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ien-être qu’ils ne s’avouaient pas de s’être mis hors-laloi.<br />
Annie avait désormais son verre contre les leurs et les<br />
observait sans trahir son ennui.<br />
— Je bois à l’amiral Rigault de Genouilly, sans qui<br />
notre hôtesse, née à Saigon d’un couple de Niakoués<br />
n’aurait jamais eu une patente de bistrot dans le<br />
Calvados, lançait Quentin finement.<br />
— À la santé d’El Gallo, le divin chauve, qui estoqua<br />
voici trente ans le célèbre taureau Boadbil pour la Merçad<br />
de Barcelone ! répliquait Fouquet.<br />
— À l’honneur de Francis Garnier, père des Marsouins<br />
du corps expéditionnaire !<br />
— À Juan Belmonte, prince des derechazos et du<br />
volapié !<br />
— À la mémoire de Négrier, lâchement assassiné dans<br />
le traquenard de Lang-son !<br />
— À celle de Manolete, tombé la muleta à la main aux<br />
arènes de Linares !<br />
Ils n’étaient pas dupes de ces litanies un peu forcées,<br />
mais on ne fraternise pas autrement d’un régiment à<br />
l’autre, quand on a le respect de son arme et de son<br />
écusson. Le désir de ne pas perdre pied devant le<br />
compère les entretenait dans la boisson. À la fin, Annie se<br />
crut tenue de les prévenir :<br />
— Sale temps, messieurs : si vous continuez, vous allez<br />
vous saouler tous les deux.<br />
Quentin la considéra avec mépris.