Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

défilé des voyageurs. Mais j’ai fondu, en la découvrant qui
traînant à la queue, légèrement voûtée, si petite que ses
compagnes semblaient ses gardes du corps. Au moment
de franchir l’enceinte, elle a poussé en riant celle qui la
précédait. C’est bien de ne pas se laisser marcher sur les
pieds. Je lui ai trouvé une mine superbe, un air de gaieté
et d’étourderie qu’elle n’offre pas toujours en notre
présence. Mais elle chantait avec les autres : « Dans le
jardin de mon père… » et, sous ce ciel gris, l’image d’une
orpheline s’est présentée à moi.
Le lendemain, de bonne heure, je suis retournée rôder
vers la côte des Mouettes dans l’espoir de revoir Marie.
Je crois que, déjà, je n’envisageais plus tellement de lui
parler pour le moment et que je n’envisageais pas non
plus de repartir. J’avais un trop grand retard dans la
connaissance de cette enfant, ignorant pratiquement tout
de ses goûts, de ses habitudes, de son comportement dans
les circonstances quotidiennes. Je devais la réapprendre
avant de m’offrir à elle. Me démasquer prématurément,
c’était renouer avec ces entrevues où nous nous guindions
respectivement dans nos rôles plus déchirants que
nature. Marie, rendue à la liberté de ses jeux, résumait
devant moi la dizaine d’années que j’avais perdue loin
d’elle. Je n’allais pas me mêler de la contraindre sous mes
embrassements. Jacques Chardonne l’a dit : « Celui qui
vous aime est trop près. » Ma fille était souvent
déconcertée par les baisers sous lesquels je me sentais
enclin à l’étouffer, faute de meilleures preuves. Je me
contenterais donc de lui faire l’hommage de ma mélancolie
à l’épier sans rien dire… En outre, mon escapade n’était