Antoine Blondin UN SINGE EN HIVER

CHAPITRE IV
Fatigué de se pencher sur le dictionnaire en dix-sept
volumes, ouvert à la rubrique Madrid, corné à la rubrique
taureau, Quentin regardait d’un œil vague le démarcheur
qui plaçait les produits manufacturés par les moines de
l’abbaye de Saint-Wandrille. C’était un jeune homme
décoré, coiffé d’un béret basque, un ancien combattant
déjà ; mais il tournait avec une jubilation enfantine autour
de la voiture où il empilait ses échantillons, un engin de
forme américaine, et il se déclarait volontiers publicrelations.
Cette corporation des voyageurs n’est plus ce
qu’elle était, au temps où les baladins du commerce
débarquaient par le train en migration saisonnière,
installaient leur camp volant à l’hôtel jusqu’à ce qu’ils
aient écumé la région et feuilletonnaient à la veillée l’atlas
de leurs vies errantes, dont les épisodes se recoupaient
parfois, quadrille jovial qui avait la France pour tréteau.
Leur faconde était celle des vieux journalistes qui ont
butiné le monde et tout le plaisir des jours était dans leurs
soirées. Certains couchaient jusqu’à quatre par chambre,
l’encaustique avec la papeterie, les machines agricoles
avec les bracelets-montres, pour pouvoir braconner leurs
souvenirs plus avant dans la nuit ; Quentin les enviait
secrètement et leur concédait des tarifs de faveur.
L’automobile avait tué la table d’hôte. Les nouvelles