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Sinistrée. Les deux hommes marchaient côte à côte en<br />
silence. À intervalles, Quentin répondait au salut d’un<br />
Tigervillois étonné de le trouver en ville à cette heure-ci<br />
et dans cette compagnie. Fouquet éprouvait<br />
progressivement l’insolite de cette promenade que les<br />
relations nouées par le dîner de la veille ne suffisaient pas<br />
à justifier. Il sentait monter l’explication et serait<br />
facilement entré dans un bistrot pour camper à la hâte un<br />
décor autour de ce qui allait se dire et au besoin truquer le<br />
sens des mots. Il appréhendait une conversation sans<br />
accessoires.<br />
Parvenu au boulevard Aristide-Chany, Quentin<br />
s’arrêta à contempler la mer rugueuse et vide.<br />
— Jamais un bateau, dit-il, avez-vous remarqué ? Pas<br />
de port, pas de trafic. Le poisson vient d’Ouistreham dont<br />
nous apercevons le phare, la nuit. Le collier de lumières<br />
qui s’allume là-bas, c’est Le Havre. Ici, nous sommes<br />
oubliés et nous ne reflétons rien. Je n’ai jamais cherché à<br />
savoir ce que vous étiez venu faire chez nous mais j’ai cru<br />
comprendre que quelque chose ne tournait pas rond.<br />
Pourquoi buvez-vous ?<br />
— J’ai déjà entendu cette question, dit Fouquet<br />
amèrement.<br />
— C’est celle que doivent vous poser tous ceux qui<br />
vous aiment bien. Vous n’avez pas le droit.<br />
— Vous, vous l’auriez.<br />
Quentin s’en voulait d’avoir attaqué de cette façon.<br />
Sur le chapitre des droits de l’individu, il était partisan