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Tintamarre
Une synthèse réussie
de l’œuvre d’Antonine Maillet
L’œuvre d’Antonine Maillet est ample, généreuse et
diversifiée. Si plusieurs essayistes ont analysé
différents ouvrages ou thèmes, Robert Viau est le
premier à vouloir en faire le tour. Dans Antonine Maillet,
50 ans d’écriture (Éditions David), il nous présente un
portrait saisissant de la production de cette grande
écrivaine.
David Lonergan
lonergan@nbnet.nb.ca
Viau est professeur titulaire au
Département d’études françaises de
l’Université du Nouveau-Brunswick et
spécialiste des littératures acadienne,
québécoise et de l’Ouest (francophone).
Il a publié de nombreux articles et livres
dont Les Grands dérangements: la déportation
des Acadiens en littérature acadienne,
québécoise et française (MNH, 1998) et La
création littéraire dans le contexte de l’exiguïté
(MNH, 2000).
Son dernier-né se veut un hommage à
Antonine Maillet. Systématiquement, il
résume, analyse et met en contexte chacune
des œuvres en les organisant en 12
cycles. La première œuvre de chaque
cycle suit la chronologie tandis que des
œuvres ultérieures peuvent faire partie
du même thème. Ainsi, «le cycle des
Crasseux» réunit Les crasseux (1968),
Don l’Orignal (1972) et les versions
ultérieures (et fort différentes) des
Crasseux (1974). Le «cycle du vieil âge»
réunit La Sagouine (1971), Gapi et
Sullivan (1973), Gapi (1976) et Évangéline
Deusse (1975).
L’aventure débute par «le cycle des
primevères» qui réunit les deux premières
œuvres publiées, Pointe-aux-
Coques (1958) et On a mangé la dune
(1962), et se termine avec le cycle «fabriquer
d’autres mondes» qui s’organise
autour de Madame Perfecta (2001), L’Îleaux-Puces
(1996), Chronique d’une sorcière
de vent (1999) et Pierre Bleu (2006).
Pour Viau, l’œuvre de Maillet est une
«fascinante comédie humaine» (p. 13) et
c’est ce qu’il entend prouver en insistant
sur la dimension humaine plus que littéraire.
Le résumé de chaque œuvre s’enrichit
d’éléments biographiques et des
liens avec les autres ce qui permet de
mieux suivre l’évolution de l’écriture de
Maillet.
Viau met en relief les thèmes qui
habitent toute l’œuvre de Maillet: la perte
«Il ne manque que la
dimension critique pour
que l’ouvrage de Robert
Viau soit sans faille. Il
n’ose pas juger de la
valeur littéraire des
œuvres d’Antonine
Maillet. Il demeure
prudemment analyste.»
du paradis terrestre, l’opposition entre les
démunis et les riches et entre tradition et
nature, le rêve d’une société meilleure, le
non-conformisme social, l’anticlérica -
lisme ou du moins la révolte contre ce qui
est sclérosé dans l’Église, la conscience de
la mort, le rôle des femmes, la volonté de
faire connaître l’Acadie en affirmant son
existence territoriale et en se réappropriant
son histoire, et bien d’autres tant est
riche cette œuvre. Mais par-dessus tout, il
souligne la façon dont l’œuvre est animée
par un puissant souffle créateur, habitée
par un style qui se fonde sur la langue
orale tout en la recréant.
Respectueusement, pourrait-on dire,
Viau lie les œuvres les unes aux autres
tant du côté thématique que de celui des
personnages qui vont et viennent d’un
livre à l’autre, insistant particulièrement
sur les personnages du Pays de la
Sagouine et de Radi qui est l’enfant que
fut Antonine comme Viau le souligne en
pointant le «lapsus» dans les dates de
naissance de l’une et de l’autre : dans On
a mangé la dune, Radi naît le 13 août
1929, mais dans Le chemin Saint-Jacques,
sa date de naissance devient le 10 mai
1929, tout comme Antonine. Il y a beaucoup
de finesse dans ses c ommentaires.
Viau n’a retenu que les œuvres pu -
bliées, ce qui explique qu’il passe sous
silence les pièces écrites pour les élèves du
Collège Notre-Dame-d’Acadie et la plupart
des textes écrits pour le Pays de la
Sagouine. En soi, ce choix est justifié
même s’il aurait été intéressant de relever
les liens entre le premier roman et les premières
pièces, et d’interroger les innombrables
textes écrits pour les comédiens
du Pays en regard des œuvres dont ils
sont issus.
Comme toute répartition, celle de Viau
peut être remise en question, mais il fallait
bien organiser la matière en tentant
de dégager des liens, ce qu’il réussit à
faire. Il évite le langage (trop) universitaire,
lui préférant une approche de vulgarisation:
les notes de bas de page sont
limitées au minimum et quand elles sont
là, elles sont pertinentes, les citations
d’autres ouvrages (en particulier des critiques)
sont, là encore, choisies avec parcimonie,
tandis que les appels aux textes de
Maillet et à certaines entrevues qu’elle a
accordées illustrent fort à propos ce qu’il
Le samedi 29 mai 2010
veut nous démontrer.
Il ne manque que la dimension critique
pour que l’ouvrage de Viau soit sans faille.
Il n’ose pas juger de la valeur littéraire des
œuvres de Maillet. Il demeure prudemment
analyste, suggérant ses préférences
par le nombre de pages qu’il accorde à
une œuvre. Ainsi, il consacre 18 pages à
Pélagie-la-Charrette, 12 aux Confessions de
Jeanne de Valois et six à Cent ans dans les
bois, une œuvre que même Maillet juge
plus faible.
On termine la lecture en ayant le goût
d’aller se plonger dans les œuvres de
Maillet. Maillet pour qui, écrit-il en
conclusion «tous les possibles sont encore
à portée de main» et «qui retourne dans
son passé rattacher les cordons de sa destinée
et refaire ce monde imparfait par la
création littéraire» (p. 328).
Relâche
Veuillez noter que la chronique Tintamarre de David
Lonergan fera relâche en juin. M. Lonergan reprendra
du collier dans notre édition du samedi 3 juillet.
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