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Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

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doute, celui qui m’a ramassé, cette nuit, dans le ruisseau.<br />

Mais je n’aurais que trop tendance à ajouter au sordide de<br />

cette mésaventure : je dormais plutôt sous un arbre<br />

trempé, quand on m’a saisi pour me remettre sur le<br />

chemin de l’hôtel. Je revois un homme penché ; je sens<br />

encore une poigne narquoise qui me précipite sur les<br />

embûches pour mieux me les faire éviter ; à qui<br />

appartenait-elle : à un passant de hasard ? à quelqu’un de<br />

chez Esnault désireux de me lancer comme un brûlot<br />

enflammé par l’alcool contre la forteresse vertueuse du<br />

Stella ? à M. Quentin lui-même, venu au-devant de moi ?<br />

… Ce genre d’absence me replonge dans une angoisse<br />

coutumière. À Paris, depuis que Claire m’a quitté, il arrive<br />

que trois ou même six heures de mon emploi du temps se<br />

dérobent à moi. À la place, s’ouvre un grand trou noir où<br />

passent avec des éclairs furtifs de truites au vivier des<br />

réminiscences insaisissables qui ne me permettent pas de<br />

distinguer le cauchemar de la réalité. Longtemps après, je<br />

retrouve dans ma poche des morceaux de papier où des<br />

inconnus ont inscrit leurs numéros de téléphone, des<br />

rendez-vous, des maximes hoquetantes, mais les visages<br />

composés par la nuit ne franchissent pas l’épreuve du jour<br />

et, si je les rencontre par la suite, je ne les reconnais pas.<br />

La dernière fois, je n’étais vraiment sorti du trou noir<br />

qu’à Deauville. Un employé du chemin de fer me tapait<br />

sur l’épaule, disait que le train n’allait pas plus loin. Plus<br />

loin que quoi ? Je me suis arraché à un sommeil vaseux.<br />

J’ai aperçu une jolie gare fleurie, sorte de chaumière aux<br />

poutres apparentes ; j’ai pensé que ce train avait bien fait<br />

les choses et qu’il avait raison de s’en tenir là. Avais-je un

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