement, d<strong>ans</strong> chaque lieu où elles sont implantées, les<br />

mouvements sociaux et culturels les plus divers - et pas seulement les mouvements <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d'éducation populaire - prennent appui et trouvent refuge d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> : associations <strong>de</strong> défense <strong>de</strong><br />

tous ordres, mouvements anti-nucléaires, antiracistes, antimilitaristes, écologiques, mouvements <strong>de</strong><br />

libération <strong>de</strong> la contraception et <strong>de</strong> l'avortement, groupes femmes, associations pédagogiques et<br />

culturelles, mouvements régionalistes, etc..., autrement dit, autant d'organisations qui remettent<br />

généralement en cause localement et nationalement les idéologies dominantes, les réglementations<br />

en vigueur et les pouvoirs installés. Ces mouvements, particulièrement florissants d<strong>ans</strong> la décennie<br />

qui précè<strong>de</strong> les changements politiques <strong>de</strong> 1981, sont souvent <strong>de</strong>s partenaires opérationnels <strong>de</strong>s<br />

actions conduites par les <strong>MJC</strong> elles-mêmes, ce qui ne met pas toujours ces <strong>de</strong>rnières d<strong>ans</strong> un<br />

rapport confortable avec les pouvoirs locaux, y compris ceux qui se veulent progressistes.<br />

Ces différents traits, caractéristiques nous semble-t-il <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s années 70, font en effet <strong>de</strong><br />

ces structures <strong>de</strong>s Maisons pour tous et <strong>de</strong>s maisons pour tout, <strong>de</strong>s lieux où l'on peut se distraire,<br />

consommer du loisir, créer, s'exprimer, s'engager, revendiquer ou tout simplement séjourner, <strong>de</strong>s<br />

1 “Carrefour où s’élabore une culture pour notre temps” disait déjà Bernard Stasi (1er congrès <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>, Epernay 29-30 mai 1971).<br />

2 C’est cet aspect <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> que Jacques Bertin met le plus en évi<strong>de</strong>nce et ce malgré le mépris <strong>de</strong><br />

nombreux “culturels” pour ces pratiques dites “socio-cu” (Émission <strong>de</strong> France-Culture “Où en sont<br />

les <strong>MJC</strong>”, Grand Angle, 10/3/90).


- 345 -<br />

espaces où <strong>de</strong>s individus très différents se côtoient, cohabitent, ou même s'ignorent tant leurs<br />

intérêts, leurs motivations et leur utilisation <strong>de</strong> la structure différents.<br />

A titre d'exemple la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Béziers, <strong>de</strong> taille pourtant mo<strong>de</strong>ste et dotée <strong>de</strong> locaux peu adaptés à<br />

sa mission (elle est en effet logée d<strong>ans</strong> une petite école primaire), est, à la fin <strong>de</strong>s années 70,<br />

l'espace d'actions et d'activités les plus diverses : elle connaît un développement rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s activités<br />

<strong>de</strong> loisirs corporels et culturels (gymnastique, d<strong>ans</strong>e jazz, théâtre, pleine nature, artisanat<br />

notamment) ; elle est à l'initiative d'opérations culturelles d'envergure (l’Ivern occitan, la renaissance<br />

du carnaval, programmation jazz et musique pop), coordonne <strong>de</strong>s opérations thématiques (la<br />

quinzaine sur le nucléaire par exemple), est le point d'appui <strong>de</strong>s actions revendicatives plus larges<br />

(le manifeste "mon paï s escorjat" et les états généraux du Languedoc) ; elle accueille et soutient <strong>de</strong><br />

nombreuses associations et mouvements sociaux (groupes femmes, planning familial, ASTI, collectif<br />

anti-raciste, école occitane "la calendreta"...), prend une part active à la création (soutien au “théâtre<br />

à emporter” et à la gran<strong>de</strong> marche du théâtre régional) et à la libération <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s (elle est le lieu<br />

d'enregistrement <strong>de</strong>s émissions d'une radio, alors interdite, “Radio Pomarè<strong>de</strong>”). Certaines <strong>de</strong> ces<br />

opérations inquiètent quelquefois la majorité municipale qui se veut pourtant progressiste,<br />

notamment lorsque une semaine sur le nucléaire se tr<strong>ans</strong>forme en semaine antinucléaire, et qu'un<br />

débat précédé d'un film sur le thème “Etre homosexuel en 1978” déchaîne la colère <strong>de</strong> quelques<br />

conseillers municipaux.<br />

Confrontée à ces pratiques diverses, tant d<strong>ans</strong> leur forme que d<strong>ans</strong> leur contenu, la FF<strong>MJC</strong><br />

essaie d'avoir une attitu<strong>de</strong> cohérente consistant à les prendre en compte, à en comprendre les<br />

enjeux, à reformuler le projet <strong>de</strong>s structures et <strong>de</strong>s hommes qui les mettent en oeuvre, à en faire<br />

reconnaître le bien fondé par une majorité politique que ces agissements inquiètent souvent et<br />

qu'une opposition, qui a tendance à se servir <strong>de</strong> ces structures comme point d'appui possible d'une<br />

gestion <strong>de</strong>s affaires publiques, surveille.<br />

A l'UNIREG, par contre, même si, ça et là, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> se sont trouvées engagées d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s actions<br />

comparables, on a soigneusement évité, semble-t-il, <strong>de</strong> construire institutionnellement le discours qui<br />

aurait pu légitimer et donc favoriser le développement <strong>de</strong> ces pratiques nouvelles. D'où, d'un côté<br />

l’image d'une UNIREG s<strong>ans</strong> histoire 1 et <strong>de</strong> l'autre, l’image opposée d'une FF<strong>MJC</strong> engagée et en<br />

proie à <strong>de</strong>s affrontements permanents.<br />

1 “Nous avons essayé <strong>de</strong> faire une institution nouvelle s<strong>ans</strong> nous préoccuper <strong>de</strong> ce que <strong>de</strong>venait la<br />

FF<strong>MJC</strong>. Nous avons eu une vie nationale s<strong>ans</strong> histoire à une seule exception près : nous avons dû<br />

dissoudre une fédération régionale qui était noyautée par un parti politique et créer une association<br />

nouvelle. Autant nous n’avions pas accepté que la FF<strong>MJC</strong> soit noyautée par la CGT et le parti<br />

communiste - c’est pour cela que nous sommes partis - autant nous n’avons pas accepté non plus<br />

que la Fédération <strong>de</strong> Normandie soit noyautée par le RPR.” (entretien avec Lucien Trichaud).


2 - Une FF<strong>MJC</strong> combative<br />

- 346 -<br />

Combative, combattante même, la Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong> Jeunes et <strong>de</strong> la Culture<br />

le <strong>de</strong>vient assurément d<strong>ans</strong> les années qui suivent la scission <strong>de</strong> 1969. En reprenant les formules <strong>de</strong><br />

Jean Laurain, alors secrétaire général national, on peut dire qu’ “après le splendi<strong>de</strong> isolement du<br />

temps <strong>de</strong> la prospérité et la triste solitu<strong>de</strong> du temps <strong>de</strong> crise, [la FF<strong>MJC</strong>] a sauvé l'essentiel alors que<br />

tout pouvait être perdu...” 1 . Combative, la FF<strong>MJC</strong> l'est d'abord, comme nous l'avons vu, d<strong>ans</strong> son<br />

projet, d<strong>ans</strong> ses discours, ceux qui portent sur l'évolution <strong>de</strong> la société comme ceux qui analysent la<br />

situation qui est faite à l'éducation populaire en général et aux <strong>MJC</strong> en particulier. Les choses se<br />

disent souvent en terme <strong>de</strong> lutte et <strong>de</strong> combat, même si le principe <strong>de</strong> cogestion indique qu'il faille<br />

adopter une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> négociation et <strong>de</strong> conciliation avec les différents partenaires. Mais dès lors<br />

que l'Etat refuse <strong>de</strong> reprendre sa place d<strong>ans</strong> cette cogestion - il faudra attendre le congrès <strong>de</strong><br />

Nanterre (1977) pour voir un ministre participer à une instance nationale majeure - les responsables<br />

nationaux se sentent autorisés à utiliser les seules armes qui leur restent pour sauver l'Institution : la<br />

mobilisation, la lutte, la revendication, le discours musclé porté haut et fort. Un texte parmi d'autres<br />

est très significatif <strong>de</strong> cette attitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> cet état d'esprit :<br />

“L'époque où un système fondé sur l'exploitation et l'oppression fait la preuve qu'il a fait un<br />

temps. L'époque où s'inscrit à l'ordre du jour <strong>de</strong> la société française la nécessité <strong>de</strong><br />

changements fondamentaux.[… ] D<strong>ans</strong> le pays grandit l'idée que cette situation ne pourra<br />

continuer indéfiniment et qu'il faut songer sérieusement à <strong>de</strong>s solutions vraiment nouvelles.<br />

Nul ne peut prédire les aléas <strong>de</strong> cette bataille, ni le temps qu'il faudra, mais c'est bien <strong>de</strong> cela<br />

qu'il s'agit...<br />

“La bataille <strong>de</strong>s idées est à la mesure <strong>de</strong> l'enjeu idéologique <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l'éducation<br />

populaire ... Les exigences concrètes <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong>s idées se retrouvent d<strong>ans</strong> tous les<br />

aspects <strong>de</strong> notre action ... et d'abord d<strong>ans</strong> la lutte revendicative, d<strong>ans</strong> les conditions présentes,<br />

pour notre droit à l’existence.<br />

“La France est un pays riche d'un puissant potentiel économique, <strong>de</strong> compétences<br />

nombreuses et <strong>de</strong> talents variés. Elle possè<strong>de</strong> les moyens et les forces nécessaires pour<br />

soulager la peine <strong>de</strong>s hommes, améliorer leur vie, libérer la création d<strong>ans</strong> toute sa diversité.<br />

Mais ces potentialités sont tenues en bri<strong>de</strong>, stérilisées, étouffées, gâchées par un système<br />

économico-social qui fait <strong>de</strong> la loi du profit pour une étroite minorité le critère et la justification<br />

<strong>de</strong> toute activité humaine. En effet, comment les tenants du capital pourraient-ils assister<br />

passifs à la montée d'une association d'éducation populaire qui participe à la prise <strong>de</strong><br />

conscience du citoyen, d'où l'étranglement et l'asphyxie financière.<br />

“Il faut répondre à ces questions avec le souci <strong>de</strong> faire progresser la conscience <strong>de</strong> chacun,<br />

d'autant que sur ce terrain le système en place n'hésite pas à employer la démagogie quitte à<br />

1 Rapport moral, assemblée générale d’Epernay (31 mai 1971), p. 5-6.


- 347 -<br />

utiliser toutes les critiques, pourvu qu'elles détournent les individus <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> conscience<br />

véritable. Quand nous soulignons le caractère <strong>de</strong> masse que doit prendre nécessairement<br />

d<strong>ans</strong> tous les domaines l'action <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, nous ne faisons que constater une réalité. Qu'il<br />

s'agisse <strong>de</strong> la défense <strong>de</strong> nos justes revendications ou bien <strong>de</strong>s problèmes politiques<br />

importants auxquels l'ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ne saurait être indifférent, ou encore <strong>de</strong>s<br />

perspectives, ce sont <strong>de</strong>s masses immenses <strong>de</strong> militants qu'il faut mettre en mouvement.<br />

“Porter à ce niveau la bataille <strong>de</strong>s idées, c'est bien entendu, mettre à la hauteur l'ensemble <strong>de</strong><br />

nos moyens d'expression, écrits et oraux, utiliser les métho<strong>de</strong>s les plus mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong><br />

l'information. Et pourquoi pas le droit à un temps <strong>de</strong> parole à l'ORTF pour les associations ?<br />

[...] Et pourquoi pas enfin un face à face Jargot-Comiti ?” 1 .<br />

Il ne s'agit s<strong>ans</strong> doute là que d'un rapport <strong>de</strong> commission qui ne fait pas office <strong>de</strong> charte ni force<br />

<strong>de</strong> loi. Les textes d'orientation et les motions qui engagent l'action sont généralement un peu moins<br />

virulents. Cependant, les assemblées générales et congrès se terminent le plus souvent par le vote<br />

massif <strong>de</strong> textes qui indiquent clairement l'esprit et la direction à suivre. La motion <strong>de</strong> synthèse finale<br />

votée au congrès <strong>de</strong> Thonon-les-Bains (9-10 juin 1973) par 800 participants mandatés par les <strong>MJC</strong>,<br />

moins 10 voix contre et 20 abstentions, dit notamment :<br />

“Engagement politique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> - Le congrès réaffirme l'un <strong>de</strong>s principes fondamentaux, qui<br />

est que la <strong>MJC</strong> une institution et non un mouvement : la vocation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est d'éveiller les<br />

adhérents et la population sur leur propre situation, le rôle <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> s'arrêtant à leur faire<br />

prendre conscience <strong>de</strong> la totalité et <strong>de</strong> la globalité <strong>de</strong>s problèmes que pose cette situation<br />

(problèmes politiques, économiques, sociaux, culturels… ), prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>vant<br />

normalement déboucher pour chaque individu sur un choix libre et personnel d'engagement<br />

politique... Le congrès <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> se joindre à tout mouvement qui revendique<br />

pour les associations culturelles, la liberté d'expression et <strong>de</strong> création” 2 .<br />

Et d<strong>ans</strong> la résolution finale du congrès <strong>de</strong> Nanterre (11-12-13 novembre 1977), on peut lire les<br />

déclarations suivantes :<br />

“Les <strong>MJC</strong> disent aujourd'hui : <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années nous luttons à notre manière, nous luttons en<br />

existant,<br />

- nous existons contre la pénurie organisée<br />

- nous existons contre l'éloge <strong>de</strong> la pauvreté<br />

- nous existons contre les atteintes aux libertés<br />

- nous existons contre les détournements mercantiles<br />

- nous existons contre les tentatives <strong>de</strong> récupérations idéologiques.<br />

1 Rapport <strong>de</strong> la commission fédérale information-édition, établi par Lionel Deschamps, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

FR<strong>MJC</strong> Région parisienne, vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la commission information-édition<br />

(11 novembre 1972).<br />

2 Pas à pas n° 24, p. 15.


- 348 -<br />

“Avec Jean Ferrat, les <strong>MJC</strong> crient aujourd'hui : “Ce sont nos frères et nos soeurs qu'on<br />

assassine”,<br />

- ce sont nos frères et nos soeurs qui sont maintenus hors nos murs par une scolarité<br />

incomplète, par la limitation <strong>de</strong> leurs connaissances, par la fatigue du tr<strong>ans</strong>port et du travail,<br />

par l'insuffisance du sommeil.<br />

- ce sont nos frères et nos soeurs qui sont maintenus hors nos murs par le malheur d'être<br />

handicapés, émigrés, par le travail sous-payé, par le chômage avec un CAP, un brevet<br />

professionnel, une licence ou une maîtrise, par la pauvreté.<br />

Avec notre spécificité et notre i<strong>de</strong>ntité, nous sommes nous aussi impliqués d<strong>ans</strong> ce processus<br />

pour le changement ...<br />

Inventons avec eux, pour eux et pour nous, les formes nouvelles <strong>de</strong> la réflexion, <strong>de</strong> l'action, <strong>de</strong><br />

la lutte ...<br />

Apprenons ensemble à connaître l'origine <strong>de</strong>s conflits que nous vivons, trouvons ensemble les<br />

capacités <strong>de</strong> les dépasser…” 1<br />

Chaque rassemblement national - congrès, assemblées générales - est l'occasion <strong>de</strong> reformuler<br />

et d'adopter une plate-forme revendicative adressée à l'Etat, et qui porte principalement sur la<br />

question <strong>de</strong>s moyens nécessaires au développement <strong>de</strong> l'action culturelle <strong>de</strong> l'éducation populaire et<br />

<strong>de</strong> la vie associative : doublement du budget <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, 1% à la Culture,<br />

exonération <strong>de</strong> la taxe <strong>de</strong> 4,25% sur les salaires, <strong>de</strong> la TVA sur les équipements et le matériel<br />

éducatif et culturel, financement <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s professionnels et <strong>de</strong>s bénévoles, <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong><br />

délégué et <strong>de</strong> directeur (50% d<strong>ans</strong> le cadre du FONJEP)...<br />

La FF<strong>MJC</strong> est combative également - ou c'est du moins l'image qu'elle donne - en raison <strong>de</strong> son<br />

activité et <strong>de</strong> son organisation fédérale nationale. Malgré une régionalisation imposée par le<br />

gouvernement d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s formes finalement aussi radicales que celles que l'UNIREG a adoptées, la<br />

FF<strong>MJC</strong> maintient et même développe une activité nationale qui lui permettra <strong>de</strong> restructurer une vie<br />

fédérative forte. De 1970 à 1981, la FF<strong>MJC</strong> a organisé six congrès nationaux rassemblant<br />

généralement plus d'un millier <strong>de</strong> personnes sur plusieurs jours, 19 assemblées générales<br />

nationales ordinaires ou extraordinaires, 9 rassemblements nationaux <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> 4 jours en<br />

moyenne, s<strong>ans</strong> compter les multiples réunions <strong>de</strong> conseils d'administrations, bureaux, <strong>de</strong><br />

commissions <strong>de</strong> toutes natures (information, formation, paritaires...) et les instances du centre inter-<br />

régional <strong>de</strong> la paie. De son côté, le corps professionnel lui-même a, par ses organisations<br />

syndicales, une vie collective nationale importante à travers ses congrès, ses assemblées <strong>de</strong><br />

syndiqués et ses commissions administratives. Malgré les divergences, voire même les<br />

affrontements internes, qui font que cette fédération est loin d'être monolithique, il y a un esprit <strong>de</strong><br />

corps et <strong>de</strong> combat aussi bien chez les élus nationaux que chez les professionnels, en quelque sorte<br />

1 Spécial congrès Nanterre (11-12-13 novembre 1977). Résolutions finales, p. 2 et 3.


- 349 -<br />

un “fighting-spirit” qui engage l'adhésion à l'Institution avec un grand I et à la Fédération avec un<br />

grand F 1 .<br />

Ce combat - on s'en doute et on l'a remarqué - se livre essentiellement contre l'Etat et ses<br />

gouvernements successifs. On attaque cependant rarement les formations politiques qui les<br />

soutiennent, <strong>de</strong> peur s<strong>ans</strong> doute <strong>de</strong> sortir d'une certaine laï cité et <strong>de</strong> se voir reprocher, un peu plus,<br />

une attitu<strong>de</strong> partisane. On accepte et on recherche tous les soutiens <strong>de</strong>s plus modérés et<br />

consensuels aux plus partis<strong>ans</strong>. L'association <strong>de</strong>s Maires <strong>de</strong> France - la FF<strong>MJC</strong> stigmatise le<br />

désengagement <strong>de</strong> l'Etat et le tr<strong>ans</strong>fert <strong>de</strong> charges sur les collectivités locales - est un soutien<br />

régulièrement recherché ainsi que celui du CNAJEP (Comité National <strong>de</strong>s Associations <strong>de</strong> Jeunesse<br />

et d'Education Populaire, qui a pris la suite du GEROJEP) dont la FF<strong>MJC</strong> est membre, et qui porte<br />

les revendications <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> son secteur d'intervention. Mais la FF<strong>MJC</strong> a<br />

aussi régulièrement le soutien, lors <strong>de</strong> ses congrès et d<strong>ans</strong> ses actions, <strong>de</strong>s organisations syndicales<br />

du mon<strong>de</strong> du travail (mouvement ouvrier, enseignants, chercheurs, artistes), <strong>de</strong>s associations et<br />

mouvements culturels, <strong>de</strong> jeunesse et d'éducation populaire, <strong>de</strong> certains partis politiques,<br />

principalement <strong>de</strong> gauche et d'extrême gauche.<br />

Le corps professionnel, notamment celui <strong>de</strong>s directeurs, joue un rôle considérable d<strong>ans</strong> cette<br />

attitu<strong>de</strong> revendicative et combative <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Rappelons qu'au cours <strong>de</strong>s années 70, ce corps<br />

professionnel est quasi intégralement syndiqué, majoritairement à la CGT, partiellement à la CFDT,<br />

qu'il est traversé par tous les courants politiques <strong>de</strong> gauche ou d'extrême gauche, et que le parti<br />

communiste rassemble une fraction appréciable et très organisée <strong>de</strong> ce personnel. Très souvent, les<br />

actions revendicatives <strong>de</strong>s organisations syndicales, dirigées contre la fédération employeur,<br />

poussent un peu plus cette <strong>de</strong>rnière à se retourner contre l'Etat, ce qui accrédite l'idée, déjà bien<br />

installée à la scission, d'une institution manipulée par son personnel, inféodée à son syndicat<br />

majoritaire, la CGT, et donc courroie <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>mission du parti communiste.<br />

Pourtant la réalité est bien plus complexe. Les sensibilités internes sont très diverses. L'Institution<br />

est loin d'être monolithique. Elle est beaucoup plus composite et pluraliste que cette image,<br />

construite d<strong>ans</strong> le combat et <strong>de</strong> l'extérieur 2 , pourrait le laisser croire. Les affrontements internes sont<br />

souvent s<strong>ans</strong> concessions et même très violents. On n'hésite pas à se mettre en grève aux journées<br />

d'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saint-Etienne (printemps 1976) contre un prési<strong>de</strong>nt national - et par ailleurs sénateur-<br />

1 Georges Rouan, d<strong>ans</strong> L’animation socio-culturelle : une institution en action, a bien mis en évi<strong>de</strong>nce<br />

ce phénomène d’attachement quasi fusionnel entre l’Institution et nombre <strong>de</strong> ses membres. “La<br />

fédé, c’est comme maman, et on ne touche pas à maman” (Entretien avec une épouse <strong>de</strong> directeur<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong>).<br />

2 Par exemple par les responsables <strong>de</strong>s fédérations autonomes. Après l’assemblée générale <strong>de</strong><br />

Versailles (8-9 novembre 1969), Jean Beaugrand, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’APREREG, parle à propos <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong> “d’immobilisme monolithique”, <strong>de</strong> poursuite d’un “rêve totalitaire et <strong>de</strong> mégalomanie”, <strong>de</strong><br />

prétention à “s’appuyer sur la ‘masse’ afin <strong>de</strong> faire plier le ministère <strong>de</strong> tutelle et <strong>de</strong> démontrer que<br />

tous ceux qui osent être en désaccord sont <strong>de</strong>s valets du pouvoir”. Le Figaro du 12/11/69.


- 350 -<br />

maire communiste - qui a, avec son conseil d'administration, décidé <strong>de</strong> licencier 30 directeurs<br />

stagiaires auxquels il apparait impossible <strong>de</strong> proposer un poste. Un délégué régional est séquestré<br />

pour avoir licencié - abusivement et au mépris <strong>de</strong> toutes les règles, selon la CGT - un directeur <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong>, et partout en France, les sièges <strong>de</strong>s fédérations régionales sont occupées par le personnel.<br />

La CGT et la CFDT s'opposent régulièrement et les rares moments d'unité d'action sont acquis<br />

d<strong>ans</strong> la sueur, sur <strong>de</strong>s points bien précis ou dictés par une conjoncture particulièrement difficile.<br />

Même en 1976 où, face à <strong>de</strong>s licenciements programmés, la volonté d'unité d'action du personnel<br />

est forte, c'est la surenchère syndicale qui prime. La CGT elle-même, est aux prises avec <strong>de</strong> fortes<br />

oppositions internes. Le bureau national est violemment et régulièrement contesté par une<br />

opposition considérée comme irresponsable, gauchiste, accusée <strong>de</strong> vouloir faire le jeu <strong>de</strong> la CFDT et<br />

<strong>de</strong> diviser le personnel.<br />

L'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> vis à vis <strong>de</strong> l'Etat n'est pas non plus toujours celle <strong>de</strong> la revendication et<br />

du combat. On sait, comme le gouvernement lui-même, se prêter au jeu <strong>de</strong> la négociation, faire<br />

souffler le chaud et le froid, si bien que généralement les rassemblements nationaux se terminent par<br />

l’expression <strong>de</strong> revendications fermement défendues et par l'affirmation d'une volonté <strong>de</strong> dialogue<br />

constructif avec l'Etat. Le secrétaire d'Etat, lui-même, y compris au moment <strong>de</strong>s tensions les plus<br />

fortes, adopte les <strong>de</strong>ux attitu<strong>de</strong>s directement ou par l'intermédiaire <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> cabinet et <strong>de</strong> la<br />

presse. Joseph Comiti, par exemple, attaque violemment la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les congrès <strong>de</strong> son parti, lui<br />

impose une régionalisation draconienne en la menaçant d'étouffement financier, mais en même<br />

temps finit par agréer les fédérations régionales qui sont restées fidèles à la Fédération Française et<br />

accepte, en définitive, une gestion nationale du personnel par l'intermédiaire du Centre Inter-<br />

Régional <strong>de</strong> la Paie.<br />

Les responsables nationaux <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> élus et salariés, considèrent que c'est grâce à cette<br />

attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> vigilance, à la fois combative et responsable, que l'Institution a finalement conservé ses<br />

acquis essentiels et a pu continuer à se développer. Même au moment <strong>de</strong> l'assemblée générale<br />

extraordinaire <strong>de</strong> Paris-Belleville (22 février 1970) où, contrainte et forcée, elle accepte les règles<br />

imposées par le Secrétariat d'Etat, la FF<strong>MJC</strong> sait rester unie, soudée, “faire échec à la tentative<br />

d’anéantissement” 1 et ainsi reprendre un combat qu'elle considère comme essentiel : la<br />

reconstitution d'une organisation et d'une vie fédérative nationales fortes.<br />

Cette vigilance combative prend donc, selon les moments, <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> simple vigilance ou <strong>de</strong><br />

réel combat. Cela va du vote d'une motion ou d'une plate-forme revendicative, à la pétition envoyée<br />

aux députés et aux membres du gouvernement au moment du vote du budget <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s<br />

Sports, et enfin à la manifestation <strong>de</strong> rue préparée par une longue pério<strong>de</strong> d'information et <strong>de</strong><br />

mobilisation.<br />

1 C’est l’expression du syndicat CGT du personnel éducatif et administratif, qui va jusqu’à conclure que<br />

“malgré l’arbitraire, M. Comiti vient d’être battu par la FF<strong>MJC</strong>”. Le Mon<strong>de</strong> du 24 février 1970.


- 351 -<br />

S<strong>ans</strong> aucun doute, “l'action HELP”, qui se termine par un rassemblement populaire d'environ<br />

10.000 personnes venus <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s régions <strong>de</strong> France, est-elle la forme la plus spectaculaire<br />

du combat mené par les <strong>MJC</strong>, d<strong>ans</strong> les années 70.<br />

La lutte <strong>de</strong> l'ensemble du personnel, lors <strong>de</strong>s journées d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mai 1976 à Saint-Etienne, va<br />

conduire l'assemblée générale <strong>de</strong> Colombes à déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'arrêt <strong>de</strong> la procédure <strong>de</strong> licenciement et à<br />

confier au bureau fédéral et à son nouveau prési<strong>de</strong>nt, Robert Lenoir, “la direction et la coordination<br />

<strong>de</strong>s luttes” 1 . Il s'agit <strong>de</strong> se battre à tous les niveaux, local, départemental, régional et national, pour la<br />

création d'emplois et l'obtention <strong>de</strong> moyens financiers <strong>de</strong>stinés à la formation et à la survie du centre<br />

fédéral. D<strong>ans</strong> la perspective <strong>de</strong>s élections municipales du printemps 1977, <strong>de</strong>s actions d'information,<br />

<strong>de</strong> sensibilisation principalement auprès <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>s maires et <strong>de</strong>s députés, sont engagées et une<br />

commission nationale, présidée par Francis Le Hérissé, a pour mission <strong>de</strong> préparer les opérations<br />

conduisant à la manifestation du 16 octobre. Cette mobilisation a pour premier effet, grâce aux<br />

démarches accélérées auprès <strong>de</strong>s municipalités, <strong>de</strong> procurer un poste à chaque stagiaire et donc <strong>de</strong><br />

gagner une première bataille, celle <strong>de</strong> l'emploi. La préparation <strong>de</strong> la manifestation mobilise d'abord<br />

localement d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong>, puis régionalement et enfin nationalement, le 16 octobre, <strong>de</strong> nombreux<br />

adhérents, jeunes, bénévoles et professionnels, qui expriment leurs revendications à travers <strong>de</strong>s<br />

formes originales, humoristiques et créatrices, dont la presse nationale fera état. Une délégation <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong> est reçue par Monsieur Poher prési<strong>de</strong>nt du Sénat et <strong>de</strong> l'association <strong>de</strong>s Maires <strong>de</strong><br />

France, par le cabinet du premier ministre et même du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République “où l'entretien se<br />

déroule d<strong>ans</strong> un climat <strong>de</strong> relative hostilité” 2 . Cette action, qui a s<strong>ans</strong> doute mobilisé l'intérêt <strong>de</strong>s<br />

futurs élus municipaux <strong>de</strong> 1977, a eu également pour effet <strong>de</strong> faire mieux connaître la FF<strong>MJC</strong> au<br />

grand public, et également aux <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> base 3 .<br />

Mais cette attitu<strong>de</strong> combative n'est pas le seul fait <strong>de</strong> la Fédération. Les <strong>MJC</strong> mènent<br />

majoritairement et généralement une vie paisible, certes bouillonnante, mais réglée par <strong>de</strong>s rapports<br />

<strong>de</strong> dialogue avec les différents partenaires, et en premier lieu les municipalités. Cependant, pendant<br />

cette pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> se sont retrouvées à un moment où à un autre en danger <strong>de</strong><br />

disparition ou en situation <strong>de</strong> conflit, qui a pu prendre <strong>de</strong>s formes plus ou moins violentes. La<br />

1 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Reims (12 juin 1977), p. 13. Lors du conseil<br />

d’administration qui suivit l’assemblée générale <strong>de</strong> Colombes, Robert Lenoir avait en effet été élu<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, et prenait ainsi la succession <strong>de</strong> Paul Jargot qui ne souhaitait pas briguer un<br />

nouveau mandat.<br />

2 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Reims (12 juin 1977), p. 16. Des autocars ont été<br />

affrétés pour tr<strong>ans</strong>porter les manifestants à Paris. 75.000 affiches et affichettes, 10.000 panneaux<br />

muraux ont été répartis sur l’ensemble du territoire, 300.000 autocollants vendus ou distribués.<br />

3 L’opération “HELP !” qui culmine lors du rassemblement parisien du 16 octobre, a nécessité plusieurs<br />

mois <strong>de</strong> préparation. De nombreuses <strong>MJC</strong> ont organisé <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> soutien, <strong>de</strong>s<br />

rassemblements locaux et <strong>de</strong>s spectacles <strong>de</strong> solidarité, auxquels ont pris part <strong>de</strong> nombreux artistes.


- 352 -<br />

situation est particulièrement explosive à la fin <strong>de</strong> 1969 lorsque Monsieur Joseph Comiti a décidé <strong>de</strong><br />

supprimer 20 postes <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>. On se mobilise à Rennes, Rom<strong>ans</strong>, Terville, Angers,<br />

Blois, Dieppe, Lyon. Les <strong>MJC</strong> ont généralement le soutien <strong>de</strong>s municipalités, <strong>de</strong>s institutions et<br />

associations locales, qui n'acceptent pas les accusations portées contre elles et leurs directeurs.<br />

Monsieur Freville, maire <strong>de</strong> Rennes, exprime “son étonnement et son indignation <strong>de</strong>vant les termes<br />

employés par Monsieur Comiti pour justifier les suppressions : “bilan décevant et un peu<br />

décourageant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, politisation évi<strong>de</strong>nte, incurie, gabegie et gaspillage <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers publics”. A<br />

Rennes, l'émotion est forte. L'ensemble <strong>de</strong>s forces vives <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> la ville et du département,<br />

protestent <strong>de</strong>vant l'Hôtel <strong>de</strong> Ville pour défendre une institution née d<strong>ans</strong> les combats <strong>de</strong> la<br />

Résistance. A Blois, se met en place un comité <strong>de</strong> défense <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, rassemblant les syndicats, les<br />

grands mouvements et organisations <strong>de</strong> jeunesse et d'éducation populaire et les partis politiques <strong>de</strong><br />

gauche et d'extrême gauche. Monseigneur Goupy lui-même, évêque <strong>de</strong> Blois, déclare que “cette<br />

suppression est une atteinte à l'éducation <strong>de</strong>s jeunes [et que son] seul propos est en effet <strong>de</strong> penser<br />

à ces jeunes eux-mêmes, surtout aux plus défavorisés, [qui] ont besoin d'échanger entre eux et avec<br />

<strong>de</strong>s adultes pour connaitre le mon<strong>de</strong> économique, la vie civique et politique, la législation<br />

professionnelle et syndicale [...], <strong>de</strong> s'engager d<strong>ans</strong> la vie d'adulte et découvrir les raisons d'être et le<br />

sens <strong>de</strong> l'existence vraiment humaine” 1 . Jusqu'à Bernard Lup et Denis Brunel, respectivement<br />

prési<strong>de</strong>nt national et vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s jeunes Républicains indépendants, qui vont rencontrer le<br />

premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, sur “les problèmes concernant la Jeunesse, notamment<br />

la situation <strong>de</strong> l'université, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et la réforme du service militaire” 2 .<br />

A ce moment-là, les municipalités <strong>de</strong> toutes tendances politiques et l'association <strong>de</strong>s Maires <strong>de</strong><br />

France que la FF<strong>MJC</strong> sollicite régulièrement, jouent un rôle indéniable d<strong>ans</strong> la normalisation<br />

progressive <strong>de</strong>s relations entre les <strong>MJC</strong> et l'Etat. Cependant, les années 70 sont émaillées <strong>de</strong><br />

conflits entre les <strong>MJC</strong> elles-mêmes et certaines municipalités. Quelques-uns d'entre eux sont<br />

spectaculaires, repris en écho par la presse et par la FF<strong>MJC</strong> à chaque rassemblement national,<br />

notamment ceux qui concernent les relations entre les <strong>MJC</strong> et la Ville <strong>de</strong> Paris qui, dès 1970, en<br />

s'appuyant sur la “dissi<strong>de</strong>nce” soutenue par Monsieur Joseph Comiti, déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> retirer à certaines<br />

<strong>MJC</strong> la gestion <strong>de</strong> ses équipements socio-éducatifs. Au cours <strong>de</strong> l'année 1971, la <strong>MJC</strong> Jehan Rictus<br />

se voit enlever ses <strong>de</strong>rniers locaux, et la Mouffe elle-même est privée, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'un député<br />

UDR <strong>de</strong> Paris, <strong>de</strong>s ses postes FONJEP. Le congrès <strong>de</strong> Nanterre se déroule en plein conflit <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong>-Théâtre <strong>de</strong>s Deux Portes avec la Ville <strong>de</strong> Paris 3 . S'agissant <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en difficultés, ce congrès<br />

1 La semaine religieuse, citée par le Figaro du 22 septembre 1969.<br />

2 Le Mon<strong>de</strong> du 29 août 1969.<br />

3 Ce qui explique l’intervention virulente <strong>de</strong> Lionel Deschamps, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Région parisienne,<br />

à la tribune du congrès <strong>de</strong> Nanterre contre “le premier ministre qui engage ses mauvais coups par<br />

préfet interposé pour mieux les concrétiser en tant que Maire <strong>de</strong> Paris : la culture au service du<br />

peuple a toujours déchaîné les passions. Monsieur Chirac, quelle cause serviez-vous... quand au petit<br />

matin d’un jour du mois d’août vous faisiez expulser par les forces <strong>de</strong> police les adhérents <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>-


- 353 -<br />

se prononce sur <strong>de</strong>s orientations qui seront confirmées l'année suivante par l'assemblée générale<br />

extraordinaire <strong>de</strong> Poitiers (27 mai 1978) :<br />

“Créer <strong>de</strong>s conditions favorables à un rapport <strong>de</strong> force en mobilisant à tous les niveaux :<br />

adhérents, élus locaux, membres associés, fédérations.<br />

“Instituer un fonds <strong>de</strong> solidarité sous contrôle <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : frais juridiques, ai<strong>de</strong> technique<br />

(publication, informations locales et nationales, financement <strong>de</strong> poste) appropriée au conflit.<br />

“Organiser un conseil juridique national (juristes, membres <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> en lutte, FF<strong>MJC</strong>,<br />

professionnels) pour la présentation, la rédaction d'un livre blanc, l'ai<strong>de</strong> au directeur en cas <strong>de</strong><br />

procès, la mise au point d'une convention type” 1 .<br />

Il serait long <strong>de</strong> faire l'inventaire et <strong>de</strong> relater tous les conflits. Quelques-uns sont longs,<br />

spectaculaires, violents et ont <strong>de</strong>s issues très variables.<br />

La <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Viry-Chatillon est partiellement rasée au bulldozer au petit matin, s<strong>ans</strong><br />

déménagement préalable du matériel. La <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Boulogne-Billancourt, privée <strong>de</strong> locaux par la<br />

municipalité et son maire, Monsieur Gorse, résiste pendant <strong>de</strong> nombreuses années en s'installant<br />

sur une péniche dont elle a fait l'achat. En 1975, le torchon brûle entre la municipalité <strong>de</strong> Reims, les<br />

<strong>MJC</strong> et la fédération régionale ; raison invoquée : le délégué régional, Michel Mayer, aurait pris<br />

position lors <strong>de</strong>s élections prési<strong>de</strong>ntielles <strong>de</strong> 1974. Pendant l'été 1977, on s'émeut localement et<br />

d<strong>ans</strong> la presse nationale, <strong>de</strong> l'action brutale conduite par le nouveau maire <strong>de</strong> Bédarieux (Hérault),<br />

Monsieur Roques, contre la <strong>MJC</strong> : il a fait recouvrir <strong>de</strong> peinture blanche une fresque réalisée sur la<br />

nouvelle salle polyvalente par trois peintres ; le directeur est chassé et une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s locaux<br />

supprimés. Les <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Paris intra-muros vont <strong>de</strong>voir, pour subsister, se plier aux exigences <strong>de</strong>s<br />

autorités locales et la Maison pour Tous <strong>de</strong> la Mouffe sera expulsée, son bâtiment détruit et sera<br />

condamnée à émigrer à Marcoussis en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> Paris.<br />

Les situations locales, régionales et nationales d<strong>ans</strong> lesquelles se débattent les <strong>MJC</strong> et leur<br />

fédération, font d'elles les modèles d'un socio-culturel en exp<strong>ans</strong>ion, avec ce qu'il a <strong>de</strong> créatif et<br />

quelquefois <strong>de</strong> subversif, mais aussi d'approximatif, d’amateur, et, selon l’avis <strong>de</strong> certains, <strong>de</strong><br />

dérisoire et <strong>de</strong> médiocre. C'est aussi d<strong>ans</strong> ces années-là que se construit une opposition caricaturale<br />

et quelquefois violente - verbalement s'entend - entre l'animation socio-culturelle et une action<br />

culturelle 2 qui, après avoir connu elle aussi <strong>de</strong>s heures agitées, notamment au moment du Ministère<br />

Théâtre <strong>de</strong>s Deux-Portes au mépris <strong>de</strong> la population parisienne du 20 ème arrondissement ? Un tel<br />

mépris <strong>de</strong> l’éducation et <strong>de</strong> la culture populaire discrédite ceux qui abusent ainsi <strong>de</strong>s pouvoirs qui<br />

leur ont été confiés”. (Intervention reprise d<strong>ans</strong> les textes complémentaires au document <strong>de</strong> travail<br />

préparatoire à l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Poitiers, 27-28 mai 1978).<br />

1 Projet <strong>de</strong> procès-verbal Assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Poitiers (27 mai 1978), p. 11-12.<br />

2 L’opposition ‘culturel/socio-culturel’ est analysée notamment lors du colloque “Action socioculturelle-Action<br />

culturelle” (11-12-13 octobre 1978 à l’INEP). Voir les Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 30,<br />

qui ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> ces journées, ainsi que les Cahiers <strong>de</strong> l’animation n° 61-62, octobre 1987<br />

(Les chemins <strong>de</strong> l’animation, 1972, 1987), et les travaux <strong>de</strong> Geneviève Poujol : Action culturelle,


- 354 -<br />

Druon, va, dès le début <strong>de</strong>s années 80, au grand regret <strong>de</strong> certains, “renvoyer les socio-culturels à<br />

leur silence” 1 .<br />

S'agissant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, c'est d<strong>ans</strong> cette pério<strong>de</strong> d'agitation que se construit cette culture<br />

institutionnelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, autour <strong>de</strong> leurs pratiques multiformes, <strong>de</strong> leurs fonctions sociales, que nous<br />

avons qualifiées d'ambivalentes, et <strong>de</strong> leurs attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> résistance. Le terme d'ambivalence <strong>de</strong> leurs<br />

fonctions sociales ne s'applique jamais aussi bien qu'à cette pério<strong>de</strong>, pendant laquelle les premiers<br />

exégètes <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle posent précisément les problèmes en ces termes :<br />

intégration et/ou subversion 2 , ou constitution d'un appareil d'action culturelle 3 , dit nouvel appareil<br />

idéologique d'Etat. En effet, au vu du contexte que nous venons <strong>de</strong> décrire, il apparait bien que les<br />

<strong>MJC</strong> développent leurs activités créatrices d<strong>ans</strong> une dynamique ambivalente, contradictoire,<br />

génératrice <strong>de</strong> conflits qui, si peu que ce soit, participe à la modification <strong>de</strong>s rapports sociaux :<br />

reproduction et/ou modification <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> pouvoir, <strong>de</strong> domination sociale et<br />

culturelle. Il semble bien que pendant cette décennie, les nouvelles classes moyennes et les<br />

nouvelles élites intellectuelles locales, très influentes d<strong>ans</strong> les mouvements sociaux, utilisent <strong>de</strong>s<br />

structures ouvertes comme les <strong>MJC</strong> pour se positionner d<strong>ans</strong> une société en tr<strong>ans</strong>formation, et<br />

remettent en cause les rapports sociaux, idéologiques et culturels traditionnels. C'est bien comme<br />

cela que certains responsables fédéraux analysent un mouvement qu'ils reprennent à leur compte en<br />

reformulant projet et pratiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. A preuve ce texte d'André Métayer, délégué régional, très<br />

significatif <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ses modèles d'analyse, et dont nous donnons quelques extraits :<br />

“L'animation socio-culturelle, véhicule <strong>de</strong> l'idéologie dominante et/ou force <strong>de</strong> changement, est<br />

en soi une dynamique conflictuelle.<br />

“Les conflits entre associations d'éducation populaire et municipalités sont révélateurs <strong>de</strong> la<br />

nature même <strong>de</strong> l'animation socio-éducative et culturelle à la fois intégrante et/ou subversive.<br />

Les organismes volontaires d'éducation populaire, maîtres d'oeuvre <strong>de</strong> cette animation qui<br />

s'exerce d<strong>ans</strong> un contexte traversé par <strong>de</strong>s questions économiques et politiques qui le<br />

déterminent et le font évoluer, tentent <strong>de</strong> trouver un compromis entre la volonté <strong>de</strong> voir garantir<br />

leur indépendance pédagogique et celle <strong>de</strong> leur personnel, et le souci <strong>de</strong> prendre en compte<br />

les impératifs <strong>de</strong>s maîtres d'ouvrage qui découlent du système socio-économique, dont il est<br />

dit par ailleurs, d<strong>ans</strong> les organismes, qu'il n'est pas satisfaisant.<br />

“Le conflit <strong>de</strong>vient ouvert quand apparait une inadéquation entre le projet pédagogique <strong>de</strong><br />

l'association et le projet politique <strong>de</strong> la municipalité.<br />

action socio-culturelle. Recherches (Doc. INEP n°1) et Profession Animateur, Éditions Privat (février<br />

1989).<br />

1 Jacques Bertin (Où en sont les <strong>MJC</strong> ?, France-Culture).<br />

2 Titre du livre <strong>de</strong> R. Gaudibert (op. cit.).<br />

3 Titre du livre <strong>de</strong> Ion, Miège et Roux (op. cit.).


- 355 -<br />

“Les conflits, constituant en quelque sorte l'écart entre les projets <strong>de</strong>s municipalités et ceux<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, permettent <strong>de</strong> mesurer les limites d<strong>ans</strong> lesquelles s'exerce la relative liberté d'action<br />

<strong>de</strong>s appareils idéologiques d'Etat, notamment l'appareil d'action culturelle.<br />

“[...] que le conflit n'est pas seulement révélateur <strong>de</strong> la nature même <strong>de</strong> l'animation socio-<br />

culturelle ; il est “animation” parce que l'animation est nécessairement conflictuelle, compte<br />

tenu <strong>de</strong> la place qu'elle doit tenir, en tant qu'appareil idéologique d'Etat, d<strong>ans</strong> l'organisation <strong>de</strong><br />

la société capitaliste” 1 .<br />

Cette attitu<strong>de</strong> combative <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong> ne va pas empêcher leur<br />

développement d<strong>ans</strong> ces années 70, bien au contraire. Il semble que la FF<strong>MJC</strong>, plus qu'aucune<br />

autre institution <strong>de</strong> jeunesse, d'action culturelle et d'éducation populaire, soit à ce moment-là portée<br />

par un mouvement social auquel, d<strong>ans</strong> la pratique et même d<strong>ans</strong> le discours, elle est associée 2 .<br />

Après avoir perdu la légitimité conférée par l'Etat, la FF<strong>MJC</strong> s'appuie <strong>de</strong> fait sur une nouvelle<br />

légitimité, celle d'un mouvement social <strong>de</strong> masse qui accè<strong>de</strong>ra à la majorité politique en 1981.<br />

L'UNIREG qui a, d<strong>ans</strong> ces années-là, le soutien incontestable <strong>de</strong> l'Etat - elle a, par exemple, en 1972<br />

huit délégués régionaux pour 350 <strong>MJC</strong> environ, alors qu'au même moment la FF<strong>MJC</strong> n'en a que cinq<br />

pour <strong>de</strong>ux fois plus <strong>de</strong> structures affiliées - se développe finalement moins vite que la FF<strong>MJC</strong>. En<br />

1971, après une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> flottement liée à la scission, l'UNIREG aurait compté, selon ses<br />

responsables, quelque 13 fédérations régionales, 22 fédérations départementales et 400<br />

associations affiliées 3 . Au même moment, la FF<strong>MJC</strong> aurait compté “715 associations affiliées” 4 ,<br />

parmi lesquelles il faut vraisemblablement compter les <strong>MJC</strong>, les fédérations régionales, les<br />

fédérations départementales, les unions locales et aussi s<strong>ans</strong> doute quelques associations<br />

simplement correspondantes 5 . Après le retour définitif <strong>de</strong> la Fédération d'Alsace en 1973, d'Aquitaine<br />

et <strong>de</strong> Gua<strong>de</strong>loupe en 1974 6 , on peut considérer que la FF<strong>MJC</strong> a progressé et l'UNIREG régressé.<br />

1 <strong>MJC</strong> en difficulté. Rapport introductif (Textes complémentaires au document <strong>de</strong> travail préparatoire à<br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Poitiers, 27-28 mai 1978).<br />

2 C’est une idée assez communément admise. Jacques Bertin déclare d<strong>ans</strong> “Où en sont les <strong>MJC</strong> ?” :<br />

“Quand je dis qu’ils [ces équipements gérés par les <strong>MJC</strong>] ont eu un rôle très important, je pense<br />

qu’ils ont eu un rôle - ils n’avait pas prévu peut-être d’avoir ce rôle-là, en tous cas ils ne voulaient<br />

pas directement l’avoir - ils ont eu un rôle important sur le plan politique : j’ai toujours été persuadé<br />

que si François Mitterrand avait gagné les élections <strong>de</strong> 1981, les prési<strong>de</strong>ntielles, c’était moins pour<br />

<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> stratégie, d’accord entre tel et tel courant que pour la simple raison qu’il y avait en<br />

France <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> qui tous les jours, évi<strong>de</strong>mment n’appelaient pas à voter pour la gauche ou<br />

pour Mitterrand, mais tous les jours, faisaient passer d<strong>ans</strong> la société le civisme et le sens <strong>de</strong>s<br />

responsabilités”.<br />

3 Entretiens avec J.-P. Sirérols, actuel délégué général <strong>de</strong> l’UNIREG.<br />

4 Rapport moral, assemblée générale d’Epernay, 31 mai 1971<br />

5 Chacun ayant intérêt à grossir un peu les chiffres, on peut raisonnablement considérer que les forces<br />

respectives <strong>de</strong> chaque fédération sont légèrement inférieures.<br />

6 La réalité est encore plus complexe. Longtemps après l’éclatement <strong>de</strong> 1969, <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales sont restées d<strong>ans</strong> une situation d’observation et d’attente, si bien que<br />

l’UNIREG et la FF<strong>MJC</strong> pouvaient les considérer comme affiliées ou non affiliées. Il est également


- 356 -<br />

En effet, en 1975 au moment <strong>de</strong>s Etats généraux <strong>de</strong> Metz, les effectifs <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> seraient les<br />

suivants : 19 fédérations régionales, 54 fédérations départementales et unions locales, 776 <strong>MJC</strong><br />

affiliées et reconnues par l'Etat, 32 <strong>MJC</strong> stagiaires ou filiales, 28 associations correspondantes, 418<br />

directeurs permanents dont 248 sur postes FONJEP, environ 18.000 animateurs bénévoles, 9<br />

délégués régionaux, 22 personnels administratifs <strong>de</strong>s FR<strong>MJC</strong>, 9 salariés attachés à la FF<strong>MJC</strong>, plus<br />

<strong>de</strong> 200.000 adhérents aux <strong>MJC</strong>. En 1979, la FF<strong>MJC</strong> compterait 975 <strong>MJC</strong>, 515 directeurs et 20<br />

délégués régionaux, et en 1981 elle aurait presque retrouvé son potentiel d'avant 1969. Elle a connu<br />

en effet un fort développement en 1977, au moment <strong>de</strong>s élections municipales qui auront pour effet<br />

<strong>de</strong> porter à la direction <strong>de</strong>s villes <strong>de</strong> nouveaux élus venus <strong>de</strong>s conseils d'administration <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. La<br />

FF<strong>MJC</strong> doit alors, pour faire face à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, mettre en poste <strong>de</strong>s directeurs qui n'ont pas suivi la<br />

formation. De son côté, l'UNIREG a, d<strong>ans</strong> le même temps, progressé plus lentement puisque, selon<br />

son annuaire <strong>de</strong> 1982-83, elle ne compterait à ce moment-là que 406 <strong>MJC</strong> affiliées.<br />

Mais la combativité <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> ne tourne pas, d<strong>ans</strong> ces années 70, seulement autour <strong>de</strong>s<br />

questions <strong>de</strong> la reformulation du projet, <strong>de</strong> la résistance face aux remises en cause <strong>de</strong> l'Etat et <strong>de</strong><br />

certaines collectivités locales, du développement appuyé sur un mouvement social qui aspire au<br />

changement. Les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, administrateurs et salariés, n'ont accepté que<br />

contraints et forcés la régionalisation radicale imposée par Monsieur Joseph Comiti, si bien qu'une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leurs forces et <strong>de</strong> leur réflexion est mobilisée pendant plus <strong>de</strong> dix <strong>ans</strong> par la<br />

reconquête du terrain perdu et la refonte <strong>de</strong>s structures fédératives.<br />

3 - La régionalisation et la question <strong>de</strong>s structures<br />

Par lettre du 5 décembre 1969, M. Joseph Comiti, secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux Sports,<br />

fait connaître à la FF<strong>MJC</strong> les mesures annoncées du Parlement le 30 octobre 1969 et qu'il a<br />

adoptées :<br />

“Les <strong>MJC</strong> bénéficiaires d'un poste FONJEP qui souhaitent adhérer à une Fédération régionale<br />

agréée par le secrétariat d'Etat pourront obtenir l'affectation <strong>de</strong> ce même poste <strong>de</strong> directeur au<br />

sein <strong>de</strong> cette Fédération régionale, qui recevra, par ailleurs, une subvention <strong>de</strong><br />

fonctionnement. Le FONJEP continuera d'assurer le versement du traitement du directeur, en<br />

liaison non plus avec la FF<strong>MJC</strong>, mais avec l'Association <strong>de</strong>s Prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s Fédérations<br />

Régionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (APREREG) membre <strong>de</strong> FONJEP.<br />

“Les <strong>MJC</strong> jusqu'alors bénéficiaires d'un poste FONJEP qui ne désirent pas adhérer à une<br />

Fédération régionale agréée mais ne peuvent ou ne souhaitent cependant pas assurer à 100%<br />

la rétribution <strong>de</strong> leur directeur, pourront solliciter le maintien <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Etat. Après examen<br />

<strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, le secrétariat d'Etat pourra assurer, sur crédits déconcentrés, le versement<br />

probable qu’au moment <strong>de</strong> la scission, certaines <strong>MJC</strong> se soient repliées sur elles-mêmes et aient<br />

refusé <strong>de</strong> s’affilier à l’une ou l’autre fédération.


- 357 -<br />

d'une subvention <strong>de</strong> fonctionnement forfaitaire annuelle au profit <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong>. La participation <strong>de</strong><br />

la municipalité à la rétribution du directeur ne <strong>de</strong>vra plus tr<strong>ans</strong>iter ni par le FONJEP, ni par la<br />

FF<strong>MJC</strong>. La <strong>MJC</strong> qui aura opté pour cette <strong>de</strong>rnière formule aura toujours la possibilité <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r son adhésion à une Fédération régionale agréée. Si elle l'obtient, un poste <strong>de</strong><br />

directeur sera ouvert et le versement du traitement assuré à nouveau par le FONJEP, selon<br />

les règles que cet organisme est chargé d'appliquer. Corrélativement, la subvention forfaitaire<br />

globale sera supprimée à la <strong>MJC</strong>.<br />

“En conséquence, et jusqu'à nouvel ordre, tous les postes FONJEP <strong>de</strong> directeurs ou<br />

d'animateurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> seront retirés à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

“Les Maires <strong>de</strong>s communes où sont implantées <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> disposant <strong>de</strong> postes FONJEP ont été<br />

tenus au courant <strong>de</strong> ces dispositions...”<br />

Ces mesures, qui doivent prendre effet au 1er janvier 1970, ne laissent aux <strong>MJC</strong> que le choix<br />

entre l'adhésion aux fédérations autonomes regroupées d<strong>ans</strong> l'APREREG ou la localisation pure et<br />

simple <strong>de</strong> leur fonctionnement et <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> leurs directeurs. D<strong>ans</strong> les <strong>de</strong>ux cas, la FF<strong>MJC</strong> ne<br />

bénéficierait plus <strong>de</strong> subventions nationales pour son personnel éducatif. Elle risquait donc <strong>de</strong> perdre<br />

la confiance <strong>de</strong>s municipalités et même <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et à terme <strong>de</strong> disparaître. Des contacts sont pris<br />

avec le secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports avec le concours <strong>de</strong> personnalités politiques 1<br />

et <strong>de</strong>s lettres sont échangées, si bien que Monsieur Maheu, directeur <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Activités<br />

socio-éducatives peut faire, lors du conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> du 14 décembre 1969, “une<br />

déclaration autorisée” qui confirme, en l'explicitant, la <strong>de</strong>rnière proposition <strong>de</strong> Monsieur Comiti, datée<br />

du 11 décembre :<br />

“Il faut sortir d'une problématique <strong>de</strong> méfiance pour entrer d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s relations nouvelles <strong>de</strong><br />

confiance et <strong>de</strong> dialogue. Si la Fédération nationale accepte les conditions <strong>de</strong> régionalisation<br />

exigées par Monsieur Comiti, les Fédérations régionales <strong>de</strong>vront modifier leurs statuts en<br />

conséquence, et elles seront aussitôt agréées et bénéficieront <strong>de</strong>s avantages financiers s<strong>ans</strong><br />

aucune discrimination entre fédérations autonomes et fédérations régionales FF<strong>MJC</strong>. Les<br />

postes FONJEP <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> base adhérentes <strong>de</strong> ces nouvelles Fédérations<br />

régionales, seront tr<strong>ans</strong>férés à ces Fédérations régionales ; <strong>de</strong>s subventions <strong>de</strong><br />

fonctionnement seront attribuées à ces Fédérations régionales ; une ai<strong>de</strong> du Secrétariat d'Etat<br />

à la Jeunesse et aux Sports sera également apportée pour la formation <strong>de</strong>s directeurs au<br />

niveau régional. Ceci représente toutes les conséquences positives <strong>de</strong> cette nouvelle<br />

réorganisation ...” 2 .<br />

Après un long débat, un vote positif 3 a lieu en fin <strong>de</strong> journée sur les conditions <strong>de</strong> la<br />

1 Nous ne savons pas exactement lesquelles. On peut supposer que l’association <strong>de</strong>s Maires <strong>de</strong> France<br />

a joué un certain rôle d<strong>ans</strong> le déblocage <strong>de</strong> la situation. Le rapport moral et d’orientation <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Colombes (7 juin 1970) y fait allusion.<br />

2 Intervention reprise d<strong>ans</strong> le rapport moral et d’orientation pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Colombes.<br />

3 Votants = 35 ; oui = 23 ; non = 10 ; abstentions = 2.


- 358 -<br />

régionalisation imposée par l'autorité <strong>de</strong> tutelle, à savoir que les fédérations régionales <strong>de</strong>viennent<br />

l'employeur du personnel éducatif et que le personnel ne siège plus avec voix délibérative d<strong>ans</strong> les<br />

conseils d'administration. On déci<strong>de</strong> également <strong>de</strong> convoquer une assemblée générale<br />

extraordinaire <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à Paris, le 25 janvier 1970, pour modifier les statuts et les mettre en<br />

harmonie avec les exigences ministérielles. Cette assemblée générale, réunie en fait le 22 février<br />

1970 à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s Hauts <strong>de</strong> Belleville, approuve à une très large majorité les modifications<br />

proposées 1 . A partir <strong>de</strong> là, la mise en place <strong>de</strong>s fédérations régionales se fait progressivement et<br />

avec le concours actif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong>s élus et <strong>de</strong>s professionnels. En mai 1970, la situation est la<br />

suivante : 19 fédérations régionales sont constituées, 11 sont agréées, 3 en instance d'agrément, 5<br />

ne sont pas agréées 2 .<br />

La FF<strong>MJC</strong> a survécu, mais elle a dû accepter une régionalisation aussi radicale que celle que<br />

l'APREREG, et à sa suite l'UNIREG, ont favorablement accueillie. Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l'assemblée<br />

générale 3 <strong>de</strong>s Hauts <strong>de</strong> Belleville, on pourrait croire, au vu <strong>de</strong>s statuts, qu'il y a <strong>de</strong>ux institutions qui<br />

fonctionnent finalement selon les mêmes règles, et qu’en fait, les <strong>MJC</strong> sont divisées tout en<br />

obéissant à <strong>de</strong>s dispositions fédérales quasi-i<strong>de</strong>ntiques 4 . Mais il y a un petit rien qui change<br />

beaucoup <strong>de</strong> choses : considérant qu'il s'agit d'un mauvais coup porté aux <strong>MJC</strong> et, sous couvert <strong>de</strong><br />

réorganisation, d'un projet <strong>de</strong> démantèlement <strong>de</strong> l'Institution, les responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et le<br />

syndicat CGT du personnel n'acceptent au fond ni l'esprit <strong>de</strong> cette régionalisation, ni la manière avec<br />

laquelle elle a été imposée <strong>de</strong> l'extérieur. Sous prétexte <strong>de</strong> faciliter largement la régionalisation, les<br />

prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s Fédérations régionales, réunis à Paris le 22 mars 1970, prennent plusieurs décisions<br />

qui redonnent du poids à l'échelon national. En effet, ils reconnaissent le rôle nouveau <strong>de</strong> collège<br />

d'employeurs dévolu <strong>de</strong> fait à la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong>puis l'assemblée générale <strong>de</strong>s Hauts <strong>de</strong> Belleville, et<br />

donnent pouvoir au conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> pour accomplir toutes les tâches incombant<br />

au collège d'employeurs : négocier et signer les contrats avec le FONJEP, négocier l'élargissement<br />

1 Modification <strong>de</strong>s statuts nationaux : votants = 988 ; pour = 981 ; contre = 31 ; abstentions = 25 ;<br />

nul = 1. Modification <strong>de</strong>s statuts régionaux : unanimité moins 10 abstentions.<br />

2 Nous passerons sur la bataille <strong>de</strong>s agréments et sur les pressions et tracasseries <strong>de</strong> tous ordres,<br />

notamment d<strong>ans</strong> les régions où les fédérations autonomes sont également implantées (d<strong>ans</strong><br />

l’académie <strong>de</strong> Caen, par exemple).<br />

3 En fait, et pour être plus précis, il y a eu, le 22 février 1970, <strong>de</strong>ux assemblées <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, l’une<br />

ordinaire qui concernait les statuts <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s fédérations régionales, l’autre extraordinaire, qui<br />

concernait les statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (voir programme signé du prési<strong>de</strong>nt P. Jargot, daté du 11 février<br />

1970, archives FF<strong>MJC</strong>).<br />

4 Il y a cependant une différence appréciable entre les statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l’UNIREG. L’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> l’UNIREG est composée <strong>de</strong> toutes les régions affiliées avec un nombre égal <strong>de</strong> pouvoirs.<br />

L’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> rassemble les fédérations régionales qui disposent - différence<br />

importante - d’un nombre <strong>de</strong> voix égal au total <strong>de</strong>s voix dont disposent l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui leur<br />

sont affiliées, selon un barème établi en fonction du nombre d’adhérents, si bien qu’à travers les<br />

FR<strong>MJC</strong>, ce sont les Maisons qui s’expriment. L’UNIREG est vraiment une union <strong>de</strong> fédérations,<br />

autrement dit une confédération, alors que la FF<strong>MJC</strong> peut encore se dire fédération d’associations<br />

<strong>de</strong> base.


- 359 -<br />

du contrat collectif en convention nationale du personnel, mettre en place au plan national <strong>de</strong>s<br />

services inter-régionaux, en particulier le centre inter-régional <strong>de</strong> la paie, qui <strong>de</strong>vrait faciliter le<br />

règlement <strong>de</strong> la paie du personnel, les déclarations et versements auprès <strong>de</strong> divers organismes<br />

sociaux.<br />

Le directeur <strong>de</strong> cabinet du secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports formule d'extrêmes<br />

réserves 1 sur l'intérêt d'un organisme centralisateur <strong>de</strong> la paie, craignant s<strong>ans</strong> aucun doute par là<br />

que cet organisme, prétendu purement technique, ne redonne un poids politique à la FF<strong>MJC</strong> et au<br />

personnel éducatif. A la fin d'une entrevue avec une délégation du bureau <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (22 mai<br />

1970), il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'un rapport lui soit remis d<strong>ans</strong> les quatre jours sur cette question. Finalement,<br />

après une pério<strong>de</strong> d'essai, le Centre Inter-Régional <strong>de</strong> la Paie est crée définitivement le 1er octobre<br />

1970, avec l'accord <strong>de</strong> l'autorité <strong>de</strong> tutelle 2 . Cependant, le secrétariat d'Etat agite régulièrement le<br />

spectre d'une FF<strong>MJC</strong> réunifiée et monopoliste, hantise qui explique à rebours sa volonté <strong>de</strong><br />

régionalisation draconienne :<br />

“Depuis peu la Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> semble vouloir revenir sur les engagements pris<br />

en 1970. En effet, un certain nombre <strong>de</strong> manifestations concertées tend à prouver que les<br />

principes concrétisés par la réforme régionale sont remis en cause. Notamment, la Fédération<br />

Française se veut service public ou para-public <strong>de</strong> l'éducation populaire en France et<br />

monopoliserait volontiers les moyens d'actions disponibles à ce titre, en vue d'une politique<br />

d'animation <strong>de</strong> la jeunesse qui supporterait mal toute entreprise ne coï ncidant pas avec sa<br />

propre doctrine.<br />

“… Cette action tend à reconstituer à l'échelon fédéral les superstructures supprimées par la<br />

réforme régionale sous couvert du maintien <strong>de</strong> l'unité d'action <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>” 3 .<br />

La mise en place du CIRP n'est que la première étape <strong>de</strong> la reconquête <strong>de</strong> l'espace national.<br />

L'année suivante, on organise le premier congrès <strong>de</strong> la Fédération Française <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> qui, comme<br />

tous ceux qui vont suivre, entend démontrer la vitalité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> l'Institution. Grâce à la loi du 16<br />

juillet 1971 sur la promotion sociale, on reprend une formation nationale <strong>de</strong>s directeurs permanents.<br />

Après <strong>de</strong>ux années <strong>de</strong> tâtonnements liés à un manque <strong>de</strong> moyens et <strong>de</strong> préparation (à Rennes en<br />

1972 et à Thonon en 1973), les journées nationales d'étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s directeurs retrouvent une régularité<br />

(Dieppe, Vigy, Saint Etienne...) et sont un moment fort <strong>de</strong> la vie professionnelle et fédérale. Le 12<br />

février 1972, une convention collective nationale est signée entre le collège d'employeurs, représenté<br />

par le prési<strong>de</strong>nt du conseil d'administration fédéral, et le syndicat FEN-CGT du personnel. On<br />

1 Lettre du 11 mai 1970.<br />

2 On préfèrera, à ce moment-là - et ce fut un élément <strong>de</strong> négociation avec le secrétariat d’État - un<br />

CIRP qui avait une autonomie juridique et était l’émanation <strong>de</strong>s fédérations employeurs, au SIRP<br />

(Service Inter-Régional <strong>de</strong> la Paie) qui aurait été sous le contrôle direct <strong>de</strong> la seule FF<strong>MJC</strong>. En 1989,<br />

à l’assemblée générale <strong>de</strong> Châlons-sur-Marne, on mettra également en place un SIRP fonctionnant<br />

sous la responsabilité d’un conseil d’employeurs.<br />

3 Lettre du 17 août 1971 adressée aux parlementaires.


- 3<strong>60</strong> -<br />

n'oublie pas cette suppression <strong>de</strong> la cogestion avec les salariés qui a été imposée par le ministère le<br />

tutelle 1 . Du reste, dès le congrès <strong>de</strong> Thonon (9-10 juin 1973), on vote très largement une motion en<br />

faveur du retour <strong>de</strong> la cogestion avec le personnel, et l'assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Marly-<br />

le-Roi (9 juin 1974) déci<strong>de</strong> à l'unanimité la modification <strong>de</strong> l'article 9 <strong>de</strong>s statuts <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>,<br />

rétablissant ainsi le personnel d<strong>ans</strong> sa voix délibérative 2 . Il est vrai qu'entre temps Monsieur<br />

Mazeaud a remplacé Monsieur Comiti au secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports et que, <strong>de</strong><br />

l'aveu même <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, “les rapports avec le ministère <strong>de</strong> tutelle ont surtout été marqués par une<br />

écoute plus attentive <strong>de</strong> nos problèmes” 3 . Enfin, l'assemblée générale <strong>de</strong> Metz (19 mai 1975)<br />

propose <strong>de</strong> rattacher les délégués régionaux à la FF<strong>MJC</strong> et fait ainsi le choix d'une recentralisation<br />

<strong>de</strong> l'encadrement.<br />

Fin 1975, Paul J<strong>ans</strong>en quitte ses fonctions <strong>de</strong> délégué général pour prendre sa retraite, après<br />

avoir consacré trente <strong>ans</strong> <strong>de</strong> sa vie à l'Institution, dont six années à la délégation générale 4 , six<br />

années pendant lesquelles le centre fédéral, pourtant diminué - il ne reste qu'une poignée <strong>de</strong> salariés<br />

- a animé, comme nous l'avons montré, et grâce à la participation <strong>de</strong>s régions 5 , une vie fédérative<br />

nationale. Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot, directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Colombes et secrétaire général du syndicat<br />

CGT du personnel, est choisi par la FF<strong>MJC</strong> (conseil d'administration qui suit l'assemblée générale <strong>de</strong><br />

Metz) pour assumer les responsabilités <strong>de</strong> délégué général. Malgré l'opposition <strong>de</strong> Monsieur<br />

Mazeaud, qui lui préfère André Jager, la FF<strong>MJC</strong> confirme la nomination <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier refuse finalement cette nomination, en raison <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> candidat au poste <strong>de</strong><br />

Colombes, mais surtout parce que les obstacles ministériels qui ont, jusque là, entravé sa mise en<br />

poste, n'ont pu être levés par la FF<strong>MJC</strong>. Après une ultime négociation avec Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot,<br />

qui par lettre du 10 octobre 1975 confirme sa démission, le prési<strong>de</strong>nt nomme André Jager à la<br />

fonction <strong>de</strong> délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

Le conseil d'administration national d'avril 1977 déci<strong>de</strong> à une courte majorité <strong>de</strong> ne pas titulariser<br />

André Jager d<strong>ans</strong> sa fonction 6 , et le conseil d'administration du 11 juin nomme Gérard Kolpak,<br />

délégué régional <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la Région Parisienne, au poste <strong>de</strong> délégué général 7 . Dès lors la<br />

1 “Nous n’avons pas les moyens <strong>de</strong> résoudre ce problème pour l’instant, mais il est utile <strong>de</strong> se le<br />

remettre en mémoire régulièrement”. Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Lyon, 3-4 juin<br />

1972 (p. 4).<br />

2 Décision confirmée par une assemblée générale tenue par correspondance (10 novembre 1977).<br />

3 Rapport moral pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Marly le Roi, 9 juin 1974 (p. 3).<br />

4 “Une carrière admirablement remplie, puisqu’il aura été à la fois un <strong>de</strong>s créateurs <strong>de</strong> la Fédération en<br />

1945 et l’un <strong>de</strong> ceux qui ont assuré sa survie en 1969.” Jean Laurain (Rapport moral pour<br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Metz, p. 12).<br />

5 La cotisation <strong>de</strong>s fédérations régionales à la FF<strong>MJC</strong> est <strong>de</strong> 20% <strong>de</strong> leurs subventions d’État.<br />

6 Pour la titularisation = 17 voix ; contre = 20 ; blanc = 1.<br />

7 Par 25 pour, 9 contre et 1 blanc.


- 361 -<br />

FF<strong>MJC</strong> s'engage d<strong>ans</strong> une réflexion <strong>de</strong> fond qui la conduit, après un bilan, à repenser les principes<br />

d'actions <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 1 et à se poser à nouveau la question <strong>de</strong>s structures. A l'assemblée générale <strong>de</strong><br />

Mâcon (16-17 juin 1979), le prési<strong>de</strong>nt Robert Lenoir annonce le thème central du prochain congrès<br />

(Grenoble, 24-25-26 mai 1980) : “De quelle fédération les <strong>MJC</strong> ont-elles besoin aujourd'hui ?” et<br />

déclare qu’“il faudra bien aller jusqu'au bout <strong>de</strong> l'effort <strong>de</strong> rénovation et d'adaptation… entrepris [et]<br />

qu'entre les Girondins et les Jacobins, les forces centrifuges et centralisatrices, le congrès <strong>de</strong>vra<br />

choisir” 2 .<br />

Au congrès <strong>de</strong> Grenoble, les représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> adoptent l'orientation suivante :<br />

“Le congrès est souverain vis à vis <strong>de</strong> la vie fédérative. Aussi, après avoir déterminé<br />

l'orientation, contrôlé la gestion, adopté un programme d'action, élu les responsables <strong>de</strong> la vie<br />

fédérative, le congrès répartit les missions entre la Fédération Française et les Fédérations<br />

régionales, ainsi que les moyens correspondants” 3 .<br />

Cette orientation, au cas où elle serait appliquée 4 , aurait pour effet <strong>de</strong> redonner le pouvoir aux<br />

<strong>MJC</strong>, <strong>de</strong> le concentrer au niveau national, et par conséquent <strong>de</strong> délimiter les compétences <strong>de</strong>s<br />

Fédérations régionales qui, d<strong>ans</strong> ce dispositif, auraient un statut d'instance déconcentrée plutôt que<br />

décentralisée. Forts du vote <strong>de</strong> cette orientation, le conseil d'administration national et son délégué<br />

général convoquent une assemblée générale en session extraordinaire pour le 17 ou 18 janvier 1981<br />

à Marly-le-Roi. Les documents, tels qu'ils ont été présentés au conseil d'administration les 4 et 5<br />

octobre, sont rassemblés d<strong>ans</strong> un supplément aux Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (“Pour une réforme <strong>de</strong>s<br />

structures”) et envoyés aux Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture.<br />

Ce que l'on appelle communément à l'intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> “le plan Kolpak”, propose<br />

effectivement une refonte radicale <strong>de</strong>s structures fédérales qui, 11 <strong>ans</strong> après, presque jour pour jour,<br />

prend le contre-pied <strong>de</strong> la régionalisation imposée par Joseph Comiti. Cette restructuration <strong>de</strong><br />

l'ensemble fédératif s'appuie sur le principe d'une cogestion à tous les niveaux - régional et national -<br />

entre cinq partenaires essentiels : représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> (50% <strong>de</strong> voix), représentants <strong>de</strong>s<br />

collectivités locales, représentants <strong>de</strong> l'Etat, représentants du personnel fédéral, représentants <strong>de</strong>s<br />

associations et organisations nationales fondatrices ou poursuivant <strong>de</strong>s buts analogues à ceux <strong>de</strong> la<br />

FF<strong>MJC</strong>. Cette restructuration repose également sur la prise en compte d'un double phénomène : le<br />

développement, à l'intérieur <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, d'équipes professionnelles comprenant plusieurs catégories<br />

<strong>de</strong> professionnels et la diversification <strong>de</strong> l'intervention locale, qui peut aller <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong><br />

1 Il s’agit du Congrès <strong>de</strong> Nanterre, qui est encore un rassemblement <strong>de</strong> référence pour l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>.<br />

2 Projet <strong>de</strong> procès-verbal <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon, p. 2 et 4.<br />

3 Compte rendu <strong>de</strong>s travaux, p. 13.<br />

4 Rappelons qu’à ce moment-là le congrès n’est pas souverain, et qu’il faudrait une décision d’une<br />

assemblée générale extraordinaire, elle seule souveraine, pour que les statuts soient modifiés et<br />

qu’éventuellement le congrès accè<strong>de</strong> à cette souveraineté.


- 362 -<br />

traditionnelle à celle d'établissements plus complexes combinant F.J.T., C.I.S., centre social, C.A.C.,<br />

ou même d'organisations locales ne gérant pas directement d'équipement mais ayant une vocation<br />

plus globale (offices culturels, socio-culturels par exemple). Les dispositions déterminantes du projet<br />

sont les suivantes :<br />

“L'autonomie pédagogique et le recul nécessaire à l'intervention, imposent que l'employeur <strong>de</strong><br />

ces personnels [les directeurs] soit l'ensemble fédératif (mission confiée au niveau national) et<br />

non tel ou tel ou tel élément <strong>de</strong> l'ensemble <strong>MJC</strong>.<br />

“Afin d'apporter une réponse plus complète aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qui lui sont adressées, l'ensemble<br />

fédératif assure la formation professionnelle, le recrutement et l'emploi <strong>de</strong>s “animateurs” selon<br />

<strong>de</strong>s modalités i<strong>de</strong>ntiques à celles en vigueur pour les “directeurs”. Le calcul <strong>de</strong>s charges<br />

entraînées par cette formule permet l'élaboration d'un taux moyen distinct <strong>de</strong> celui en vigueur<br />

pour les directeurs"<br />

“L'ensemble fédératif est dirigé par le congrès <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> qui rassemble, tous les trois <strong>ans</strong>,<br />

tous les partenaires constitutifs <strong>de</strong> l’Institution : collectivités locales, personnels, adhérents<br />

individuels et collectifs, organisations associées à notre action, Etat.<br />

“Le congrès est souverain sur la vie fédérative. Aussi, après avoir apprécié l'action conduite<br />

<strong>de</strong>puis sa <strong>de</strong>rnière réunion, il adopte l'orientation pour la pério<strong>de</strong> à venir ; il élit les<br />

responsables chargés <strong>de</strong> conduire cette politique et détermine aussi les missions à accomplir<br />

et les moyens correspondants ; il permet aux délégués <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d'élire leurs représentants au<br />

sein du conseil d’administration fédéral (niveau national) comme au sein <strong>de</strong> l'Etablissement<br />

Régional d'Animation et <strong>de</strong> Gestion (E.R.A.G) qui les concerne.<br />

“Chaque année, <strong>de</strong>s assemblées régionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> permettent <strong>de</strong> contrôler l'application<br />

faite d<strong>ans</strong> la région, <strong>de</strong>s orientations adoptées par le Congrès. Elles permettent également<br />

l'élection du bureau <strong>de</strong> l'E.R.A.G.<br />

“Chaque année également, l'ensemble <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>s Etablissements Régionaux<br />

d'Animation et <strong>de</strong> Gestion est réuni en Conseil National qui, à son tour, contrôle l'action du<br />

conseil d'administration national et en élit le bureau” 1 .<br />

Ce texte, présenté au vote à Marly-le-Roi, a été rédigé par le centre fédéral selon les indications<br />

d'une commission <strong>de</strong> réflexion. De son côté, le conseil d'administration en a autorisé la diffusion<br />

d<strong>ans</strong> l'Institution, s<strong>ans</strong> pour autant l'approuver <strong>de</strong> façon formelle ni, donc, l'appuyer. Les <strong>MJC</strong> et les<br />

Fédérations régionales ont accueilli plutôt défavorablement cette proposition qui, visiblement, ne<br />

satisfait ni les partis<strong>ans</strong> d'une régionalisation plus accentuée, ni les défenseurs d'un plus grand<br />

centralisme. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> sa forme, qui, pour certains, rend le texte trop difficile d'appréhension, et,<br />

pour d'autres, en raison <strong>de</strong> la place importante qu'il fait aux collectivités locales, la cause la plus<br />

importante <strong>de</strong> son rejet est s<strong>ans</strong> aucun doute, l’attaque virulente dont il est l’objet <strong>de</strong> la part du<br />

syndicat général FERC-CGT <strong>de</strong>s personnels, qui n'a pas <strong>de</strong> mots assez durs pour dénoncer “le<br />

1 Pour une réforme <strong>de</strong>s structures. Texte <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, p. 4 à 6.


- 363 -<br />

projet centralisateur, bureaucratique et autoritaire proposé par les dirigeants <strong>de</strong> la Fédération<br />

Française, et élaboré en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toutes les instances statutaires où le personnel et ses<br />

organisations syndicales sont représentés” 1 .<br />

La CGT, en effet, suspecte les responsables du projet - Gérard Kolpak, Jean-Clau<strong>de</strong> Wallach et<br />

Michel Lardreau 2 sont cités - <strong>de</strong> vouloir faire <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> “une sorte d'agence nationale dont les<br />

<strong>MJC</strong> seraient les succursales locales”, et surtout, en recentralisant complètement l'emploi du<br />

personnel, <strong>de</strong> vouloir “faire main-basse sur la caisse du personnel” 3 , <strong>de</strong> s'en servir comme d'une<br />

banque, <strong>de</strong> financer le fonctionnement fédéral sur les produits <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s taux moyens et sur les<br />

produits financiers, et par là-même, justifier “l'acceptation et la gestion <strong>de</strong> la crise qui rogne <strong>de</strong> plus<br />

en plus sur les budgets sociaux et culturels <strong>de</strong>s collectivités locales, alors que, pour l'essentiel, la<br />

fiscalité profite aux sociétés capitalistes” 4 . Pour faire barrage au projet, Clau<strong>de</strong> Da<strong>de</strong>-Brenjot<br />

explique qu’“on n'a besoin présentement d'aucune réforme <strong>de</strong> structures pour mettre en place une<br />

animation démocratique <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> en prise directe avec les besoins et les aspirations <strong>de</strong>s<br />

adhérents <strong>de</strong>s maisons [et qu'il faut sortir] <strong>de</strong> la non-lutte qui défigure la Fédération par rapport à ce<br />

qu'elle fut...” 5<br />

Il ne faudrait cependant pas expliquer le rejet du “plan Kolpak” par la seule intervention <strong>de</strong> la CGT<br />

envers laquelle <strong>de</strong> nombreux administrateurs locaux et régionaux ont du reste <strong>de</strong>s griefs 6 . Le<br />

caractère compact du projet, difficilement amendable sinon à lui faire perdre sa cohérence, inquiète<br />

la majorité <strong>de</strong>s administrateurs régionaux qui, d<strong>ans</strong> cette restructuration, perdraient une partie<br />

1 Ibid. p. 11.<br />

2 Le <strong>de</strong>uxième est responsable national <strong>de</strong> la formation et le troisième, chargé <strong>de</strong> mission par Gérard<br />

Kolpak <strong>de</strong>puis qu’il a réorganisé le centre fédéral, sera délégué général lui-même d<strong>ans</strong> les années<br />

1980.<br />

3 Expression que nous ne retrouvons pas telle quelle d<strong>ans</strong> le texte cité plus haut, mais qui revient<br />

régulièrement, pendant les années suivantes, d<strong>ans</strong> les déclarations <strong>de</strong> la CGT, avec cette autre, tout<br />

aussi percutante : “organiser le hold-up sur la caisse <strong>de</strong>s salaires”...<br />

4 Pour une réforme <strong>de</strong>s structures, p. 11.<br />

5 Intervention pour le syndicat FERC-CGT à l’assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> Marly le Roi. Projet<br />

<strong>de</strong> procès verbal, p. 7. (FERC signifie “Fédération Enseignement Recherche et Culture”, à laquelle a<br />

été rattaché le syndicat général <strong>de</strong>s personnels <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>). S’agissant <strong>de</strong> cette attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la CGT<br />

qui, au vu <strong>de</strong> l’histoire et notamment <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong> anti-régionaliste <strong>de</strong> 1969, peut surprendre,<br />

une explication, à notre connaissance jamais formulée publiquement ou par écrit, a cependant été<br />

souvent exprimée d<strong>ans</strong> les couloirs <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : la CGT aurait combattu le projet du délégué<br />

général Kolpak, qui pourtant, lui aussi, venait <strong>de</strong> ses rangs, parce qu’en cas d’emploi national du<br />

personnel et <strong>de</strong> majorité CFDTiste parmi les délégués du personnel, elle ne pourrait plus se<br />

repositionner sur ses bastions régionaux.<br />

6 A preuve, la longue intervention <strong>de</strong> Bernard Heyrault pour la FR<strong>MJC</strong> Rennes-Nantes lors <strong>de</strong><br />

l’assemblée générale <strong>de</strong> Colombes (15 novembre 1980) qui, suite à l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la CGT lors du<br />

licenciement du directeur <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Quimper (Affaire Olohadjian), dit que <strong>de</strong> telles attitu<strong>de</strong>s<br />

(séquestration d’un délégué, déclarations virulentes) ne peuvent être le fait d’un syndicat aussi<br />

responsable que la CGT. “Faut-il être borgne ou aveugle pour être si loin <strong>de</strong>s cibles !” (Projet <strong>de</strong><br />

procès-verbal, p. 6).


- 364 -<br />

importante <strong>de</strong> leurs prérogatives. On invoque une nécessaire décentralisation préférable à une<br />

déconcentration qui ferait <strong>de</strong>s délégués régionaux <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> préfets. S<strong>ans</strong> s'opposer<br />

formellement à une refonte <strong>de</strong>s structures, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> “un délai suffisant pour consulter l'ensemble<br />

<strong>de</strong>s partenaires” 1 et “le report <strong>de</strong> la présente assemblée jusqu'à ce qu'une étu<strong>de</strong> plus approfondie ait<br />

mis au point un projet plus cohérent et plus conforme à la volonté exprimée lors <strong>de</strong>s récents<br />

congrès” 2 . Le résultat du vote est s<strong>ans</strong> appel. Le projet est repoussé par 2.103 voix contre, 112 pour,<br />

299 abstentions, et 91 refus <strong>de</strong> vote. Les administrateurs nationaux eux-mêmes rejettent très<br />

majoritairement le projet. Seuls Robert Lenoir et Lionel Deschamps votent pour, les autres votant<br />

contre (25), s'abstenant (8) ou refusant <strong>de</strong> voter (1). Le délégué général Gérard Kolpak tire les<br />

conséquences <strong>de</strong> ces votes, notamment <strong>de</strong> celui du conseil d'administration national. Il démissionne,<br />

et est remplacé le 1er septembre 1981 par Henri Blanc.<br />

Mais, pour autant, la FF<strong>MJC</strong> n'abandonne pas le projet <strong>de</strong> refonte <strong>de</strong> ses structures. Parmi les<br />

orientations proposées à l'assemblée générale <strong>de</strong> Villeurbanne (12-13 décembre 1981) figure celle-<br />

ci :<br />

“Les <strong>MJC</strong> réunies à Grenoble ont <strong>de</strong>mandé avec force qu'à tous les échelons <strong>de</strong> l'Institution, le<br />

fonctionnement démocratique soit amélioré, en particulier que les <strong>MJC</strong> puissent accé<strong>de</strong>r<br />

directement aux décisions nationales. Pour cela, il faut modifier les statuts en créant un<br />

véritable congrès délibératif” 3 .<br />

Après le départ <strong>de</strong> Gérard Kolpak et la démission surprise du prési<strong>de</strong>nt, Robert Lenoir 4 , c'est une<br />

nouvelle équipe animée par François Geoffroy et Henri Blanc, qui met en place cette modification<br />

statutaire. Une assemblée générale extraordinaire <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, organisée d<strong>ans</strong> le cadre du<br />

rassemblement national <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à Reims (29-30-31 mai 1982), déci<strong>de</strong> d'une représentation directe<br />

<strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> au sein <strong>de</strong>s instances nationales (assemblées générales et conseils d'administration). Mais<br />

les Fédérations régionales ne per<strong>de</strong>nt pas pour autant leurs prérogatives, et l'ensemble fédératif<br />

reste fortement décentralisé : le personnel éducatif et le personnel administratif attaché aux régions,<br />

même si ils sont techniquement gérés par le CIRP, restent employés par les fédérations régionales,<br />

la FF<strong>MJC</strong>, quant à elle, gardant la gestion et le contrôle <strong>de</strong>s délégués régionaux et du personnel<br />

1 Intervention <strong>de</strong> Suzanne Cheynet. Motion adoptée à l’unanimité <strong>de</strong>s présents à l’assemblée générale<br />

extraordinaire <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Lyon, le 6 décembre 1980 (projet <strong>de</strong> procès verbal assemblée<br />

générale <strong>de</strong> Marly le Roi, p. 9).<br />

2 Intervention <strong>de</strong> Daniel Pigot pour la Fédération régionale d’Ile-<strong>de</strong>-France (ibid. p. 10).<br />

3 Rapport d’orientation, p. 2.<br />

4 Au cours <strong>de</strong> la matinée du <strong>de</strong>uxième jour <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Villeurbanne, Robert Lenoir<br />

annonce son intention <strong>de</strong> démissionner, en raison <strong>de</strong> l’expression d’un malaise au sein d’une<br />

Fédération aux prises, selon lui, à une “forte tentation pour une prise <strong>de</strong> pouvoir du parti dominant”<br />

(autrement dit le parti socialiste). C’est François Geoffroy, <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> Grenoble, viceprési<strong>de</strong>nt<br />

national, qui est élu au premier tour <strong>de</strong> scrutin à la majorité absolue, <strong>de</strong>vant Madame Odile<br />

Bordier, <strong>de</strong> la Fédération <strong>de</strong> Caen-Rouen, également vice-prési<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.


- 365 -<br />

attaché au centre fédéral. Il aura fallu douze années pour que la FF<strong>MJC</strong> trouve, semble-t-il, une<br />

articulation cohérente entre une régionalisation draconienne imposée par l'Etat en 1970 et une<br />

restructuration nationale qui ne prenne pas le contre-pied du mouvement général <strong>de</strong> décentralisation<br />

engagé en France à partir <strong>de</strong> 1981.<br />

4 - L’humanisme pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’UNIREG<br />

A côté <strong>de</strong>s agitations que connait la FF<strong>MJC</strong>, la vie <strong>de</strong> l'UNIREG apparait bien calme. Certes y<br />

retrouve-t-on les préoccupations propres à toute organisation associative et fédérative d'éducation<br />

populaire : la formulation du projet, la définition <strong>de</strong>s axes prioritaires d'orientation, les questions<br />

d'organisation et <strong>de</strong>s structures, les relations avec les partenaires publics, prioritairement l'Etat. Mais<br />

l'esprit, la vision du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la société, la manière <strong>de</strong> les appréhen<strong>de</strong>r sont, à l'UNIREG, très<br />

différents <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. D'un côté, à la FF<strong>MJC</strong>, on parle <strong>de</strong> revendication et <strong>de</strong> lutte, <strong>de</strong><br />

l'autre, à l'UNIREG, on s'exprime en termes d'humanisation, <strong>de</strong> consensus et d'adaptation. Et<br />

d'abord, pour ce qui est du projet et <strong>de</strong> ses valeurs <strong>de</strong> référence, voici quelques textes <strong>de</strong> source<br />

fédérale nationale :<br />

“Notre rôle n'est pas <strong>de</strong> nous approprier l'animation, mais <strong>de</strong> nous adapter, d'adapter nos<br />

métho<strong>de</strong>s et nos structures aux besoins <strong>de</strong> la société, <strong>de</strong> soutenir toutes les initiatives<br />

désintéressées, en vue du bien <strong>de</strong> tous, du développement harmonieux <strong>de</strong>s hommes et du<br />

milieu d<strong>ans</strong> lequel ils vivent : c'est en cela que nous accomplissons un service public” 1 .<br />

“L'animation, dont nous rêvons <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s formules nouvelles, adaptées et évolutives,<br />

est-elle seulement pour nous un moyen <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la société ? N'est-elle pas l'un<br />

<strong>de</strong>s éléments d'une civilisation ? ...<br />

“Depuis <strong>de</strong>s années, on parle autour <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> société. Tel veut changer la<br />

société <strong>de</strong> fond en comble <strong>de</strong> façon maximaliste, tel autre prétend la faire évoluer, tel autre la<br />

voudrait plus communautaire ; tous la souhaitent plus humaine, aucun ne parle jamais <strong>de</strong><br />

civilisation ...<br />

“... Bien sûr nous sommes partis<strong>ans</strong> d'une société aussi juste, aussi équilibrée, aussi prospère<br />

que possible ; bien sûr, notre action est sociale autant que culturelle et ne peut se dégager <strong>de</strong>s<br />

impératifs immédiats ; mais notre action fondamentale doit permettre l'approfondissement<br />

d'une certaine idée <strong>de</strong> notre civilisation, par la recherche constante d'une synthèse<br />

personnelle, par l'écoute attentive et la compréhension du mon<strong>de</strong> qui nous entoure, par<br />

l'élévation <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> chacun, par la pratique d'une certaine morale envers soi-même et<br />

envers les autres, par la compréhension <strong>de</strong> l'universalité <strong>de</strong>s arts, par la recherche<br />

permanente d'un certain humanisme...” 2<br />

1 Assemblée générale <strong>de</strong> l’UNIREG, Vivoin (Sarthe), 3 mai 1975. Rapport moral, p. 19.<br />

2 Assemblée générale <strong>de</strong> l’UNIREG, St Germain-en-Laye, 5 juin 1976. Rapport moral, p. 3-4.


- 366 -<br />

A l'UNIREG, on reste donc généralement d<strong>ans</strong> une sorte d'humanisme généreux autant que<br />

rigoureux, et on rappelle souvent les règles formelles <strong>de</strong> la vie associative et <strong>de</strong> la pédagogie. On<br />

cite volontiers Lyautey 1 , et on défend haut et fort les principes <strong>de</strong> liberté, d'indépendance et <strong>de</strong><br />

diversité. Indépendance surtout vis à vis d'un parti, d'un syndicat, quels qu'ils soient 2 , refus <strong>de</strong> l'unité,<br />

considérée comme un mythe facteur d'immobilisme, <strong>de</strong> confiscation, <strong>de</strong> cléricalisme” 3 . Aussi pense-t-<br />

on que ces attitu<strong>de</strong>s et principes, qui ont présidé à la création <strong>de</strong> l'UNIREG, sont fidèles à ceux <strong>de</strong><br />

1944, que le naufrage <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> a pu être évité en s'engageant résolument d<strong>ans</strong> une voie<br />

constructive, dont André Philip lui-même aurait confirmé les gran<strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong>ux mois avant sa mort,<br />

lors d'une <strong>de</strong>s premières réunions <strong>de</strong> la nouvelle union.<br />

Forte <strong>de</strong> toutes ces certitu<strong>de</strong>s, et à cause d'une extrême décentralisation régionale, l'UNIREG<br />

connait pendant ces années 70 une stabilité nationale qui lui permet d'abor<strong>de</strong>r d'une manière quasi-<br />

routinière les quelques questions d'ordre pratique et opérationnel qui sont <strong>de</strong> son ressort :<br />

l'information, à travers la revue Synchro ; la formation, à travers l'Institut <strong>de</strong> Formation <strong>de</strong>s<br />

Animateurs (I.F.A) ; la question d'animation et <strong>de</strong> vie inter-associative à travers “Inter-animation” et<br />

“Animation et développement” ; les relations internationales, à travers le Centre d'Echanges culturels<br />

internationaux (C.E.C.I)… autant <strong>de</strong> structures opérationnelles qui seront créées d<strong>ans</strong> ces années-là<br />

et qui fonctionneront avec plus ou moins <strong>de</strong> bonheur et d'efficacité. Par contre, d'une manière,<br />

semble-t-il, plus volontaire qu'à la FF<strong>MJC</strong>, l'UNIREG s'engage d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s démarches <strong>de</strong> recherche-<br />

action portant à la fois sur l'impact et les pratiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et sur <strong>de</strong>s terrains spécifiques, objets<br />

d'une démarche d'animation et <strong>de</strong> développement global. Le rapport moral <strong>de</strong> l'assemblée générale<br />

<strong>de</strong> Paris (4 juin 1977) fait largement état <strong>de</strong> ces opérations d'étu<strong>de</strong> portant sur un échantillon<br />

représentatif <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et sur certaines localités : Alençon, Louviers, Rungis, Pithiviers, Villeurbanne<br />

et Plan <strong>de</strong> Cuques.<br />

Pendant toute la pério<strong>de</strong> qui suit sa création et jusqu'à aujourd'hui, l'UNIREG connait une<br />

remarquable permanence <strong>de</strong> ses structures fédératives et <strong>de</strong>s hommes qui en ont la responsabilité.<br />

Lucien Trichaud occupe confortablement le poste <strong>de</strong> délégué général jusqu'à sa retraite en 1986.<br />

Les principes et les structures qui prési<strong>de</strong>nt à la création <strong>de</strong> l'UNIREG ne connaissent aucune<br />

modification significative. D<strong>ans</strong> le rapport moral soumis à l'assemblée générale <strong>de</strong> Saint-Baudille (19<br />

juin 1982), l'UNIREG rappelle les principes <strong>de</strong> décentralisation déjà formulés en 1971 et qui, selon<br />

1 “Celui qui n’est que professeur est un mauvais professeur. Celui qui n’est qu’industriel est un mauvais<br />

industriel. L’homme complet, celui qui veut remplir sa pleine <strong>de</strong>stinée, doit avoir ses lanternes<br />

ouvertes sur tout ce qui fait l’honneur <strong>de</strong> l’humanité.” (Cité d<strong>ans</strong> le rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> Salon-<strong>de</strong>-Provence, p. 13).<br />

2 On ne peut s’empêcher <strong>de</strong> penser - et les entretiens avec <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong> l’UNIREG le confirment<br />

- qu’à travers ces réaffirmations régulières d’indépendance, c’est la FF<strong>MJC</strong> qui est visée, car<br />

considérée comme inféodée à la CGT et au parti communiste.<br />

3 Rapport moral pour l’année 1980, adopté par le conseil d’administration du 9 mai 1981 (p. 39).


- 367 -<br />

ses responsables, préfigurent les positions et les mesures prises par le nouveau gouvernement d<strong>ans</strong><br />

un projet <strong>de</strong> réorganisation <strong>de</strong> l'Etat :<br />

“L'UNIREG constitue un ensemble original décentralisé :<br />

- au niveau local, les <strong>MJC</strong> ou les foyers culturels totalement autonomes ;<br />

- au niveau régional, une Fédération Régionale où sont étudiés et résolus les problèmes<br />

communs, notamment ceux qui concernent le personnel et l'animation culturelle, chaque<br />

Fédération jouissant <strong>de</strong> l'autonomie la plus complète ;<br />

- au niveau national, une union dont le rôle se limite à la représentation, à la consultation, à la<br />

recherche, à l'incitation et aux réalisations <strong>de</strong>mandées par les associations membres.<br />

“Aucune hiérarchie n'existe d<strong>ans</strong> les rapports <strong>de</strong> travail entre l'échelon national et les échelons<br />

régionaux, mais la solidarité inter-régionale et l'harmonisation <strong>de</strong>s efforts constituent une<br />

nécessité ...<br />

“L'application <strong>de</strong> ces nouvelles structures a été à l'origine d'une réflexion nouvelle et d'une<br />

nouvelle mentalité.<br />

“C'est ainsi que la primauté <strong>de</strong> l'échelon local apparait <strong>de</strong> plus en plus clairement ; au lieu<br />

d'uniformiser les <strong>MJC</strong> en vertu <strong>de</strong> statuts imposés, <strong>de</strong> clauses <strong>de</strong> garanties, ou d'un personnel<br />

national uniformément formé et encadré, les fédérations régionales et l'UNION favorisent une<br />

recherche permanente ayant pour objet <strong>de</strong> mieux définir, situer et structurer les <strong>MJC</strong> en<br />

fonction d'un contexte local et d'une politique globale d'animation culturelle, étudiés d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong> la commune et d'un groupe inter-communal géographiquement défini” 1 .<br />

Passées les modifications structurelles <strong>de</strong> la première année -notamment celle qui voit une<br />

simple association <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nts se tr<strong>ans</strong>former en union <strong>de</strong> fédérations régionales 2 - les<br />

responsables <strong>de</strong> l'UNIREG choisissent la voie <strong>de</strong> l'harmonisation inter-régionale plutôt que la mise<br />

en place <strong>de</strong> nouvelles règles qui s'imposeraient à tous, et restent aussi fidèles à leur image<br />

d'indépendance totale <strong>de</strong>s différents échelons, et à leur refus d'un quelconque droit <strong>de</strong> véto <strong>de</strong><br />

l'échelon supérieur sur l'échelon inférieur 3 . Les principes d'une vie fédérative sont donc ceux d'un<br />

“consensus nécessaire... impératif <strong>de</strong> survie et, mieux, <strong>de</strong> développement” 4 , d'une solidarité tout<br />

1 Rapport moral assemblée générale <strong>de</strong> 1982 qui reprend ce texte <strong>de</strong> 1971 (p. 14 et 15).<br />

2 “Nous nous sommes rendu compte que l’adhésion <strong>de</strong>s seuls prési<strong>de</strong>nts à une association nationale ne<br />

donnait pas à celle-ci l’impact recherché, et que, plutôt que <strong>de</strong>s personnes, il convenait d’associer<br />

les institutions. Aussi, notre Union <strong>de</strong>s Fédérations Régionales est-elle née <strong>de</strong> la tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong><br />

l’APREREG, comme une union <strong>de</strong> personnes morales, comprenant trois échelons : un échelon<br />

national, un échelon régional, un échelon local.” (Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Salon <strong>de</strong><br />

Provence, 7-8 juin 1980, p. 4).<br />

3 “Tout en garantissant leur valeur éducative, l’UNIREG se refuse le droit <strong>de</strong> véto au sein <strong>de</strong>s<br />

associations régionales, comme celles-ci se le refusent au sein <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> locales. L’UNIREG et les<br />

fédérations régionales se refusent le droit <strong>de</strong> dissoudre, pour quelque raison que ce soit, les<br />

associations qui lui sont affiliées.” Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Saint-Denis-<strong>de</strong>-la-Réunion,<br />

20 juillet 1979 (p. 7).<br />

4 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Neuville-sur-Saône, 21 octobre 1978 (p. 12).


- 368 -<br />

aussi nécessaire, et d<strong>ans</strong> laquelle “chacun trouvera un nouveau souffle et <strong>de</strong> nouvelles raisons <strong>de</strong><br />

poursuivre une action, difficile certes, mais dont nous n'avons pas le droit <strong>de</strong> détruire un héritage” 1 .<br />

Cette harmonisation, cette solidarité et cette nécessaire recherche du consensus permettent<br />

certains progrès et accords, notamment d<strong>ans</strong> la gestion du personnel. Face à une diversification<br />

grandissante <strong>de</strong>s conditions faites aux directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, un groupe <strong>de</strong> travail se met en place pour<br />

aboutir “à un projet <strong>de</strong> convention collective acceptable par toutes les Fédérations régionales et<br />

apportant au personnel, un minimum <strong>de</strong> garanties quelle que soit sa région d'exercice” 2 . Après 18<br />

mois <strong>de</strong> concertation nationale et régionale entre bénévoles et permanents, une assemblée générale<br />

extraordinaire du 19 avril 1980 à Bourg la Reine, adopte “les textes définitifs <strong>de</strong> la première<br />

convention collective nationale <strong>de</strong> base à laquelle chaque région <strong>de</strong>vra d'abord adhérer, quitte à la<br />

compléter éventuellement par un accord d'entreprise” 3 . De plus, considérant que les animateurs<br />

permanents ne doivent pas être seulement <strong>de</strong>s employés mais également <strong>de</strong>s partenaires, on<br />

prévoit, au niveau national, un poste <strong>de</strong> membre associé pour un représentant du personnel éducatif,<br />

comme du personnel d'encadrement, et on réintroduit une forme <strong>de</strong> cogestion avec les salariés.<br />

Au fur et à mesure que les années passent, une vie nationale se développe à travers la tenue <strong>de</strong><br />

séminaires et <strong>de</strong> congrès, rassemblant salariés et bénévoles. Il y a cependant <strong>de</strong>s tensions et <strong>de</strong>s<br />

crises qui, compte tenu d'une forte décentralisation, prennent - il est vrai - <strong>de</strong>s formes moins<br />

spectaculaires qu'à la FF<strong>MJC</strong>. C'est ainsi que le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'UNIREG s'inquiète, en juilllet 1977,<br />

“<strong>de</strong> la situation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> orléanaises et <strong>de</strong>s conflits nés au sein <strong>de</strong> la Fédération orléanaise, dont la<br />

presse avait rendu compte avec plus ou moins <strong>de</strong> véracité” 4 . On reste également très soucieux <strong>de</strong><br />

l'évolution <strong>de</strong> “la Fédération Normandie-Maine où d'autres difficultés sont nées” 5 .<br />

Il semble que d<strong>ans</strong> l’“affaire <strong>de</strong> Basse-Normandie” 6 , on touche aux limites <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong>s<br />

Fédérations régionales d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> l'union nationale : “On a confondu ‘autonomie’ et<br />

‘indépendance’ ; on a oublié que le terme d’‘union’ supposait concertation, solidarité, que la mise en<br />

commun <strong>de</strong> nos efforts ne <strong>de</strong>vait pas recourir à l'anarchie, mais qu'elle supposait une instance<br />

supérieure d'intervention et <strong>de</strong> règlement <strong>de</strong>s litiges” 7 . D<strong>ans</strong> le cas particulier <strong>de</strong> la Basse-<br />

Normandie, on aurait constaté un total “mépris <strong>de</strong>s principes”, un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s dirigeants qui<br />

1 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Neuville-sur-Saône, 21 octobre 1978 (p. 12).<br />

2 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Salon <strong>de</strong> Provence (p. 8).<br />

3 Ibid. p. 9.<br />

4 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Neuville-sur-Saône, 21 octobre 1978 (p. 11). Ce rapport ne<br />

donne aucun détail précis sur cette situation conflictuelle.<br />

5 Ibid. p. 12.<br />

6 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Saint-Denis-<strong>de</strong>-la-Réunion, 20 juillet 1979 (p. 8).<br />

7 Ibid. p. 8.


- 369 -<br />

n'aurait été qu’“une série d'artifices fort étrangers à la démocratie <strong>de</strong> la vie associative” [...] “<strong>de</strong>s<br />

attaques voire <strong>de</strong>s calomnies” 1 , si bien que, malgré les efforts <strong>de</strong> négociation pour rétablir l’“ordre<br />

normal <strong>de</strong> fonctionnement, l'UNIREG a dû exclure la Fédération en question” 2 et soutenir la création<br />

d'une nouvelle fédération portée par <strong>de</strong>s associations volontaires.<br />

A partir <strong>de</strong> ce conflit, le discours national <strong>de</strong> l'UNIREG se fait moins libéral et plus musclé :<br />

“L'action éducative et l'effort d'animation que nous tentons pour tous, avec tous, ne doivent<br />

cé<strong>de</strong>r ni à l'intimidation, ni au chantage. Notre souci n'est pas une uniformisation systématique<br />

<strong>de</strong>s styles et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’action, mais une harmonisation nécessaire, d<strong>ans</strong> le respect <strong>de</strong>s<br />

principes fondamentaux énoncés et acceptés par tous” 3 .<br />

On constate alors la nécessité <strong>de</strong> réformer quelque peu les structures, et on confie à une<br />

commission animée par un certain François Amigues, la mission d'étudier une réforme <strong>de</strong>s statuts<br />

<strong>de</strong> l'UNIREG, “<strong>de</strong> préparer le texte <strong>de</strong> protocole d'accord constituant une base <strong>de</strong> relations plus<br />

harmonieuse entre l'UNIREG et les Fédérations régionales” 4 . Il ne s'agit pas <strong>de</strong> revenir sur le<br />

principe <strong>de</strong> la régionalisation, “mais <strong>de</strong> donner à la collégialité le moyen d'intervenir, d<strong>ans</strong> quelque<br />

région que ce soit, lorsque certains problèmes pouraient se faire jour” 5 .<br />

L'assemblée générale extraordinaire du 19 avril 1980 à Bourg-la-Reine déci<strong>de</strong> d'une<br />

harmonisation d'action entre les régions, d'une participation <strong>de</strong> l'UNIREG aux conseils<br />

d'administration régionaux, <strong>de</strong>s moyens d'actions nécessaires permettant une intervention d<strong>ans</strong> le<br />

cas où une région ne respecterait pas les règles <strong>de</strong> la vie associative. C’est également lors <strong>de</strong> cette<br />

assemblée générale extraordinaire que l'on adopte les textes d'une convention collective nationale<br />

du personnel. Malgré son discours humaniste, conciliant et libéral, l'UNIREG est donc contrainte,<br />

d<strong>ans</strong> ce cas du moins, à adopter une position <strong>de</strong> fermeté que la FF<strong>MJC</strong> elle-même n'aura, pendant<br />

ces années-là, à appliquer à aucune <strong>de</strong>s structures affiliées, et ainsi à renforcer l’autorité fédérale<br />

nationale.<br />

Qu'en est-il, pendant cette même pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> l'UNIREG avec l'Etat ? Durant les<br />

premières années qui suivent la scission, l'UNIREG jouit incontestablement d'un soutien bienveillant<br />

du gouvernement : facilité d'affiliation <strong>de</strong> ses fédérations régionales, dotation plus importante qu'à la<br />

FF<strong>MJC</strong>, financements plus réguliers. Mais, étonnamment, l'UNIREG souffre bientôt d'un manque <strong>de</strong><br />

1 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Saint-Denis-<strong>de</strong>-la-Réunion, 20 juillet 1979 (p. 8).<br />

2 La décision définitive est prise à une assemblée générale extraordinaire du 5 mai 1979, qui radie<br />

purement et simplement cette fédération <strong>de</strong> l’Union. Les rapports d’assemblée générale ne disent<br />

rien <strong>de</strong> plus sur le fond <strong>de</strong> cette affaire. Selon Lucien Trichaud, “la Fédération <strong>de</strong> Basse-Normandie<br />

était noyautée par le RPR et ce n’était pas plus acceptable que si elle l’avait été par le parti<br />

communiste”. (Entretiens).<br />

3 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Saint-Denis-<strong>de</strong>-la-Réunion, 20 juillet 1979 (p. 8).<br />

4 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Salon <strong>de</strong> Provence, 7 juin 1980 (p. 7).<br />

5 Ibid. p. 7.


- 370 -<br />

reconnaissance <strong>de</strong> l'administration d'Etat 1 , ce qui motive notamment cette motion votée par les<br />

Fédérations régionales présentes à l'assemblée générale nationale <strong>de</strong> 1974 :<br />

“L'assemblée générale <strong>de</strong> l'UNIREG, réunie à la <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Mercoeur le 11 mai 1974, s'étonne<br />

<strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> tout représentant du Secrétariat d'Etat à la Jeunesse, aux Sports et aux<br />

Loisirs, qui n'a même pas cru nécessaire <strong>de</strong> répondre à l'invitation qui lui a été adressée. Elle<br />

rappelle que l'Union <strong>de</strong>s Fédérations régionales <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est une association d'éducation<br />

populaire agréée, et trouve offensante la discrimination qui est ainsi faite à son endroit par<br />

rapport à d'autres associations <strong>de</strong> même type, honorées <strong>de</strong> la présence d'un membre du<br />

cabinet du ministre” 2 .<br />

Les responsables <strong>de</strong> l'UNIREG, tout en se réjouissant <strong>de</strong>s relations régulières et courtoises avec<br />

le secrétariat d'Etat, regrettent donc un manque <strong>de</strong> compréhension et la diminution substantielle <strong>de</strong>s<br />

ai<strong>de</strong>s, d<strong>ans</strong> le financement <strong>de</strong>s postes d'animateurs, en particulier. Mais à la différence <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong><br />

qui condamne, revendique et lutte, l'UNIREG se contente <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r et <strong>de</strong> souhaiter, et adopte<br />

souvent une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dépit comme celle-ci :<br />

“Plusieurs pays étrangers, comme le Liban, la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, l'Italie, l'Allemagne,<br />

l'Espagne, ont reconnu la valeur <strong>de</strong> nos expériences et <strong>de</strong> nos recherches en nous <strong>de</strong>mandant<br />

<strong>de</strong>s stages, <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s conférences, <strong>de</strong>s expertises. Ne serions-nous prophètes qu'en<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong> notre pays ?” 3<br />

La voix <strong>de</strong> l'UNIREG se fait pourtant entendre d<strong>ans</strong> les pério<strong>de</strong>s électorales décisives, par<br />

exemple en 1974, où elle s'adresse au futur prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République en ces termes :<br />

“...La République que vous nous préparez, Monsieur le Prési<strong>de</strong>nt, va-t-elle continuer à<br />

reléguer l'éducation <strong>de</strong> la jeunesse et l'éducation populaire au <strong>de</strong>rnier rang <strong>de</strong> ses soucis,<br />

comme si le bonheur que vous promettez se résumait à disposer d'un HLM pourvu <strong>de</strong><br />

sanitaires, à consommer <strong>de</strong> plus en plus, à partir en week-end ou en vacances ?” 4<br />

Avec le temps, le ton <strong>de</strong>vient plus incisif, et les attitu<strong>de</strong>s plus fermes. En 1981, on parle <strong>de</strong><br />

“problèmes à résoudre..., <strong>de</strong> situation précaire et marginale... aggravée même...” 5 . On stigmatise les<br />

nouvelles formes <strong>de</strong> financement par projets et incitations qui “sont bien souvent <strong>de</strong>s marchés <strong>de</strong><br />

dupes” 6 : Fonds d'Intervention Culturelle, pl<strong>ans</strong> d'actions prioritaires, emplois d'utilité collective, ai<strong>de</strong>s<br />

1 Certain responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> du moment (Paul J<strong>ans</strong>en en particulier) affirment que le Ministère<br />

<strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports aurait laissé entendre, face à la résistance <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, que le choix <strong>de</strong><br />

soutenir, voire <strong>de</strong> susciter la création <strong>de</strong> l’UNIREG, était en fait une stratégie peu opportune.<br />

2 Additif au rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Paris-Mercoeur.<br />

3 Rapport moral, assemblée générale <strong>de</strong> Vivoin, 3 mai 1975, p. 10.<br />

4 Texte publié d<strong>ans</strong> Synchro et rappelé d<strong>ans</strong> le rapport moral pour l’année 1980, adopté par le conseil<br />

d’administration du 9 mai 1981 (p. 3).<br />

5 Synchro (op. cit.) p. 15.<br />

6 Synchro (op. cit.) p. 18.


- 371 -<br />

ponctuelles à l'innovation sociale... Vis à vis <strong>de</strong> l'Etat, on se met à employer le langage <strong>de</strong> la<br />

revendication et on adopte même <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> refus comme celle qui concerne le paiement <strong>de</strong>s<br />

redressements URSSAF :<br />

“Devant la multiplication <strong>de</strong>s redressements réclamés par l'URSSAF aux diverses associations<br />

locales affiliées à l'UNIREG par l'intermédiaire <strong>de</strong>s Fédérations Régionales, le conseil<br />

d'administration <strong>de</strong> l'UNIREG <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à chacune <strong>de</strong> ses associations <strong>de</strong> refuser le paiement<br />

<strong>de</strong> tous les redressements, tant que <strong>de</strong>s négociations ne seront pas entamées au niveau<br />

ministériel pour régler ce problème, que nous posons <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années” 1 .<br />

Mais l'UNIREG et ses associations affiliés n'adoptent jamais les stratégies spectaculaires et<br />

combatives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : journées nationales d'étu<strong>de</strong>s et congrès imposants, pétitions,<br />

rassemblements et manifestations <strong>de</strong> rues. Cela tient s<strong>ans</strong> doute à l’état d’esprit et aux principes qui<br />

ont présidé à la création <strong>de</strong> cette nouvelle fédération : humanisme, harmonisation et dialogue,<br />

volonté d'indépendance totale vis à vis <strong>de</strong>s mouvements politiques et sociaux, forte décentralisation<br />

<strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> décisions et <strong>de</strong> la gestion. Le développement <strong>de</strong> l'UNIREG, bien réel en matière <strong>de</strong><br />

création d'emplois notamment, reste mo<strong>de</strong>ste en comparaison avec celui <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. En 1981,<br />

l'UNIREG rassemblerait seulement 422 associations, dont 326 <strong>MJC</strong>, pour 146.000 adhérents<br />

individuels. Mais l'attitu<strong>de</strong> adoptée n'explique vraisemblablement pas tout. Son implantation<br />

géographique centrale, fortement liée au mon<strong>de</strong> rural, limite s<strong>ans</strong> doute son évolution d<strong>ans</strong> une<br />

France <strong>de</strong> plus en plus marquée par le développement technologique et le poids <strong>de</strong>s centres<br />

urbains.<br />

1 Décision du conseil d’administration d’octobre 1980, reproduite d<strong>ans</strong> le rapport moral pour l’année<br />

1980, adopté par le conseil d’administration du 9 mai 1981 (p. 21).


- 373 -<br />

CHAPITRE - IV -<br />

LES <strong>MJC</strong> APRÈS 1981 : MODERNISATION ET PROBLÈMES<br />

D’IDENTITÉ<br />

C'est avec une satisfaction à peine dissimulée que la majorité <strong>de</strong>s institutions et mouvements<br />

d'éducation populaire accueillent les résultats <strong>de</strong>s élections <strong>de</strong> 1981. Plus précisément, c'est l'espoir<br />

d'un changement qui domine, aussi bien d<strong>ans</strong> les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> la population que d<strong>ans</strong> les<br />

rapports entre l'Etat et les institutions qui oeuvrent pour un mieux-être. D<strong>ans</strong> une déclaration du 23<br />

mai 1981, le conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> s'adresse en ces termes au Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

République et au Gouvernement :<br />

“Par un vote clairement exprimé, le peuple français vient <strong>de</strong> sanctionner 23 <strong>ans</strong> d'une politique<br />

gouvernementale...<br />

“...La Fédération Française <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture considère que ce refus<br />

vise essentiellement une action<br />

- génératrice d'un chômage qui touche principalement les jeunes,<br />

- <strong>de</strong> développement <strong>de</strong>s inégalités sociales, obstacles à l'exercice du droit <strong>de</strong> chacun à<br />

l'éducation et à la culture...<br />

“Pour le conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> une situation nouvelle est créée.<br />

“Elle doit permettre la réalisation <strong>de</strong> progrès sociaux (et donc culturels) considérables...<br />

“La FF<strong>MJC</strong>, agira, pour ce qui la concerne, comme elle l'a toujours fait, pour le droit à<br />

l'éducation et à la culture pour tous, et en particulier pour les plus défavorisés...<br />

“La situation nouvelle créée <strong>de</strong>vra mettre fin aux discriminations actuelles” 1 .<br />

Les <strong>MJC</strong> rassemblées à Reims les 29-30-31 mai 1982, réfléchissent sur “l'éducation populaire et<br />

le changement”. Elles réaffirment, face à un gouvernement à l'écoute, leurs principes fondamentaux<br />

(projet démocratique et novateur d'éducation populaire permanente, organisation associative et<br />

fédérative, laï cité, co-gestion), et ce qu'elles considèrent comme les priorités du moment (bataille<br />

pour la réduction <strong>de</strong>s inégalités sociales et culturelles, bataille pour l'emploi, bataille pour l'avancée<br />

<strong>de</strong> la démocratie). Les années 80 seront en effet riches en changements et en batailles, mais pas<br />

forcément toujours d<strong>ans</strong> le sens espéré par les <strong>MJC</strong> et l'ensemble <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> jeunesse et<br />

d'éducation populaire.<br />

1 Déclaration du conseil d'administration à Monsieur le Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République et au Gouvernement,<br />

reprise d<strong>ans</strong> le rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Villeurbanne (12-13 décembre 1981).


- 374 -<br />

1 - Le retour <strong>de</strong> l’Etat et le poids du local<br />

La présence au congrès <strong>de</strong> Nanterre (11-12-13 novembre 1977) du secrétaire d'Etat à la<br />

Jeunesse et aux Sports, Paul Dijoud, symbolisait déjà, après dix années d'affrontement, le<br />

renouveau possible du dialogue entre la FF<strong>MJC</strong> et son partenaire principal et “naturel”. D<strong>ans</strong> son<br />

intervention, Paul Dijoud avait insisté en effet plus sur le sens <strong>de</strong> sa présence et la définition <strong>de</strong><br />

rapports nouveaux, que sur l'annonce <strong>de</strong> propositions concrètes 1 :<br />

“Après presque dix <strong>ans</strong> d'interruption <strong>de</strong> ce contact annuel - presque annuel - entre votre<br />

mouvement et le secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, vous <strong>de</strong>vrez donc voir d<strong>ans</strong><br />

ma présence un signe, et un signe que j'ai la faiblesse <strong>de</strong> considérer comme important...<br />

“Je crois que ce contact doit être le contact <strong>de</strong> la clarification…<br />

“A partir du moment où votre organisation et vos statuts (et vous pouvez en changer) ont mis<br />

au point un système qui repose sur la cogestion entre l'Etat et votre mouvement, à partir du<br />

moment où vous <strong>de</strong>meurez d<strong>ans</strong> cette cogestion, eh bien j'appliquerai strictement et<br />

positivement les termes <strong>de</strong> cette cogestion.<br />

“C'est dire que je reprendrai, ainsi que mes collaborateurs, la place que nous avons laissée<br />

vi<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis quelques années d<strong>ans</strong> toutes vos instances. Je la reprendrai à l'intérieur <strong>de</strong> votre<br />

conseil d'administration, et mes collaborateurs la reprendront à l'intérieur <strong>de</strong> vos organismes<br />

régionaux et locaux.<br />

“C'est d<strong>ans</strong> cet esprit que, dès maintenant, j'ai établi avec votre fédération nationale, une<br />

collaboration d'un style neuf… 2 ”<br />

Le secrétaire d'Etat faisait en même temps preuve <strong>de</strong> clairvoyance et adoptait une attitu<strong>de</strong><br />

significative <strong>de</strong> cette volonté <strong>de</strong> reconnaitre une institution engagée, mais également traversée par<br />

<strong>de</strong>s courants très divers ... :<br />

“...Vous savez bien que les contacts ne pourront être que difficiles entre certains d'entre vous,<br />

très engagés d<strong>ans</strong> un combat politique, et un Secrétaire d'Etat qui est membre d'un<br />

gouvernement soutenu par une majorité, qui ne reniera ni cette majorité ni le gouvernement<br />

auquel il appartient, d<strong>ans</strong> une pério<strong>de</strong> donc difficile. Vous avez dit vous-mêmes, tout à l'heure,<br />

d<strong>ans</strong> le texte <strong>de</strong> votre résolution, la foi qu'une majorité d'entre vous a d<strong>ans</strong> un certain nombre<br />

<strong>de</strong> changements éventuels, l'inquiétu<strong>de</strong> que vous avez <strong>de</strong>vant certaines situations du moment,<br />

l'espérance que vous avez d<strong>ans</strong> certaines démarches ; c'est votre droit, vous êtes un<br />

mouvement adulte, majeur, démocratique, et pour ce qui est <strong>de</strong> ma part, je respecte vos idées<br />

1 La seule proposition concrète <strong>de</strong> P. Dijoud à Nanterre fut la suivante : “J’ai dès maintenant décidé<br />

d’attribuer une vingtaine <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> centimes pour la remise en état du siège <strong>de</strong> votre fédération<br />

nationale, car votre mouvement - qui est un mouvement <strong>de</strong> qualité - se doit d’avoir à Paris une<br />

vitrine, pour la jeunesse, pour les étrangers qui viennent parmi nous, qui soit à la hauteur <strong>de</strong> ce que<br />

vous êtes et <strong>de</strong> ce que nous voulons que vous soyez” ; proposition financièrement maigre, mais<br />

symboliquement importante.<br />

2 Discours du secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports (Spécial congrès Nanterre, Annexe 5).


- 375 -<br />

; mais <strong>de</strong> la même façon, vous ne pouvez que respecter les miennes, et il est bien évi<strong>de</strong>nt que<br />

nous <strong>de</strong>vons nous connaitre les uns et les autres tels que nous sommes.<br />

“Je sais - et je puis encore le constater - que ce qui fait la force <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, c'est leur diversité,<br />

c'est le fait que votre mouvement est parcouru <strong>de</strong> courants très divers qui ne constituent, en<br />

aucune façon un bloc monolithique, organisé à <strong>de</strong>s fins autres que celles pour lesquelles les<br />

uns et les autres, individuellement ou collectivement, vous militez.<br />

“Je sais donc que vous avez pris <strong>de</strong>s décisions, à la majorité, que je n'aurais pas votées, bien<br />

sûr, si j'avais été parmi vous d<strong>ans</strong> cette salle. Mais je respecte la décision <strong>de</strong> votre majorité et<br />

je la respecte tant, que, bien qu'attaqué très directement ainsi que le gouvernement auquel<br />

j'appartiens, d<strong>ans</strong> ces témoignages, d<strong>ans</strong> ces prises <strong>de</strong> positions, vous voyez, je reste parmi<br />

vous” 1 .<br />

Le changement national <strong>de</strong> majorité politique, intervenu en 1981, va, au moins pour quelques<br />

années, modifier concrètement les rapports entre la FF<strong>MJC</strong>, ses associations affiliées et l'Etat. A<br />

l'occasion du rassemblement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Reims (29-30-31 mai 1982), Monsieur André Henry,<br />

ministre du Temps Libre 2 , annonce certaines dispositions, et l'ouverture <strong>de</strong> quelques grands<br />

chantiers : la démocratisation du loisir et l'aménagement du temps libre, la réhabilitation <strong>de</strong><br />

l'Education Populaire inscrite d<strong>ans</strong> le projet <strong>de</strong> nouvelle citoyenneté annoncé par le premier ministre,<br />

Pierre Mauroy, la définition d’un statut <strong>de</strong>s animateurs, la promotion et la rénovation <strong>de</strong> la vie<br />

associative. S'agissant <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière disposition, le ministre envisage pour certaines associations<br />

une reconnaissance d'utilité sociale, dont les critères, encore flous, restent à préciser. Il prévoit<br />

également <strong>de</strong> s'attaquer à quelques gran<strong>de</strong>s questions qui ont fait l'objet <strong>de</strong> revendications <strong>de</strong><br />

longue date, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s associations <strong>de</strong> jeunesse et d'éducation populaire : l'accès aux grands<br />

médias, le statut <strong>de</strong> l'élu social, les finances (taxe sur les salaires, TVA, charges sociales, prêts<br />

préférentiels et fonds <strong>de</strong> solidarité). D<strong>ans</strong> cette marche en avant, le ministre souhaite que la FF<strong>MJC</strong><br />

soit “le fer <strong>de</strong> lance [...] <strong>de</strong> la réhabilitation <strong>de</strong> l'éducation populaire” 3 .<br />

La FF<strong>MJC</strong>, et à sa suite <strong>de</strong> nombreuses <strong>MJC</strong>, s'engagent d<strong>ans</strong> les directions définies par le<br />

gouvernement. Les responsables fédéraux apprécient le changement en cours : “L'originalité <strong>de</strong><br />

1982, lit-on d<strong>ans</strong> le rapport moral <strong>de</strong> l'assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon, c'est qu'enfin les objectifs du<br />

gouvernement d<strong>ans</strong> certains domaines correspon<strong>de</strong>nt à nos orientations” 4 . On fait état <strong>de</strong>s avancées<br />

en matière <strong>de</strong> création d'emploi (385 <strong>de</strong>puis 1981 avec l'ai<strong>de</strong>, d<strong>ans</strong> certains cas, <strong>de</strong> l'Etat d<strong>ans</strong> le<br />

cadre du FONJEP 5 ) et en matière <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s inégalités sociales et culturelles (les <strong>MJC</strong> se sont<br />

1 Discours <strong>de</strong> secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports (Spécial congrès Nanterre, Annexe 5).<br />

2 Nouvelle appellation du Ministère Jeunesse, Sports et Loisirs.<br />

3 Discours d’André Henry (archives FF<strong>MJC</strong>), p. 11.<br />

4 Rapport moral <strong>de</strong> l’assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon (11-12-13 novembre 1983), p. 8.<br />

5 En 1981, 82 et 83, la FF<strong>MJC</strong> aurait obtenu 159 postes FONJEP <strong>de</strong> plus, si bien qu’avec 457 postes,<br />

elle serait la mieux dotée, loin <strong>de</strong>vant l’UNIREG : 1<strong>60</strong> (+37), la Ligue <strong>de</strong> l’Enseignement : 134


- 376 -<br />

souvent investies d<strong>ans</strong> les stages d'insertion sociale et professionnelle préconisés par le rapport<br />

Bertrand Schwartz et d<strong>ans</strong> l'opération “Jeunes Volontaires”). Un Conseil National <strong>de</strong> la Vie<br />

associative est mis en place, et reçoit mission <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s “propositions concernant les projets<br />

d'utilité sociale, le statut <strong>de</strong> l'élu social, la réorganisation du FONJEP et l'ensemble <strong>de</strong>s dispositions<br />

qu'il faudra ensuite que l'Etat accepte, pour favoriser la vie associative” 1 . Les relations régulières<br />

entre la FF<strong>MJC</strong> et les services ministériels permettent d'aboutir le 21 mars 1983 à la signature d'une<br />

convention entre l'Etat et l'institution <strong>MJC</strong> tout entière, convention qui reconnait la vocation d'intérêt<br />

général <strong>de</strong>s activités exercées par l'ensemble <strong>de</strong>s associations fédérées au sein <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, et<br />

prévoit <strong>de</strong>s financements sur une pério<strong>de</strong> pluri-annuelle.<br />

Pendant toute cette pério<strong>de</strong>, on réfléchit beaucoup, on fait <strong>de</strong> nombreux projets, on incite<br />

l'ensemble <strong>de</strong>s associations fédérées et les acteurs bénévoles et professionnels à participer à ce<br />

grand projet <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>formation sociale. La première assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (Mâcon, 11-<br />

12-13 novembre 1983), réunie selon les nouveaux statuts, est minutieusement préparée. Six séries<br />

<strong>de</strong> documents différents sont envoyés aux <strong>MJC</strong> avant l'assemblée. Un programme d'actions<br />

prioritaires fait l'objet d'une réflexion d<strong>ans</strong> douze commissions différentes : les <strong>MJC</strong> et les jeunes ; les<br />

<strong>MJC</strong> et les activités enfance-adolescence et la collaboration avec le secteur scolaire ; les <strong>MJC</strong> et les<br />

activités sportives et <strong>de</strong> pleine nature ; les <strong>MJC</strong> et les activités scientifiques et techniques 2 ; les<br />

actions <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> en direction <strong>de</strong>s milieux socialement défavorisés ; les <strong>MJC</strong> et l'action culturelle ; les<br />

<strong>MJC</strong>, la communication sociale et les radios locales ; les <strong>MJC</strong> et le tourisme social ; les actions <strong>de</strong><br />

formation ; le conventionnement et la décentralisation ; l'action en milieu rural, les <strong>MJC</strong> et l'économie<br />

sociale. Et, en effet, jusqu'en 1984 on enregistre <strong>de</strong>s progrès sensibles : plus <strong>de</strong> mille postes<br />

FONJEP en trois <strong>ans</strong>, sur l'ensemble <strong>de</strong>s associations, avec une participation <strong>de</strong> l'Etat augmentée<br />

d'un tiers ; réduction forfaitaire d’une partie <strong>de</strong> la taxe sur les salaires ; création d'un Fonds National<br />

<strong>de</strong> Développement <strong>de</strong> la Vie Associative.<br />

Mais la mise en place d'une politique <strong>de</strong> rigueur, et notamment les propositions du gouvernement<br />

Fabius, sonnent le glas <strong>de</strong> nombreux espoirs. En 1984, on annonce un budget <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s<br />

Sports pour 1985 en diminution <strong>de</strong> 7%. Sur l'impulsion <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> son délégué général Henri<br />

Blanc, huit <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s fédérations d'éducation populaire interviennent : le budget est reconduit<br />

en francs courants mais les crédits du temps libre et <strong>de</strong> l'éducation populaire baissent <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

11% ; on enregistre la création <strong>de</strong> seulement 30 postes FONJEP par le ministère <strong>de</strong> la Jeunesse et<br />

<strong>de</strong>s Sports, avec une revalorisation <strong>de</strong> 2.000 F par an. À la FF<strong>MJC</strong>, on commence à considérer ces<br />

(+119) et la Fédération Léo-Lagrange : 119 (+86). Il est vrai que d<strong>ans</strong> le même temps, la Ligue <strong>de</strong><br />

l’Enseignement bénéficie <strong>de</strong> MAD (professionnels mis à disposition) <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’État.<br />

1 Discours <strong>de</strong> Mme Edwige Avice à l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> Mâcon, 11-12-13 novembre<br />

1983 (archives FF<strong>MJC</strong>) p. 4.<br />

2 Les <strong>MJC</strong> font un effort tout particulier d<strong>ans</strong> ce domaine, notamment d<strong>ans</strong> le secteur du<br />

développement <strong>de</strong> l’informatique.


- 377 -<br />

reculs comme du désintérêt, voire même un désaveu.<br />

“Les <strong>MJC</strong> et leur Fédération sont, aujourd'hui comme par le passé, en position <strong>de</strong> mise à<br />

l'écart par le pouvoir politique national et régional. Comme si elles ne pouvaient être agent <strong>de</strong><br />

développement économique et social, comme si d<strong>ans</strong> leurs champ d'activités multiples et<br />

vastes, elles ne participaient pas activement à la lutte contre la crise, comme si elles ne<br />

pouvaient pas être créatrices d'emplois, directement et indirectement” 1 .<br />

La situation se dégra<strong>de</strong> encore pendant les années qui suivent. En 1986, la subvention d'Etat à la<br />

FF<strong>MJC</strong> est en diminution <strong>de</strong> 13% par rapport à 1985 et en 1987 <strong>de</strong> 19% par rapport à l'année<br />

précé<strong>de</strong>nte. L'année internationale <strong>de</strong> la Jeunesse, d<strong>ans</strong> laquelle les <strong>MJC</strong> et leurs fédérations se<br />

sont fortement impliquées, n'a en rien amélioré la situation, d'autant que l'Etat, et à sa suite <strong>de</strong><br />

nombreux partenaires financiers, choisissent une démarche <strong>de</strong> financement sur projets précis au<br />

détriment <strong>de</strong>s subventionnements structurels globaux :<br />

“Avec <strong>de</strong>ux baisses importantes et successives du subventionnement, l'Etat fait plus que se<br />

désengager. Il abandonne <strong>de</strong>s responsabilités qu'il a revendiquées pendant <strong>de</strong>s décennies. Il<br />

s'éloigne à toute allure <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> service public et rompt avec la mission d'intérêt général<br />

qu'une fédération comme la nôtre était censée porter <strong>de</strong> par la volonté <strong>de</strong> la puissance<br />

publique.<br />

“Sa politique est parfaitement claire. A une politique <strong>de</strong> subvention globale, il substitue une<br />

politique contractuelle d'ai<strong>de</strong> aux projets concrets, et ceci d<strong>ans</strong> un cadre budgétaire toujours<br />

plus dur. Il s'agit d'orientations qui modifient <strong>de</strong> fond en comble la relation <strong>de</strong> notre secteur à<br />

l'Etat, qui perturbent au plus profond la logique sur laquelle nous sommes assis <strong>de</strong>puis la<br />

création <strong>de</strong> la Fédération” 2 .<br />

La volonté <strong>de</strong> Roger Bambuck <strong>de</strong> réhabiliter l'éducation populaire et la commémoration du<br />

Bicentenaire <strong>de</strong> la Révolution Française ne changent rien, ou si peu, à cette nouvelle attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l'Etat, qui conçoit <strong>de</strong> plus en plus le financement <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> jeunesse et d'éducation<br />

populaire, notamment <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong> leur participation à <strong>de</strong>s dispositifs, dont le rythme<br />

<strong>de</strong> mise en place s'accélère : insertion sociale et professionnelle <strong>de</strong> jeunes, Travaux d'Utilité<br />

Collective, Contrat-Emploi-Solidarité, stages d'insertion à la vie professionnelle, opérations<br />

Prévention-Eté, Vacances-Loisirs-pour-tous, Loisirs Quotidiens <strong>de</strong>s Jeunes, Développement Social<br />

<strong>de</strong>s Quartiers, Développement Social Urbain, opérations Quartiers-Lumière, pour ne citer que les<br />

plus connus. L'Etat se désengage <strong>de</strong> plus en plus, structurellement, et se met à intervenir <strong>de</strong><br />

manière incitative en coordonnant les forces locales. Il se fait “animateur” 3 , attitu<strong>de</strong> qui sied peu à<br />

1 Rapport moral à l’assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à Angoulême, 9-10-11 novembre 1985,<br />

Supplément au n° 22 <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, p. 12.<br />

2 “Un challenge”, par Patrick Kressmann, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (Les Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n° 30, avril<br />

1987, p. 1).<br />

3 L’expression est <strong>de</strong> Jacques Donzelot (entretien d<strong>ans</strong> un séminaire <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong>s Hautes Étu<strong>de</strong>s en<br />

Sciences Sociales, Marseille, Vieille Charité, 1986).


- 378 -<br />

une institution comme la FF<strong>MJC</strong>, et ne facilite ni la gestion, ni l'action <strong>de</strong>s structures oeuvrant d<strong>ans</strong> la<br />

durée 1 .<br />

L’intervention <strong>de</strong> l'Etat - d'abord sous une forme matérielle et assez traditionnelle (financements<br />

structurels et reconnaissance <strong>de</strong> la vie associative et fédérative), ensuite sous une forme nouvelle,<br />

incitative et déroutante parce qu’aléatoire - va <strong>de</strong> pair avec l'augmentation du poids du local et du<br />

pouvoir <strong>de</strong> ceux qui ont en charge <strong>de</strong> le gérer. On a le sentiment, du moins d<strong>ans</strong> le secteur <strong>de</strong> la<br />

jeunesse, <strong>de</strong> la culture et <strong>de</strong> l'éducation populaire, que lors <strong>de</strong>s premières années <strong>de</strong> la<br />

décentralisation, l'Etat central prend appui sur la vie fédérative et associative pour pousser les<br />

collectivités locales, et en premier lieu les municipalités, à s'engager résolument sur <strong>de</strong>s terrains et<br />

dispositifs essentiels à la réussite <strong>de</strong>s tr<strong>ans</strong>formations sociales projetées : insertion sociale et<br />

professionnelle, développement social et culturel urbain, politique <strong>de</strong> la jeunesse. C'est le sens,<br />

semble-t-il, <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong> Mme Edwige Avice à l'assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, le 12<br />

novembre 1985 à Mâcon :<br />

“Est-ce que les collectivités locales toutes seules sont armées pour donner la formation que<br />

les jeunes sollicitent ? pour répondre à <strong>de</strong>s besoins culturels neufs ? à un besoin <strong>de</strong> créativité<br />

qui a <strong>de</strong>s formes très variées ? Je ne pense pas. Je crois que les collectivités ont tout intérêt à<br />

savoir la nécessité pour elles <strong>de</strong> travailler avec le mon<strong>de</strong> associatif, <strong>de</strong> lui donner <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> travailler à son tour, et <strong>de</strong> pouvoir, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, beaucoup mieux servir les domaines<br />

d'utilité sociale, <strong>de</strong> les combler, parce que tout n'est pas couvert par les services publics” 2 .<br />

Mais d<strong>ans</strong> le même temps, et malgré un soutien <strong>de</strong> l'Etat notamment par le FONJEP, les Maisons<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture restent fortement tributaires <strong>de</strong>s pouvoirs locaux d<strong>ans</strong> leurs missions,<br />

d<strong>ans</strong> leur existence également. Au moment <strong>de</strong>s élections municipales <strong>de</strong> 1983, c'est presque cent<br />

postes <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> qui sont en danger. Une mobilisation <strong>de</strong> l'appareil fédéral et <strong>de</strong> ses<br />

délégués est nécessaire pour créer une cinquantaine <strong>de</strong> postes, et ainsi compenser une perte<br />

i<strong>de</strong>ntique. Dès lors, le conventionnement entre les <strong>MJC</strong> et les municipalités <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus<br />

nécessaire. A l'assemblée générale <strong>de</strong> Mâcon (11-12-13 novembre 1983), on prône le<br />

conventionnement à tous les niveaux, à la fois sur les missions permanentes et sur <strong>de</strong>s actions<br />

prioritaires spécifiques. Deux années plus tard, à l'assemblée générale d’Angoulême, on insiste plus<br />

particulièrement sur la nécessité <strong>de</strong> conventionnements locaux précis, en arguant du fait que “les<br />

rapports entre pouvoir municipal et <strong>MJC</strong>, quelle que soit la couleur politique passée ou présente,<br />

sont toujours l'objet d'une certaine précarité à moyen terme, puisque les financements dépen<strong>de</strong>nt,<br />

1 “Pour qu’il y ait <strong>de</strong>s projets, il faut <strong>de</strong>s structures, et pour faire vivre les structures, il faut <strong>de</strong><br />

l’argent. Il me semble que vous mettez les choses à l’envers.” Réponse <strong>de</strong> M. Robert Jarry, maire du<br />

M<strong>ans</strong>, à M. Grunesen, directeur régional <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, qui venait <strong>de</strong> prôner la<br />

politique du projet (Assemblée générale <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> au M<strong>ans</strong>, 6-7-8 juin 1987).<br />

2 Archives <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, p. 6. D<strong>ans</strong> cette même intervention, Madame le Ministre insiste beaucoup sur<br />

l’innovation, l’imagination, la créativité et la culture <strong>de</strong> la jeunesse, dont les associations, les <strong>MJC</strong> en<br />

particulier, doivent être le meilleur support.


pour l'essentiel, <strong>de</strong>s subventions municipales” 1 .<br />

- 379 -<br />

L'évolution <strong>de</strong>s conventionnements est significative <strong>de</strong>s tr<strong>ans</strong>formations <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion<br />

locale, d<strong>ans</strong> leur forme comme d<strong>ans</strong> les contenus. On passe progressivement, quand <strong>de</strong>s<br />

conventions existent déjà, <strong>de</strong> dispositions ne portant souvent que sur une mission générale assortie<br />

<strong>de</strong> mise à disposition <strong>de</strong> locaux et <strong>de</strong> vote d'une subvention globale, à <strong>de</strong>s accords plus sophistiqués<br />

précisant les objectifs communs à la <strong>MJC</strong> et à la municipalité, les moyens et les conditions<br />

d'exécution <strong>de</strong> la mission, et même les modalités d'évaluation <strong>de</strong>s opérations, ainsi que <strong>de</strong><br />

négociation entre les <strong>de</strong>ux parties. Le conventionnement peut aller jusqu'à un cahier <strong>de</strong>s charges<br />

précis et très contraignant qui fait <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> une structure très opérationnelle et exécutrice <strong>de</strong> la<br />

politique municipale, et par conséquent limite considérablement la liberté d'initiative <strong>de</strong>s conseils<br />

d'administration, <strong>de</strong>s bénévoles, <strong>de</strong>s usagers et <strong>de</strong>s professionnels. Ainsi assiste-t-on à une sorte <strong>de</strong><br />

décentrement du pouvoir associatif <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> quant à ses définitions <strong>de</strong> missions, qui passerait du<br />

conseil d'administration cogestionnaire d<strong>ans</strong> lequel le maire est présent, à un espace intermédiaire<br />

<strong>de</strong> négociation permamente entre la <strong>MJC</strong> et la municipalité, cet espace pouvant s’institutionnaliser<br />

sous la forme d'une commission mixte, paritaire, ville-<strong>MJC</strong>. La politique <strong>de</strong> la <strong>MJC</strong> tend donc plus à<br />

se définir et à se déci<strong>de</strong>r d<strong>ans</strong> le bureau du Maire que d<strong>ans</strong> le conseil d'administration <strong>de</strong><br />

l'association, ou plus précisément, d<strong>ans</strong> un va-et-vient entre les <strong>de</strong>ux, situation qui inquiète à la fois<br />

les défenseurs <strong>de</strong> l'indépendance associative, mais qui peut aussi indisposer <strong>de</strong>s élus municipaux,<br />

pas toujours enclins à accepter que ce qui est <strong>de</strong> leur ressort, et fortement financé par eux, soit géré<br />

par d'autres. D<strong>ans</strong> ce contexte, la mise en poste <strong>de</strong> directeurs fédéraux et le respect <strong>de</strong>s règles<br />

institutionnelles <strong>de</strong>viennent chose difficile, et on conçoit mal que l'on puisse mettre à disposition <strong>de</strong> la<br />

<strong>MJC</strong> un professionnel qui n'aurait pas en même temps l'aval <strong>de</strong> la municipalité, alors qu’en la matière<br />

et selon le réglement, c'est une affaire qui ne <strong>de</strong>vrait concerner que les <strong>MJC</strong> et leur fédération. D<strong>ans</strong><br />

une évolution qui n'est certes pas nouvelle 2 mais qui va en s'accentuant, c'est toute la question <strong>de</strong> la<br />

démocratie locale, <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong> la population et <strong>de</strong> la liberté d'initiative <strong>de</strong>s structures qu'elle<br />

gère qui, une fois <strong>de</strong> plus, est posée.<br />

S<strong>ans</strong> s'étendre plus longuement sur l'évolution <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion municipale, d<strong>ans</strong> ce<br />

domaine comme d<strong>ans</strong> d'autres -évolution liée notamment au renforcement du pouvoir local d<strong>ans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong> la décentralisation - on peut cependant tirer quelques traits qui <strong>de</strong>ssinent différemment le<br />

paysage <strong>de</strong>s relations entre les <strong>MJC</strong>, leurs partenaires locaux et, à terme, la vie fédérative. D'abord<br />

la mise en place, un peu partout, <strong>de</strong> dispositifs <strong>de</strong> développement local, s'efforçant <strong>de</strong> faire<br />

fonctionner en synergie <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>s forces vives qui oeuvrent d<strong>ans</strong> les domaines les plus<br />

1 Rapport moral pour l’assemblée générale d’Angoulême (supplément au n° 22 <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>,<br />

p.10-11).<br />

2 Déjà d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, et les témoignages ne manquent pas, <strong>de</strong> nombreux maires étaient méfiants<br />

sur la nomination <strong>de</strong> directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, dont pourtant une gran<strong>de</strong> partie du coût était pris en charge<br />

par l’État.


- 380 -<br />

divers : économique, social, culturel, formation, cadre <strong>de</strong> vie... Les <strong>MJC</strong> sont, avec d'autres types <strong>de</strong><br />

structures, fortement invitées à participer à un développement local qu'elles ont, par ailleurs,<br />

préfiguré et expérimenté par leurs pratiques <strong>de</strong> la polyvalence, <strong>de</strong> l'animation globale et <strong>de</strong> la<br />

cogestion associant différents partenaires. Deuxième élément <strong>de</strong> cette tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

gestion locale, et qui concerne également le développement : la recentralisation municipale, qui fait<br />

<strong>de</strong>s élus, quelques fois <strong>de</strong>s maires seuls avec leurs conseillers techniques, les déci<strong>de</strong>urs quasi-<br />

exclusifs et s<strong>ans</strong> réel partage <strong>de</strong>s responsabilités, les grands ordonnateurs <strong>de</strong> la politique<br />

municipale. Chacun, les élus locaux comme les <strong>MJC</strong>, se réclame d'une pratique <strong>de</strong> développement<br />

partenariale, mais chacun entend bien, pour ce qui le concerne, en être le centre. Entre les <strong>de</strong>ux - y<br />

compris d<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle où <strong>de</strong> nombreux maires sont à l'initiative -<br />

cette lutte pour l'occupation du centre est inégale, parce que l'une, la municipalité, a la légitimité du<br />

suffrage universel et détient les moyens financiers, et que l'autre, la <strong>MJC</strong>, y compris sur son terrain<br />

propre, n'a que le poids <strong>de</strong>s usagers qu'elle rassemble et <strong>de</strong>s compétences qu'elle peut faire valoir.<br />

D<strong>ans</strong> cette évolution, les <strong>MJC</strong> ne bénéficient souvent que d'une marge d'initiative limitée, alors que la<br />

souplesse <strong>de</strong> leur gestion associative <strong>de</strong>vrait leur permettre toutes les audaces, et, pour beaucoup<br />

<strong>de</strong> municipalités, elles ne restent souvent qu'un outil plus efficace, quelquefois moins coûteux qu'une<br />

gestion municipale directe, pour conduire <strong>de</strong>s projets fortement imposés par les déci<strong>de</strong>urs locaux.<br />

Dernier élément enfin qui découle du précé<strong>de</strong>nt : les <strong>MJC</strong>, et bien d'autres associations, sont <strong>de</strong><br />

moins en moins subventionnées en vertu d'une mission d'intérêt général qu'on leur reconnaîtrait, et<br />

<strong>de</strong> plus en plus financées pour le traitement, cas par cas, lieu par lieu, <strong>de</strong> problèmes à résoudre ou<br />

pour la satisfaction <strong>de</strong> besoins spécifiques : viabilisation du tissu social, intégration <strong>de</strong> la jeunesse en<br />

difficulté, prévention <strong>de</strong> la délinquance, développement d'activités <strong>de</strong> loisirs et d'opérations<br />

culturelles pour lesquelles elles ont traditionnellement compétence... si bien que, comme nous<br />

l'avons déjà montré, elles sont, d<strong>ans</strong> leur domaine spécifique, <strong>de</strong>s structures privées, quasi-<br />

marchan<strong>de</strong>s, qui auraient <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> clients : les usagers d'une part, et la collectivité publique<br />

d'autre part.<br />

Les responsables <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> perçoivent plus ou moins précisément ce que l'évolution <strong>de</strong>s<br />

financements <strong>de</strong> leurs structures atteste, à savoir qu'à tous les niveaux, national, régional,<br />

départemental et local, les financements sur opérations spécifiques prennent le pas sur les<br />

subventionnements structurels correspondant à une mission globale. A l'assemblée générale<br />

nationale du M<strong>ans</strong>, déjà, certains perçoivent clairement “ces tr<strong>ans</strong>formations qui modifient <strong>de</strong> fond en<br />

comble la relation <strong>de</strong> notre secteur à l'Etat, qui perturbent au plus profond la logique sur laquelle<br />

nous sommes assis <strong>de</strong>puis la création <strong>de</strong> la Fédération” 1 . Quatre <strong>ans</strong> plus tard, on essaie encore <strong>de</strong><br />

prendre la mesure <strong>de</strong> l'évolution et <strong>de</strong> s'interroger sur les attitu<strong>de</strong>s à adopter. On parle <strong>de</strong><br />

1 Patrick Kressmann, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> (Cahiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> n° 30, avril 1987, p. 1).


- 381 -<br />

“recentrage du politique sur le concret... inséparable d'une autre mutation en profon<strong>de</strong>ur : la<br />

décentralisation et la montée en puissance <strong>de</strong>s pouvoirs locaux” 1 . On dit que l'exigence <strong>de</strong> ces<br />

pouvoirs locaux “qui se mesure au dynamisme économique qu'ils impulsent d<strong>ans</strong> leur ville et leur<br />

région, entraîne les <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> une dynamique du développement qu'il convient <strong>de</strong> comprendre et<br />

d'analyser” 2 . Et on finit par poser quelques questions <strong>de</strong> société essentielles :<br />

“La prési<strong>de</strong>ntialisation au sommet, l’émiettement <strong>de</strong>s pouvoirs et leur personnalisation aux<br />

niveaux local et national, l'effacement <strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> médiation traditionnelles (partis,<br />

syndicats, associations), tout cela est-il compatible avec les exigences démocratiques d'un<br />

pays comme le nôtre ?<br />

“L'exaltation du concret, l'obsession <strong>de</strong> “coller” à l'opinion ne risquent-elles pas <strong>de</strong> faire<br />

obstacle à l'élaboration d'un projet à plus long terme, rendu indispensable par la<br />

tr<strong>ans</strong>formation <strong>de</strong> la société française et la nouvelle norme internationale ?<br />

“De <strong>de</strong>ux choses l'une : ou bien, à chacun <strong>de</strong>s niveaux <strong>de</strong> décision, l'on s'en remet aux<br />

détenteurs du pouvoir (le maire, le prési<strong>de</strong>nt) et à leur entourage, en tablant sur leur<br />

professionnalisme, ou bien l'on considère que l'exercice <strong>de</strong> la démocratie implique l'existence<br />

<strong>de</strong> médiations et la multiplication <strong>de</strong>s espaces d'expressions et <strong>de</strong> négociation” 3 .<br />

Ces évolutions vers une sorte <strong>de</strong> management social et culturel local permanent imposent <strong>de</strong>s<br />

attitu<strong>de</strong>s nouvelles aux <strong>MJC</strong> et créent <strong>de</strong>s tensions fortes, notamment au sein <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, tensions<br />

génératrices d'affrontements violents entre ceux qui voient d<strong>ans</strong> ces tr<strong>ans</strong>formations un “challenge” 4<br />

pour une institution qui <strong>de</strong>vra se tr<strong>ans</strong>former, et d'autres qui luttent contre tout “ce qui tend à<br />

défigurer les <strong>MJC</strong>” 5 .<br />

2 - La FF<strong>MJC</strong> à nouveau en crise<br />

Le rejet brutal du plan Kolpak lors <strong>de</strong> l'assemblée générale nationale extraordinaire <strong>de</strong> Marly-le-<br />

Roi (17-18 janvier 1981) avait dévoilé un certain nombre d'enjeux qui agiteront la FF<strong>MJC</strong> à la fin <strong>de</strong>s<br />

années 80 : le pouvoir respectif <strong>de</strong>s échelons, régional et national, la place du personnel d<strong>ans</strong> la<br />

cogestion, la diversification <strong>de</strong>s emplois pédagogiques et <strong>de</strong> direction, et le projet <strong>de</strong> création d'un<br />

corps fédéral d'animateurs. Ce qui est également nouveau d<strong>ans</strong> cet évènement, c'est la modification<br />

<strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s enjeux et <strong>de</strong>s parties en présence, ainsi que le recentrement institutionnel du conflit.<br />

1 Rapport moral et d’orientation pour l’assemblée générale nationale <strong>de</strong> Pont-à-Mousson, 9-10-11<br />

novembre 1991, p. 32.<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.<br />

4 “Il n’est pas exagéré <strong>de</strong> dire, pour parler comme les entrepreneurs, que cette affaire est un<br />

formidable challenge.” (Patrick Kressmann à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong>).<br />

5 Intervention du syndicat CGT <strong>de</strong>s personnels <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong>.


- 382 -<br />

Avant 1981, les conflits successifs, larvés ou virulents, opposent la FF<strong>MJC</strong>, toutes composantes<br />

confondues pourrait-on dire, et l'Etat. A l'assemblée générale <strong>de</strong> Marly le Roi, l'Etat est curieusement<br />

absent <strong>de</strong>s débats, même si, pour la majorité <strong>de</strong>s responsables, il est, par son désengagement<br />

financier, la cause <strong>de</strong> tous les maux. Depuis l'éclatement <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> consécutif au Congrès <strong>de</strong><br />

Sochaux où l'Etat a là un rôle <strong>de</strong> tout premier plan, c'est la première fois que le conflit est<br />

véritablement interne à la FF<strong>MJC</strong>. Il concernait la question <strong>de</strong>s moyens refusés par l'Etat et la non-<br />

reconnaissance par celui-ci <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> la vie fédérative. Maintenant il concerne très précisément<br />

- et c'est pour cela que l'enjeu économique <strong>de</strong>vient interne - le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s seuls revenus<br />

importants et réguliers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> : les taux moyens <strong>de</strong>s directeurs permettant <strong>de</strong> salarier le<br />

personnel fédéral. A partir <strong>de</strong> là, <strong>de</strong>ux attitu<strong>de</strong>s s'opposent à la FF<strong>MJC</strong> : d'abord l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ceux qui<br />

pensent que le mouvement <strong>de</strong> désengagement financier <strong>de</strong> l'Etat central est irréversible, et que si<br />

l'on veut se développer, il faudra gérer au mieux les moyens octroyés par les collectivités locales ;<br />

ensuite l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ceux qui revendiquent pour les <strong>MJC</strong> et la FF<strong>MJC</strong> un statut <strong>de</strong> service public,<br />

fortement financé par l'autorité <strong>de</strong> tutelle. Ainsi, à grands traits, s'opposent <strong>de</strong>ux stratégies : la priorité<br />

à la bonne gestion, à la diversification <strong>de</strong>s financements et <strong>de</strong>s services d'une part ; la nécessité <strong>de</strong><br />

la lutte et le refus <strong>de</strong> gérer la pénurie d'autre part.<br />

Sur ces questions, le rejet clair et net du plan Kolpak - qui ne se réduit pas à cette seule lecture -<br />

et plus tard le retour <strong>de</strong> l'Etat suite au changement politique <strong>de</strong> 1981, semblent avoir fait reculer le<br />

danger <strong>de</strong> conflits internes graves. Mais rapi<strong>de</strong>ment, le nouveau repli financier <strong>de</strong> l'Etat, ses<br />

changements d’attitu<strong>de</strong> vis à vis <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, l'évolution décrite plus haut <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion<br />

nationale et locale, générent à l'intérieur <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> nouvelles tensions. En fait, dès 1985, les<br />

questions à la fois d'i<strong>de</strong>ntité institutionnelle, <strong>de</strong>s valeurs idéologiques et culturelles <strong>de</strong> référence, et<br />

<strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s moyens et <strong>de</strong>s professionnels, traversent la FF<strong>MJC</strong> d'une manière <strong>de</strong><br />

plus en plus aiguë et dévastatrice.<br />

Les bouleversements <strong>de</strong> toute nature - économiques, technologiques, politiques, sociaux et<br />

idéologiques - survenus d<strong>ans</strong> les années 80, conduisent les <strong>MJC</strong> à se poser la question <strong>de</strong> leurs<br />

missions et <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité. Depuis la fin <strong>de</strong> la guerre, il y avait finalement une sorte <strong>de</strong> communauté<br />

sémantique et idéologique entre <strong>de</strong>s objectifs aussi divers que l'éducation populaire, la culture<br />

ouvrière, la démocratisation du savoir et <strong>de</strong> la culture, le développement <strong>de</strong> la démocratie et <strong>de</strong> la<br />

responsabilité, la réduction <strong>de</strong>s inégalités sociales et culturelles, la rencontre, la communication et la<br />

création collective. Mais cette communauté <strong>de</strong> mots, <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong> pratiques éclate lorsque l'on<br />

parle aussi d'efficacité, <strong>de</strong> nouvelle image, <strong>de</strong> management, <strong>de</strong> marketing culturel 1 , <strong>de</strong> sponsoring,<br />

d'évaluation, <strong>de</strong> contrats d'objectifs. L'évolution du fonctionnement et du contenu <strong>de</strong>s journées<br />

1 Les stages nationaux <strong>de</strong> marketing et <strong>de</strong> management se sont particulièrement développés et ont<br />

connu un réel succès à la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les années 80. Le délégué, chargé <strong>de</strong> la formation, <strong>de</strong>vient<br />

aussi délégué chargé <strong>de</strong>s ressources humaines et <strong>de</strong> la gestion prévisionnelle <strong>de</strong>s emplois.


- 383 -<br />

nationales d'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> est très significative <strong>de</strong> cette interrogation i<strong>de</strong>ntitaire et <strong>de</strong>s<br />

métho<strong>de</strong>s choisies pour apporter <strong>de</strong>s réponses : en 1985 aux Karellis, l'organisation est conforme au<br />

modèle <strong>de</strong>s années antérieures (débat ne rassemblant que <strong>de</strong>s personnels sur <strong>de</strong>s questions très<br />

générales : participation, développement, paix) ; en 1988, à Bor<strong>de</strong>aux, on s'interroge sur les valeurs<br />

<strong>de</strong> l'éducation populaire avec l'ai<strong>de</strong> du Groupement Français d'Education Nouvelle ; à partir <strong>de</strong> 1989,<br />

on fait appel à <strong>de</strong>s intervenants extérieurs <strong>de</strong> haut niveau, qui viennent traiter <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s questions<br />

(l'individualisme, l'avenir du politique et <strong>de</strong> la citoyenneté, la place <strong>de</strong> la jeunesse, le racisme, le<br />

développement d'une culture officielle...) 1 .<br />

De plus, l'évolution du contexte socio-culturel conduit les <strong>MJC</strong> à répondre à <strong>de</strong>s besoins<br />

différents, et à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r même à quels besoins précis elles doivent répondre. Les besoins <strong>de</strong><br />

consommation <strong>de</strong> loisirs sont toujours aussi forts, mais on assiste en même temps au reflux <strong>de</strong> ce<br />

qui a fait, d<strong>ans</strong> les années 70, l'originalité et le bouillonnement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> : les mouvements sociaux,<br />

la contre-culture ou le culte du différent, le spectacle vivant ; si bien que brutalement on a tendance à<br />

les renvoyer au silence 2 d'activités régulières, bien organisées mais s<strong>ans</strong> qualités particulières, et<br />

même considérées par certains comme “ringar<strong>de</strong>s”. D<strong>ans</strong> cette situation nouvelle, marquée par la<br />

force du consensus, les <strong>MJC</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ce qu'elles doivent faire, et sur quels nouveaux terrains<br />

elles doivent aller : l'insertion <strong>de</strong>s jeunes ? la gestion <strong>de</strong>s frustations individuelles 3 ? l'action sociale ?<br />

le culturel ? la communication sociale ? “l'anticipation <strong>de</strong>s mutations” 4 ? Elles se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si, après<br />

avoir été <strong>de</strong>s maisons pour tous, elles sont encore <strong>de</strong>s maisons <strong>de</strong> jeunes, comment elles peuvent à<br />

la fois répondre aux attentes <strong>de</strong>s populations insérées et s'adresser aux plus défavorisés, à ceux qui<br />

sont en situation <strong>de</strong> rupture sociale, et finalement si elles doivent être “l'aspirine pour tous les<br />

maux” 5 .<br />

Mais les problèmes <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ne sont pas seulement d'ordre i<strong>de</strong>ntitaire, d<strong>ans</strong> un contexte social<br />

où les questions d'i<strong>de</strong>ntité se posent un peu partout. Passée la pério<strong>de</strong> où l'Etat semble vouloir jouer<br />

1 Sur trois décennies, l’évolution <strong>de</strong> l’organisation <strong>de</strong>s journées nationales d’étu<strong>de</strong> est également très<br />

intéressante : d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong>, ce sont les cadres et responsables nationaux (délégué général,<br />

prési<strong>de</strong>nt) qui font travailler les directeurs sur <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s questions institutionnelles (par exemple la<br />

décentralisation <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>) ; d<strong>ans</strong> les années 70, ce sont les organisations<br />

syndicales, notamment la CGT, qui fixent les programmes et organisent ; à la fin <strong>de</strong>s années 80, le<br />

contenu et l’organisation sont confiés au délégué chargé <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s ressources humaines et<br />

au directeur du développement culturel et <strong>de</strong> la communication.<br />

2 Jacques Bertin va jusqu’à dire : “On ne les entend plus. Je ne comprends pas. Elles dorment ? Je ne<br />

sais pas.” France-Culture, Grand Angle.<br />

3 “Les <strong>MJC</strong> sont aussi lieu <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong>s conflits, <strong>de</strong>s angoisses, <strong>de</strong>s frustrations générées d<strong>ans</strong> les<br />

autres champs sociaux. Si ceci concerne <strong>de</strong>s p<strong>ans</strong> entiers <strong>de</strong> populations marginalisées par la crise,<br />

cela concerne aussi <strong>de</strong>s individus normalement bien insérés d<strong>ans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail.” Rapport moral<br />

pour l’assemblée générale d’Angoulême, p. 5.<br />

4 C’est le slogan <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à l’assemblée générale d’Angoulême (9-10-11 novembre 1985) : “Les <strong>MJC</strong><br />

anticipent les mutations”.<br />

5 Entretien avec Yves Gœury, directeur <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à Aix-en-Provence.


- 384 -<br />

son rôle <strong>de</strong> partenaire, la FF<strong>MJC</strong> entre progressivement d<strong>ans</strong> une crise structurelle qui atteint un<br />

premier paroxysme lors <strong>de</strong> l'assemblée générale du M<strong>ans</strong> (6-7-8 juin 1987). Les moyens financiers<br />

manquent <strong>de</strong> plus en plus à une FF<strong>MJC</strong> qui, <strong>de</strong>puis 1981, a étoffé son dispositif fédéral (services et<br />

délégués régionaux) et son corps professionnel. Les responsables nationaux se succé<strong>de</strong>nt :<br />

François Geoffroy, Patrick Kressmann et Roger Legrand comme prési<strong>de</strong>nts ; Henri Blanc, Michel<br />

Lardreau, Gérard Sanvicens et Jean-Clau<strong>de</strong> Lambert comme délégués généraux.<br />

Avant l'assemblée générale du M<strong>ans</strong>, chacun à la FF<strong>MJC</strong> est assez conscient <strong>de</strong> l'évolution du<br />

contexte <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> l'Institution, à tous les niveaux : désengagement <strong>de</strong> l'Etat qui remet en cause le<br />

rôle <strong>de</strong> service public et <strong>de</strong> mission d'intérêt général que l'Institution revendique et qu'elle est censée<br />

porter, ai<strong>de</strong> quasi-exclusive sur <strong>de</strong>s projets concrets, autant <strong>de</strong> dispositifs renforcés par le<br />

gouvernement <strong>de</strong> cohabitation et par Monsieur Bergelin, qui a en charge la Jeunesse et les Sports.<br />

Mais les solutions choisies divergent. Le Prési<strong>de</strong>nt Patrick Kressmann préconise <strong>de</strong>s mesures<br />

drastiques (une dizaine <strong>de</strong> licenciements, la suppression <strong>de</strong> postes <strong>de</strong> délégués régionaux) et<br />

envisage une restructuration <strong>de</strong> la gestion fédérale du personnel : régionalisation <strong>de</strong> la paie, création<br />

d'un syndicat d'employeur contrôlant les fonds recueillis, abandon <strong>de</strong> fait <strong>de</strong> la cogestion nationale<br />

entre administrateurs bénévoles et représentants du personnel. De nombreux représentants <strong>de</strong><br />

fédérations régionales et <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, et avec eux le syndicat CGT du personnel, accusent les mesures<br />

préconisées “<strong>de</strong> libéralisme avancé en contradiction avec les valeurs qui ont, <strong>de</strong> tout temps, présidé<br />

au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>” 1 , considérent que “le plan Kressmann tend à défigurer les <strong>MJC</strong>” 2 en les<br />

engageant “d<strong>ans</strong> une stratégie d'entreprise privée” 3 .<br />

Le climat <strong>de</strong> cette assemblée générale est particulièrement tendu. Le débat organisé par les<br />

responsables <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et le délégué général du moment, Gérard Sanvicens, en ouverture <strong>de</strong><br />

l'assemblée générale, sur le thème “être jeune et citoyen” est taxé <strong>de</strong> stratégie <strong>de</strong> diversion, et les<br />

intervenants prévus, notamment François Dubet, réagissent sèchement. Les travaux en commission<br />

n'ont pas lieu et les congressistes se réunissent en séance plénière pendant trois jours <strong>de</strong> débats<br />

houleux. Même Pierre Desproges, convié pour une prestation qui se veut <strong>de</strong> détente, ne réussira pas<br />

à améliorer le climat, tout juste à donner le ton par une entrée en scène sur la question : “Y-a-t-il un<br />

cégétiste d<strong>ans</strong> la salle ?”. Le rapport moral est rejeté au troisième tour <strong>de</strong> scrutin, ainsi que le rapport<br />

financier, au premier tour. Le prési<strong>de</strong>nt Kressmann, désavoué, démissionne. Une commission,<br />

organisée autour <strong>de</strong> Roger Legrand, met au point, jusqu'au petit matin, vingt-et-une propositions qui<br />

reprennent les idées majoritairement développées d<strong>ans</strong> la journée du dimanche.<br />

Ces vingt-et-une propositions, votées chacune à une majorité plus ou moins confortable,<br />

1 Intervention d’un participant à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong> (Ouest France du 9 juin 1987).<br />

2 Ibid.<br />

3 Ibid.


- 385 -<br />

définissent <strong>de</strong>s orientations générales et engagent la Fédération sur <strong>de</strong>s choix précis. Après avoir<br />

rappelé un certain nombre <strong>de</strong> principes (l'unité <strong>de</strong> l'Institution autour <strong>de</strong> son projet d'éducation<br />

populaire, la nécessaire présence <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> les grands problèmes <strong>de</strong> société, la cogestion) et,<br />

enfin, <strong>de</strong>s priorités (la jeunesse, la solidarité, la cohérence et la tr<strong>ans</strong>parence institutionnelle, la<br />

creation d'emplois...), la nouvelle équipe propose un certains nombres <strong>de</strong> mesures, dont certaines<br />

s'opposent à celles préconisées par l'équipe démissionnaire : maintien d'une gestion du personnel<br />

d<strong>ans</strong> le cadre <strong>de</strong>s structures existantes (FF<strong>MJC</strong>-CIRP) et rejet <strong>de</strong> la création d'une association<br />

d'employeurs, solidarité inter-régionale pour le financement <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> délégués et maintien au<br />

moins d'un délégué par région, suspension <strong>de</strong>s licenciements déjà engagés, tr<strong>ans</strong>parence <strong>de</strong>s<br />

comptes et établissement d'un plan <strong>de</strong> remboursement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes aux CIRP... On rappelle<br />

également la nécessité <strong>de</strong> la lutte contre le désengagement financier <strong>de</strong> l'Etat. On revendique<br />

l'augmentation du nombre <strong>de</strong> postes FONJEP, la suppression <strong>de</strong> la taxe sur les salaires,<br />

l'exonération <strong>de</strong> la TVA et le subventionnement par les conseils régionaux.<br />

Mais à ce moment-là, même si la démocratie semble avoir une nouvelle fois clairement tranché,<br />

chacun a conscience que <strong>de</strong>s clivages profonds, assez clairement repérables, traversent à nouveau<br />

la FF<strong>MJC</strong> : d'un côté une nouvelle équipe animée par le prési<strong>de</strong>nt Roger Legrand et le délégué<br />

général Jean-Clau<strong>de</strong> Lambert 1 qui a le soutien, critique comme il se doit, du syndicat général FERC-<br />

CGT du personnel ; <strong>de</strong> l'autre côté ceux que certains appelleront “les battus du M<strong>ans</strong>” 2 , soutenus par<br />

certains délégués plus proches <strong>de</strong> la CFDT qui défend un certain nombre <strong>de</strong> leurs positions,<br />

notamment sur la question centrale du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion du personnel fédéral. L'Institution est donc à<br />

nouveau divisée, aussi bien au niveau <strong>de</strong> ses responsables qu'au niveau <strong>de</strong> son personnel. La CGT<br />

elle-même connait <strong>de</strong>s oppositions internes qui conduisent certains directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> à créer un<br />

nouveau syndicat CGT, “accroché” à la branche du spectacle, s<strong>ans</strong> que la confédération n'adopte<br />

une attitu<strong>de</strong> claire et tranchée 3 . Le corps <strong>de</strong>s délégués est également profondément divisé, d'abord<br />

entre “CGTistes” et “CFDTistes”, et ensuite entre ceux qui “s'alignent” sur la nouvelle direction et<br />

ceux qui adoptent <strong>de</strong>s stratégies différentes, voire d'opposition à une FF<strong>MJC</strong> qui cependant les<br />

emploie. Les clivages fédéraux - et c'était déjà perceptible à l'assemblée générale du M<strong>ans</strong> -<br />

prennent <strong>de</strong>s formes territoriales. Certaines régions - d'abord l’Ile-<strong>de</strong>-France, la Bretagne, l’Académie<br />

<strong>de</strong> Grenoble, auxquelles s'ajouteront Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes, les Pays-<strong>de</strong>-Loire et, bien plus tard,<br />

l'Académie <strong>de</strong> Lyon - adopteront <strong>de</strong> plus en plus, avec le temps, une attitu<strong>de</strong> d'opposition à la<br />

nouvelle direction <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, si bien qu'après l'assemblée générale du M<strong>ans</strong> on parle<br />

1 Son intervention à l’assemblée générale du M<strong>ans</strong>, au nom du syndicat CGT <strong>de</strong> l’encadrement, a été<br />

déterminante et l’a, semble-t-il, propulsé à la responsabilité majeure <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>.<br />

2 Expression qui ne laisse pas présager d’une résolution facile du conflit.<br />

3 Selon les statuts <strong>de</strong> la confédération, il ne peut en effet y avoir <strong>de</strong>ux syndicats CGT d<strong>ans</strong> la même<br />

entreprise.


égulièrement <strong>de</strong> danger d'une nouvelle scission.<br />

- 386 -<br />

L'assemblée générale <strong>de</strong> Châlons-sur-Marne (11-12 novembre 1989) se déroule également d<strong>ans</strong><br />

<strong>de</strong>s conditions difficiles. Le rapport moral, présenté par le prési<strong>de</strong>nt Roger Legrand et son équipe,<br />

n’obtient qu'une majorité relative <strong>de</strong>s mandats. Et pourtant, un certain nombre d'accords préalables,<br />

<strong>de</strong> rencontres et <strong>de</strong> travaux, permettent <strong>de</strong> refaire un semblant d'unité autour d'orientations très<br />

majoritairement votées. Un constat d'accord sur l'application <strong>de</strong> la convention collective <strong>de</strong><br />

l'animation socioculturelle a été signé le 5 novembre 1989 entre la FF<strong>MJC</strong> et les organisations<br />

syndicales CGT et CFDT. Les délégués régionaux ont élaboré un projet <strong>de</strong> création d'un conseil<br />

d'employeur et suscité une rencontre <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s régions avant la tenue <strong>de</strong> l'assemblée<br />

générale.<br />

Le projet <strong>de</strong> conseil d'employeur largement accepté par les représentants <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales, semble <strong>de</strong>voir constituer, par <strong>de</strong>là <strong>de</strong>s clivages, une certaine unité<br />

institutionnelle <strong>de</strong> la Fédération et <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong> son personnel. Ce conseil d'employeur est créé au<br />

sein du conseil d'administration national et ne constitue donc pas une instance juridiquement<br />

séparée <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. Il a pour mission “d'étudier et proposer les coûts <strong>de</strong>s postes et en particulier le<br />

taux moyen, d'organiser le mouvement inter-régional <strong>de</strong>s personnels, <strong>de</strong> contrôler l'application <strong>de</strong> la<br />

convention collective et assurer d'éventuelles négociations, <strong>de</strong> gérer le fonds <strong>de</strong> réserve mutualisé,<br />

<strong>de</strong> contrôler la gestion du service inter-régional <strong>de</strong> la paie (SIRP)” 1 . Il est composé <strong>de</strong> représentants<br />

<strong>de</strong>s employeurs (FF<strong>MJC</strong> et FR<strong>MJC</strong>) - chaque employeur disposant d'une voix, et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> 25<br />

salariés d'une voix supplémentaire par tranche <strong>de</strong> 25 salariés - et <strong>de</strong> représentant <strong>de</strong>s personnels<br />

selon la représentativité en cours au conseil d'administration fédéral. Ce conseil d'employeurs élit un<br />

bureau <strong>de</strong> six membres, composé à moitié d'élus et <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong>s personnels. Les décisions<br />

doivent être prises à la majorité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong>s membres présents ou représentés, et si<br />

au moins 50% <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong>s membres le déci<strong>de</strong>nt, appel <strong>de</strong>s décisions du conseil d'employeur peut<br />

être fait auprès du conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>. En cas d'arbitrage <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, la décision<br />

prise s'impose <strong>de</strong> droit à toute l'Institution. Le Centre Inter-Régional <strong>de</strong> la Paie est dissout en tant<br />

qu'association, et remplacé par un outil technique <strong>de</strong>s employeurs, le Service Inter-Régional <strong>de</strong> Paie<br />

dont le fonctionnement est assuré par un chef <strong>de</strong> service, et placé sous la responsabilité du délégué<br />

général, exécutif du conseil d'employeur.<br />

Prenant appui sur les orientations très majoritairement votées lors <strong>de</strong> l'assemblée générale du<br />

Châlons-sur-Marne, la FF<strong>MJC</strong> se met au travail. Des groupes <strong>de</strong> délégués régionaux se penchent<br />

sur les questions essentielles : finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, nouveaux professionnels, situation<br />

financière et apurement <strong>de</strong>s comptes du CIRP, échanges internationaux, formation <strong>de</strong>s bénévoles.<br />

Des propositions concrètes émergent ; <strong>de</strong>s documents sont communiqués aux instances nationales ;<br />

1 Annexe I au rapport d’orientation pour l’assemblée générale <strong>de</strong> Châlons-sur-Marne.


- 387 -<br />

<strong>de</strong>s décisions sont prises. Un plan d'apurement <strong>de</strong>s comptes du CIRP est adopté, et grâce à une<br />

remise par l'Etat d'une partie importante <strong>de</strong> la taxe sur les salaires 1 , les fédérations régionales<br />

s'acquittent <strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>ttes.<br />

Mais cet équilibre fragile ne résiste pas aux divisions et aux tensions. Le plan d'apurement <strong>de</strong>s<br />

comptes <strong>de</strong> l'ancien CIRP ne peut être conduit à son terme, cinq fédérations régionales décidant <strong>de</strong><br />

retenir 16% <strong>de</strong>s sommes dues. Les <strong>de</strong>ux journées <strong>de</strong> grève et <strong>de</strong> mobilisation du personnel, réuni à<br />

Port-Barcarès en juin 1990, obligent le conseil d'administration national, à adopter, contre l'avis <strong>de</strong>s<br />

mêmes fédérations régionales, les dispositions d'application <strong>de</strong> la convention collective prévues par<br />

le constat d'accord <strong>de</strong> novembre 1989. Les fédérations régionales d'Ile <strong>de</strong> France, <strong>de</strong> Grenoble, <strong>de</strong><br />

Lyon, <strong>de</strong> Champagne-Ar<strong>de</strong>nnes et <strong>de</strong> Bretagne retiennent à nouveau <strong>de</strong>s fonds, puis déci<strong>de</strong>nt, à<br />

partir d’avril 1990, <strong>de</strong> gérer leur personnel s<strong>ans</strong> passer par le SIRP. Leurs délégués sont<br />

momentanément relevés <strong>de</strong> leurs fonctions, et un procès visant à recouvrer les fonds retenus, est<br />

engagé par la FF<strong>MJC</strong>.<br />

A l'automne 1991, le ministre <strong>de</strong> la Jeunesse et <strong>de</strong>s Sports, alerté par la direction <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>,<br />

déci<strong>de</strong> d'y voir clair d<strong>ans</strong> l'évolution d'une situation qui pourrait aboutir à un nouvel éclatement <strong>de</strong><br />

l'Institution. L'inspecteur général Barillon a mission ministérielle d'organiser <strong>de</strong>s rencontres entre les<br />

différentes parties. A cette occasion, les positions <strong>de</strong>s cinq fédérations régionales, organisées d<strong>ans</strong><br />

une structure nouvelle, “l’AREGES” 2 se précisent :<br />

“- gestion décentralisée, saine, en libérant la Fédération Française <strong>de</strong>s contraintes d'une<br />

gestion financière centralisée...<br />

“- diversification <strong>de</strong> l'offre <strong>de</strong> fonctions professionnelles pour conduire différentes actions <strong>de</strong><br />

développement...<br />

“- création d'un syndicat d'employeurs [qui a, entre autres, mission] d'harmoniser les positions<br />

<strong>de</strong>s employeurs en matière <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s personnels, pour maintenir une cohésion sociale<br />

sur l'ensemble du territoire sur mandats <strong>de</strong> ses adhérents. Il négocie et conclut les accords<br />

nationaux avec les organisations syndicales” 3 .<br />

En fait, ce sont la diversification <strong>de</strong>s emplois et <strong>de</strong>s grilles <strong>de</strong> salaire, ainsi que la cogestion<br />

nationale du personnel avec ses propres représentants, qui sont en jeu. D<strong>ans</strong> un souci d'apaisement<br />

1 Décision du ministre du budget, qui motive la communication du conseil d’administration <strong>de</strong> l’UNIREG<br />

du 13 avril 1991 : “Parfois nous nous <strong>de</strong>mandons si la considération <strong>de</strong>s pouvoirs publics est à la<br />

hauteur <strong>de</strong>s services que nous rendons à la société ! Prend-on vraiment en compte notre gestion<br />

saine et rigoureuse ? Nous serions tentés <strong>de</strong> répondre par la négative quand nous apprenons que le<br />

Ministère du budget aurait consenti <strong>de</strong>s annulations <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes (auprès du Trésor Public, concernant<br />

la taxe sur les salaires) à une fédération d’éducation populaire parmi d’autres... pour 14 millions <strong>de</strong><br />

francs. Faut-il donc cumuler les défaillances <strong>de</strong> gestion (structurelles et non passagères) pour être<br />

entendus ? Curieuse conception <strong>de</strong> l’éducation civique économique !”<br />

2 Association <strong>de</strong> Recherche, d’Étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> GEstion Sociale du champ socio-culturel et <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>.<br />

3 Positions retenues par le conseil d’administration <strong>de</strong> la FR<strong>MJC</strong> Ile-<strong>de</strong>-France en vue <strong>de</strong> l’assemblée<br />

générale <strong>de</strong> Pont-à-Mousson, octobre 1991 (ronéo, 9 pages)


- 388 -<br />

jugé nécessaire à la tenue <strong>de</strong> l'assemblée générale nationale, la direction <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

levée <strong>de</strong>s mesures prises à l'encontre <strong>de</strong>s cinq régions : arrêt <strong>de</strong>s procédures judiciaires, remise à<br />

disposition <strong>de</strong>s délégués régionaux. L'assemblée générale <strong>de</strong> Pont-à-Mousson (9-10-11 novembre<br />

1991) se déroule cependant d<strong>ans</strong> un certain climat <strong>de</strong> tension. Après une courte bataille <strong>de</strong><br />

procédure portant sur la validation d'un certain nombre <strong>de</strong> mandats, le débat peut s'engager. La<br />

direction <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> rend compte <strong>de</strong> l'action conduite <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong>, ainsi que <strong>de</strong>s principes qui<br />

ont guidé cette action. D<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s interventions virulentes, les organisations syndicales défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />

positions très opposées. La CGT, notamment, stigmatise les stratégies d’“étouffement”, <strong>de</strong> “division”,<br />

d’“attaque contre la profession et la cogestion” <strong>de</strong> l'AREGES, l'accusant <strong>de</strong> découvrir “les métho<strong>de</strong>s<br />

d'encadrement <strong>de</strong> la jeunesse utilisées en France sous d'autres temps” 1 . Les représentants <strong>de</strong>s<br />

fédérations régionales regroupées d<strong>ans</strong> l'AREGES remettent en cause le bilan <strong>de</strong> la direction<br />

fédérale, s<strong>ans</strong> pour autant défendre un projet nouveau et contradictoire. Des voix contestant<br />

clairement les stratégies <strong>de</strong> ces fédérations régionales se font entendre, notamment <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />

<strong>MJC</strong> <strong>de</strong> la région Ile-<strong>de</strong>-France. On croit même à la rupture lorsque, le troisième jour, un nombre<br />

important <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong>s cinq régions quitte la salle, suite à une intervention du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

séance, Régis Gonthier, qui, s'appuyant sur le réglement intérieur <strong>de</strong> l'assemblée générale, précise<br />

que la synthèse <strong>de</strong> la table ron<strong>de</strong> signée par les prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s seize régions ne peut être proposée<br />

au vote comme motion d'orientation.<br />

Les votes apportent, semble-t-il, un peu <strong>de</strong> clarté à une situation faite d'oppositions entre<br />

fédérations régionales, entre syndicats et entre <strong>MJC</strong>. La direction <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> se retrouve même<br />

d<strong>ans</strong> une position plus confortable qu'à Châlons-sur-Marne, <strong>de</strong>ux <strong>ans</strong> auparavant. Le rapport moral<br />

obtient 59,64% <strong>de</strong>s suffrages et le rapport financier 58,21%. Le rapport d'orientation et les différentes<br />

motions, y compris celle qui rappelle le nécessaire respect <strong>de</strong>s règles majoritaires, sont votés à la<br />

quasi-unanimité. Les nouveaux membres élus du conseil d'administration national viennent quasi<br />

exclusivement <strong>de</strong>s onze régions “fidèles” à la FF<strong>MJC</strong>.<br />

Malgré les oppositions violentes, une volonté d'unité fédérale nationale se manifeste. A l'initiative<br />

d'un jeune responsable <strong>de</strong> la Fédération Poitou-Charentes, une table ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> représentants <strong>de</strong>s 16<br />

régions se réunit le 10 novembre. On aboutit à une synthèse commune, qui est signée par les<br />

prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s 16 régions, synthèse d<strong>ans</strong> laquelle tous “confirment leur attachement à la cohésion<br />

<strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et leur résolution <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement acceptables par tous” 2 . Il est<br />

<strong>de</strong>mandé au futur conseil d'administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> “<strong>de</strong> convoquer avant le 15 juin <strong>de</strong>s Etats<br />

généraux qui <strong>de</strong>vront traiter les points suivants : les nouveaux professionnels, l'organisation <strong>de</strong>s<br />

structures, le rôle <strong>de</strong> chacun d<strong>ans</strong> la cogestion” 3 . Il est également <strong>de</strong>mandé à chaque fédération<br />

1 Intervention en séance plénière le 9/11/91.<br />

2 Rapport assemblée générale <strong>de</strong> Pont-à-Mousson (Synthèse <strong>de</strong> la table ron<strong>de</strong> du 10/11/91).<br />

3 Ibid.


- 389 -<br />

régionale <strong>de</strong> prendre contact avec les services financiers <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> pour “arriver à un accord sur<br />

les <strong>de</strong>ttes et créances [et <strong>de</strong>] recourir à un arbitrage extérieur si cet accord ne peut se faire<br />

spontanément” 1 .<br />

Cette synthèse, largement approuvée par l'assemblée générale nationale, n'est pas suivie, c'est<br />

le moins que l'on puisse dire, <strong>de</strong>s effets attendus. Les cinq régions regroupées d<strong>ans</strong> l'AREGES ne<br />

répon<strong>de</strong>nt pas à l'injonction <strong>de</strong> remboursement au CIRP <strong>de</strong>s sommes retenues ; elles dénoncent la<br />

convention collective <strong>de</strong> 1972, modifiée en 1991, qui les lie à leurs personnels, et créent un syndicat<br />

d'employeurs. La direction <strong>de</strong> la Fédération Française déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> remettre en route un processus<br />

judiciaire visant au recouvrement <strong>de</strong>s fonds retenus. Malgré la volonté <strong>de</strong> certains d'aboutir à une<br />

désaffiliation pure et simple <strong>de</strong>s cinq régions, c'est, momentanément du moins, la volonté <strong>de</strong> séparer<br />

la logique économique, <strong>de</strong> la logique institutionnelle qui prévaut : fermeté sur le retour <strong>de</strong>s fonds<br />

retenus au SIRP, et en même temps maintien d'un vie fédérative entre l'ensemble <strong>de</strong>s régions et <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>. Tout se passe comme si l'on prenait enfin conscience que les orientations culturelles et<br />

pédagogiques pouvaient se satisfaire d'un vote majoritaire, mais que la cohérence économique et <strong>de</strong><br />

gestion du personnel exigeait un accord négocié entre les différents partenaires 2 .<br />

3 - Mo<strong>de</strong>rnité et mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

Malgré et peut-être à cause <strong>de</strong> tous les aléas d'une société française en pleine tr<strong>ans</strong>formation, et,<br />

pour la FF<strong>MJC</strong>, en dépit <strong>de</strong> sa crise interne, les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la Culture évoluent d'une<br />

manière significative, notamment après 1985. Leur implantation numérique est stagnante, mais en<br />

même temps leur influence culturelle et sociale progresse et se tr<strong>ans</strong>forme, s<strong>ans</strong> que pour autant se<br />

<strong>de</strong>ssine clairement un nouvel avenir. Pragmatisme, incertitu<strong>de</strong>, telle est aujourd'hui la situation <strong>de</strong>s<br />

<strong>MJC</strong>, qui ne peuvent plus se considérer comme protégées par les pouvoirs publics, ni du reste<br />

portées par un mouvement <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Les conséquences sociales 3 <strong>de</strong>s mutations socio-économiques donnent cependant aux <strong>MJC</strong>,<br />

plus qu'aux autres institutions intervenant d<strong>ans</strong> le même secteur, un regain d'actualité et <strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rnité. La citoyenneté se porte mal ; les écarts culturels grandissent ; le sens est en crise, mais<br />

en même temps <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s nouvelles se font jour : autant <strong>de</strong> faits <strong>de</strong> société qui déterminent un<br />

intérêt pour <strong>de</strong>s structures localement implantées, ouvertes, capables d'initiatives, et que l'on appelle<br />

souvent à la rescousse.<br />

1 Ibid.<br />

2 Il s’agirait là d’une attitu<strong>de</strong> nouvelle, difficile à imposer d<strong>ans</strong> une institution où, selon l’expression <strong>de</strong><br />

Gérard Kolpak, “on ne saurait pas négocier, mais uniquement se battre”. (Intervention d<strong>ans</strong> une<br />

journée professionnelle <strong>de</strong>s délégués régionaux).<br />

3 En particulier ce que Pierre Bourdieu appelle “la souffrance sociale”. Actes <strong>de</strong> la recherche en<br />

sciences sociales n° 90, décembre 1991.


- 390 -<br />

S<strong>ans</strong> décrire aujourd'hui rigoureusement cette nouvelle pertinence <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> ou <strong>de</strong>s institutions<br />

qui leurs sont proches et fonctionnent selon un projet comparable, on peut cependant relever<br />

quelques indices significatifs <strong>de</strong> cette mo<strong>de</strong>rnité. Les ministères divers, Jeunesse et Sports, Culture,<br />

Ville notamment, s'intéressent <strong>de</strong> plus en plus à ce réseau <strong>de</strong> structures pour mettre en oeuvre <strong>de</strong>s<br />

politiques <strong>de</strong> la jeunesse, <strong>de</strong> la culture et du développement urbain. Le “petit gui<strong>de</strong> [luxueux] pour la<br />

découverte <strong>de</strong> nouvelles aventures culturelles en milieu urbain” 1 fait largement état <strong>de</strong>s actions<br />

culturelles innovantes conduites par <strong>de</strong>s jeunes créateurs et réalisées par <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>. Le Mon<strong>de</strong> du 19<br />

décembre 1991, d<strong>ans</strong> une enquête “Culture en banlieue”, fait une large place au rôle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong><br />

leurs professionnels d<strong>ans</strong> les opérations d'intégration <strong>de</strong> la jeunesse par la culture, la création et la<br />

formation. Une recherche importante, financée par trois ministères (Jeunesse et Sports, Culture et<br />

Ville), vise à évaluer la capacité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> affiliées à la FF<strong>MJC</strong> à répondre aux problèmes socio-<br />

culturels du moment : insertion et citoyenneté <strong>de</strong>s jeunes, création et diffusion culturelle, solidarité et<br />

intégration urbaines 2 .<br />

Cette actualité et cette mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> s'explique plus par leur mo<strong>de</strong>rnisation que par une<br />

image héritée <strong>de</strong> leur histoire, dont on a tendance à ne retenir que le négatif : consommation <strong>de</strong>s<br />

activités <strong>de</strong> loisirs, bricolage culturel, engagements post-soixante-huitards, considérés aujourd'hui<br />

comme “ringards”. La mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, notamment à la FF<strong>MJC</strong>, est bien réelle, et même<br />

d<strong>ans</strong> certains cas, spectaculaire. D'abord d<strong>ans</strong> le discours : on n’a abandonné ni le concept, ni le<br />

projet d'éducation populaire 3 , mais on a essayé <strong>de</strong> lui donner un autre contenu, en prenant <strong>de</strong>s<br />

distances avec les pratiques d'animation socio-culturelle, dont les <strong>MJC</strong> ne se sont pourtant jamais<br />

vraiment réclamé, mais dont elles ont été considérées comme les initiatrices. Depuis le milieu <strong>de</strong>s<br />

années 80, le concept <strong>de</strong> création, d<strong>ans</strong> un triple sens - artistique, organisationnel et institutionnel,<br />

production <strong>de</strong> sens - marque <strong>de</strong> plus en plus les discours et les pratiques <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture qui interviennent d<strong>ans</strong> un secteur large, allant <strong>de</strong> l'action sociale à l'action culturelle.<br />

Ainsi l'action artistique apparait-elle d<strong>ans</strong> les <strong>MJC</strong> comme un moyen <strong>de</strong> développement social, <strong>de</strong><br />

prévention générale, et même <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong>s handicaps sociaux graves. Cette sorte <strong>de</strong> “social-<br />

culturel” 4 qui entend dépasser le socio-culturel, pose la démarche éducative et culturelle en terme <strong>de</strong><br />

constitution <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité par l'initiative et l'oeuvre reconnues. Cette sorte <strong>de</strong> salut par les oeuvres<br />

artistiques ou sociales gui<strong>de</strong>, semble-t-il, une démarche d'éducation populaire rénovée, qui tente<br />

1 Quartiers Lumières, édité par la Préfecture <strong>de</strong> la Région Rhône-Alpes et la Direction <strong>de</strong>s Affaires<br />

Culturelles Rhône-Alpes (1991).<br />

2 Un comité <strong>de</strong> pilotage <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> a été constitué à la FF<strong>MJC</strong> et rassemble, entre autres, <strong>de</strong>s<br />

chercheurs tels que M. Wieworka, J. Donzelot, P. Urfalino, A. Girard, F. Tétard, J. Ion.<br />

3 D’autant qu’au même moment, les ministres successifs, M. Bambuck puis Mme Bredin, ont insisté sur<br />

l’initiative et la citoyenneté <strong>de</strong>s jeunes.<br />

4 Concept que nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce en 1985 (“Vers un social-culturel ?).


- 391 -<br />

d'articuler <strong>de</strong> plus en plus formation, création et diffusion. Elle réalise, ou du moins tente <strong>de</strong> réaliser,<br />

un dépassement pratique et pas seulement théorique, <strong>de</strong> l'opposition culture cultivée et cultures<br />

populaires. On pense que ce dépassement aura un effet social positif : insertion, reconnaissance<br />

sociale, lutte contre le racisme et l’exclusion, réduction <strong>de</strong>s inégalités, développement <strong>de</strong> la<br />

citoyenneté. C'est ce qui ressort <strong>de</strong> ce texte :<br />

“La condition <strong>de</strong> base du traitement <strong>de</strong> la précarité et <strong>de</strong> la désocialisation qui touchent tous<br />

les jeunes et en priorité les plus défavorisés, c'est la constitution d'une i<strong>de</strong>ntité et d'une<br />

reconnaissance individuelle et collective positives. Nous touchons là la fonction première et<br />

fondamentale d'une éducation populaire rénovée qui passe, nous semble-t-il, par la création, à<br />

condition qu'on lui donne un sens et une mission bien précis.<br />

“Cette forme <strong>de</strong> création se caractérise par une démarche d'appropriation <strong>de</strong> l'espace, <strong>de</strong> la<br />

communication et <strong>de</strong> réseaux sociaux, appropriation économique aussi : “être pro”, se<br />

produire, se vendre. Elle se caractérise également par la volonté <strong>de</strong> constituer un capital<br />

culturel et social autonome, reconnu comme tel et qui ne se mesure pas seulement à l’aune<br />

<strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s sociaux et culturels dominants” 1 .<br />

De plus, les grands enjeux socio-culturels <strong>de</strong>s années 70, qui constituent encore un pan<br />

historique important <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, se sont quelque peu estompés, pour laisser, au moins<br />

momentanément, place à un enjeu à la fois immédiat, d'apparence plus simple, mais ô combien plus<br />

lourd : la création d'un lien social entre <strong>de</strong>s hommes, que d<strong>ans</strong> certains cas, tout sépare, le niveau<br />

<strong>de</strong> vie, l'espace d'habitation, l'âge, la culture. L'ambivalence formulée par Pierre Gaudibert<br />

“Intégration et/ou subversion” 2 , qui marque la FF<strong>MJC</strong> combative <strong>de</strong>s années 70, a progressivement<br />

fait place à une nouvelle alternative -intégration ou exclusion - d<strong>ans</strong> laquelle intégration prend un<br />

autre sens, et pour laquelle les <strong>MJC</strong> n'ont d'autre choix que les principes et les métho<strong>de</strong>s. C'est,<br />

semble-t-il, aujourd'hui, sur ces métho<strong>de</strong>s et sur leur expérimentation que les <strong>MJC</strong> font preuve <strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rnité. Il serait instructif, mais long, <strong>de</strong> faire état <strong>de</strong>s expériences que nous avons évoquées plus<br />

haut et qui relèveraient d'analyse <strong>de</strong> cas. Citons simplement les opérations “artistes en rési<strong>de</strong>nce” ou<br />

les actions, type Armand Gatti à Avignon, l'implantation <strong>de</strong> théâtres d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s quartiers en<br />

réhabilitation, les tremplins culturels, la gestion <strong>de</strong> centres <strong>de</strong> culture artistique et technique, type<br />

Astrolabe à Angoulême 3 , la mise en route <strong>de</strong> café-musique ou <strong>de</strong> café-théâtre, la réhabilitation <strong>de</strong><br />

salles <strong>de</strong> cinéma abandonnées, ou encore le développement inter-culturel par l'international,<br />

l'alphabétisation par l'informatique, la vidéo ou le cinéma.<br />

Les <strong>MJC</strong> n'abandonnent pas pour autant ce qui fait généralement leur implantation, leur base<br />

1 Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations (Réflexions et propositions présentées et<br />

mises en débat au conseil d’administration <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> du 30/09/90), p. 10.<br />

2 Op. cit.<br />

3 Voir Propos-cité, Ministère <strong>de</strong> la Culture et <strong>de</strong> la Communication, juin 1991.


- 392 -<br />

sociale et leur outil premier <strong>de</strong> contact et <strong>de</strong> socialisation : les activités culturelles et <strong>de</strong> loisir <strong>de</strong> toute<br />

nature. Elles essaient à la fois d'être <strong>de</strong>s laboratoires où l'on expérimente, dotés <strong>de</strong>s moyens plus ou<br />

moins importants, et <strong>de</strong>s lieux où l'on consomme, parce qu'elles pensent que le loisir n'est pas<br />

encore un droit égal pour tous, et que d<strong>ans</strong> la consommation se jouent <strong>de</strong>s choses peu<br />

spectaculaires mais essentielles : la communication sociale, le développement d'aptitu<strong>de</strong>s<br />

individuelles, l'affirmation <strong>de</strong> la personnalité, la participation à la vie collective.<br />

Mais la mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, c'est ausi leur mo<strong>de</strong>rnisation en matière <strong>de</strong> gestion, <strong>de</strong><br />

communication, <strong>de</strong> formation et <strong>de</strong> compréhension d'elles-mêmes et <strong>de</strong> leur environnement. Ces<br />

institutions qui, encore au début <strong>de</strong>s années 80, géraient leurs budgets et leurs personnels <strong>de</strong><br />

manière très artisanale, ont adopté rapi<strong>de</strong>ment l'informatique, le traitement <strong>de</strong> texte, la télécopie et<br />

souvent la reprographie haut <strong>de</strong> gamme qui, d<strong>ans</strong> <strong>de</strong> nombreux cas, leur donnent une image s<strong>ans</strong><br />

doute plus proche <strong>de</strong> la petite entreprise que du service public.<br />

La communication a fait également un progrès remarquable, même si <strong>de</strong>s écarts considérables<br />

existent entre les <strong>MJC</strong> importantes et les petites structures, le mon<strong>de</strong> rural et le mon<strong>de</strong> urbain.<br />

Communication interne d'abord : les réseaux inter-fédéraux et inter-<strong>MJC</strong> fleurissent (Rock, jazz,<br />

cinéma, théâtre, d<strong>ans</strong>e), notamment à la FF<strong>MJC</strong> qui, malgré les difficultés, s'est attaché les<br />

compétences d'un directeur, chef du service culturel et <strong>de</strong> la communication, véritable artisan d'une<br />

vie fédérative, bien utile d<strong>ans</strong> le contexte <strong>de</strong> crise que traverse cette institution. Communication<br />

externe ensuite : plaquettes, documents, publications, nouveaux logos qui donnent une image<br />

rénovée <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, le choix consistant, pour la FF<strong>MJC</strong>, à abandonner les sigles (<strong>MJC</strong>, FF<strong>MJC</strong>,<br />

FR<strong>MJC</strong>) pour se réapproprier le sens en déclinant clairement les concepts : Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et<br />

<strong>de</strong> la Culture.<br />

La formation, notamment <strong>de</strong>s cadres, a, par exemple, à la FF<strong>MJC</strong>, emprunté <strong>de</strong>s voies nouvelles.<br />

Tout en restant fidèle à une formation initiale interne du personnel, le département formation et<br />

gestion <strong>de</strong>s ressoirces humaines a mis en place un dispositif <strong>de</strong> longue durée (<strong>de</strong>ux <strong>ans</strong>), financé<br />

par l'Etat, et conduit avec l'Université. Les futurs “directeurs <strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, chefs <strong>de</strong> projet <strong>de</strong><br />

développement culturel et social” 1 sont en même temps à disposition d'un organisme (<strong>MJC</strong>,<br />

collectivité locale, structure en préfiguration) où ils accomplissent une expérience pratique, ce qui<br />

permet, d<strong>ans</strong> 70% <strong>de</strong>s cas, <strong>de</strong> créer un nouveau poste <strong>de</strong> travail. De son côté l'UNIREG a<br />

réorganisé son Institut <strong>de</strong> Formation à l'Animation où sont accueillis quelque 120 stagiaires par an<br />

(du niveau V au niveau II), inscrits d<strong>ans</strong> la filière animation telle qu'elle est préconisée par le nouveau<br />

schéma directeur <strong>de</strong>s formations Jeunesse et Sports.<br />

La formation permanente, la gestion <strong>de</strong>s ressources humaines, et la gestion prévisionnelle <strong>de</strong>s<br />

1 Avec une connotation totalement différente <strong>de</strong> celle qu’il avait à la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Vichy, le terme <strong>de</strong><br />

“chef” revient, même si on y ajoute “professionnel du développement social et culturel et <strong>de</strong> la<br />

citoyenneté locale” (pochette <strong>de</strong> présentation du Centre <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s directeurs FF<strong>MJC</strong> à<br />

Rennes).


- 393 -<br />

emplois, déjà préfigurées, prennent à la FF<strong>MJC</strong> <strong>de</strong>s formes nouvelles et diversifiées : journées<br />

nationales d'étu<strong>de</strong>s thématiques avec intervenants extérieurs <strong>de</strong> haut niveau, bil<strong>ans</strong> professionnels,<br />

stages nationaux, étu<strong>de</strong>s sur l'évolution <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> travail et sur la définition <strong>de</strong>s nouvelles<br />

compétences. L'analyse stratégique, le marketing, le management, l’audit, la recherche, ont fait<br />

rapi<strong>de</strong>ment irruption d<strong>ans</strong> <strong>de</strong>s institutions qui, il n'y a pas si longtemps, s'appuyaient surtout sur la<br />

motivation <strong>de</strong>s acteurs, le discours humaniste ou idéologique. On a voulu d'abord évaluer le poids<br />

économique et l'impact <strong>de</strong>s fédérations 1 . Maintenant, on fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s prospectives au niveau<br />

fédéral, mais aussi quelquefois au niveau local, certaines <strong>MJC</strong> importantes consacrant <strong>de</strong>s sommes<br />

non négligeables au diagnostic et à la recherche. En effet, la mise en place <strong>de</strong> dispositifs locaux<br />

complexes - le développement social urbain, par exemple - conduisent les <strong>MJC</strong> a adopter <strong>de</strong>s<br />

démarches que l'on pourrait appeler <strong>de</strong> management social et culturel qui rompent assez souvent<br />

avec la simple affirmation d'un projet et la revendication martelée <strong>de</strong> moyens. Désormais, on<br />

diagnostique, on propose, on négocie, on conventionne, on gère et on évalue.<br />

Cependant les <strong>MJC</strong>, comme du reste <strong>de</strong> nombreuses organisations associatives d'intérêt<br />

général, souffrent aujourd'hui <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux difficultés majeures, qui peuvent peut-être expliquer le choix<br />

d'une certaine mo<strong>de</strong>rnité leur permettant <strong>de</strong> garantir les acquis, <strong>de</strong> solliciter les partenaires publics et<br />

<strong>de</strong> se maintenir d<strong>ans</strong> une concurrence <strong>de</strong>venue farouche, y compris d<strong>ans</strong> leur secteur. La première<br />

difficulté tient à un manque d'i<strong>de</strong>ntité clairement repérable d<strong>ans</strong> leur manière <strong>de</strong> conduire un projet<br />

culturel et d'éducation populaire. Le concept <strong>de</strong> citoyenneté, vidé <strong>de</strong> son ancien contenu, n'a pas<br />

encore retrouvé d<strong>ans</strong> ces structures <strong>de</strong> formation démocratique <strong>de</strong> configuration nouvelle, ni a fortiori<br />

<strong>de</strong> pratiques originales permettant <strong>de</strong> le promouvoir. D<strong>ans</strong> les années 70, il signifiait, à la FF<strong>MJC</strong> du<br />

moins, décision collective, engagement, prise <strong>de</strong> parole, revendication... Aujourd'hui, malgré sa<br />

volonté <strong>de</strong> réactualisation historique à l'occasion du bicentenaire <strong>de</strong> la Révolution Française, la<br />

citoyenneté toujours rappelée comme objectif et comme pratique d<strong>ans</strong> un discours très incantatoire,<br />

se définit et s'expérimente surtout par ce qui lui est périphérique : l'i<strong>de</strong>ntité, la solidarité, l'initiative, la<br />

création, l'insertion, l'expression... C'est ce que la FF<strong>MJC</strong> appelle “le déficit démocratique” 2 et<br />

l'UNIREG “le déficit idéologique” 3 . A la FF<strong>MJC</strong>, on tente bien <strong>de</strong> remplir ce vi<strong>de</strong>, tant au niveau<br />

pratique qu'au niveau théorique. Les journées nationales d'étu<strong>de</strong> y sont largement consacrées,<br />

<strong>de</strong>puis 1984 notamment ; les colloques se multiplient et concernent souvent la citoyenneté <strong>de</strong>s<br />

1 Voir les <strong>de</strong>ux étu<strong>de</strong>s auxquelles nous nous sommes souvent référé : Les <strong>MJC</strong> aujourd’hui - Réalités et<br />

impact, et Faits, chiffres et images d’associations.<br />

2 Actes <strong>de</strong>s Journées Nationales d’Étu<strong>de</strong> 1990-91, édition FF<strong>MJC</strong>, octobre 1991, d<strong>ans</strong> lesquels <strong>de</strong><br />

nombreux intellectuels sont mis à contribution, dont Pierre-André Taguieff, Toni Negri, Jean-Paul<br />

Thomas, Jean-Paul Curnier, Louis Sala-Molins, Daniel Bensaï d, Régis Debray, etc... Les actes <strong>de</strong> ces<br />

journées sont rassemblés d<strong>ans</strong> une publication dont le titre, “Le déficit démocratique”, est<br />

l’association, bien significative <strong>de</strong>s temps, d’un concept économique et d’un concept politique.<br />

3 Entretien avec J.-P. Sirérols, délégué général <strong>de</strong> l’UNIREG.


- 394 -<br />

jeunes. Pour relier démocratiquement les usagers et les instances <strong>de</strong> décision, on a imaginé la mise<br />

en place <strong>de</strong> “conseils d'initiative et <strong>de</strong> création” 1 et on voit renaitre, ça et là, <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> conseils <strong>de</strong><br />

maison. Certaines <strong>MJC</strong> ont fait le choix <strong>de</strong> susciter la création d'associations <strong>de</strong> jeunes, à l'extérieur<br />

ou même en leur sein. Tâtonnements, expériences, renoncement quelquefois ; on est très loin <strong>de</strong>s<br />

certitu<strong>de</strong>s pédagogiques <strong>de</strong>s années 50 et <strong>60</strong> et <strong>de</strong> l'engagement combatif <strong>de</strong>s années 70.<br />

Autre difficulté : le manque <strong>de</strong> moyens permettant <strong>de</strong> développer une vie fédérative, pourtant<br />

indispensable à la communication <strong>de</strong>s expériences, au tr<strong>ans</strong>fert <strong>de</strong>s compétences et à la constitution<br />

d'une i<strong>de</strong>ntité institutionnelle. De l'aveu <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, l'Etat central n'a cessé <strong>de</strong> se désengager -<br />

financièrement s'entend, car par ailleurs il sollicite les structures <strong>de</strong> terrain pour appliquer une<br />

politique <strong>de</strong> gestion sociale <strong>de</strong> la crise 2 - et les collectivités territoriales ont pris rarement le relais.<br />

Les conseils régionaux rechignent à financer <strong>de</strong>s fédérations régionales et préférent soutenir, cas<br />

par cas, <strong>de</strong>s actions localisées, ou <strong>de</strong>s structures directement liées à leurs services, et qu'ils<br />

contrôlent. Un seul exemple : la Fédération méditerranéenne <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, qui regroupe plus <strong>de</strong> 80<br />

structures, n'a, <strong>de</strong>puis 1986, aucun financement du conseil régional, y compris sur les projets<br />

concrets qu'elle lui a soumis, si bien que ses forces d'intervention se limitent à un délégué régional et<br />

à une secrétaire à 4/5 e <strong>de</strong> temps, pour un espace qui va <strong>de</strong> Béziers à Briançon et à Bastia. Sa<br />

situation financière est <strong>de</strong>s plus difficiles et en permanence à la limite <strong>de</strong> la rupture.<br />

Jusqu'à présent, les <strong>MJC</strong>, s<strong>ans</strong> doute plus que d'autres institutions culturelles et d'éducation<br />

populaire, ont été à leur manière et pour ce qui les concerne, au grand ren<strong>de</strong>z-vous <strong>de</strong> l'histoire<br />

contemporaine. D<strong>ans</strong> la <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong> où l'évènement prenait la forme d'une commémoration,<br />

celle <strong>de</strong> la Révolution Française, elles ont été également présentes, et c'est le moins qu'elles<br />

<strong>de</strong>vaient faire. Reste à savoir - et ce sera un test gran<strong>de</strong>ur nature - si aux prochains évènements<br />

décisifs, elles seront encore actuelles où si elles seront reléguées au rang <strong>de</strong>s accessoires. Car<br />

après tout, et le délégué général <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> Jean-Clau<strong>de</strong> Lambert le rappelait 3 , les institutions,<br />

elles aussi, sont mortelles. Certains perçoivent bien la fragilité actuelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et l'importance <strong>de</strong><br />

l'enjeu qui déci<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> leur existence future :<br />

“L'idée que l'Histoire irait, certes avec <strong>de</strong>s difficultés et <strong>de</strong>s crises vers un progrès social et<br />

culturel certain, vers plus <strong>de</strong> justice et d'égalité, l’idée également que le peuple organisé autour<br />

<strong>de</strong> sa classe laborieuse serait l’universalité sociale, politique et culturelle <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, sont <strong>de</strong>s<br />

idées en crise, mortes pour certains. Les grands mythes et utopies <strong>de</strong> progrès sont<br />

dangereusement fracturés. Si bien que l'enjeu est moins <strong>de</strong> participer à la réalisation d'un sens<br />

qui prendrait naissance au siècle <strong>de</strong>s lumières et se construirait à partir <strong>de</strong> 1789, que <strong>de</strong><br />

1 Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations, p. 13.<br />

2 Travaux d'Utilité Collective, puis Contrat-Emploi-Solidarité, opérations Prévention-Eté, Initiatives<br />

jeunes, Vacances-Loisirs-pour-tous, Loisirs Quotidiens <strong>de</strong>s Jeunes, Développement Social <strong>de</strong>s<br />

Quartiers, Développement Social Urbain, opérations Quartiers-Lumière...<br />

3 D<strong>ans</strong> son discours d’ouverture aux Journées Nationales d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux (juin 1988).


produire un nouveau sens <strong>de</strong> l'Histoire” 1 .<br />

- 395 -<br />

1 Finalités et stratégies <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leurs fédérations, p. 7.


- 397 -<br />

CONCLUSION :<br />

UNE INSTITUTION AUX PRISES AVEC L’HISTOIRE


- 399 -<br />

L'approche quantitative et cartographique <strong>de</strong> l'implantation <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong> la<br />

Culture ne nous a pas seulement permis <strong>de</strong> rompre avec <strong>de</strong>s opinions couramment répandues ou<br />

certains discours préfabriqués <strong>de</strong>s acteurs. Tout en <strong>de</strong>ssinant le paysage <strong>de</strong> cette implantation, nous<br />

avons pu, par un travail comparatif, mettre à jour quelques explications, et même, nous semble-t-il,<br />

un embryon <strong>de</strong> modèle explicatif.<br />

S'agissant <strong>de</strong> la double dimension, temporelle et spatiale, d'un évènement qui prend forme<br />

structurelle et durable, ne sommes-nous pas contraints d<strong>ans</strong> la construction explicative, <strong>de</strong> faire<br />

appel à <strong>de</strong>ux dimensions socio-historiques, l'histoire récente et l'histoire profon<strong>de</strong> ? En effet, pour ce<br />

qui est <strong>de</strong> la scission <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, la dimension temporelle <strong>de</strong> l'évènement nous renvoie à sa<br />

proche antériorité (développement accéléré <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> leur appareil institutionnel, syndicalisation<br />

du personnel, effet “analyseur social” <strong>de</strong> Mai-Juin 1968, injonction gouvernementale), mais sa<br />

dimension spatiale, la partition territoriale <strong>de</strong> la scission, nous plongent rapi<strong>de</strong>ment d<strong>ans</strong> l'histoire<br />

profon<strong>de</strong> (le Catharisme, l'implantation <strong>de</strong> la famille communautaire large). Autre exemple : le<br />

formidable développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> s'explique, d<strong>ans</strong> sa temporalité, par le contexte socio-<br />

économique qui lui est contemporain, mais pour sa dimension spatiale, nous <strong>de</strong>vons faire appel<br />

explicatif à <strong>de</strong>s logiques structurelles plus anciennes : l'agglomération, l'alphabétisation, le<br />

développement <strong>de</strong>s idées politiques, les structures familiales. Le temps présent bro<strong>de</strong> l'image <strong>de</strong> ses<br />

évènements sur le canevas <strong>de</strong> l'histoire profon<strong>de</strong>.<br />

S'il en était autrement, ne serions-nous pas contraints <strong>de</strong> réduire l'évènement à une simple affaire<br />

d'hommes, d'individus ? L'histoire spontanée <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> regorge <strong>de</strong> ce type d'explications. Les<br />

<strong>MJC</strong> se seraient fortement développées d<strong>ans</strong> l'académie <strong>de</strong> Grenoble à cause <strong>de</strong> la rigueur et <strong>de</strong> la<br />

combativité <strong>de</strong> son délégué, Marc Mallet. On aurait échappé à la sécession <strong>de</strong> cette même<br />

académie, uniquement à cause <strong>de</strong>s mauvaises relations personnelles que le même Marc Mallet<br />

aurait entretenues avec le délégué général, Lucien Trichaud. A l'opposé, la sécession<br />

languedocienne s'expliquerait pas les affinités entre le délégué régional, Marcel Sala, et le même<br />

Lucien Trichaud. S<strong>ans</strong> méconnaître l'influence <strong>de</strong>s individus, sachons que leurs interventions<br />

prennent effet, font évènement, à partir <strong>de</strong> déterminations structurelles et profon<strong>de</strong>s.<br />

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'histoire, pourtant courte, <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes et <strong>de</strong><br />

la Culture, est particulièrement houleuse : leur origine d'abord, leur développement d<strong>ans</strong> les années<br />

<strong>60</strong>, Mai-Juin 1968 et la scission <strong>de</strong> 1969, les années 70 et leurs conflits avec l'Etat, leur histoire<br />

actuelle, enfin, marquée par une nouvelle crise.<br />

On aurait pu tenter une histoire <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> et <strong>de</strong> ses crises à partir <strong>de</strong>s recompositions<br />

successives du domaine <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle, d<strong>ans</strong> lequel elles occupent une position<br />

médiane, intégrant les différentes pratiques : éducation populaire, action culturelle, action sociale,<br />

animation socio-culturelle puis, peut-être aujourd'hui, ce que nous avons appelé ailleurs, le “social-


culturel”.<br />

- 400 -<br />

Si les recompositions successives du domaine <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle et la position<br />

qu'elles y occupent, peuvent expliquer en partie la confusion qui entoure les <strong>MJC</strong>, elles ren<strong>de</strong>nt<br />

difficilement compte <strong>de</strong> leur histoire mouvementée, d'autant que leur faculté <strong>de</strong> positionnement<br />

médian et d'adaptation <strong>de</strong>vrait favoriser une sérénité qu'elles n'ont pas. Malgré un tassement <strong>de</strong> leur<br />

développement, les <strong>MJC</strong> continuent à progresser. Cette progression n'exclut pas les crises, qui ne<br />

tiennent pas seulement à la nature d'un domaine particulièrement mouvant, et dont il faudrait<br />

expliquer également le caractère mouvementé.<br />

Les <strong>MJC</strong> se développent particulièrement d<strong>ans</strong> les années <strong>60</strong> parce que, avons-nous dit, elles<br />

ont, à ce moment là, une légitimité politique, étatique, quasi-constitutionnelle, relayée par une<br />

légitimité historique liée à l'image que l'on retient <strong>de</strong> leur origine. L'histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> n'est-elle pas<br />

finalement l'histoire <strong>de</strong> leur légitimité et <strong>de</strong>s crises successives <strong>de</strong> cette légitimité ?<br />

En fait, il n'y a pas une légitimité <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> avec une seule source <strong>de</strong> légitimation, mais bien <strong>de</strong>s<br />

légitimités, ce qui n'exclut pas, au contraire, que d<strong>ans</strong> chaque pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> bonheur ou <strong>de</strong> crise, il<br />

s'agisse bien <strong>de</strong> la légitimité en général sur laquelle on s'appuie ou que l'on revendique, même et<br />

surtout si le mot n'est jamais prononcé 1 .<br />

Les Maisons <strong>de</strong>s Jeunes <strong>de</strong> 1945 ont une légitimité morale. Même si elles ont été créées par le<br />

gouvernement <strong>de</strong> Vichy, leur itinéraire pendant la Résistance les a placées du bon côté <strong>de</strong> l'Histoire.<br />

Du reste, pour éviter toute souillure, on prend bien soin <strong>de</strong> dissoudre toutes les associations<br />

gestionnaires <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes “créées postérieurement au 16 juin 1940 et sous<br />

l'intervention directe <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> l'ex-gouvernement <strong>de</strong> fait” 2 , pour les raccrocher à la République<br />

<strong>de</strong>s Jeunes et au programme du Conseil National <strong>de</strong> la Résistance. On gar<strong>de</strong> les murs mais on<br />

n'achète ni le fonds, ni la clientèle ; on tâche <strong>de</strong> faire le tri d<strong>ans</strong> l'héritage pour ne gar<strong>de</strong>r que le bon.<br />

Cette légitimité morale se double d'une légitimité théorique, historique et politique. Théorique par<br />

ses références aux philosophes <strong>de</strong>s lumières, au rapport Condorcet : “rendre la raison populaire”,<br />

“substituer enfin l'ambition d'éclairer les hommes à celle <strong>de</strong> les dominer”, et en 1945, on sait ce que<br />

ces termes veulent dire. Historique par les références à la Révolution Française, à la création <strong>de</strong><br />

l'école publique, au combat contre la collaboration et l'obscurantisme. Politique enfin : le<br />

développement <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> est inscrit, par <strong>de</strong>s circulaires, d<strong>ans</strong> un programme <strong>de</strong> gouvernement<br />

d'unité nationale qui, tout en soutenant la création <strong>de</strong> ces structures, entend bien leur laisser leur<br />

autonomie <strong>de</strong> gestion.<br />

Mais les <strong>MJC</strong> ne tar<strong>de</strong>ront pas à connaître leur première crise dès le début <strong>de</strong> l'année 1946.<br />

André Philip est amené à souligner “que c'est le principe même <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s<br />

1 Les acteurs, nous semble-t-il, peuvent difficilement parler <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> légitimité <strong>de</strong> leur action.<br />

2 Jean Guéhenno, circulaire du 8 mai 1945.


- 401 -<br />

Jeunes qui est mis en cause ainsi que celui <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong>s Maisons <strong>de</strong>s Jeunes susceptibles <strong>de</strong><br />

se fédérer”, tant les désaccords sont grands entre les mouvements <strong>de</strong> jeunesse. Dès la création <strong>de</strong><br />

la FF<strong>MJC</strong> en 1948, A. Philip doit intervenir à l'assemblée nationale pour défendre le maigre budget<br />

<strong>de</strong> sa fédération. Et dès la fin <strong>de</strong> 1948, la Direction <strong>de</strong>s Mouvements <strong>de</strong> Jeunesse <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le<br />

licenciement <strong>de</strong>s délégués régionaux, le secrétaire d'Etat à l'Enseignement Technique et à la<br />

Jeunesse et aux Sports, M. Morice, reprochant à la Fédération d'entretenir un personnel para-<br />

fonctionnaire. Malgré tout, les <strong>MJC</strong> subsisteront et se développeront pendant la Quatrième<br />

République.<br />

Avec l'avènement <strong>de</strong> la Cinquième République, les <strong>MJC</strong> retrouveront une légitimité politique, on<br />

peut même dire étatique. Tout en restant instiutionnellement autonomes, régies par <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong><br />

fonctionnement très différentes <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l'autorité <strong>de</strong> tutelle, elles font partie du dispositif d'une<br />

politique nationale, au point d'apparaître plus tard comme un Etat d<strong>ans</strong> l'Etat.<br />

Si toutefois ce terme a une valeur heuristique, on peut dire que les <strong>MJC</strong> n'ont jamais atteint un tel<br />

<strong>de</strong>gré d'autonomie relative. Elles ont tout : la légitimité que leur confère l'Etat et l'autonomie <strong>de</strong><br />

gestion.<br />

La “délégitimation” étatique <strong>de</strong> 1969 est telle que la scission <strong>de</strong>vient inévitable entre ceux qui, se<br />

raccrochant à cette ancienne légitimité, acceptent l'injonction <strong>de</strong> l'Etat et ceux qui, refusant la remise<br />

en cause <strong>de</strong> leur autonomie institutionnelle, doivent se raccrocher à une nouvelle légitimité.<br />

Cette nouvelle légitimité <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> sera celle du combat, <strong>de</strong> la lutte idéologique et du débat<br />

démocratique. D<strong>ans</strong> les années 70, on parle <strong>de</strong> <strong>MJC</strong> en lutte, <strong>de</strong> “projet démocratique” <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, <strong>de</strong><br />

luttes contre le désengagement financier <strong>de</strong> l'Etat d<strong>ans</strong> lesquelles on tente d'impliquer les<br />

municipalités, <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s inégalités sociales et culturelles. De cette pério<strong>de</strong>, la FF<strong>MJC</strong> gar<strong>de</strong><br />

l'image caricaturale et polémique d'institution “communiste”, “gauchiste”, “socialiste”.<br />

D<strong>ans</strong> ces luttes, qui s'expriment généralement par <strong>de</strong>s actions, <strong>de</strong>s rassemblements et la<br />

pratique concrète du “débat démocratique”, les <strong>MJC</strong> vont rencontrer un mouvement social qui, en<br />

accédant à sa majorité politique en 1981, leur laissera croire qu'elles vont retrouver une légitimité du<br />

type <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>. On parle, à ce moment-là, <strong>de</strong> renouveau <strong>de</strong> l'éducation populaire, <strong>de</strong><br />

nouvelle citoyenneté, <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> la jeunesse. De nouveaux projets apparaissent d<strong>ans</strong> lesquels<br />

les <strong>MJC</strong> sont appelées à s'impliquer : insertion sociale et professionnelle <strong>de</strong>s jeunes, réforme <strong>de</strong> la<br />

vie associative, développement <strong>de</strong>s activités scientifiques et techniques... La FF<strong>MJC</strong> élabore et<br />

signe une convention avec l'Etat. On crée <strong>de</strong> nouveaux poste FONJEP. Mais là aussi, l'espérance<br />

sera vite contrariée par la mise en place <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> rigueur.<br />

Cette relation au pouvoir politique, notamment à l'Etat central, est, s<strong>ans</strong> aucun doute, essentielle<br />

pour les <strong>MJC</strong> et pour la compréhension <strong>de</strong> leur histoire. C'est, du reste, cette relation qui préoccupe<br />

en permanence les responsables bénévoles et professionnels <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, préoccupation quasi-<br />

obsessionnelle qui s'explique par le rôle joué par l'Etat, à l'origine et à chaque pério<strong>de</strong> décisive.


- 402 -<br />

Mais les <strong>MJC</strong> sont également aux prises avec une histoire plus profon<strong>de</strong>, tout aussi déterminante<br />

pour elles-mêmes mais aussi pour le pouvoir politique avec lequel l'essentiel <strong>de</strong> l'avenir <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong><br />

semble spectaculairement se jouer. Cette histoire sociale plus souterraine, moins visible, c'est la<br />

montée <strong>de</strong> la jeunesse, puis, et surtout, la montée <strong>de</strong>s classe moyennes salariées.<br />

La crise qui s'ouvre dès 1966, avec l'arrivée <strong>de</strong> François Missoffe, tient certes à la position<br />

dominante acquise par la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> un champ <strong>de</strong> l'intervention socio-culturelle en constitution.<br />

Cette imposante institution en plein développement est, en elle-même, <strong>de</strong>venue un enjeu. Mais il n'y<br />

aurait s<strong>ans</strong> doute pas eu cette crise provoquée par l'Etat, si les <strong>MJC</strong> étaient apparues à leur<br />

ministère <strong>de</strong> tutelle comme un réseau d'associations dociles, capables <strong>de</strong> participer au maintien <strong>de</strong><br />

la jeunesse et <strong>de</strong>s futures élites <strong>de</strong>s nouvelles classes moyennes d<strong>ans</strong> les limites d'une démocratie<br />

formelle et conservatrice. Si ce qui est en cause d<strong>ans</strong> la FF<strong>MJC</strong>, c'est la place du personnel éducatif,<br />

et principalement le rôle <strong>de</strong> leur syndicat CGT, c'est bien parce que ce personnel et ce syndicat<br />

peuvent jouer un rôle culturel, éducatif et idéologique sur <strong>de</strong>s groupes sociaux, eux-mêmes appelés<br />

à jouer un rôle décisif à tous les niveaux <strong>de</strong> la société : économique, social, syndical et bien sûr<br />

politique. En raccourci : si la place du syndicat CGT et, en arrière plan, du parti communiste, est en<br />

cause d<strong>ans</strong> une FF<strong>MJC</strong> dominatrice d<strong>ans</strong> son domaine, c'est que, là comme ailleurs, se jouent la<br />

position et la prise <strong>de</strong> position <strong>de</strong> classes sociales nouvelles.<br />

A partir <strong>de</strong> là, on peut mieux comprendre ce qui précè<strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> à la fin <strong>de</strong>s années<br />

<strong>60</strong>, et ce qui suit. A la fin <strong>de</strong>s années 50, on fait appel aux <strong>MJC</strong> pour intégrer, encadrer même, une<br />

jeunesse urbaine tr<strong>ans</strong>plantée, certes physiquement et socialement inquiétante, mais qui ne met<br />

nullement en danger les pouvoirs politiques et sociaux établis. Mais dès lors qu'une partie <strong>de</strong> la<br />

jeunesse, généralement autre, plus scolarisée, accè<strong>de</strong>, à la fin <strong>de</strong>s années <strong>60</strong>, à ses droits civiques<br />

et est appelée à fournir les élites sociales <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, à structurer <strong>de</strong>s classes moyennes en plein<br />

développement, les <strong>MJC</strong>, qui accueillent <strong>de</strong> plus en plus cette jeunesse, apparaissent au pouvoir en<br />

place comme peu fiables, voire même dangeureuses, d'autant que leurs éducateurs, les directeurs<br />

<strong>de</strong> <strong>MJC</strong>, défen<strong>de</strong>nt généralement <strong>de</strong>s opinions et <strong>de</strong>s intérêts opposés aux gouvernements du<br />

moment. On sent en effet, déjà, d<strong>ans</strong> les secteurs éducatifs et culturels, d<strong>ans</strong> l'école mais aussi d<strong>ans</strong><br />

l'action culturelle et d<strong>ans</strong> l'éducation populaire, une alliance possible, inquiétante, entre un<br />

mouvement ouvrier, très marqué par la CGT et le parti communiste, et les futures élites <strong>de</strong>s classes<br />

moyennes en ascension. En fait, la jeunesse ouvrière et la politique socio-éducative dont elle etait<br />

l'objet - c'est aussi comme cela que l'on peut comprendre la politique <strong>de</strong> la jeunesse <strong>de</strong> Maurice<br />

Herzog - ne présentait pas <strong>de</strong> danger pour les pouvoirs en place, et peut-être même beaucoup<br />

d'avantages, d<strong>ans</strong> la mesure où l’on soustrayait ces jeunes à la fois à la hor<strong>de</strong> inquiétante et aux<br />

organisations <strong>de</strong> jeunesse du mouvement ouvrier. A l'opposé, l'alliance possible entre le mouvement<br />

ouvrier et les élites <strong>de</strong>s classes moyennes en ascension, annonce une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> bouleversement<br />

culturel, social et politique pouvant remettre en cause les structures et les hommes en place.<br />

C'est du reste ce qui semble se passer d<strong>ans</strong> les années 70, certes avec <strong>de</strong>s heurts - la signature,


- 403 -<br />

puis la rupture du programme commun <strong>de</strong> la gauche en sont les effets spectaculaires - d<strong>ans</strong><br />

l'ensemble <strong>de</strong> la société française, mais aussi d<strong>ans</strong> ce qui reste <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> après sa scission <strong>de</strong><br />

1969. Bon an, mal an, les nouvelles classes moyennes, leurs élites locales et les mouvements<br />

sociaux qu'elles animent, s'associent à un mouvement <strong>de</strong> contestation <strong>de</strong>s pouvoirs en place, animé<br />

par les idées et organisations <strong>de</strong> gauche et d'extrême-gauche. D<strong>ans</strong> le domaine <strong>de</strong> l'intervention<br />

socio-culturelle, cela produit cette image d'une FF<strong>MJC</strong> combattante, orientée vers les changements<br />

politiques <strong>de</strong> 1981, évoluant d<strong>ans</strong> un contexte social et culturel agité, marqué par les combats du<br />

moment qui, du fait même <strong>de</strong> la montée en puissance <strong>de</strong> nouvelles classes sociales intermédiaires,<br />

ne se réduisent plus à l'opposition traditionnelle <strong>de</strong> classe contre classe. A l'opposé, l'UNIREG, qui<br />

s'est débarassée à la fois d'un syndicat CGT très structuré, d'une organisation nationale du<br />

personnel et d'une centralisation fédérale forte, reste, malgré la pério<strong>de</strong> mouvementée, d<strong>ans</strong> un<br />

humanisme pru<strong>de</strong>nt et silencieux.<br />

La crise qui s'ouvre en 1987 à la FF<strong>MJC</strong> est également à mettre au compte <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong> ces<br />

classes moyennes, <strong>de</strong> l'itinéraire social et idéologique <strong>de</strong> leurs élites. Les élections <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s<br />

années 70 et du début <strong>de</strong>s années 80 - les élections municipales <strong>de</strong> 1977, particulièrement - voient<br />

une part significative <strong>de</strong>s élites, chefs <strong>de</strong> file <strong>de</strong> ces nouvelles classes moyennes, passer du terrain<br />

socio-culturel, où elles se sont formées à l'action collective et où elles ont acquis <strong>de</strong>s positions<br />

dominantes, au pouvoir politique local et même national. D<strong>ans</strong> ce mouvement, le domaine <strong>de</strong><br />

l'intervention socio-culturelle, et en premier lieu les <strong>MJC</strong>, accè<strong>de</strong>nt à une nouvelle légitimité mais, en<br />

même temps, per<strong>de</strong>nt une partie <strong>de</strong>s forces vives que le reflux <strong>de</strong>s mouvements sociaux, pendant<br />

les années 80, empêche <strong>de</strong> totalement reconstituer.<br />

Cette sorte d'affaiblissement <strong>de</strong> la dimension socio-idéologique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> 1 se double d'un autre<br />

élément tout aussi important : les classes moyennes et leurs élites semblent opérer, <strong>de</strong>puis plusieurs<br />

années, ce qu'il faut bien appeler un basculement culturel et idéologique vers un système <strong>de</strong> valeurs<br />

sociales très marqué par la libre entreprise, le marché, la réussite économique, la démarche<br />

individuelle et hédoniste 2 . Dès lors, la FF<strong>MJC</strong> se trouve écartelée entre ceux qui se réfèrent aux<br />

valeurs historiques <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, et ceux qui ont emboîté le pas d'une nouvelle mo<strong>de</strong>rnité. La<br />

contradiction n'est plus externe, comme d<strong>ans</strong> les années 70, entre l’alliance mouvementée, mais<br />

bien réelle, d’une large fraction <strong>de</strong>s classes moyennes avec les organisations ouvrières, en<br />

l'occurence le syndicat CGT <strong>de</strong>s directeurs, d’une part, et d'autre part un pouvoir politique<br />

conservateur. La contradiction principale est désormais <strong>de</strong>venue interne ; elle traverse à la fois le<br />

1 Nous disons bien affaiblissement <strong>de</strong> la dimension socio-idéologique <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> , car nous avons<br />

constaté que, d<strong>ans</strong> la même pério<strong>de</strong>, ces structures se renforcent d<strong>ans</strong> d’autres domaines :<br />

augmentation <strong>de</strong>s publics touchés, <strong>de</strong>s budgets, du nombre <strong>de</strong> salariés, mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong>s<br />

équipements, <strong>de</strong> la gestion et <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> communication.<br />

2 Comme s’efforce <strong>de</strong> le démontrer Gilles Lipovetsky, dont l’intervention aux Journées Nationales<br />

d’Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> à Cogolin en 1989 suscita - et ce n’est pas un hasard - <strong>de</strong>s appréciations très<br />

contradictoires.


- 404 -<br />

corps professionnel, y compris son syndicat majoritaire 1 , et les équipes dirigeantes, chez qui<br />

s'opposent <strong>de</strong>ux systèmes <strong>de</strong> valeurs, <strong>de</strong>ux cultures, et, peut-être même, <strong>de</strong>ux projets <strong>de</strong> société,<br />

situation que, par facilité <strong>de</strong> langage, on ramène à une opposition <strong>de</strong>s anciens et <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes.<br />

C'est encore la position historiquement dominante <strong>de</strong> la CGT d<strong>ans</strong> la FF<strong>MJC</strong> qui est en cause,<br />

mais pour un enjeu <strong>de</strong> moindre importance puisqu'il ne concerne, du moins pour l'instant, que<br />

l'avenir <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong> d<strong>ans</strong> son organisation actuelle. On peut aussi se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si cette opposition<br />

interne ne témoigne pas, à sa manière, <strong>de</strong> la position indécise et inconfortable <strong>de</strong>s classes<br />

intermédiaires entre la classe ouvrière d'une part, et la bourgeoisie traditionnelle ou d'affaire, d'autre<br />

part. Mais on peut aussi se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les nouvelles classes moyennes, en plein essor <strong>de</strong>puis les<br />

années <strong>60</strong>, ne sont pas en train <strong>de</strong> se constituer en force sociale, culturelle et politique autonome,<br />

dominante, avec prétention à une nouvelle universalité.<br />

Si tel était le cas, le secteur <strong>de</strong> l'éducation populaire puis <strong>de</strong> l'animation socio-culturelle,<br />

notamment à travers les <strong>MJC</strong>, aurait joué, à sa manière et à son niveau, un rôle historique<br />

important. Créé pour s'adresser prioritairement aux jeunes issus <strong>de</strong>s couches populaires, il aurait en<br />

effet favorisé la montée <strong>de</strong>s nouvelles classes moyennes et puis, indirectement, participé à la<br />

modification <strong>de</strong>s rapports sociaux inter-individuels, y compris <strong>de</strong> travail 2 .<br />

Mais pour l'heure, les réponses sont encore indécises, pour le sociologue comme pour le<br />

praticien. Les institutions d'éducation populaire se trouvent, momentanément du moins, <strong>de</strong>vant un<br />

grand vi<strong>de</strong>. Le projet <strong>de</strong> société proche <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, qui consiste à penser et à agir comme si le<br />

peuple, organisé autour <strong>de</strong> sa classe laborieuse dont le noyau central est la classe ouvrière, <strong>de</strong>vait<br />

être l'universalité <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, est aujourd'hui largement mis en cause, définitivement mort, pour<br />

certains. D<strong>ans</strong> un tel contexte, les attitu<strong>de</strong>s les plus contradictoires existent y compris à la FF<strong>MJC</strong> :<br />

référence forte, mais souvent célébrative et incantatoire, à la citoyenneté active, à la démocratie<br />

réelle ; à l'opposé, engagement sur la vague consumériste “entreprenariale”, qui va jusqu'à remettre<br />

en cause le système d'organisation, la décision majoritaire, la gestion associative et fédérative<br />

cogestionnaire ; enfin, l'expérimentation permanente <strong>de</strong>vant favoriser une nouvelle citoyenneté ou,<br />

du moins, <strong>de</strong> nouveaux rapports à inventer entre individus, entre espace privé et espace public.<br />

S'agissant <strong>de</strong> la FF<strong>MJC</strong>, le recentrement <strong>de</strong>s pratiques autour <strong>de</strong> la création artistique ou sociale 3<br />

1 Nous savons en effet que la CGT elle-même est traversée par <strong>de</strong>s oppositions qui se traduisent par<br />

un éclatement entre FERC-CGT (Fédération Enseignement, Recherche et Culture) et syndicat CGT du<br />

Spectacle.<br />

2 La référence à la cogestion comme forme nouvelle <strong>de</strong>s rapports entre employeurs et salariés, outre<br />

qu’elle rappelle une pratique essentielle et originelle <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong>, est, s<strong>ans</strong> aucun doute, significative <strong>de</strong><br />

cette modification <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> travail. La remise en cause actuelle <strong>de</strong> ce principe à la FF<strong>MJC</strong> est<br />

évi<strong>de</strong>mment paradoxale et pose la question <strong>de</strong> savoir ce qu’il est possible <strong>de</strong> cogérer et avec qui.<br />

Peut-on, par exemple, cogérer le personnel avec le personnel lui-même ? Est-il pertinent et sain que<br />

les délégués du personnel éducatif participent au recrutement <strong>de</strong> l’encadrement, <strong>de</strong>s délégués<br />

régionaux qui sont leurs supérieurs hiérarchiques, pratique qui est toujours <strong>de</strong> règle à la FF<strong>MJC</strong> ?<br />

3 Cela peut en effet aller <strong>de</strong> la production artistique, même mo<strong>de</strong>ste, à la création <strong>de</strong> réseaux sociaux<br />

(associations, régies <strong>de</strong> quartier, opérations humanitaires ou <strong>de</strong> solidarité).


- 405 -<br />

qui, d<strong>ans</strong> le même mouvement, est action et sens <strong>de</strong> l'action, le projet <strong>de</strong>s Conseils d'initiative et <strong>de</strong><br />

création conçus pour combler le vi<strong>de</strong> laissé par la disparition <strong>de</strong>s conseils <strong>de</strong> maisons et le repli <strong>de</strong>s<br />

mouvements sociaux, relèvent, semble-t-il, <strong>de</strong> cette volonté <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> construire une nouvelle<br />

citoyenneté. On est en effet passé, contraint et forcé, d'une sorte <strong>de</strong> salut par la grâce d'une<br />

tr<strong>ans</strong>cendance historique et <strong>de</strong> la foi en une société <strong>de</strong> progrès, formalisés à la Révolution Française<br />

et aujourd'hui fortement émoussés 1 , à la recherche d'un salut par les oeuvres, qu'elles soient<br />

artistiques, sociales ou économiques - autrement et rapi<strong>de</strong>ment dit - <strong>de</strong> la réalisation d'un sens à la<br />

création <strong>de</strong> sens.<br />

Face à une telle situation, les <strong>MJC</strong> ne sont pas toujours d<strong>ans</strong> les meilleures conditions ni<br />

dispositions. Architectes du social s<strong>ans</strong> réel plan, elles sont, en quelque sorte, <strong>de</strong>s démiurges du<br />

quotidien tâtonnant, s<strong>ans</strong> métho<strong>de</strong>s pédagogiques affirmées, condamnées à l'expérimentation voire<br />

même à la débrouillardise, position d'autant plus difficile que les fractures sociales sont importantes.<br />

Elles doivent répondre à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sociale complexe, <strong>de</strong> plus en plus individualisée, souvent<br />

contradictoire, ainsi qu'à <strong>de</strong>s injonctions très changeantes <strong>de</strong> partenaires publics, eux-mêmes<br />

conduits à réagir à l'urgence (le chômage <strong>de</strong>s jeunes, la délinquance, l'explosion <strong>de</strong>s banlieues...)<br />

selon <strong>de</strong>s dispositifs complexes et multiples (le Développement Social Urbain ou l'opération “20.000<br />

projets jeunes” sont les <strong>de</strong>rniers en date). Les <strong>MJC</strong> ont cependant pour elles la permanence d'une<br />

structure - équipement, association et équipe professionnelle - qui en font <strong>de</strong>s lieux fixes, repérables,<br />

structurant l'espace géographique et social <strong>de</strong> leur intervention. Ainsi sont-elles - mieux que toute<br />

autre institution, en raison <strong>de</strong> leur vocation généraliste, <strong>de</strong> leur esprit d'ouverture, <strong>de</strong> leur capacité à<br />

répondre aux initiatives individuelles et collectives - en position d'établir le lien entre <strong>de</strong>s populations<br />

qui souvent cohabitent difficilement et même s'excluent : les classes moyennes bien insérées, les<br />

jeunes immigrés ou issus <strong>de</strong> l'immigration, les classes populaires intégrées mais fragilisées par la<br />

crise <strong>de</strong> l'emploi et <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie difficiles.<br />

Les <strong>MJC</strong> sont à nouveau, peut-être, confrontées à une mission historique qui les invite à prendre<br />

appui sur leurs principes fondamentaux. Cette mission n'est-elle pas <strong>de</strong> participer, d'une manière<br />

originale, mo<strong>de</strong>rne et pas seulement incantatoire, à la réalisation <strong>de</strong> valeurs indispensables à une vie<br />

sociale qui s'est donné les principes <strong>de</strong> la démocratie pour règle, face à la montée <strong>de</strong>s intégrismes,<br />

<strong>de</strong> la xénophobie, du racisme, du néo-nationalisme et <strong>de</strong> toutes les formes <strong>de</strong> corporatisme ? Plus<br />

que jamais, peut-être, l'histoire <strong>de</strong>s <strong>MJC</strong> rejoint leur actualité.<br />

Mais les <strong>MJC</strong> ne sont pas seulement aux prises avec l'histoire politique, sociale et idéologique <strong>de</strong><br />

la société française et contemporaine. Elles témoignent également <strong>de</strong> cette histoire : d'abord celle <strong>de</strong><br />

l'héritage <strong>de</strong> Vichy, lourd à porter, <strong>de</strong>s difficultés à le penser et à rompre facilement et clairement<br />

1 Situation qu’Yves Barel a décrite d<strong>ans</strong> La société du vi<strong>de</strong> (Le Seuil, 1984).


- 406 -<br />

avec lui ; ensuite d'une quatrième République confrontée à la fois aux problèmes <strong>de</strong> la<br />

décolonisation, aux instabilités gouvernementales mais aussi au développement économique et<br />

urbain ; puis <strong>de</strong> la montée <strong>de</strong> la jeunesse et <strong>de</strong>s classes moyennes ; et, enfin, <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> société<br />

et d’i<strong>de</strong>ntité qui agite notre pays <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années 70. Mais, par leur implantation<br />

géographique disparate et les <strong>de</strong>ux espaces <strong>de</strong> la scission, les <strong>MJC</strong> éclairent à leur manière “<strong>de</strong>s<br />

masses profon<strong>de</strong>s d'histoire” 1 . Les différences, voire les oppositions, économiques, politiques et<br />

culturelles, anthropologiques, spatialement repérables, sont loin <strong>de</strong> s'être estompées, malgré un long<br />

mo<strong>de</strong>lage <strong>de</strong> l'Etat et <strong>de</strong> ses institutions. Les <strong>MJC</strong> témoignent, enfin, <strong>de</strong>s difficultés du fédéralisme,<br />

<strong>de</strong> cette volonté d'articuler, au niveau local comme au niveau fédéral, l'autonomie d'initiative et le<br />

respect <strong>de</strong>s règles communes, l'un et le multiple.<br />

Les <strong>MJC</strong> sont aux prises avec leur propre histoire et également, compte tenu <strong>de</strong> leurs crises<br />

successives et leur extrême diversité, avec leurs propres histoires particulières. Elles ont s<strong>ans</strong> doute<br />

besoin <strong>de</strong> se débarasser <strong>de</strong> la multiplicité <strong>de</strong>s discours dont elles sont l'objet, les leurs et ceux <strong>de</strong>s<br />

autres, <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une rigoureuse anamnèse qui, en éclairant leur passé, pourrait leur permettre<br />

d'envisager plus sereinement l'avenir. Même si ce n'était pas le but initial, notre travail aura peut-être<br />

ouvert ce chemin.<br />

1 Fernand Brau<strong>de</strong>l, La Méditerranée..., p. 223.


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ANNEXES


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