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onheur se calfeutre et que je t’entends croquer tes<br />
bonbons, il m’arrive encore de me demander pourquoi tu<br />
es devenu si parfait d’un seul coup et d’espérer que c’est<br />
un peu pour moi.<br />
— Laisse mes bonbons tranquilles. Je devrais m’en<br />
passer, comme de tout le reste ; c’est une habitude.<br />
— C’est une méthode.<br />
— Je n’ai plus que des habitudes.<br />
— Du moment qu’elles ne sont pas mauvaises…<br />
Ayant vidé son sac, elle s’était éloignée, plus légère,<br />
assurée d’avoir suffisamment affaibli l’adversaire pour lui<br />
offrir sans crainte l’image de ce dos aveugle et strict qu’il<br />
s’était pris un instant à haïr.<br />
« Lui, Fouquet, n’a pas d’habitudes, pensa Quentin,<br />
tout ce qu’il fait possède la dignité charmante du<br />
provisoire, il invente son chemin. Il me rappelle Dauger,<br />
ce matelot sans spécialité – sans spécialité comme<br />
Fouquet, les paupiettes mises à part. Ce Dauger qui faisait<br />
merveille dans la brousse avec la seule allégresse de<br />
l’instinct, tandis que nous nous retrouvions encerclés<br />
malgré nos thèmes tactiques. L’habitude, c’est un bon<br />
moyen de se laisser mourir sur place. »<br />
Au fond, Suzanne n’avait pas entièrement tort :<br />
Fouquet représentait pour lui la tentation, non de la<br />
boisson, mais d’une vie plus dégagée. Sous sa grosse<br />
écorce, il s’était toujours senti attiré par ce qui était fin et<br />
rien ne traduisait mieux la finesse à ses yeux que<br />
l’absence où s’enfermait parfois ce jeune homme délié, ses