L'athéisme dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche - Gymnase ...
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Travail <strong>de</strong> maturité - philosophie<br />
L’athéisme <strong>dans</strong><br />
<strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong><br />
Melody Magnenat 3M5<br />
Suivi par Guido Albertelli<br />
<strong>Gymnase</strong> Auguste Piccard<br />
Lausanne<br />
Novembre 2006
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 1<br />
Table <strong>de</strong>s matières<br />
Introduction (problématique) p.2<br />
La mort <strong>de</strong> Dieu p.3<br />
Présentation <strong>de</strong>s concepts nietzschéens : p.7<br />
-le nihilisme p.7<br />
-la volonté <strong>de</strong> puissance p.8<br />
-la transmutation <strong>de</strong>s valeurs p.10<br />
Analyse d’un chapitre « aux îles fortunées » p.12<br />
L’homme <strong>dans</strong> le nihilisme : p.17<br />
-le <strong>de</strong>rnier homme p.17<br />
-l’homme « humain trop humain » p.18<br />
-l’homme supérieur p.19<br />
-le surhomme p.22<br />
Conclusion : p.24<br />
-<strong>dans</strong> la société actuelle, quels types d’hommes trouve-t-on ?<br />
Bibliographie p.26
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 2<br />
Introduction<br />
Etant donné que le thème du travail <strong>de</strong> maturité est l’athéisme, j’ai choisi <strong>de</strong> m’intéresser à<br />
celui-ci à travers une œuvre <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> : « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>dans</strong> laquelle il en<br />
est question.<br />
Le but <strong>de</strong> ce travail est <strong>de</strong> parvenir à comprendre et à expliquer la place <strong>de</strong> l’athéisme <strong>dans</strong> ce<br />
livre ainsi que le rôle qu’il joue. Mais pourquoi le sujet <strong>de</strong> l’athéisme est-il intéressant ?<br />
De nos jours, beaucoup <strong>de</strong> personnes se revendiquent athées ou sans religion ou croyance<br />
particulière. Ces personnes enten<strong>de</strong>nt par là qu’elles ne croient pas en une divinité supérieure<br />
ou un quelconque être transcendantal. Cette définition <strong>de</strong> l’athéisme reste très simpliste alors<br />
que <strong>de</strong> nombreux courants ont émergé et que le sens <strong>de</strong> ce concept a souvent changé au fil du<br />
temps. Ce travail vous présentera le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> sur l’athéisme, philosophe qui<br />
est généralement très connu mais fréquemment mal compris.<br />
Avant <strong>de</strong> parler d’athéisme, il nous faudra déjà parler <strong>de</strong> religion et surtout <strong>de</strong> valeurs morales<br />
et voire ce que celles-ci apportent aux hommes. En effet, les valeurs morales ont ceci<br />
d’intéressant ; elles concernent tout le mon<strong>de</strong> et cela <strong>de</strong>puis toujours tout comme ce qui<br />
appartient au domaine <strong>de</strong> la croyance.<br />
Ce qui nous préoccupera par la suite, c’est <strong>de</strong> découvrir pourquoi elles se sont modifiées avec<br />
le temps, et pourquoi, selon <strong>Nietzsche</strong>, ces valeurs déclinent ? Si le sujet <strong>de</strong> la morale est si<br />
important, c’est parce que <strong>Nietzsche</strong> considère que les valeurs sont ce qui est le plus<br />
important pour nous et qu’elles donnent un sens à notre vie.<br />
En outre il sera intéressant <strong>de</strong> découvrir leur évolution. Ensuite, on pourra s’intéresser plus<br />
vigoureusement à l’athéisme nietzschéen et au fameux « Dieu est mort » afin <strong>de</strong> saisir le sens<br />
<strong>de</strong> cette déclaration. La suite <strong>de</strong> ce travail se concentrera sur la situation <strong>de</strong>s hommes, la<br />
répercussion que cette « mort <strong>de</strong> Dieu » a sur eux et sur leurs valeurs ainsi que leur réaction<br />
face à cet événement.<br />
Finalement, je tenterai <strong>de</strong> voir si les hommes dont parle <strong>Nietzsche</strong> se trouvent aujourd’hui<br />
<strong>dans</strong> la société ou si sa philosophie n’est qu’une théorie. Bien sur ce travail ne prétend<br />
aucunement expliquer toute la philosophie <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> mais essaie <strong>de</strong> la clarifier et d’en<br />
apporter une interprétation possible car comme dirait <strong>Nietzsche</strong> : « tout n’est<br />
qu’interprétations ».
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 3<br />
La mort <strong>de</strong> Dieu<br />
Selon <strong>Nietzsche</strong>, la mort <strong>de</strong> Dieu est « le plus grand évènement récent » 1 , et « Il n’y eut<br />
jamais d’action plus gran<strong>de</strong> » 2<br />
La mort <strong>de</strong> Dieu est, tout d’abord, à comprendre comme un grand bouleversement <strong>de</strong> la<br />
morale. Les valeurs qui la composent sont ce que l’homme s’est créé pour que le mon<strong>de</strong> qui<br />
l’entoure ait un sens. « Nos valeurs sont ce qu’il y a <strong>de</strong> plus important <strong>dans</strong> notre existence. » 3<br />
De plus elle nous sont enseignées dès la naissance : « C’est presque dès le berceau qu’on nous<br />
dote <strong>de</strong> paroles pesantes appelées « bien » et « mal ». » 4<br />
Les hommes ont en premier lieu eu <strong>de</strong>s valeurs instinctives qui se sont affermies par la Raison<br />
pour <strong>de</strong>venir plus stables. Cette Raison est perçue comme étant ce qui nous conduit à la Vérité<br />
(sciences) parce que, selon <strong>Nietzsche</strong>, la majorité est en accord avec elle bien qu’il existe<br />
aussi <strong>de</strong>s personnes sceptiques qui doutent <strong>de</strong> tout mais qui ont tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s valeurs<br />
morales. La Vérité dépend d’un ensemble <strong>de</strong> personnes (communauté, pays, culture) et par<br />
conséquent n’est donc pas universelle. Chaque peuple a une autre façon <strong>de</strong> percevoir cette<br />
Vérité, c'est-à-dire que la morale n’est pas partout la même. <strong>Zarathoustra</strong> dit : « J’ai vu<br />
souvent appeler mauvaises <strong>de</strong>s choses qu’ailleurs on drapait <strong>de</strong> la pourpre <strong>de</strong>s honneurs. » 5<br />
L’ensemble <strong>de</strong>s valeurs qui composent la morale d’un peuple est ce que <strong>Nietzsche</strong><br />
nomme une table <strong>de</strong>s valeurs. <strong>Zarathoustra</strong> le dit lui-même : « une table <strong>de</strong>s valeurs est<br />
inscrite au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> chaque peuple » 6 . Ce qui signifie que la recherche d’une morale unique<br />
et universelle est sans issue.<br />
Pour comprendre pourquoi la recherche <strong>de</strong> la Vérité est un problème, examinons tout d’abord<br />
son histoire ainsi que celle <strong>de</strong>s valeurs.<br />
Les valeurs ont été créées par les hommes il y a très longtemps. Seulement, elles n’ont que<br />
très peu changé <strong>de</strong>puis Platon. Elles ont affaibli les hommes qui les ont eux-mêmes affaiblies<br />
comme <strong>Nietzsche</strong> essaie <strong>de</strong> nous faire comprendre <strong>dans</strong> son livre : « la généalogie <strong>de</strong> la<br />
morale ».<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, le Gai Savoir, Fragment 343<br />
2 Friedrich NIETZSCHE, le Gai Savoir, Fragment 125<br />
3 Friedrich NIETZSCHE, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, p.29<br />
4 Ibi<strong>de</strong>m p.245<br />
5 Ibid p.97<br />
6 Ibid p.98
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 4<br />
Auparavant, les hommes célébraient la dimension tragique <strong>de</strong> la vie c'est-à-dire le va et vient<br />
<strong>de</strong>s phénomènes, la réalité du bien et du mal sur terre et <strong>de</strong>s contraires en général (ce que<br />
<strong>Nietzsche</strong> tenta <strong>de</strong> réinstaurer). Mais la philosophie <strong>de</strong> Platon change cela et marque le début<br />
<strong>de</strong> la métaphysique (méta qui signifie au-<strong>de</strong>ssus). Il sépare donc la physique <strong>de</strong> ce qui est au-<br />
<strong>de</strong>ssus, la métaphysique. Un dualisme s’instaure. Celui-ci est caractérisé par la séparation <strong>de</strong>s<br />
contraires et par conséquent l’apparition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux types d’étant. Platon valorise le mon<strong>de</strong><br />
intelligible ce qu’il appelle « le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées » où rési<strong>de</strong> le savoir au détriment du mon<strong>de</strong><br />
d’ici bas, imparfait, le mon<strong>de</strong> sensible, matériel et illusoire. Dès lors, la seule façon d’accé<strong>de</strong>r<br />
au savoir et à la Vérité est par la réflexion <strong>de</strong> l’intellect. Celui-ci nous octroie une<br />
connaissance qui ne peut pas être contestée car elle provient du mon<strong>de</strong> où dominent le Bien,<br />
le Beau et le Vrai, ce qui est fixe, immuable et par conséquent sur quoi on peut compter alors<br />
que sur terre, la vie se déroule souvent <strong>dans</strong> le Mal, le Laid et le Faux c'est-à-dire la<br />
variabilité, l’incertitu<strong>de</strong>. Depuis Platon, les hommes aspirent donc aux valeurs du mon<strong>de</strong> d’en<br />
haut et dévalorisent le mon<strong>de</strong> d’ici bas. Platon, par la suite, a influencé toute la philosophie<br />
jusqu’à <strong>Nietzsche</strong>. C'est-à-dire que la séparation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s est toujours présente au<br />
cours <strong>de</strong> l’histoire. Le christianisme a repris cette distinction, et l’on pourrait dire sans faute<br />
que le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées est ce qui correspond au paradis, au royaume <strong>de</strong> Dieu.<br />
L’apparition du christianisme a encore plus affaibli les valeurs <strong>de</strong>s hommes ainsi qu’eux<br />
même car le Christ, représentant <strong>de</strong> Dieu sur terre, à moitié humain et à moitié divin, leur<br />
apporte une preuve <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> Dieu. Désormais, les hommes n’eurent plus besoin <strong>de</strong><br />
déployer un effort pour accé<strong>de</strong>r à ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées où rési<strong>de</strong> la Vérité mais pouvaient se<br />
contenter d’y croire. En effet, les hommes se sont vite rendu compte que la «Vérité absolue »,<br />
ce dont s’inspire la morale, était impossible à véritablement connaître par soi même. C’est<br />
pour cette raison qu’ils s’en sont remis à Dieu et se sont soulagés du poids <strong>de</strong> cette recherche<br />
<strong>de</strong> la Vérité en y croyant. Dieu est <strong>de</strong>venu le maître du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s idées et le Diable le<br />
corrupteur du mon<strong>de</strong> d’ici bas. Dieu dictait la morale et les hommes s’en remettaient à lui<br />
pour apaiser leur mauvaise conscience. Les hommes se sont déresponsabilisés et ont placé<br />
leur confiance totale en Dieu et <strong>dans</strong> l’Eglise. Le christianisme est donc la continuation<br />
logique du dualisme platonicien avec sa séparation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s du Bien et du Mal…<br />
<strong>Nietzsche</strong> le dit très bien lui-même :« le christianisme n’est qu’un platonisme pour le<br />
peuple » 1 . <strong>Nietzsche</strong> critique avec virulence le culte <strong>de</strong> l’idéal ainsi que la croyance aveugle<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, Par <strong>de</strong>là Bien et Mal, préface
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 5<br />
<strong>de</strong>s gens qui découle <strong>de</strong> leur volonté <strong>de</strong> vérité. La morale, pour <strong>Zarathoustra</strong>, n’est pas unique,<br />
elle se cache <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s noms différents et n’est pas réellement basée sur une<br />
connaissance : « Les divers noms du bien et du mal sont autant <strong>de</strong> paraboles ; ils n’expriment<br />
rien, ils suggèrent. Fou qui espère d’eux le savoir ! » 1 Ce savoir, cette vérité est donc un idéal<br />
qui n’existe pas, il est illusoire et n’a pas <strong>de</strong> fond. C’est pourquoi <strong>Nietzsche</strong> critique la<br />
véritable valeur <strong>de</strong> la morale.<br />
Ensuite, la religion a perdu <strong>de</strong> son importance parce que les hommes ont réalisé qu’ils étaient<br />
eux même les créateurs du Créateur et par là, <strong>de</strong> leurs valeurs morales. Ils ont réalisé<br />
l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leurs croyances, le fait qu’elles étaient infondées. La mort <strong>de</strong> Dieu est<br />
provoquée par le christianisme lui-même. L’ascétisme religieux, par lequel les hommes<br />
rachètent leurs pêchés et qui leur permet <strong>de</strong> maîtriser leur vie, ce qui les dépasse, et qui est<br />
« un moyen vital <strong>de</strong> vivre en neutralisant la vie » 2 , plongent ces <strong>de</strong>rniers <strong>dans</strong> une vie<br />
totalement vouée à l’esprit et au renoncement <strong>de</strong> la vie elle-même, un nihilisme. Par la<br />
pratique <strong>de</strong> l’ascétisme les hommes prennent conscience <strong>de</strong> leur valeur unique, ils se sentent<br />
importants. De ce fait, ils réalisent que leur Dieu n’est qu’une projection <strong>de</strong> l’idéal humain.<br />
Voilà pourquoi l’athéisme est engendré par le christianisme, ce qui au départ peut sembler<br />
paradoxal.<br />
Les hommes ont, par la suite, pris sur eux la responsabilité <strong>de</strong> leurs valeurs mais étant donné<br />
que dès lors ils en étaient les maîtres, elles n’étaient plus divines et simplement humaines,<br />
c’est pourquoi, ils les ont dépréciées. Cette longue dévaluation <strong>de</strong>s valeurs, phase <strong>de</strong><br />
nihilisme, est déjà présente avant la mort <strong>de</strong> Dieu à cause <strong>de</strong> la survalorisation du mon<strong>de</strong><br />
intelligible au détriment du mon<strong>de</strong> sensible et donc d’une certaine négation <strong>de</strong> la vie. Mais la<br />
mort <strong>de</strong> Dieu plonge les hommes <strong>dans</strong> une pério<strong>de</strong> plus difficile encore car les valeurs sont<br />
complètement dévalorisées et parce qu’elles <strong>de</strong>viennent accessibles aux humains et per<strong>de</strong>nt<br />
leur caractère divin, supérieur.<br />
Le siècle <strong>de</strong>s Lumières est une bonne représentation <strong>de</strong> cette dévaluation. Durant ces temps,<br />
<strong>de</strong> nombreux progrès scientifiques sont réalisés. Les hommes croient donc <strong>de</strong> plus en plus à la<br />
puissance <strong>de</strong> la Raison. Ils considèrent cette <strong>de</strong>rnière comme étant une faculté qui nous<br />
permet d’accé<strong>de</strong>r à la Vérité. Etant donné que l’on n’a pas <strong>de</strong> preuve <strong>de</strong> l’existence <strong>de</strong> Dieu,<br />
ils <strong>de</strong>viennent athées. Bien sur, certains valorisent la raison tout en continuant à croire en Dieu<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, p.116<br />
2 Paul VALADIER, <strong>Nietzsche</strong> l’athée <strong>de</strong> rigueur, p.52
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 6<br />
comme par exemple le philosophe Voltaire. Ces hommes conservent les mêmes valeurs sans<br />
les remettrent en question, ils ont toujours cette volonté <strong>de</strong> vérité, vérité qu’ils recherchent<br />
grâce à leur faculté <strong>de</strong> raisonner. Ils prennent leur morale, tel un far<strong>de</strong>au, sur eux même.<br />
<strong>Nietzsche</strong> compare ces hommes à <strong>de</strong>s chameaux perdu <strong>dans</strong> un désert : « il charge sur ses<br />
épaules trop <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>s paroles, <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>s valeurs qui lui son étrangères- et la vie lui semble<br />
alors un désert » 1 . Ces valeurs sont étrangères à ces hommes car ce ne sont pas <strong>de</strong>s valeurs<br />
créées par eux-mêmes <strong>de</strong> plus, ils n’y croient plus vraiment mais les assument.<br />
Dans la culture en général, cette réappropriation <strong>de</strong>s valeurs par les hommes se voit <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
doctrines telles que les droits <strong>de</strong> l’homme, le mouvement scientifique, la valorisation <strong>de</strong> la<br />
Raison, la démocratie, le socialisme l’égalitarisme… Selon <strong>Nietzsche</strong>, la mort <strong>de</strong> Dieu n’a pas<br />
fait disparaître les valeurs chrétiennes et cela même pour les gens qui ne croient plus ou n’ont<br />
jamais cru en Dieu.<br />
La mort <strong>de</strong> Dieu est donc aussi un fait <strong>dans</strong> la culture mais nombreux sont les hommes qui<br />
n’ont pas encore réalisé cela. <strong>Zarathoustra</strong> dit : « Ils ne me comprennent point, je ne suis pas<br />
la bouche qui convient à ces oreilles » 2 La religion était utile car elle donnait un sens à<br />
l’existence humaine. La mort <strong>de</strong> Dieu place l’homme <strong>de</strong>vant la réalité <strong>de</strong> sa condition<br />
humaine limitée ce qui n’est, certes, pas facile mais qui lui donne la possibilité <strong>de</strong> changer ses<br />
faiblesses en forces. Il peut ensuite fortifier ou affaiblir sa volonté, <strong>dans</strong> le cas où il serait<br />
moins exigeant avec lui-même.<br />
Ce que <strong>Nietzsche</strong> entend par « mort <strong>de</strong> Dieu » est donc le fait que certains hommes ne croient<br />
plus en Dieu <strong>dans</strong> notre culture mais aussi et surtout que la morale n’est plus absolue et toute<br />
puissante mais qu’au contraire, elle tend à disparaître. Elle concerne tout le mon<strong>de</strong> et pas<br />
seulement les croyants. En effet, toute le mon<strong>de</strong>, toute notre culture baigne <strong>dans</strong> la morale<br />
chrétienne, suite <strong>de</strong> la morale platonicienne, avec ses valeurs habituelles du bien et du mal, le<br />
dualisme.<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, p.246<br />
2 Ibid p.54
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 7<br />
Concepts nietzschéens<br />
Le Nihilisme<br />
La disparition <strong>de</strong> la religion place les hommes face à un certain vi<strong>de</strong> : « N’errons-nous pas<br />
comme à travers un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vi<strong>de</strong> ? » 1 En effet, les<br />
valeurs sont dévaluées à cause <strong>de</strong> ce grand bouleversement. La mort <strong>de</strong> Dieu fait aussi périr le<br />
mon<strong>de</strong> supérieur, ce que <strong>Nietzsche</strong> nomme l’arrière mon<strong>de</strong>. L’homme se retrouve sans valeur<br />
transcendante et tente <strong>de</strong> substituer à ces <strong>de</strong>rnières le mon<strong>de</strong> d’en haut au mon<strong>de</strong> ici bas. Bien<br />
évi<strong>de</strong>mment, les hommes se retrouvent <strong>de</strong>vant l’impossibilité <strong>de</strong> suivre ces valeurs trop<br />
idéales alors celles-ci se modifient pour être mieux adaptées aux hommes et <strong>de</strong> ce fait, se<br />
dévalorisent. L’idéalisme est donc la cause première responsable du nihilisme et il est même<br />
en un certain sens le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> toute l’ontologie métaphysique c’est-à-dire l’essence <strong>de</strong><br />
l’être <strong>de</strong> ce qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous (les idées, les idéaux), <strong>de</strong>puis Platon.<br />
Après la mort <strong>de</strong> Dieu, l’homme entre <strong>dans</strong> une phase athée, mais qui est aussi nihiliste, c’est-<br />
à-dire que l’homme nie toujours sa vie au profit d’autres idéaux. Les idéaux pour <strong>Nietzsche</strong><br />
ne sont que <strong>de</strong>s doctrines fermées qui ne laissent pas <strong>de</strong> place au mouvement incessant <strong>de</strong> la<br />
vie, au changement perpétuel, au temps qui passe et que les hommes ne peuvent pas maîtriser.<br />
Si l’homme s’en remet à <strong>de</strong>s idéaux c’est parce que sa vie ne lui apporte pas ce dont il a<br />
besoin pour satisfaire sa curiosité, sa volonté <strong>de</strong> vérité. L’imperfection <strong>de</strong> la réalité n’a aucune<br />
importance pour lui, aucun intérêt, il préfère croire en <strong>de</strong>s choses plus parfaites.<br />
Cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> nihilisme a plusieurs issues. Elle peut être, pour certains, une longue<br />
dépréciation <strong>de</strong>s valeurs, jusqu’à ne plus en avoir du tout, ce qui aboutit à un immoralisme<br />
total. <strong>Nietzsche</strong> appelle ces hommes « les <strong>de</strong>rniers hommes ».<br />
Pour d’autres, la mort <strong>de</strong> Dieu est tout simplement la mort <strong>de</strong> Jésus Christ sur la croix et<br />
fondamentalement rien n’a changé pour eux. C’est une mort symbolique. Ce sont les<br />
hommes « humain trop humain ». Pour d’autres encore, la mort <strong>de</strong> Dieu s’est bel et bien<br />
produite mais, malgré le fait qu’ils négligent les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, les <strong>de</strong>ux types d’étant, ils<br />
refusent d’abandonner leurs anciennes valeurs parce qu’elles donnaient un sens à leur vie. Ces<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, le Gai Savoir, Fragment 125
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 8<br />
hommes sont « les hommes supérieurs ». Tout cela <strong>Nietzsche</strong> le nomme le nihilisme passif.<br />
Celui-ci est caractérisé par le développement <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> vengeance et <strong>de</strong> haine envers<br />
la vie, celle-ci est <strong>de</strong> plus en plus dévalorisée. Puis, enfin, vient ce que <strong>Nietzsche</strong> tente <strong>de</strong><br />
nous montrer <strong>dans</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, le Surhomme, pour qui la mort <strong>de</strong> Dieu est une bonne chose<br />
car elle va lui permettre d’aller jusqu’au bout du nihilisme passif et déconstruire toute la<br />
morale pour pouvoir ensuite créer <strong>de</strong> nouvelles valeurs. Elle offre une possibilité <strong>de</strong><br />
s’améliorer voire <strong>de</strong> se surpasser : « voici l’horizon à nouveau dégagé encore qu’il ne soit<br />
point clair, voici nos vaisseaux libres <strong>de</strong> reprendre leur course à tout risque, voici permise à<br />
nouveau toute audace <strong>de</strong> la connaissance » 1 Les vaisseaux ici sont une métaphore du contenu<br />
<strong>de</strong> notre morale. Selon <strong>Nietzsche</strong>, il est temps <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong> cette morale qui s’affaiblit<br />
au plus vite pour pouvoir en créer une autre.<br />
Le nihilisme comporte donc <strong>de</strong>ux chemins principaux, le nihilisme réactif (puis passif) ou<br />
actif. Le nihilisme passif comporte différentes étapes. Il y a une gran<strong>de</strong> différence entre la<br />
volonté <strong>de</strong> néant (nihilisme réactif) et le néant <strong>de</strong> volonté (nihilisme passif) qui conduit à la<br />
mort étant donné que l’essence <strong>de</strong>s choses est pour <strong>Nietzsche</strong> la volonté. L’ascétisme est un<br />
bon exemple <strong>de</strong> nihilisme réactif. L’ascète vit en retraite du mon<strong>de</strong> par réaction aux<br />
souffrances <strong>de</strong> la vie qu’il cherche à éviter. Même s’il a une volonté <strong>de</strong> néant, on marque la<br />
présence d’une volonté. C’est toujours mieux selon <strong>Nietzsche</strong> que <strong>de</strong> ne pas vouloir. Mais ce<br />
nihilisme réactif peut <strong>de</strong>venir passif si la volonté <strong>de</strong> néant se transforme en néant <strong>de</strong> volonté.<br />
Le nihilisme actif est la voie qui conduit au Surhumain. C’est un nihilisme qui agit par lui-<br />
même, il est autonome et ne se laisse pas agir. Préparer la venue <strong>de</strong> ce Surhomme constitue le<br />
but <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong>.<br />
La volonté <strong>de</strong> puissance<br />
Le chapitre De la victoire sur soi illustre le concept <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> puissance.<br />
L’essence <strong>de</strong> l’existence est selon <strong>Nietzsche</strong> la volonté <strong>de</strong> puissance: « Où j’ai trouvé <strong>de</strong> la<br />
vie, j’ai trouvé la volonté <strong>de</strong> dominer » 2 . La volonté <strong>de</strong> puissance est la volonté <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />
puissance. Cette volonté <strong>de</strong> puissance doit donc s’accroître tout le temps si elle veut être plus<br />
puissante qu’avant, elle doit donc sans cesse se surpasser. Cette volonté contient déjà en elle-<br />
même une puissance c’est une volonté qui se veut elle-même. La volonté <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> volonté.<br />
1 Friedrich NIETZSCHE, le Gai Savoir, Fragment 343<br />
2 Friedrich NIETZSCHE, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, p.160
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 9<br />
Il affirme que la vie lui a révélé un secret : « je suis ce qui est contraint <strong>de</strong> se surmonter soi<br />
même à l’infini. » 1<br />
Selon <strong>Nietzsche</strong>, le mon<strong>de</strong> est un grand chaos où s’entrecroisent <strong>de</strong>s forces. Ce n’est pas du<br />
tout un mon<strong>de</strong> harmonieux, un ordre divin car nous ne maîtrisons pas ces forces. Le but <strong>de</strong> ce<br />
concept est <strong>de</strong> nous permettre <strong>de</strong> mieux distinguer ces forces afin <strong>de</strong> mieux les maîtriser.<br />
Le pouvoir d’un phénomène va dépendre <strong>de</strong> sa volonté <strong>de</strong> puissance. C’est-à-dire que sans ce<br />
concept <strong>de</strong> volonté <strong>de</strong> puissance, le concept <strong>de</strong>s forces n’a aucun sens car ils ne pourraient<br />
exister l’un sans l’autre.<br />
Il faut faire attention à ne pas confondre force et volonté. La volonté est ce qui veut, la force<br />
est ce qui peut <strong>dans</strong> la volonté.<br />
Il existe <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> volonté <strong>de</strong> puissance, négatif ou affirmatif. Une volonté <strong>de</strong> puissance<br />
négative sera mue par <strong>de</strong>s forces réactives et la volonté <strong>de</strong> puissance affirmative par <strong>de</strong>s<br />
forces actives. Il distingue donc <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> forces. Les forces réactives agissent par<br />
réaction c'est-à-dire que la volonté veut plus <strong>de</strong> puissance en réaction à un phénomène :<br />
« jusque <strong>dans</strong> le serviteur j’ai trouvé la volonté d’être maître » 2 . Elles dépen<strong>de</strong>nt d’une autre<br />
volonté <strong>de</strong> puissance. Elles veulent combattre la puissance <strong>de</strong>s autres. Ceci est la volonté <strong>de</strong><br />
puissance négative dont découle le nihilisme. Mais pour abolir ce nihilisme il ne faut pas<br />
supprimer les forces réactives parce que l’acte lui-même serait réactif. La volonté <strong>de</strong><br />
puissance négative s’exprime par une volonté <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction et <strong>de</strong> dépréciation. La religion est<br />
une volonté <strong>de</strong> puissance négative et mue par <strong>de</strong>s forces réactives.<br />
Par contre, les forces actives, elles, prennent leurs mouvements en elles-mêmes. Elles sont<br />
autonomes c’est aussi une volonté <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> puissance mais <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> s’améliorer soi-<br />
même et non <strong>de</strong> dépasser la puissance <strong>de</strong>s autres. L’affirmation donc est l’acte <strong>de</strong> se<br />
surmonter soi-même. Toute chose est donc une volonté <strong>de</strong> puissance qui veut se dépasser.<br />
« En vérité je vous le dis, bien et mal, notions immuables, n’ont pas d’existence. Tout<br />
travaille à se surpasser sans cesse. » 3<br />
1 Ibid p.160<br />
2 Ibid p.160<br />
3 Ibid p.161
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 10<br />
La transmutation <strong>de</strong>s valeurs<br />
La transmutation <strong>de</strong>s valeurs est une <strong>de</strong>s notions les plus importantes du livre et <strong>de</strong> la<br />
philosophie nietzschéenne. Pour cause, elle est ce qui prépare la venue du Surhomme.<br />
Tout d’abord, nous avons vu que le mon<strong>de</strong>, après la mort <strong>de</strong> Dieu, est plongé <strong>dans</strong> le<br />
nihilisme passif et que les valeurs déclinent <strong>de</strong> jour en jour. Les hommes sont animés à ce<br />
moment là par une volonté <strong>de</strong> puissance négative et vivent principalement <strong>dans</strong> la réaction,<br />
<strong>dans</strong> le nihilisme réactif et peuvent même aller jusqu’au nihilisme passif, la fin <strong>de</strong> la volonté.<br />
Mais pour <strong>Nietzsche</strong> cela n’est pas forcément une mauvaise chose car si l’homme n’a plus <strong>de</strong><br />
volonté il périt. Donc avant d’en arriver là, il lui reste une solution : rebondir et se surpasser<br />
en s’affirmant. La volonté <strong>de</strong> puissance affirmative transformerait sur le coup la domination<br />
<strong>de</strong> toutes les forces réactives sur les forces actives qui pourraient triompher et abolir enfin ce<br />
nihilisme réactif.<br />
La transmutation <strong>de</strong>s valeurs consiste <strong>dans</strong> le fait que la volonté <strong>de</strong> puissance négative doit<br />
être remplacée par la volonté <strong>de</strong> puissance affirmative. Mais le problème est complexe car<br />
pour se débarrasser <strong>de</strong> la puissance obtenue par la réaction il faut obtenir encore plus <strong>de</strong><br />
puissance qui ne doit pas venir <strong>de</strong> la réaction au risque <strong>de</strong> s’enfermer <strong>dans</strong> un cercle vicieux.<br />
L’homme doit obtenir plus <strong>de</strong> puissance par sa propre volonté interne, il doit se surpasser<br />
pour pouvoir s’affirmer.<br />
<strong>Ainsi</strong>, les hommes <strong>de</strong>viendront <strong>de</strong>s Surhommes. Parce que : « L’homme est un pont entre<br />
<strong>de</strong>ux états, le singe primitif et le surhomme. » 1 L’étape <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Dieu était donc<br />
nécessaire pour que la transmutation se produise.<br />
Dans <strong>Zarathoustra</strong>, le chapitre « Des 3 métamorphoses » explicite bien cette transmutation en<br />
trois étapes, le chameau, le lion et l’enfant.<br />
L’homme, dit-il, est un chameau qui porte sur son dos le lourd far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s valeurs. Celles-ci<br />
sont trop lour<strong>de</strong>s à porter ce qui le met face à un désert, il est perdu. C’est pour cette raison,<br />
qu’un jour, <strong>dans</strong> sa solitu<strong>de</strong> se rendant compte que ses valeurs n’ont pas <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment, il se<br />
révolte contre celles-ci, les nie et <strong>de</strong>vient lion : « il entend conquérir sa liberté et être le roi <strong>de</strong><br />
son propre désert. » 2 . Il combat le dragon, qui lui dit « tu dois » et qui représente l’ensemble<br />
<strong>de</strong> la morale, en disant « je veux ». Mais il ne faut pas qu’il s’arrête en si bon chemin. Le lion<br />
1 Ibid<br />
2 Ibid p.64
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 11<br />
ne peut pas encore créer <strong>de</strong> nouvelles valeurs mais doit combattre jusqu’au bout le dragon<br />
pour pouvoir toutes les supprimer afin <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir enfant. Ce n’est qu’à partir <strong>de</strong> là qu’il sera<br />
capable <strong>de</strong> recréer toutes ses valeurs car l’enfant est mû par : « une affirmation sainte ; c’est<br />
son propre vouloir que veut à présent l’esprit ; qui a perdu le mon<strong>de</strong>, il conquiert son propre<br />
mon<strong>de</strong> » 1 . Cet enfant est en réalité le Surhomme.<br />
Mais attention, il ne faut pas croire que <strong>Nietzsche</strong> veut, par la transmutation, supprimer les<br />
forces réactives. Elles font partie <strong>de</strong> la vie et les abolir reviendrait à faire triompher les forces<br />
réactives. <strong>Nietzsche</strong> veut seulement nous apprendre à les reconnaître afin <strong>de</strong> les maîtriser. De<br />
même en ce qui concerne la raison, il ne veut pas l’anéantir mais supprimer la foi aveugle en<br />
celle-ci, foi qui ressemble fortement à la croyance religieuse ainsi qu’en ses idéaux, ce que<br />
<strong>Nietzsche</strong> dénonce.<br />
La volonté <strong>de</strong> puissance affirmative est ce qui anime l’homme après la transmutation, et qui<br />
dégage un maximum d’énergie. C’est pourquoi il faut maîtriser les forces pour qu’elles<br />
puissent se différencier, s’affirmer. Sans cela les forces s’entrechoquent et il y a une perte<br />
d’énergie par annulation <strong>de</strong>s forces entre elles.<br />
La volonté <strong>de</strong> puissance affirmative est donc la différenciation <strong>de</strong>s forces et non plus un<br />
combat entre celles-ci. Il n’y a plus <strong>de</strong> contradiction, ce qui permet à toutes ces forces <strong>de</strong><br />
s’exprimer.<br />
<strong>Nietzsche</strong> s’intéresse aussi au domaine artistique. L’importance qu’il donne à celui-ci n’est<br />
pas sans raison. L’art est un lieu où la rencontre du Vrai et du Faux est possible, où tous les<br />
contraires peuvent coexister alors que pour la science par exemple ce n’est pas possible (une<br />
chose ne peut pas être elle-même et son contraire par exemple). Les forces qui animent les<br />
artistes ne sont pas réactives, elles ne cherchent pas à se dominer les unes les autres bien au<br />
contraire. On ne peut dire qu’une musique est parfaitement belle ou lai<strong>de</strong> il n’y a pas<br />
d’absolu, pas <strong>de</strong> vérité unique. Les forces qui composent une musique sont, par conséquent,<br />
actives car cette <strong>de</strong>rnière accepte en son sein ces différences contradictoires et permet à<br />
celles-ci <strong>de</strong> s’exprimer pleinement. La musique forme alors une harmonie. L’essence <strong>de</strong> la<br />
musique est affirmative et comme toute volonté <strong>de</strong> puissance affirmative elle tend à<br />
harmoniser les forces qui la composent.<br />
1 Ibid p.65
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 12<br />
Tous ces concepts restent quelque peu théoriques. C’est pourquoi, il est intéressant <strong>de</strong><br />
s’arrêter sur un chapitre afin <strong>de</strong> mieux les illustrer. L’analyse qui suit n’abor<strong>de</strong> pas tous les<br />
concepts nietzschéens, mais en donne un bon exemple concret.<br />
Analyse d’un chapitre<br />
« Aux Iles Fortunées »<br />
Avant d’entrer <strong>dans</strong> le livre : <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, il faut savoir que celui-ci est écrit en<br />
aphorismes, courtes phrases où se cache la pensée <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> ainsi que par <strong>de</strong>s poèmes.<br />
Cette forme reflète la complexité <strong>de</strong> la ``doctrine´´ nietzschéenne. Ce moyen lui permet <strong>de</strong><br />
nous pousser à découvrir par nous mêmes ce qu’il veut dire. Il ne cherche pas à démontrer<br />
quoi que ce soit mais c’est à nous <strong>de</strong> voir le sens caché <strong>de</strong> ces expressions. De plus, la forme<br />
du livre ressemble étrangement à la forme <strong>de</strong>s évangiles et certaines phrases nous rappellent<br />
quelques passages déformés <strong>de</strong> la bible. C’est à cause <strong>de</strong> cette ironie que l’on remarque la<br />
critique virulente du christianisme et l’athéisme <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong>. Cependant, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong><br />
<strong>Zarathoustra</strong> est écrit d’une manière très poétique et donc agréable à lire mais dont le sens<br />
nous échappe si l’on procè<strong>de</strong> à une lecture superficielle. Le fond du message qui est assez<br />
ambigu est à rechercher sous la forme qui parait simple et parfois même répétitive.<br />
Pour illustrer les différents concepts <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> ainsi que l’athéisme, j’ai choisi d’analyser<br />
le chapitre « aux îles fortunées » qui se trouve <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong>.<br />
Afin <strong>de</strong> mieux comprendre ce chapitre je vais faire un bref résumé du livre en général.<br />
Tout d’abord, le livre est composé <strong>de</strong> 5 parties. Le prologue puis les parties 1 à 4. Ces<br />
différentes parties ont été écrites respectivement <strong>de</strong> 1882 à 1885, 4 ans avant que <strong>Nietzsche</strong><br />
sombre <strong>dans</strong> la folie. <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> est l’histoire d’un prophète qui vient<br />
enseigner aux hommes la mort <strong>de</strong> Dieu, le vouloir créateur et le Surhomme. Le contenu du<br />
texte est un recueil <strong>de</strong>s discours <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong>. Il est l’annonciateur <strong>de</strong> temps nouveaux.<br />
L’histoire <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong> commence avec le prologue qui raconte la vie d’un homme<br />
solitaire qui à 30 ans, accompagné d’un aigle et d’un serpent, s’est retiré <strong>dans</strong> les montagnes
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 13<br />
pour méditer. Un beau jour, 10 ans après son ascension, il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> retourner parmi les<br />
hommes pour leur enseigner son savoir, la voie qui conduit au Surhomme. Il vient leur<br />
montrer le chemin mais, après <strong>de</strong> nombreuses tentatives, il se rend compte qu’il arrive trop tôt<br />
et que les hommes ne sont pas encore prêts à recevoir son message et à le comprendre. La<br />
mort <strong>de</strong> Dieu est déjà un concept très compliqué à comprendre pour certains et <strong>Zarathoustra</strong><br />
en annonçant : « Dieu est mort » 1 se fait passer pour un illuminé, un fou. Il est incompris <strong>de</strong>s<br />
hommes car ce qu’il enseigne dépasse leur enten<strong>de</strong>ment. Puis, la première partie <strong>de</strong> ses<br />
discours commence mais cette fois ci, il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’adresser aux hommes capables <strong>de</strong><br />
recevoir son message, une sorte d’élite que <strong>Zarathoustra</strong> nomme ses disciples : « une clarté<br />
m’est apparue : ce n’est pas à la foule que doit parler <strong>Zarathoustra</strong>, mais à <strong>de</strong>s compagnons » 2 .<br />
Il leur délivre son message principal : «votre pensée la plus haute, laissez-moi vous la<br />
prescrire ; la voici : l’homme est ce qui doit être dépassé. » 3 <strong>Ainsi</strong> que : « Vouloir est<br />
délivrance ; telle est la vrai conception du vouloir et <strong>de</strong> la liberté ; voilà l’enseignement <strong>de</strong><br />
<strong>Zarathoustra</strong>. » 4 Ce message est le principal <strong>de</strong> tout le livre : la volonté <strong>de</strong> puissance<br />
affirmative triomphe ici et permet la création. Ceci affirme que la volonté nous délivre du<br />
poids <strong>de</strong>s anciennes valeurs. Elle permet à l’homme <strong>de</strong> se surpasser sans cesse, il <strong>de</strong>vient dès<br />
lors, un surhomme. Il maîtrise l’ensemble <strong>de</strong> ses valeurs morales et n’y est plus soumis par<br />
l’obligation (Dieu). C’est pour cette raison que le vouloir libère.<br />
Ensuite, il se retire à nouveau <strong>dans</strong> les montagnes pour attendre que son message mûrisse. Il<br />
veut que ses disciples l’oublient et le renient c’est seulement <strong>de</strong> cette façon, en se cherchant<br />
eux-mêmes qu’ils pourront <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s Surhommes et non en vénérant <strong>Zarathoustra</strong> : « vous<br />
ne vous étiez pas encore cherché quand vous m’avez trouvé. <strong>Ainsi</strong> font tous les croyants, c’est<br />
pourquoi toute croyance importe si peu. » 5<br />
Mais un jour, il rêve d’un enfant lui montrant un miroir. Lorsqu’il voit son reflet<br />
déformé : « car ce n’était pas moi que je voyais, mais la face grimaçante et le rictus d’un<br />
diable » 6 il s’aperçoit que c’est un signe et que sa doctrine est en danger : elle a été déformée<br />
1 Ibid p.28<br />
2 Ibid p.58<br />
3 Ibid p.87<br />
4 Ibid p.130<br />
5 Ibid p.119<br />
6 Ibid p.125
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 14<br />
par ses ennemis, et ses amis (disciples) ont honte <strong>de</strong> lui. Alors <strong>Zarathoustra</strong> déci<strong>de</strong> qu’il est<br />
temps <strong>de</strong> re<strong>de</strong>scendre vers ses amis pour leur venir en ai<strong>de</strong>. Il se rend aux îles fortunées.<br />
C’est ici que commence le chapitre en question dont les thèmes principaux sont Dieu, la<br />
volonté <strong>de</strong> puissance et le Surhomme.<br />
Tout d’abord, <strong>Zarathoustra</strong> fait une comparaison entre les figues et ses préceptes. Comme les<br />
fruits, sa doctrine est riche et abondante c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il la partage avec<br />
ses disciples. Le vent <strong>de</strong> l’automne fait tomber les figues qui éclatent et répan<strong>de</strong>nt leur<br />
contenu doux et sucré. <strong>Zarathoustra</strong> lui-même est : « l’aquilon qui abat les figues mûres » 1 .<br />
Il dit qu’il y a : « abondance » et « profusion » 2<br />
Dans le prologue, <strong>Zarathoustra</strong> explique ce besoin <strong>de</strong> partager sa sagesse ; il dit : « Vois, je<br />
suis saturé <strong>de</strong> ma sagesse, comme l’abeille qui a butiné trop <strong>de</strong> miel ; j’ai besoin <strong>de</strong> mains<br />
quéman<strong>de</strong>uses » 3<br />
Ensuite, il parle <strong>de</strong> Dieu et du Surhomme et s’exprime en ces termes : « Dieu n’est qu’une<br />
conjecture » 4 . C'est-à-dire une simple supposition, une hypothèse qui n’a encore reçu aucune<br />
confirmation. Dieu n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres, qui n’existe que par la volonté<br />
<strong>de</strong> croyance <strong>de</strong>s hommes.<br />
Il ajoute : « je ne veux pas que vos conjectures dépassent la mesure <strong>de</strong> votre vouloir<br />
créateur » 5 . Il ne désire pas que leur volonté <strong>de</strong> croyance (les conjectures) qui est une volonté<br />
<strong>de</strong> puissance négative inhibe leur volonté créatrice, leur volonté <strong>de</strong> puissance affirmative. La<br />
volonté créatrice est nécessaire à l’homme, il en a besoin s’il veut parvenir au Surhumain or la<br />
volonté <strong>de</strong> croyance empêche les hommes d’atteindre ce but car pour accé<strong>de</strong>r au Surhomme il<br />
faut d’abord se détacher <strong>de</strong>s anciennes croyances.<br />
C’est en ce sens que la croyance en Dieu pose problème ; ce n’est pas Dieu lui-même qui est<br />
persécuté par <strong>Zarathoustra</strong> mais la croyance en une divinité, un être supérieur à eux-mêmes,<br />
qui empêche les hommes <strong>de</strong> se surmonter.<br />
1 Ibid p.128<br />
2 Ibid p.128<br />
3 Ibid p.47<br />
4 Ibid p.128<br />
5 Ibid p.128
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 15<br />
<strong>Zarathoustra</strong> tente <strong>de</strong> montrer aux hommes pourquoi Dieu n’existe pas et pourquoi nous n’en<br />
avons pas besoin. La première évi<strong>de</strong>nce est que l’homme ne peut pas créer Dieu, ce serait<br />
peine perdue, mais, par contre, il peut créer le Surhomme. Comme les hommes ne peuvent pas<br />
créer Dieu, <strong>Zarathoustra</strong> les pousse à se dépasser eux même, à <strong>de</strong>venir en quelque sorte eux-<br />
mêmes <strong>de</strong>s Dieux : « Jadis on invoquait Dieu en laissant errer ses regards sur les mers<br />
lointaines ; mais moi je vous ai appris à invoquer le Surhumain. » 1<br />
Deuxièmement, il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ses disciples s’ils peuvent penser Dieu. Ces <strong>de</strong>rniers ne<br />
répon<strong>de</strong>nt pas mais la réponse suggérée est sûrement négative. Ce que <strong>Zarathoustra</strong> reproche<br />
aux hommes c’est <strong>de</strong> croire en un être immatériel et insensible car cela est totalement<br />
contraire à la vie, à la réalité elle-même. Il aimerait que ses disciples ne fassent pas <strong>de</strong>s<br />
conjectures qui dépassent les limites du pensable.<br />
Troisièmement, il dit très clairement lui-même : « S’il y avait <strong>de</strong>s dieux, comment<br />
supporterais- je <strong>de</strong> ne pas être Dieu ? Donc il n’y a pas <strong>de</strong> dieux. » 2 . Son argument signifie<br />
que penser un être plus grand que soi est une idée insupportable, qu’il n’est pas possible<br />
d’envisager quelqu’un <strong>de</strong> mieux que soit et que si l’on y croit alors on se rabaisse et on lui<br />
obéit ce qui est un comportement « humain trop humain » pour <strong>Nietzsche</strong>. Ce qui veut dire<br />
que l’homme reste un chameau soumis à ses valeurs morales.<br />
L’idée <strong>de</strong> Dieu, selon <strong>Zarathoustra</strong>, n’est pas saine, elle étourdit et bouleverse les hommes qui<br />
ne savent plus à quoi s’en tenir : « cette pensée donne le vertige et le tournis au squelette<br />
humain et la nausée à l’estomac, en vérité une pareille conjecture est <strong>de</strong> celles qui font tourner<br />
la tête. » 3 . C'est-à-dire que cette idée est selon <strong>Zarathoustra</strong>, néfaste et dangereuse pour les<br />
hommes.<br />
Ceci entraîne <strong>Zarathoustra</strong> à énoncer sa doctrine <strong>de</strong> la transmutation <strong>de</strong>s valeurs. L’homme<br />
doit d’abord détruire sa morale puis renaître afin <strong>de</strong> pouvoir créer <strong>de</strong> nouvelles valeurs. Tout<br />
cela doit être guidé par la volonté <strong>de</strong> puissance. Mais ce chemin n’est pas sans<br />
souffrance : « pour que naisse le créateur il faut beaucoup <strong>de</strong> douleurs et <strong>de</strong> nombreuses<br />
métamorphoses. Oui, votre vie sera riche en amères agonies, ô créateurs. » 4 Il explique aussi<br />
le fait que le créateur (Surhomme) est créateur <strong>de</strong> lui-même parce que pour être créateur il<br />
1 Ibid p.128<br />
2 Ibid p.129<br />
3 Ibid p.129<br />
4 Ibid p.129
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 16<br />
faut s’enfanter soi-même. Tout cela est, certes, très difficile mais <strong>Zarathoustra</strong> a confiance en<br />
sa volonté : « pour vous parlez franc, tel est le <strong>de</strong>stin que m’impose mon vouloir. » 1<br />
Cependant <strong>Zarathoustra</strong> rencontre toujours le même problème ; l’incapacité <strong>de</strong> l’homme à<br />
comprendre son enseignement et le sens <strong>de</strong>s différents concepts. A nouveau une métaphore<br />
illustre ses propos : « A présent le ciseau s’acharne cruellement contre sa prison. La pierre<br />
vole en éclats ; mais qu’importe ? » 2 Le ciseau représente la volonté <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong> à sculpter<br />
l’homme pour en créer un Surhomme mais il est confronté au manque d’ouverture <strong>de</strong>s<br />
hommes c’est pourquoi il parle <strong>de</strong> prison. Mais <strong>Zarathoustra</strong> ne perd pas espoir, il a trop <strong>de</strong><br />
volonté pour cela c’est pourquoi même si les murs tombent en morceaux ce n’est pas grave<br />
pour lui car il a enseigné le Surhomme. Il ajoute : « Ah mes frères que m’importent<br />
désormais-les dieux ? » 3 . On remarque ici le détachement et l’indifférence que <strong>Zarathoustra</strong><br />
porte au divin. Ce qu’il vient annoncer aux hommes est beaucoup plus grand.<br />
La fin <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième partie se constitue <strong>de</strong> la même manière que la première, <strong>Zarathoustra</strong><br />
enseigne sa sagesse à ses disciples, notamment le concept <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> puissance, puis<br />
repart <strong>dans</strong> ses montagnes mais cette fois avec tristesse.<br />
Ensuite <strong>dans</strong> la troisième partie, il fait plusieurs rencontres avant <strong>de</strong> retourner <strong>dans</strong> sa caverne.<br />
Il sait qu’il <strong>de</strong>vra encore un fois re<strong>de</strong>scendre parmi les hommes mais le moment n’est pas<br />
encore venu. Puis, enfin, <strong>dans</strong> la quatrième partie, <strong>Zarathoustra</strong> entend <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> détresse et<br />
déci<strong>de</strong> d’aller chercher d’où ils proviennent. En chemin, il rencontre plusieurs personnages<br />
qui sont <strong>de</strong>s hommes supérieurs. Après les avoir invités <strong>dans</strong> sa grotte, <strong>Zarathoustra</strong> se rend<br />
compte que ce ne sont pas les créateurs du Surhomme mais il est content car l’heure du grand<br />
Midi approche. C’est-à-dire que l’avenue du Surhomme est proche.<br />
Cependant, il n’y a hélas pas que <strong>de</strong>s hommes supérieurs. <strong>Zarathoustra</strong> distingue quatre types<br />
d’hommes qui ont réagi différemment face à la mort <strong>de</strong> Dieu.<br />
1 Ibid p.130<br />
2 Ibid p.130<br />
3 Ibid p.130
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 17<br />
L’homme <strong>dans</strong> le nihilisme<br />
A la suite <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Dieu, l’homme tombe <strong>dans</strong> une phase dénuée <strong>de</strong> repères, ses valeurs<br />
sont moins stables car elles ne sont pas dictées par Dieu mais par lui-même. Il peut réagir<br />
différemment face à cette situation. Je vais essayer <strong>de</strong> montrer les différents chemins que<br />
l’homme peut emprunter <strong>dans</strong> le nihilisme.<br />
L’homme humain trop humain<br />
Pour lui, la mort <strong>de</strong> Dieu ne s’est pas produite ou alors c’est la mort <strong>de</strong> Jésus Christ sur la<br />
croix. Donc Dieu est toujours présent <strong>dans</strong> son esprit, il est encore croyant. Pour <strong>Zarathoustra</strong>,<br />
cette solution ne fait qu’affaiblir l’homme parce qu’il se sent toujours <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong><br />
inférieur, le mon<strong>de</strong> sensible alors qu’il aspire au mon<strong>de</strong> intelligible le royaume <strong>de</strong> Dieu. Il<br />
croit que son âme est immortelle, attache toute son importance à son esprit et méprise son<br />
corps. <strong>Nietzsche</strong> condamne cette attitu<strong>de</strong>. Selon lui : « le corps est une gran<strong>de</strong> raison » 1 et<br />
l’esprit existe, tout comme l’intelligence, seulement parce qu’ils sont liés au corps:<br />
« Intelligence et esprit ne sont qu’instruments et jouets ; le Soi se situe au-<strong>de</strong>là. » 2 Le Soi, le<br />
corps tout entier, s’oppose ici au Moi qui est l’esprit et par lequel les hommes se désignent.<br />
L’homme reste <strong>dans</strong> le dualisme traditionnel avec les valeurs habituelles du bien et du mal et<br />
<strong>de</strong> la séparation âme/corps. Il croit que le mon<strong>de</strong> intelligible contient la Vérité, alors que selon<br />
<strong>Zarathoustra</strong> : « tout ce que l’on a cru au sujet du bien et du mal n’a jamais été qu’illusion, et<br />
non savoir. » 3 Pour ces hommes, pas <strong>de</strong> transmutation <strong>de</strong>s valeurs. Elles restent inchangées.<br />
La vertu est très importante, ils croient qu’ils sont les « bons », mais pour <strong>Zarathoustra</strong> ils sont<br />
ridicules car s’ils sont « bon » c’est parce qu’ils ont peur <strong>de</strong>s personnes différentes d’eux<br />
: « Ronds, équitables et bienveillants entre eux – c’est leur façon d’être ; ronds, équitables et<br />
bienveillants comme les grains <strong>de</strong> sable le sont envers les autres grains <strong>de</strong> sable. » 4<br />
Le mon<strong>de</strong> d’ici bas reste sans valeurs par rapport au mon<strong>de</strong> d’en haut alors l’homme humain<br />
trop humain nie la vie, il la condamne parce qu’ici tout n’est que pêché. C’est pourquoi, il est<br />
mû par une volonté <strong>de</strong> puissance négative et agit avec <strong>de</strong>s forces réactives.<br />
1 Ibid p.72<br />
2 Ibid p.72<br />
3 Ibid p.254<br />
4 Ibid p.220
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 18<br />
Il faut cependant éviter un contresens important. <strong>Nietzsche</strong> ne nie pas l’esprit mais il ne le<br />
valorise pas au détriment du corps ; selon lui, l’esprit doit servir le corps : « Le corps créateur<br />
a formé l’esprit à son usage pour être la main <strong>de</strong> son vouloir. » 1 Nous voyons donc ici que<br />
l’esprit est un instrument <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong>s hommes et donc ce qui est primordial, c’est la<br />
volonté.<br />
Les hommes « humains trop humains » représentent la majeure partie du peuple et plus<br />
particulièrement <strong>dans</strong> <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> les prêtres et quelques personnes <strong>de</strong> la foule<br />
ainsi que tous les croyants en général. Ils sont aussi les chameaux qui portent sur leur dos le<br />
poids <strong>de</strong> leurs valeurs morales.<br />
Le <strong>de</strong>rnier homme<br />
Pour le <strong>de</strong>rnier homme, la mort <strong>de</strong> Dieu est la suppression d’un maître trop exigeant qui<br />
l’empêchait <strong>de</strong> faire ce qu’il voulait et ne le laissait pas tranquille. Cet évènement l’arrange<br />
bien. Ses valeurs morales per<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leur importance jusqu'à <strong>de</strong>venir inexistantes. Le mon<strong>de</strong><br />
d’en haut et le mon<strong>de</strong> sensible sont dépréciés par lui. Il ne s’interdit plus rien puisqu’il n’y a<br />
plus <strong>de</strong> maître, <strong>de</strong> Dieu pour lui interdire quoi que ce soit. Il est donc parfaitement immoral. Il<br />
n’a plus d’intérêt pour la recherche d’une quelconque vérité, c’est un grand relativiste. La<br />
sagesse n’a plus d’importance pour lui. Il n’y a pas <strong>de</strong> transmutation <strong>de</strong>s valeurs ou, si l’on<br />
veut bien, l’homme n’a fait que déconstruire sa morale mais n’a rien recréé. C’est le lion <strong>de</strong>s<br />
« trois métamorphoses » Il a seulement compris que les anciennes valeurs n’avaient aucun<br />
fon<strong>de</strong>ment.<br />
Dieu n’existe plus pour lui mais il est mû par les mêmes forces qu’avant, les forces réactives<br />
et bien sûr la volonté <strong>de</strong> puissance négatrice. Il est selon <strong>Nietzsche</strong> le plus méprisable <strong>de</strong>s<br />
hommes, tellement méprisable qu’il « ne sait même plus se mépriser lui-même. » 2<br />
Pour les <strong>de</strong>rniers hommes, il faut <strong>de</strong> la tranquillité, c’est peut être encore la seule valeur à<br />
laquelle ils donnent <strong>de</strong> l’importance. Ils sont donc très méfiants envers tout ce qui serait<br />
susceptible <strong>de</strong> les persécuter. Ils fuient leurs problèmes et font tout pour oublier la mort. Ils<br />
vivent comme s’ils étaient immortels et pour eux la mort est une difficulté <strong>de</strong> la vie qu’ils<br />
1 Ibid p.73<br />
2 Ibid p.53
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 19<br />
n’arrivent pas à accepter. Ils font tout pour l’éviter. Ils se divertissent pour fuir leurs<br />
tourments. Ils ont très peur <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> parce que celle-ci les confronterait trop à leur simple<br />
condition humaine qui les angoisse. Ils ne sont donc pas très courageux. Même le travail n’a<br />
plus <strong>de</strong> valeur : « On travaille encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette<br />
distraction ne <strong>de</strong>vienne jamais fatigante. » 1<br />
Ces <strong>de</strong>rniers hommes par soucis <strong>de</strong> tranquillité prônent l’égalitarisme ce qui leur évite les<br />
conflits avec <strong>de</strong>s tiers : « On ne <strong>de</strong>viendra plus ni riche ni pauvre ; c’est trop pénible. Qui<br />
donc voudra encore gouverner ? Qui donc voudra obéir ? L’un et l’autre sont trop pénibles. » 2<br />
Ils font en outre très attention à leur santé car elle leur assure la longévité : « On aura son petit<br />
plaisir pour le jour et son petit plaisir pour le nuit ; mais on révérera sa santé. » 3 Il faut bien<br />
comprendre que ces ``valeurs´´ (tranquillité, égalitarisme et santé) n’existent que par réaction<br />
à leur angoisse.<br />
Les <strong>de</strong>rniers hommes croient qu’avec cela ils ont « inventé le bonheur ». <strong>Zarathoustra</strong> dit que<br />
ces <strong>de</strong>rniers hommes seront les plus nombreux à exister et qu’ils vivront le plus longtemps <strong>de</strong><br />
tous : « Son engeance est aussi in<strong>de</strong>structible que celle du puceron ; le Dernier Homme est<br />
celui qui vivra le plus longtemps. » 4<br />
C’est pourquoi <strong>Zarathoustra</strong> annonce le <strong>de</strong>rnier homme tout <strong>de</strong> suite après le Surhomme car il<br />
est la solution la plus probable que les hommes risquent d’emprunter après la mort <strong>de</strong> Dieu.<br />
Il faut absolument mettre en gar<strong>de</strong> les hommes contre le Dernier Homme car c’est justement<br />
là que le nihilisme réactif se transforme en nihilisme passif ce qui signifie que les hommes à<br />
force <strong>de</strong> vouloir rien vont finir par ne rien vouloir. L’absence <strong>de</strong> volonté est la pire chose qu’il<br />
puisse arriver à un homme car elle conduit droit au laisser-aller et à la négligence. Selon<br />
<strong>Zarathoustra</strong>, beaucoup d’hommes sont <strong>dans</strong> cette situation.<br />
L’homme supérieur<br />
Pour l’homme supérieur, la mort <strong>de</strong> Dieu a changé sa vie mais il n’est pas encore un être<br />
accompli, un Surhomme comme le voudrait <strong>Zarathoustra</strong>. Il agit et donc ses forces sont<br />
actives. Par contre, il possè<strong>de</strong> toujours une volonté <strong>de</strong> puissance négative ce qui l’empêche <strong>de</strong><br />
1 Ibid p.53<br />
2 Ibid p.53<br />
3 Ibid p.54<br />
4 Ibid p.53
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 20<br />
s’affirmer, <strong>de</strong> créer <strong>de</strong> nouvelles valeurs. Il est une alternative entre le tout (Surhomme) ou<br />
rien (Dernier Homme).<br />
Ces hommes supérieurs sont les amis <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, ils ne sont pas méprisables. Mais tout<br />
comme les hommes humains trop humains, ils se mortifient à force d’ascèse et méprisent leur<br />
corps encore trop souvent. Ils font en outre très attention à leur santé mais cela ne les empêche<br />
pas d’oser agir.<br />
Ils ne croient plus en Dieu et donc plus en un arrière mon<strong>de</strong> mais ils continuent à déprécier ce<br />
mon<strong>de</strong>. C’est comme si pour eux, Dieu était mort mais pas le Diable. Le règne du Bien<br />
n’existe plus par contre la mal existe toujours sur terre et il est même très présent. Ce qui fait<br />
que ces hommes supérieurs sont très pessimistes. Les valeurs divines ont été transposées en<br />
valeurs humaines. Ils sont donc encore plein <strong>de</strong> valeurs morales et culpabilisent s’ils ne les<br />
respectent pas. Il n’y a aucune transmutation <strong>de</strong>s valeurs, ils se ren<strong>de</strong>nt compte que c’est eux<br />
qui peuvent les choisir mais ils n’osent pas changer les anciennes valeurs parce qu’ils ont <strong>de</strong><br />
la peine à croire que Dieu est ``réellement ´´ mort. Ils ont toujours mauvaise conscience et<br />
peur d’une éventuelle punition s’ils ne respectent pas la morale. Ils croient toujours à la<br />
différenciation âme/corps. Ils continuent comme si <strong>de</strong> rien n’était mais ils sont susceptibles <strong>de</strong><br />
changer et <strong>de</strong> transformer leur volonté <strong>de</strong> puissance à force d’agir. C’est pour cette raison<br />
qu’ils intéressent <strong>Zarathoustra</strong>. Mais leur respect <strong>de</strong>s anciennes valeurs irrite <strong>Zarathoustra</strong> il<br />
veut qu’ils les abandonnent, qu’ils les détruisent.<br />
Les hommes supérieurs se rencontrent à plusieurs reprises <strong>dans</strong> le livre. Par exemple <strong>dans</strong> le<br />
prologue le funambule est un homme supérieur. Il agit et ne se laisse pas agir (réaction) ce qui<br />
est courageux mais sa chute nous prouve qu’il n’est pas encore capable d’arriver au but parce<br />
qu’il ne croit pas en ce qu’il fait. <strong>Zarathoustra</strong> lui dit qu’il ne va pas aller en enfer car le<br />
Diable n’existe pas et que son âme va mourir plus vite que son corps. <strong>Zarathoustra</strong> le félicite<br />
car : « il a fait du danger son métier, il n’y a rien là <strong>de</strong> méprisable. » 1<br />
A la suite <strong>de</strong> cet épiso<strong>de</strong>, <strong>Zarathoustra</strong> part <strong>dans</strong> la forêt avec le cadavre du funambule. Un<br />
soir alors qu’il a faim, il frappe à la porte d’un vieillard pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à manger. Celui-ci<br />
lui offre du pain et du vin ainsi qu’à son compagnon mort, bien que <strong>Zarathoustra</strong> lui dise que<br />
cela ne sert à rien. Mais le vieillard ne veut rien savoir et il dit : « peu m’importe, quand on<br />
1 Ibid p.55
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 21<br />
frappe à ma porte, il faut accepter ce que j’offre. Mangez et portez vous bien ! » 1 Il respecte la<br />
morale qui lui dit d’ai<strong>de</strong>r ces gens en les nourrissant mais ne se soucie pas le moins du mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> ce qui peut leur arriver. Il a la conscience tranquille parce qu’il a accompli son <strong>de</strong>voir mais<br />
se fiche éperdument <strong>de</strong> savoir si son acte a pu réellement servir à quelque chose. Le pain et le<br />
vin sont en outre un symbole <strong>de</strong> l’hospitalité et nous informent tout <strong>de</strong> suite <strong>de</strong>s valeurs<br />
chrétiennes <strong>de</strong> cet homme.<br />
Les autres hommes supérieurs que l’on rencontre <strong>dans</strong> le livre sont les amis <strong>de</strong> <strong>Zarathoustra</strong><br />
ou, comme il les nomme, ses disciples. Parmi eux se trouvent les <strong>de</strong>ux Rois, le scrupuleux<br />
esprit, le vieil Enchanteur, le Pape le Mendiant volontaire et le prophète <strong>de</strong> mauvais augure.<br />
Ces hommes ne sont pas heureux car ils assument leur vie sans l’affirmer et sans créer <strong>de</strong><br />
nouvelles valeurs. Leur vie leur semble vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens à cause <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Dieu. Comme le dit<br />
le mendiant volontaire en parlant <strong>de</strong>s vaches : « Il y a une chose qu nous <strong>de</strong>vrions apprendre<br />
d’elles : à ruminer.» 2 . Cette métaphore prouve que la vie <strong>de</strong>s hommes supérieurs n’est pas<br />
heureuse, ils ruminent comme les vaches, ils n’arrivent pas à digérer, ils ressassent le passé et<br />
n’arrivent donc plus à avancer. L’Enchanteur est désenchanté. <strong>Zarathoustra</strong> lui dit : «Je te<br />
<strong>de</strong>vine : tu es pour tout le mon<strong>de</strong> un enchanteur, mais aucun <strong>de</strong> tes mensonges, aucune <strong>de</strong> tes<br />
ruses n’agit plus sur toi. Tu es désenchanté à tes propres yeux » 3 . Le pape, quant à lui, se rend<br />
compte <strong>de</strong> son état et dit : « Je suis hors service, sans maître, bien que je ne sois pas libre ; je<br />
n’ai plus une heure qui me soit plaisante si ce n’est <strong>dans</strong> mes souvenirs » 4 . Ces hommes<br />
supérieurs sont désespérés, ne savent pas trop où ils vont, mais <strong>Zarathoustra</strong> n’est pas<br />
mécontent <strong>de</strong> cette attitu<strong>de</strong> : « ce que je puis aimer chez l’homme c’est qu’il est à la fois<br />
transition et perdition. » 5 Il a donc une possibilité <strong>de</strong> changer. <strong>Zarathoustra</strong> leur livre ensuite<br />
plusieurs messages : « Surmontez, je vous en prie, Hommes supérieurs, ces petites vertus, ces<br />
petites astuces, ces scrupules gros comme un grain <strong>de</strong> sable, ce fourmillement <strong>de</strong> fourmis,<br />
cette misérable satisfaction <strong>de</strong> soi, ce « bonheur du plus grand nombre ». » 6<br />
Malheureusement, l’erreur que font les hommes supérieurs est le culte <strong>de</strong> l’âne. Cet animal<br />
représente la bêtise même car il dit oui sans comprendre à ce que font les hommes. C’est un<br />
animal affirmateur car il dit toujours YA (oui en allemand). Il assume mais ne crée rien. C’est<br />
1 Ibid p.57<br />
2 Ibid p.326<br />
3 Ibid p.313<br />
4 Ibid p.316<br />
5 Ibid p.346<br />
6 Ibid p.346
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 22<br />
à ce moment là que <strong>Zarathoustra</strong> se rend compte <strong>de</strong> la mauvaise interprétation qu’ont faite les<br />
hommes <strong>de</strong> son enseignement et que ceux-ci ne parviennent pas à se passer d’une idole.<br />
Ces hommes supérieurs n’ont pas encore véritablement compris ce que <strong>Zarathoustra</strong> tente <strong>de</strong><br />
leur enseigner. Mais ils sont sur la bonne voie et <strong>Zarathoustra</strong> essaie <strong>de</strong> faire d’eux <strong>de</strong>s<br />
Créateurs du Surhumain bien qu’il se ren<strong>de</strong> compte ensuite que ces hommes supérieurs<br />
n’étaient pas capables <strong>de</strong> cela : « Vous avez beau être probablement tous <strong>de</strong>s Hommes<br />
supérieurs (…), vous n’êtes, à mon sens, ni assez grands, ni assez forts. » 1<br />
« Vous n’êtes pour moi qu’un présage <strong>de</strong> ceux qui, plus grand que vous, sont en route vers<br />
moi » 2<br />
Le Surhomme<br />
Le Surhomme n’existe pas encore, <strong>Zarathoustra</strong> vient annoncer sa venue et la voie qui y<br />
conduit mais il n’est aucunement un Surhomme lui-même. Il n’est qu’un créateur, un ancêtre<br />
du Surhomme. On ne rencontre pas <strong>de</strong> Surhomme <strong>dans</strong> le livre <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong><br />
mais on nous montre le chemin pour y parvenir.<br />
La phase nihiliste qui suit la mort <strong>de</strong> Dieu, pour <strong>Zarathoustra</strong> est envisagée comme une<br />
possibilité <strong>de</strong> tout changer, et le surhomme constitue le but à atteindre pour <strong>Zarathoustra</strong>. Les<br />
forces du Surhomme sont actives, il agit et sa volonté <strong>de</strong> puissance affirmative lui permet <strong>de</strong><br />
créer <strong>de</strong> nouvelles valeurs. Il est le seul à avoir pleinement réussi à transmuter ses valeurs<br />
morales et à s’être enfanté lui-même. Il est le lion qui est <strong>de</strong>venu enfant. La mort <strong>de</strong> Dieu pour<br />
lui était nécessaire à la déconstruction <strong>de</strong> ses valeurs morales. Cette déconstruction l’a conduit<br />
au Surhumain car il ne fait pas que démolir les anciennes valeurs comme le Dernier Homme,<br />
il en reconstruit <strong>de</strong> nouvelles.<br />
Pour lui, l’arrière mon<strong>de</strong> n’existe plus et le mon<strong>de</strong> sensible est revalorisé. La vie est affirmée<br />
<strong>dans</strong> toute sa splen<strong>de</strong>ur. Le mon<strong>de</strong> sensible n’est certes point un mon<strong>de</strong> idéal mais c’est un<br />
mon<strong>de</strong> tragique où les contraires se retrouvent. Sur terre, le Bien et le Mal, le Beau et le Laid,<br />
le Vrai et le Faux sont réunis. Le va-et-vient <strong>de</strong>s phénomènes ne fait pas peur au Surhomme.<br />
Il dit oui à la vie et ne nie plus son existence. C’est ici qu’intervient Dionysos le Dieu <strong>de</strong> la<br />
Vie et <strong>de</strong> la Mort, <strong>de</strong> la fête et du vin. Pour <strong>Nietzsche</strong> il est la représentation <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong><br />
1 Ibid p.340<br />
2 Ibid p.341
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 23<br />
tragique, ce qui permet aux hommes <strong>de</strong> ne pas aller chercher <strong>de</strong>s valeurs transcendantes,<br />
ailleurs que sur terre. C’est pourquoi il est très paradoxal, et j’insiste sur ce point, <strong>de</strong> parler<br />
d’athéisme chez <strong>Nietzsche</strong>. Certes, ne pas croire en un mon<strong>de</strong> ou en <strong>de</strong>s divinités<br />
transcendantes est une position athée. Mais, la disparition <strong>de</strong> Dieu est surtout à voire comme<br />
la fin <strong>de</strong>s idéologies, <strong>de</strong> l’arrière mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> tout ce qui est soi disant supérieur à la vie.<br />
Cependant, <strong>Nietzsche</strong> nous propose <strong>de</strong> se référer à un autre Dieu, Dionysos, pour célébrer la<br />
vie, sans pour autant le place <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> supérieur au nôtre.<br />
La démolition complète <strong>de</strong> toutes les anciennes valeurs est nécessaire à la venue du<br />
Surhumain afin que celui-ci ne soit jamais rongé par la culpabilité. Il ne faut en outre pas<br />
confondre l’immoralité et l’immoralisme. Les Derniers hommes sont immoraux c'est-à-dire<br />
sans valeurs morales, donc se croient tout permis et dégénèrent et les Surhommes sont<br />
immoralistes ce qui signifie qu’ils nient la valeur <strong>de</strong>s valeurs morales, qu’ils nient les<br />
obligations morales habituelles, mais qu’ils ne sont pas sans valeur. L’immoraliste est celui<br />
qui parvient à se surmonter lui-même et a les capacités pour <strong>de</strong>venir un Surhomme. On peut<br />
dire qu’il a une ``autonomie morale´´.<br />
L’Eternel retour est finalement la doctrine morale du Surhumain. Il s’agit <strong>de</strong> concevoir le<br />
temps comme une spirale et non comme un ligne. Cela signifie que tout revient. Cette<br />
doctrine fait prendre conscience au Surhomme que tout sera répété un jour ou l’autre et c’est<br />
pourquoi il faut qu’il agisse <strong>de</strong> manière à ce que ses actes soient véritablement voulus et<br />
répétés à l’infini. Tous les actes du Surhomme <strong>de</strong>vraient ne pas pouvoir être regrettés par lui-<br />
même. Cette doctrine l’Eternel Retour est une donc une doctrine sélective. C’est-à-dire que le<br />
surhumain sélectionne les événements <strong>de</strong> sa vie qui pourront être répétés. Il choisit sa vie en<br />
connaissance <strong>de</strong> cause.<br />
Les valeurs du Surhomme sont sans cesse affirmées car sa volonté <strong>de</strong> puissance triomphe<br />
grâce à ses forces actives qui lui permettent <strong>de</strong> recréer sa morale en gardant le meilleur. Il a le<br />
pouvoir <strong>de</strong> transformer la réalité, c’est pourquoi il peut dire oui à la vie. Il affirme la vie et il<br />
est heureux.
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 24<br />
Conclusion<br />
Dans la société actuelle, quels types d’hommes trouve-t-on ?<br />
Arrivé à terme <strong>de</strong> ce travail, je pense qu’il serait intéressant <strong>de</strong> voir ce que les paroles <strong>de</strong><br />
<strong>Nietzsche</strong> ont <strong>de</strong> véritable aujourd’hui. Est-ce que ces distinctions <strong>de</strong> personnes se ressentent<br />
vraiment, existent- elles réellement ?<br />
Je pense que nous baignons en plein <strong>dans</strong> ce que <strong>Nietzsche</strong> appelle la société du <strong>de</strong>rnier<br />
homme. Nous vivons <strong>dans</strong> une société <strong>de</strong> consommation à outrance et cela reflète bien ce<br />
manque <strong>de</strong> valeurs que nous accordons tant aux autres qu’aux objets que l’on use et jette<br />
ensuite. « Il n’y a plus <strong>de</strong> respect, les valeurs se per<strong>de</strong>nt » sont <strong>de</strong>s mots que j’ai souvent<br />
entendus <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong> personnes âgés. La preuve en est que les gens sont immoraux et<br />
n’essaient même plus <strong>de</strong> le cacher. Par exemple, j’ai déjà vu <strong>de</strong>s jeunes voler ou se battre tout<br />
en étant très fier <strong>de</strong> leurs actes. Il me semble que il n’y a plus d’interdit, tout est permis et tant<br />
pis du qu’en dira-t-on. Pourtant, je trouve très bien que l’on ne dépen<strong>de</strong>nt plus <strong>de</strong> valeurs,<br />
mais <strong>de</strong> là à ne plus en avoir du tout signifie selon moi ne pas avoir <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> sa vie. Cette<br />
société ne contient pas seulement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers hommes, car il y a encore énormément <strong>de</strong><br />
croyants qui respectent leur religion et donc qui ont <strong>de</strong>s valeurs et bien sur les fanatiques. Ce<br />
sont surtout ces <strong>de</strong>rniers dont parle <strong>Nietzsche</strong>. Il y a aussi <strong>de</strong>s hommes supérieurs qui ont<br />
quand même <strong>de</strong>s valeurs bien qu’ils n’en soient pas convaincus. Ils ressemblent aux lions<br />
<strong>dans</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, ils sont agnostiques.<br />
En ce qui concerne les Surhommes, on ne peut pas dire qu’on en croise tous les jours mais je<br />
pense qu’il y a <strong>de</strong>s personnes ainsi, bien qu’elles soient une minorité. Ce ne sont pas<br />
forcément <strong>de</strong>s personnes reconnues mais, ce qui et sûr, c’est qu’elles vivent bien et ne sont<br />
pas soumises à leurs valeurs. Elles sont créatrice et acceptent toute les faces <strong>de</strong>s choses les<br />
bonnes comme les mauvaises sans se les cacher.<br />
Pour conclure, je dirais que, selon moi, la philosophie nietzschéenne est assez convaincante.<br />
Je pense que <strong>Nietzsche</strong> a clarifié beaucoup <strong>de</strong> choses en ce qui concerne la morale et c’est sur<br />
ce point que l’on réfléchit beaucoup après avoir lu <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>.
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 25<br />
J’espère que mon travail aura pu éclaircir cette philosophie relativement compliquée et aura<br />
permis <strong>de</strong> comprendre que le terme athée ne veut pas seulement dire non-croyant, ce mot a<br />
plusieurs significations.<br />
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup aimé faire ce travail qui m’a apporté <strong>de</strong> longs moments<br />
<strong>de</strong> réflexion. Je pense que <strong>Nietzsche</strong> est <strong>de</strong> loin l’un <strong>de</strong>s philosophes les plus intéressants et<br />
les plus captivants à étudier. Cependant, je ne m’imaginais pas que cette philosophie serait si<br />
complexe et je suis très contente du chemin que j’ai parcouru. Je souhaite à tous ceux qui<br />
veulent s’engager <strong>dans</strong> cette aventure déroutante, <strong>de</strong> la patience et <strong>de</strong> la persévérance. Cela<br />
dit, l’effort en vaut vraiment la peine, car ou bout du chemin, on en sort grandi.
L’athéisme <strong>dans</strong> « <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong> » <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong> 26<br />
Bibliographie<br />
-Friedrich NIETZSCHE, <strong>Ainsi</strong> <strong>parlait</strong> <strong>Zarathoustra</strong>, Paris, GF Flammarion, janvier 1996<br />
-Jean GARNIER, <strong>Nietzsche</strong>, « que sais-je », Paris, presses universitaire <strong>de</strong> France, 1982<br />
-Gianni VATTIMO, Introduction à <strong>Nietzsche</strong>, le point philosophique, Bruxelles, Editions<br />
Universitaires, 1991<br />
-Paul VALADIER, <strong>Nietzsche</strong> l’athée <strong>de</strong> rigueur, Clamecy, Desclée <strong>de</strong> Brouwer, 1975<br />
-Gille DELEUZE, <strong>Nietzsche</strong>, Paris, Presses universitaire <strong>de</strong> France, 1965<br />
-Pierre HEBER-SUFFRIN, Le <strong>Zarathoustra</strong> <strong>de</strong> <strong>Nietzsche</strong>, philosophies, Paris, Presses<br />
universitaire <strong>de</strong> France, juillet 1999<br />
-coordonné par Gilbert MERLIO, Lecture d’une œuvre ALSO SPRACH ZARATHUSTRA<br />
Friedrich <strong>Nietzsche</strong>, Lonrai, édition du temps, 2000<br />
-Gille DELEUZE, <strong>Nietzsche</strong> et la philosophie, presse universitaires <strong>de</strong> France, septembre<br />
1962<br />
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