Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

système imaginaire, Marie cessait d’être une orpheline. Et
il me semblait qu’elle l’était effectivement beaucoup
moins que les autres, chaque fois que je la regardais.
Ce varech épousera la forme de mon corps. J’y suis
revenu tous les jours où le temps le permettait, à l’heure
de la récréation. J’emporte un livre, des journaux ou du
travail pour O’Neill. J’ai remplacé la cigarette par la pipe
qui escamote plus proprement la fumée. Je mène enfin
une existence familiale à côté de Marie, attendri par sa
maladresse à certains exercices, inquiet lorsqu’elle
s’aventure vers la zone où des panneaux indiquent que le
terrain n’a pas été entièrement déminé. Parfois, je suis
sur le point d’intervenir, mais la monitrice, nurse
exemplaire, la rappelle au bon moment. Ma fille se fait un
peu prier pour épater la galerie, surtout un garçon plus
âgé qu’elle autour de qui la malheureuse tourne
assidûment. Parmi les silhouettes auxquelles j’ai fini par
m’habituer, j’ai vite remarqué ce petit coq de collège, doré
comme un brugnon, dont les pantalons longs font autorité.
Il m’a semblé que Marie l’amusait, qu’il la protégeait, et
qu’ils s’efforçaient de se trouver dans la même équipe.
J’en étais heureux, car c’était là une bonne fréquentation.
Un matin, levant les yeux, j’éprouve l’impression
étrange que Marie est seule sur la plage. Elle regarde la
mer. La monitrice l’empêche de se retourner. Serait-elle
au piquet ? Je comprends à la longue qu’une partie de
cache-cache s’est amorcée et que c’est à Marie de
chercher. Il n’en faut pas davantage pour que je devienne
abominablement partial : quand bien même ne serait-il
pas mon enfant, je me sentirais dans le camp de cet être