Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

générations passaient en coup de vent, ne se ralliaient à
rien, se dispersaient au gré de la route. La plupart
trouvaient le moyen de rentrer chez soi à la fin de la
semaine et la « chambre des représentants » demeurait
vide le plus souvent. Ils n’avaient pour eux que la
fréquence et la régularité, qui les faisaient apparaître et
disparaître à dates fixes, comme les personnages du
jacquemart, mais la fantaisie en était exclue. L’homme de
Saint-Wandrille pointait le dernier mercredi du mois.
Suzanne s’était crue obligée d’aller chez le coiffeur,
Minerve casquée sur ses bigoudis, et, dans quelques
instants, elle profiterait de l’obscurité pour revenir en
rasant les murs, une main sur la tête, l’autre devant sa
bouche pour s’excuser. Les petites bonnes qui vaquaient
entre l’office et la lingerie souriaient chaque fois que les
yeux de Quentin se posaient sur elles : Fouquet, qu’elles
avaient affublé d’un tablier, était en train de mettre la
cuisine sens dessus dessous. Quand la voiture du
voyageur de commerce eut disparu, déchirant une
mousseline de pluie, Quentin se dirigea sans hâte vers la
porte à deux battants percés de hublots, d’où l’on
commandait les fourneaux et les tranchoirs.
Fouquet, devant la grande table de bois tailladée par le
coutelas de la cuisinière, patinée par les sauces et les jus,
s’appliquait à dénoyauter les olives. Autour de lui, sur de
nombreuses assiettes ou plats, s’étalaient diverses
denrées entre lesquelles il distinguait ses bases et ses
ingrédients. Il avait exigé de faire les achats lui-même,
prétendant que la connaissance des beurres était aussi
indispensable à la confection des paupiettes que la science