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CHAPITRE V<br />
— Tu aurais eu à cœur de le faire boire que tu ne t’y<br />
serais pas pris autrement, dit Suzanne.<br />
— Si, répondit Quentin, j’aurais bu avec lui.<br />
Ils étaient dans leur chambre qui n’avait pas l’air<br />
d’une chambre d’hôtel, bien qu’elle ne se distinguât des<br />
autres que par l’absence d’un numéro au-dessus de la<br />
porte. Mais les souvenirs de toute une vie s’y trouvaient<br />
accumulés sur un espace restreint, où la forme et le poids<br />
matériels, plus que la valeur sentimentale, assignaient<br />
aux objets une place définitive ; le mot qui venait à l’esprit<br />
de Quentin, lorsqu’il envisageait cet échafaudage de<br />
trésors douteux, était celui de cargaison. Il<br />
s’accompagnait du sentiment morose que la cale du navire<br />
avait fait charge pleine.<br />
Suzanne arrêta sa machine à coudre, leva les yeux<br />
vers son mari occupé à se raser avec le vieux coupe-chou<br />
dont il n’avait jamais réussi à se déshabituer et ressentit,<br />
comme chaque matin au spectacle de ce mâle jardinage,<br />
l’impression heureuse qu’une puissance exacte animait ce<br />
torse gonflé de bretelles.<br />
— Peut-être pourrais-tu recommencer à prendre un<br />
peu de vin à table, dit-elle. Je te regardais hier soir faire