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Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

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monter ces vagues, semblables aux danseuses du cancan,<br />

qui troussaient haut des étoffes vertes, agitaient des<br />

jupons d’écume et finissaient par s’abattre, un rang après<br />

l’autre, dans une longue extension qui rappelait le grand<br />

écart. Assis sur des madriers, les jambes pendantes, je<br />

reconstituais le cabaret fantôme que nous avions pris à<br />

l’abordage, la nuit précédente, avant de nous dissoudre<br />

dans une de ces matinées orange et grises où l’on espère<br />

encore que l’on peut enchaîner, où il ne faut surtout pas se<br />

retrouver isolé, comme je suis maintenant, parce qu’on<br />

est dévoré par les loups du remords, qui n’attaquent que<br />

l’homme seul. Les compagnons commençaient à se<br />

tourner vers leurs maisons et me disaient que j’avais de la<br />

chance de n’avoir pas de reproches à affronter. Mais<br />

c’était la consolation prodiguée à celui qu’on va<br />

abandonner. Moi, qui n’étais attendu nulle part, je leur<br />

répondais : « Vous voyez bien que je suis blessé… Laissezmoi,<br />

les copains, sauvez-vous vite ! » Déjà, ils se<br />

penchaient sur des berceaux, sur des lits entrouverts,<br />

respiraient l’arôme du café domestique qui n’est pas le<br />

même que celui des bistrots. Le projet de rejoindre ma<br />

fille, d’opérer cette transfusion de sentiments qui pouvait<br />

me guérir, l’un contre l’autre se blottissant et apprenant à<br />

se mieux connaître, s’est imposé brusquement à moi avec<br />

une urgence saugrenue, devant l’évidence que la journée<br />

ne se terminerait pas que les loups ne m’aient rattrapé, si<br />

je demeurais à Paris. Je ne voyais que trop rarement<br />

Marie, depuis ma séparation d’avec mon ancienne femme,<br />

d’autres courants m ’ ayant emporté, mais j’avais toujours<br />

été persuadé que je conservais là une petite place forte

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