SORMIOU - Plongée Plaisir
SORMIOU - Plongée Plaisir
SORMIOU - Plongée Plaisir
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Albert FALCO & Alain FORET<br />
P r é f a c e d e J e a n - M i c h e l C O U ST E A U<br />
<strong>SORMIOU</strong><br />
BERCEAU BLEU DE MES SOUVENIRS<br />
éditions<br />
gap
AVANT-PROPOS<br />
Falco, enfant de Sormiou<br />
par Ferdinand Lallemand................... 13<br />
INTRODUCTION ........................ 15<br />
PRÉFACE<br />
Albert Falco… Bébert… Bebs !<br />
par Jean-Michel Cousteau ................ 17<br />
<strong>SORMIOU</strong>,<br />
BERCEAU BLEU<br />
DE MES SOUVENIRS<br />
Marie de Sormiou ............................... 21<br />
Les premiers habitants ........................ 25<br />
L’origine du nom.................................. 27<br />
Des Anglais à Sormiou....................... 29<br />
Les chemins de Sormiou ..................... 31<br />
La caserne des Douaniers ................. 37<br />
La conquête des cîmes ...................... 39<br />
L’eau douce .......................................... 41<br />
La nature fragile................................... 43<br />
Le feu ..................................................... 47<br />
La petite pêche..................................... 51<br />
Mon cabanon ..................................... 65<br />
Les fêtes et jeux à Sormiou................. 73<br />
Le Club de la Mer ............................... 75<br />
Les saisons de la mer.......................... 81<br />
L’APPEL DE LA MER<br />
Le bateau de mon père .................... 93<br />
1939, tout s’écroule .......................... 103<br />
Georges Beuchat .............................. 105<br />
11<br />
SOMMAIRE<br />
Ma première plongée<br />
en scaphandre................................... 115<br />
Liberté .................................................. 117<br />
Fontaine de Vaucluse........................ 121<br />
1950, la première traversée............ 123<br />
Hou-Hop............................................. 135<br />
Le Grand Conclu............................... 143<br />
Pour la première fois à la barre<br />
de la Calypso .................................... 155<br />
Je rejoins l’équipe ............................. 157<br />
20 000 HEURES<br />
SOUS LES MERS<br />
De Maarkos Sestios<br />
à Anticythère....................................... 161<br />
Ma première grande expédition.... 173<br />
Le Monde du silence ........................ 179<br />
La soucoupe plongeante................. 185<br />
Les premiers « océanautes »............. 199<br />
Les canons de Napoléon................ 207<br />
L’Espadon ........................................... 209<br />
La montagne Pelée............................ 217<br />
Epaves de rêve.................................. 221<br />
Le Moulin à vent ............................... 225<br />
Epilogue ............................................. 229<br />
POSTFACE<br />
Une vie ne suffit pas ......................... 233<br />
CHRONOLOGIE ..................... 235<br />
Remerciements .................................. 253<br />
Crédits photographiques ................ 253<br />
Bibliographie..................................... 255
En 2005, chez mon ami Denis Martin-Laval, médecin à bord de la Calypso lors du tournage du « Monde du silence »<br />
(et lors de nombreuses autres expéditions), devenu le confident de Simone Cousteau, je consulte mon Journal de bord<br />
avant un nouveau voyage au Soudan, sur le site de Shab Rumi où nous avons vécu 30 jours sous la mer…
15<br />
INTRODUCTION<br />
En lisant ces anecdotes concernant mes aventures à bord de la légendaire<br />
Calypso, vous vous poserez sûrement la question : « Mais comment tant<br />
de précisions dans ses propos ? Comment peut-il se souvenir non<br />
seulement des années mais également des mois, des jours et des heures ?<br />
Quelle mémoire ! ».<br />
En fait, il n’en est rien. Pour garder une trace précise, j’ai décidé, dès 1954, de<br />
prendre note chaque jour, à la façon d’un journal de bord, de tous les grands<br />
moments que je vivais en tant que marin et plongeur. Sans oublier les rencontres<br />
humaines exceptionnelles qui ont tissé le fil conducteur de ma vie.<br />
J’ai ainsi accumulé près de 2 000 pages de souvenirs et anecdotes.<br />
Ces cahiers ont été rouverts pour vous en faire partager les moments forts…
L E S P R E M I E R S H A B I T A N T S<br />
L A G R O T T E C O S Q U E R<br />
Un bison de trois-quarts face (ci-dessus), chevaux avec reflets sur l’eau de<br />
mer de la grotte et vue d’ensemble (en haut), détail d’une main (en bas).<br />
Photographies © MCC - DRAC/SRA PACA. L. Vanrell.<br />
Pour en savoir plus :<br />
Jean Clottes, Jean Courtin, Luc Vanrell,<br />
Cosquer redécouvert, Éd. du Seuil.<br />
http://www.culture.gouv.fr/culture/archeosm/fr/fr-cosqu1.htm
Les premiers habitants<br />
Entre deux missions à bord de la Calypso, j’aimais retrouver la calanque de Sormiou et mes amis,<br />
amoureux de la mer, avec qui je partageais le repas du lundi.<br />
Le 4 juin 1961, c’est avec Jean Pernet, dentiste érudit,<br />
que je me glisse à l’eau dans la calanque de Triperie<br />
près du cap Morgiou. Le but de notre aventure sousmarine<br />
est de pénétrer dans une grotte dont l’entrée peut<br />
se voir depuis la surface par 8 m de fond. Allumant nos<br />
lampes étanches sous le surplomb gauche, nous voyons<br />
de petites branches de corail rouge tapissant les parois<br />
où s’accrochent des gorgones jaunes et des éponges<br />
colorées. Pénétrant d’une dizaine de mètres à l’intérieur<br />
d’un large tunnel, nous éclairons une famille de crabes<br />
roses aux pinces blanches accrochée à la voûte et qui<br />
semble dormir. Nous enfonçant plus loin dans une eau<br />
limpide mais noire, nous finissons par faire surface dans<br />
un petit lac, à 25 m de l’entrée.<br />
Autour de nous, dans la continuité du boyau, nos faisceaux<br />
lumineux découvrent des colonnes et des stalactites noyées,<br />
nous rappelant les déluges, les pluies catastrophiques,<br />
les inondations qui ont exterminé hommes et animaux.<br />
Contournant ces coulées de calcite, notre exploration nous<br />
permet d’avancer d’une quinzaine de mètres où, sous des<br />
surplombs rocheux, nous découvrons un défilé de crevettes<br />
cavernicoles chassées par deux belles mostelles affamées.<br />
Mais le canal est obstrué par le sable vaseux et nous<br />
devons entamer notre retour. Ce faisant, nous retrouvons le<br />
petit lac et, en nous faufilant entre deux failles étroites au<br />
plafond du tunnel, nous refaisons surface. Et là, nos lampes<br />
éclairées mettent en évidence une petite plage couverte<br />
d’une mosaïque de formation de calcique aux dessins<br />
géométriques. Hurlant notre joie, nous décapelons nos<br />
bouteilles pour continuer à pied jusqu’à une cavité au sol<br />
effondré qui nous permet de dominer le petit lac et de<br />
contempler les colonnes visibles dans l’eau limpide :<br />
ambiance digne du roman de Jules Verne. Cette image du<br />
retour est marquée par le halo bleu de la sortie où nous<br />
retrouvons la lumière du soleil.<br />
Nous ne savions pas qu’en pénétrant plus profondément,<br />
nous aurions pu accéder à une grotte inconnue… Elle sera<br />
découverte en 1985 par Henri Cosquer et les membres<br />
de son équipe mais l’existence de peintures et de<br />
25<br />
gravures ne sera mentionnée qu’en 1991 (travaux du<br />
DRASM, de Jean Courtin et de Jean Clottes). À partir<br />
de 2002, Luc Vanrell obtiendra une autorisation du<br />
Ministère de la Culture pour une opération de recherche<br />
et d’inventaire et poursuivra les travaux.<br />
Cette découverte témoigne d’une vie intense dans la<br />
calanque et ses environs dès la préhistoire.<br />
Bien entendu, il ne faut pas s’imaginer Sormiou comme<br />
elle est aujourd’hui. Il y a plus de 20 000 ans, nous<br />
sommes dans une période glaciaire. Le niveau de la mer<br />
est de 100 à 120 mètres plus bas et le rivage se situe à<br />
des kilomètres des côtes actuelles, au-delà de l’île de<br />
Riou (au pied du Grand Conclu, la profondeur est d’environ<br />
70 m). Là où nous avons de l’eau aujourd’hui, il y avait<br />
probablement une steppe remplie d’animaux que les<br />
habitants de l’époque, de grands gaillards de 1,80 m à<br />
1,90 m, ont représentés sur les parois : chevaux, bouquetins,<br />
bisons, chamois, antilopes… pingouins et phoques !<br />
À la fin de cette période glaciaire, il y a environ 10 000 ans,<br />
le niveau des eaux est monté et a envahi la grotte. Mais<br />
la partie restée au-dessus du niveau de la mer a été<br />
conservée intacte.<br />
Selon Raoul Busquet (Histoire de Marseille), les descendants<br />
directs de ces populations préhistoriques semblent avoir<br />
été les Ligures-Salyens et, plus précisément, la tribu des<br />
Comans (que certains auteurs appellent les Ségobriges),<br />
il y a environ vingt-huit siècles. Des fouilles archéologiques<br />
auraient prouvé cette présence à Montredon, à l’entrée de<br />
Sormiou et à la Fontaine d’Ivoire, près de Mazargues. Ce<br />
peuple est généralement décrit comme étant des barbares<br />
de petite taille, vêtus d’une tunique en laine ou d’une peau<br />
de bête arrêtée au milieu du corps par une large ceinture<br />
de cuir. Assez frustres, ils ignoraient l’écriture et avaient une<br />
certaine propension à la piraterie et au brigandage.<br />
Ils pratiquaient la cueillette, un peu d’agriculture, la chasse<br />
et la pêche. Sans doute que sur tous ces plans, la calanque<br />
de Sormiou offrait un site de choix…
L A P E T I T E P Ê C H E
C<br />
haque année, des concours sont organisés, ce qui<br />
est l’occasion de passer un bon moment entre<br />
amis et de se régaler du poisson du jour avec un<br />
rosé bien frais.<br />
Quant à la pêche professionnelle, elle y est pratiquée<br />
depuis des siècles, même s’il y a aujourd’hui moins de<br />
pêcheurs qu’au début du siècle, raréfaction de la ressource<br />
oblige.<br />
Après la création, en 1431, d’une prud’homie des pêcheurs,<br />
l’activité est devenue professionnelle dans les calanques<br />
dès 1472. Louis XIII y a même renouvelé le droit de pêche<br />
en 1629, après avoir embarqué à bord d’un bateau<br />
pour une partie de pêche au thon à Morgiou.<br />
À la fin du XIXe siècle, les pêcheurs ont monté des cabanes<br />
de fortune pour pouvoir rester plusieurs jours et protéger<br />
leur matériel. Par la suite, les premiers cabanons ont été<br />
construits, au port et près de la plage, à côté de l’enclos<br />
des ânes qui transportaient la pêche jusqu’à Mazargues.<br />
51<br />
La petite pêche<br />
C’est mon père qui m’a initié à la pêche. À Sormiou, les amateurs pratiquaient, et pratiquent encore,<br />
la pêche à la ligne, à la palangrotte, à la traîne, au girelier, au jambin, etc.<br />
Ci-dessus : Le cabanon de l’Union Nautique de Sormiou,<br />
association créée en 1932 sous le nom d’Union nautique<br />
des professionnels et amateurs du port de Sormiou.<br />
Ci-dessous : Oursinade à Sormiou, tableau d’Elie Boissin,<br />
reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.<br />
http://peintredemarines.blogspot.com/
L E S S A I S O N S D E L A M E R
Sous la mer, il y a, comme sur terre, des saisons.<br />
Je me souviens de cette plongée de novembre<br />
au cours de laquelle j’ai rencontré près d'une<br />
falaise de Sormiou, un calmar isolé de plus de<br />
cinquante centimètres de long. L’animal semblait mourant<br />
et portait des cicatrices profondes sur ses pattes et son<br />
corps, ce qui lui donnait une nage lente et saccadée,<br />
il agonisait. Pourquoi ce calmar était-il dans cet état ?<br />
Je découvris la réponse à cette question le 10 mars 1975,<br />
alors que je faisais des photos le long d'une marche de<br />
concrétion près de la grotte de Cancéou par 35 à<br />
40 mètres de fond. Un groupe de calmars en pleine<br />
eau attira mon attention. Je me glissai entre deux grands<br />
blocs rocheux en respirant le moins possible, afin de me<br />
placer sous les céphalopodes qui ne semblaient pas<br />
trop effrayés par mes manoeuvres d'approche, puis je me<br />
faufilai sous un auvent garni de gorgones orange et de<br />
bryozoaires en forme de rosaces. Appareil photo en main,<br />
je me mis à observer ce fantastique ballet donné par<br />
une dizaine de calmars dont deux d’entre eux, nettement<br />
plus gros, dépassaient les 50 centimètres. Les autres,<br />
plus petits de moitié, semblaient empressés et caressants<br />
envers les plus grands. Je compris très vite que j'assistais<br />
à une scène de reproduction. Dans leurs pirouettes<br />
amoureuses, les calmars changeaient souvent de couleurs,<br />
passant du translucide au rouge et noir piqué de points<br />
jaunes, bruns et orange. Le spectacle était féerique…<br />
Depuis mon poste d'observation, n'osant plus bouger,<br />
j'avais remarqué que les mouvements qui se répétaient<br />
le plus, à part le fait d'enlacer la femelle pour s'accoupler<br />
et pratiquer à l'aide d'un de leurs bras la fécondation<br />
interne, étaient une invitation à descendre vers les abris<br />
rocheux qui se trouvaient à la base des grands blocs à<br />
4 ou 5 mètres de moi. Une des deux femelles, habituée<br />
à ma présence, me passa devant comme un avion à<br />
réaction en plein ciel. Mon doigt déclencha aussitôt<br />
l'appareil et l'éclair du flash fit briller le long fuselage<br />
mordoré. Accompagnée de deux mâles, la femelle<br />
continua sa course jusqu'au trou situé sous un grand<br />
bloc surmonté de deux spirographes qui se balançaient<br />
sous l'effet d'un résidu de houle que l'on ressentait jusqu'au<br />
Les saisons de la mer<br />
De retour de mission, on m'a souvent posé la question : « Où passez-vous vos vacances ? »<br />
La réponse a toujours été la même : « A la mer, je ne peux pas m'en passer ».<br />
81<br />
fond. Elle pénétra avec précaution sous la roche, alors que<br />
les deux mâles, après quelques hésitations, rejoignirent<br />
le groupe en pleine eau. Ne voyant presque plus rien de<br />
mon poste, je décidai d’approcher d'un mètre ou deux<br />
en me déplaçant du bout des doigts. J'aperçus à nouveau<br />
la femelle qui, à l'aide de ses pattes et de ses ventouses,<br />
nettoyait la surface du rocher pour ensuite y déposer de<br />
longues poches d'oeufs fixées par un filament visqueux<br />
et collant. J'aurais voulu rester plus longtemps pour<br />
regarder et photographier la ponte jusqu'à son terme,<br />
mais c’était impossible et ma bouteille était presque vide.<br />
De plus, je grelottais de froid. La température de l'eau<br />
approchait les 13 °C et cela faisait plus de trente minutes<br />
que j'étais resté inerte.<br />
Je dus abandonner à regrets les pièces de mon puzzle<br />
sur les calmars. En observant cette femelle, j'avais<br />
remarqué qu’elle avait égratigné ses pattes et son corps<br />
au contact des aspérités. Sa chair gélatineuse, si lisse,<br />
s'était peu à peu marquée de zébrures profondes. Je me<br />
remémorai alors les calmars agonisants rencontrés les<br />
années précédentes et je compris qu'après avoir assuré<br />
la survie de l'espèce, épuisée et en lambeaux, elle allait<br />
mourir, seule et abandonnée.<br />
Les poissons m'ont passionné depuis l’enfance. C'est<br />
pourquoi, durant mes vacances, muni de mon appareil<br />
photo sous-marin, de jour comme de nuit, j'ai souvent<br />
passé mon temps libre à regarder vivre mes amis à<br />
branchies et pris à chaque fois des notes sur mes<br />
observations. Cela pouvait être de tout petits poissons<br />
comme la blennie à corne qui se cache sur les falaises<br />
dans un jardin d'algues calcaires ou au pied des<br />
gorgones, ou encore les magnifiques petits couples de<br />
labres qui au cours des mois de juin et de juillet fabriquent<br />
des nids comme ceux des oiseaux. À la même époque,<br />
les esquinades qui remontent des grands fonds viennent<br />
pondre leurs oeufs dans les algues, en pleine falaise.<br />
En avril, quand le thym et le romarin fleurissent dans les<br />
collines, il est très facile d'observer sous l'eau, toujours en<br />
pleine falaise, les blennies jaunes à tête noire, ou les<br />
nudibranches magnifiquement colorés de jaune et de bleu.
L E B A T E A U D E M O N P È R E<br />
Mon père était marin pendant la guerre de 1914 et avait navigué comme Premier Maître<br />
Timonier à bord d'un dragueur de mines, le Géranium.<br />
Hasard de l’histoire, près de cinquante ans plus tard, j’embarquai à bord d’un ancien<br />
dragueur de mines, la Calypso, pour les premières fouilles archéologiques françaises en<br />
scaphandre autonome, au large de Sormiou, sur le rocher du Grand Conclu.<br />
92
Il faisait terriblement chaud. Heureusement, les transports<br />
sur rails à cette époque étaient ouverts aux quatre vents,<br />
ce qui permettait de regarder tout ce qui se passait aux<br />
alentours et, dès que nous prenions le chemin du littoral,<br />
j'attendais avec impatience de découvrir le bleu de la mer.<br />
J'étais attiré, envoûté, je ne disais plus un seul mot.<br />
J'observais l'horizon, les îles au large de Marseille et<br />
surtout les bateaux.<br />
Tout à coup, mon regard se posa sur l'un d'eux. Son<br />
étrave fendait la mer harmonieusement, laissant de chaque<br />
bord des volutes d'eau en forme de spirales. J'avais<br />
l'impression d'être à bord, debout sur le pont avant,<br />
scrutant la mer à la recherche de l'inconnu, vertes îles ou<br />
poissons géants imaginaires. Je rêvais déjà de naviguer<br />
sur des bateaux qui sillonneraient les mers et les océans,<br />
et qui me transporteraient vers de merveilleuses aventures<br />
et de fabuleuses découvertes…<br />
Le crissement des roues d'acier du tramway sur les rails me<br />
sortit tout à coup de mes rêves. Nous approchions du<br />
petit port de l'Estaque où nous descendîmes tous les trois.<br />
Une forte odeur de coaltar provenait des barques posées<br />
sur le quai en carénage d'entretien. Un peu plus loin, des<br />
pêcheurs démaillaient d’étincelantes sardines, qu'ils jetaient<br />
dans des cagettes pour être ensuite transportées vers les<br />
poissonneries voisines.<br />
Mon père se détacha de nous pour aller se renseigner<br />
auprès d'un vieux marin qui fumait, tranquillement assis<br />
sur un tas de filets. L'homme de mer, sans lâcher sa pipe,<br />
lui fit signe de continuer au bout du quai et de tourner à<br />
gauche. Personne ne m'avait parlé de la raison de notre<br />
déplacement. Mais c'est avec un réel plaisir que j'avais mis<br />
les pieds sur l'appontement flottant où se trouvaient amarrés<br />
des dizaines de bateaux de tous âges et de toutes<br />
couleurs.<br />
Arrivés au bout de cette panne, mon père interpella un<br />
homme qui était occupé, à l'aide d'un tournevis, à régler<br />
un moteur d’une magnifique bette toute neuve, de couleur<br />
blanche à bande jaune. Mais le bruit de la mécanique<br />
couvrait leurs voix. Alors l'homme, en deux bonds, fut sur<br />
le quai, serra la main de mon oncle et de mon père puis,<br />
Le bateau de mon père<br />
C’était un samedi de juillet 1933. J'approchais de ma sixième année.<br />
Mon père, accompagné de mon oncle Paul, m'avait pris par la main et, ensemble, nous avions rejoint<br />
la place Sadi-Carnot où nous étions montés dans le tramway, direction l'Estaque.<br />
93<br />
se baissant vers moi et voyant mes yeux grands ouverts<br />
d'envie, il dit :<br />
– Tu aimes les bateaux ? Eh bien monte avec moi !<br />
Tes parents viennent de l'acheter, tu pourras aller à la<br />
pêche bientôt.<br />
J’écarquillai les yeux et cherchai le regard de mon père :<br />
il me souriait en faisant « oui » de la tête. J’étais transporté<br />
de joie et un grand frisson me parcourut le corps. Déjà,<br />
je sautai à bord et me déplaçai rapidement jusqu'au<br />
timon que je pris aussitôt en main comme si j'allais partir<br />
pour un long voyage. Mon père discuta une bonne demiheure<br />
au-dessus du moteur, se faisant expliquer les petits<br />
secrets de la mécanique pour sa bonne marche et son<br />
entretien.<br />
En attendant, je regardais défiler le long de la coque des<br />
bancs de petits poissons et j'observais la vie marine dans<br />
un décor de grandes algues vertes qui tapissaient par<br />
deux mètres le fond du port. Un bernard-l’ermite se déplaçait<br />
en tirant de toutes ses forces sur sa lourde coquille pour<br />
essayer de voler, à l'aide de ses deux grosses pinces, un<br />
bout de déchet de poisson à deux crevettes qui ellesmêmes<br />
se le disputaient. À quelques centimètres de là,<br />
une magnifique étoile de mer, aux couleurs rouge
1 9 5 0 : L A P R E M I È R E T R A V E R S É E<br />
Eté 1950, première traversée vers la Corse à bord du Surcouf.<br />
122
1 er juillet. Vers 15 h 10, en forme et pleins d’espoir, nous<br />
quittons le port du carénage à Marseille sous les yeux<br />
inquiets des parents et amis. Deux heures après, Poup,<br />
préposé aux manœuvres d’avant, jette l’ancre dans la<br />
calanque de Sormiou.<br />
Entourés de nos amis, nous prenons un dernier repas à<br />
terre, au restaurant Le Lunch, tenu à l’époque par un ami,<br />
Jean-Louis Pibaud. Nous dégustons une soupe<br />
remarquable, faite de haricots rouges, de pâtes, de<br />
pommes de terre et parfumée au basilic (le pistou<br />
provençal).<br />
Mais le large nous attend, et alors que Boboss lance le<br />
moteur, l’Oncle déborde la passerelle à côté de Poup qui<br />
love le mouillage dans le trou d’homme à l’avant du<br />
bateau.<br />
Le départ<br />
1950 : la première traversée<br />
En 1950, Etienne Paul, notre ami de Sormiou, accepta de me prêter le Surcouf, sa barquette marseillaise de 6,50 m.<br />
Elle disposait d’un rouf, de deux couchettes, d’une voile d’appoint et d’un moteur de 8 CV prélevé sur une vieille<br />
B14 Citroën, capable de filer 5 nœuds par beau temps, soit 9 km à l’heure. Cela nous suffisait pour envisager de<br />
traverser jusqu’en Corse. L’équipage était constitué de Robert Prigent (dit « Bob » puis « Poup » par déformation),<br />
Henri Plé, « l’Oncle », et Paul Brémond, dit « Boboss ».<br />
C’est avec ce trio, constitué d’amis de toujours, que j’avais partagé mes premières aventures et mes vacances, dont<br />
le but essentiel était la pêche au harpon, la photo sous-marine et « l’extension de notre connaissance de la mer ».<br />
Nous avions décidé d’une tenue : pantalon bleu et tricot de marine rayé.<br />
À 21 h 15, je dirige le Surcouf vers le phare de la<br />
Cassidaigne. Sur la plage de sable fin, dans la pénombre,<br />
nos amis agitent les mouchoirs et les lampes. Des galéjades<br />
fusent de toutes parts :<br />
– Attention aux sirènes !<br />
– Le bonjour à Landolfi !<br />
Certains même entonnent en chœur L’Ajaccienne, la<br />
célèbre chanson de Tino Rossi :<br />
Qu’il soit fêté dans sa maison<br />
L’enfant prodigue de la gloire<br />
Napoléon, Napoléon<br />
L’enfant prodigue de la gloire<br />
Napoléon, Napoléon<br />
C’est à ce moment-là que Boboss choisit d’offrir aux<br />
Calanquais un feu d’artifice dont ils se souviendront toute<br />
leur vie. Il a prévu des bombes et des fusées d’une telle<br />
123<br />
puissance que certains éclats brisent plusieurs vitres de<br />
cabanons !<br />
En route vers le phare du Titan<br />
À bord, les équipes de quart s’organisent et Boboss<br />
double la Cassidaigne, ce phare signalant un écueil au<br />
large de Cassis. Vers 22 h 45, le gicleur du carburateur<br />
se bouche. Il est vite remis en état par l’équipe de veille.<br />
2 juillet. Avec l’Oncle, je prends le quart. Vers une heure<br />
du matin, nous doublons le Cap Sicié, où plusieurs fois sous<br />
son phare nous avions dû, les années précédentes, nous<br />
abriter en attendant que le mistral, qui soulève à cet<br />
endroit des déferlantes impressionnantes, se calme. Mais<br />
ce soir-là, la météo est favorable. Le Surcouf navigue sur<br />
une mer d’huile et, déjà, vers 4 heures du matin, nous<br />
doublons la presqu’île de Giens. Une heure plus tard, alors<br />
que le soleil se lève, nous prenons notre petit-déjeuner fait<br />
de café au lait et d’un succulent gâteau préparé par ma<br />
mère. Le gaz butane, malgré les courants d’air, marche<br />
selon nos espérances : nous pouvons faire bouillir de<br />
l’eau sans problème. La traversée s’annonce sous les<br />
meilleurs auspices. Boboss envoie ensuite les couleurs : nous<br />
nous taisons… Seul le moteur, qui continue sa marche<br />
régulière, se fait entendre.<br />
À 6 h 25, nous accostons dans le petit port de l’Ayguade,<br />
sur l’île du Levant, pour rendre visite à Monsieur Vial,<br />
propriétaire du restaurant La Réserve, avec qui nous avions<br />
lié amitié lors de nos précédents voyages. Il nous avait<br />
permis de connaître ces îles, leurs fonds sous-marins et de<br />
rencontrer d’excellents plongeurs comme Victor Buisson, à<br />
la fois très bon marin, moniteur de natation et de ski,<br />
artiste en ébénisterie.
L E G R A N D C O N C L U<br />
Photo : © 2010 Massachusetts Institute of Technology.<br />
Courtesy of MIT Museum.<br />
Jas d’ancre remonté du site du Grand Conclu.<br />
Jacques-Yves Cousteau m’explique l’intérêt d’une telle trouvaille.<br />
142
La Calypso avait aussitôt été mise en cale sèche par<br />
les soins d’Auniac, du chantier naval d’Antibes et, en<br />
quelques mois, elle avait commencé à prendre sa<br />
nouvelle silhouette qui deviendrait unique deux ans plus<br />
tard, par son faux-nez, son portique surmonté du radar, sa<br />
passerelle, ses deux bossoirs, sa cheminée avec le<br />
panneau de la Sirène et du Dauphin et enfin la grue sur<br />
la plage arrière. Ses couleurs, le blanc pour les œuvres<br />
hautes, et le noir du pont à la flottaison, transformaient le<br />
bateau de guerre en un sage navire océanographique<br />
qui allait assurer pendant une dizaine d’années les<br />
croisières scientifiques françaises.<br />
Les débuts de la Calypso<br />
Alors que je naviguais en 1951 à la recherche d’épaves<br />
antiques dans les récifs des îles Lavezzi, la Calypso avait<br />
passé vers la fin novembre le canal de Suez pour aller<br />
étudier les récifs de coraux dans l’archipel des Farsan.<br />
Cette première croisière fut prometteuse et la Calypso<br />
ramena de ce voyage une importante récolte d’échantillons<br />
biologiques et géologiques ainsi que des renseignements<br />
inédits sur les coraux. La plongée en scaphandre,<br />
vulgarisée grâce au détendeur Cousteau-Gagnan, servait,<br />
lors de cette expédition, de multiples fins scientifiques. De<br />
plus, le commandant Cousteau, aidé de ses amis Frédéric<br />
Dumas et Jacques Ertaud, avait rapporté de fascinantes<br />
images sous-marines en couleur, prises le long de ces<br />
vertigineuses falaises de coraux plongeant dans le bleu<br />
des profondeurs inconnues.<br />
Le Grand Conclu<br />
mon rêve d’enfance se réalise<br />
En juillet 1950, au retour de ma première traversée en Corse avec Bob Prigent, l’Oncle Plé et Paul Brémond,<br />
nous avions visité le Musée Océanographique de Monaco et nous étions restés en admiration devant l’œuvre<br />
accomplie par le prince Albert 1 er , pionnier de l’océanographie. Je rêvais alors à ces expéditions vers les mers<br />
lointaines, malheureusement inaccessibles. Je ne savais pas qu’à vingt kilomètres de nous et au même moment,<br />
un autre grand marin préparait des voyages similaires, dont je ferai partie deux ans plus tard.<br />
Jacques-Yves Cousteau, un brillant officier de marine, venait, en effet, de convenir d’un accord<br />
avec Thomas Loël Guinness afin de disposer d’un ancien dragueur de mines de la dernière guerre<br />
pour le transformer en navire océanographique.<br />
143<br />
1952, année décisive<br />
L’année suivante allait être décisive pour mon avenir<br />
d’homme, de marin et de plongeur. En ce mois de<br />
septembre 1952, en quelques secondes, mon destin allait<br />
basculer. Comme les années précédentes, nous avions<br />
reformé notre groupe d’amis pour partir en croisière vers<br />
la Corse durant les mois de juillet et août. N’ayant pas de<br />
travail fixe à l’époque, j’avais décidé de prolonger mon<br />
séjour à l’issue de cette croisière, pour profiter plus<br />
longuement des joies de la mer, du soleil et de la nature.<br />
À l’époque, nous étions sans doute plus insouciants<br />
qu’aujourd’hui. Il y avait du travail et je savais bien que,<br />
dès mon retour à Marseille, je pourrais trouver un emploi.<br />
Quant à la Corse, la vie était douce. M. Catoni, le patron<br />
du camp touristique Mare E Sole, avait une Citroën. Ayant<br />
fait des stages de mécanique sur les moteurs de cette<br />
marque, je les connaissais parfaitement. Nous avions<br />
donc conclu un accord : je réparais sa voiture et en<br />
échange j’étais nourri et logé. De plus, il me commandait<br />
du poisson que je pêchais facilement en me mettant à<br />
l’eau depuis le bord. Pour mes déplacements dans l’île,<br />
j’avais acheté un VéloSoleX dont le rayon d’action suffisait<br />
amplement à mes besoins.<br />
Le 22 septembre 1952, je reçois un télégramme de mon<br />
ami Paul Brémond :<br />
LE COMMANDANT COUSTEAU CHERCHE<br />
PLONGEURS, ÇA PEUT T’INTÉRESSER,<br />
TU DEVRAIS REVENIR.
158
20 000 HEURES<br />
SOUS LES MERS<br />
Avec le commandant Cousteau<br />
et l’équipe de la Calypso, nous<br />
avons entrepris des dizaines de<br />
missions, certaines à visées scientifiques,<br />
d’autres afin de réaliser des films, pour le<br />
cinéma ou la télévision. Les raconter<br />
toutes est impossible. J’ai donc choisi de<br />
vous présenter ici celles qui m’ont le plus<br />
marqué, soit parce qu’elles ont représenté<br />
un travail de pionnier, soit parce qu’elles<br />
mettent en scène des personnes qui me<br />
tiennent particulièrement à coeur.<br />
Commençons par notre premier voyage<br />
en Grèce, en 1953.
L E S P R E M I E R S « O C É A N A U T E S »<br />
Les derniers aventuriers du XX e siècle.<br />
Photo © www.julesverne.org/JVA/A.Childéric<br />
En tant que premier océanaute, Albert Falco (en bas à droite) aux côtés de : Jacques Piccard et Don Walch (record de<br />
profondeur à bord du Trieste en atteignant 10 916 m dans la fosse des Mariannes), Bertrand Piccard et Brian Jones (1 er Tour<br />
du monde en ballon), Buzz Aldrin (2 e homme à marcher sur la lune), Maurice Herzog (1 er à gravir avec Louis Lachenal<br />
et une expédition composée entre autres de Gaston Rébuffat, l'Annapurna, un sommet de plus de 8 000 mètres),<br />
Thor Heyerdahl (expédition au Kon-Tiki), Valeri Poliakov (record du plus long vol spatial).
Vivre sous la mer<br />
Les premiers « océanautes »<br />
Après nos travaux du Grand Conclu où nous restions 15 minutes le matin et 15 minutes l’après-midi par 40 m de fond,<br />
le commandant Cousteau en avait déduit que nous étions beaucoup trop limités par le temps.<br />
Non seulement du fait de la contenance des bouteilles d’air comprimé, mais également du fait des paliers à effectuer.<br />
Dès 1961, pensant que l’homme pourrait vivre un long<br />
séjour en grande profondeur le sang saturé d’azote,<br />
il m’avait parlé d’une maison sous-marine qui serait<br />
descendue à 30 m pour une durée de 15 jours. Ce projet<br />
m’avait enthousiasmé et son choix se porta sur moi pour<br />
vivre cette nouvelle aventure. Il me demanda alors de<br />
désigner, parmi nos camarades, le compagnon capable<br />
de partager cette expérience peu banale. Je proposai<br />
Claude Wesly pour ses qualités sportives. Je l’avais<br />
rencontré à Sormiou où il travaillait pour l’UCPA et je lui<br />
avais donné sa première leçon de plongée le 6 août 1960<br />
avec les jeunes débutants du Club de la Mer.<br />
Concurrence France/États-Unis<br />
La concurrence avec les équipes américaines était rude.<br />
Qui, le premier, réussirait à faire vivre des hommes sous<br />
la mer ? L’enjeu était de taille. Il s’agissait d’étudier la<br />
possibilité pour l’homme de mener une vie active pendant<br />
plusieurs jours dans un milieu hostile.<br />
L’avenir montrera que ces expériences ont ouvert la voie<br />
aux plongées professionnelles à saturation, en particulier<br />
dans le domaine des travaux offshore.<br />
C’est dans ce contexte que le Commandant m’avait<br />
appelé pour me demander de faire construire, en urgence,<br />
un cylindre de tôle de 2,55 m de large sur 5 m de long,<br />
parfaitement étanche. Je m’étais mis immédiatement en<br />
contact avec les établissements Conta à Vitrolles, qui<br />
m’avaient assuré pouvoir réaliser la chose dans les délais.<br />
De plus, grâce aux Phares et Balises, nous avons pu<br />
réunir les 30 tonnes de gueuses de fonte nécessaires à<br />
l’immersion de notre maison sous-marine dans la crique<br />
de Pomègues aux îles du Frioul. En hommage au<br />
philosophe grec de l’Antiquité qui avait vécu dans un<br />
tonneau, l’opération fut baptisée « Diogène ».<br />
199<br />
Précontinent I, Diogène<br />
1962, îles du Frioul, Marseille<br />
Ce 14 septembre 1962, il est 12 h 20 lorsque nous<br />
sautons à l’eau. En trois coups de palmes, nous atteignons<br />
notre logis et devenons les premiers hommes à vivre sous<br />
la mer. Le mot « océanautes » est inventé pour l’occasion,<br />
en référence aux « astronautes » et « cosmonautes ».<br />
Trois fois par 24 heures, nous sortons de notre refuge<br />
posé par 10,50 m pour aller travailler à une profondeur<br />
de 20 à 30 m, de jour comme de nuit, sans nous soucier<br />
du temps passé dans l’eau. Seul le froid nous impose de<br />
retourner au sec pour nous réchauffer.<br />
Nous savons cependant qu’il nous est interdit de remonter<br />
directement à la surface sous peine de mort. Avant de<br />
remonter, il nous faudra respecter une longue séance de<br />
décompression à l’oxygène de près de 3 heures.<br />
Au bout de 7 jours, nous sortons devant les appareils<br />
photos et les caméras du monde entier… Pour la première<br />
fois au monde, des hommes ont vécu sous la mer.<br />
Cette opération a été couronnée de succès grâce à la<br />
compétence de toute l’équipe technique de la Calypso,<br />
mais aussi grâce à de grands personnages comme le<br />
commandant Cousteau, le commandant Alinat, Philippe<br />
Tailliez, Frédéric Dumas, le docteur Xavier Fructus et le<br />
professeur Jacques Chouteau qui ont mis tout leur talent<br />
au service de la science.<br />
Précontinent II, Le Monde sans soleil<br />
1963, Soudan<br />
La parfaite réussite de l’expérience Diogène (Précontinent I)<br />
au Frioul incita le commandant Cousteau à entreprendre<br />
une réalisation plus ambitieuse : créer un village sous-marin<br />
en mer Rouge. L’expérience s’appellerait Précontinent II.<br />
Il me donna 8 jours pour trouver une plateforme abritée<br />
permettant d’implanter des maisons sous-marines. Avec<br />
mes compagnons, nous avons fait une trentaine de<br />
plongées autour de Port Soudan pour enfin trouver le
É P I L O G U E
Quand je fais le bilan de ma vie professionnelle,<br />
je suis heureux de constater que mes maîtres<br />
m’ont souvent fait confiance, pendant près de<br />
40 années, pour organiser et réaliser de nombreuses<br />
missions. Le commandant Cousteau m’a confié des<br />
entreprises extraordinaires que j’ai menées à bien grâce<br />
à une certaine intuition et un sens inné de l’observation.<br />
Mon bâton de maréchal m’est offert le jeudi 20 septembre<br />
1984. Appareillant depuis Norfolk, alors que je<br />
raccompagne le pilote du port à sa vedette, vers 10 h 30,<br />
celui-ci me salue en me disant :<br />
– Bon voyage, Capitaine !<br />
Ce jour-là, par la volonté de Jacques-Yves Cousteau, je suis<br />
devenu le patron de la Calypso. Pour ce premier voyage<br />
en tant que capitaine, nous nous rendons à Saint Augustine<br />
pour de grandes réparations qui dureront plusieurs mois,<br />
avant de repartir pour un nouveau tour du monde. Il faut<br />
dire que notre fier bateau a beaucoup souffert en<br />
naviguant par tous les temps en Méditerranée, en mer<br />
Rouge, dans l’océan Indien et dans l’Arctique.<br />
Bien que très honoré, j’avoue appréhender la lourde<br />
charge qui m’incombe.<br />
Entre deux avions, le 1 er avril 1985, j’en fais part au<br />
Commandant tout en le remerciant. Il me répond :<br />
– Ne soyez pas modeste, vous êtes un des seuls en qui<br />
j’ai confiance et je dors tranquille quand vous êtes à bord.<br />
Je réplique :<br />
— Mais, Commandant, je ne dors plus beaucoup.<br />
—Ça, peut-être ! Mais c’est votre problème.<br />
Simone Cousteau, la Bergère, me fait savoir ce jour-là que<br />
le Commandant travaille jour et nuit jusqu’à la limite de<br />
l’épuisement. Devant de telles confidences, je n’ai qu’à<br />
ouvrir l’œil et à continuer mon tour du monde. Le plan de<br />
route est d’ailleurs déjà établi : après un film à Haïti et un<br />
autre à Cuba, nous devons passer le canal de Panama<br />
pour nous rendre aux îles Marquises et à Tahiti via les<br />
Galapagos.<br />
229<br />
Épilogue<br />
Dans cette entreprise, je fais de mon mieux pour épauler<br />
l’homme qui est devenu le Captain Planet en consacrant<br />
sa vie à la protection de l’environnement.<br />
J’ai toujours eu une grande admiration pour le<br />
Commandant, pour son génie, sa ténacité au travail, son<br />
courage et son obstination face aux obstacles. Malgré notre<br />
différence d’âge, nous avons, durant toutes ces années de<br />
collaboration, tissé des liens profonds. Je me rappelle qu’il<br />
aimait discuter avec moi des derniers détails des missions<br />
et que nous établissions ensemble le programme de la<br />
journée quand nous organisions une plongée en<br />
scaphandre autonome ou en soucoupe plongeante. Nous<br />
avons aussi parfois partagé nos vraies peurs, ce qui a sans<br />
doute contribué à sceller une sincère et solide amitié.<br />
Mais revenons à la période où je suis capitaine de la<br />
Calypso. Les tournages se suivent. La série de films intitulée<br />
L’Odyssée sous-marine de l’équipe Cousteau nous permet<br />
de visiter la Nouvelle Zélande et la Nouvelle Calédonie<br />
où nous retrouvons notre ami Riquet Goiran qui revient<br />
d’une expédition sur l’épave de Lapérouse à Vanikoro.<br />
Il nous accompagne en Australie pour partager de<br />
merveilleuses plongées sur la Grande Barrière où nous<br />
filmons la naissance du corail pour la première fois,<br />
trois jours après la pleine lune, en 1987. Nous filmons<br />
également les atrocités de la guerre du Pacifique en<br />
Nouvelle Guinée et nous retrouvons sous la mer les avions<br />
porteurs de torpilles des kamikazes japonais ainsi que de<br />
grands navires encerclés de bombes effrayantes non<br />
percutées, plantées tout autour dans la vase.<br />
Puis, en août 1988, partant de Singapour après avoir<br />
effectué des réparations de routine et mis l’équipage au<br />
repos, la Calypso fait route sur Bornéo pour atterrir dans<br />
le port de Sadakan le 10 septembre. De cette expédition,<br />
nous gardons le souvenir de l’îlot de Sipadan pour sa<br />
richesse en faune et flore et surtout pour la triste renommée<br />
de sa grotte dans laquelle nous trouvons des squelettes<br />
de tortues prises au piège par le manque d’air et n’ayant<br />
plus retrouvé la sortie.