Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

comprendre, plus forte que la déception. Elle n’en veut
pas à son père, elle enregistre le poids de plus en plus
lourd de cette fatalité qui pervertit toutes les entreprises
où il est mêlé, déplace les réveillons, escamote les
anniversaires, comme s’il était indifférent d’avoir dix ans
quand on en a treize ou de célébrer Noël le 1 er janvier.
C’était abominable et pourtant Fouquet s’engourdissait
dans une manière de soulagement ; quand on en était là,
tout pouvait arriver, on avait touché le fond…
Ainsi, Quentin se retrouvait avec un verre devant lui.
Il avait encore dans l’oreille les rumeurs de la place, des
montées de colère contre tout le monde, une grande
tendresse pour ce petit frère aux boucles collées qui
cavalait derrière ses démons jusqu’au bout. Lui, qu’avaitil
fait depuis dix ans ? Il avait sucé des bonbons en se
donnant des bons points : premier prix d’Impassibilité !
Premier prix de Renoncement ! Premier prix de
Prudence !… Pas de vagues surtout, pas de remous ; dix
années parcimonieuses, retranchées derrière des
barricades médiocres et un serment. Bien sûr, le serment
était gênant, il n’était pas dans le caractère de Quentin de
reprendre ses billes. Mais quelle valeur pouvait conserver
un vœu qui était devenu une gageure, une gageure qui
tournait à l’entêtement ? Dieu n’exigeait pas une créature
façonnée pour une seule performance : d’une nature
comme la sienne, il attendait certainement un combat
autrement jaillissant et soutenu. « Et puis, vieil hypocrite,
reconnais plutôt que tu meurs d’envie de boire un coup,
comme les autres, et que l’occasion n’est pas près de s’en
représenter sous un jour aussi fastueux. » Il vit que