Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

pathétique qui s’en va maintenant à travers le monde, à
tâtons. Je m’avise de ce que je ne l’ai jamais vue livrée à
elle-même. Elle pivote sur un talon, hésite, puis s’engage
dans ma direction. Par prudence je me replie vers les
blockhaus. Quand je me retourne, elle est en train
d’escalader les rochers avec une grâce déliée que je n’ai
pas le temps d’admirer ; je me glisse dans une des
casemates, une rotonde de béton prolongée par un long
wagon creusé dans la colline. Dans l’obscurité une mince
meurtrière m’attire : Marie est maintenant à deux pas de
moi. Je suis frappé par l’expression de tristesse qui
marque son visage, sans commune mesure avec l’air
désemparé qu’ont brusquement certains enfants
lorsqu’ils ne se savent plus observés, ni soutenus. De part
et d’autre du nez retroussé, les yeux s’étalent en larges
gouttes ; ses cheveux, pourtant courts, lui mangent le
front ; elle les relève d’une main lasse, se frotte les
paupières, et, je suis bien placé pour constater que c’est
avec un engouement mal affermi qu’elle scande : « Il est
défendu de se cacher dans les blockhaus ! » Puis, trop
loyale, elle s’éloigne sans vérifier, d’une démarche déjà
résignée. J’entends alors un chuchotement, malhonnête
celui-là, dans le fond de l’abri où des stalles en chicanes
dessinent un labyrinthe.
— Quelle gourde ! s’exclame une voix de fille.
Maintenant, on est tranquilles. Tu as apporté une
cigarette ?
— Attends qu’elle ait fichu le camp, répond un garçon.
Je suis mal à l’aise. Une allumette craque.