Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

précise et douce comme une lampe de chevet. J’ai tout de
suite senti que je ne tombais pas exactement sous sa
lumière, qu’il faudrait accommoder. C’est dans la
pénombre, en revanche, que je risquais le plus de
rencontrer M. Quentin. J’en connais plus d’un, de ces gros
rochers confits en expérience et en sagesse qui s’ennuient
à quelque distance les uns des autres en regardant
tomber la pluie. On a parfois envie de les faire sauter à la
dynamite. À la façon dont il m’a demandé si j’avais besoin
de quelque chose avant de monter dans ma chambre, j’ai
cru sentir que celui-ci était plein de replis caverneux. Il
m’a semblé qu’il me tendait une perche, aussitôt retirée.
J’ai hésité. C’était le moment de m’enquérir du cours
Dillon, de parler de Marie, de donner une figure partielle à
mon séjour. Je n’en ai pas profité ; les portes se sont
refermées. Moi, qui ai d’habitude le goût de tout livrer
aux êtres pour les apprivoiser, de vivre sur le seuil de
moi-même, trouvant qu’il fait souvent trop sombre à
l’intérieur, pourquoi ai-je éprouvé le besoin, le soir de
mon arrivée, d’intriguer ce couple tranquille ? Peut-être
ne savais-je pas très bien où j’en étais ? Peut-être
pressentais-je qu’il finirait par arriver ce qui s’est produit
la nuit dernière et qu’il valait mieux faire naufrage avec le
moins de papiers d’identité possible ? On se lamente
suffisamment sur le tombeau de l’ivrogne inconnu.
Mon premier réveil à Tigreville fut déplorable. L’effet
de l’alcool se dissipait, je subissais une violente dépression
qui se cherchait vainement un frein dans cette chambre
nouvelle. Pourtant, un terrain neutre, agissant à la
manière d’un sas, favorise au contraire un retour par