Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

CHAPITRE VII
Quentin s’éveilla le premier. Il faisait un petit temps
gris secoué par le son des cloches. Une mouche tournait
autour d’eux, la dernière de la saison, la seule du pays. Il
fut tenté d’y voir un symbole de la malédiction, mais le
spectacle de Fouquet rencogné, la tête sous sa veste, le
rasséréna. Des aventures de la veille, il gardait une
mémoire confuse dominée par l’impression que le jeune
homme était le père d’une petite fille et la chose lui parut
si cocasse qu’il n’hésita pas à le secouer pour en recevoir
la confirmation. C’était donc vrai ! Pour une fois, les
imaginations de l’ivresse prenaient corps. À partir de
Marie, ils s’efforcèrent de reconstituer les itinéraires et
les caprices de leur nuit, tout en corrigeant le débraillé de
leur tenue. Cette toilette de bivouac, face au large, leur
rendit des forces. S’ils présentaient encore tous les signes
extérieurs du vagabondage, les cheveux emmêlés, la
barbe agressive, les vêtements fripés, l’âme était
demeurée assez fraîche. Fouquet se rappelait surtout que
sa fille allait lui être rendue à dix heures ; Quentin se
souvenait d’avoir fait régner sa loi chez Esnault. Le
scandale du feu d’artifice, qui s’était déroulé à un stade
beaucoup plus avancé, leur parvenait sous un jour
atténué. Ils évitaient d’approfondir, mais pressentaient
qu’il y aurait des souvenirs à creuser dans cette direction.