L'ORDRE TEMPOREL EN RUSSE CONTEMPORAIN
L'ORDRE TEMPOREL EN RUSSE CONTEMPORAIN
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JURY :<br />
UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE<br />
ÉCOLE DOCTORALE V<br />
CONCEPTS ET LANGAGES<br />
I_I_I_I_I_I_I_I_I_I_I<br />
d’enregistrement attribué par la bibliothèque<br />
THÈSE<br />
pour obtenir le grade de<br />
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS IV-SORBONNE<br />
Discipline : Linguistique<br />
présentée et soutenue publiquement par<br />
Natalia BERNITSKAÏA<br />
le 17 novembre 2008<br />
Titre :<br />
L’ORDRE <strong>TEMPOREL</strong> <strong>EN</strong> <strong>RUSSE</strong> <strong>CONTEMPORAIN</strong> :<br />
vers une approche pragmatique du marquage des relations<br />
chronologiques<br />
Directeur : M. le Professeur Jean BREUILLARD<br />
Mme Christine BRACQU<strong>EN</strong>IER Professeur à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3<br />
M. Jean BREUILLARD Professeur à l’Université Paris-Sorbonne Paris 4<br />
M. Robert ROUDET Professeur à l’Université Jean-Moulin Lyon 3<br />
M. Louis de SAUSSURE Professeur à l’Université de Neuchâtel<br />
M. Stéphane VIELLARD Maître de Conférences Habilité à Diriger des<br />
Recherches à l’Université Paris-Sorbonne Paris 4<br />
2008
REMERCIEM<strong>EN</strong>TS<br />
Je remercie Monsieur Jean Breuillard, qui a dirigé mes recherches avec un rare<br />
mélange, n’appartenant qu’à lui, de générosité, d’humanisme, d’érudition,<br />
d’ampleur de vue, de professionnalisme. Qu’il veuille accepter ce travail en<br />
témoignage de ma profonde gratitude et de mon grand respect.<br />
Je tiens à remercier Madame Christine Bracquenier et Messieurs Robert Roudet,<br />
Louis de Saussure et Stéphane Viellard qui, malgré leurs nombreuses<br />
occupations, ont aimablement accepté de participer au jury de cette thèse. Par<br />
ailleurs, je remercie Monsieur Louis de Saussure pour son livre « Temps et<br />
pertinence », qui, à l’insu de son auteur, m’a beaucoup inspirée au cours de mes<br />
recherches.<br />
Je dis un grand merci à mes amis et mes proches. Ceux-ci ne s’appellent pas<br />
« Vincent, François, Paul et les autres » mais Thierry, Belka, Zora, Rodolphe. Je<br />
pense aussi à Tcholpone, Rybka, Dorota, Léna, Gildas, Lucie, Elvira, Jean-Luc…<br />
Je remercie Thierry pour toutes ses qualités humaines et aussi pour son<br />
intelligence et sa culture générale hors pair qui m’ont été d’un soutien sans prix<br />
dans mon travail. Ma gratitude va particulièrement à Rodolphe, qui a fréquemment<br />
délaissé la reine des sciences, les mathématiques, et a sûrement sacrifié<br />
quelques séances de cinéma, en prêtant ses yeux à la relecture de ma thèse.<br />
Sans dévoiler entièrement la contribution mystérieuse qu’ont apportée mes amis à<br />
ce travail, je les remercie de me faire souvent penser à une certaine Camille,<br />
décrivant dans sa thèse la vie des « chevaliers paysans de l’an mil au lac de<br />
Paladru ».<br />
2
SOMMAIRE<br />
AVERTISSEM<strong>EN</strong>T ………………………………………………………………………4<br />
INTRODUCTION .………………………………………………………………………..8<br />
Chapitre 1. LA REPRÉS<strong>EN</strong>TATION DES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS DANS LE<br />
LANGAGE...……………………………………………………………...26<br />
Chapitre 2. APPRÉH<strong>EN</strong>DER LE TEMPS PAR LES RELATIONS EXISTANT<br />
<strong>EN</strong>TRE LES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS…………………………………………..69<br />
Chapitre 3. ÉNONCÉS A PRÉDICATS AUTONOMES …………………………...109<br />
Chapitre 4. ÉNONCÉS A PRÉDICAT SECONDAIRE (LE CAS DU<br />
GÉRONDIF)…………………………………………………………….219<br />
CONCLUSION…………………………………………………………………………315<br />
ANNEXE ……………………………………………………………………………….317<br />
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………... 336<br />
TABLE DES MATIÈRES ……………………………………………………………..357<br />
3
AVERTISSEM<strong>EN</strong>T<br />
Afin de faciliter la lecture par les non-russophones, tous les exemples en cyrillique<br />
sont suivis de : 1) leur translittération en caractères latins ; 2) une traduction mot à<br />
mot ; 3) une traduction proprement dite en français.<br />
1. La translittération en caractères latins est conforme à la norme explicitée<br />
dans le tableau suivant :<br />
Lettres Signes de<br />
translittération<br />
1. TRANSLITTERATION ET PRONONCIATION<br />
Prononciation approximative<br />
A a A a [a]<br />
B b [b]<br />
V v [v]<br />
G g [g] comme dans gris<br />
D d [d]<br />
E e [e] comme dans vélo<br />
Ë ë [jo] comme dans idiot<br />
Ž ž [ž] comme dans jeune, agir<br />
Z z [z]<br />
I i [i]<br />
J j [j] comme dans briller<br />
K k [k]<br />
L l [l]<br />
M m [m]<br />
N n [n]<br />
O o [o]<br />
Pp [p]<br />
R r [r]<br />
S s [s]<br />
T t [t]<br />
4
U u [ou] comme dans jour<br />
F f [f]<br />
Avertissement<br />
X x [h] comme ch dans le mot allement Buch<br />
C c [ts]<br />
[tch] comme dans Gorbatchev<br />
Š š [ch] comme dans chat<br />
Š š [ch’], consonne très molle, comme dans chimère, et<br />
’’ (double<br />
apostrophe)<br />
longue comme dans ch-chèpa, prononciation<br />
relâchée de j’sais pas<br />
indique que la consonne précédente est dure<br />
y [y] presque comme i : lèvres dans la position de [i],<br />
langue dans la position de [u]<br />
’ (apostrophe) indique que la consonne précédente est molle<br />
e [e] comme dans elle, mère<br />
ju [jou] comme dans caillou<br />
ja [ja] comme dans billard<br />
2. La traduction mot à mot en français suit rigoureusement l’ordre linéaire de<br />
l’énoncé russe. Ce style délibérément incorrect, ayant pour but de rendre<br />
transparente la structure grammaticale de l’énoncé russe, obéit à quelques<br />
règles :<br />
i. La frontière entre les mots est signalée par un tiret. Celui-ci met en relief<br />
la distinction entre la traduction mot à mot et la traduction littéraire qui lui<br />
succède. Par ailleurs, le tiret s’avère très utile quand il s’agit de traduire<br />
un mot russe par plusieurs mots français, par exemple :<br />
.<br />
Naš geroj zadumalsja.<br />
Notre – héros – plongea dans ses pensées.<br />
5
Avertissement<br />
ii. Des marqueurs grammaticaux (notamment les terminaisons indiquant<br />
les cas obliques), inclus synthétiquement dans la structure du mot<br />
russe, sont explicités et mis entre parenthèses :<br />
C.<br />
Skrežet tormozov.<br />
Grincement – (de) freins.<br />
iii. Les articles, absents en russe, sont omis.<br />
iv. Les formes verbales du passé et le gérondif sont transposés de la<br />
PASSE PERFECTIF<br />
manière suivante :<br />
– On uslyšal<br />
PASSE IMPERFECTIF<br />
2. TRANSPOSITION DES FORMES VERBALES DU PASSE ET DU GERRONDIF<br />
Russe Français<br />
– On perexodil<br />
ulicu<br />
GERONDIF PERFECTIF<br />
– Zadumavšis’<br />
GERONDIF IMPERFECTIF<br />
– Gljadja po<br />
storonam<br />
PASSE SIMPLE<br />
Il – entendit<br />
IMPARFAIT<br />
Il - traversait – rue<br />
FORME COMPOSEE DU PARTICIPE<br />
PRES<strong>EN</strong>T<br />
Ayant plongé dans ses pensées<br />
GERONDIF<br />
En regardant – sur - côtés<br />
3. La traduction proprement dite en français est précédée du signe : =.<br />
Ainsi, la présentation intégrale d’un exemple apparaît comme suit :<br />
6
Avertissement<br />
, , , <br />
..<br />
Naš geroj, zadumavšis’, ne gljadja po storonam, perexodil ulicu. Vdrug on<br />
uslyšal skrežet tormozov.<br />
Notre – héros, – ayant plongé dans ses pensées, – ne – en regardant –<br />
sur – côtés, – traversait – rue. – Soudain – il – entendit – grincement – (de)<br />
freins.<br />
= Plongé dans ses pensées et sans faire attention à ce qui se passait<br />
autour de lui, notre héros traversait la rue. Soudain, il entendit un<br />
grincement de freins.<br />
7
INTRODUCTION<br />
1. Problématique<br />
Veni, vidi, vici. Quelle autre démonstration langagière que cette célèbre formule<br />
attribuée à Jules César témoignerait avec plus de concision, de sobriété et<br />
d’éloquence de l’aptitude de la langue à ordonner les événements ? 1<br />
Toute notre expérience quotidienne atteste notre aisance à retracer la chronologie<br />
des événements narrés. Effectivement, en écoutant les gens parler ou en lisant<br />
des romans et des journaux, le destinataire comprend en général sans difficulté si<br />
un événement s’est déroulé avant, après ou en même temps qu’un autre<br />
événement. On peut donc supposer intuitivement que le langage possède un<br />
arsenal de moyens spécifiques dont la vocation est de marquer l’ordre des<br />
événements : l’ordre entre les prédicats 2 reflète l’ordre réel entre les événements,<br />
les adverbes tels que d’abord, ensuite, puis contribuent aussi à établir la<br />
chronologie entre les actions, – comme dans ce petit extrait du roman d’Albert<br />
Cohen Belle du Seigneur où se suivent des « activités » d’un haut fonctionnaire :<br />
(1) Assis devant son bureau, il gonfla ses joues et s’amusa à faire des vents<br />
enfantins avec ses lèvres. Ensuite, il posa son front sur le sous-main et fit<br />
basculer sa tête de part et d’autre, gémissant une mélodie cafardeuse.<br />
Ensuite, il plia un bras sur la table, y coucha sa joue gauche, ferma les<br />
yeux et rêvassa à mi-voix, s’interrompant de temps à autre pour puiser un<br />
fondant, tête toujours couchée de côté (Cohen : 102).<br />
1 D'après l’écrivain grec Plutarque (vers 50 – vers 125), la formule est extraite du rapport de César<br />
au Sénat romain après sa victoire remportée en – 47 av. J.-C., sur Pharnace II, roi du Pont.<br />
Selon l’historien latin Suétone (vers 69 – vers 126), la formule aurait été affichée sur un panneau<br />
porté lors du triomphe de César, pour décrire sa campagne du Pont.<br />
Par son rythme ternaire, la sentence de César traduit le déroulement de la campagne victorieuse<br />
de trois jours menée contre le roi Pharnace II : veni le premier jour, vidi le deuxième jour, vici le<br />
troisième et dernier jour.<br />
2 Pour désigner un prédicat exprimé par une forme verbale finie, la linguistique française emploie<br />
plus facilement le mot verbe. Comme notre travail prend aussi en considération des énoncés où la<br />
prédication est exprimée par des formes verbales non finies, nous préférons le terme prédicat.<br />
8
Introduction<br />
Est-ce à dire pour autant que, interprétant les dires et les écrits d’autrui, nous<br />
parvenons toujours à établir infailliblement l’ordre dans lequel se sont succédé les<br />
événements ? L’extrait suivant, tiré du roman de l’écrivain russe Alexej [Alexeï]<br />
Ivanov (Geograf globus propil) 3 , est à ce sujet une<br />
gageure pour le lecteur qui, en se retrouvant en quelque sorte dans la peau de<br />
Sloujkine, témoin fortuit de la conversation entre trois dames, s’aviserait d’établir<br />
la succession exacte des événements du soap opéra dont elles parlent :<br />
(2) <br />
. […] <br />
– , <br />
– .<br />
– , , <br />
<br />
<br />
« », –<br />
. – <br />
? , <br />
?<br />
– , , – <br />
. – - <br />
. <br />
, , <br />
, <br />
.<br />
Sloujkine était assis dans la salle et<br />
remplissait le registre de la classe,<br />
[…] alors que trois autres profs – une<br />
vieille, une moins vieille et une<br />
jeunette – bavardaient.<br />
– Vous savez, Lioubov Piétrovna, j’ai<br />
passé toute la soirée hier dans la file<br />
d’attente et je n’ai pas pu regarder le<br />
soixante-deuxième épisode de<br />
« L’espoir fait vivre », se plaignit la<br />
moins vieille. Qu’est-ce qui s’est<br />
passé ? Ursula a appris que sa fille<br />
était enceinte ?<br />
– Non, pas encore, dit la vieille. C’est<br />
vrai que Fernanda a volé la lettre<br />
dans la boîte à bijoux. Arcadio s’est<br />
retrouvé à l’hôpital et pendant qu’il se<br />
faisait opérer, elle a fouillé ses<br />
affaires et trouvé la clé.<br />
3 Il est difficile de traduire instantanément ce titre en français. L’adaptation mot à mot donne<br />
approximativement : Le géographe a bu le globe terrestre ; A force de boire le géographe a perdu<br />
le globe terrestre.<br />
9
– <br />
…<br />
–… ?..<br />
– , <br />
, – .<br />
– … <br />
, <br />
<br />
.<br />
– ? <br />
…<br />
– <br />
, <br />
.<br />
– <br />
, –<br />
.<br />
– , , <br />
, – . –[…]<br />
.<br />
Introduction<br />
– Mais la boîte à bijoux était chez<br />
José, non ?<br />
– Oui, mais chez lui il y a … comment<br />
elle s’appelle déjà ?<br />
– Rebecca, celle qui a empoisonné<br />
Amaranta, souffla la jeunette.<br />
– C'est ça… Cette Rebecca est<br />
descendue chez José sous une<br />
fausse identité. Lui, il ne l’a pas<br />
reconnue après sa chirurgie<br />
esthétique.<br />
– Comment ça ? Il a quand même<br />
surpris sa conversation avec<br />
Remedios…<br />
– Il n’a entendu que la partie sur<br />
Arcadio parce que Señor Moncada<br />
l’a appelé et a détourné son<br />
attention.<br />
– Moi, à la place d’Arcadio, je<br />
flanquerais ce Señor à la porte,<br />
avoua la moins vieille.<br />
– Oui, nous autres, les Russes, nous<br />
sommes comme ça, expliqua la petite<br />
vieille. – […] Eux là-bas, ils sont<br />
différents.<br />
( : 71-72)<br />
10
Introduction<br />
Comment parvenons-nous à comprendre qu’un événement se produit avant,<br />
après ou bien en même temps qu’un autre événement ? Pourquoi est-il plus facile<br />
de restituer l’ordre entre les événements dans le premier exemple tandis que le<br />
deuxième présente à cet égard beaucoup plus de difficultés ? Ce dialogue sur un<br />
feuilleton latino, rapporté avec une pointe d’ironie, suscite au moins deux<br />
remarques. Tout d’abord, il est certain que les trois dames qui bavardent sont<br />
capables de reconstruire la suite de ces passionnants événements beaucoup<br />
mieux que le lecteur ou Sloujkine lui-même. La seconde remarque découle de la<br />
première et se ramène à une question : est-il essentiel pour le lecteur et pour<br />
Sloujkine de savoir si Rebecca a empoisonné Amaranta avant, après ou en même<br />
temps que José s’emparait de la boîte à bijoux ?<br />
Ce préambule d’exemples et de questions nous amène à formuler plus<br />
précisément le sujet, les objectifs et les hypothèses de notre travail.<br />
Sujet<br />
Le sujet de notre thèse porte sur l’organisation chronologique des événements<br />
dans le langage en général et dans la langue russe en particulier. Ce sujet est<br />
directement relié à la problématique du temps langagier, abordée déjà dans<br />
plusieurs travaux linguistiques et aussi philosophiques. L’examen de l’histoire de<br />
la linguistique nous a permis de distinguer globalement cinq approches du temps :<br />
psychologique, textuelle, référentielle, sémantique et pragmatique.<br />
Les cinq approches<br />
L’approche psychologique, fondée sur les travaux de Gustave Guillaume<br />
[Guillaume 1929 / 1965] ou de Jacques Damourette et Edouard Pichon<br />
[Damourette, Pichon 1911 – 1936 / 1951], considère que l’usage des temps<br />
verbaux est motivé par une « manière psychologique » de se représenter les<br />
événements. Si la complexité terminologique ainsi qu’une attitude quelque peu<br />
sectaire des disciples de Guillaume ont considérablement limité l’exploitation de<br />
ces deux courants de pensée, on peut toutefois voir à bon droit dans ces<br />
linguistes les ancêtres titulaires de la sémantique cognitive « à la française »<br />
[Valette 2006].<br />
11
Introduction<br />
L’approche textuelle, qui remonte aux travaux de Käte Hamburger [Hamburger<br />
1986], Harald Weinrich [Weinrich 1973] 4 et Emile Benveniste [Benveniste 1966 :<br />
237-250], cherche à expliquer la fonction des temps du passé, en particulier en<br />
français, comme une spécialisation d’emploi dans tel ou tel type de texte.<br />
Brillamment développée entre autres par Gérard Genette [Genette 1972 / 2007],<br />
l'approche textuelle attire un nombre conséquent de chercheurs et reste très<br />
actuelle.<br />
L’approche référentielle remonte à la Grammaire de Port-Royal [Arnauld, Lancelot<br />
1660 / 1997] et à la grammaire de Nicolas Beauzée [Beauzée 1767 / 1974]. Deux<br />
siècles plus tard, cette approche recevra un nouvel élan avec le travail de Hans<br />
Reichenbach [Reichenbach 1947 / 1960]. L’idée centrale de l’approche<br />
référentielle consiste à supposer qu’à travers la langue, l’esprit humain représente<br />
les événements réels et objectifs d’une manière subjective, en leur attribuant une<br />
référence temporelle. Cela veut dire que l’esprit humain effectue un calcul qui<br />
permet de placer l’événement dénoté dans la langue au bon endroit dans<br />
l’ensemble des représentations. En gros, les travaux linguistiques actuels qui se<br />
déploient dans cette direction envisagent la récupération de la référence<br />
temporelle de deux manières : sémantique ou pragmatique. Cette constatation<br />
nous permet de distinguer deux approches à part – sémantique et pragmatique.<br />
L’approche sémantique attribue aux temps verbaux et, plus largement, aux<br />
informations linguistiques de l’énoncé des significations déterminées, destinées à<br />
marquer la référence temporelle. On peut placer dans le cadre de l’approche<br />
sémantique les travaux du linguiste russe Aleksandr Bondarko et de ses disciples<br />
[Bondarko 1984 ; TFG 1987 ; Rjabova 1993], de Elena Padueva [Padueva<br />
1996]. En Occident, de cette approche rassemble la Discourse Representation<br />
Theory de Hans Kamp [Kamp 1981 ; Kamp, Rohrer : 1983 ; Kamp, Reyle : 1993]<br />
et la Segmented Discourse Representation Theory de Nicolas Asher et Alex<br />
Lascarides [Lascarides, Asher 1993 ; Asher 1993 ; Lascarides, Oberlander 1993].<br />
4 Entre crochets sont indiquées les années de parution de la traduction française des ouvrages de<br />
K. Hamburger et de H. Weinrich. Les originaux ont été publiés bien avant, le livre de K. Hamburger<br />
en 1957 et celui de H. Weinrich en 1964.<br />
12
Introduction<br />
L’approche pragmatique, enfin, pose que les informations linguistiques seules ne<br />
suffisent pas à déterminer la référence temporelle, le destinataire étant<br />
obligatoirement amené à recourir au contexte. Les recherches dans cette direction<br />
ont été initiées et se développent aujourd’hui par les linguistes genevois Jacques<br />
Moeschler, Louis de Saussure, Bertrand Sthioul et leurs collaborateurs [Moeschler<br />
& all. 1998 ; CDLF 2002 ; Saussure 2003 a], qui prennent appui, dans leur<br />
réflexion, sur la théorie de la pertinence de Dan Sperber et Deirdre Wilson<br />
[Sperber, Wilson 1989].<br />
Sémasiologie et onomasiologie<br />
Dans la plupart des travaux linguistiques (mais aussi philosophiques et littéraires),<br />
les relations chronologiques entre les événements ne font pas l’objet d’étude<br />
spécifique et sont traitées dans le cadre beaucoup plus large de la représentation<br />
du temps dans la langue et dans le langage. Cette approche large est, somme<br />
toute, justifiée, car les relations chronologiques ne représentent qu’un petit rouage<br />
dans le grand mécanisme qu’est la temporalité linguistique. Par ailleurs, les<br />
études consacrées à la représentation du temps dans la langue et le langage ont<br />
pendant longtemps privilégié l’approche purement sémasiologique. L’accent était<br />
mis sur le fait que les langues possèdent des moyens grammaticaux spécifiques<br />
destinés à représenter le flux temporel, tels que, par exemple, les temps verbaux,<br />
les adverbes temporels ou encore l’aspect verbal dans les langues slaves. Par<br />
conséquent, les relations chronologiques n’étaient étudiées que comme dérivant<br />
des valeurs de catégories linguistiques dont la vocation était d’exprimer diverses<br />
facettes du temps. On citera, par exemple, les travaux de [Padueva 1996 ;<br />
Confais 1990 / 2002 ; Barbazan 2006].<br />
Toutefois, le développement de la branche onomasiologique de la sémantique et<br />
la progression de la linguistique pragmatique et cognitive ont favorisé l’apparition<br />
de travaux dans lesquels l’enjeu est inversé : l’attention est ici focalisée sur les<br />
relations chronologiques et le but est de définir par quelles formes linguistiques<br />
sont désignées ces relations. Autrement dit, on part de l’idée que le langage se<br />
construit autour de catégories logiques (ou sémantiques) universelles – telles que<br />
la simultanéité, l’antériorité, la postériorité pour la chronologie – et on essaie<br />
d’établir par quels moyens le langage et les langues transmettent ces liens<br />
13
Introduction<br />
logiques. Selon un critère épistémologique, on peut distinguer globalement deux<br />
courants qui étudient la chronologie entre les événements : le premier remonte à<br />
Hans Reichenbach [Reichenbach 1947 / 1960] et décrit les relations temporelles<br />
entre les événements dans des termes d’ordre temporel ; le second donne aux<br />
relations chronologiques entre les événements le nom de taxis, notion proposée<br />
par Roman Jakobson en 1957 [Jakobson 1963 / 1994] et développée par les<br />
fonctionnalistes de l’Ecole aspectologique de Saint-Pétersbourg, dirigée par<br />
A. V. Bondarko [TFG 1987].<br />
Le sujet du présent travail – les relations chronologiques entre les événements –<br />
montre d’emblée que nous nous tournons vers l’onomasiologie, qui va de pair<br />
avec les théories référentielles sémantiques et pragmatiques. La référence<br />
temporelle des événements est calculée sur la base de divers composants, parmi<br />
lesquels se trouvent la chronologie et autres relations événementielles. Il nous a<br />
paru intéressant et prometteur de centrer notre attention sur cet élément de<br />
l’ « algorithme » général de la représentation temporelle dans le langage, en<br />
contribuant ainsi, si modeste que soit cette contribution, à chercher un terrain<br />
d’entente entre les catégories logiques et grammaticales. En passant rapidement<br />
en revue ci-dessous quelques approches linguistiques sur la représentation du<br />
temps, nous avons souhaité montrer que la multitude et la diversité des idées<br />
linguistiques sur le temps permettent l’existence de pensées alternatives à la<br />
nôtre. Ne pouvant guère nous arrêter longuement sur toutes les théories<br />
consacrées au temps dans le langage – tâche coûteuse et excédant les<br />
possibilités mêmes d’une thèse – nous ne détaillerons plus loin dans ces pages<br />
que les conceptions qui ont directement influencé notre travail, à savoir les études<br />
référentielles sémantiques et pragmatiques de A. V. Bondarko, H. Reichenbach,<br />
E. V. Padueva, J. Moeschler et L. de Saussure.<br />
Objectifs<br />
L’objectif principal de notre travail consiste à dégager les mécanismes par<br />
lesquels le destinataire systématise chronologiquement les événements. Il s’agit,<br />
d’un côté, de comprendre et de décrire les moyens proprement linguistiques qui<br />
servent à exprimer la chronologie des événements, c’est-à-dire les moyens<br />
encodés dans le langage, en l’occurrence dans la langue russe. D’un autre côté, il<br />
14
Introduction<br />
s’agit d’analyser les éléments du contexte qui aident le destinataire à calculer les<br />
relations temporelles dans l’énoncé. Le cadre d’une seule thèse étant insuffisant<br />
pour embrasser la totalité des structures syntaxiques, nous limitons notre<br />
description aux énoncés contenant des prédicats autonomes liés par coordination<br />
ou juxtaposition et aux énoncés contenant un prédicat secondaire exprimé par le<br />
gérondif.<br />
Pour atteindre ce but, il nous paraît nécessaire de passer par quatre étapes :<br />
1. Définir comment le langage humain représente un événement réel,<br />
autrement dit, trouver s’il y a une différence entre l’événement réel et sa<br />
représentation dans le langage en général et dans la langue russe en<br />
particulier.<br />
2. Etablir les types de relations (temporelles, logiques ou sémantiques) qui<br />
unissent les événements dans l’énoncé.<br />
3. Systématiser les moyens linguistiques qui desservent, en russe, les<br />
relations entre les événements dans l’énoncé.<br />
4. Trouver quelles sont la part d’informations linguistiques et la part<br />
Hypothèses<br />
d’informations pragmatiques mises en œuvre dans la compréhension des<br />
liens entre les événements.<br />
Les hypothèses que nous avançons sont les suivantes :<br />
1. Le langage réfère au monde réel, et les événements sont des référents du<br />
monde réel tout comme les objets et les individus.<br />
2. La chronologie entre les événements n’est pas le seul type de relation<br />
possible entre les actions. Parfois même, il est plus pertinent de ne pas<br />
imposer un ordre temporel quelconque.<br />
3. L’interprétation de l’énoncé (et de l’ordre temporel dans l’énoncé) se fonde<br />
à la fois sur le décodage des informations linguistiques et sur l’inférence<br />
pragmatique.<br />
15
Introduction<br />
2. Principes théoriques, précisions méthodologiques et terminologiques<br />
Il est nécessaire de déterminer dès à présent le statut linguistique des relations<br />
entre les événements et d’expliquer quelques termes que nous utiliserons tout au<br />
long de cet exposé.<br />
Comme nous l’avons noté, les études des relations chronologiques entre les<br />
événements se développent sous une double terminologie : taxis ou ordre<br />
temporel. Tout porte à conclure que ces deux traditions s’ignorent ou feignent de<br />
s’ignorer, en s’éloignant de plus en plus l’une de l’autre. La timide tentative de<br />
Bondarko pour conjuguer les deux termes a été peu convaincante, tant les<br />
fondements théoriques de ces deux courants se sont déjà développés dans des<br />
directions sinon opposées, du moins peu communes [Bondarko 1996 : 167-196].<br />
Nous décrirons les conceptions de la taxis et de l’ordre temporel dans le<br />
Chapitre 2. Dans l’immédiat, nous précisons notre propre terminologie, en<br />
confrontant le contenu des deux termes.<br />
Le choix des termes centraux<br />
Le terme taxis a été introduit dans la linguistique par Roman Jakobson en 1957<br />
dans son essai Shifters, verbal categories and the Russian verb. Ce travail a été<br />
traduit en français par Nicolas Ruwet en 1963 sous le titre Les embrayeurs, les<br />
catégories verbales et le verbe russe. Le traducteur a préféré ne pas garder le mot<br />
grec taxis et le remplacer par son équivalent français ordre. Ce choix mène à une<br />
confusion entre le terme de Jakobson et celui de Reichenbach, apparu en 1947<br />
dans son travail Elements of Symbolic Logic. Pourtant, ces termes n’ont pas le<br />
même contenu et il semblerait que les deux scientifiques ne connaissaient pas<br />
leurs travaux respectifs. Quant à la linguistique russe, elle a conservé le terme<br />
original de Jakobson – la taxis, terme qui s’est surtout fait connaître grâce au<br />
travail de Bondarko et ses collègues [TFG 1987]. La notion de taxis, telle qu’elle<br />
apparaît dans la conception du linguiste saint-pétersbourgeois, est présentée<br />
comme une catégorie linguistique sémantico-fonctionnelle qui exprime différents<br />
types de relations entre les événements, à savoir, les relations temporelles, mais<br />
aussi les relations logiques et sémantiques. Recouvrant tous les liens entre les<br />
événements, le terme taxis aurait été très commode dans notre travail. Mais<br />
16
Introduction<br />
emprunter ce terme, fortement connoté par les travaux de Bondarko et de ses<br />
disciples et de surcroît méconnu de la majorité des linguistes occidentaux,<br />
présentait un risque : celui d’être perçu comme un accord heuristique avec les<br />
postulats fondamentaux des Pétersbourgeois. Or ce n’est pas notre cas. Le<br />
principal différend qui nous sépare de la pensée de Bondarko concerne le statut<br />
des relations entre les événements. Pour Bondarko, celles-ci sont réunies dans<br />
une seule catégorie sémantico-fonctionnelle. De notre point de vue, il est<br />
inconcevable de réunir dans une seule catégorie des éléments aussi hétérogènes<br />
que les relations chronologiques, les relations causales et les relations<br />
sémantiques. Toutes ces relations sont marquées de façons différentes aux<br />
différents niveaux de la langue et ne présentent pas de forts signes de<br />
grammaticalisation.<br />
Notre préférence va donc au terme ordre temporel, beaucoup plus familier à la<br />
linguistique occidentale. La littérature linguistique distingue généralement trois<br />
types de relations chronologiques dans le cadre de l’ordre temporel :<br />
1) Progression temporelle, autrement dit, une succession d’événements, comme<br />
dans la célèbre expression : Veni, vidi, vici ; 2) Régression temporelle : Max est<br />
tombé. Paul l’a poussé ; 3) Non-ordonnancement temporel, cette relation<br />
recouvrant les cas où le temps stagne (simultanéité et indétermination<br />
temporelle) : Le président entra dans son bureau. L’horloge murale marchait<br />
bruyamment. L’ordre temporel est considéré comme positif, dans le premier cas,<br />
et comme négatif, dans le deuxième et troisième cas.<br />
A noter toutefois que nous adaptons le terme ordre temporel à notre façon, en lui<br />
attribuant d’une certaine façon le contenu du terme taxis (cf. la section 3.1. Types<br />
de relations entre les événements dans l’énoncé : entrée en matière, pp. 109-<br />
112). Comme les liens entre les événements ne se réduisent pas à des relations<br />
chronologiques, nous userons également du générique relations entre les<br />
événements et de ses dérivés – relations (temporelles) chronologiques<br />
(antériorité, postériorité, simultanéité), relation logique, relation sémantique (de<br />
caractérisation).<br />
17
Introduction<br />
Il convient ensuite de définir le terme événement, employé tout au long de notre<br />
travail. En premier lieu, nous entendons par ce terme quelque chose qui se produit<br />
dans le monde réel. Nous préférons cette dénomination au mot éventualité, utilisé<br />
par certains chercheurs comme une traduction du terme anglais eventuality, cf.<br />
par exemple [Moeschler 1998 : 4]. Le langage, en référant aux événements du<br />
monde sensible, les transfère au niveau linguistique – dans les énoncés. En<br />
deuxième lieu, le terme événement désigne pour nous ce transfert linguistique,<br />
autrement dit, toute action (dynamique ou statique : fait, procès et état ; cf. à ce<br />
propos la section 1.4.5. Classes sémantiques des verbes, pp. 61-65) qui est<br />
représenté dans l’énoncé sous la forme d’un prédicat.<br />
Insistons sur le fait que l’unité de notre analyse est un énoncé et non une phrase.<br />
Cette distinction est très importante pour notre travail. La phrase est une suite de<br />
mots organisés conformément à la syntaxe, en regard l’énoncé est la réalisation<br />
d’une phrase dans un contexte (ou situation) 5 déterminé. La phrase représente en<br />
quelque sorte le noyau de sens, commun à tous les énoncés de la phrase en<br />
question, mais différents énoncés d’une même phrase reçoivent en général<br />
différentes interprétations [Sperber, Wilson 1989 : 22-23 ; Moeschler, Reboul<br />
1994 : 22 ; Ducrot 1995 / 2005 b : 298]. Si on analyse l’exemple suivant :<br />
(3) Oggy préfère les sachets bleus,<br />
en tant que phrase, on peut en tirer des renseignements grammaticaux généraux.<br />
On comprend, par exemple, qu’Oggy est un être animé qui préfère les objets<br />
sachets de couleur bleue. Mais on ne sait pas qui est exactement Oggy, à quels<br />
5 Le contexte (ou, dans la terminologie d’Oswald Ducrot [Ducrot 1995 / 2005 e : 764], – la situation<br />
[du discours] est un ensemble de circonstances au milieu desquelles a lieu un énoncé (écrit ou<br />
oral). Il faut entendre par là l’entourage physique et social où l’énoncé prend place, l’image qu’en<br />
ont les interlocuteurs, l’identité de ceux-ci, l’idée que chacun se fait de l’autre (y compris la<br />
représentation que chacun possède de ce que l’autre pense de lui), les événements qui ont<br />
précédé l’énonciation (notamment les relations qu’ont eues auparavant les interlocuteurs, et<br />
l’échange de paroles (ou le texte) où s’insère l’énonciation en question). Ainsi, le contexte regroupe<br />
à la fois des éléments linguistiques (contexte linguistique) et des éléments du monde extérieur<br />
(contexte extra-linguistique).<br />
A la suite de Dan Sperber et de Deirdre Wilson [Sperber, Wilson 1989], nous considérons que le<br />
contexte n’est pas imposé aux interlocuteurs. Le contexte est un ensemble d’hypothèses parmi<br />
lesquelles le destinataire choisit celle qui lui semble la plus pertinente. Ce choix est une déduction<br />
mentale automatique et inconsciente qui peut s’avérer périlleuse, car le destinataire n’est pas<br />
entièrement assuré de faire le bon choix. Nous parlerons plus en détails de la notion du contexte<br />
choisi dans la partie consacrée à la théorie de la pertinence de Sperber & Wilson (p. 97).<br />
18
Introduction<br />
autres objets il (ou elle !) préfère les sachets bleus et selon quels critères il les<br />
préfère aux autres objets. Pour obtenir ces informations, il faut analyser cet<br />
exemple en tant qu’énoncé, c’est-à-dire dans le contexte d’une situation concrète.<br />
En paraphrasant la célèbre formule de José Ortega y Gasset, disons que l’énoncé<br />
c’est la phrase et sa circonstance 6 . Sans contexte, l’exemple (3) a une multitude<br />
inépuisable d’interprétations. Comment un lecteur non averti peut-il deviner qu’en<br />
écrivant cette phrase, l’auteur de ces lignes pensait à son chat qui s’appelle Oggy<br />
et que celui-ci préfère la marque de croquettes dans des sachets bleus aux<br />
croquettes emballées dans des sachets verts ou blancs ?!<br />
Des notions phrase et énoncé, la linguistique énonciative distingue encore<br />
l’énonciation qui est l’acte individuel de production, dans un contexte déterminé,<br />
ayant pour résultat un énoncé ; les deux termes – énoncé et énonciation –<br />
s’opposent comme la fabrication s’oppose à l’objet fabriqué [DLSL 1994 / 1999 :<br />
180-181 ; Ducrot 1995 / 2005 a : 728] 7 .<br />
Avançant l’idée que l’interprétation de l’énoncé, i.e. au fond, le sens de l’énoncé,<br />
dépend non seulement des éléments linguistiques mais aussi de la situation dans<br />
laquelle cet énoncé est employé, nous nous inscrivons à la fois dans les traditions<br />
sémantique et pragmatique.<br />
6 Nous faisons allusion à la célèbre formule qui apparaît dans l’œuvre de l’éminent philosophe<br />
espagnol Méditations sur Don Quichotte (Meditaciones del Quijote (1914)) : Je suis moi et ma<br />
circonstance (Yo soy yo y mi circunstancia).<br />
7 La traduction de ces concepts n’est pas une simple affaire. O. Ducrot remarque que comme le<br />
mot énonciation n’a pas une traduction simple en anglais, les chercheurs américains travaillant<br />
dans ce domaine sont dispersés dans des études portant sur tel ou tel aspect particulier du<br />
phénomène (modalités, déictiques, actes de langage, expressions évaluatives) [Ducrot 1995 /<br />
2005 a : 738-739].<br />
On peut dire que la situation est identique pour le russe. Quand il s’agit de cette triple antinomie<br />
phrase – énoncé – énonciation, on jongle avec les trois termes (predloženie) –<br />
(fraza) – (vyskazyvanie). Quand on oppose phrase à énoncé, on les<br />
traduit souvent respectivement comme predloženie (ou fraza) et vyskazyvanie. Les termes<br />
énoncé – énonciation sont employés comme synonymiques dans plusieurs travaux et sont traduits<br />
par vyskazyvanie. Une des solutions possibles pour distinguer ces deux termes serait de suivre la<br />
terminologie de Roman Jakobson, pour qui énoncé devient en russe <br />
(soobšaemyj fakt – « fait communiqué ») et énonciation est (fakt<br />
soobšeniya – « fait de communication ») [Jakobson 1963 / 1994 ; Jakobson 1972].<br />
19
La pragmatique<br />
Introduction<br />
Le terme pragmatique a été proposé par le philosophe et sémioticien américain<br />
Charles William Morris dans Foundations of the Theory of Signs (1938) 8 . Il<br />
distinguait trois branches à l’intérieur de la sémiotique : la sémantique – la relation<br />
entre les signes et ce qu’ils définissent ; la syntaxe – la relation des signes entre<br />
eux ; et la pragmatique – la relation entre les signes et leurs utilisateurs. Ce<br />
paradigme de Morris, devenu incontournable dans la linguistique, est en fait le lieu<br />
des ambiguïtés, car la notion même de dimension sémantique peut être comprise<br />
aussi bien comme les relations existant entre le signifiant et le signifié que comme<br />
celles qui rattachent le signe global (signifiant + signifié) et le référent (objet du<br />
monde réel). Cette ambivalence rejaillit, comme le remarque avec justesse J.-M.<br />
Schaeffer [Schaeffer 1995 / 2005 : 258], sur la délimitation de la dimension<br />
syntaxique : on peut entendre par ce terme l’étude des combinaisons entre les<br />
signifiants ou le domaine de la combinatoire des signes, en opposition au domaine<br />
sémantique qui porterait quant à lui, sur la relation entre les signes et le référent.<br />
Quoi qu’il en soit, le projet de la sémiotique, conçue comme science générale des<br />
signes, semble être assez dévalué aujourd’hui, laissant place à la linguistique,<br />
science du langage, dans laquelle la trichotomie de Morris prend une autre<br />
dimension. D’une manière générale, la linguistique est définie comme une science<br />
qui est consacrée à l’étude du système du langage (phonologie, morphologie,<br />
syntaxe, sémantique) [Moeschler, Reboul 1994 : 19]. Se pose donc la question : la<br />
pragmatique, qui ne concerne pas, à strictement parler, la structure du langage,<br />
mais l’emploi qui en est fait, est-elle une composante de la linguistique ou une<br />
science à part ? La tradition pragmatique française, laquelle, faisons-le remarquer,<br />
est assez récente, admet deux possibilités : 1) la pragmatique fait partie de la<br />
linguistique ; 2) la pragmatique se trouve à côté de la linguistique et non en son<br />
sein [Ibid. : 18-41].<br />
8 Ce travail a été repris dans Writings on the general Theory of Signs, La Haye: Mouton, 1971.<br />
Pour la version française, cf. l’article Fondements de la théorie des signes dans Langages 35,<br />
1974, pp. 15-21 ; la traduction russe est parue en 1983 : Morris ., « Osnovanija teorii znakov », in<br />
Semiotika, Moskva, 1983, pp. 37-89.<br />
20
Introduction<br />
La première position porte le nom de pragmatique intégrée. Elle a été inaugurée<br />
par E. Benveniste [Benveniste 1966 ; 1974] et poursuivie par O. Ducrot [NDESL<br />
1995 / 2005]. La théorie de la pragmatique intégrée considère donc que les<br />
aspects pragmatiques sont encodés dans la langue et que la langue contient des<br />
instructions sur ses usages possibles.<br />
La seconde approche, appelée pragmatique radicale, pose que la pragmatique<br />
n’est pas intégrée dans la sémantique, car l’interprétation des énoncés fait<br />
intervenir des aspects à la fois vériconditionnels (relatifs aux conditions de vérité)<br />
et non vériconditionnels 9 . Cette vision de la pragmatique est présentée dans les<br />
travaux de Anne Reboul et Jacques Moeschler [Reboul, Moeschler 1994 ;<br />
Moeschler 1998]. Cela ne veut pas dire que l’objet de la pragmatique est<br />
complètement indépendant de la linguistique car la séparation entre code et usage<br />
n’est que partielle [Reboul, Moeschler 1994 : 28].<br />
Nous sommes à présent en mesure de situer plus précisément notre travail : celui-<br />
ci s’inscrit dans le champ théorique de la pragmatique radicale. Il s’effectue<br />
cependant dans le cadre de l’interaction, à la fois au niveau linguistique<br />
(syntaxique et sémantique) et au niveau pragmatique. La pragmatique, science<br />
assez jeune, ne s’est pas encore beaucoup affirmée dans la linguistique slave, du<br />
moins dans les travaux consacrés à l’étude des événements 10 . Il nous a donc<br />
paru inconcevable de minimiser l’importance des recherches sémantiques, que<br />
nous considérons, bien au contraire, comme indispensables au fondement<br />
théorique et pratique de notre travail. Ainsi, dans notre analyse (Chapitres 3 et 4),<br />
des éléments pragmatiques apparaissent plutôt comme complémentaires à la<br />
méthode qui se définit avant tout comme sémantique.<br />
Tous les linguistes n’approuvent pas l’introduction du composant pragmatique<br />
dans la description linguistique, considérant que la pragmatique est, par définition,<br />
étrangère à la linguistique puisqu’elle fait référence aux éléments extérieurs qui<br />
9 Cela signifie que l’interprétation de l’énoncé ne dépend pas uniquement des conditions dans<br />
lesquelles il est vrai mais aussi des conditions dans lesquelles il est faux.<br />
10 Signalons par exemple des travaux pragmatiques pionniers sur le russe de Vladimir Sannikov,<br />
qui s’intéresse tout particulièrement aux conjonctions : raz – « puisque », ili – « ou », etc. [Sannikov<br />
2008].<br />
21
Introduction<br />
viennent se greffer sur les phrases de la langue. Pour défendre la légitimité de la<br />
pragmatique dans l’étude linguistique, rappelons que la question centrale de la<br />
linguistique et des sciences du langage est bien celle du sens. Nous soutenons,<br />
comme un grand nombre de linguistes de ces dernières décennies, que le<br />
matériau linguistique à lui seul ne suffit pas pour que le destinataire puisse<br />
comprendre le sens de l’énoncé. Le destinataire doit, en effet, exploiter également<br />
des informations extra-linguistiques concernant la situation dans laquelle il se<br />
trouve. D’autre part, c’est un truisme de remarquer que le recours à la situation<br />
pour interpréter l’énoncé est souvent exigé par le matériau linguistique lui-même.<br />
Ainsi, les déictiques de personne, de lieu ou de temps (moi, ici, maintenant)<br />
nécessitent d’une manière intrinsèque la recherche du référent dans le contexte<br />
[Moeschler, Reboul 1994 : 17 ; Ducrot 1995 / 2005 b : 131].<br />
La méfiance à l’égard de la pragmatique est causée en grande partie par une<br />
multitude de théories disparates qui se proclament pragmatiques, créant ainsi un<br />
brouillage au sein de ce domaine. Comme l’observent A. Reboul et J. Moeschler,<br />
on définissait dans les années soixante-dix la pragmatique comme « la poubelle<br />
de la linguistique », en rejetant sous cette enseigne tous les problèmes qui<br />
dépassaient les compétences réputées proprement linguistiques (la phonologie, la<br />
syntaxe ou la sémantique) [Reboul, Moeschler 1994 : 24]. Pour simplifier, il est<br />
possible de donner deux acceptions fondamentales de la pragmatique.<br />
Premièrement, la pragmatique est définie comme un domaine où est étudiée<br />
l’influence du contexte sur le sens des énoncés. Cette tradition remonte aux<br />
travaux de Paul Grice 11 . La deuxième conception de la pragmatique est<br />
revendiquée par un certain nombre de traditions psychosociales d’études du<br />
langage, parmi lesquelles l’analyse du discours et la pragmatique<br />
conversationnelle. Cette pragmatique, engendrée par les travaux de John<br />
Austin 12 , étudie les possibilités d’actions inscrites dans la langue 13 .<br />
11 Grice H. P. (1957), Meaning, in The Philosophical Review 67, pp. 377-388 ; (1967 / 1975), Logic<br />
and Conversation : The William James Lectures, in Cole P. & Morgan J. L. (éds.), Syntax and<br />
Semantics 3 : Speech Acts, New-York, Academic Press, pp. 41-58.<br />
12 Austin J. L. (1955 / 1970), Quand dire, c’est faire, Paris, Ed. du Seuil.<br />
13 On se reportera à ce sujet à la réflexion de bas de page de Louis de Saussure [Saussure<br />
2003 a : 15]. Pour une étude détaillée des théories pragmatiques, cf. [Moeschler, Reboul 1994].<br />
22
Introduction<br />
Nous nous inscrivons dans la lignée gricéenne, plus exactement dans son<br />
déploiement cognitif, présenté par la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson<br />
[Sperber, Wilson 1989 ; Sperber, Wilson 2004 14 ]. Nous partageons également<br />
l’idée suivante, mise en avant dans la plus récente révision de la théorie de la<br />
pertinence [Sperber, Wilson 2004] : le processus du traitement pragmatique n’est<br />
pas l’étape ultime de la compréhension de l’énoncé, qui s’effectuerait à la sortie du<br />
système linguistique ; le traitement linguistique et pragmatique est un processus<br />
linéaire, l’introduction de l’élément pragmatique se fait donc à tous les niveaux du<br />
traitement de l’énoncé. Nous trouvons cette idée aussi dans le travail de L. de<br />
Saussure [Saussure 2003 a : 155-156].<br />
On formulera enfin une dernière remarque concernant l’approche pragmatique<br />
que nous adoptons. Nous pensons que, pour trouver la bonne interprétation de<br />
l’énoncé, le destinataire doit obligatoirement attribuer au locuteur l’intention 15 de<br />
communiquer une information pertinente. Pour illustrer nos propos, prenons un<br />
exemple présenté dans [Saussure 2003 a : 12] :<br />
(4) A : – Voulez-vous du vin ?<br />
B : – Je suis musulman.<br />
Pour que A comprenne la réponse de B comme un refus de prendre du vin, il faut<br />
déjà que A suppose que B cherche à répondre de manière adéquate à la question<br />
posée par A ; autrement dit, il faut que A prête à B l’intention de communiquer une<br />
information pertinente.<br />
Il est donc important de souligner que nous comprenons la pragmatique comme la<br />
science de l’interprétation du sens intentionnel. Dans notre travail, nous analysons<br />
14 Ce travail est également disponible sur le site Internet de Dan Sperber : www.dan.sperber.com ;<br />
le lien direct est : http://www.dan.sperber.com/relevance_theory.htm<br />
15 On dit également le vouloir-dire ou le sens voulu. Ces termes sont la traduction de l’expression<br />
anglaise speaker’s meaning, introduite par Paul Grice.<br />
La notion d’ « énonciataire » utilisée par Jean-Paul Sémon rejoint cette définition. L’énonciataire ne<br />
se confond pas avec l’auditeur in praesentia. Il est l’image que se fait l’énonciateur de l’étendue<br />
des connaissances de son auditeur réel ou virtuel : ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas ; et donc ce<br />
qui est utile de lui dire et ce qui est inutile.<br />
23
Introduction<br />
les énoncés où l’intention (le vouloir-dire) du locuteur est toujours présent. Pour<br />
nous, il n’y a pas de sens, s’il n’y a pas d’intention.<br />
3. Corpus<br />
Les exemples que nous proposons tout au long de notre travail sont de quatre<br />
types : 1) tirés des œuvres littéraires ; 2) repris dans des travaux linguistiques ;<br />
3) trouvés sur le site de Ruscorpora 16 ; 4) construits.<br />
Une importante remarque méthodologique doit être faite. Même si la majorité de<br />
nos exemples sont puisés dans des œuvres littéraires, l’objet de notre analyse<br />
n’est en aucun cas le texte littéraire, mais bien le discours qui suppose un locuteur<br />
et un destinataire. Ainsi, nous faisons abstraction de l’œuvre littéraire dont est tiré<br />
l’exemple, en le considérant dans son contexte minimal, ne tenant compte que de<br />
la situation au moment de l’interprétation. Suivant la même démarche, nous<br />
excluons de notre analyse les énoncés dans lesquels le point de vue narratif se<br />
dédouble, devenant à la fois celui du narrateur et du personnage (ou celui du<br />
narrateur et de l’auteur). Ce dédoublement caractérise habituellement le discours<br />
indirect libre, cf. l’exemple suivant :<br />
(5) Dans le vestibule jonché de livres, il accentua la chute de ses moustaches,<br />
gratta son crâne tondu. Hum, oui, il était terriblement en retard (Cohen :<br />
483).<br />
4. Plan de la thèse<br />
La présente thèse contient quatre chapitres dont l’ordre obéit à la logique « du<br />
général au particulier ».<br />
16 Ruscorpora (www.ruscorpora.ru) est un corpus électronique de la langue russe qui, réunissant<br />
un grand nombre de textes, contient plus de 140 millions de mots. Munie de paramètres lexicaux et<br />
grammaticaux, cette base de données informatique est un outil efficace, offrant aux chercheurs un<br />
riche matériau linguistique.<br />
24
Introduction<br />
Dans le premier chapitre, La représentation des événements dans le langage,<br />
nous examinons le problème de la représentation des événements dans le<br />
langage du point de vue référentiel, en considérant brièvement l’interdépendance<br />
des notions de temps et d’événement, puis nous analysons les catégories<br />
linguistiques exprimant l’idée du temps.<br />
Le deuxième chapitre, intitulé Appréhender le temps par les relations existant<br />
entre les événements, présente les théories linguistiques de la taxis et de l’ordre<br />
temporel qui, étudiant les relations entre les événements, ont considérablement<br />
influencé notre propre approche.<br />
Dans le troisième chapitre, Enoncés à prédicats autonomes, nous dressons un<br />
tableau sémantique des relations temporelles qu’établissent dans l’énoncé deux<br />
prédicats autonomes. Ce faisant, nous analysons également les facteurs<br />
linguistiques et pragmatiques qui amènent le destinataire à inférer une relation<br />
chronologique entre les événements.<br />
Enfin, le quatrième et dernier chapitre, Enoncés à prédicat secondaire (Le cas du<br />
gérondif), est consacré à l’étude des relations temporelles entre les événements<br />
exprimés par un prédicat autonome et un gérondif.<br />
25
CHAPITRE 1.<br />
LA REPRÉS<strong>EN</strong>TATION DES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS DANS LE LANGAGE<br />
1.1. Événement réel et événement langagier<br />
L’approche référentielle que nous développons dans ces pages considère que les<br />
objets du monde désignés par le langage existent indépendamment de la<br />
conscience humaine et que la dénotation de ces objets par le langage ne peut<br />
s’expliquer sans avoir recours à cette existence. Tout en acceptant l’idée d’une<br />
structure interne du langage, nous insistons sur le lien entre le signe linguistique<br />
(signifiant + signifié) et le référent (objet du monde réel). Cette référence est une<br />
étape indispensable à l’explication du sens. Nous considérons que le langage<br />
décrit le monde extérieur et non un monde linguistique per se pour lequel la réalité<br />
extra-linguistique que « Dieu seul connaît » demeure impénétrable, en tout cas<br />
dénuée d’intérêt linguistique. En affirmant cela, nous ne prétendons aucunement<br />
que la dénotation langagière correspond adéquatement à l’ontologie du monde<br />
réel, car nous n’avons guère la possibilité d’avoir un regard externe sur le monde<br />
pour vérifier si nos représentations sont exactes. Entre le pôle réaliste et le pôle<br />
relativiste, nous choisissons de rester quelque part sur l’équateur : le langage<br />
réfère au monde réel, certes, mais nous restons très prudente sur le degré de<br />
correspondance entre les représentations humaines et le monde lui-même. 17<br />
Nous considérons que les événements qui se produisent dans le monde sont des<br />
référents au même titre que les choses et les individus, et que les énoncés sont<br />
susceptibles de référer aux événements comme ils réfèrent aux choses et aux<br />
individus. Nous partageons l’idée de Louis de Saussure, selon laquelle le<br />
destinataire, pour accéder au référent, doit probablement effectuer un certain<br />
nombre d’opérations mentales. Si l’objet est perceptible dans le contexte<br />
17 On observera que les racines de ce débat remontent à la querelle médiévale entre réalistes et<br />
nominalistes. Pour une discussion plus approfondie, il faudrait suivre les progrès des sciences<br />
cognitives. Cf. également sur cette question [Pinker 1999 ; Saussure 2003 : 18-29].<br />
26
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
d’énonciation, l’identification du référent se fait par sélection dans l’ensemble des<br />
perceptions spatiales. Si le référent est absent dans le contexte d’énonciation, le<br />
destinataire, pour le découvrir, doit réaliser des opérations un peu plus complexes,<br />
en accédant à plusieurs éléments linguistiques, fournis par l’énoncé, et à des<br />
éléments de sa connaissance du monde [Saussure 2003 a : 29]. Toutefois, si<br />
l’identification du référent est relativement évidente pour ce qui est les objets, elle<br />
l’est moins pour les événements : il est plus difficile de définir l’existence des<br />
événements. Effectivement, la référence suppose l’existence. Pour nous,<br />
l’existence des événements est prouvée par le fait que les événements modifient<br />
l’état du monde. Cette affirmation est surtout vraie pour les événements passés,<br />
elle est plus discutable pour les événements futurs, mais nous ne traiterons pas ici<br />
de cette question ontologique très complexe.<br />
Pour pouvoir décrire le monde réel, l’esprit humain doit le découper en concepts,<br />
autrement dit, classifier et systématiser les objets du monde. Les événements,<br />
plus abstraits que les choses ou les individus, sont plus difficilement quantifiables.<br />
Le langage cerne des événements en leur assignant des paramètres temporels<br />
(parfois spatiaux), ainsi que d’autres caractéristiques : des liens avec les sujets et<br />
les objets de la situation, une attitude des interlocuteurs envers l’événement, etc. 18<br />
La conceptualisation du monde signifie que les représentations langagières des<br />
objets sont vériconditionnelles (astreintes à des conditions de vérité), mais que la<br />
langue les dénote d’une manière subjective et variable. Ainsi, la même réalité<br />
événementielle est susceptible de recevoir des descriptions langagières très<br />
différentes. Avant tout, on peut remarquer que la même réalité événementielle est<br />
susceptible d’être découpée en nombre d’événements langagiers différents.<br />
Observons les exemples suivants :<br />
(6).<br />
Zorro sunul ruku v karman i dostal ottuda pistolet.<br />
Zorro – mit – main – dans – poche – et – retira – de là – pistolet.<br />
= Zorro mit la main dans sa poche et en retira un pistolet.<br />
18 Cf. les travaux de V. G. Gak sur la référence et la dénomination en russe et en français, par<br />
exemple l’ouvrage recueillant ses articles de différentes années : [Gak 1998] ou encore<br />
[Gak 1966 / 2006 ; 1977].<br />
27
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(6’) .<br />
Zorro dostal iz karmana pistolet.<br />
Zorro – retira – de – poche – pistolet.<br />
= Zorro retira de sa poche un pistolet.<br />
Nous constatons que le même événement réel est exprimé par deux événements<br />
langagiers (deux actions) dans (6) et par une seule action dans (6’).<br />
Ensuite, on peut noter que chaque événement langagier « choisit » un angle sous<br />
lequel il présente la réalité. Examinons les exemples suivants :<br />
(7).<br />
Ja poluil posylku.<br />
Je – reçus – colis.<br />
= J’ai reçu un colis.<br />
(7’) .<br />
Mne prišla posylka.<br />
Me – arriva – colis.<br />
= J’ai reçu un colis.<br />
(8).<br />
Po dvoru proexal gruzovik.<br />
A travers – cour – passa en roulant – camion.<br />
= Un camion traversa la cour.<br />
(8’) .<br />
Po dvoru pronëssja gruzovik.<br />
A travers – cour – passa en trombe – camion.<br />
= Un camion traversa la cour en trombe.<br />
(8’’) .<br />
Po dvoru progromyxal gruzovik.<br />
A travers – cour – passa en faisant beaucoup de bruit – camion.<br />
= Un camion traversa la cour en faisant beaucoup de bruit.<br />
28
(9).<br />
Lyžnik upal v sugrob.<br />
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Skieur – tomba – dans – congère.<br />
= Le skieur tomba dans une congère.<br />
(9’) .<br />
Lyžnik šmjaknulsja v sugrob.<br />
Skieur – s’affala – dans – congère.<br />
= Le skieur s'affala dans la neige.<br />
Dans les exemples (7) et (7’), le même événement reçoit une réalisation différente<br />
au niveau du sujet et de l’objet de la situation. Le même sens reçoit une<br />
expression grammaticale « antonymique » : le sujet du (7) « je » se transforme,<br />
dans le (7’), en complément d’objet indirect « à moi », tandis que l’objet « un<br />
colis » devient sujet.<br />
En (8), (8’), (8’’), c’est la façon dont se déroule l’action et le regard du locuteur sur<br />
l’action qui changent. Dans ces trois exemples, l’action inclut la caractéristique<br />
direction du mouvement qui est exprimée au niveau lexico-grammatical à l’aide de<br />
l’aspect perfectif et de la préposition pro- (passer à travers la cour une fois).<br />
L’énoncé (8) marque, contrairement aux (8’) et (8’’), la caractéristique moyen de<br />
déplacement, incluse dans le sens même du verbe (rouler). En revanche, en (8’)<br />
et (8’’), le regard que le locuteur porte sur l’événement ignore le moyen de<br />
déplacement mais il marque en revanche un trait expressivité qui accompagne ce<br />
déplacement : la rapidité (8’) ou bien le bruit (8’’) du déplacement du camion. On<br />
peut rassembler ces considérations dans le tableau ci-dessous :<br />
3. CARACTERISTIQUES EV<strong>EN</strong>EM<strong>EN</strong>TIELLES DES <strong>EN</strong>ONCES (8), (8’) ET (8’’)<br />
Direction Moyen Expressivité<br />
(8) + + –<br />
(8’) + – + (intensité)<br />
(8’’) + – + (manière)<br />
29
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Les énoncés (9) et (9’) présentent une différence au niveau de l’attitude du<br />
locuteur envers l’événement : en (9), cette attitude est neutre, tandis qu’en (9’),<br />
elle est plus expressive, ce qui est marqué par le verbe de régistre familier<br />
(šmjaknut’sja – s'affaler) 19 .<br />
Le choix de l’angle sous lequel un événement est décrit est plus ou moins imposé<br />
par la langue. Si le locuteur russe veut décrire un mouvement ou un déplacement,<br />
il est libre de décider de son attitude émotionnelle et du registre stylistique<br />
adéquat par rapport à l’événement, comme nous le montre le cas du verbe<br />
tomber. En revanche, en général, les verbes de mouvement et de déplacement<br />
russes contiennent obligatoirement les sèmes direction et moyen de déplacement,<br />
et le locuteur ne peut pas les éviter. Ce n’est pas le cas des verbes français qui<br />
marquent la direction mais se passent souvent de la caractéristique moyen de<br />
déplacement (Cf. encore [Gak 1977 : 155-169 ; 1998 : 285-291]. Observons<br />
encore quelques exemples :<br />
(10).<br />
Pticy vyleteli iz gnezda.<br />
Oiseaux – s’envolèrent – de-nid.<br />
= Les oiseaux quittèrent leur nid.<br />
(11).<br />
Korabl’ priplyl v Odessu.<br />
Bateau – arriva en naviguant – à – Odessa.<br />
= Le bateau arriva à Odessa.<br />
(12).<br />
Mal’ik ubežal.<br />
Garçon – partit en courant .<br />
= Le garçon s’enfuit.<br />
19 On peut naturellement dresser toute une liste de synonymes, variés stylistiquement, du verbe<br />
(tomber) : , , , ,<br />
, etc. Il est difficile de trouver un équivalent français exact pour chacun de ces<br />
verbes, mais le verbe tomber en français possède des synonymes non moins multiples et variés :<br />
chuter, s’abattre, s’aplatir, s’affaler, se flanquer, etc. Laissons les spécialistes de stylistique<br />
continuer la liste.<br />
30
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(13),.<br />
Šarik podpolz k xozjainu, vinovato podžav xvost.<br />
Charik – rampa – vers – maître, – avec culpabilité – ayant baissé – queue.<br />
= Charik rampa jusqu’à son maître, la queue entre ses pattes, l’air<br />
coupable.<br />
Les verbes de mouvement et de déplacement russes s’orientent vers la nature de<br />
l’objet : les oiseaux, les papillons, les avions volent ; les poissons, les sirènes, les<br />
bateaux nagent ou naviguent ; les serpents, les chenilles rampent, etc. Pour la<br />
langue française, indiquer la nature de l’objet à travers son mouvement serait une<br />
sorte de pléonasme, puisque l’on sait très bien comment se déplacent les oiseaux,<br />
les poissons ou les serpents. C’est ce phénomène que nous constatons dans les<br />
exemples (10) et (11). Par contre, dans les exemples (12) et (13), les<br />
caractéristiques du déplacement en courant et ramper ne relèvent pas de la<br />
nature de l’objet : les garçons peuvent marcher lentement et les chiens ne<br />
rampent pas en permanence 20 . Le français peut choisir de marquer ces<br />
caractéristiques inhabituelles à l’aide de verbes, s’il en dispose (ramper) ou hors<br />
du verbe (en courant, en rampant).<br />
Les verbes de mouvement et de déplacement ne sont qu’un échantillon des<br />
divergences dans la représentation des événements (et des objets en général) qui<br />
existent entre les langues. En complément de cette petite esquisse contrastive du<br />
russe et du français, notons encore un phénomène curieux : en décrivant un<br />
événement, le russe et le français peuvent choisir d’indiquer différents stades de<br />
cet événement. Par exemple, en russe, pour désigner le début de l’action fumer,<br />
on dit (zakurit’ – commencer à fumer), en français, dans ce cas, on<br />
utilisera l’expression allumer une cigarette. Ainsi, l’énoncé russe (On<br />
zakuril) serait traduit en français : Il alluma une cigarette (sauf cas particuliers,<br />
bien entendu) :<br />
20 À cela s’ajoute le fait que le verbe polzti ne marque pas exactement le même mouvement que<br />
ramper. Le verbe français suppose le trait + /contact du ventre avec le sol/, que n’implique pas le<br />
verbe russe (en français, les araignées ne rampent pas, mais courent ; en russe une araignée peut<br />
polzti).<br />
31
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(14),.<br />
Vypiv kofe on zakuril sigaretu.<br />
Ayant bu – café, – il – commença à fumer – cigarette.<br />
= Après avoir bu son café, il alluma une cigarette.<br />
Le russe marque un stade plus avancé : on commence à fumer quand la cigarette<br />
est déjà allumée. On observe le phénomène semblable dans l’expression <br />
(lezt’ v draku) qui signifie littéralement se mêler, se glisser dans la<br />
bagarre, mais qui serait traduit en français par chercher la bagarre, cf. :<br />
(15),.<br />
On kak nap’ëtsja, tak v draku lezet.<br />
Il – dès que – boira, – alors – dans – bagarre – se glisse.<br />
= Dès qu’il boit, il cherche la bagarre.<br />
Sans doute peut-on trouver beaucoup d’autres cas intéressants de divergence<br />
dans la représentation langagière entre le russe et le français.<br />
Une dernière manifestation du fait que les événements langagiers ne sont pas des<br />
copies conformes des événements réels mais plutôt leur représentation subjective<br />
apparaît dans l’exemple ci-dessous :<br />
(16).<br />
Posle mata futbolisty požali ruku sud’e i pokinuli pole.<br />
Après – match – footballeurs – serrèrent – main – (à) arbitre – et –<br />
quittèrent – terrain.<br />
= Après le match, les joueurs serrèrent la main de l’arbitre et quittèrent le<br />
terrain.<br />
Le langage découpe la réalité événementielle en deux événements consécutifs :<br />
d’abord les footballeurs ont serré la main de l’arbitre, ensuite ils ont quitté le<br />
terrain. Cependant, les faits réels se déroulent de façon plus complexe. Nous<br />
savons bien qu’il faut deux équipes pour que le match de football ait lieu ; dans<br />
chaque équipe il y a onze joueurs (sans compter les remplaçants). Donc, à la fin<br />
du match, les vingt-deux joueurs ont serré la main de l’arbitre tour à tour, cette<br />
32
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
action peut être représentée de la manière suivante : les footballeurs serrèrent la<br />
main de l’arbitre = 1 serra la main de l’arbitre, ensuite 2 serra la main de<br />
l’arbitre, puis 3 serra la main de l’arbitre … enfin 22 serra la main de<br />
l’arbitre. Les vingt-deux joueurs n’ont probablement pas quitté le terrain de<br />
manière synchronisée, tous en même temps. On peut supposer que certains<br />
footballeurs, après avoir serré la main de l’arbitre, sont restés un petit moment<br />
pour discuter entre eux ou signer des autographes, etc. ; d’autres sont sortis<br />
immédiatement. On peut même imaginer que certains joueurs n’ont pas voulu<br />
serrer la main de l’arbitre. Les faits réels ne sont guère deux blocs consécutifs<br />
d’événements : il est physiquement impossible que les vingt-deux joueurs serrent<br />
la main de l’arbitre tous à la fois, il est aussi peu probable qu’après avoir serré<br />
cette main ils sortent tous en même temps. Le tableau réel a plus de chances de<br />
ressembler à ceci : pendant que le 4 serre la main de l’arbitre, les numéros 1,<br />
12 et 6 discutent entre eux, le 10 signe des autographes, le 3 sort dans les<br />
vestiaires… Le langage n’emploie pas tous ces moyens pour refléter la situation<br />
réelle avec l’exactitude du miroir parce qu’un tel processus serait trop complexe et<br />
coûteux. L’information linguistique est sous-déterminée, laissant l’esprit inférer<br />
l’image de la réalité en se basant sur les connaissances du monde que nous<br />
avons tous. Il est plus pertinent de ne pas tout dire que de tout dire dans les<br />
moindres détails. C’est là une idée centrale de la théorie de la pertinence de Dan<br />
Sperber et Deirdre Wilson [Sperber, Wilson 1989]. Nous la développons tout au<br />
long de notre travail, et particulièrement dans les sections 2.3.1. et 2.3.2. du<br />
Chapitre 2, consacrées spécialement à la théorie de la pertinence (pp. 92-101).<br />
Pour conclure cette section, soulignons que, en tant que linguiste, nous étudions<br />
les événements langagiers et les relations qui s’établissent entre les événements<br />
langagiers et non entre les événements réels. Néanmoins, nous insistons sur le<br />
fait que les représentations langagières ne se font pas pour elles et en elles à<br />
l’intérieur d’un système clos et coupé du monde réel. Au contraire, le langage est<br />
ouvert sur le monde, et il existe un lien étroit entre le signe linguistique et son<br />
référent. Pour comprendre l’énoncé linguistique, il est impératif de prendre en<br />
compte non seulement l’information linguistique, souvent sous-déterminée, mais la<br />
situation réelle à laquelle l’énoncé fait appel.<br />
33
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
1.2. Événement langagier et prédication<br />
Lorsque nous parlons de l’événement langagier, nous entendons par là tout type<br />
d’action : dynamique et statique (fait, procès et état). Donc il s’agit d’un événement<br />
dans les trois exemples ci-dessous : le (17) est un état, le (18) est un fait et le (19)<br />
est un procès :<br />
(17).<br />
Romeo ljubit Džul’ettu.<br />
= Roméo aime Juliette.<br />
(18).<br />
Romeo poljubil Džul’ettu.<br />
Roméo – tomba amoureux – Juliette.<br />
= Roméo tomba amoureux de Juliette.<br />
(19).<br />
Romeo i Džul’etta guljajut v sadu.<br />
Roméo – et – Juliette – se promènent – dans – jardin.<br />
= Roméo et Juliette se promènent dans le jardin.<br />
Les événements dans l’énoncé sont le plus souvent exprimés par le verbe (seul<br />
ou avec son entourage sémantique et syntaxique), plus exactement par les formes<br />
finies (formes personnelles) du verbe dans la fonction de prédicat. Mais un<br />
événement dans l’énoncé, est-il toujours exprimé par un seul prédicat et un<br />
prédicat désigne-t-il toujours un seul événement ? Autrement dit, la formule<br />
1 événement 1 prédicat, ou plutôt la formule 2 événements 2 prédicats (car,<br />
étudiant les relations entre les événements, nous nous intéressons aux énoncés<br />
qui contiennent au minimum deux événements) est-elle la seule possible et est-<br />
elle toujours valable ? La réponse est non. Les relations entre la sémantique et la<br />
syntaxe, dans l’énoncé, peuvent être symétriques et asymétriques, ce qui conduit<br />
à distinguer le prédicat syntaxique et le prédicat sémantique (ou, plutôt, la<br />
proposition sémantique). Par exemple, dans l’énoncé (On priexal – Il<br />
est arrivé), la proposition sémantique est exprimée par le prédicat syntaxique,<br />
autrement dit, une proposition sémantique = un prédicat syntaxique. Dans<br />
34
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
l’énoncé (Ego priezd menja obradoval – Son<br />
arrivée m’a réjoui), il y a un seul prédicat grammatical (obradoval – a réjoui) mais<br />
deux propositions sémantiques (il est arrivé ; cela m’a réjoui). Ainsi, les relations<br />
entre le prédicat grammatical et la proposition sémantique admettent trois<br />
formules possibles :<br />
i) 2 événements 2 prédicats ;<br />
ii) 1 événement 2 prédicats ;<br />
iii) 2 événements 1 prédicat.<br />
i) Le premier cas – 2 événements 2 prédicats – regroupe les énoncés à deux<br />
prédicats autonomes, c’est-à-dire les prédicats exprimés par une forme finie du<br />
verbe, et les énoncés qui contiennent un prédicat autonome (prédicat principal) et<br />
un prédicat secondaire 21 – une forme impersonnelle du verbe, syntaxiquement<br />
dépendante du prédicat principal.<br />
Prédication proncipale<br />
Les énoncés à prédicats autonomes sont :<br />
a) Des propositions simples juxtaposées :<br />
(20) . <br />
( : 86).<br />
Anna Ivanovna zamolala. Slëzy gradom katilis’ u neë po šekam.<br />
Anna – Ivanovna – se tut. – Larmes – comme grêle – roulaient – chez – elle<br />
– sur – joues.<br />
= Anna Ivanovna se tut. Un torrent de larmes coulait sur ses joues.<br />
b) Des propositions simples à prédicats multiples, avec ou sans conjonctions :<br />
(21) (,<br />
: 14).<br />
21 En russe, on utilise les termes (vtorinaja predikacija – prédication<br />
secondaire), (vtorinyj predikat – prédicat secondaire). La proposition à<br />
prédication secondaire est appelée o (osložnënnoe predloženie –<br />
proposition complexifiée).<br />
35
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Ippolit Matveevi pomoršilsja i uskoril šag.<br />
Hyppolyte – Matveevitch – grimaça – et – accéléra – pas.<br />
= Hippolyte Matveevitch fit une grimace et accéléra le pas.<br />
(22) , <br />
( : 36).<br />
S etimi slovami ja vystrelil v ljustru, no ne popal.<br />
Avec – ces – mots – je – tirai – sur – lustre, – mais – ne – atteignis.<br />
= Sur ces mots, je tirai sur le lustre mais le manquai.<br />
(23) , ,<br />
, , , , <br />
( : 26).<br />
Pri razgovorax s Ikonnikovym on razdražalsja, byval grub, nasmešliv,<br />
obzyval ego tjurej, razmaznëj, kiselëm, šljapoj.<br />
Pendant – conversations – avec – Ikonnikov – il – s’énervait, – était –<br />
grossier, – moqueur, – appelait – le – faiblard, – mauviette, – nouille, –<br />
imbécile.<br />
= En parlant avec Ikonnikov, il s’énervait, était grossier, moqueur, le traitait<br />
de faiblard, de mauviette, de nouille, d’imbécile.<br />
c) Des phrases complexes avec coordination :<br />
(24), ( : 15).<br />
Vskore skripnula dver’, i vošël fon Ernen.<br />
Bientôt – grinça – porte, – et – entra – von – Ernen.<br />
= Quelque temps après, la porte grinça et von Ernen entra.<br />
(25) , <br />
– ,<br />
, ( : 102).<br />
Supruga pobežala v perednjuju, a Nikanor Ivanovi razlivatel’noj ložkoj<br />
povolok iz ognedyšašego ozera – eë, kost’, tresnuvšuju vdol’.<br />
36
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Epouse – courut – dans – antichambre, – et – Nikanor – Ivanovitch –<br />
versante – cuillère (avec) – se mit à extraire – de – brûlant – lac – lui, –<br />
os, – fendu – en longueur.<br />
= Tandis que son épouse allait ouvrir, Nicanor Ivanovitch, à l’aide d’une<br />
louche, extrayait des profondeurs fumantes de la soupe un gros os fendu<br />
sur le côté.<br />
d) Des phrases complexes avec subordination :<br />
(26) , <br />
( : 25).<br />
Kogda avtomobil’ zatormozil, ja uže nemnogo prišël v sebja.<br />
Quand – voiture – freina, – je – déjà – un peu – revins à moi.<br />
= Lorsque la voiture s’arrêta, je me sentais déjà un peu mieux.<br />
(27) , <br />
( : 27).<br />
V odin iz osennix dnej k Ivanu Ivanoviu zašël elovek, ot kotorogo paxlo<br />
ruž’ëm i sobakoj.<br />
Dans – une – des – automnales – journées – chez – Ivan – Ivanovitch –<br />
passa – homme, – de – qui – (il) sentait – fusil – et – chien.<br />
= Par une journée d’automne, un homme, qui sentait la poudre de fusil et le<br />
chien, vint voir Ivan Ivanovitch.<br />
Prédication secondaire<br />
La prédication secondaire, en russe, est exprimée par :<br />
a) Le gérondif :<br />
(28), (, I : 79).<br />
Spustivšis’ vniz, on ostanovilsja.<br />
Etant descendu – en-bas, – il – s’arrêta.<br />
= Descendu en bas de l’escalier, il s’arrêta.<br />
37
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(29) , <br />
(A., I : 274).<br />
Staskivaja peratki, ona podošla v gostinoj k oknu.<br />
En retirant – gants, – elle – s’approcha – dans – salon – de – fenêtre.<br />
= Tout en retirant ses gants, elle s’approcha de la fenêtre du salon.<br />
Tous les linguistes s’accordent pour attribuer à cette forme impersonnelle du<br />
verbe la fonction syntaxique de prédicat secondaire, même si on remarque que,<br />
dans certains cas, le gérondif renforce les traits adverbiaux aux dépens des traits<br />
verbaux (aspect, temps, rection 22 ), et qu’il tend par conséquent à devenir un<br />
adverbe 23 :<br />
(30) ( : 384).<br />
Gruppa vsadnikov dožidalas’ mastera mola.<br />
Groupe – (de) cavaliers – attendait – maître – en se taisant.<br />
= Les cavaliers attendaient le maître en silence.<br />
b) La proposition participiale :<br />
(31) , , <br />
(, : 10).<br />
Ippolit Matveevi, slegka razdražënnyj, vyšel iz domu.<br />
Hippolyte – Matveevitch, – légèrement – irrité, – sortit – de – maison.<br />
= Hippolyte Matveevitch, légèrement irrité, sortit de chez lui.<br />
c) L’infinitif (ou le participe) d’objet ou de sujet :<br />
(32) […] (., I :<br />
180).<br />
Žadov priuil eë molat’ po celym dnjam.<br />
Jadov – inculqua – elle – se taire – pendant – entières – journées.<br />
= Jadov lui apprit à se taire pendant des journées entières.<br />
22 C’est-à-dire la capacité d’avoir des compléments.<br />
23 Pour une étude plus détaillée de la sémantique du gérondif, cf. les sections 4.2. et 4.3. du<br />
Chapitre 4, pp. 220-232.<br />
38
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(33) - […]<br />
(., I : 304).<br />
Kazaki-staniniki vyezžali k poezdam skupat’ oružie.<br />
Cosaques-habitants de la stanitsa – allaient à cheval – vers – trains –<br />
acheter – arme.<br />
= Les cosaques de la stanitsa allaient vers les trains pour acheter des<br />
armes.<br />
(34) ( : 218).<br />
Ona ostavila ego spjašim.<br />
Elle – laissa – lui – dormant.<br />
= Quand elle partit, il dormait.<br />
Ici, il faut remarquer que les énoncés avec les infinitifs n’expriment pas toujours<br />
deux événements, car l’action de l’infinitif peut être hypothétique. A cet égard, les<br />
énoncés avec l’infinitif sont ambigus, sous-déterminés linguistiquement ; on<br />
comprend si l’action de l’infinitif est hypothétique ou réelle seulement grâce au<br />
contexte (d’après la situation ou d’après les énoncés qui suivent celui avec<br />
l’infinitif), cf :<br />
(35),<br />
( : 136).<br />
Ljubiškinu Davydov rjasporjadilsja vydat’ pidžak, šarovary i sapogi.<br />
(À) Lioubichkine – Davydov – ordonna – fournir – veste, – culotte-<br />
bouffante – et – bottes.<br />
= Davydov ordonna de fournir à Lioubichkine une veste, une culotte-<br />
bouffante et des bottes.<br />
En lisant cet énoncé, on ne sait pas si une veste, un pantalon et des bottes ont été<br />
réellement livrés à Lioubichkine ou si l’action reste hypothétique. On peut<br />
supposer deux évolutions différentes : 1) Davydov ordonna de fournir à<br />
Lioubichkine une veste, une culotte-bouffante et des bottes. Lioubichkine était<br />
content et montrait à tout le monde ses nouveaux vêtements (L’action de l’infinitif<br />
est réelle) ; 2) Davydov ordonna de fournir à Lioubichkine une veste, une culotte-<br />
39
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
bouffante et des bottes. Mais on sabota les ordres de Davydov (Mais il n’y avait<br />
pas de vêtement de la taille de Lioubichkine), et Lioubichkine repartit bredouille<br />
(L’action de l’infinitif ne se réalise pas, elle est hypothétique).<br />
d) Le participe ou l’adjectif en fonction d’attribut du verbe sémantiquement<br />
autonome :<br />
(36) ( : 7).<br />
Mal’ik ušël rasstroennyj.<br />
Garçon – partit – désemparé.<br />
= Le garçon partit désemparé.<br />
(37) , […]<br />
( : 23).<br />
On vozvrašalsja s raboty zamazannyj glinoj, mokryj.<br />
Il – rentrait – de – travail – maculé – (de) glaise, – trempé.<br />
= Il rentrait du travail maculé de glaise, trempé.<br />
e) L’adjectif détaché :<br />
(38) , ,<br />
(., I : 78).<br />
Daša sidela na verašnem meste, v pletënom kresle, grustnaja i tixaja.<br />
Dacha – était assise – à – d’hier – place, – dans – en rotin – fauteuil, – triste<br />
– et – silencieuse.<br />
= Dacha, triste et silencieuse, était assise, comme hier, dans le fauteuil en<br />
rotin.<br />
(39) , , , <br />
( : 157).<br />
V blindaž vlez Maslennikov, grjaznyj, mokryj, zamërzšij.<br />
Dans – abri – se faufila – Maslennikov, – boueux, – trempé, – gelé.<br />
= Maslennikov, boueux, trempé, gelé, se faufila dans l’abri.<br />
40
f) Le substantif détaché :<br />
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(40) , , […]<br />
(, I : 146).<br />
Davydov, v tulupe poverx pal’to, sidel za stolom.<br />
Davydov, – en – pelisse – par-dessus – manteau, – était assis – à – table.<br />
= Davydov, une pelisse par-dessus son manteau, était assis à table.<br />
ii) La deuxième formule, 1 événement 2 prédicats, réunit les énoncés<br />
suivants :<br />
a) Les énoncés qui contiennent deux prédicats autonomes syntaxiquement<br />
mais désignant sémantiquement un seul événement. Le cas le plus flagrant est<br />
celui où le même prédicat se répète, exprimant ainsi l’intensité et /ou la durée du<br />
procès :<br />
(41).<br />
On vsë stual i stual v dver’.<br />
Il – toujours – frappait – et – frappait – dans – porte.<br />
= Il continuait de frapper à la porte. / Il n’arrêtait pas de frapper à la porte.<br />
(42) . <br />
, , , <br />
( : 41).<br />
Daša otkryla rot Bima i vtolknula tuda kotletu. Bim poderžal, poderžal eë vo<br />
rtu, udivlënno gljadja na Dašu, a kotleta tem vremenem proglotilas’ sama.<br />
Dacha –ouvrit – gueule – (de) Bim – et – enfourna – là – boulette de viande.<br />
Bim – tint – tint – elle – dans – gueule, – avec étonnement – en regardant –<br />
Dacha, – et – boulette de viande – entre temps – s’avala – seule.<br />
= Dacha ouvrit la gueule de Bim et y mit une boulette de viande. Bim la<br />
garda quelques instants dans sa gueule sans l'avaler tout en regardant<br />
Dacha avec étonnement. Sans que Bim s'en rende compte, la boulette<br />
glissa dans son estomac.<br />
41
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
En (42), l’ambiguïté peut disparaître si on met un trait d’union entre les deux<br />
verbes (-…). Dans ce cas, on a clairement<br />
affaire au procédé de redoublement, comme dans :<br />
(43)- ( : 46).<br />
Bim podumal-podumal i ostorožno vošël.<br />
Bim – réfléchit-réfléchit – et – doucement – entra.<br />
= Bim hésita quelques instants avant d’y entrer tout doucement.<br />
Ce procédé – une combinaison de deux formes verbales finies – pour exprimer<br />
des caractéristiques aspectuelles est assez courant en russe. Les deux verbes<br />
peuvent être les mêmes, comme dans les exemples que l’on vient de voir, ou<br />
distincts, cf. :<br />
(44).<br />
On vzjal i skazal.<br />
Il – prit – et – dit.<br />
= Le voilà qui dit brusquement.<br />
(45).<br />
On berët i delaet.<br />
Il – prend – et – fait.<br />
= Le voilà qui le fait aussitôt. / Aussitôt dit, aussitôt fait.<br />
On rencontre également des cas sémantiquement complexes où la combinaison<br />
de deux verbes, tout en marquant des caractéristiques aspectuelles d’un<br />
événement, garde une certaine ambiguïté dans l’interprétation, cf. :<br />
(46),.<br />
My posideli, pogovorili o tom o sëm.<br />
Nous – restâmes assis un moment, – parlâmes un moment – de – cela –<br />
de – ceci.<br />
= Nous sommes restés un bon moment à bavarder de tout et de rien.<br />
42
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Dans cet exemple, le verbe (posideli) ne signifie pas littéralement nous<br />
sommes restés assis, mais souligne plutôt que l’action (pogovorili) a<br />
duré un certain temps : nous avons passé le temps (= nous sommes restés un<br />
moment) à bavarder. Pourtant, la sémantique initiale du verbe ne<br />
disparaît pas complètement et il n’est pas exclu que les sujets de cet énoncé aient<br />
été réellement assis (et non debout) tout au long ou pendant une partie de leur<br />
conversation.<br />
b) Les énoncés dans lesquels le gérondif n’exprime pas une action secondaire,<br />
comme dans les exemples (28) et (29), mais une caractéristique circonstancielle<br />
du prédicat principal :<br />
(47), […] (, I :<br />
55).<br />
Poniziv golos poti do šëpota, on dobavil.<br />
Ayant baissé – voix – presque – jusque – chuchotement, – il – ajouta.<br />
= Baissant la voix jusqu’au chuchotement, il ajouta…<br />
(48) , <br />
, (, I : 178).<br />
Nagul’nov pil prjamo iz grafina protivnuju, steplivšujusja vodu, ljaskaja o<br />
kraja zubami.<br />
Nagoulnov – buvait – directement – de – carafe – écoeurante – tiède – eau,<br />
– en crissant – sur – bords – dents.<br />
= Nagoulnov buvait l’eau tiède et dégoûtante à même la carafe, faisant<br />
grincer ses dents sur les rebords.<br />
iii) La formule 2 événements 1 prédicat correspond à l’approche sémantique<br />
large, selon laquelle il y a autant d’événements dans l’énoncé que de propositions<br />
sémantiques, ces dernières pouvant être enchâssées dans un syntagme nominal.<br />
Sémantiquement, il y a proposition toutes les fois qu’il y a énonciation d’un<br />
jugement. En ce sens, les énoncés suivants, contenant un seul prédicat<br />
grammatical, comprennent deux propositions sémantiques, donc deux<br />
événements :<br />
43
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(49) […] ( :<br />
312).<br />
V tot že mig zvjaknulo probitoe pulej okno.<br />
A – ce – même – instant – tinta – transpercée – (par) balle – fenêtre.<br />
= Au même instant, la fenêtre tinta, transpercée par une balle.<br />
(Première proposition : – okno zvjaknulo – « la fenêtre tinta » ;<br />
deuxième proposition : – okno bylo probito pulej –<br />
« la fenêtre a été transpercée par une balle »).<br />
(50) […] ( : 37).<br />
Menja razbudil ženskij vizg.<br />
Me – réveilla – féminin – cri perçant.<br />
= Je fus réveillé par des cris aigus d’une femme.<br />
(Première proposition : – ja byl razbužen – « j’ai été réveillé » ;<br />
deuxième proposition : – kriala ženšina – « une femme<br />
criait »).<br />
(51) […] ( : 114).<br />
Posle tanca on ozorno oprokinul ešë rjumku.<br />
Après – danse – il – allégrement – siffla – encore – verre.<br />
= La danse finie, il siffla allégrement encore un verre.<br />
(Première proposition : – tanec zakonilsja – « la danse se<br />
termina » ; deuxième proposition : – on oprokinul rjumku –<br />
« il siffla un verre »).<br />
Cette approche sémantiquement large présente un risque : celui-ci consiste à<br />
croire à un événement dès qu’apparaît une ombre de jugement. Ainsi, dans<br />
l’énoncé suivant :<br />
(52) […]<br />
( : 13).<br />
Krasivaja Roza Borisovna slegka pokrasnela ot jarosti.<br />
Belle – Rosa – Borissovna – légèrement – rougit – de – colère.<br />
= La jolie Rosa Borissovna rougit légèrement de colère,<br />
44
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
on peut être tenté de voir non seulement les deux événements : 1) Rosa<br />
Borissovna rougit, 2) Rosa Borissovna était en colère, mais aussi un événement<br />
(puisque les états le sont, pour nous) : 3) Rosa Borissovna était jolie. Du point de<br />
vue sémantique, on constate que la différence entre le prédicatif et le non-<br />
prédicatif n’est pas absolue. Il est nécessaire donc d’élaborer les critères<br />
sémantiques et syntaxiques qui permettent de tracer la frontière entre un véritable<br />
événement et un non-événement, ce dernier étant un jugement sur un événement<br />
ou une caractéristique concernant un sujet ou un objet de l’énonciation. Même si<br />
l’élaboration de ces critères n’est pas le but de ce travail – nous n’allons analyser<br />
de près que les énoncés qui contiennent deux prédicats autonomes et les<br />
énoncés avec le syntagme gérondif – nous nous permettons d’émettre quelques<br />
idées par rapport à la distinction événement / non-événement. Probablement, pour<br />
départager un événement et un non-événement, il faut tout d’abord dresser une<br />
échelle de prédications : à partir de la prédication complète jusqu’à la prédication<br />
zéro, en passant par la prédication réduite et cachée (Une telle entreprise –<br />
classer les prédicats – a été d’ailleurs entamée par V. G. Gak [1998 : 131-137]).<br />
Ensuite, il faut savoir trancher à quel niveau la prédication, et donc l’événement,<br />
cessent d’exister. On voit bien, par exemple, dans les énoncés suivants, faiblir la<br />
prédication, mais si on est sûr que la prédication est présente en (53 a), (53 b),<br />
(53 c) et absente en (53 g), les énoncés intermédiaires (53 d), (53 e), (53 f) font<br />
hésiter :<br />
(53a).<br />
Vasja smutilsja i opustil glaza.<br />
Vassia – se troubla – et – baissa – yeux.<br />
= Vassia se troubla et baissa les yeux.<br />
(53 b) ,..<br />
S’étant troublé – Vassia – baissa – yeux.<br />
= Troublé, Vassia baissa les yeux.<br />
(53 c) ,..<br />
Troublé – Vassia – baissa – yeux.<br />
= Troublé, Vassia baissa les yeux<br />
45
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(53 d) ..<br />
Troublé – Vassia – baissa – yeux.<br />
= Vassia qui était troublé baissa les yeux.<br />
(53 e) . .<br />
Vassia – dans – trouble – baissa – yeux.<br />
(53 f) .<br />
Vassia – avec – trouble – baissa – yeux.<br />
(53 g) . .<br />
Vassia – * troublement – baissa – yeux.<br />
Dans cette optique, une idée souvent émise dans les travaux linguistiques et que<br />
l’on retrouve dans [Sakhno 2001 : 82], nous semble importante : dans un rapport<br />
prédicatif classique, le lien entre l’objet décrit et la propriété est établi au moment<br />
même de l’énonciation. En revanche, dans une locution non prédicative, ce lien<br />
est donné a priori, il apparaît comme déjà établi, comme préexistant à<br />
l’énonciation. Cette idée demande à être développée mais l’exemple ci-dessous<br />
montre qu’elle est justifiée :<br />
(54) <br />
( : 67).<br />
Šofër gruzovoj mašiny so zlym licom zavodil motor.<br />
Chauffeur – (de) lourd – voiture – avec – méchant – visage – mettait en<br />
marche – moteur.<br />
Cet énoncé peut être compris au moins de deux façons : 1) Le chauffeur au<br />
visage méchant mettait en marche le moteur de son camion ; 2) Le chauffeur, l’air<br />
mécontent, mettait en marche le moteur de son camion. La première<br />
interprétation, attribuant une caractéristique permanente, préexistante, a priori, au<br />
chauffeur, est « moins prédicative » que la seconde, qui assigne au chauffeur la<br />
caractéristique ponctuelle le visage mécontent (= l’air mécontent) : le chauffeur,<br />
irrité par quelque chose, n’est mécontent qu’au moment où il est observé ; son<br />
visage n’est pas pour autant toujours mécontent.<br />
46
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
D’autres types d’énoncés laissent hésitant par rapport à la quantité<br />
d’événements : tels sont les énoncés avec des constructions causatives (55),<br />
(56) :<br />
(55).<br />
Vasja zastavil Kolju sest’.<br />
Vassia – força – Kolia – s'asseoir.<br />
(56).<br />
Vasja usadil Kolju.<br />
Vassia – mit assis – Kolia.<br />
Faut-il, dans ces énoncés, considérer qu’il y a deux actions qui se produisent car il<br />
y a deux participants : 1) Vassia a fait quelque chose, 2) suite à quoi Kolia s’est<br />
assis ? Ou faut-il considérer qu’une seule et unique action s’est déroulée ?<br />
Enfin, le dernier cas ambigu que nous discernons est celui des verbes<br />
sémantiquement complexes du type (propit’), (proigrat’).<br />
Certains linguistes y voient deux événements : (propit’) = 1) boire de<br />
l’alcool + 2) à cause de cela perdre de l’argent ou des biens dilapidés pour l’achat<br />
de cet alcool ; (proigrat’) = 1) jouer aux jeux de hasard + 2) à cause<br />
de cela perdre de l’argent.<br />
Il est nécessaire d’approfondir les études sur le lien entre la prédication et<br />
l’événement. A ce niveau de recherche, nous attribuons sans hésitation une<br />
prédication (et par conséquent, le statut d’événement) seulement aux prédicats<br />
autonomes, secondaires ou réduits, ces derniers exprimés par un substantif<br />
(dé)verbal ( – otglagol’noe<br />
sušestvitel’noe). Ce substantif, portant une marque de substantif et de verbe à la<br />
fois, est appelé également nom d’action ( – imja dejstvija –<br />
« nomina actionis »). On note que les noms d’action gardent des éléments de<br />
traits verbaux : temps et aspect (Cf. une étude plus approfondie des substantifs<br />
d’action russes dans [Kazakov 1994], cf. aussi [Sakhno 2000]) :<br />
47
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(57) […] ( : 84).<br />
Pri našem pojavlenii oni zaaplodirovali.<br />
A – notre – apparition – ils – se mirent à applaudir.<br />
= En nous voyant, ils se mirent à applaudir.<br />
(58) <br />
( : 220).<br />
Pod dikij svist i gikan’e vsadnikov naš otrjad malsja po stepi.<br />
Sous – sauvage – sifflement – et hululement – (de) cavaliers – notre –<br />
détachement – galopait – dans – steppe.<br />
= Sous les sifflements et les hululements bestiaux des cavaliers, notre<br />
détachement galopait dans la steppe.<br />
(59) […] ( : 65).<br />
Sudoroga iskazila ego lico.<br />
Spasme – déforma – son – visage.<br />
= Un spasme déforma ses traits.<br />
1.3. Le temps langagier<br />
Pour que l’esprit puisse représenter un événement, il doit pouvoir le quantifier. La<br />
quantification de l’événement s’opère à l’aide de paramètres temporels. Pour<br />
cerner un événement, il faut le fixer sur la ligne métaphorique du temps et lui<br />
assigner différentes caractéristiques temporelles : durée, répétition, etc.<br />
La notion de temps est indissociable de celle d’événement. L’esprit humain<br />
envisage les événements à l’aide de paramètres temporels et, inversement, le<br />
temps est représenté à travers les événements.<br />
Mais « Qu’est-ce en effet que le temps ? » (Quid est enim tempus ?) Telle est la<br />
question par laquelle saint Augustin commence le livre XI de ses « Confessions »<br />
et que bien d’autres philosophes se sont posée avant et après lui [Ricœur 1983 :<br />
22]. Or la notion de temps est un dragon à plusieurs têtes : il n’y a pas « le »<br />
48
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
temps mais « les » temps. Les sciences de la nature étudient le temps réel ou<br />
objectif. Les philosophes et les psychologues se penchent sur le temps subjectif<br />
ou vécu. Et les linguistes s’intéressent surtout au temps langagier, c’est-à-dire à la<br />
« façon dont l’expérience humaine du temps est représentée à travers<br />
l’organisation linguistique des énoncés » [Ducrot 1995 / 2005 f : 682]. Le temps<br />
langagier fait partie d’un système de valeurs sémiotiques, entretenant des<br />
rapports avec d’autres éléments de ce système. Ainsi, le temps langagier se<br />
présente-t-il comme une réalité sémiotique objective. A l’intérieur du système<br />
sémiotique linguistique, la représentation du temps par le langage est désignée<br />
par le terme temporalité.<br />
Le temps réel désigne « le continuum qui procède du déroulement et de la<br />
succession des existences, des états et des actions » [DLSL 1994 / 1999 : 478].<br />
Le temps, cette substance invisible, inaudible, inodore, impalpable… est<br />
appréhendé par l’homme à travers les transformations de l’espace. On ne conçoit<br />
pas l’idée de mouvement sans le temps toujours présent qui permet ce<br />
mouvement et lui sert de support, et l’on ne conçoit pas la continuité sans la<br />
possibilité de la décomposer des totalités en parties. Dès lors, le temps, divisible<br />
et quantifiable, apparaît comme « le tout et ses parties, la mer vue comme une<br />
totalité de gouttes distinctes les unes des autres » [Confais 1990 / 2002 :161].<br />
Le temps est perçu dans l’esprit humain sous des formes différentes. La<br />
représentation linguistique du temps est basée sur le modèle linéaire, souvent<br />
opposé au modèle cyclique [Jakovleva 1994 : 97-101 ; Uspenskij 1996 : 28-45].<br />
Le temps cyclique, propre à une conscience cosmologique et religieuse,<br />
symbolise la succession et la répétition perpétuelles des événements de même<br />
ordre : les saisons de l’année, le jour et la nuit, la naissance et la mort, etc.<br />
Le temps linéaire, propre à la mentalité scientifique, représente l’idée<br />
d’irréversibilité et de finalité du temps : chaque événement est unique. Le temps<br />
linéaire apparaît dans l’esprit humain plus tard que le temps cyclique. La<br />
dissociation temps cyclique / temps linéaire devient possible d’une part quand<br />
l’homme commence à acquérir une conscience historique, dont les éléments<br />
49
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
nécessaires sont le début et la fin, c’est-à-dire l’évolution, le développement ; et<br />
d’autre part, quand l’esprit humain apprend à séparer le temps de ses<br />
circonstances, créant un système mécanique de mesure du temps. Apte à la<br />
catégorisation, le temps est « apprivoisé » dans le calendrier où les événements<br />
sont situés par rapport à un point-repère (Jésus-Christ dans notre calendrier).<br />
L’idée traditionnelle du temps dans le langage est fondée sur le même principe de<br />
mesure que le temps du calendrier ou le temps de l’horloge : fixer un point-repère<br />
et découper la ligne imaginaire du temps en tranches plus ou moins larges. Ainsi<br />
les événements sont-ils placés sur la ligne du temps et ordonnés entre eux. Le<br />
point de repère pour l’événement est le moment de l’énonciation (le moment de la<br />
parole, dans une autre terminologie). Ce dernier fonde la notion de présent. La<br />
ligne du temps est divisée en deux blocs par rapport à ce présent : un avant (le<br />
passé) et un après (le futur). Dans toutes les langues, les énoncés situent les<br />
événements par rapport à la distinction du passé, du présent et du futur, même si<br />
toutes les langues ne possèdent pas de système temporel formellement tripartite,<br />
distinguant seulement le passé et le non-passé ou le non-futur et le futur.<br />
Le temps langagier n’est pas un reflet dans le miroir du temps réel, puisque,<br />
comme nous le savons, la fonction dénotative du langage ne se mesure pas à une<br />
norme de réalité objective. Cela signifie que les représentations langagières du<br />
temps sont vériconditionnelles mais elles peuvent être dénotées de manière<br />
subjective et variable par le langage.<br />
L’énoncé accède à la représentation temporelle à l’aide de plusieurs moyens,<br />
linguistiques et extra-linguistiques. Parmi les signes linguistiques, qui semblent<br />
être véritablement destinés à incarner le temps, on cite traditionnellement les<br />
temps verbaux et les adverbiaux temporels. Comme nous étudions les relations<br />
entre les événements, nous nous intéressons tout particulièrement au verbe qui<br />
matérialise en quelque sorte l’idée de procès dans le langage.<br />
50
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
1.4. Les catégories verbales exprimant l’idée du temps<br />
Le nombre de catégories linguistiques liées à la temporalité ne peut être arrêté<br />
avec précision, en raison même du statut et de la nature de certaines catégories.<br />
Effectivement, si la légitimité du statut des temps verbaux ou de l’aspect n’est pas<br />
discutable (même si l’on continue de discuter de leur contenu), ce n’est pas le cas,<br />
par exemple, du bornage au sujet duquel on se demande s’il s’agit d’une catégorie<br />
autonome, distincte de la télicité ou non. D’autre part, on se demande s’il est<br />
possible de regrouper dans un même tableau des catégories de nature différente :<br />
par exemple, l’aspect verbal grammatical et l’intervalle, qui est une catégorie<br />
sémantique, exprimée à différents niveaux de la langue.<br />
Nous allons passer en revue les catégories que nous jugeons indispensables pour<br />
la description des relations chronologiques entre les événements.<br />
1.4.1. Temps verbaux<br />
Les temps verbaux (qu’on appelle également les temps grammaticaux ou tense,<br />
en anglais) forment une catégorie qui regroupe les différentes formes d’un verbe<br />
distinguées uniquement par la personne et / ou par le nombre (ce qu’on appelle la<br />
conjugaison) : fais et faisons, en français ; (delaju) et (delaem),<br />
en russe. Le regroupement des temps verbaux croise le regroupement en mode<br />
(mais nous ne traiterons pas de cette question, en nous limitant au mode indicatif).<br />
Les temps référant directement au moment de l’énonciation (je, ici, maintenant)<br />
sont appelés traditionnellement les temps absolus. Si les temps localisent un<br />
événement par rapport à un autre événement et non par rapport au moment de<br />
l’énonciation, il s’agit des temps relatifs 24 .<br />
Le terme temps verbaux exige quelques précisions. On l’emploie par rapport aux<br />
systèmes verbaux ramifiés, comme ceux du français, de l’anglais, du vieux slave<br />
24 Il existe d’autres classifications : temps simples / temps composés, temps déictiques /<br />
anaphoriques, temps absolus / temps relatifs / temps absolus-relatifs. Cf. [Vetters 2000 : 13].<br />
51
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
ou du bulgare. Appliqué au système verbal russe, qui ne contient que les temps<br />
absolus mais qui associe d’une manière indéfectible une dimension aspectuelle et<br />
temporelle, ce terme semble non pertinent. Dans la linguistique aspectuelle russe,<br />
on utilise largement le terme formes aspecto-temporelles du verbe (-<br />
– vido-vremennye formy glagola) ou, plus court,<br />
les formes verbales. Dans notre travail, nous emploierons tous ces termes comme<br />
synonymes, en privilégiant le terme temps verbaux quand nous parlerons des<br />
théories occidentales et en utilisant plutôt le terme formes aspecto-temporelles<br />
quand nous parlerons concrètement du verbe russe.<br />
1.4.2. Aspect<br />
Si le temps verbal renvoie au temps extérieur, l’aspect est souvent défini comme<br />
une catégorie qui décrit le temps intérieur de l’action, c’est-à-dire la façon dont le<br />
procès se déroule, dont il occupe le temps extérieur.<br />
L’apparition du terme aspect en français est assez controversée 25 . Une chose est<br />
sûre, cette notion vient des langues slaves, et en particulier du russe. « Aspect »<br />
est une traduction du mot russe (vid). On fait généralement remonter la<br />
naissance du terme vid à la grammaire du slavon écrite par Meletij (Mélèce)<br />
Smotrickij au début du XVII e siècle. Mais il faudra attendre la Grammaire russe<br />
pratique (Praktieskaja russkaja grammatika ; première édition 1827, la deuxième<br />
édition, la plus répandue, est parue en 1834) de Nikolaj Gre pour que s’implante<br />
l’emploi du terme vid en grammaire russe. Nombreux sont les linguistes qui<br />
considèrent que la grammaire européenne est redevable du terme aspect à Karl<br />
Philipp Reiff 26 qui l’aurait choisi pour (vidy – « aspects » au pluriel) de<br />
Gre.<br />
25 Pour l’histoire des notions vid et aspect, nous nous sommes appuyée sur les travaux de<br />
Jacqueline Fontaine [Fontaine 1983 : 17-42] et de Sylvie Archaimbault [Archaimbault 1999].<br />
26 Citons trois ouvrages de Reiff Karl Philipp : (1821) Grammaire russe à l’usage des étrangers qui<br />
désirent connaître à fond les principes de cette langue, précédée d’une introduction sur la langue<br />
slavonne, Saint-Pétersbourg ; (1849) Parallel-Wörterbucher der russischen, französischen,<br />
deutschen und englishen Sprache für die russische Jugend ; Saint-Pétersbourg (version française,<br />
St. P., 1852 ; version anglaise, St. P., 1862) ; (1853) Grammaire française-russe, Karlsruhe (2 e<br />
éd.).<br />
52
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
L’aspect en russe est une catégorie grammaticale qui est fondée sur une<br />
opposition : aspect perfectif ( – soveršennyj vid) / aspect<br />
imperfectif ( – nesoveršennyj vid). Lorsqu’on parle d’une<br />
catégorie grammaticale, cela signifie que son expression est grammaticalement<br />
obligatoire, explicite. Effectivement, toute forme verbale en russe possède un<br />
aspect verbal 27 : imperfectif ou perfectif. Morphologiquement, les verbes<br />
imperfectifs et perfectifs peuvent être définis par leur lien paradigmatique avec la<br />
catégorie du temps (nous avons évoqué, un peu plus haut, ce lien immuable entre<br />
le temps et l’aspect dans le système verbal russe) : le verbe imperfectif comprend<br />
à l’indicatif trois formes distinctes (le présent, le passé et le futur ou, dans une<br />
autre classification, le présent, le passé et le futur composé), le verbe perfectif<br />
possède à l’indicatif deux formes distinctes (le présent-futur et le passé ou, dans<br />
une autre classification, le futur simple et le passé). Le système verbal russe<br />
comprend donc à l’indicatif six formes aspecto-temporelles. Dans notre analyse<br />
(Chapitres 3 et 4), nous prêtons une attention particulière à l’opposition du passé<br />
perfectif / passé imperfectif, les formes au passé manifestant le plus clairement les<br />
spécificités aspectuelles.<br />
Pratiquement tous les verbes russes s’organisent en couple aspectuel 28 (on dit<br />
aussi paire aspectuelle, cf. par exemple [Kuszmider 1999 : 15]) : verbe<br />
imperfectif / verbe perfectif. Cela veut dire que chaque verbe russe d’un aspect<br />
peut généralement s’apparier à un verbe de l’autre aspect, qui a une signification<br />
assez proche de la sienne et souvent le même radical 29 : (ostavit’)<br />
27 Excepté le verbe (byt’ – « être »), qui n’appartient à aucun aspect.<br />
28 L’idée du couple aspectuel est de plus en plus combattue, cf. [Mikaelian, Šmelëv, Zaliznjak<br />
2008 ; Guiraud-Weber 2008].<br />
29 Le fait que cette organisation présente certaines asymétries et irrégularités ne remet pas en<br />
question la validité de l’opposition du couple aspectuel. En effet, il existe un certain nombre de<br />
verbes dits bi-aspectuels (on dit également, à deux aspects, ou encore, à double aspect), qui n’ont<br />
pas d’indicateur formel d’aspectualité et qui sont capables d’exprimer les deux valeurs, perfective<br />
et imperfective. Par ailleurs, certains verbes n’ont pas de correspondant dans l’aspect opposé : ce<br />
sont des imperfectiva tantum et des perfectiva tantum. Pour plus de détails sur ces questions, cf.<br />
par exemple [Zaliznjak, Šmelëv 2000 : 44-95 ; Guiraud-Weber 2004 : 19-33].<br />
53
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
PERF. / (ostavljat’) IMPERF. – « laisser, abandonner » ; <br />
(risovat’) IMPERF. / (narisovat’) PERF. – « dessiner » 30 .<br />
Devant cette situation, les aspectologues cherchent à définir, pour chaque verbe<br />
du couple, un trait sémantique, un invariant ( –<br />
invariantnoe znaenie), qui le caractériserait. La recherche de la formule<br />
« magique », qui permettrait de saisir la « quiddité » de l’aspect perfectif et<br />
imperfectif, a pris deux directions.<br />
La direction traditionnelle consiste à trouver une caractéristique précise, exacte<br />
pour exprimer l’essence de chaque aspect. On part de l’idée que, malgré la<br />
diversité des significations concrètes, tous les verbes perfectifs, d’un côté, et tous<br />
les verbes imperfectifs, de l’autre côté, peuvent être réunis sous l’égide d’une<br />
seule et unique valeur, intrinsèque à chaque aspect. Ainsi, a-t-on proposé, pour<br />
définir l’action du perfectif, les étiquettes suivantes : globalité ( –<br />
celostnost’), achèvement ( – zakonennost’), ponctualité<br />
( – toenost’), etc. Souvent, on assigne également au perfectif une<br />
valeur intrinsèque de limite (ou de terme ; , – predel,<br />
predel’nost’). L’action de l’imperfectif reçoit en parallèle les caractéristiques<br />
suivantes : non-globalité ( – necelostnost’), non-achèvement<br />
( - nezakonennost’), durée ( – dlitel’nost’),<br />
etc. Dans cette optique, les définitions les plus courantes sont celles de Jurij<br />
Maslov, l’un des fondateurs de l’Ecole aspectologique de Leningrad (Saint-<br />
Pétersbourg), et d’Alexandr [Alexandre] Bondarko, chef de cette Ecole. Pour<br />
Maslov, le perfectif, en tant que membre marqué de l’opposition privative<br />
binaire 31 , signale l’atteinte d’une limite, représentant l’action dans sa globalité<br />
30 Dans le premier couple ostavit’ / ostavljat’, nous présentons en premier le verbe perfectif, parce<br />
que, morphologiquement, c’est le perfectif préverbal qui a servi de base pour la formation de<br />
l’imperfectif, à l’aide des suffixes -l, -ja. Dans le second couple risovat’ / narisovat’, c’est le<br />
contraire : le perfectif est dérivé de l’imperfectif par le préfixe (ou préverbe) na-.<br />
31 Cette définition, introduite par Roman Jakobson, signifie un rapport entre deux termes dont l’un<br />
possède un trait « positif » (globalité indivisible, limite, accomplissement, etc.). Le terme avec le<br />
trait « positif » est dit marqué, le terme privé de terme positif est dit non marqué. La forme marquée<br />
du couple aspectuel russe est le perfectif, la forme non marquée est l’imperfectif. Cependant, nous<br />
admettons avec A. Zaliznjak et A. Šmelëv que l’application de l’opposition terme marqué / terme<br />
non marqué aux catégories grammaticales ne s’est pas avérée très fructueuse [Zaliznjak, Šmelëv<br />
2000 : 16-17].<br />
54
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
indivisible ( – nedelimaja celostnost’) [Maslov 1990].<br />
Pour Bondarko, le perfectif allie les valeurs de globalité et de limite [Bondarko<br />
1996 : 101-109]. Ces formules sont largement contestées. Marguerite Guiraud-<br />
Weber [Guiraud-Weber 2004 : 97-98] remarque, par exemple, que l’imperfectif<br />
russe peut, lui aussi, exprimer une action globale, c’est-à-dire totalement<br />
accomplie :<br />
(60).<br />
V prošlom godu my ezdili na jug.<br />
En – passée – année – nous – allâmes – dans – sud.<br />
= L’année dernière, nous sommes allés dans le Midi.<br />
Les travaux récents 32 choisissent une direction plus « sémantique » : on dresse<br />
un éventail de toutes les valeurs possibles pour chaque aspect et en généralisant<br />
toutes ces valeurs, on conclut à une signification commune pour chaque aspect.<br />
En résumant ces travaux, on peut dire que les aspectologues privilégient une<br />
définition qui tient compte du sème « changement (de situation) » qu’implique le<br />
perfectif, l’imperfectif étant caractérisé comme privé de ce trait [Zaliznjak, Šmelëv<br />
2000 : 32-35 ; Guiraud-Weber 2004 : 98-99].<br />
La découverte de l’aspect dans les langues slaves a poussé les linguistes à<br />
chercher des phénomènes semblables dans les langues qui ne permettent pas<br />
une telle classification des verbes. Autrement dit, les grammairiens cherchent par<br />
quels moyens, morphologiques, mais aussi syntaxiques et lexicaux, s’exprime,<br />
dans les langues non slaves, la façon dont le procès se déroule dans le temps.<br />
L’aspect apparaît comme une catégorie beaucoup plus extensible qu’une<br />
opposition grammaticale du perfectif et de l’imperfectif. Aussi parle-t-on de l’aspect<br />
comme d’une catégorie sémantique qui est également appelée aspectualité. On<br />
constate qu’il est possible d’établir pour chaque langue un système aspectuel (ou<br />
temporo-aspectuel, ou modo-temporo-aspectuel), mais en comparant les résultats<br />
32 Enumérons-en quelques-uns : Barentsen A. Trexstupenataja model’ invarianta soveršennogo<br />
vida v russkom jazyke , in Semantika i struktura slavjanskogo vida . I, Krakov, 1995, pp. 1-26 ;<br />
Glovinskaja M. Ja., Invariant soveršennogo vida v russkom jazyke, in Tipologija vida : problemy,<br />
poiski, rešenija, Moskva, 1998 ; Košelev A.D., K opisaniju jadernogo znaenija soveršennogo vida,<br />
in Trudy aspektologieskogo seminara filologieskogo fakul’teta MGU. T. 3, 1997 ; Šatunovskij I.B.,<br />
Semantika predloženija i nereferentnye slova, Moskva, 1996.<br />
55
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
obtenus, c’est-à-dire les aspects ad hoc de toutes les langues, on se retrouve face<br />
à une telle diversité, qu’il est impossible de confronter directement les faits<br />
aspectuels dans toutes les langues 33 : dans les langues slaves l’aspect est<br />
exprimé par l’opposition « verbe perfectif / verbe imperfectif », dans le grec ancien<br />
la corrélation aspectuelle implique trois formes du même radical – le présent,<br />
l’aoriste et le parfait [Maslov 1962 : 8], en français l’aspect se définit par<br />
l’antinomie « l’accompli (perfectif ou parfait) / l’inaccompli (imperfectif) », dans les<br />
langues ibériques on considère souvent comme aspectuelle l’opposition des<br />
verbes ser / estar (« être ») – cf. en portugais, O João é alegre (João est joyeux,<br />
est de nature joyeuse) / O João está alegre hoje (João est joyeux aujourd’hui) ;<br />
ou bien l’opposition « progressif / non-progressif » – cf. en portugais, O João<br />
come (João mange) / O João está comendo (João est en train de manger).<br />
L’une des théories les plus cohérentes de l’aspectualité est proposée par<br />
Bondarko pour qui l’aspect grammatical (l’opposition « perfectif / imperfectif ») en<br />
russe est un noyau de l’aspectualité, cette dernière étant une catégorie sémantico-<br />
fonctionnelle plus large, exprimée par des moyens morphologiques, syntaxiques,<br />
dérivationnels et lexicaux. L’aspectualité englobe différents traits sémantiques<br />
caractérisant la façon dont se déroule le procès dans le temps : localisation du<br />
procès, achèvement, résultat, atteinte d’une limite, etc. Cette approche permet de<br />
dépasser l’hégémonie du modèle « aspect perfectif / aspect imperfectif », tout en<br />
le mettant en valeur [Bondarko 1984 ; TFG 1987].<br />
1.4.3. Mode d’action (Aktionsart)<br />
Les grammairiens se sont aperçus depuis longtemps que des valeurs aspectuelles<br />
du verbe slave (ingressive, fréquentative, durative, résultative, etc.) peuvent être<br />
33 Devant cet état de choses, se font entendre des voix qui contestent le « prototype » aspectuel<br />
russe. C’est ce que l’on a constaté en lisant le travail de Sylvie Archaimbault [Archaimbault 1999 :<br />
11-13]. La chercheuse cite Zlatka Guentcheva et David Cohen : la première considère que la<br />
primauté du modèle aspectuel russe dans les langues slaves est due à des réalités plus<br />
géopolitiques que linguistiques (Guentcheva Z., Temps et aspect. L’exemple du bulgare<br />
contemporain, Paris, Ed. du CNRS, 1990, p. 13) ; le second avance même que des difficultés<br />
d’analyse de l’aspect dans les langues non slaves sont provoquées par le choix injustifié de<br />
l’aspect russe comme référence (Cohen D., L’aspect verbal, Paris, PUF, 1989, quatrième de<br />
couverture).<br />
56
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
exprimées par des moyens dérivationnels, à l’aide d’un préverbe ou d’un suffixe.<br />
Dans ce cas, il s’agit d’une catégorie lexicale, dérivationnelle, appelée dans la<br />
tradition aspectuelle internationale par le mot allemand Aktionsart, suite au travail<br />
du linguiste suédois Sigurd Agrell 34 . Le russe a adopté le terme <br />
(sposob dejstvija) ; en français, on dit mode d’action, modalité d’action<br />
ou bien, comme Ducrot ou Culioli, mode de procès [Ducrot 1995 / 2005 f : 695 ;<br />
Culioli 1999 : 147], cf. : (svistet’ – « siffler ») IMPERF. – <br />
(zasvistet’ – « se mettre à siffler ») PERF., MODE D’ACTION INGRESSIF ; (migat’ –<br />
« cligner ») IMPERF. – (mignut’ – « cligner une fois ») PERF., MODE D’ACTION<br />
SEMELFACTIF, etc. L’aspect et le mode d’action sont donc deux catégories verbales<br />
qui dénotent la représentation que se fait le locuteur de la façon dont le procès se<br />
déroule. Cependant, tout en se rejoignant sur le plan du contenu, l’aspect et le<br />
mode d’action se distinguent sur le plan de l’expression, le premier étant une<br />
catégorie grammaticale et le second – une catégorie lexicale.<br />
Le concept d’Aktionsart a joué un rôle important, aidant à distinguer ce qui était<br />
proprement aspectuel (c’est-à-dire grammatical : l’opposition « perfectif /<br />
imperfectif ») de ce qui relevait du sémantisme verbal. Une grande contribution<br />
dans la consécration de la distinction entre l’aspect et le mode d’action a été<br />
apportée par Ju. S. Maslov et A. V. Bondarko.<br />
Même si nous acceptons l’idée de Marguerite Guiraud-Weber, qui pense<br />
qu’aujourd’hui le concept de mode d’action n’est plus nécessaire pour l’étude des<br />
langues slaves [Guiraud-Weber 2004 : 85], ce concept reste, à notre avis,<br />
d’actualité pour les études des langues non slaves où règne encore une grande<br />
confusion entre les termes aspectologiques, par exemple entre les termes aspect,<br />
mode d’action, classes aspectuelles. Pour les études des langues non slaves, il<br />
est probablement plus commode de ne pas utiliser le terme mode d’action<br />
(modalité d’action, Aktionsart) mais plutôt aspect lexical. Nous opposerons donc<br />
l’aspect grammatical (qui désigne la grammaticalisation d’une différence<br />
34 Agrell S., Aspektänderung und Aktionsartbildung beim polnischen Zeitworte, Lund, Häkan<br />
Ohlssons Buchdruckerei, 1908. Cf. aussi un autre livre de S. Agrell – Przedrostki postaciowe<br />
czasowników polskich, Kraków, Nakadem Akademii Umiejtnoci, 1918 ; ou la synthèse en russe<br />
de ces deux livres dans [VGV 1962 : 35-38].<br />
57
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
sémantique) à l’aspect lexical (qui désigne la lexicalisation d’une différence<br />
sémantique).<br />
1.4.4. Télicité et bornage<br />
Un autre trait sémantique verbal, qui est étroitement relié à l’aspect et au mode<br />
d’action, est celui qui marque le bornage de l’action par une limite interne. Dans<br />
l’aspectologie russe, le terme limite interne ( – vnutrennij<br />
predel ; – predel’nost’) a été introduit par V. V. Vinogradov<br />
[Vinogradov 1947 / 1972]. Les verbes sont classés en deux groupes :<br />
1) Les verbes avec marque de bornage ( – predel’nye<br />
glagoly) qui désignent une action qui atteint une limite : <br />
(otkryt’ – « ouvrir, finir d’ouvrir»), (perepisat’ – « recopier, finir<br />
de recopier ») ;<br />
2) Les verbes sans marque de bornage ( –<br />
nepredel’nye glagoly) qui indiquent une action qui tend vers une limite mais<br />
ne l’atteint pas : (otkryvat’ – « ouvrir ; être en train d’ouvrir »),<br />
(perepisyvat’ – « recopier ; être en train de recopier »).<br />
La question du bornage s’introduit dans la linguistique française par le biais de la<br />
littérature anglo-saxonne et reste, pour l’instant, très peu étudiée dans le domaine<br />
francophone. Dans la terminologie, nous suivrons la tendance prédominante qui<br />
consiste à employer, pour les termes limite interne, verbe borné / verbe non-<br />
borné, plutôt les dénominations télicité, verbe télique / verbe non-télique (atélique),<br />
venues de l’article de Howard B. Garey Verbal aspect in French [Garey 1957]. Ce<br />
choix s’impose d’autant plus qu’il existe une autre tendance : celle de dissocier les<br />
notions de bornage et de télicité 35 .<br />
35 Cf. par exemple les travaux de I. Depraetere : (1995a), On the necessity of distinguishing<br />
between (un)boundedness and (a)telicity, in Linguistics and Philosophy 18, pp. 1-19; (1995b), The<br />
effect of temporal adverbials on (a)telicity and (un)boundedness, in Bertinetto P. M. Et al. (eds),<br />
Temporal Reference, Aspect and Actionality, Turin, Rosenberg and Sellier, pp. 43-54. Cf.<br />
également [Kozlowska 1998 b].<br />
58
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Pour les chercheurs qui distinguent la télicité et le bornage, la télicité évoque<br />
l’actualisation potentielle de la situation (the potential actualisation of a situation)<br />
tandis que le bornage représente la réalisation actuelle de la situation (the actual<br />
realization of a situation). La télicité se place au niveau sémantique, intrinsèque du<br />
verbe, par contre le bornage est une propriété extrinsèque (syntaxique – N.B.)<br />
[Kozlowska 1998 b : 222]. Cf. les exemples, présentés par Monika Kozlowska<br />
[Ibid. : 222] :<br />
(61) Max a couru le 400 mètres.<br />
(62) Max est en train de courir le 400 mètres.<br />
La situation courir le 400 mètres est télique, mais en (61) elle est bornée et en (62)<br />
non-bornée.<br />
La télicité représente, d’une part, diverses combinaisons avec l’imperfectivité / la<br />
perfectivité (63) et, d’autre part, avec le bornage (64), cf. les exemples de<br />
Kozlowska [Kozlowska 1998 a : 113 ; 1998 b : 223] :<br />
(63) i. Pierre arrivait (verbe télique / temps imperfectif).<br />
ii. Pierre est arrivé (verbe télique / temps perfectif).<br />
iii. Pierre jouait (verbe non télique / temps imperfectif).<br />
iiii. Pierre a joué (verbe non télique / temps perfectif).<br />
(64) i. Sheila s’est évanouie (borné télique).<br />
ii. Sheila a vécu à Londres avant (borné non télique).<br />
iii. Elle est en train de tricoter un pull (non borné télique).<br />
iiii. Elle habite au coin de Russell Square (non borné non télique).<br />
En outre, certains énoncés, comme le suivant, peuvent avoir une double<br />
interprétation :<br />
(65) Jean a taillé une haie.<br />
Si nous considérons que Jean a taillé entièrement une haie, l’énoncé reçoit une<br />
lecture télique et bornée. Mais nous pouvons aussi interpréter cet énoncé de la<br />
59
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
manière suivante : Jean a taillé une haie à plusieurs reprises ou Jean n’a pas<br />
encore terminé de tailler une haie. Dans ce cas, l’énoncé est borné et non-télique<br />
[Kozlowska 1998 b : 223]. Remarquons ici que, à notre avis, il serait utile de<br />
distinguer, d’une part, les verbes téliques / non-téliques (niveau lexico-<br />
grammatical) et, d’autre part, les situations téliques / non-téliques (niveau<br />
sémantique). Le verbe tailler (une haie) est non-télique, tandis que la situation qui<br />
contient le même verbe peut être télique ou non-télique.<br />
Une autre différence entre la télicité et le bornage, remarque M. Kozlowska [Ibid. :<br />
224-225], concerne les bornes, lesquelles peuvent être de deux types : à gauche<br />
et à droite. La borne gauche porte sur le début du procès, la borne droite implique<br />
la fin du procès. La télicité ne peut impliquer que la borne droite, tandis que le<br />
bornage peut se manifester à gauche (66), à droite (67) ou à la fois à gauche et à<br />
droite (68) :<br />
(66) Soudain, Max s’est senti ivre.<br />
(67) Max a apprécié la présence de Jean jusqu’à ce qu’il lui dise qu’il n’aimait<br />
pas les universitaires.<br />
(68) Max a travaillé dans le jardin de 14 heures à 16 heures.<br />
Nous nous sommes attardée à la question du bornage parce que certains<br />
chercheurs, notamment Monika Kozlowska, considèrent que ce concept est<br />
pertinent pour l’étude des relations chronologiques entre les événements. Or ce<br />
n’est pas notre point de vue. Tout d’abord, il nous semble que le bornage, dans sa<br />
conception, est une notion mal définie, qui réunit dans un même concept des<br />
éléments de niveaux linguistiques différents : la télicité d’une part et des<br />
adverbiaux d’autre part. Par conséquent, le concept de bornage nous paraît vain<br />
et coûteux, du moins pour l’étude des relations chronologiques, car, à notre avis,<br />
le seul phénomène aspectologique, capable d’influencer l’ordre des événements,<br />
est l’aspect (l’opposition « imperfectivité / perfectivité », en russe comme en<br />
français). En même temps, soulignons que nous plaçons la télicité au niveau<br />
lexico-grammatical et non au niveau sémantique, considérant, comme le fait<br />
Bondarko [Bondarko 1996 : 121-138], que la télicité est étroitement liée à<br />
l’opposition aspectuelle « imperfectivité / perfectivité ».<br />
60
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
1.4.5. Classes sémantiques des verbes<br />
On distingue fondamentalement deux classes (types) sémantiques des verbes :<br />
dynamiques ( (bežat)’ – « courir » ; () (razbit’sja) –<br />
« (se)briser ») et statiques ( (stojat’) – « être debout » ;<br />
(sootvetstvovat’) – « correspondre, concorder »).<br />
Cette classification peut être approfondie. Ainsi, Zeno Vendler a proposé, dans<br />
son travail devenu classique [Vendler 1967], de discerner quatre types 36 de<br />
verbes dont chacun correspond à un mode d’action et possède des propriétés<br />
syntaxiques et sémantiques particulières :<br />
a) Les verbes d’état (states) n’admettent pas le progressif – aimer, désirer,<br />
savoir ;<br />
b) Les verbes d’activité (activities) admettent le progressif et peuvent, en plus,<br />
être accompagnés, comme ceux du type (a), d’une indication de durée (de<br />
tel moment à tel moment) – nager, marcher, courir ;<br />
c) Les verbes d’achèvement (achievements) désignent un procès instantané<br />
et ne peuvent donc être complétés par une quelconque indication de<br />
durée – partir, mourir, perdre ;<br />
d) Les verbes d’accomplissement (accomplishments) indiquent un procès<br />
ayant une durée, comme (b), mais, à la différence de (b), le procès de (d)<br />
n’est pas homogène – courir le 400 mètres, peindre un tableau, construire<br />
une maison.<br />
L’homogénéité signifie que chaque partie du procès est la même que le procès lui-<br />
même. En revanche, on parle de procès non-homogène si ses parties ne sont pas<br />
identiques. Comparons deux énoncés :<br />
36 Certains linguistes proposent le terme « classes aspectuelles » [Kozlowska 1998 a],<br />
dénomination avec laquelle nous ne sommes pas d’accord, car lorsqu’on dresse une pareille<br />
typologie, il s’agit plutôt des propriétés lexico-sémantiques et non grammaticales de l’aspect. Nous<br />
réservons le terme « classes aspectuelles » aux groupements de verbes selon leurs propriétés<br />
aspectuelles, comme le fait M. Guiraud-Weber, qui distingue trois classes aspectuelles du verbe<br />
russe : 1) les verbes de couple ; 2) les verbes imperfectifs hors couple ; 3) les verbes perfectifs<br />
hors couple [Guiraud-Weber 2004 : 32-33].<br />
61
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
(69) Wilson Kipketer 37 a couru.<br />
(70) Wilson Kipketer a couru le 800 mètres.<br />
Le procès du (69) se déroule de façon homogène : si Wilson Kipketer a couru<br />
pendant une heure, il a couru pendant tout instant de cette heure, dans le premier<br />
quart d’heure comme dans le dernier quart d’heure. Le procès de courir est donc<br />
constitué de phases successives. Par contre, le procès en (70) ne se déroule pas<br />
de façon homogène : si Wilson Kipketer a mis une minute et quarante-et-une<br />
secondes pour courir le 800 mètres, cela veut dire que pendant, par exemple, les<br />
trente premières secondes il n’a pas couru 800 mètres, mais qu’il a couru vers la<br />
ligne d’arrivée qui marque la distance des 800 mètres. On compare souvent les<br />
procès homogènes aux noms massifs (« beurre », « vin », « essence ») et les<br />
procès non-homogènes aux noms comptables (« chien », « pomme », « table ») :<br />
« un morceau de beurre est du beurre, mais une patte de chien n’est pas un<br />
chien » [Ducrot 1995 / 2005 f : 693].<br />
Par ailleurs, on peut remarquer que les quatre types des verbes de Vendler se<br />
résorbent en deux branches :<br />
1) les verbes d’état et d’activité sont caractérisés comme :<br />
i) vrais dans tous les sous-intervalles,<br />
ii) non-téliques,<br />
iii) homogènes.<br />
2) les verbes d’accomplissement et d’achèvement :<br />
i) ne sont pas vrais dans tous les sous-intervalles,<br />
ii) sont téliques,<br />
iii) ne sont pas homogènes.<br />
Plusieurs linguistes se sont proposé d’apporter des modifications à la classification<br />
de Vendler. L’une des tentatives les plus intéressantes, de notre point de vue, est<br />
37 Wilson Kipketer est l’athlète qui détient le record du monde de 800 mètres – 1.41.11.<br />
62
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
celle d’Alexander P. D. Mourelatos [Mourelatos 1981] 38 , d’après lequel il y aurait<br />
trois principaux types de prédication verbale : événements (Events), procès<br />
(Processes) et états (States). Mourelatos range les accomplissements et les<br />
achèvements dans la même catégorie : événements.<br />
La tradition aspectologique russe se rapproche beaucoup de la classification de<br />
Mourelatos, distinguant trois classes sémantiques de verbes : procès<br />
( – processy), états ( – sostojanija), événements<br />
( – sobytija) [Zaliznjak, Šmelëv 2000 : 35-36]. Dans notre travail, nous<br />
préférons remplacer le dernier terme de cette trichotomie – événement – par le<br />
mot fait, pour éviter la confusion terminologique entre « événement » comme<br />
classe sémantique et « événement » réel ou langagier que tout verbe décrit. Ainsi,<br />
nous opposons les faits, les procès et les états. D’autres chercheurs font de<br />
même : cf. par exemple [Akimova, Kozinceva 1987].<br />
Les verbes d’état n’impliquent aucun changement, aucune progression :<br />
(sušestvovat’ – « exister »), (ležat’ – « être<br />
allongé »), etc.<br />
Les verbes de procès indiquent un changement de situation et impliquent une<br />
progression. Cela signifie que l’action verbale débouche sur une situation<br />
différente de celle qui l’a précédée et peut être présentée comme composée de<br />
phases différentes : (kipet’ – « bouillir »), <br />
(razgovarivat’ s drugom – « parler avec un ami »), (pisat’ roman –<br />
« écrire un roman »), etc.<br />
Les verbes désignant les faits indiquent un changement mais, à la différence des<br />
procès, les faits ne peuvent pas être saisis dans leur progression : <br />
(prijti – « arriver »), (poterjat’ – « perdre »), <br />
(promaxnut’sja – « rater sa cible »), etc.<br />
38 Cf. aussi les travaux de D. Dowty et de T. Parson : Dowty D. (1986), The effects of aspectual<br />
class on the temporal structure of discourse : semantics or pragmatics ?, in Linguistics and<br />
Philosophy 9, pp. 37-61; Parson T. (1990), Events in the Semantics of English, Cambridge (Mass.),<br />
MIT Press.<br />
63
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
Marguerite Guiraud-Weber propose une autre terminologie : verbes adynamiques,<br />
verbes dynamiques à effet progressif, verbes dynamiques à effet immédiat<br />
[Guiraud-Weber 2004 : 87-104]. Les classifications de Zaliznjak, Šmelëv et de<br />
Guiraud-Weber, comme les précédentes, concernent le fonctionnement des<br />
verbes et non seulement leur sens lexical, c’est pourquoi, en parlant des classes<br />
sémantiques, nous entendons en réalité situation verbale [Guiraud-Weber 2004 :<br />
86].<br />
Il n’y a pas d’unanimité sur les critères gouvernant la distribution des verbes<br />
russes en trois classes aspectuelles.<br />
Dans la classification d’Anna Zaliznjak et d’Alexej Šmelëv, les verbes perfectifs<br />
désignent toujours les faits, tandis que les imperfectifs peuvent potentiellement<br />
indiquer les trois types de situations [Zaliznjak, Šmelëv 2000 : 36]. Comparons la<br />
classification de Guiraud-Weber [Guiraud-Weber 2004 : 87-97] avec celle de<br />
Zaliznjak – Šmelëv [Zaliznjak, Šmelëv 2000 : 56-61], en faisant remarquer que,<br />
parfois (par exemple, dans le cas des verbes sémelfactifs), ces linguistes n’ont<br />
pas le même point de vue sur la formation du couple aspectuel :<br />
1) Les verbes adynamiques de Guiraud-Weber sont des imperfectifs hors<br />
couple qui correspondent aux verbes d’état (imperfectifs hors couple) et aux<br />
procès non-téliques (imperfectifs hors couple) de la classification de Zaliznjak–<br />
Šmelëv : (sušestvovat’ – « exister ») – verbe d’état ;<br />
(prinadležat’ – « appartenir ») – verbe d’état ; (ležat’ –<br />
« être allongé ») – verbe d’état ; (šumet’ – « faire du bruit ») – verbe de<br />
procès non-télique ; (kriat’ – « crier ») – verbe de procès non-télique ;<br />
etc. 39<br />
39 Pour Guiraud-Weber, les verbes hors couple ne sont pas uniquement les imperfectifs qui ne<br />
peuvent jamais avoir un correspondant perfectif, tels : (zaviset’ – « dépendre »),<br />
(vygljadet’ – « avoir l’air »), (iskat’ – « chercher »), etc., mais aussi les<br />
imperfectifs qui forment des couples occasionnels, dictés par le contexte : (kriat’ –<br />
« crier ») pourrait alterner avec (kriknut’ – « pousser un cri »), (zakriat’ –<br />
« se mettre à crier »), (prokriat’ – « dire en criant »). Selon Guiraud-Weber, les<br />
perfectifs sémelfactifs ne forment que les couples occasionnels : / ou encore<br />
(imperfectif ; maxat’ rukoj – « agiter la main ») / (perfectif ;<br />
maxnut’ rukoj – « agiter la main une fois ») [Guiraud-Weber 2004 : 30]. Pour Zaliznjak et Šmelëv,<br />
les couples avec le perfectif sémelfactif sont réguliers [Zaliznjak, Šmelëv 2000 : 70].<br />
64
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
2) Les verbes dynamiques à effet progressif de la classification de Guiraud-<br />
Weber sont représentés par des couples « perfectif / imperfectif ». L’imperfectif<br />
indique la progression de l’action vers sa limite naturelle et le perfectif dénote<br />
l’acquisition du changement. Souvent, l’imperfectif prend une valeur conative (qui<br />
exprime la tentative, l’effort pour atteindre le but), le perfectif représente alors le<br />
résultat acquis. Les verbes dynamiques à effet progressif perfectifs correspondent<br />
toujours aux faits, dans la classification de Zaliznjak et Šmelëv. En ce qui<br />
concerne les imperfectifs, ils concordent avec des procès non-téliques, des procès<br />
téliques, des états (qui mènent à un fait) : (utešat’ – « chercher à<br />
consoler » ; son perfectif est (utešit’ – « consoler »)) – procès télique ;<br />
(blednet’ – « pâlir » ; son perfectif est – poblednet’) /<br />
procès non-télique ; (umirat’ – « mourir » ; son perfectif –<br />
umeret’) – un état qui mène à un fait exprimé par le perfectif, etc.<br />
3) Les verbes dynamiques à effet immédiat de Guiraud-Weber sont les couples<br />
à paradigme fonctionnel défectif (le perfectif désigne le changement de situation,<br />
l’imperfectif indique obligatoirement la répétition, sans pouvoir exprimer la durée<br />
ou le développement de l’action) et les perfectifs hors couple. Les perfectifs des<br />
verbes dynamiques à effet immédiat correspondent aux faits, dans la classification<br />
de Zaliznjak et Šmelëv. Les imperfectifs des verbes dynamiques à effet immédiat<br />
sont égaux aux faits : (naxodit’ – « trouver » ; son perfectif est<br />
– najti) – indique un fait ; (prixodit’ – « arriver, venir » ; son<br />
perfectif est – prijti) – un fait, etc.<br />
Nous considérons que pour les besoins de notre travail, la distinction élémentaire,<br />
selon laquelle les verbes perfectifs désignent les faits et les verbes imperfectifs<br />
indiquent les procès et les états, s’avère suffisante.<br />
1.5. En guise de bilan : la référence des événements<br />
Suivant la logique de l’approche référentielle, nous considérons donc que les<br />
événements dans l’énoncé ont la capacité de renvoyer au temps réel et d’être<br />
ainsi situés sur la ligne métaphorique du temps. Mais comment les événements<br />
65
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
langagiers se placent-ils sur la ligne du temps, comment trouvent-ils leur<br />
référence ? En réponse à cette question, pratiquement tous les travaux de<br />
linguistique référentielle représentent la référence temporelle comme un calcul<br />
effectué sur la base de plusieurs éléments de l’énoncé : avant tout ce sont le<br />
moment de l’énonciation, les temps verbaux, les adverbiaux temporels.<br />
Néanmoins, comme le montrent plusieurs travaux référentiels, de la Grammaire<br />
de Port-Royal jusqu’à l’Ecole de Genève, en passant par Reichenbach, ces trois<br />
éléments ne suffisent pas toujours pour définir la référence d’un événement.<br />
Prenons un exemple :<br />
(71), (a), (b)<br />
, (c) (d) <br />
( // 1, 1990 ; Ruscorpora).<br />
No’ju, kogda vse usnuli, greeskie voiny vybralis’ iz konja, perebiliasovyx<br />
i otkryli vorota osaždavšim.<br />
(Pendant) nuit, – quand – tous – s’endormirent, – grecs – guerriers –<br />
sortirent – de – cheval, – tuèrent un par un - sentinelles – ouvrirent –<br />
portes – (à) assiégeants.<br />
= La nuit, quand tout le monde se fut endormi, les guerriers grecs sortirent<br />
du cheval, tuèrent les sentinelles et ouvrirent les portes aux assiégeants.<br />
Cet exemple élémentaire fait ressortir plusieurs choses. Premièrement, il montre<br />
que pour définir la référence temporelle des événements de l’énoncé, il faut les<br />
fixer sur la ligne du temps non seulement par rapport au moment de l’énonciation,<br />
mais aussi l’un par rapport à l’autre, car il est impossible de définir le temps de<br />
l’événement (c) – tuer les sentinelles sans prendre en considération le (b) – sortir<br />
du cheval et le (a) – s’endormir. Deuxièmement, cet énoncé dévoile l’insuffisance<br />
informationnelle des formes aspecto-temporelles et de l’adverbe temporel no’ju.<br />
Le seul renseignement incontestable que nous livrent les formes verbales du<br />
passé perfectif vybralis’, perebili, otkryli dans cet énoncé est le fait que les<br />
événements ont eu lieu dans le passé, sans donner plus de précisions sur la<br />
proximité ou l’éloignement de ce passé. La succession syntaxique des prédicats<br />
au passé perfectif ne signifie pas forcément une consécution temporelle des<br />
événements puisque le russe abonde en énoncés, comme les suivants, dans<br />
66
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
lesquels des formes successives du passé perfectif n’expriment pas les<br />
événements qui se produisent l’un après l’autre :<br />
(72),,<br />
[…] (, 31).<br />
No vdrug lico ego pomoršilos’, glaza podkatilis’, dyxanie ostanovilos’.<br />
Mais - soudain – visage – son – se crispa, – yeux – roulèrent, – souffle –<br />
s’arrêta.<br />
= Mais soudain son visage se crispa, ses yeux se levèrent vers le plafond,<br />
sa respiration s’arrêta.<br />
(73) <br />
( : 24).<br />
Sekretar’ smertel’no poblednel i uronil svitok na pol.<br />
Secrétaire – mortellement – pâlit – et – laissa tomber – rouleau – sur – sol.<br />
= Le secrétaire pâlit mortellement et laissa choir son rouleau de parchemin.<br />
L’adverbe no’ju, dans l’exemple (71), précise que les événements se sont<br />
déroulés la nuit. Cette information n’est pas suffisante pour définir l’ordre<br />
chronologique entre les événements. Si on ne décidait de l’ordre des événements<br />
qu’à partir de l’adverbe no’ju, les trois événements se référant à cet indice<br />
temporel, on devrait conclure à un ordre indéfini : les actions vybralis’, perebili,<br />
otkryli se déroulent pendant un laps de temps – la nuit – mais cet adverbe ne<br />
détermine pas la chronologie entre ces événements.<br />
D’autres informations sur les événements sont fournies par le contenu sémantique<br />
et le contexte. Si la mythologie grecque est plus ou moins familière au<br />
destinataire, le contenu sémantique de cet énoncé lui fera penser qu’il s’agit sans<br />
doute du célèbre épisode du cheval de Troie, qui aurait eu lieu pendant la<br />
légendaire guerre de Troie, racontée sous forme poétique dans l’Iliade d’Homère.<br />
Grâce à ces données encyclopédiques, le destinataire peut globalement situer<br />
tous les événements de cet énoncé au XIII e siecle av. J.-C. Et même si tout le<br />
monde ne se rappelle pas à quel moment s’est déroulée la guerre de Troie,<br />
pratiquement tout destinataire inférera, aidé par ses connaissances conceptuelles,<br />
67
Chapitre 1. La représentation des événements dans le langage<br />
la succession des événements vybralis’, perebili, otkryli, parce que le bon sens<br />
suggère que pour tuer les sentinelles, il faut d’abord sortir du cheval, et que pour<br />
ouvrir les portes en cachette, il faut qu’il n’y ait pas de sentinelles.<br />
On voit donc que généralement un événement ne reçoit pas une référence du seul<br />
fait qu’il est exprimé par un temps verbal, ce dernier étant, somme toute, une<br />
indication temporelle assez vague, et que les adverbiaux temporels et autres<br />
marqueurs lexicaux ne suffisent pas non plus à eux seuls à fixer l’événement dans<br />
le temps. La chronologie entre les événements constitue un axe intéressant dans<br />
l’étude de la référence temporelle. Dans les chapitres suivants de notre travail,<br />
nous développons l’idée d’interaction entre plusieurs éléments, linguistiques et<br />
pragmatiques, dans le calcul de la chronologie des événements.<br />
68
CHAPITRE 2.<br />
APPRÉH<strong>EN</strong>DER LE TEMPS PAR LES RELATIONS EXISTANT<br />
<strong>EN</strong>TRE LES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS<br />
2.1. Le modèle logique des temps verbaux de Hans Reichenbach<br />
Comme nous l’avons vu, la première borne du repérage temporel linguistique est<br />
constituée autour du moment de l’énonciation. Pourtant, ce seul repère ne suffit<br />
pas pour expliquer le fonctionnement des temps verbaux. En 1660, dans la<br />
Grammaire générale et raisonnée, dite Grammaire de Port-Royal [Arnauld,<br />
Lancelot 1660 / 1997], apparaît l’idée que le temps verbal exprime un rapport<br />
entre deux coordonnées : le moment de l’énonciation et le moment de<br />
l’événement. En 1767, Nicolas Beauzée ajoute une troisième coordonnée : « un<br />
moment d’où l’événement est considéré » [Beauzée 1767 / 1974] 40 . Ces trois<br />
points de repérage trouveront une expression plus rigoureuse et une<br />
reconnaissance du plus large public dans le travail du philosophe et logicien<br />
allemand Hans Reichenbach Elements of symbolic logic (1947 / 1960).<br />
2.1.1. Présentation de la théorie de Reichenbach<br />
Du volumineux Elements of symbolic logic, on ne retient généralement qu’une<br />
douzaine de pages [Reichenbach 1947 / 1960 : 287-298], mais ces quelques<br />
pages-là suffisent pour révolutionner les études de la sémantique des temps<br />
verbaux. Ci-dessous, nous reproduisons la classification des temps verbaux chez<br />
Reichenbach, en y ajoutant les équivalents traditionnels en anglais et en français,<br />
ces derniers étant empruntés à L. de Saussure [Saussure 1998 a : 33].<br />
40 Carl Vetters était probablement le premier à signaler la parenté entre les systèmes de<br />
N.Beauzée et de H. Reichenbach [Vetters 1996]. Nous ne nous attardons pas sur ses études des<br />
temps verbaux entreprises dans la Grammaire de Port-Royal ni dans celle de Nicolas Beauzée, le<br />
lecteur intéressé trouvera plus de détails concernant ses deux théories dans l’ouvrage mentionné<br />
de C. Vetters ou dans [Saussure 1998 : 19-44 ; 2003 : 46-49].<br />
69
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Structure<br />
Temps<br />
(chez<br />
Reichenbach)<br />
E–R–S Anterior past<br />
E,R–S Simple past<br />
R–E–S<br />
ou R–S,E<br />
ou R–S–E<br />
4. SEMANTIQUE DES TEMPS VERBAUX<br />
Noms traditionnels<br />
Past perfect (en anglais), Plus-que-<br />
parfait (en français)<br />
Simple past (en anglais), Passé<br />
simple (en français)<br />
Posterior past Mode conditionnel<br />
E–S,R Anterior present<br />
S,R,E Simple present<br />
S,R–E Posterior present<br />
S–E–R<br />
ou S,E–R<br />
ou E–S–R<br />
Anterior future<br />
S–R,E Simple future<br />
Present perfect (en anglais), Passé<br />
composé (en français)<br />
Present (en anglais) Présent (en<br />
français)<br />
Simple future (en anglais), Futur<br />
proche (en français)<br />
Future perfect (en anglais), Futur antérieur<br />
(en français)<br />
Simple future (en anglais), Futur simple (en<br />
français)<br />
S–R–E Posterior future Equivalent de abiturus ero en latin<br />
Dans la conception de Reichenbach, chaque temps verbal exprimerait une<br />
combinaison de relations envers le moment de la parole S (point of speech), le<br />
moment de l’événement E (point of the event) et le moment de référence R (point<br />
of reference), ce dernier correspondant au repère proposé par N. Beauzée.<br />
70
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Ainsi, chaque temps verbal est noté à l’aide d’une formule composée de trois<br />
lettres S / R / E ; le tiret (–) marque l’antériorité du terme gauche, et de la virgule<br />
(,) indique la simultanéité. Par exemple, la formule du passé simple est la<br />
suivante : E,R–S. La virgule entre E et R signifie que le moment de l’événement E<br />
et le moment de référence R sont simultanés, le tiret à gauche de S montre que<br />
les termes de gauche sont antérieurs au moment de la parole S, donc le moment<br />
de référence R et le moment de l’événement E sont antérieurs au moment de la<br />
parole S. En positionnant les points S / E / R sur la ligne du temps, Reichenbach<br />
dresse un tableau logique des temps verbaux. Les mots past, present et future<br />
indiquent la relation entre R et S ; anterior, simple et posterior désignent la relation<br />
entre E et R, l’adjectif simple signifiant la simultanéité de R et de E. Dans la<br />
conception de Reichenbach le point R peut être donné par rapport à un autre<br />
événement (74) ou par rapport à un autre élément de contexte (75) [Reichenbach<br />
1947 / 1960 : 288-289] :<br />
(74) Peter had gone.<br />
= Peter était parti.<br />
(75) In 1678 the whole face of things had changed…eighteen years of<br />
misgovernment had made the...majority desirous to obtain security<br />
for their liberties at any risk.<br />
= En 1678, les choses avaient complètement changé... dix-huit ans de<br />
mauvais gouvernement avaient poussé la majorité à désirer l’obtention de<br />
la sécurité pour leurs libertés, à quelque risque que ce fût 41 .<br />
En (74), l’événement qui sert de point R pour Peter had gone est absent chez<br />
Reichenbach, mais nous pouvons le présupposer, puisque past perfect (plus-que-<br />
parfait) désigne une action antérieure à une autre action.<br />
A propos de (75), Reichenbach se contente de dire tout simplement que le point<br />
de référence est l’année 1678. Nous pouvons présumer que dans le cas où le<br />
point R n’est pas un autre événement, c’est alors un indicateur temporel lexical (le<br />
plus souvent, un adverbe de temps).<br />
41 La traduction est empruntée à L. de Saussure [Saussure 1998 : 37].<br />
71
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Selon Reichenbach lui-même, son tableau des temps verbaux doit être considéré<br />
comme idéal, puisque, dans la représentation de la langue, une formalisation<br />
mathématique ne peut avoir qu’une dimension approximative [Reichenbach 1947 /<br />
1960 : 298]. Par cette remarque, « Reichenbach admet implicitement qu’outre les<br />
coordonnées E / R / S, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte pour le<br />
repérage des temps verbaux » [Saussure 1998 a : 33]. Comme le constate<br />
Reichenbach, certaines combinaisons sont virtuellement équivalentes : les<br />
combinaisons [E–S–R], [S–E–R] et [S,E–R] décrivent toutes le futur antérieur, et<br />
[R–S–E], [R–S,E] et [R–E–S] correspondent toutes au conditionnel [Reichenbach<br />
1947 / 1960 : 297]. Est-ce que cela signifie que plusieurs futurs antérieurs et<br />
conditionnels avec une sémantique différente sont possibles ? Ou que ces temps<br />
sont sous-déterminés sémantiquement par comparaison aux autres temps ?<br />
Reichenbach n’éclaircit pas davantage ce problème.<br />
Certains temps verbaux, notamment l’imparfait, n’apparaît pas dans cette<br />
classification de Reichenbach. Cependant, Reichenbach en parle hors de son<br />
tableau. L’imparfait fait partie des temps qui contiennent une dimension de durée<br />
de l’action (ou de répétition), Reichenbach les appellent les temps étendus<br />
(extended tenses). Les temps étendus sont caractérisés par l’extension du point<br />
E. Ainsi, l’imparfait reçoit la même description formelle que le passé simple, à<br />
savoir [E,R–S], mais avec une précision sur l’extension de E.<br />
La théorie de Reichenbach donne les règles, premièrement, du repérage des<br />
temps verbaux sur la ligne du temps et, deuxièmement, de l’ordre temporel (time<br />
order), c’est-à-dire, de l’organisation des événements entre eux sur la ligne<br />
métaphorique du temps.<br />
Alors, pour repérer un temps verbal, il faut d’abord fixer le point S (le moment de<br />
l’énonciation), qui est la seule coordonnée directement disponible. A partir de S,<br />
on positionne le point de référence R, en s’appuyant sur un autre événement ou<br />
une indication temporelle. Enfin, à partir de R, on établit le point d’événement E. A<br />
cet algorithme, ajoutons une dernière opération, implicite chez Reichenbach :<br />
statuer sur l’étendue de E.<br />
72
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
En ce qui concerne les règles de l’ordre temporel, qui doivent régir d’une part la<br />
concordance des temps entre la principale et la subordonnée, et d’autre part<br />
l’organisation temporelle entre plusieurs énoncés, Reichenbach en donne deux.<br />
1) La première est la règle de la permanence du point de référence<br />
(permanence of the reference point). Cette règle s’exprime de la manière<br />
suivante : bien que les événements auxquels réfèrent les différentes parties de la<br />
phrase puissent se situer à des moments différents, le point de référence doit être<br />
le même pour le repérage de tous ces événements [Reichenbach 1947 / 1960 :<br />
293]. L’exemple que prend Reichenbach est le suivant :<br />
(76) (a) I had mailed the letter (b) when John came and (c) told me the<br />
news.<br />
= (a’) J’avais envoyé la lettre (b’) lorsque John arriva et (c’) me raconta les<br />
nouvelles.<br />
Pour (76), les points R des différentes proposition (a, b, c et a’, b’, c’) resteraient<br />
identiques. Cette première règle de Reichenbach pose immédiatement un<br />
problème, car pour que R soit identique entre (76 b) et (76 c), il faudrait que les<br />
deux événements se situent au même moment, la formule du simple past (passé<br />
simple) étant [E,R–S]. Autrement dit, les deux événements devraient être<br />
simultanés, ce qui n’est pas le cas. Le principe de permanence du point R est<br />
difficile à maintenir, lorsque deux événements (ou plus) se suivent au passé<br />
simple (passé perfectif).<br />
L. de Saussure modifie l’interprétation de la règle de permanence du point R,<br />
suivant dans sa réflexion Kamp et Roher [Kamp, Roher 1983]. Le past perfect<br />
(plus-que-parfait) et le premier simple past (passé simple) auraient le même point<br />
de référence. Le deuxième simple past (passé simple) (et éventuellement, un<br />
troisième, un quatrième, etc.) ne change(nt) pas le point R, il(s) l’incrémente(nt).<br />
2) La deuxième règle de Reichenbach est celle de l’usage positionnel du point<br />
de référence (positional use of the reference point) [Reichenbach 1947 / 1960 :<br />
294]. Cette règle dit que lorsque dans l’énoncé apparaît une indication temporelle<br />
explicite (now – maintenant, yesterday – hier, November 7, 1944 – le 7<br />
73
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
novembre 1944, etc.), l’énoncé réfère d’abord au moment désigné par cette<br />
indication, et ne réfère qu’incidemment à un événement situable par rapport à<br />
cette indication. Le point de référence R est donc fixé par cette indication<br />
temporelle explicite. Par exemple, dans l’énoncé « I met him yesterday – Je l’ai<br />
rencontré hier », le point de référence R, construit autour de l’adverbe de temps,<br />
et le point de l’événement E ne coïncident qu’occasionnellement ; tandis que dans<br />
l’énoncé « I had met him yesterday – Je l’avais rencontré hier », le point de<br />
référence R et le point de l’événement E ne coïncident pas, la rencontre pouvant<br />
avoir lieu avant-hier.<br />
2.1.2. Les pierres d’achoppement de la théorie de Reichenbach<br />
Tout en apportant une énorme contribution à la problématique de la sémantique<br />
des temps verbaux, la théorie de Reichenbach suscite toutefois quelques<br />
questions et remarques critiques qui portent essentiellement sur la nature du<br />
point R.<br />
Le linguiste anglais Bernard Comrie relève deux principaux défauts dans le<br />
système de Reichenbach [Comrie 1981]. D’un côté, la combinaison des points<br />
E / R / S ne suffit pas à définir les modes conditionnels et, de l’autre côté, les<br />
temps absolus n’ont pas besoin du point R pour être définis. Comrie propose alors<br />
d’ajouter un deuxième point R pour le conditionnel passé et de ne conserver le<br />
point R que pour les temps relatifs.<br />
En effet, les points E / R / S ne permettent pas de fixer le conditionnel passé avec<br />
exactitude. Comrie présente l’exemple suivant :<br />
(77) John left for the front ; by the time he returned, the fields would<br />
have been burnt to stubble.<br />
= John partit pour le front ; lorsqu’il reviendrait, les champs auraient été<br />
brûlés jusqu’au chaume.<br />
74
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Dans cet exemple, on voit bien que auraient été brûlés et reviendrait n’ont pas la<br />
même référence par rapport à partit. Pour y remédier, Comrie propose donc<br />
d’introduire un deuxième point de référence pour le conditionnel passé. Ainsi,<br />
auraient été brûlés exige un point R1 antérieur au reviendrait et un point R2<br />
postérieur au partit.<br />
Le problème subsiste également pour le conditionnel présent. L. de Saussure<br />
[Saussure 2003 a : 50] donne l’exemple suivant :<br />
(78) Jean partit pour le front. Il en reviendrait infirme.<br />
Dans cet exemple, le point R est fourni par le passé simple partit, le conditionnel<br />
reviendrait peut exprimer diverses relations entre les coordonnées E / R / S : Jean<br />
revient avant le moment de la parole [R–E–S], au moment de la parole [R–E,S] ou<br />
après le moment de la parole [R–S–E].<br />
Malgré cela, la proposition de Comrie d’établir un deuxième point R est<br />
contestable, comme le démontre bien L. de Saussure [Saussure 1998 a : 34-40].<br />
Si on pousse la logique de Comrie jusqu’au bout, il faudra tripler, quadrupler,<br />
quintupler… le point R, bref il faudra tout simplement autant de points de<br />
référence que d’événements dans l’énoncé. Cf. l’exemple fourni par L. de<br />
Saussure :<br />
(79) a) Jean partit pour le front. b) Lorsqu’il reviendrait, c) Julie aurait épousé<br />
Max, d) aurait eu deux marmots et e) aurait finalement déménagé pour un<br />
autre village.<br />
Il faudrait donc ici ajouter un troisième point R pour repérer la naissance des<br />
marmots de Julie et un quatrième pour le déménagement, car, si nous suivons<br />
l’argumentation de Comrie, nous devons être capable de montrer pourquoi (79 d)<br />
dénote un événement : 1) postérieur à partit ; 2) antérieur à reviendrait ;<br />
3) postérieur à aurait épousé.<br />
Un autre argument de L. de Saussure contre l’introduction d’un point de référence<br />
complémentaire est fondé sur une relation instable entre les points R2 et E dans le<br />
75
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
cas du conditionnel passé. Si en (79) la configuration est [R2–E], dans l’exemple<br />
(80), donné par Saussure, elle est inverse [E–R2], Jean étant relâché après la<br />
destruction de sa ferme et donc après la disparition de ses biens :<br />
(80) Les villageois firent Jean prisonnier, l’emmenèrent et incendièrent sa<br />
ferme. Jean contempla de loin ce spectacle désolant. Enfin, le feu<br />
s’éteignit. On le relâcha. Il rentrerait au village ruiné, tous ses biens<br />
auraient disparu. Les villageois étaient vengés.<br />
Remarquons aussi que même le passé composé peut recevoir plusieurs<br />
interprétations : [E,R–S] en (81), [E–S,R] en (82) ou même [E–R–S] en (83) (Cf.<br />
aussi [Saussure 2003 a : 235-236]) :<br />
(81) Le concierge a fermé la porte et a quitté les lieux.<br />
(82) Le concierge a fermé la porte (= La porte est fermée).<br />
(83) Le concierge a quitté les lieux et en plus il a fermé la porte.<br />
Quand Comrie propose de supprimer le point R pour les temps absolus, il touche<br />
à la nature même du point de référence. Pour Reichenbach, les trois points S / E /<br />
R sont toujours nécessaires au repérage des temps verbaux, même si certains<br />
d’entre eux ne se définissent qu’avec deux coordonnées. Tel est le cas, par<br />
exemple, du simple past en anglais, où le moment de l’événement E et le moment<br />
de référence R sont simultanés, les deux étant placés avant le moment de la<br />
parole S [Reichenbach 1947 / 1960: 289]. Le système reichenbachien à trois<br />
points permet d’expliquer la différence entre le simple past et le present perfect en<br />
anglais.<br />
Pour la description des temps verbaux, Saussure conserve le formalisme de<br />
Reichenbach, donc ses trois points : E / R / S. Néanmoins, Saussure est amené à<br />
amender et à augmenter le formalisme de Reichenbach en fonction d’observations<br />
plus détaillées des temps verbaux. En particulier, le point R n’intervient pas pour la<br />
description du passé composé, à cause de sa redondance avec le moment de<br />
l’énonciation. Saussure annule la pertinence de R lorsque R se confond avec S,<br />
mais il ne supprime pas R lorsqu’il se confond avec E. Lorsque R = E (comme<br />
76
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
dans le passé simple : [E,R-S], R n’est pas inutile ou redondant. Il permet<br />
l’attribution d’une référence temporelle au procès par comparaison avec un point<br />
abstrait, tout comme le point S n’a rien de redondant dans une égalité S = E au<br />
présent : [E,R,S]. En cela, R n’est pas un simple élément descriptif, qui permet de<br />
dresser une structuration d’un système des temps verbaux, mais une<br />
indispensable coordonnée de calcul qui doit être prise en considération dans le<br />
processus interprétatif, ce processus qui vise la découverte du sens.<br />
2.1.3. La théorie de Reichenbach et le verbe russe (La conception de<br />
E. V. Padueva)<br />
La notion de point de référence, proposée par H. Reichenbach, s’est révélée très<br />
fonctionnelle pour la description des formes verbales russes, notamment pour le<br />
passé imperfectif, comme le prouvent les travaux de E. V. Padueva [Padueva<br />
1996]. Il est intéressant de noter qu’une notion très proche du point de référence,<br />
celle de l’observateur ( – nabljudatél’), a été élaborée<br />
indépendamment de la théorie de Reichenbach par Ju. D. Apresjan [Apresjan<br />
1986]. Actuellement, la terminologie des slavisants assimile le plus souvent le<br />
point de référence au point d’observation ( – toka<br />
nabljudenija), c’est-à-dire le point d’où le locuteur observe l’événement<br />
[Glovinskaja 1982 ; Timberlake 1985 ; Kozinceva 1991]. On trouve d’ailleurs la<br />
même interprétation chez le linguiste français non slavisant, Oswald Ducrot, qui<br />
lui-aussi comprend le point R comme le moment « regardé » par le locuteur,<br />
comme celui auquel il prétend s’intéresser dans son discours [Ducrot 2005 / 1995<br />
f : 687].<br />
Dans sa description de la sémantique de l’aspect verbal russe, E. V. Padueva<br />
[Padueva 1996 : 9-23] utilise deux notions clés : le point de référence de<br />
Reichenbach ( – toka otsëta) et la distinction entre le plan de<br />
l’histoire et le plan du discours, introduite par Emile Benveniste dans son célèbre<br />
article Les relations de temps dans le verbe français [Benveniste 1966 : 235-250].<br />
77
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
La conception de Padueva prévoit une dichotomie du point de référence : point<br />
de référence synchronisé / point de référence rétrospectif ( /<br />
– sinxronnaja / retrospektivnaja toka<br />
otsëta). Cette distinction s’établit selon le rapport temporel entre l’observateur et<br />
l’événement : si l’événement est simultané à la position de l’observateur dans le<br />
temps, il s’agit du point de référence synchronisé ; si l’événement est antérieur à<br />
la position de l’observateur, il s’agit du point de référence rétrospectif. Les plans<br />
de l’histoire et du discours de Benveniste reçoivent respectivement, les noms de<br />
régime de narration ( – narrativnyj režim) et de régime de<br />
discours ( – reevoj režim). Dans le régime de narration, le texte<br />
ne se rapportant pas au moment de la parole, le point S n’aurait aucune utilité. En<br />
revanche, dans le régime de discours, le moment de la parole est indispensable<br />
pour localiser l’événement.<br />
D’après Padueva, le passé perfectif russe est toujours caractérisé par le point de<br />
référence rétrospectif [Padueva : 87]. Si on se réfère au tableau de Reichenbach,<br />
la formule du passé perfectif serait égale à celle du Simple past en anglais ou du<br />
passé simple en français : [E,R–S]. Remarquons tout de même que le passé<br />
perfectif pourvu d’une valeur de parfait possède un point de référence<br />
synchronisé, tout comme le passé composé en français : [E–S,R]. Quant au passé<br />
imperfectif, il est à même de changer le point de référence dans le contexte. Ainsi,<br />
l’exemple suivant peut être interprété de deux façons, avec un point de référence<br />
synchronisé ou un point de référence rétrospectif :<br />
(84)[…] ( : 12).<br />
My uilis’ v odnoj gimnazii.<br />
Nous – faisions études – dans – même – lycée.<br />
= Nous faisions (avons fait) les études au même lycée.<br />
On comprend le point de référence comme synchronisé si on interprète cet<br />
énoncé en régime de narration. Dans le régime de narration, l’événement uilis’<br />
est actuel pour l’observateur, c’est le présent de l’observateur. L’événement uilis’<br />
est donc compris comme simultané à la position de l’observateur. Le système de<br />
Reichenbach décrirait ce passé imperfectif de la même manière que le Past<br />
78
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
simple anglais ou passé simple français avec une remarque sur l’étendu<br />
(= l’imparfait) : [E,R–S] – Nous fîmes (faisions) les études au même lycée. Cette<br />
valeur de l’imperfectif est appelée valeur de durée actuelle (-<br />
– aktual’no-dlitél’noe znaenie).<br />
Le point de référence rétrospectif apparaît lorsque l’énoncé est réalisé en régime<br />
de discours. L’événement uilis’ n’est plus actuel au moment où le locuteur<br />
l’évoque, cet événement est antérieur à la position de l’observateur. On peut<br />
rajouter, dans cet énoncé, les adverbes du type - – kogda-to –<br />
« autrefois », – ran’še – « avant » :<br />
(84’) - ().<br />
Koda-to my uilis’ v odnoj gimnazii (a sejas ne uimsja).<br />
Autrefois – nous – étudiions – dans – seul – lycée – (et – maintenant – ne –<br />
étudions).<br />
= Nous avons fait nos études dans le même lycée.<br />
Dans ce cas, il s’agit de la valeur de fait général de l’imperfectif<br />
( – obšefaktieskoe znaenie). Dans le tableau<br />
de Reichenbach, ce passé imperfectif prendrait la formule identique au passé<br />
composé en français : [E–S,R].<br />
Ainsi, Padueva lie le point de référence synchronisé au régime de narration<br />
(valeur de durée actuelle de l’imperfectif) et le point de référence rétrospectif au<br />
régime de discours (valeur de fait général). Remarquons tout de même que le<br />
passé imperfectif, employé dans le régime de narration, peut également avoir un<br />
point de référence rétrospectif, si cet imperfectif désigne un procès antérieur à un<br />
autre procès :<br />
(84’’) […] <br />
– , […]. <br />
, <br />
( :12).<br />
79
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Ja s izumleniem uvidel pered soboj Grigorija von Ernena – eloveka,<br />
kotorogo ja znal s detskix let. My uilis’ v odnoj gimnazii, no posle etogo<br />
videlis’ redko.<br />
Je – avec – stupéfaction – vit- devant – moi – Grigory – von – Ernen –<br />
homme, – que – je – connaissais – depuis – enfantines – années. – Nous –<br />
étudiions – dans – seul – lycée, – mais – après – cela – voyions – rarement.<br />
= A mon grand étonnement, j’ai vu devant moi Grigory von Ernen, l’homme<br />
que je connaissais depuis l’enfance. Nous avions étudié dans le même<br />
lycée mais après cela nous nous étions rarement revus.<br />
La valeur de l’imperfectif uilis’ est toujours celle de fait général, mais elle est<br />
reportée dans le plan du passé. On peut l’identifier à l’Anterior past anglais ou au<br />
plus-que-parfait français [E–R–S] : Nous avions fait nos études dans le même<br />
lycée mais après cela nous nous étions rarement revus.<br />
Mis à part le régime d’interprétation, Padueva indique d’autres facteurs<br />
susceptibles de fixer le point de référence, tels les compléments de temps : <br />
– s desjati do dvenadcati – « de dix heures à douze<br />
heures », – dva raza – « deux fois », – ran’še – « avant », etc.<br />
(pour le point de référence rétrospectif) ; - – po-prežnemu –<br />
« comme avant », – vsë ešë –« toujours, encore », etc. (pour le point<br />
de référence synchronisé) [Padueva : 13-15].<br />
Aussi voyons-nous que la sémantique des temps verbaux ne peut pas reposer<br />
uniquement sur les relations entre E / R / S. Cette combinaison des points pour<br />
définir les temps verbaux, proposée par Reichenbach, s’avère être assez juste,<br />
bien qu’elliptique. Mais ne doit-elle pas être considérée seulement comme un<br />
premier pas vers une compréhension plus complexe des formes verbales ? La<br />
sémantique des temps verbaux est un phénomène plus subtil, relevant des<br />
domaines sémantiques et pragmatiques (telles que la signification du verbe, les<br />
relations de causalité ou encore le contexte). Et nous partageons l’avis des<br />
linguistes qui suggèrent d’envisager le problème également sous l’angle de l’ordre<br />
temporel, c’est-à-dire de l’organisation des événements entre eux, au lieu de<br />
chercher des combinaisons complexes de points de référence.<br />
80
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
2.2. L’approche sémantique (Théorie de la taxis)<br />
Comprendre comment les formes verbales dénotent un moment ou un intervalle<br />
sur la ligne métaphorique du temps est une partie de la question de la référence<br />
temporelle. Les formes verbales n’ont pas uniquement pour fonction de fixer un<br />
événement comme présent, passé ou futur par rapport au présent de<br />
l’énonciation, elles contribuent aussi à ordonner les événements entre eux. Ces<br />
deux questions, celle de la référence temporelle et celle de l’ordre temporel (de la<br />
taxis, dans la terminologie de Bondarko), sont très liées. L’ordre temporel, c’est-à-<br />
dire la détermination de l’ordre entre deux actions permet de calculer la référence<br />
temporelle de l’action en cours d’interprétation.<br />
L’idée d’étudier la référence temporelle sous l’angle de l’organisation des<br />
événements entre eux n’est pas nouvelle. Plusieurs recherches ont été menées<br />
dans ce domaine. La théorie de la taxis a été lancée par R. Jacobson dans les<br />
années cinquante dans son travail Shifters, verbal categories and the Russian<br />
verb. C’est une théorie sémantique qui s’est formée à partir de l’idée que dans<br />
plusieurs langues existent des catégories grammaticales spécifiques indiquant des<br />
liens chronologiques entre les événements dans l’énoncé.<br />
2.1.2. Origine de la théorie de la taxis<br />
En parlant des catégories grammaticales du verbe, Jakobson évoque celle de la<br />
taxis. Il dit : « Il n’existe pas de nom standardisé pour désigner cette catégorie ;<br />
des termes tels que « temps relatif » ne recouvrent qu’une de ses variétés. Le<br />
terme utilisé par Bloomfield (1946), ordre (ou encore [mieux] son modèle grec,<br />
taxis) semble le plus approprié. La taxis caractérise le procès de l’énoncé par<br />
rapport à un autre procès de l’énoncé et sans référence au procès de<br />
l’énonciation » [Jakobson 1994 : 183].<br />
Jakobson distingue deux types de taxis : la taxis dépendante et la taxis<br />
indépendante. Les formes de la taxis dépendante désignent un procès de l’énoncé<br />
concomitant à un autre procès de l’énoncé principal, tandis que les formes de la<br />
81
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
taxis indépendante expriment le temps d’un procès par rapport au procès de<br />
l’énonciation [Jakobson 1994 : 189]. Pour illustrer ses propos, Jakobson se réfère<br />
au gilyak (une langue génétiquement isolée des indigènes de Sakhaline et de la<br />
région du bas Amour) et au hopi (une langue des Indiens d’Amérique du Nord) :<br />
« Le gilyak distingue trois types de taxis indépendantes – l’un requiert, l’autre<br />
admet, et le troisième exclut une taxis dépendante, et la taxis dépendante exprime<br />
diverses relations avec le verbe indépendant – simultanéité, antériorité,<br />
interruption, connexion concessive, etc. » [Jakobson 1994 : 183].<br />
En ce qui concerne le russe, la forme typique pour exprimer la taxis dépendante<br />
est, d’après Jakobson, le gérondif ( – deepriastie).<br />
La caractéristique de la taxis selon Jakobson suscite quelques remarques.<br />
Premièrement, Jakobson se contredit en parlant des formes de taxis indépendante<br />
qui excluent une taxis dépendante car par définition la taxis est une relation entre<br />
deux formes corrélatives. Il est d'autant plus difficile de comprendre ce que voulait<br />
dire Jakobson qu'il n'a donné aucun exemple en gilyak pour appuyer ses propos.<br />
Ensuite, le sens du concept de taxis n'est pas très clair car les formes de taxis<br />
dépendante peuvent exprimer diverses relations par rapport aux formes de taxis<br />
indépendante: simultanéité, antériorité, interruption, concession, cause, etc. Il<br />
s'agit donc de valeurs qu'on ne regroupe pas d'habitude dans le cadre de la même<br />
catégorie.<br />
Aujourd’hui, on peut distinguer deux approches de la taxis : étroite et large.<br />
La première approche, dite étroite, remonte à la tradition européenne où la taxis<br />
est appelée temps relatif. Il y a eu d’autres dénominations telles que : sécution<br />
chez Tesnière [Tesnière 1965], rapport temporel (Zeitbezug) chez Koschmieder<br />
[Koschmieder 1996] 42 .<br />
42 Rappelons que les temps relatifs constituent un ensemble de formes verbales qui expriment le<br />
temps d’une action par rapport à une autre action (habituellement, on parle de la simultanéité ou<br />
de l’antériorité de l’action exprimée par un temps relatif par rapport à l’action désignée par un<br />
temps absolu.). Les temps relatifs sont opposés aux temps absolus qui désignent le temps par<br />
rapport au moment de l’énoncé. Les formes de temps absolu et relatif varient d’une langue à<br />
l’autre, et souvent les linguistes n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le statut de telle ou telle<br />
forme. Comme exemple de temps absolu en français, on peut citer le présent, le passé simple, le<br />
futur simple, tandis que le plus-que-parfait ou le futur dans le passé sont des temps relatifs.<br />
82
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Ce point de vue est soutenu par Igor Mel’uk dans le deuxième volume de son<br />
Cours de morphologie générale. Bien que connaissant parfaitement la théorie de<br />
Jakobson, Mel’uk préfère le terme temps relatif. Il écrit notamment :<br />
« R. Jakobson a proposé un terme commode pour désigner la catégorie de temps<br />
relatif : la taxis. Cependant, étant donné son emploi trop restreint, nous nous<br />
sommes abstenu de l’introduire dans notre exposé » [Mel’uk 1994 : 57].<br />
L’approche dite large de la taxis rassemble les linguistes qui considèrent toutes<br />
les formes verbales impersonnelles comme taxiques, indépendamment de leurs<br />
sémantique. Parmi ces linguistes, on peut citer Vladimir Nedjalkov, cf. [Nedjalkov,<br />
Otaina 1987].<br />
2.2.2. La taxis dans la conception de A. V. Bondarko<br />
La théorie de la taxis la plus connue, la plus répandue et la plus suivie est celle<br />
d’Alexandr Bondarko qui prend une position intermédiaire entre les approches<br />
large et étroite du terme. Pour Bondarko, les valeurs principales de la taxis sont<br />
celles de la simultanéité, de l’antériorité et de la postériorité, mais ces valeurs sont<br />
souvent représentées en corrélation avec des valeurs de cause, de condition, de<br />
but, de concession, de conséquence et des éléments de modalité et de<br />
caractérisation [Bondarko 1987 : 235]. Par exemple, dans l’énoncé :<br />
(85),,.<br />
Osoznav vsë, to proizošlo, on izmenil svoë rešenie.<br />
Ayant compris – tout – quoi – se passa, – il – changea – sa – décision.<br />
= Ayant pris conscience de tout ce qui s’était passé, il changea d’avis.<br />
le prédicat secondaire exprime non seulement l'antériorité par rapport au prédicat<br />
principal, mais aussi la cause.<br />
Dans l’énoncé suivant, on distingue simultanément les valeurs de concomitance et<br />
de condition.<br />
83
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
(86),.<br />
Pol’zujas’ etoj metodikoj, vy ne rešite ni odnoj zadai.<br />
En employant – cette – méthode, – vous – ne – résoudrez – ni – un –<br />
problème mathématique.<br />
= En employant cette méthode, vous ne résoudrez aucun problème.<br />
Très souvent, en russe, les énoncés avec le gérondif expriment les relations de<br />
caractérisation 43 . Dans ce cas, on constate que le prédicat principal désigne une<br />
action générale et le prédicat secondaire – une caractéristique complémentaire de<br />
l’action principale, par exemple :<br />
(87) , - <br />
(. ; exemple de [Bondarko 1987 : 235]).<br />
Ona razvlekala nas, dovol’no-taki zlo podšuivaja nad raznymi damami.<br />
Elle – distrayait – nous, – assez – méchamment – en se moquant – de –<br />
différentes – dames.<br />
= Elle nous amusait en se moquant assez méchamment de différentes<br />
dames.<br />
Ou, au contraire, le gérondif peut désigner un événement réel tandis que le<br />
prédicat principal donne une appréciation de cet événement :<br />
(88),.<br />
Katia soveršila ošibku, uexav iz goroda.<br />
Katia – commit – erreur, – étant partie – de – ville.<br />
= Katia fit une erreur en quittant la ville.<br />
Selon Bondarko, « la taxis pure », libérée de tous les éléments qui dépassent les<br />
relations chronologiques propres, serait une abstraction, éloignée de l’ontologie<br />
linguistique [Bondarko 1987 : 236].<br />
D'autre part, il est parfois difficile d'établir un lien chronologique entre les actions.<br />
Bondarko donne l’exemple suivant :<br />
43 Les relations entre le prédicat principal et le gérondif sont détaillées dans le Chapitre 3 de notre<br />
travail.<br />
84
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
(89),<br />
, <br />
(Exemple de<br />
Bondarko tiré d’une œuvre de V. Belov [Bondarko 1987 : 235]).<br />
Za dve nedeli na polmetra vymaxajut iz vody xvoši, solnce do dna prokolet<br />
luami ozërnuju vodu, a lesnoj greben’ celymi dnjami budet proësyvat’<br />
sinjuju nebesnuju lysinu.<br />
En – deux – semaines – de – demi-mètre – émergeront – de – eau – tiges,<br />
– soleil – jusqu’à – fond – transpercera – (avec) rayons – (de) lac – eau, –<br />
et – forestière – crête – (pendant) entières – journées – sera – peigner –<br />
bleue – céleste – calvitie.<br />
= En deux semaines, des tiges émergeront de l’eau de cinquante<br />
centimètres, les rayons du soleil transparaîtront jusqu’au fond de l’eau du<br />
lac et les cimes des arbres de la forêt peigneront des journées entières la<br />
calvitie bleue du ciel.<br />
Dans cet exemple, l’important est que toutes les actions se déroulent sur le même<br />
plan chronologique (futur), les valeurs de simultanéité, d’antériorité ou de<br />
postériorité ne sont pas actualisées, on peut changer les places des prédicats<br />
sans que cela modifie le sens de la phrase [Bondarko 1987 : 237].<br />
Ainsi, pour Bondarko, la sémantique de la taxis représente les relations<br />
temporelles entre les actions dans le cadre du même plan chronologique. La<br />
notion d’unité du plan chronologique des actions (edinyj period dejstvija (<br />
)) – correspond approximativement au point E dans la<br />
terminologie de Reichenbach, autrement dit les procès doivent avoir les points E<br />
placés de la même façon par rapport au point S. Ces relations temporelles sont<br />
toujours en corrélation avec des valeurs aspectuelles de l'énoncé. La sémantique<br />
de la taxis peut être réalisée de la manière suivante :<br />
85
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
a) relations de simultanéité / non-simultanéité (antériorité / postériorité) ;<br />
b) emploi des actions sur le même plan temporel sans actualisation des<br />
valeurs de simultanéité / non-simultanéité ;<br />
c) lien des actions dans le temps en corrélation avec les valeurs de causalité<br />
(condition, concession, cause, conséquence, but, etc.), des éléments de<br />
modalité et de caractérisation [Bondarko 1987: 237].<br />
L'interprétation de la taxis dépendante et indépendante chez Bondarko est aussi<br />
spécifique, différente de celle de Jakobson (ce dernier, d’ailleurs, rappelons-le, n'a<br />
pas été assez clair dans ses propos à ce sujet). Si chez Jakobson, la taxis est<br />
toujours représentée dans le texte par deux formes: une forme de taxis<br />
dépendante et une forme de taxis indépendante, – chez Bondarko, la taxis<br />
dépendante désigne la relation temporelle entre deux actions dont l'une est<br />
principale et l'autre est secondaire (concomitante). La taxis indépendante sous-<br />
entend les relations temporelles entre des actions d’importance égale,<br />
grammaticalement indépendantes les unes des autres. Des nuances d'inégalité<br />
sont possibles, mais elles ne doivent pas avoir d'expression formelle ni constituer<br />
la valeur grammaticale de telle ou telle forme ou construction [Bondarko 1987:<br />
239].<br />
Dans le russe, Bondarko a établi la hiérarchie suivante des composants de la taxis<br />
dépendante:<br />
i) L'élément central de la taxis dépendante est formée par les gérondifs<br />
perfectifs et imperfectifs :<br />
(90) , <br />
(, I : 115).<br />
Poklonivšis, ekspert vyšel strojnym, nezavisimym šagom.<br />
S’étant incliné, – expert – sortit – (de) pas – svelte – indépendant.<br />
= Ayant salué, l’expert sortit d’un pas alerte et dégagé.<br />
86
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
(91) , ,<br />
, (, I :<br />
31).<br />
On postojal pered portretom, izuaja usatoe i brovastoe, serditoe lico,<br />
kepku i ërnye oki nad kozyr’kom.<br />
Il – resta debout un moment – devant – portrait, – en étudiant –<br />
moustachu – et – sourcilleux, – mécontent – visage – casquette – et –<br />
noires – lunettes – au-dessus de – visière.<br />
= Il s’attarda un moment devant le portrait, étudiant le visage contrarié,<br />
moustachu, avec des sourcils fournis, la casquette et les lunettes noires<br />
perchées sur la visière.<br />
ii) Les constructions participiales :<br />
(92) […] , , <br />
( : 99).<br />
Potapov, vstretivšij ix na poroge, opjat’ zagovoril o pel’menjax.<br />
Potapov, – rencontrant – les – sur – seuil, – de nouveau – parla – de –<br />
pelmeni 44 .<br />
= Potapov, qui les avait accueillis sur le pas de la porte, reparla des<br />
pelmeni.<br />
iii) Les constructions substantivales avec une préposition du type : <br />
… – pri rassmotrenii – litt. « à la considération ; à l’étude » = « en<br />
étudiant » ; … – pri perexode – litt. « au passage » = « en<br />
traversant » :<br />
(93) […] <br />
(., I : 70).<br />
Nikolaj Ivanovi byl okružën pri vyxode iz suda tolpoj ženšin.<br />
Nicolaï – Ivanovitch – était – entouré – à – sortie – de – tribunal – (par)<br />
foule – (de) femmes.<br />
= A la sortie du tribunal, Nikolaï Ivanovitch fut entouré par une nuée de<br />
femmes.<br />
44 Ravioli sibériens.<br />
87
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Les constructions (ii) et (iii) sont des éléments périphériques de la taxis<br />
dépendante.<br />
En ce qui concerne la taxis indépendante, Bondarko donne la hiérarchie suivante :<br />
i) La corrélation des prédicats dans les phrases à subordonnée de temps :<br />
(94), ( : 89).<br />
Kogda Saburov vošël, oba podnjalis’.<br />
Quand – Sabourov – entra, – les deux – se levèrent.<br />
= Lorsque Sabourov entra, les deux hommes se levèrent.<br />
Les phrases juxtaposées dont les prédicats sont liés par les relations temporelles<br />
implicites rejoignent ce premier type :<br />
(95) , <br />
( : 78).<br />
Na stole zatrešal telefon, Saburov podnjal trubku.<br />
Sur – table – se mit à sonner – téléphone, – Sabourov – leva – combiné.<br />
= Le téléphone posé sur la table sonna, Sabourov décrocha.<br />
ii) La corrélation des prédicats dans les phrases à prédicats multiples et dans<br />
les phrases à propositions coordonnées :<br />
(96) , , ,<br />
, ( :<br />
110).<br />
Starik zamolal, razgljadyval ruki na kolenjax, xmurilsja, soobražal pro<br />
sebja, nakonec neveselo usmexnulsja.<br />
Vieillard – se tut, – examinait – mains – sur – genoux, – était maussade, –<br />
réfléchissait – en – soi, – enfin – non joyeusement – ricana.<br />
= Le vieux se tut, examina un moment ses mains sur ses genoux, fronça les<br />
sourcils, réfléchit et enfin ricana sans gaieté.<br />
88
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
(97), ( :<br />
91).<br />
On protjanul ruku, no Vassilij sprjatal svoju za spinu.<br />
Il – tendit – main, – mais – Vassili – cacha – sienne – derrière – dos.<br />
= Il tendit la main, mais Vassili cacha la sienne derrière son dos.<br />
iii) La corrélation des prédicats dans les phrases complexes à subordonnées de<br />
cause, de but, de conséquence, de concession, de condition :<br />
(98),<br />
( : 73).<br />
Na etot vopros Tamarkin otveta ne poluil, tak kak priexal Al’tus i vse seli<br />
za stol.<br />
A – cette – question – Tamarkine – réponse – ne – reçus, – parce – que –<br />
arriva – Altus – et – tous – se mirent – à – table.<br />
= Tamarkine ne reçut aucune réponse à cette question car Altus arriva et<br />
tout le monde se mit à table.<br />
(99) – , , , – ,<br />
<br />
(., I : 211).<br />
– Golubik, skoree, požalujsta, – progovoril Ivan Il’i, xotja lixackij vysokij<br />
žerebec i bez togo kak veter letel po pereulku.<br />
Ami, – plus vite, – je vous prie, – prononça – Ivan – Illitch, – bien que –<br />
fougueux – grand – étalon – et – sans – cela – comme – vent – volait –<br />
dans – ruelle.<br />
= – Plus vite, mon ami, je vous prie, dit Ivan Iliytch, bien que le grand étalon<br />
fougueux filât déjà comme le vent dans la ruelle.<br />
iiii) La corrélation des prédicats dans les phrases aux subordonnées<br />
explicatives :<br />
(100), (, I : 49).<br />
Vo t’me on uvidel, kak blestnuli eë oki.<br />
Dans – obscurité – il – vit, – comment – brillèrent – ses – lunettes.<br />
= Il vit briller ses lunettes dans l’obscurité.<br />
89
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Pour Viktor Xrakovskij, les phrases à subordonnée de temps sont des<br />
constructions de la taxis dépendante. Les autres constructions, définies par<br />
Bondarko comme la taxis indépendante, ne relèvent pas de la taxis, car les<br />
valeurs de simultanéité / non-simultanéité se réalisent dans le contexte, tandis que<br />
les formes verbales ne contiennent pas de valeurs grammaticales de simultanéité<br />
ou de non-simultanéité. Xrakovskij soutient plutôt l’approche étroite de la taxis en<br />
remarquant qu’il ne faut pas essayer de mettre dans une seule catégorie les<br />
valeurs qui ne sont pas de même nature grammaticale [Xrakovskij 2003 : 37].<br />
Selon Xrakovskij, le mérite de Jakobson consiste en ce que le remplacement du<br />
terme temps relatif par taxis a permis d’inclure dans cette catégorie non seulement<br />
les formes de temps relatifs, mais aussi les nombreuses formes verbales<br />
impersonnelles qui englobent les mêmes valeurs. On peut parler de la taxis<br />
comme d’une catégorie grammaticale seulement si la simultanéité / non-<br />
simultanéité est exprimée par des formes grammaticales spécialement destinées<br />
à désigner ces relations.<br />
Tout en partageant le point de vue de Xrakovskij sur l’opposition taxis<br />
dépendante / taxis indépendante et sur la nature grammaticale de la taxis, nous<br />
nous permettons quelques réflexions sur la théorie de Bondarko.<br />
L’approche de Bondarko n’est pas grammaticale, elle est sémantico-fonctionnelle.<br />
Il part de l’idée que toute notion peut être exprimée dans toutes les langues. La<br />
notion de taxis, c’est-à-dire les relations de simultanéité, d’antériorité ou de<br />
postériorité entre les actions, est selon lui universelle. Si une langue ne possède<br />
pas de moyens grammaticaux pour les exprimer, elle en trouve d’autres (lexicaux,<br />
contextuels, etc.). Bondarko s’appuie sur le contenu et non sur la forme. Pourtant,<br />
Bondarko n’oublie pas l’importance de la nature grammaticale. Pour lui, les formes<br />
grammaticales destinées à exprimer les valeurs taxiques (comme le gérondif)<br />
constituent le centre (le noyau) de la sémantique de la taxis, tandis que les formes<br />
qui expriment occasionnellement les valeurs taxiques en constituent la périphérie.<br />
Le problème du point R pour Bondarko n’est pas explicité. En analysant sa<br />
théorie, on peut comprendre que, dans les cas de non-simultanéité, une action<br />
sert de point R pour l’autre, dans le cas de simultanéité les deux actions ont le<br />
90
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
même point R et dans le cas des relations non différenciées le point R reste<br />
introuvable pour l’observateur. C’est donc une dérogation à la règle de<br />
permanence de point R de Reichenbach.<br />
Bondarko (et ses collaborateurs) remarquent le rôle de la sémantique du verbe<br />
dans les relations chronologiques. Pour eux, l’interprétation des relations<br />
chronologiques entre les événements dépend des formes grammaticales, de la<br />
sémantique du verbe et des indicateurs temporels (des conjonctions, des<br />
adverbes). L’interprétation de l’énoncé est donc déterminée linguistiquement.<br />
D’autre part, il est vrai qu’il est difficile de loger toutes les relations temporelles et<br />
logiques possibles entre les actions dans la catégorie linguistique de taxis. Si on<br />
réunit les temps relatifs et les formes de prédication secondaire (telles que le<br />
gérondif ou le participe présent) dans la même catégorie, il vaut peut-être mieux<br />
dire que la taxis exprime une simple dépendance syntaxique d’une action par<br />
rapport à l’autre. Il est difficile de parler des valeurs chronologiques exprimées au<br />
niveau grammatical, elles sont exprimées plutôt au niveau sémantique et<br />
pragmatique.<br />
2.3. L’approche pragmatique (L’École de Genève)<br />
Un groupe de linguistes genevois – Jacques Moeschler, Louis de Saussure, Jean-<br />
Marc Luscher, Bertrand Sthioul et d’autres – développent une approche<br />
pragmatique procédurale de la référence temporelle, basée d’une part sur le<br />
système de Reichenbach et d’autre part sur la théorie de la pertinence de Dan<br />
Sperber et Deirdre Wilson [Sperber, Wilson 1989] 45 .<br />
45 La théorie de la pertinence de Wilson et Sperber a ouvert de larges perspectives pragmatiques à<br />
l’étude de la référence temporelle. Plusieurs chercheurs en ont compris l’enjeu et appliquent des<br />
principes pragmatiques inférentiels dans leurs travaux.<br />
Diane Blakemore et Robyn Carston ont entrepris une analyse détaillée du traitement pragmatique<br />
des phrases liées par la conjonction et. Selon leur analyse, les relations temporelles ne reposent<br />
pas sur et mais sur un principe général de chronologie, qui rappelle une des maximes de manière<br />
de Grice « Soyez ordonné » et le principe de narration de la Segmented Discourse Representation<br />
Theory d’Asher et Lascarides [Asher 1993 ; Lascarides & Asher 1993 ; Lascarides & Oberlander<br />
1993]. (Au sujet des maximes de Grice, cf. p. La Segmented Discourse Representation Theory est<br />
91
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Ils ont rédigé, dans cette optique, plusieurs ouvrages dont deux collectifs, sous la<br />
direction de Jacques Moeschler : Le temps des événements : pragmatique de la<br />
référence temporelle [Moeschler 1998] et Cahiers de linguistique française 22<br />
[CDLF 2000]. Bien que leurs points de vues sur certaines questions divergent, ces<br />
linguistes gardent un esprit d’équipe et développent d’une façon assez homogène<br />
une approche pragmatique procédurale de la référence temporelle, c’est pourquoi<br />
nous les réunissons sous le nom « Ecole de Genève ».<br />
Dans les sections suivantes (2.3.1. – 2.3.2.), nous exposerons dans les grandes<br />
lignes les principes fondamentaux de la théorie de la pertinence et ceux des<br />
chercheurs genevois. Un bref examen de ces travaux est indispensable pour<br />
comprendre notre propre démarche et l’appareil conceptuel que nous proposons<br />
d’expérimenter sur la langue russe. Pour une étude plus détaillée des modèles de<br />
Moeschler et de Saussure, cf. Annexe.<br />
2.3.1. Le socle de l’approche genevoise : la théorie de la pertinence<br />
La théorie de la pertinence [Sperber, Wilson 1989] 46 est une théorie cognitive de<br />
la communication humaine. Cette théorie n’est pas purement linguistique car le<br />
langage naturel constitue le moyen, certes, le plus important mais pas unique de<br />
la communication humaine.<br />
2.3.1.1. Sources de la théorie de la pertinence<br />
Du point de vue épistémologique, la théorie de la pertinence se situe dans une<br />
double tradition, celle du cognitivisme de Jerry Fodor d’une part, et celle de la<br />
une théorie sémantique dynamique qui constitue aujourd’hui une des alternatives sémantiques les<br />
plus élaborées aux approches contextuelles pragmatiques du temps).<br />
Neil Smith, quant à lui, a ébauché quelques stratégies pour appliquer aux temps verbaux la<br />
distinction entre usage descriptif et usage interprétatif [Smith 1993].<br />
46 Cet ouvrage de Sperber et Wilson, mentionné dans la bibliographie, est une traduction de leur<br />
livre paru en anglais en 1986 (2 e éd. 1995) sous le titre Relevance. Communication and cognition,<br />
Oxford, Blackwell.<br />
92
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
pragmatique de Paul Grice d’autre part. On peut réduire schématiquement la<br />
contribution de ces deux paradigmes scientifiques à la théorie de la pertinence de<br />
la manière suivante :<br />
i) La théorie de la modularité de l’esprit de Fodor (1986) fait l’hypothèse que<br />
l’esprit possède deux types de systèmes de construction et de traitement des<br />
représentations. D’une part, il y a les systèmes d’input (ou les systèmes<br />
périphériques) qui traitent les informations perceptives telles que les informations<br />
visuelles, auditives, ainsi que les informations linguistiques. D’autre part, il y a les<br />
systèmes d’output (ou les systèmes centraux) qui combinent l’information produite<br />
par les différents systèmes d’input avec l’information déjà contenue en mémoire et<br />
qui effectuent diverses tâches inférentielles.<br />
ii) La théorie des implicatures de Grice (1975) insiste sur le fait que la<br />
communication ne correspond pas à un simple décodage, mais concerne au<br />
premier titre les conclusions implicites que le destinataire peut tirer de l’énoncé.<br />
D’après Grice, entre le locuteur et le destinataire s’établit un principe de<br />
coopération, car les deux participants reconnaissent poursuivre un but commun.<br />
Grice développe ce principe en neuf maximes réparties en quatre catégories :<br />
1) le locuteur donne autant d’informations qu’il peut mais pas trop (maximes de<br />
quantité) ; 2) le locuteur donne une information qu’il croit être véridique (maximes<br />
de qualité) ; 3) le locuteur doit être pertinent (maxime de relation) ; 4) le locuteur<br />
essaye d’être le plus clair possible (maximes de manière). La théorie de la<br />
pertinence a réduit toutes ces règles à un seul principe de pertinence qui serait à<br />
l’origine des processus de communication.<br />
2.3.1.2. Hypothèse de sous-détermination linguistique de l’énoncé<br />
Se basant donc sur les conceptions de Fodor et de Grice, la théorie de la<br />
pertinence porte un regard nouveau sur l’interprétation de l’énoncé, avançant la<br />
thèse de la sous-détermination linguistique dans le processus de compréhension.<br />
La communication verbale n’est pas une simple affaire de codage et de décodage<br />
car le langage ne permet pas de chiffrer vraiment toutes les informations qu’il veut<br />
93
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
transmettre. En fait, la communication verbale met en jeu deux types de<br />
processus : l’un est basé sur le codage et le décodage linguistique, l’autre sur<br />
l’ostension (c’est-à-dire un comportement qui rend manifeste une intention de<br />
rendre quelque chose manifeste) et l’inférence (une série d’opérations déductives<br />
dont le but est de récupérer, en confrontant la séquence linguistique à un<br />
contexte, ce que le locuteur cherche à communiquer).<br />
Ainsi, pour la théorie de la pertinence, le sens de l’énoncé est beaucoup plus que<br />
sa signification, c’est-à-dire que le sens de l’énoncé ne se réduit pas à la structure<br />
ordonnée de concepts encodée par la séquence linguistique. Le sens contient<br />
également les implications que le destinataire tire de l’énoncé. Le locuteur ne<br />
communique pas au destinataire ses pensées encodées mais son « intention<br />
informative de rendre manifeste ou plus manifeste […] un ensemble<br />
d’hypothèses » [Sperber, Wilson 1989 : 93]. A partir des données explicites et<br />
implicites, le destinataire tire la conclusion (avec un certain degré de probabilité)<br />
de ce que le locuteur voulait lui communiquer. Dans ses grandes lignes, le<br />
processus de l’interprétation est le suivant [Sperber, Wilson 1989 : 112-119] :<br />
1. Le destinataire reçoit un stimulus verbal (et éventuellement non verbal), qui<br />
attire son attention sur le fait que le locuteur cherche ostensiblement à lui rendre<br />
manifeste un certain nombre de faits ou de pensées. Par exemple, à la question :<br />
« As-tu acheté du pain ? », le locuteur répond : « J’étais au bureau jusqu’à sept<br />
heures ». Le système d’input du destinataire transforme des représentations<br />
sensorielles de niveau « inférieur » en des représentations conceptuelles de<br />
niveau « supérieur ». Ces dernières obtiennent dans le cerveau une forme<br />
logique, nécessaire pour un traitement ultérieur par le système central qui procède<br />
par des opérations logiques inférentielles. La forme logique est donc une suite<br />
structurée de concepts, obtenue par des opérations de traitement linguistique. La<br />
forme logique est produite par la syntaxe. Cette forme logique est « moins que<br />
propositionnelle ».<br />
2. La forme logique reçoit ensuite une forme propositionnelle, c’est-à-dire un<br />
enrichissement pragmatique, notamment des assignations référentielles et des<br />
désambiguïsations. Cette forme propositionnelle correspond à ce que le locuteur a<br />
94
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
explicitement dit. Ainsi, par l’énoncé « J'étais au bureau jusqu'à sept heures », le<br />
locuteur explicite qu’il produisait une action d’être au bureau et il pose des limites<br />
temporelles jusqu’à sept heures. Dans cet exemple, il faut résoudre, selon le<br />
contexte, l’ambiguïté entre « sept heures du soir » et « sept heures du matin ».<br />
3. Enfin, à partir de la forme propositionnelle, le destinataire récupère par des<br />
opérations d’inférence, à ses risques et périls, ce qui a été implicitement<br />
communiqué : des implications (ou implicatures). Ainsi, « J’étais au bureau jusqu’à<br />
sept heures » peut sous-entendre que le locuteur n’a pas pu acheter de pain car<br />
lorsqu’il est sorti de son travail, les boulangeries étaient déjà fermées.<br />
2.3.1.3. Hypothèse du contexte choisi<br />
Nous voyons que pour bien interpréter l’énoncé, le destinataire doit recourir au<br />
contexte. Pour la plupart des travaux sémantiques et pragmatiques, le contexte<br />
est un ensemble de données, exprimées explicitement ou implicitement par les<br />
énoncés antérieurs décrivant la même situation de l’énonciation. Certaines<br />
théories du contexte ajoutent à ces données les entrées encyclopédiques des<br />
concepts 47 qui figurent dans l’énoncé, communes au locuteur et au destinataire.<br />
Dans cette conception, le contexte serait donc connu par le locuteur et le<br />
destinataire, ces derniers partageant la connaissance commune (ou le savoir<br />
mutuel). Il faut souligner que, dans cette optique, le contexte est à tout moment<br />
donné, déterminé à l’individu.<br />
Sperber et Wilson proposent une autre vision du contexte. Ils critiquent la théorie<br />
trop idéaliste du savoir mutuel [Sperber, Wilson 1989 : 31-38]. Pour résumer leurs<br />
arguments, disons que nous ne savons que trop bien que les représentations du<br />
monde et les capacités inférentielles sont variables d’un individu à l’autre. Le<br />
locuteur et le destinataire n’ont probablement en commun qu’une partie limitée de<br />
leurs représentations qui reste, par ailleurs, très difficile à cerner. D’après la<br />
théorie de la pertinence, chaque individu a son environnement cognitif, c’est-à-dire<br />
47 Les notions d’informations encyclopédiques et de concept sont détaillées dans la section 3.2.1.<br />
du Chapitre 3 de notre travail, pp. 130-137.<br />
95
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
l’ensemble des faits manifestes, connus ou inférables à la base des<br />
connaissances conscientes. Le contexte sera construit à partir de quelques<br />
propositions que le destinataire va extraire de cet ensemble hétérogène afin de<br />
s’en servir pour comprendre l’énoncé. En d’autres termes, le destinataire effectue<br />
des opérations de sélection pour choisir, parmi les innombrables hypothèses<br />
formant son environnement cognitif, celles qui lui semblent les plus valables, les<br />
plus pertinentes. Ainsi, le contexte n’est pas l’ensemble des faits manifestes mais<br />
un sous-ensemble de ces faits.<br />
2.3.1.4. Effets et efforts cognitifs<br />
Pour comprendre l’énoncé, le destinataire doit donc réaliser des opérations<br />
sélectives. Mais comment récupère-t-il de bonnes hypothèses dans l’abondance<br />
des hypothèses présentes dans son environnement cognitif ? La théorie de la<br />
pertinence répond à cette question, en disant que dans la communication, le<br />
destinataire est guidé par la recherche d’un résultat. Ce résultat est formulé en<br />
termes d’effets cognitifs. Les effets cognitifs sont de trois types :<br />
i) L’ajout d’une nouvelle hypothèse aux hypothèses disponibles dans<br />
l’environnement cognitif du destinataire ;<br />
ii) Le renforcement des hypothèses déjà présentes ;<br />
iii) L’annulation d’une hypothèse.<br />
C’est en recherchant un effet cognitif que le destinataire va sélectionner, dans<br />
l’ensemble de ses connaissances, les bonnes hypothèses contextuelles. La<br />
recherche d’effets cognitifs suppose des efforts cognitifs, c’est-à-dire le coût de<br />
traitement mobilisé par le processus d’interprétation.<br />
Les relations entre les efforts et les effets cognitifs, orientées vers le ratio,<br />
définissent la pertinence.<br />
96
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
La pertinence :<br />
Toutes choses étant égales par ailleurs, plus un énoncé demande d’efforts<br />
de traitement dans un contexte donné, moins il est pertinent dans le<br />
contexte ; toutes choses étant égales par ailleurs, plus un énoncé produit<br />
d’effets contextuels dans un contexte donné, plus il est pertinent dans ce<br />
contexte.<br />
Pour la théorie de la pertinence, l’esprit humain est orienté vers la recherche de la<br />
pertinence et cette recherche est le moteur même de l’interprétation. La<br />
particularité de la communication ouverte consiste en ce que nous pouvons non<br />
seulement espérer mais légitimement escompter une certaine pertinence quand<br />
un énoncé nous est adressé. C’est à quoi se résume le principe de pertinence.<br />
Le principe de pertinence :<br />
Tout acte de communication ostensive communique la présomption de sa<br />
propre pertinence optimale.<br />
Sperber et Wilson définissent une notion de pertinence optimale qui a pour but<br />
d’indiquer précisément ce à quoi le destinataire s’attend en termes d’efforts et<br />
d’effets :<br />
La pertinence optimale :<br />
L’énoncé communique que :<br />
a) L’ensemble d’hypothèses que le locuteur veut communiquer est<br />
suffisamment pertinent pour que le stimulus ostensif mérite d’être traité<br />
par le destinataire ;<br />
b) Le stimulus ostensif est le stimulus le plus pertinent que le locuteur peut<br />
utiliser pour communiquer cet ensemble d’hypothèses.<br />
La pertinence est une notion relative à l’individu : tel énoncé peut être pertinent<br />
pour X, produisant de nombreux effets contextuels, et pas ou peu pertinent pour<br />
Y, ne produisant que peu ou pas d’effets contextuels.<br />
97
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Enfin, une dernière caractéristique des interprétations doit être mentionnée. La<br />
première interprétation qui vient à l’esprit est la « bonne » interprétation, à savoir<br />
l’interprétation qui correspond à l’intention informative du locuteur. Cela implique<br />
que le jeu « effets – efforts » n’est pas prolongé au-delà de ce qui est nécessaire :<br />
dès qu’un effet contextuel compense l’effort de traitement, le processus<br />
s’interrompt, et l’interprétation est obtenue. Mais il n’y a aucune garantie que la<br />
communication fonctionne à cent pour cent. La théorie de la pertinence définit la<br />
communication comme un processus à haut risque, qui peut échouer, notamment<br />
lorsque les hypothèses sélectionnées par le destinataire pour traiter l’énoncé ne<br />
sont pas les mêmes que celles du locuteur.<br />
2.3.2. Pertinence et référence temporelle<br />
Sperber et Wilson ont montré, dans leur article « Pragmatique et temps », que<br />
certains phénomènes temporels pouvaient être expliqués dans le cadre de leur<br />
théorie [Wilson, Sperber 1993 a ]. Effectivement, en se penchant particulièrement<br />
sur des aspects temporels tels que l’ordre temporel avec ou sans et, l’intervalle ou<br />
encore les relations causales entre les événements, ces chercheurs confirment<br />
leur hypothèse principale, selon laquelle les relations temporelles ne sont pas<br />
décodées linguistiquement par le destinataire, mais inférées pragmatiquement.<br />
Wilson et Sperber montrent par exemple que la déduction des relations<br />
temporelles ne découle pas de la conjonction et ou des informations<br />
sémantiques :<br />
(101) C’est toujours pareil dans les fêtes : soit je me saoule et personne ne<br />
me parle soit personne ne me parle et je me saoule.<br />
Cet énoncé, au niveau sémantique, est inconsistant, sa formule logique étant : P<br />
et Q = Q et P. Or, le destinataire cherche à rendre l’énoncé pertinent, c’est<br />
pourquoi il doit pallier cette inconsistance. Ce qu’il fait en attribuant à cet énoncé<br />
des relations temporelles.<br />
98
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Le même principe entre en jeu pour la référence temporelle et l’intervalle entre les<br />
événements. Comparons :<br />
(102) J’ai déjeuné.<br />
(103) J’ai été au Tibet.<br />
Ici, la référence temporelle est indéterminée au niveau linguistique et précisée au<br />
niveau pragmatique. En effet, aucune information linguistique ne montre à quel<br />
moment précisément, entre le moment de l’énonciation et le début de l’univers, le<br />
locuteur de (102) a déjeuné et le locuteur de (103) a visité le Tibet. Par contre,<br />
grâce à la pragmatique, on comprend généralement que le déjeuner a eu lieu le<br />
jour même où le locuteur a produit l’énoncé, alors que la visite du Tibet s’est<br />
effectuée à un moment ou un autre de l’existence du locuteur.<br />
Dans les exemples suivants :<br />
(104) J’ai sorti ma clé et j’ai ouvert la porte.<br />
(105) Ils ont planté un gland et il a poussé,<br />
aucune information linguistique ne désigne la durée de l’intervalle entre les<br />
événements. C’est de nouveau au niveau pragmatique que nous inférons que<br />
l’intervalle entre les deux événements dans (104) est égal à quelques secondes,<br />
tandis que dans (105) il s’étend sur quelques mois.<br />
Enfin, les deux chercheurs montrent que les relations causales entre les<br />
événements ne dépendent pas directement des relations temporelles. Le<br />
destinataire peut ne pas avoir besoin d’établir une stricte succession entre les<br />
événements pour déduire des relations causales :<br />
(106) J’ai parlé à Jean et j’ai découvert qu’il était charmant.<br />
(107) J’ai parlé à Jean et j’ai ensuite découvert qu’il était charmant.<br />
L’interprétation naturelle de (106) est la suivante : J’ai parlé à Jean et, ce faisant,<br />
j’ai découvert qu’il était charmant ; alors que (107) est interprété comme : J’ai<br />
parlé à Jean et, après lui avoir parlé, j’ai découvert qu’il était charmant. En (106), il<br />
99
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
y a une relation temporelle intuitive, qui n’est pas celle d’antériorité / postériorité ;<br />
malgré cela la relation de conséquence entre les événements est bien présente.<br />
En (107), c’est le contraire : il y a une nette relation temporelle – le premier<br />
événement précède le second, – mais il n’y a pas de relation causale.<br />
Wilson et Sperber soutiennent donc que le destinataire construit son interprétation<br />
des faits temporels en se basant sur l’intention informative du locuteur et sur la<br />
recherche de la pertinence optimale.<br />
La théorie de la pertinence de Wilson et Sperber a ouvert de larges perspectives<br />
pragmatiques à l’études de la référence temporelle. Plusieurs chercheurs en ont<br />
compris l’enjeu et appliquent des principes pragmatiques inférentiels dans leurs<br />
travaux. Diane Blakemore et Robyn Carston ont entrepris une analyse détaillée du<br />
traitement pragmatique des phrases liées par la conjonction et. Selon leur<br />
analyse, les relations temporelles ne reposent pas sur et mais sur un principe<br />
général de chronologie, qui rappelle une des maximes de manière de Grice<br />
« Soyez ordonné » 48 et le principe de narration de la Segmented Discourse<br />
Representation Theory 49 d’Asher et Lascarides [Asher 1993 ; Lascarides & Asher<br />
1993 ; Lascarides & Oberlander 1993]. Neil Smith, quant à lui, a ébauché<br />
quelques stratégies pour appliquer aux temps verbaux la distinction entre usage<br />
descriptif et usage interprétatif [Smith 1993].<br />
Enfin, les horizons qu’ouvre la théorie de la pertinence pour l’étude des<br />
phénomènes temporels ont attiré tout un groupe de linguistes genevois, parmi<br />
lesquels citons Jacques Moeschler, Louis de Saussure, Jean-Marc Luscher,<br />
Bertrand Sthioul. Ils ont rédigé, dans cette optique, plusieurs ouvrages dont deux<br />
collectifs, sous la direction de Jacques Moeschler : Le temps des événements :<br />
pragmatique de la référence temporelle [Moeschler 1998] et Cahiers de<br />
linguistique française 22 [CDLF 2000]. Bien que leurs points de vues sur certaines<br />
questions divergent, ces linguistes gardent un esprit d’équipe et développent<br />
48 Nous avons brièvement présenté les maximes de Grice dans la section 2.3.1.1. de notre<br />
deuxième chapitre (p. 93). La maxime « Soyez ordonné » est une des quatre maximes de la<br />
catégorie « Maxime de manière ». Les trois autres sont : 1) Evitez de vous exprimer de manière<br />
obscure ; 2) Evitez l’ambiguïté ; 3) Soyez bref.<br />
49 C’est une théorie sémantique dynamique qui constitue aujourd’hui une des alternatives<br />
sémantiques les plus élaborées aux approches contextuelles pragmatiques du temps.<br />
100
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
d’une façon assez homogène une approche pragmatique procédurale de la<br />
référence temporelle, c’est pourquoi nous les réunissons sous le nom « Ecole de<br />
Genève ». Jacques Moeschler a élaboré un modèle de calcul de l’ordre temporel<br />
dit Modèle des inférences directionnelles [Moeschler 1998 ; 2000]. Louis de<br />
Saussure a exprimé quelques critiques au sujet du modèle de Moeschler et a<br />
proposé son propre modèle dit Modèle pragmatique procédural du temps<br />
[Saussure 2003 a]. Ce sont ces deux modèles que nous examinons dans les deux<br />
sections suivantes.<br />
2.3.3. Modèles de l’ordre temporel de Moeschler et de Saussure<br />
Jacques Moeschler et Louis de Saussure ont pour ambition d’expliciter les<br />
mécanismes linguistiques et pragmatiques par lesquels le destinataire parvient à<br />
déterminer l’ordre temporel entre les événements dans l’énoncé. Pour ce faire,<br />
Moeschler construit un modèle général de la détermination de l’ordre temporel, dit<br />
Modèle des inférences directionnelles [Moeschler 1998 : 8-12, 311-321 ; 2000 a ;<br />
2000 b]. Saussure se propose d’améliorer le modèle de Moeschler et crée son<br />
propre modèle du calcul de l’ordre temporel, dit Modèle pragmatique procédural<br />
du temps [Saussure 2003 a : 165-297]. Nous décrirons d’abord les types de<br />
relations temporelles distinguées par les linguistes suisses (section 2.3.3.1) et<br />
ensuite nous présenterons, dans ses grandes lignes, les modèles de l’ordre<br />
temporel de Moeschler et de Saussure (section 2.3.3.2).<br />
2.3.3.1. Configurations temporelles des énoncés<br />
En général, les linguistes suisses distinguent trois types de relations<br />
chronologiques entre les événements dans l’énoncé :<br />
1. Ordre temporel positif (progression temporelle) ;<br />
2. Ordre temporel négatif (régression temporelle) ;<br />
3. Indétermination temporelle.<br />
101
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Dans les conceptions sémantiques et discursives (la théorie de la taxis de<br />
Bondarko ou la Segmented Discourse Representation Theory de Asher), l’énoncé<br />
B est ordonné par rapport à l’énoncé A dans une paire isolée d’énoncés. Le<br />
modèle pragmatique de Moeschler reprend le même schéma. Or, dans le modèle<br />
de Saussure, le calcul d’une relation temporelle ne se fonde pas sur une paire<br />
isolée d’énoncés mais sur un seul énoncé, celui qui est en cours de traitement, et<br />
son contexte, ce dernier entendant les informations cognitives mémorisées. Dans<br />
cette perspective, Saussure distingue deux types d’énoncés : 1) énoncés<br />
temporellement liés ; 2) énoncés temporellement autonomes [Saussure 2003 a :<br />
183-191].<br />
Lorsqu’il s’agit des énoncés temporellement liés, le calcul de la référence<br />
temporelle d’un énoncé se fait à partir d’un autre énoncé, fourni antérieurement et<br />
présent dans l’environnement cognitif du destinataire, comme dans l’exemple<br />
suivant, où on calcule la référence temporelle de l’événement (b) à partir de<br />
l’événement (a) :<br />
(108) Il sortit (a) une glace de poche et s’y mira (b) (Cohen : 113).<br />
A noter que l’énoncé par rapport auquel on fixe l’ordre temporel n’est pas<br />
obligatoirement celui qui précède immédiatement l’énoncé en cours de traitement.<br />
Parlant des énoncés temporellement autonomes, Saussure entend des énoncés<br />
qui se suffisent à eux-mêmes pour définir leur référence temporelle, sans avoir<br />
recours à un élément extérieur. Il s’agit des énoncés qui contiennent certaines<br />
expressions calendaires (le 3 décembre, en 1945), certains adverbes de<br />
restriction (cette nuit-là, à l’aube) ou certaines informations encyclopédiques (le<br />
cheval de Troie, les druides).<br />
A l’intérieur de chacune de ces deux catégories Saussure différencie plusieurs<br />
types de relations temporelles possibles dont la structuration repose sur la<br />
conception générale de l’ordre temporel : il y a des énoncés qui font progresser le<br />
temps, ceux qui font régresser le temps et enfin les énoncés dans lesquels le<br />
102
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
temps stagne. Voici le tableau général des configurations temporelles des<br />
énoncés d’après Louis de Saussure 50 :<br />
1) Enoncés temporellement autonomes.<br />
i) Enoncés autonomes absolus (énoncés qui expriment une « vérité<br />
générale » ; énoncés qui contiennent une expression calendaire)<br />
ii) Enoncés autonomes relatifs (énoncés dans lesquels la référence<br />
est fixée déictiquement).<br />
2) Enoncés temporellement liés.<br />
i) Ordre positif ;<br />
ii) Ordre négatif ;<br />
iii) Non-ordonnancement (stativité, encapsulation).<br />
Donnons quelques précisions à ce tableau.<br />
Les énoncés autonomes absolus peuvent trouver leur référence temporelle grâce<br />
à une expression calendaire :<br />
(109) La grande exposition eut lieu le mardi 22 décembre 1931 […] (Le<br />
Clézio : 143).<br />
Ce type d’énoncés inclut également des énoncés de « vérité générale » dont les<br />
conditions de vérité sont indépendantes des conditions temporelles de<br />
l’énonciation :<br />
(110) La vie est plus romanesque que l’imagination (Aragon : 300).<br />
(111) Jamais grand nez n’a déparé beau visage (Proverbe français que<br />
Saussure emprunte à Damourette et Pichon [Saussure 2003 a : 189]).<br />
Les énoncés autonomes relatifs fixent leur référence temporelle par rapport à un<br />
élément déictique :<br />
50 La classification de Saussure s’inspire beaucoup des cinq relations de discours (relations<br />
rhétoriques) mises au point par Asher et Lascarides dans le cadre de leur Segmented Discourse<br />
Representation Theory : 1) explication ; 2) élaboration ; 3) narration ; 4) arrière-plan ; 5) résultat<br />
[Lascarides, Asher 1993 ; Saussure 2003 : 64-76].<br />
103
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
(112) La grande exposition a eu lieu avant-hier.<br />
Les énoncés temporellement liés admettent un ordre temporel positif (113), négatif<br />
(114) ou le non-ordonnancement temporel.<br />
(113) André prit un jeu de cartes, le battit, étala une patience sur le divan<br />
(Troyat : 214).<br />
(114) Paul Denis interrompit Mary […]. Il avait un peu trop bu en servant les<br />
autres (Aragon : 71).<br />
La relation de non-ordonnancement comprend les situations complètement<br />
statives (recouvrement total) (115), (116), les situations partiellement statives<br />
(recouvrement partiel) (117) et l’encapsulation (un événement constitue une partie<br />
d’un événement plus complexe) (118), (119) :<br />
(115) Il n’aimait que les brunes et Bérénice était blonde, d’un blond éteint<br />
(Aragon : 29).<br />
(116) André ralentit le pas. Un point de côté lui coupait le souffle (Troyat :25).<br />
(117) Ils avaient repris un verre. Aurélien écoutait son compagnon […]<br />
(Aragon : 111).<br />
(118) Les traits d’Aurélio se tendirent. Son visage prit une expression de<br />
méchanceté hautaine (Troyat : 136).<br />
(119) Il y eut un brouhaha au-dehors, des cris. Cela fit machine pneumatique,<br />
le tabac se vida, les gens se dressèrent, Paul fut porté au-dehors (Aragon :<br />
566).<br />
2.3.3.2. Calculer l’ordre temporel<br />
Pour inférer un ordre temporel, le destinataire effectue un calcul à partir de toutes<br />
les informations, linguistiques et pragmatiques, présentes dans l’énoncé.<br />
Moeschler distingue les informations suivants :<br />
104
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
5. INFORMATIONS POUR CALCULER L’ORDRE <strong>TEMPOREL</strong><br />
Informations linguistiques Informations pragmatiques<br />
Connecteurs Temps verbaux Conceptuelles<br />
(causales)<br />
Hypothèses contextuelles<br />
Selon Moeschler donc, les facteurs linguistiques comprennent les connecteurs<br />
temporels, les temps verbaux et les informations conceptuelles (fournies par les<br />
items lexicaux). Ces informations conceptuelles, en particulier causales, sont<br />
appelées par Moeschler règles conceptuelles. Les informations contextuelles sont<br />
constituées d’un ensemble d’hypothèses contextuelles, liées à l’environnement<br />
cognitif du destinataire. Remarquons qu’à la différence de Moeschler, Saussure<br />
relègue les règles conceptuelles au statut d’informations pragmatiques 51 . Cela<br />
veut dire que pour Moeschler les relations causales, comme « pousser –<br />
tomber », dériveraient entièrement des significations des verbes, c’est-à-dire du<br />
lexique. Il faut donc comprendre que tomber est une implication lexicale de<br />
pousser. Or, pour Saussure (dont nous soutenons le point de vue), pousser<br />
n’implique tomber que dans certaines circonstances. Pousser peut aussi impliquer<br />
un caddie, un cri ou une chansonnette [Saussure 2003 a : 149].<br />
L’hypothèse fondamentale du modèle de Moeschler stipule que les facteurs<br />
conduisant à la compréhension d’un ordre temporel peuvent être hiérarchisés et,<br />
quels que soient ces facteurs, ils sont gérés par le biais de l’inférence générale.<br />
1. Hypothèses contextuelles<br />
2. Expressions procédurales<br />
2.1. Connecteurs<br />
2.2. Temps verbaux<br />
3. Règles conceptuelles<br />
6. HIERARCHIE DES INFORMATIONS DANS L’<strong>EN</strong>ONCE<br />
Fort<br />
Fort<br />
Faible<br />
Faible<br />
51 Pour plus de détails sur des divergences entre les modèles de Moeschler et de Saussure, cf.<br />
Annexe.<br />
105
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Le destinataire est amené à faire un calcul d’un ordre temporel, prenant en<br />
compte différentes forces des informations dans l’énoncé. Les informations plus<br />
fortes annulent les informations plus faibles. Observons l’énoncé suivant :<br />
(120) Jean est tombé. Max l’a poussé.<br />
Le calcul passe par quelques étapes :<br />
1. La règle conceptuelle « pousser cause tomber » est annulée par<br />
l’information plus forte des temps verbaux, il faut donc inférer : D’abord<br />
Jean est tombé, ensuite Max l’a poussé.<br />
2. Mais cette inférence est annulée par l’hypothèse contextuelle qui va de<br />
paire avec la règle conceptuelle. L’inférence finale donne donc : Jean est<br />
tombé parce que Max l’a poussé.<br />
Saussure refuse la hiérarchisation, à son avis défaillante, des informations dans<br />
l’énoncé. Selon lui, les informations linguistiques (temps verbaux et connecteurs<br />
temporels) n’ont pas de significations stables, constantes, « non défaisables »<br />
dans l’énoncé. En regard, Saussure introduit une règle par défaut. Celle-ci<br />
suppose que la signification de toute expression linguistique est inférée à défaut<br />
d’informations plus contraignantes ou par défaut de contraintes plus fortes. Par<br />
exemple, on attribue habituellement au passé simple la valeur de faire progresser<br />
le temps. Selon la règle par défaut, c’est une valeur préférée et non obligatoire.<br />
On choisit cette signification par défaut de contraintes plus fortes, parce qu’elle est<br />
la moins coûteuse pour l’interprétation, la moins pragmatiquement enrichie. Mais<br />
si le destinataire rencontre des contraintes plus fortes que cette valeur du passé<br />
simple, il la sacrifiera pour l’interprétation avec l’enrichissement pragmatique le<br />
plus faible [Saussure 2003 a : 170-171].<br />
Dans ses grandes lignes, le modèle de Saussure se présente de la façon<br />
suivante [Saussure 2003 a : 276-284] :<br />
Le destinataire reçoit, dans son système d’entrée (input), un énoncé à<br />
traiter, par exemple : Jean est tombé. Max l’a poussé.<br />
106
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
Le système détecte alors la présence et la nature des expressions<br />
linguistiques (adverbiaux, temps verbaux). Dans cet exemple, il y a deux<br />
verbes au passé composé.<br />
Le destinataire compare les données linguistiques avec les données de<br />
l’environnement cognitif pour comprendre si l’instruction par défaut sera<br />
productive d’effet ou non. Pour notre exemple, on compare les informations<br />
suivantes : une suite de passés composés et une relation<br />
conceptuelle « pousser – tomber ».<br />
Si aucune hypothèse ne contredit l’instruction par défaut (cela signifie<br />
qu’aucun connecteur ni relation conceptuelle ne va à l’encontre de<br />
l’interprétation par défaut), le destinataire l’applique et l’enrichit par des<br />
instructions secondaires (si elles sont présentes), en tirant en fin de compte<br />
l’ordre temporel. Dans notre exemple, la relation conceptuelle « pousser –<br />
tomber » contredit l’instruction par défaut de passé composé.<br />
Si l’instruction par défaut ne peut se réaliser, le destinataire doit appliquer la<br />
procédure d’un connecteur ou d’une relation conceptuelle. On applique<br />
donc la règle « pousser cause tomber » et on infère : Jean est tombé parce<br />
que Max l’a poussé.<br />
2.4. Bilan : un modèle à compléter<br />
Les théories que nous venons d’exposer ont eu un impact considérable sur notre<br />
conception des relations chronologiques dans la langue et le langage. Nous avons<br />
donc jugé nécessaire de les passer en revue pour mettre au point notre propre<br />
appareil méthodologique, élaboré essentiellement sur la base des travaux de<br />
Bondarko, Moeschler, Saussure, Sperber et Wilson.<br />
La théorie de la taxis dans la conception de Bondarko présente, à nos yeux, la<br />
tentative la plus aboutie de la classification sémantique des relations<br />
chronologiques entre les événements sur le matériau de la langue russe.<br />
Quant à la méthode du modèle, elle est sans aucun doute un moyen de traitement<br />
du langage très prometteur pour les sciences cognitives. Les modèles fournis par<br />
107
Chapitre 2. Appréhender le temps par les relations existant entre les événements<br />
J. Moeschler et L. de Saussure ont ouvert un chapitre nouveau de la description<br />
cognitive des relations temporelles. Leur propos n’était pas de donner une<br />
procédure complète de toutes les relations temporelles possibles et imaginables,<br />
mais d’en dégager les grandes lignes. Comme le reconnaît Saussure lui-même,<br />
son modèle présente une procédure générale, propre à recevoir le branchement<br />
de diverses sous-procédures dont beaucoup restent à déterminer et à décrire<br />
[Saussure 2003 a : 292]. Le linguiste suisse suggère d’étudier un certain nombre<br />
de phénomènes qui devraient dans l’idéal être pris en charge par son modèle. Il<br />
s’agit par exemple de la négation. Normalement, l’énoncé négatif bloque par<br />
défaut la progression temporelle du passé simple, désignant un procès encapsulé<br />
[Saussure 1998 b : 279-280] :<br />
(121) Ce matin-là, Paul resta à ruminer ses pensées. Il ne se leva pas,<br />
n’ouvrit pas le store ni ne contempla le soleil (Exemple de Saussure<br />
[Saussure 1998 b : 279]).<br />
Pour qu’un énoncé négatif soit ordonné temporellement, il faut qu’interviennent<br />
des facteurs forçant la lecture temporelle : insuffisance informatique de l’énoncé<br />
négatif, des connecteurs, des adverbiaux ou des relations conceptuelles<br />
contredisant l’interprétation atemporelle :<br />
(121) Jacques ne s’arrêta pas à la station-service. Ensuite il emprunta le<br />
périphérique (Exemple de Saussure [Saussure 1998 b : 281]).<br />
Les modèles présentés sont universels, du moins tout à fait applicables à la<br />
langue russe, à la condition, bien entendu, de spécifier les composants<br />
linguistiques, propres au système grammatical du russe. Dans les chapitres<br />
suivants, nous ne chercherons pas à compléter les modèles de Moeschler et de<br />
Saussure, réservant cette tâche à nos études ultérieures. Notre démarche<br />
immédiate consiste à établir quelles sont les spécificités de l’expression des<br />
relations chronologiques dans les énoncés à prédicats juxtaposés et coordonnés<br />
(Chapitre 3) et les énoncés, contenant un gérondif (Chapitre 4). Ce faisant, nous<br />
avons également cherché à définir quels sont les facteurs linguistiques (et non<br />
linguisiques) qui amènent le destinataire à inférer telle ou telle relation entre les<br />
événements.<br />
108
CHAPITRE 3.<br />
ÉNONCÉS A PRÉDICATS AUTONOMES<br />
3.1. Types de relations entre les événements dans l’énoncé : entrée en<br />
matière<br />
Dans ce chapitre, nous entendons étudier les relations temporelles qui s’instaurent<br />
entre les prédicats juxtaposés ou coordonnés. Bien entendu, dans notre analyse,<br />
le verbe est pris en compte avec son environnement sémantique et syntaxique.<br />
L’esprit humain structure les événements avant tout du point de vue<br />
chronologique : on sait que, normalement, un événement peut se produire avant,<br />
après ou en même temps qu’un autre événement. Cependant, on sait aussi que<br />
les relations entre les événements ne sont pas réduites à des liens purement<br />
temporels ; d’autres connexions, logiques et sémantiques, s’établissent<br />
régulièrement entre les actions. Après avoir étudié plusieurs travaux consacrés<br />
aux événements, nous supposons que, de manière générale, il existe trois types<br />
de relations que deux événements E1 et E2 peuvent entretenir dans l’énoncé 52 :<br />
1. Relations chronologiques. Il s’agit d’une part des relations temporelles<br />
ordonnées (d’antériorité, postériorité, simultanéité) et d’autre part des<br />
relations temporelles non ordonnées.<br />
2. Relations causales. Il s’agit des relations logiques de cause, conséquence,<br />
but, concession, condition.<br />
3. Relations de caractérisation. Dans ce cas, il est question des relations<br />
d’ordre sémantique entre les prédicats. L’énoncé ne présente pas<br />
véritablement deux événements autonomes mais un seul événement et<br />
deux représentations de cet événement.<br />
52 Notre classification reprend les termes de A. V. Bondarko et ses collaborateurs [TFG 1987].<br />
109
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
L’événement E1 est celui qui apparaît dans l’énoncé en première position<br />
syntaxique, il est donc traité en premier par le destinataire. L’événement E2 suit<br />
syntaxiquement l’événement E1 et est analysé par le destinataire par rapport à<br />
l’événement E1 :<br />
(122) André ferma (E1) les yeux et simula (E2) le sommeil (Troyat : 119).<br />
(123) Elle s’assit (E1) sur un banc. Au-dessus, les feuilles de platane<br />
s’agitaient (E2) à peine (Cohen : 409).<br />
Les deux premiers types de relations, chronologiques et causales, concernent les<br />
énoncés qui expriment réellement deux événements distincts. Cela veut dire que<br />
deux prédicats formels P1 et P2 désignent deux réalités événementielles E1 et E2<br />
(124). Le troisième type de relations entre les événements, que nous appelons<br />
relations de caractérisation, concerne les énoncés où deux prédicats formels P1 et<br />
P2 traduisent en effet un seul événement réel : un prédicat indique l’événement<br />
d’une manière plus générale et l’autre donne une précision, une caractéristique<br />
sémantique ou aspectuelle à propos de cet événement (125), (126) :<br />
(124) , , (P1) ,<br />
(P2) (... ; Ruscorpora).<br />
V konce allei, u pamjatnika Gogolju, sidel (P1) mužina, ital (P2) gazetu.<br />
A – bout – (de) allée, – près de – monument – (à) Gogol’, – était assis<br />
(P1) – homme, – lisait (P2) – journal.<br />
= Au bout de l’allée, près du monument à Gogol, un homme était assis et<br />
lisait un journal.<br />
(125) […] (P1) ,<br />
, (P2) <br />
( : 48).<br />
On vnjal (P1) pros’be generala Trufanova, komandovavšego odnoj iz<br />
stepnyx armij, i obešal (P2) emu pobombit’ mošnyj artillerijskij uzel<br />
rumyn.<br />
110
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Il – consentit (P1) – (à) demande – (de) général – Troufanov, – dirigeant<br />
(de) une – de – (de) steppe – armées, – et – promit (P2) – (à) lui –<br />
bombarder – puissant – (de) artillerie – nœud – (de) roumains.<br />
= Il accéda à la demande du général Troufanov, dirigeant une des armées<br />
de steppe, en lui promettant de bombarder le puissant nid d’artillerie<br />
roumaine.<br />
(126) (P1) (P2) (.. <br />
; Ruscorpora).<br />
Neržin sidel (P1) i sidel (P2) v molanii.<br />
Nerjine – était assis (P1) – et – était assis (P2) – dans – silence.<br />
= Nerjine était toujours assis en silence.<br />
Il est plutôt fréquent que les événements dans l’énoncé ne soient pas liés par l’une<br />
des trois relations à l’état pur (chronologique, causale, de caractérisation) mais par<br />
une association inégale de ces relations, ces dernières sont comparables aux<br />
ingrédients d’un cocktail différemment dosés. Plus loin, au cours de la description<br />
concrète des énoncés russes, nous essayerons de montrer l’interaction de<br />
plusieurs types de relations.<br />
A relever ici que notre nomenclature de l’ordre temporel diffère du classement<br />
traditionnel, s’apparentant avec le contenu du terme taxis. Cette remarque<br />
concerne avant tout la définition du non-ordonnancement temporel. Selon notre<br />
position, toutes les relations entre les événements se répartissent en deux blocs :<br />
1) relations temporellement ordonnées ; 2) relations temporellement non<br />
ordonnées. La première formation regroupe l’antériorité / postériorité (ordre<br />
temporel positif, dans la terminologie habituelle), la postériorité / antériorité (ordre<br />
temporel négatif) et la simultanéité. Les relations chronologiquement non<br />
ordonnées, quant à elles, incluent l’indétermination temporelle (les événements se<br />
déroulent dans le même cadre temporel mais il est impossible de déterminer la<br />
chronologie exacte entre eux) et la caractérisation (la chronologie entre les<br />
événements n’est pas pertinente, cédant la place à des relations sémantiques).<br />
Les relations causales peuvent être ordonnées ou non ordonnées. Toutes ces<br />
dispositions se reflètent dans le tableau suivant :<br />
111
Relations temporelles<br />
ordonnées :<br />
Antériorité / postériorité<br />
Postériorité / antériorité<br />
Simultanéité<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Ordre temporel<br />
Relations causales<br />
7. NOM<strong>EN</strong>CLATURE DE L’ORDRE <strong>TEMPOREL</strong><br />
Relations temporelles non<br />
ordonnées :<br />
Indétermination temporelle<br />
Caractérisation (concrétisation,<br />
appréciation)<br />
Les relations qui unissent deux événements dans l’énoncé sont établies à partir de<br />
plusieurs paramètres dont chacun communique différents types d’informations à<br />
propos de ces événements. Ces paramètres peuvent être stricto sensu<br />
linguistiques, tels la nature sémantique et la dénotation du prédicat qui désigne<br />
l’événement, le temps et l’aspect verbal ainsi que les adverbiaux temporels.<br />
D’autres paramètres cruciaux sont pragmatiques, telles les informations<br />
encyclopédiques et logiques que le destinataire garde en mémoire. La bonne<br />
interprétation des événements est à trouver dans la confrontation entre les<br />
paramètres linguistiques et pragmatiques, autrement dit dans la confrontation de<br />
la signification sémantique de l’énoncé avec le contexte dans lequel l’interprétation<br />
se réalise. Avant de présenter l’analyse détaillée des relations chronologiques,<br />
causales et de caractérisation (Sections 3.4. – 3.6.), il nous semble nécessaire<br />
d’examiner les facteurs linguistiques et pragmatiques qui influencent l’inférence de<br />
tel ou tel rapport entre les événements.<br />
3.2. Facteurs pragmatiques<br />
A nos yeux, les facteurs pragmatiques les plus importants qui déteignent sur<br />
l’interprétation des relations entre les événements sont d’ordre conceptuel. Il s’agit<br />
des informations encyclopédiques et logiques qui s’organisent dans l’esprit<br />
112
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
humain selon les règles conceptuelles. Ce sont ces notions que nous allons<br />
examiner dans les sections suivantes (3.2.1. et 3.2.2.), en faisant une place à part<br />
à la notion d’intervalle que nous considérons comme faisant partie des<br />
informations encyclopédiques régies par des relations conceptuelles.<br />
3.2.1. Informations encyclopédiques et logiques. Règles conceptuelles<br />
Nous suivons, dans notre travail, l’idée traditionnelle et bien ancrée dans les<br />
sciences cognitives selon laquelle les humains interprètent les phénomènes du<br />
monde en utilisant des schémas logiques établis dans leur cerveau.<br />
L’interprétation des relations entre les événements ne constitue qu’un cas<br />
particulier de cette situation générale. Ainsi, pour interpréter lesdites relations<br />
dans l’énoncé, le destinataire décode les informations linguistiques et<br />
contextuelles en ayant en même temps recours à des schémas logiques, appelés<br />
également règles déductives (terme de D. Sperber et D. Wilson), règles<br />
conceptuelles (terme de la Segmented Discourse Representation Theory, repris<br />
par J. Moeschler) ou encore relations conceptuelles (terme de L. de Saussure).<br />
Les règles conceptuelles régissent les relations logiques qui unissent les<br />
événements dans l’énoncé. Dans la théorie de la pertinence, les règles déductives<br />
sont associées aux concepts, c’est pourquoi, devançant nos réflexions sur les<br />
relations conceptuelles, nous nous arrêterons d’abord sur la notion de concept.<br />
Les sciences cognitives reconnaissent unanimement que l’homme représente le<br />
monde en termes conceptuels. Les concepts sont des représentations<br />
psychologiques envisagées à un certain niveau d’abstraction qui rassemblent<br />
sous une signification générale une série d’objets concrets possédant des<br />
propriétés communes [DLSL 1994 / 1999 : 107].<br />
Sperber et Wilson, dans le cadre de la théorie de la pertinence, approfondissent la<br />
notion de concept, en lui attribuant non seulement une fonction d’adresse en<br />
mémoire à laquelle différents types d’informations peuvent être conservés et<br />
retrouvés, mais aussi une fonction de constituant dans une forme logique (et<br />
113
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
propositionnelle) 53 , où sa présence rend possible l’application de règles<br />
déductives particulières [Sperber, Wilson 1989 : 134-135].<br />
Les informations conceptuelles retenues en mémoire sont de trois types : 1) des<br />
informations encyclopédiques ; 2) des informations lexicales ; 3) des informations<br />
logiques [Ibid. : 135].<br />
Les informations encyclopédiques regroupent les informations sur les objets, les<br />
événements et les propriétés qui tombent sous un concept 54 . Les informations<br />
encyclopédiques sont organisées dans la mémoire en blocs stéréotypés. Parlant<br />
des stéréotypes, Sperber et Wilson présentent un exemple simple et efficace<br />
portant sur les animaux de compagnie. Lorsqu’il s’agit des animaux de<br />
compagnie, la majorité d’entre nous s’imagine un chat ou un chien et pas un<br />
éléphant ou une araignée. Ainsi, si un voisin nous dit qu’il s’est acheté un animal<br />
de compagnie, nous penserons à un chat ou à un chien et non à un éléphant ou à<br />
une araignée [Sperber, Wilson 1989 : 138]. Les informations encyclopédiques<br />
varient d’un individu à un autre et d’un moment à un autre et sont ouvertes [Ibid. :<br />
138]. Pour ne pas quitter l’univers des animaux domestiques, imaginons qu’un ami<br />
nous dise qu’il s’est acheté un chien de chasse. Ne partageant pas les mêmes<br />
acquis sur les chiens et la chasse, les auditeurs auront en tête des<br />
représentations différentes. Les connaisseurs envisageront au mois une quinzaine<br />
de races spécialisées dans divers domaines de la chasse : pointer, fox-terrier,<br />
drahthaar, setter irlandais, braque allemand, épagneul français, lévrier afghan,<br />
griffon, beagle, borzoï… Les personnes moins portées sur les chiens et la chasse<br />
imagineront tout simplement un mammifère domestique qui aboie et possède un<br />
excellent odorat.<br />
53 Pour revoir les définitions des formes logique et propositionnelle, cf. p. 96 du présent travail.<br />
54 Depuis une trentaine d’années, les linguistes qui travaillant dans l’optique cognitive se sont<br />
beaucoup penchés sur l’organisation conceptuelle de la mémoire humaine. Différents modèles de<br />
ce que Sperber et Wilson appellent entrées (informations) encyclopédiques [Sperber, Wilson<br />
1989 : 135-145]), ont été avancés. Ces modèles mettent en œuvre des schémas cognitifs et<br />
développent des notions comme celles de frame (terme que l’on doit à Marvin Minsky ; les<br />
recherches dans cette direction ont été continuées par Charles Fillmore et George Lakoff), de<br />
prototype (Eleanor Rosch), de script ou de scénario (Roger Schank et Robert Abelson), MOPs<br />
[memory organization packets] (David Rumelhart et Donald Norman), etc.<br />
114
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Les informations lexicales contiennent les données sur l’expression linguistique du<br />
concept, notamment les données phonologiques et syntaxiques [Ibid. : 141].<br />
Les informations logiques d’un concept sont des ensembles de règles déductives<br />
qui s’appliquent aux formes logiques dont ce concept est un élément. Même si la<br />
science n’a pas encore déterminé toutes les règles logiques, on peut affirmer que<br />
celles-ci sont de taille limitée et varient peu d’un locuteur à un autre [Ibid. : 139] 55 .<br />
Les règles conceptuelles entre les événements dans l’énoncé sont donc<br />
construites sur la base des concepts événementiels. Il est important de préciser<br />
que les règles conceptuelles entre les événements sont des implications inférées<br />
sur la base de deux prédicats réellement dénotés dans l’énoncé. Le destinataire<br />
ne construit pas d’hypothèses anticipatoires à partir d’un seul procès mais cherche<br />
à établir une relation effective entre deux représentations mentales [Saussure<br />
2003 a : 205].<br />
Les règles conceptuelles entre les événements, étant une application concrète<br />
des règles déductives générales, peuvent être certainement décrites à l’aide de<br />
toute une panoplie de lois logiques. Nous nous en tenons à une classification très<br />
simple dont l’auteur est L. de Saussure [Saussure 2003 a : 206-210].<br />
Premièrement, L. de Saussure divise les règles conceptuelles (relations<br />
conceptuelles, dans sa terminologie) en règles causales et règles non causales. Il<br />
appelle ces dernières des relations stéréotypiques (= règles stéréotypiques).<br />
Deuxièmement, Saussure dissocie les règles nécessaires des règles non<br />
nécessaires. Ainsi, le tableau général présente quatre types de règles<br />
55 Sperber et Wilson décrivent dans leur ouvrage quelques types de déduction [Ibid : 160-180].<br />
Pour donner l’idée de ce que peut être un modèle de déduction, nous nous autorisons à reprendre<br />
deux exemples du livre de L. de Saussure [Saussure 2003 : 67-68]. Le premier exemple présente<br />
une inférence à partir de la règle du modus ponens défaisable et du « principe du manchot » (le<br />
terme de Lascarides et Asher [Lascarides, Asher 1993]). Imaginons Tweety qui est non seulement<br />
un oiseau (qui normalement vole) mais, plus exactement, un manchot (qui ne vole pas).<br />
L’inférence, basée sur le modus ponens défaisable, est la suivante : Les oiseaux volent / Tweety<br />
est un oiseau / Tweety vole. Un tel modus ponens est défaisable parce qu’il existe des oiseaux qui<br />
ne volent pas. Le conflit entre les oiseaux volent et les manchots ne volent pas est résolu par le<br />
« principe du manchot » : Les manchots sont des oiseaux / Les manchots ne volent pas / Les<br />
oiseaux volent / Tweety est un manchot / Tweety ne vole pas. Le deuxième exemple est le principe<br />
de l’introduction de ou : si un Quaker est normalement un pacifiste, et un démocrate est<br />
normalement un pacifiste, alors un Quaker ou un démocrate est un pacifiste.<br />
115
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
conceptuelles qui s’organisent selon leur influence sur la récupération d’une<br />
relation entre les événements :<br />
8. RELATIONS CONCEPTUELLES<br />
1) Règles conceptuelles nécessaires causales Plus fortes<br />
2) Règles conceptuelles nécessaires stéréotypiques<br />
3) Règles conceptuelles non nécessaires causales<br />
4) Règles conceptuelles non nécessaires stéréotypiques Moins fortes<br />
Les règles conceptuelles causales concernent les énoncés dans lesquels un<br />
événement est la cause d’un autre événement :<br />
(127) (a). (b).<br />
Xlynul (a) dožd’. Trava namokla (b).<br />
= La pluie éclata (a). L’herbe fut mouillée (b).<br />
Effectivement, dans cet énoncé, le procès (b) est causé par le (a) : l’herbe fut<br />
mouillée à cause de la pluie qui éclata.<br />
Les règles conceptuelles non causales (stéréotypiques) sont motivées par des<br />
conditions d’apparition des événements dans le monde, sans impliquer un lien de<br />
cause à effet entre les deux procès :<br />
(128) (a). (b).<br />
Samolët prizemlilsja (a). Passažiry vyšli (b).<br />
= L’avion atterrit (a). Les passagers descendirent (b).<br />
Cet énoncé relate une suite habituelle d’événements entre lesquels il y a un lien<br />
stéréotypique mais pas causal : le procès (a) n’est pas la cause du procès (b).<br />
Les règles conceptuelles nécessaires sont celles qui revêtent un caractère<br />
obligatoire, non défaisable. Cela signifie que le destinataire ne peut pas annuler<br />
116
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
une relation de ce type sans toucher à la pertinence de l’énoncé. Les exemples<br />
(127) et (128) présentent respectivement une règle conceptuelle nécessaire<br />
causale et une règle conceptuelle nécessaire non causale. En effet, dans<br />
l’environnement du contexte présent, on voit mal le destinataire, traitant les deux<br />
procès du (127), aboutir à une autre conclusion que la suivante : l’herbe fut<br />
mouillée à cause de la pluie. Cette inférence est la plus pertinente, donc la seule<br />
possible. De même, l’énoncé (128) ne peut être compris que comme : les<br />
passagers sont descendus à la condition nécessaire que l’avion soit au sol.<br />
L. de Saussure range parmi les règles conceptuelles nécessaires causales les<br />
corrélations tautologiques du type tuer mourir :<br />
(129) (a). (b).<br />
Onegin ubil Lenskogo na dueli (a). Lenskij pogib (b).<br />
= Onéguine tua (a) Lenski en duel. Lenski mourut (b).<br />
Les règles conceptuelles non nécessaires présentent des relations causales ou<br />
stéréotypiques dont les liens sont défaisables. Ainsi, les règles non nécessaires<br />
causales montrent un rapport entre cause et effet sans que la cause provoque<br />
nécessairement, obligatoirement un tel effet :<br />
(130) (a). (b).<br />
Pevica sfal’šivila (a). Publika eë osvistala (b).<br />
= La cantatrice chanta faux (a). Le public la siffla (b).<br />
Le premier événement cause le second mais ce lien est défaisable : les fausses<br />
notes ne causent pas toujours les sifflets du public. Cependant, dans ce cas, la<br />
cause des sifflets est bien la manière de chanter. Saussure donne un critère pour<br />
distinguer les règles nécessaires causales des règles non nécessaires causales :<br />
étant donné les deux procès, si les deux peuvent être le cas ensemble sans que<br />
l’un implique l’autre, alors la règle est non nécessaire [Saussure 2003 a : 208].<br />
Enfin, les règles non nécessaires stéréotypiques fournissent des prédictions<br />
faibles fondées sur la connaissance du monde. Aucun événement n’est<br />
117
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
conditionné ni causé par un autre, mais un lien entre eux est suggéré par les<br />
connaissances encyclopédiques :<br />
(131) (). (b).<br />
Spektakl’ zakonilsja (a). Razdalis’ aplodismenty (b).<br />
= Le spectacle se termina (a). Les applaudissements éclatèrent (b).<br />
Les règles conceptuelles, causales et stéréotypiques, déclenchent diverses<br />
relations chronologiques (antériorité, postériorité, simultanéité, relations non<br />
différenciées) et logiques entre les événements ; cf. les énoncés suivants :<br />
(132) (a). (b).<br />
Sobaka oskalilas’ (a). elovek ispugalsja (b).<br />
= Le chien montra les dents (a). L’homme eut peur (b).<br />
(133) (a). (b).<br />
Bylo temno (a). Ja niego ne videl (b).<br />
= Il faisait noir (a). Je ne voyais rien (b).<br />
(134) (). (b).<br />
Veerom povalil sneg (a). Kryši domov stali belymi (b).<br />
= Le soir, la neige commença à tomber (a). Les toits des maisons devinrent<br />
blancs (b).<br />
(135) (a). (b).<br />
Sobaka oskalilas’ (a). elovek ne ispugalsja (b).<br />
= Le chien montra les dents (a). L’homme n’eut pas peur (b).<br />
(136) (a) (b).<br />
On šël (a) i xromal (b).<br />
Il – marchait (a) – et – boitait.<br />
= Il marchait en boitant.<br />
Dans l’exemple (132) l’événement (a) se produit avant le (b) et cause le (b). Les<br />
événements dans cet énoncé présentent donc à la fois une relation temporelle<br />
d’antériorité et une relation logique de causalité.<br />
118
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
L’exemple suivant (133) est le cas de la causalité strictement concomitante :<br />
l’événement (a) est la cause du (b), et les deux événements se déroulent en<br />
même temps.<br />
L’exemple (134) désigne à la fois une relation causale et une relation temporelle<br />
non ordonnée : l’événement (b) se produit à cause du (a) mais il est difficile de<br />
définir une relation temporelle exacte entre ces deux procès. On ne peut<br />
interpréter cet énoncé ni comme : d’abord la neige a commencé à tomber, ensuite<br />
les toits sont devenus blancs ; ni comme : la neige a commencé à tomber et,<br />
pendant la chute, les toits sont devenus blancs, car on ne sait pas si l’événement<br />
causant « la neige commença à tomber » dure seulement jusqu’à ce que les toits<br />
deviennent blancs ou au-delà de cet événement causé.<br />
Dans l’énoncé (135) apparaissent à la fois une relation causale de concession<br />
(l’événement (b), conditionné par l’événement (a), exprime un effet à l’opposé de<br />
l’effet attendu) et une relation chronologique que nous qualifions comme non<br />
différenciée.<br />
Enfin, l’exemple (136) montre une relation stéréotypique (l’événement (b) n’existe<br />
pas sans l’événement (a)). La question de la chronologie ne se pose pas car il<br />
s’agit en réalité d’un seul et unique événement, exprimé par deux prédicats : l’un<br />
des prédicats désigne le procès général tandis que l’autre indique une<br />
caractéristique, une précision de ce procès (Nous décrivons plus bas ce type de<br />
relations sous le nom relations de concrétisation).<br />
Voici, en guise de récapitulation, les définitions des quatre règles conceptuelles<br />
[Saussure 2003 a : 209] :<br />
Règle conceptuelle nécessaire causale<br />
Si B ne peut être le cas sans que A soit la cause de B, alors la relation causale est<br />
nécessaire.<br />
Exemples :<br />
1) A = tuer (Onéguine) ; B = mourir (Lenski) ;<br />
2) A = tomber (pluie) ; B = être mouillée (l’herbe).<br />
119
Règle conceptuelle nécessaire stéréotypique<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Si B ne peut être le cas sans que A soit le cas, mais que A ne cause pas B, alors<br />
la relation est stéréotypique nécessaire.<br />
Exemples :<br />
1) A = atterrir (l’avion) ; B = descendre (les passagers) ;<br />
2) A = marcher (l’homme) ; B = boiter (l’homme).<br />
Règle conceptuelle non nécessaire causale<br />
Si A peut être le cas sans que B soit le cas et que B peut être le cas sans que A<br />
en soit la cause, alors la relation causale est non nécessaire.<br />
Exemple :<br />
A = chanter faux (le chanteur) ; B = siffler (le public).<br />
Règle conceptuelle non nécessaire stéréotypique<br />
Si A peut être le cas sans que B soit le cas et que B peut être le cas sans que A<br />
soit le cas, mais que généralement dans le monde un procès analogue à B suit un<br />
procès analogue à A, alors la relation est non nécessaire stéréotypique.<br />
Exemple :<br />
A = se terminer (le spectacle) ; B = applaudir (le public).<br />
Et une dernière remarque que nous estimons importante. Nous considérons,<br />
comme L. de Saussure ([Saussure 2003 a : 149 ; 212-213], et à l’opposé de<br />
J. Moeschler, que les règles conceptuelles ne relèvent pas du domaine de la<br />
sémantique mais de celui de la pragmatique. Cela veut dire que les règles<br />
conceptuelles sont des implications tirées par le destinataire ad hoc sur la base<br />
des informations qu’il possède. Dans les séquences du type pousser tomber, il<br />
n’y a pas de relations sémantiques préexistantes, toutes faites, mises à disposition<br />
en mémoire du destinataire, il faudrait sinon reconnaître un nombre infini de règles<br />
fondées sur des liens sémantiques, comme : pousser vaciller, pousser <br />
blesser, pousser casser, pousser rouler, pousser glisser à ski, pousser <br />
faire glisser un traîneau… La longueur de la liste dépend de l’imagination de<br />
chacun.<br />
120
3.2.2. Intervalle<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Une composante importante de la relation temporelle est l’intervalle, c’est-à-dire<br />
un laps de temps qui sépare les deux processus dans l’énoncé [Kozlowska<br />
1998 b : 225].<br />
Le destinataire considère normalement que les événements décrits sont séparés<br />
par des intervalles différents, cf. les exemples suivants (137), (104), (138) qui sont<br />
empruntés à Wilson et Sperber [Wilson, Sperber 1993 : 8] et les exemples (105),<br />
(139), tirés de [Kozlowska 1998 b : 225] ) :<br />
(137) Jean a laissé tomber le verre. Il s’est cassé.<br />
(104) J’ai sorti ma clé. J’ai ouvert la porte (Cet exemple est également<br />
présenté à la page 99 de notre travail).<br />
(138) Max s’est réveillé. Il a pris une douche.<br />
(105) Ils ont planté un gland. Il a poussé (Cet exemple est également<br />
présenté à la page 99 de notre travail).<br />
(139) Max a passé son enfance en Suisse. Pour sa retraite, il s’est installé en<br />
France.<br />
Comme ces exemples nous le montrent, la période qui sépare les actions est plus<br />
ou moins longue. Elle peut correspondre à quelques secondes, à quelques<br />
minutes, à quelques mois, à quelques années…<br />
Même si l’intervalle peut être exprimé explicitement par des moyens linguistiques :<br />
(140) Max s’est réveillé et a tout de suite pris une douche.<br />
(141) Ils ont planté un gland. Il a poussé dix jours après,<br />
dans de nombreux cas, les informations linguistiques sur la distance temporelle<br />
séparant les événements sont absentes, et le destinataire calcule l’intervalle selon<br />
le principe de pertinence (Cf. [Sperber, Wilson 1989 ; Wilson, Sperber 1993 : 17-<br />
21] et pp. 97 de notre travail). Pour illustrer le fonctionnement de ce principe,<br />
121
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
suivons les réflexions de Wilson et Sperber [Wilson, Sperber 1993 : 17-21] 56 . La<br />
théorie de la pertinence, comme la plupart des autres études, suppose que le<br />
destinataire a un accès immédiat à des hypothèses encyclopédiques, dont celles<br />
sur les clés et les portes. Les entrées encyclopédiques contiennent des morceaux<br />
tout faits ou des schémas décrivant des suites d’événements souvent rencontrées.<br />
Le schéma « sortir une clé et l’utiliser dans les secondes ou, tout au plus, dans les<br />
minutes qui suivent pour ouvrir la porte » devrait donc se trouver dans les<br />
connaissances encyclopédiques du destinataire ; de plus, vu son usage fréquent,<br />
un tel schéma serait hautement accessible au destinataire. Dans les circonstances<br />
normales, c’est même l’hypothèse la plus pertinente, alors que toute autre<br />
interprétation moins probable serait injustifiée, par exemple, « sortir la clé,<br />
s’endormir sur le paillasson et ouvrir la porte le lendemain », etc. Plus encore : le<br />
locuteur qui veut communiquer un intervalle inhabituel entre les événements<br />
« sortir une clé » et « ouvrir la porte » ne pourra jamais utiliser l’énoncé (104) tel<br />
quel.<br />
L’intervalle est important pour déterminer l’interprétation des relations d’antériorité<br />
et de postériorité. Selon le rôle de l’intervalle, nous voyons deux situations<br />
possibles de l’antériorité / postériorité : 1) antériorité (postériorité) de contact ;<br />
2) antériorité (postériorité) d’intervalle.<br />
1) Antériorité (postériorité) de contact. Dans ce cas, les événements se<br />
produisent l’un après l’autre mais l’intervalle entre les actions est absent. Ce type<br />
de relation entre les événements apparaît dans le contexte où un événement<br />
cesse d’avoir lieu sous l’effet immédiat d’un autre événement :<br />
(142) , <br />
(.. // , 30. 11. 2001 ;<br />
Ruscorpora).<br />
Veerom šël, vozle doma upal v kanavu i umer.<br />
(Pendant) soir – marchait, – près de – maison – tomba – dans – fossé –<br />
et – mourut.<br />
56 Dans cet article, Wilson et Sperber développent davantage les postulats de la théorie de la<br />
pertinence, en introduisant par exemple la notion de critère de cohérence avec le principe de<br />
pertinence. A ce stade de notre travail, nous ne jugeons pas nécessaire d’employer cette notion.<br />
122
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Le soir, quand il marchait près de la maison, il tomba dans un fossé et<br />
mourut.<br />
(143).<br />
Volodjaital knigu i zasnul.<br />
Volodia – lisait – livre et – s’endormit.<br />
= Volodia lisait un livre et s’endormit.<br />
(144) […] […]<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
On govoril prošal’nuju re’ i vdrug zamolal.<br />
Il – disait – (de) adieu – discours – et – subitement – se tut.<br />
= Il prononçait un discours d'adieu et subitement il se tut.<br />
On peut également placer sous l’enseigne de l’antériorité / postériorité de contact<br />
les événements liés par une relation logique où un événement est un résultat<br />
immédiat ou une conséquence immédiate d’un autre événement. D’une certaine<br />
façon, il est possible de parler de l’impact de deux événements, le début du<br />
second se produisant au moment où le premier s’achève. On range dans ce cas<br />
de figure les énoncés comme (137) à la p. 121 ; cf. aussi les exemples suivants :<br />
(145).<br />
On upal s lošadi i slomal nogu.<br />
Il – tomba – de – cheval – et – cassa – jambe.<br />
= Il tomba du cheval et se cassa une jambe.<br />
(146),,<br />
( : 251-252).<br />
Kozlonogij podnës ej bokal s šampanskim, ona vypila ego, i serdce eë<br />
srazu sogrelos’.<br />
Celui ayant les pieds de bouc – tendit – (à) elle – verre – avec –<br />
champagne, – elle – but – lui, – et – cœur – son – immédiatement – se<br />
réchauffa.<br />
= Le faune lui tendit une flûte de champagne, elle la but et son cœur se<br />
réchauffa immédiatement.<br />
123
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(147) , <br />
(. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
Direkcija posovešalas’ s profkomom, i rešili ispol’zovat’ vyxodnoj den’.<br />
Direction – s’entretint – avec – syndicat, – et – (ils) décidèrent – utiliser –<br />
jour – (de) repos.<br />
= La direction s'est entretenue avec le syndicat et ils ont décidé d'utiliser le<br />
jour de repos.<br />
On peut classer ici une relation spécifique d’antériorité / postériorité qui n’admet<br />
aucun intervalle entre les événements, le second événement constituant le<br />
dernière stade du premier :<br />
(148) […] <br />
( : 213).<br />
My probralis’ skvoz’ tolpu krasnogvardejcev i okazalis’ u konjušen.<br />
Nous – passâmes – à travers – foule – (de) gardes rouges – et – se<br />
retrouvâmes – près de – écuries.<br />
= Nous nous frayâmes un passage à travers la foule de soldats et nous<br />
nous retrouvâmes près des écuries.<br />
2) Antériorité (postériorité) d’intervalle. Dans ce deuxième cas, un événement<br />
atteint son achèvement naturel et l’autre lui succède après un certain intervalle de<br />
temps. Selon la nature des événements, l’intervalle peut être très court ou très<br />
long, cf. les exemples à la page 121 57 .<br />
57 V. S. Xrakovskij propose de distinguer deux types d’intervalle : l’intervalle de contact et<br />
l’intervalle de distance. Dans le premier cas, le second procès suit immédiatement le premier ;<br />
dans le second cas, l’action qui suit est séparée de la précédente par une plus longue période du<br />
temps [Xrakovskij 2003 : 42-43]. Cette classification ne nous semble pas justifiée. Même si une<br />
action suit l’autre immédiatement, on constate un intervalle. Autrement, on peut couper l’échelle<br />
des intervalles en nombre infini : intervalle infinitésimal, intervalle plus grand, intervalle énorme…<br />
Parfois, on sent intuitivement que l’intervalle est présent, mais il nous est difficile de le mesurer.<br />
124
3.3. Facteurs linguistiques<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Dans les prochaines sections de notre travail, nous décrivons les paramètres<br />
linguistiques qui influencent l’inférence de la relation entre les événements dans<br />
l’énoncé. Ce sont des moyens lexicaux (les adverbes temporels et les<br />
conjonctions) et grammaticaux (le temps et l’aspect verbal).<br />
3.3.1. Adverbiaux et conjonctions : connecteurs temporels, causaux et<br />
logiques<br />
Il est évident que les adverbiaux temporels et les conjonctions contribuent<br />
fortement à la détermination des relations entre les événements. Pourtant, tous les<br />
adverbiaux temporels et les conjonctions n’ont pas le même impact, seuls les<br />
connecteurs temporels, logiques et causaux sont véritablement pris en compte<br />
dans le calcul des relations entre les événements. Précisons ces termes.<br />
Les connecteurs temporels font partie des adverbiaux temporels. Il s’agit des<br />
expressions qui indiquent un lien temporel entre les événements : –<br />
snaala – « d’abord » ; – potom – « après, puis» ; – zatem –<br />
« ensuite, puis » ; – kak tol’ko – « dès que » ; –<br />
posle togo kak – « après que » ; – ran’še – « avant, auparavant » ;<br />
– pozže – « plus tard » ; – kogda – « quand »… Les autres<br />
adverbiaux temporels indiquant une restriction temporelle ( – vera –<br />
« hier » ; – vesnoj – « au printemps » ; – toj no’ju – « cette<br />
nuit-là » ; – v sentjabre – « en septembre » ; 1980 – v 1980<br />
godu – « en 1980 »…) ou une durée ( – za pjat’ minut – « en<br />
cinq minutes » ; – v teenie dnja – « durant la journée » ; <br />
– vsju no’ – « toute la nuit »…) n’apportent pas, dans la plupart des cas, de<br />
véritables informations sur la détermination des relations entre les événements<br />
[Saussure 2003 a : 177-178].<br />
Les connecteurs causaux sont des adverbiaux qui marquent un lien causal<br />
(cause, conséquence, concession, condition, but) entre deux événements : <br />
125
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
– tak kak – « parce que, puisque », – potomu to – « parce<br />
que », – ibo – « car », – xotja – « quoi que, bien que », … –<br />
esli…to – « si… (alors) », etc. Les connecteurs causaux n’agissent pas<br />
directement sur le temps, ils ne font qu’indiquer une relation conceptuelle qui, elle,<br />
participe contextuellement à l’inférence des relations temporelles.<br />
Les connecteurs logiques sont des conjonctions du type – i – « et » ; – no –<br />
« mais », – a – « et, mais » 58 . Nous pensons que ces conjonctions incarnent<br />
simplement le concept logique de conjonction sans influencer les relations<br />
temporelles (cf. [Wilson, Sperber 1993 a], [Saussure, Sthioul 2002] et aussi p. 98<br />
de notre travail). Les exemples suivants montrent que les relations entre les<br />
événements ne reposent pas sur la conjonction u (« et ») mais sont inférées sur la<br />
base du temps et de l’aspect verbal et du fonctionnement du principe de<br />
pertinence :<br />
(149) , : <br />
,.<br />
Ja ne znaju tono, kak vsë bylo : on proslavilsja i napisal memuary, ili on<br />
napisal memuary i proslavilsja.<br />
Je – ne – sais – exactement – comment – tout – fut : – il – devint célèbre –<br />
et – écrivit – mémoires, – ou – il – écrivit – mémoires – et – devint –<br />
célèbre.<br />
= Je ne sais pas exactement comment tout s’est passé : il est devenu<br />
célèbre et a écrit ses mémoires, ou il a écrit ses mémoires et est devenu<br />
célèbre.<br />
(150) : ,<br />
,,<br />
(Exemple adapté au russe de Wilson, Sperber [Wilson,<br />
Sperber 1993 a : 10], également p. 100 de notre travail).<br />
Na veerinkax vsegda odno i to že : ja napivajus’, i nikto so mnoj ne<br />
razgovarivaet, ili nikto so mnoj ne razgovarivaet, i ja napivajus’.<br />
58 Le champ de valeurs sémantiques et fonctionnelles des conjonctions russes et françaises n’est<br />
pas le même. La traduction française, privée de contexte, est donc à considérer comme<br />
approximative.<br />
126
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Dans – soirées – toujours – une – et – même (chose) – alors : – je – bois<br />
(jusqu’à l’ivresse) – et – personne – avec – moi – ne – parle, – ou<br />
personne – avec – moi – ne – parle – et – je – bois (jusqu’à l’ivresse).<br />
= C’est toujours pareil dans les soirées : soit je me saoule et personne ne<br />
me parle, soit personne ne me parle et je me saoule.<br />
En continuité avec la position de Saussure et de Moeschler, remarquons que<br />
même les connecteurs temporels, si forte que soit leur information dans l’énoncé,<br />
perdent leur signification, étant en conflit avec l’hypothèse conceptuelle, cf. :<br />
(151) , ,<br />
, (.. <br />
; Ruscorpora).<br />
Nekotoroe vremja on prosmatrival eë, potom usmexnulsja i, otloživ gazetu,<br />
prinjalsja za moroženoe.<br />
Certain – temps – il – parcourait – le, – puis – pouffa – et, – ayant mis de<br />
côté – journal, – se mit – à – glace.<br />
= Pendant quelque temps il le parcourait, puis il pouffa et, mettant le journal<br />
de côté, se mit à manger la glace.<br />
Malgré la présence de l’adverbe (potom – « ensuite »), la relation qui lie<br />
les événements A et B, en (151), est celle de non-ordonnancement temporel. Par<br />
son arrivée, le fait (usmexnut’sja – « pouffer ») ne met pas<br />
nécessairement fin au procès (prosmatrivat’ – « parcourir ») :<br />
pouffer peut avoir lieu pendant le dernier stade de l’action parcourir le journal.<br />
3.3.2. Temps et aspect<br />
Parmi toutes les caractéristiques linguistiques des formes verbales russes, ce sont<br />
le temps et l’aspect qui importent le plus dans l’inférence des relations entre les<br />
événements.<br />
127
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
D’habitude, les études grammaticales traditionnelles, en décrivant les formes<br />
verbales, présentent des valeurs « conceptuelles », c’est-à-dire des valeurs de<br />
base (ou des valeurs invariantes) qui sont censées gouverner tous les emplois de<br />
ces formes verbales. Cependant, en consultant la liste des différents emplois, on<br />
constate parfois un gouffre entre les valeurs de base générales et les emplois<br />
spécifiques.<br />
La théorie de la pertinence propose une solution à ce problème, en introduisant<br />
une différence importante entre deux manières d’encoder linguistiquement les<br />
informations : soit de manière conceptuelle, soit de manière procédurale [Wilson,<br />
Sperber 1990]. L’information conceptuelle permet de déterminer le contenu d’un<br />
concept (ou de manière plus générale, d’une représentation mentale), alors que<br />
l’information procédurale détermine la manière dont le système de traitement (par<br />
exemple, la cognition humaine) doit traiter l’information conceptuelle. Rappelons<br />
que c’est dans le sens de ces réflexions que L. de Saussure décrit, dans son<br />
modèle pragmatique général du temps, les procédures des temps du passé en<br />
français (passé simple, passé composé, imparfait et plus-que-parfait) [Saussure<br />
2003 a : 221-249] (Cf. aussi la section 2.3.3. et Annexe). L’objectif de la procédure<br />
est de livrer les instructions spécifiques pour une forme verbale dans son emploi<br />
concret et non de donner toutes les interprétations possibles de cette forme dans<br />
différents contextes. Une procédure, par exemple, du passé simple chez Saussure<br />
prend la forme suivante :<br />
1. E,R–S (L’événement et le point de référence appartiennent au passé).<br />
2. R : = R+1 (Incrémenter la valeur de R si possible : instruction par défaut).<br />
3. Si un connecteur demande l’inversion temporelle, appliquer l’inversion.<br />
4. Si une relation conceptuelle demande une encapsulation, appliquer la règle<br />
[Ibid. : 228].<br />
128
3.3.2.1. Passé perfectif : valeurs temporelles de base<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Les descriptions classiques attribuent au passé perfectif deux valeurs temporelles<br />
fondamentales suivantes [GRJ I : 488-489] :<br />
1. Le passé perfectif désigne un événement qui s’est déroulé dans le passé,<br />
avant le moment de l’énonciation. Dans la narration, une suite de formes au passé<br />
perfectif marque des événements qui se succèdent dans le passé, autrement dit,<br />
l’ordre des prédicats montre l’ordre réel des événements :<br />
(152),,<br />
( : 16).<br />
Ivan Ivany snjal rjukzak, dostal ottuda kolbasku, otrezal malen’kij kusoek i<br />
brosil Loxmatke.<br />
Ivan – Ivanytch – enleva – sac à dos, – prit – de là – petit saucisson, –<br />
découpa – petit – morceau – et – jeta – (à) Lokhmatka.<br />
= Ivan Ivanytch enleva le sac à dos, y prit un saucisson, découpa un petit<br />
morceau et le jeta à Lokhmatka.<br />
2. Le passé perfectif désigne une action dans le passé dont le résultat est<br />
présent au moment de l’énonciation :<br />
(153) , ,<br />
, , <br />
( : 97).<br />
Bron’ka ronjaet golovu na grud’, dolgo mola plaet, oskalilsja, skripit<br />
zdorovymi zubami, motaet bezutešno golovoj.<br />
Bronka – laisse tomber – tête – sur – poitrine, – longtemps – en silence –<br />
pleure, – fit un rictus, – grince – (avec) saines – dents, – secoue –<br />
inconsolablement – tête.<br />
= Bronka baisse la tête, pleure longtemps en silence, un rictus aux lèvres,<br />
grince de ses dents saines, secoue inconsolablement la tête.<br />
129
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(154) , <br />
( : 37).<br />
Lico pervosvjašennika pokrylos’ pjatnami, glaza goreli.<br />
Visage – (de) pontife – se couvrit – (de) taches – yeux – flamboyaient.<br />
= Le visage du pontife se couvrit de taches, ses yeux flamboyaient.<br />
Nous partageons globalement cette définition des valeurs temporelles<br />
fondamentales du passé perfectif : cette forme aspecto-temporelle manifeste,<br />
selon la sémantique verbale et le contexte, deux valeurs temporelles. On peut<br />
appeler la première valeur d’aoriste ( – znaenie aorista), et<br />
la seconde – valeur de parfait ( – perfektnoe znaenie)<br />
qui modifie la nature aspectuelle (ou la classe aspectuelle) du passé perfectif, ce<br />
dernier ne désignant plus une action dans le passé mais un état résultant au<br />
moment de l’énonciation. Dans beaucoup d’emplois, le passé perfectif s’avère<br />
ambigu. Effectivement, l’énoncé :<br />
(155).<br />
Miša zakryl dver’.<br />
= Micha a fermé la porte,<br />
peut être compris comme :<br />
1) L’énoncé qui renvoie à un événement antérieur (valeur d’aoriste) : c’est<br />
l’action effectuée elle-même qui compte ;<br />
2) L’énoncé qui renvoie à l’état résultant au moment de l’énonciation (valeur de<br />
parfait) : c’est le résultat de l’action effectuée qui importe : Micha a fermé la porte /<br />
La porte est fermée en ce moment 59 .<br />
La seule information temporelle immuable que fournisse le passé perfectif<br />
concerne le rapport entre le moment de la parole S et le moment de l’événement<br />
E : le moment de l’événement est antérieur au moment de la parole (, dans<br />
la formule de Reichenbach). Il est impossible, dans ce contexte minimal, de se<br />
59 Signalons la position radicale de Georges Martinowsky qui soutient que le russe n’a pas<br />
d’aoriste. Pour lui, les formes du perfectif en sont toujours des parfaits [Martinowsky 2008 :<br />
70].<br />
130
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
prononcer en définitive sur le point R, il peut être antérieur au point S et<br />
concomitant avec le point E (la formule dans le tableau de Reichenbach est<br />
), ou postérieur au point E (la formule est ).<br />
3.3.2.2. Passé imperfectif : valeurs temporelles de base<br />
Comme l’indiquent les grammaires, le passé imperfectif désigne un procès ou un<br />
état qui se déroule dans le passé et qui est complètement coupé du présent. On<br />
distingue trois valeurs générales du passé imperfectif [GRJ I 1960 : 487-489] :<br />
1. La plupart du temps, le passé imperfectif remplit une fonction descriptive, on<br />
l’appelle passé descriptif. Le passé descriptif désigne un procès sans fixer un<br />
cadre temporel. Plusieurs passés descriptifs dans un énoncé indiquent des<br />
événements qui ont duré dans le passé sans fixer un ordre chronologique dans<br />
leur déroulement :<br />
(156) . <br />
. <br />
. <br />
[…]. ,<br />
, ,<br />
. <br />
.<br />
(, II : 635).<br />
Za prirenymi verbami raznogoloso gomonili ljaguški. Za bugrom valilos’<br />
erez porog solnce. Po xutoru Setrakovu rassasyvalas’ veernjaja proxlada.<br />
Ot domov na suxuju dorogu padali ogromnye kosye teni. S vygona,<br />
perebrexivajas’ novostiškami, pogonjaja korov xvorostinami, šli kazaki. Po<br />
proulkam bosye i uže zagorevšie kazaata kozlokovali v exarde. Stariki<br />
stepenno sideli na zavalinkax.<br />
Derrière – (de) rivière – saules – en dissonance – s’époumonaient –<br />
grenouilles. – Derrière – colline – s’écroulait – à travers – seuil – soleil. –<br />
131
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Dans – village – Setrakovo – se résorbait – vespérale – fraîcheur. – De –<br />
maisons – sur – seche – route – tombaient – immenses – obliques –<br />
ombres. – De – pâturage, – en jacassant – petites nouvelles – en fouettant<br />
vaches – (avec) triques – marchaient – femmes cosaques. – Dans –<br />
ruelles – pieds-nus – et – déjà – bronzés – enfants cosaques – sautaient –<br />
dans – saute-mouton. – Vieux – dignement – étaient assis – sur – remblais.<br />
= Derrière des saules se donnaient en récital des grenouilles. Derrière la<br />
colline disparaissait le soleil. Dans le village de Setrakovo la fraîcheur<br />
vespérale se dispersait. Les ombres obliques des maisons s'étalaient sur la<br />
route sèche. En s'échangeant des petites nouvelles et en donnant des<br />
coups de trique aux vaches, les femmes rentraient du pâturage. Les gamins<br />
pieds-nus et déjà bronzés jouaient à saute-mouton dans les ruelles. Les<br />
vieux étaient assis posément sur les remblais.<br />
(157) , <br />
, <br />
( : 63).<br />
Ona sledila za svodkami Sovinformburo, byla v kurse voennyx sobytij,<br />
vmešivalas’ v razgovory o politike.<br />
Elle – suivait – derrière – comptes-rendus – (de) bureau d’information<br />
soviétique, – était – au courant – (de) guerre – événements, – intervenait –<br />
dans – conversations – sur – politique.<br />
= Elle suivait les comptes-rendus officiels, était au courant des événements<br />
de la guerre, intervenait dans les conversations politiques.<br />
2. Le passé imperfectif exprime une action dans le passé sans faire valoir la<br />
valeur de durée :<br />
(158) , <br />
( // -, 31, 08.08.<br />
2000 ; Ruscorpora).<br />
V etom godu ja otdyxal v Kislovodske, dve nedeli provël v sanatorii.<br />
En – cette – année – je – me reposais – à – Kislovodsk, – deux –<br />
semaines – passai – dans – station thermale.<br />
132
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Cette année, je suis allé en vacances à Kislovodsk, j’ai passé deux<br />
semaines dans une station thermale.<br />
(159) - (. . <br />
; Ruscorpora).<br />
Kto-to streljal v losënka i ranil ego.<br />
Quelqu’un – tirait – sur – petit élan – et – blessa – le.<br />
= Quelqu’un a tiré sur le petit élan et l’a blessé.<br />
3. Le passé imperfectif formé des verbes itératifs sans préfixes désigne une<br />
action passée, éloignée du présent, irrégulièrement répétée :<br />
(160): «;<br />
.<br />
<br />
, » ( : 145).<br />
Staruška ej : « A vot kamin;<br />
Zdes’ barin sižival odin.<br />
Zdes’ s nim obedyval zimoju<br />
Pokojnyj Lenskij, naš sosed ».<br />
Petite vieille – (à) lui : « Et – voilà – cheminée –<br />
Ici – Monsieur – était souvent assis – seul –<br />
Ici – avec lui – dînait souvent – en hiver –<br />
Feu – Lenski, – notre – voisin ».<br />
= Guidant Tania, « là-bas, Monsieur<br />
Restait tout seul au coin du feu.<br />
L’hiver, on y dressait la table<br />
Quand feu Monsieur Lenski venait » 60 .<br />
Tout comme pour le passé perfectif, la seule information temporelle stable fournie<br />
par le passé imperfectif est le rapport entre le point S et le point E : avec<br />
une remarque sur l’étendue ou la répétition du procès. Dans un énoncé concret, le<br />
60 Traduction de André Markowicz, empruntée dans : Alexandre Pouchkine. Eugène Onéguine<br />
(roman en vers traduit du russe par André Markovicz), Ed. : Actes Sud, 2005, p. 183.<br />
133
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
passé imperfectif peut acquérir la valeur synchronisée (la formule chez<br />
Reichenbach ), la valeur rétrospective (la formule est ) ou<br />
même, comme nous l’avons signalé dans la partie 2.1.3. pp. 81-82, la valeur de<br />
plus-que-parfait .<br />
3.3.2.3. Combinaisons des formes aspecto-temporelles du passé : valeurs<br />
par défaut<br />
Après avoir examiné les valeurs temporelles du passé perfectif et imperfectif<br />
isolés dans l’énoncé, nous pouvons conclure qu’il est impossible de poser la<br />
valeur temporelle par défaut pour chacune de ces formes, la seule information<br />
temporelle stable étant (La valeur par défaut est une valeur qui apparaît<br />
dans un contexte minimal, privé de contraintes spécifiques, comme une relation<br />
conceptuelle ou un connecteur temporel). Néanmoins ne serait-il pas<br />
envisageable de définir les valeurs d’ordre temporel par défaut propres aux<br />
combinaisons des formes aspecto-temporelles ?<br />
Les deux formes du passé en russe, perfectif et imperfectif, produisent quatre<br />
combinaisons formelles possibles :<br />
1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif ;<br />
2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif ;<br />
3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif ;<br />
4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif.<br />
Deux conditions nous semblent indispensables pour l’établissement de la valeur<br />
d’ordre temporel par défaut : 1) le destinataire considère toujours l’énoncé produit<br />
par le locuteur comme pertinent ; 2) l’énoncé a lieu dans un contexte minimal.<br />
La première condition, celle de la pertinence de l’énoncé, repose sur le principe<br />
selon lequel le locuteur a l’intention de communiquer quelque chose au<br />
destinataire. Cela veut dire que le destinataire fait confiance au locuteur et<br />
134
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
considère que tout l’énoncé produit par ce dernier est pertinent. Ainsi donc si le<br />
locuteur énonce :<br />
(161) François épousa Adèle. Paul s’acheta une maison à la campagne,<br />
le destinataire, orienté vers la recherche de pertinence, perçoit cet énoncé comme<br />
pertinent même dans les conditions du contexte minimal, c’est-à-dire sans<br />
disposer dans son environnement cognitif d’aucune hypothèse conceptuelle qui lui<br />
permettrait d’inférer que l’achat de la maison est conditionnée d’une manière ou<br />
d’une autre par le mariage de François et Adèle. Le destinataire considère donc<br />
que les deux événements ne sont pas mentionnés absurdement mais sont unis<br />
par un lien thématique (topique).<br />
Appliqué à notre problématique, le lien thématique entre les événements repose<br />
impérativement sur l’unité du plan chronologique des actions, notion proposée par<br />
Bondarko [Bondarko 1987 : 237-238] (Cf. aussi p. 85 de notre travail). L’unité du<br />
plan chronologique est un cadre temporel, une sorte de microsystème qui<br />
rassemble les événements liés à la même situation. La condition indispensable de<br />
l’unité du plan chronologique est la référence des événements au même moment<br />
de l’énonciation. Ainsi, les énoncés suivants, qui ne respectent pas cette<br />
condition, n’appartiennent pas au même cadre chronologique et n’entrent pas<br />
dans le champ de notre étude :<br />
(162),.<br />
On skazal,to oni priedut zavtra.<br />
Il – dit – que – ils – viendront – demain.<br />
= Il a dit qu’ils viendraient demain.<br />
(163) , <br />
[…] ( : 347).<br />
Rimskij utverždal,to nikakoj Gelly v okne u sebja v kabinete on ne videl.<br />
Rimski – affirmait – que – aucune – Hella – dans – fenêtre – chez – soi –<br />
dans – bureau – il – ne – voyait.<br />
= Rimski affirma qu’il n’avait jamais vu aucune Hella à la fenêtre de son<br />
bureau.<br />
135
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Le contexte minimal, qui suppose que la relation temporelle entre deux<br />
événements dans l’énoncé ne subit aucune contrainte conceptuelle, est une<br />
abstraction car il est pratiquement impossible d’épurer le contexte au point<br />
d’exclure tout élément conceptuel. Nous voyons au moins trois éléments<br />
ubiquitaires, indélogeables qui exercent un impact sur les hypothèses<br />
contextuelles et indirectement sur la valeur temporelle entre les événements :<br />
1) Le sujet (le même sujet pour les deux actions ou deux sujets distincts) ; 2) La<br />
sémantique verbale ; 3) L’ordre d’apparition des verbes.<br />
Nous supposons qu’un énoncé à sujet unique contient davantage de contraintes<br />
pour exprimer la simultanéité qu’un énoncé à deux sujets distincts, étant donné<br />
que la capacité d’une seule personne à effectuer plusieurs actions en même<br />
temps est normalement réduite, voire impossible. Observons, par exemple, les<br />
énoncés suivants : en (164) la simultanéité est exclue tandis qu’en (165) elle est<br />
tolérée :<br />
(164),.<br />
Daša vymyla posudu, sxodila v magazin.<br />
Dacha – lava – vaisselle, – fit aller-retour – à – magasin.<br />
= Dacha a fait la vaisselle, a fait les courses.<br />
(165),.<br />
Daša vymyla posudu, Ivan sxodil v magazin.<br />
Dacha – lava – vaisselle, – Ivan – fit aller-retour – à – magasin.<br />
= Dacha a fait la vaisselle, Ivan a fait les courses.<br />
Remarquons que dans les énoncés où le sujet des deux actions est le même, ce<br />
sujet sert de lien thématique supplémentaire.<br />
La contrainte de sujet est associée à la sémantique verbale : s’il est difficilement<br />
concevable que la même personne fasse la vaisselle et les courses<br />
simultanément, on peut, par exemple, chanter et danser en même temps :<br />
(166).<br />
Artist spel i stanceval.<br />
= L’artiste a chanté et a dansé.<br />
136
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Enfin, l’ordre d’apparition des prédicats est également un critère important. Il est<br />
pertinent d’admettre qu’habituellement, dans la narration, l’ordre des prédicats<br />
reflète l’ordre des événements réels (ce que R. Jakobson appelle ordre des mots<br />
iconique) 61 . Ainsi, la relation des événements en (164) qui, dans le contexte<br />
minimal abstrait, est comprise comme indétermination temporelle, peut être<br />
facilement interprétée comme la relation d’antériorité / postériorité dans un<br />
contexte réel (D’abord Dacha a fait la vaisselle, ensuite elle a fait les courses).<br />
L’unité du plan chronologique peut être déterminée par des moyens lexicaux. On<br />
n’a pas assez remarqué l’interdépendance entre l’étendue du cadre chronologique<br />
commun et la détermination du lien temporel entre les événements : plus le cadre<br />
temporel commun est étendu, long, moins déterminé est le lien temporel entre les<br />
événements. Cf. les exemples ci-dessous :<br />
(167),<br />
« ».<br />
Na prošloj nedele Katja napisala pis’mo Alëše, proitala « Korolja Lira ».<br />
A – semaine – dernière – Katia – écrivit – lettre – (à) Alecha – lit – « Roi –<br />
Lear ».<br />
= La semaine dernière, Katia a écrit une lettre à Alecha, a lu « Le roi Lear ».<br />
(168) , « <br />
».<br />
Veerom Katja napisala pis’mo Alëše, proitala « Korolja Lira ».<br />
(Pendant) soir – Katia – écrivit – lettre – (à) Alecha, – lit – « Roi – Lear ».<br />
= Le soir, Katia a écrit une lettre à Alecha, a lu « Le roi Lear ».<br />
Les deux énoncés (167) et (168) expriment une indétermination temporelle mais à<br />
différents degrés, le (168) étant beaucoup plus proche de l’antériorité / postériorité<br />
que le (167).<br />
61 Autrement dit, elle exploite le deuxième caractère du signifiant, selon Ferdinand de Sausssure :<br />
sa linéarité, dont le maître de Genève rappelle : « Ce principe est évident, mais il semble qu’on ait<br />
toujours négligé de l’énoncer, sans doute parce qu’on l’a trouvé trop simple ; cependant il est<br />
fondamental et les conséquences en sont incalculables […] » [Saussure 1916 / 1998 : 103] .<br />
137
Passé perfectif + Passé perfectif<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Les linguistes attribuent unanimement à cette séquence la faculté de favoriser la<br />
progression temporelle. Padueva pose même un axiome : «<br />
»<br />
[Padueva 1996 : 362] – « Les formes juxtaposées ou coordonnées du passé<br />
perfectif désignent la consécution des événements » (traduction personnelle –<br />
N.B.). A notre avis, cette hypothèse de Padueva est trop forte, et de nombreux<br />
énoncés dans lesquels la succession des passés perfectifs n’exprime pas<br />
forcément l’ordre temporel positif viennent la contredire :<br />
(169),<br />
. ,<br />
, , <br />
, (, II : 262).<br />
Oni poti došli do doma, kogda iz nabežavšej seroj tuki kosoj i jadrënyj<br />
bryznul dožd’. On pribil na doroge lëgkuju, paxnušuju solncem pyl’,<br />
zašëlkal po kryšam, paxnul svežest’ju, trepetnym xolodkom.<br />
Ils – presque – arrivèrent – jusqu’à maison, – quand – de – venu en<br />
courant – gris – petit nuage – oblique – et drue – gicla – pluie. – Elle –<br />
plaqua – sur – route – légère – sentant – soleil – poussière, – commença à<br />
claquer – sur – toits, – fit sentir – fraîcheur – saisissant –petit froid.<br />
= Ils étaient déjà tout près de la maison, quand, venue d’un petit nuage gris,<br />
éclata une pluie drue et oblique. Elle cloua sur la route la légère poussière<br />
qui dégageait une odeur de soleil, tambourina sur les toits, apporta un<br />
parfum de fraîcheur, un frisson saisissant.<br />
(170),<br />
( : 66).<br />
Koža na lice švejcara prinjala tifoznyj ottenok, a glaza pomertveli.<br />
Peau sur – visage – (de) portier – prit – (de) typhus – nuance, – et – yeux –<br />
devinrent morts.<br />
138
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Le teint du portier prit une couleur qui caractérise les malades du typhus,<br />
son regard se figea.<br />
Nous pensons que, dans le contexte minimal, la succession des formes au passé<br />
perfectif dans l’énoncé exprime par défaut une suite temporellement non ordonnée<br />
des événements. Cette suite temporellement non ordonnée est ensuite souvent<br />
interprétée comme la progression temporelle grâce à l’ordre iconique des formes<br />
du passé perfectif. Pour nous, l’ordre des mots est un facteur supplémentaire qui<br />
influence une relation temporelle. Le facteur de l’ordre des mots, que nous<br />
plaçons au niveau du contexte minimal, est évidemment beaucoup moins fort que<br />
celui des relations causales ou stéréotypiques qui sont considérées comme des<br />
contraintes spécifiques, enrichissant le contexte minimal.<br />
La succession des passés perfectifs favorise incontestablement l’ordre temporel<br />
positif mais de façon indirecte, faisant tout simplement obstruction à la valeur de<br />
simultanéité (et, plus largement, à la valeur de concomitance). Généralement,<br />
pour que l’esprit considère les actions comme simultanées, il doit les représenter<br />
dans leur stade médian (tel est le cas de l’imparfait). Or le perfectif, qui, selon la<br />
définition la plus reconnue, à savoir celle de Ju. S. Maslov, désigne l’action dans<br />
sa globalité indivisible, est de par sa nature même incompatible avec l’expression<br />
de la simultanéité. Evidemment, les passés perfectifs sont à même d’exprimer la<br />
simultanéité si une contrainte plus forte que leur nature intervient dans l’énoncé,<br />
comme par exemple des hypothèses conceptuelles ou des adverbiaux temporels :<br />
– odnovremenno – « simultanément, en même temps » ; <br />
– v odno i to že vremja – « en même temps ».<br />
Prenant en considération le critère de l’agent (du sujet) de l’énoncé (X, Y), on<br />
obtient deux possibilités de contexte minimal pour la combinaison de deux passés<br />
perfectifs :<br />
1) X,.<br />
X a accompli une action A, a accompli une action B.<br />
2) X. B.<br />
X a accompli une action A. Y a accompli une action B.<br />
139
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Dans les conditions du contexte minimal, le destinataire infère l’indétermination<br />
temporelle. Dans d’autres conditions, si le contexte offre des éléments<br />
supplémentaires, le destinataire peut inférer la non-simultanéité ou la simultanéité<br />
des actions (X a d’abord fait A, ensuite a fait B ; X a d’abord fait A, ensuite Y a fait<br />
B ; X a fait A et en même temps Y a fait B, etc.).<br />
Passé imperfectif + Passé imperfectif<br />
Nous pensons que, dans cette séquence, la valeur d’ordre temporel par défaut est<br />
celle de l’indétermination temporelle. Cependant, l’indétermination temporelle<br />
exprimée par la succession des imperfectifs n’est pas de même nature que<br />
l’indétermination désignée par les perfectifs. En effet, la suite de passés perfectifs<br />
s’oppose à l’expression de simultanéité, marquant une sorte de consécutivité non<br />
ordonnée et favorisant ainsi l’occurrence de l’ordre temporel positif. Quant aux<br />
imperfectifs qui se succèdent, ils ne sont pas incompatibles avec la simultanéité,<br />
indiquant une sorte de coexistence ou de coïncidence des actions dans certaines<br />
phases. La suite d’imperfectifs ne signifie pas automatiquement la simultanéité<br />
mais crée des conditions propices à son apparition. Remarquons ici que nous<br />
comprenons la simultanéité dans un sens large : les actions sont simultanées si le<br />
temps individuel de leur déroulement coïncide entièrement ou partiellement.<br />
Cette fois encore, nous allons à l’encontre de E. V. Padueva pour qui : « […]<br />
<br />
» [Padueva 1996 : 362] – « Les formes juxtaposées<br />
ou coordonnées du passé imperfectif désignent les procès ou les états<br />
simultanés » (traduction personnelle – N.B.). Le contexte minimal avec la<br />
séquence Passé Imperfectif + Passé Imperfectif se présente sous deux formes :<br />
1) X..<br />
X accomplissait l’action A. X accomplissait l’action B.<br />
2) X. B.<br />
X accomplissait l’action A. Y accomplissait l’action B.<br />
140
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Passé perfectif + Passé imperfectif et Passé imperfectif + Passé perfectif.<br />
Pour ces cas de figures, quatre possibilités sont envisageables :<br />
1) X,.<br />
X a fait A, X faisait B.<br />
2),.<br />
X a fait A, Y faisait B.<br />
3),.<br />
X faisait A, X a fait B.<br />
4),.<br />
X faisait A, Y a fait B.<br />
Pour ces configurations, l’interprétation par défaut serait également<br />
l’indétermination temporelle car aucun élément n’indique clairement une<br />
prédilection envers la simultanéité ou la non-simultanéité (antériorité / postériorité<br />
ou postériorité / antériorité).<br />
Ainsi, nous supposons que les combinaisons des formes aspecto-temporelles du<br />
passé en russe présentent une seule valeur par défaut – l’indétermination<br />
temporelle. Les autres résultats chronologiques se réalisent quand les opérations<br />
par défaut échouent, contrariées par des facteurs linguistiques ou pragmatiques<br />
plus forts. Théoriquement, chacune des quatre combinaisons devrait pouvoir<br />
exprimer les quatre relations chronologiques possibles : antériorité / postériorité,<br />
postériorité / antériorité, simultanéité et relations non ordonnées. En même temps,<br />
il faut reconnaître que la succession des passés perfectifs présente un facteur<br />
linguistique favorisant l’ordre temporel positif tandis que celle des passés<br />
imperfectifs avantage la simultanéité.<br />
Avant de procéder, dans les sections suivantes, à l’analyse de la probabilité<br />
sémantique de toutes ces possibilités, donnons une dernière précision<br />
aspectologique, importante pour notre étude : nous considérons globalement que<br />
le passé perfectif exprime un fait et le passé imperfectif – un procès ou un état<br />
(pour ces notions, cf. la section 1.4.5.). Cependant, dans certains contextes, nous<br />
141
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
attribuons au passé perfectif, marqué par la valeur de parfait, la signification d’un<br />
état résultant et non d’un fait. Une telle interprétation influence bien entendu la<br />
lecture des relations entre les événements.<br />
3.4. Relations chronologiques entre les événements<br />
Nous distinguons quatre types de relations chronologiques entre deux<br />
événements E1 et E2 dans l’énoncé :<br />
1. L’événement E1 se produit avant le second E2 (antériorité) ;<br />
2. L’événement E2 se produit avant le premier E1 (postériorité) ;<br />
3. Les deux événements E1 et E2 se produisent en même temps<br />
(simultanéité) ;<br />
4. La chronologie réelle entre les événements E1 et E2 n’est pas marquée (ou<br />
l’ordre entre les événements est plus complexe). Il s’agit des relations<br />
temporelles non ordonnées (non différenciées, dans la terminologie de<br />
Bondarko), tandis que les trois premiers types représentent les relations<br />
temporelles ordonnées (différenciées) .<br />
3.4.1. Antériorité / postériorité<br />
Définition. L’événement A suit (ou précède) de façon stricte l’événement B si et<br />
seulement si chaque moment de A se produit avant (ou après) chaque moment de<br />
B [Ivin 1969 ; Poljanskij 1987 : 243]. Les conditions sémantiques les plus<br />
favorables dans l’énoncé pour ce type de relation se réalisent quand les<br />
événements entretiennent un rapport d’exclusion temporelle : pendant un laps de<br />
temps t se produit A ou B, mais non A et B (ou leurs parties) ensemble :<br />
(171) […] ,<br />
, <br />
142
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
, , <br />
( : 122).<br />
On na zadnix lapax podošël k podzerkal’nomu stoliku, perednej lapoj<br />
vytašil probku iz grafina, nalil vody v stakan, vypil eë, vodruzil probku na<br />
mesto i grimiroval’noj trjapkoj vyter usy.<br />
Il – sur – (de) derrière – pattes – s’approcha – de – sous miroir – petite<br />
table, – (avec) (de) devant – patte – retira – bouchon – de – carafe, –<br />
versa – (de) eau – dans – verre, – but – elle, – remit – bouchon – en –<br />
place – et – (avec) à démaquiller – chiffon – essuya – moustaches.<br />
= Il se dirigea sur ses pattes de derrière vers la petite table que surmontait<br />
un miroir, enleva avec ses pattes de devant le bouchon d’une carafe, versa<br />
de l’eau dans un verre, la but, remit le bouchon en place et essuya ses<br />
moustaches avec un chiffon à démaquiller.<br />
Dans les relations de non-simultanéité (antériorité / postériorité ou postériorité /<br />
antériorité), il est important de limiter « le temps individuel » de chaque<br />
événement : l’événement qui précède doit être clairement représenté comme un<br />
événement qui a abouti avant que ne se produise le second événement. Selon<br />
Poljanskij [Poljanskij 1987 : 244], en russe, l’un des moyens réguliers pour<br />
délimiter le temps de l’événement serait l’aspect perfectif avec sa caractéristique<br />
sémantique dominante – la télicité (ou la globalité). C’est pourquoi, dans les<br />
énoncés à prédicats multiples, les formes perfectives, aidées par la sémantique du<br />
verbe (ajoute prudemment Poljanskij), expriment les événements qui s’ensuivent,<br />
même si les moyens lexicaux spécifiques (comme – zatem – « ensuite » ;<br />
–erez nekotoroe vremja – « quelque temps après » ;<br />
– potom – « après »…) sont absents. L’exemple qu’il donne :<br />
(172) , , <br />
(.).<br />
Staruxa podošla k umirajušej, pogljadela na neë, pokaala golovoj i<br />
nakryla polotnom lico umirajušej.<br />
Vieille – s’approcha – de – mourante, – jeta un coup d’œil – sur – elle, –<br />
hocha – tête – et – couvrit – (avec) linge- visage – (de) mourante.<br />
143
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= La vieille s’approcha de la mourante, la regarda, hocha la tête et couvrit<br />
d’un linge le visage de la mourante.<br />
Poljanskij note que si on remplace, dans cet énoncé, le perfectif par l’imperfectif<br />
du présent historique, la non-simultanéité stricte devient moins évidente :<br />
(172') , , <br />
.<br />
[podxodit, gljadit, kaaet, nakryvaet].<br />
= La vieille s’approche de la mourante, la regarde, hoche la tête et couvre<br />
d’un linge le visage de la mourante.<br />
Le point de vue de Poljanskij va dans le même sens que notre réflexion sur la<br />
succession des passés perfectifs. Comme nous l’avons montré plus haut, la<br />
succession des formes au passé perfectif ne garantit pas l’ordre temporel positif. Il<br />
faut que la relation temporelle d’antériorité / postériorité soit confirmée par d’autres<br />
hypothèses dans l’énoncé (comme des hypothèses conceptuelles qui englobent<br />
finalement la sémantique verbale). Passons maintenant à l’analyse de la relation<br />
d’antériorité / postériorité dans les quatre combinaisons des formes aspecto-<br />
temporelles du passé.<br />
3.4.1.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Cette combinaison est, reconnaissons-le, celle qui est censée exprimer la<br />
consécution temporelle (l’antériorité / la postériorité des actions) de la façon la<br />
plus fréquente et la plus naturelle :<br />
(173) <br />
,,<br />
(, I : 180).<br />
Nagul’nov svernul i položil raspisku v grudnoj karman zašitnoj gimnastërki,<br />
kinul na stol nagan, provodil Bannika do dverej.<br />
144
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Nagoulnov – plia – et – mit – reçu – dans – (de) poitrine – poche – (de)<br />
kaki – vareuse, – jeta – sur – table – revolver, – accompagna – Bannik –<br />
jusqu’à – porte.<br />
= Nagoulnov plia et mit le reçu dans la poche avant de sa vareuse, jeta le<br />
revolver sur la table, accompagna Bannik jusqu'à la porte.<br />
Cependant, un peu plus haut, nous avons avancé l’hypothèse selon laquelle la<br />
succession des formes verbales au passé perfectif ne désigne pas toujours la<br />
consécution temporelle, exprimant par défaut le non-ordonnancement temporelle.<br />
Nous pensons, en effet, que malgré les conditions initiales propices à la non-<br />
simultanéité (la valeur de globalité indivisible du perfectif et la règle de l’ordre des<br />
mots iconique), ces facteurs ne mènent pas obligatoirement à l’ordre temporel<br />
positif. Ils doivent être validés ou annulés par une (des) hypothèse(s)<br />
conceptuelle(s). Considérons l’exemple suivant :<br />
(174). ( : 44).<br />
Tolik potjanul za ošejnik vverx. Bim sel.<br />
Tolik – tira – avec – collier – (vers) haut. – Bim – s’assit.<br />
= Tolik tira le collier vers le haut. Bim s’assit.<br />
L’interprétation la plus naturelle de cet énoncé sera : d’abord Tolik a tiré le collier<br />
vers le haut, suite à cela Bim s’est assis. Si on change les prédicats de place, on<br />
comprendra, au contraire, que d’abord Bim s’est assis et ensuite Tolik a tiré le<br />
collier vers le haut :<br />
(174’) ..<br />
Bim sel. Tolik potjanul za ošejnik vverx.<br />
Bim – s’assit. – Tolik – tira – avec – collier – (vers) haut.<br />
= Bim s’assit. Tolik tira le collier vers le haut.<br />
Il y a des moyens linguistiques pour modifier le comportement des formes<br />
verbales. On pense en premier lieu aux adverbes temporels ( – zatem –<br />
« puis, ensuite » ; – potom – « puis, ensuite, après », etc.), mais ils ne<br />
sont pas les seuls. Par exemple, l’énoncé (174’) peut facilement recevoir une<br />
valeur explicative si on met deux points après le premier verbe. Oralement, cette<br />
145
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
valeur explicative serait exprimée par une intonation spécifique. Dans ce cas, on<br />
comprend que dans un premier lieu Tolik a tiré le collier et ensuite Bim s’est assis,<br />
or l’ordre des prédicats n’est pas iconique :<br />
(174'') : .<br />
La même valeur explicative peut être davantage explicitée à l’aide d’une<br />
focalisation lexicale, cf. :<br />
(174’’’) : .<br />
Bim sel : eto Tolik potjanul ego za ošejnik vverx.<br />
= Bim s’est assis, c’est Tolik qui l’a tiré vers le haut par son collier.<br />
A l’encontre de la conception traditionnelle, qui nous enseigne que la succession<br />
des formes au passé perfectif désigne la succession réelle des événements, nous<br />
soutenons que si le contexte ne livre aucune information sur un lien logique ou<br />
chronologique possible entre les deux événements, le destinataire ne peut pas<br />
vraiment définir la chronologie réelle des événements et donc fixer le second<br />
événement par rapport au premier. Effectivement, si, dans les énoncés (174) et<br />
(174’’), la relation chronologique entre les événements s’appuie sur un lien causal<br />
(Bim s’est assit parce que Tolik avait tiré son collier vers le haut) et, dans l’énoncé<br />
(174’), la relation chronologique est fondée sur un lien stéréotypique (Bim s’est<br />
assit. Tolik tira le collier vers le haut – Bim est un chien / Les chiens portent les<br />
colliers / Bim s’est assis / Ensuite Tolik tira Bim vers le haut par le collier),<br />
l’exemple suivant, en revanche, ne fournit aucun lien conceptuel apparent entre<br />
les événements :<br />
(175),.<br />
Lena kupila sobaku, proitala vsego Šekspira.<br />
Léna – acheta – chien, – lit – tout – Shakespeare.<br />
= Léna a acheté un chien, a lu tout Shakespeare.<br />
Si le destinataire ne trouve pas de lien chronologique ou causal entre les<br />
événements, il les fixe dans une seule période temporelle assez large, sans établir<br />
l’ordre réel des événements : Léna, dans une période de sa vie, a acheté un<br />
chien, a lu Shakespeare, mais on ne sait pas si elle a d’abord acheté un chien et a<br />
146
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
ensuite lu toutes les œuvres de Shakespeare 62 , ou si ces deux événements se<br />
sont entrecroisés.<br />
Si on complique cet énoncé en rajoutant d’autres événements qui n’ont pas de<br />
réel lien logique avec un des événements précédents, l’absence de chronologie<br />
devient encore plus évidente :<br />
(176) , , <br />
.<br />
Lena kupila sobaku, proitala vsego Šekspira, sdala na prava.<br />
Léna – acheta – chien, – lit – tout – Shakespeare, – passa – pour – permis.<br />
= Léna a acheté un chien, a lu tout Shakespeare, a passé son permis.<br />
En observant cet exemple, on peut remarquer que, compte tenu de la nature des<br />
actions, il est difficile d’installer entre elles des intervalles et de délimiter ainsi le<br />
temps de chaque événement. Il est effectivement délicat d’affirmer que Léna a<br />
séparé dans le temps les actions acheter un chien, lire les livres de Shakespeare<br />
et passer le permis. Le bon sens nous dit qu’il est impossible de lire toutes les<br />
œuvres du grand poète dramatique anglais en une soirée ni passer son permis en<br />
une journée. Il est plus raisonnable de supposer que Léna a mis quelques<br />
semaines, voire quelques mois, pour lire tout Shakespeare, probablement autant<br />
de temps pour passer son permis et en parallèle à ces événements elle s’est<br />
acheté un chien. Il y a lieu donc d’objecter à S. M. Poljanskij : le perfectif livre<br />
effectivement quelques informations sur la délimitation individuelle de l’action<br />
(limite, résultat, achèvement), mais ces informations sont finalement assez floues<br />
et insuffisantes, en indiquant seulement que les événements dans l’énoncé se<br />
sont produits pendant un laps de temps situé avant le moment de l’énonciation.<br />
Pour préciser le temps individuel d’une action et la placer chronologiquement par<br />
rapport à une autre action, le destinataire doit recourir à ses connaissances<br />
encyclopédiques. Et finalement, pour inférer un bon ordre entre les événements,<br />
le destinataire doit confronter toutes les informations, linguistiques et<br />
pragmatiques, qu’il a à sa disposition. En l’occurrence, le contexte minimal de<br />
62 Remarquons que, dans cet énoncé, la tournure (ves’ Šekspir – « tout<br />
Shakespeare ») peut être également comprise comme : un seul livre ou une seule œuvre de<br />
Shakespeare qui sont lus entièrement.<br />
147
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
l’énoncé (175) ne permet pas de définir avec exactitude l’ordre entre les procès.<br />
L’hypothèse finale sera la suivante : Léna a effectué les trois actions (acheter un<br />
chien, lire Shakespeare et passer son permis) sur une période s’étalant de<br />
quelques semaines à quelques mois ou quelques années maximum, lesdites<br />
actions se chevauchant les unes les autres. Pour aboutir à une telle conclusion, le<br />
destinataire tire certainement de ses connaissances encyclopédiques les<br />
hypothèses suivantes : Pour pouvoir s’acheter quelque chose, savoir lire du<br />
Shakespeare, passer le permis de conduire il faut être adulte / Pour pouvoir faire<br />
ces choses, il ne faut pas être trop âgé non plus / Léna a plus de 18 ans mais<br />
moins de 100 ans / Léna a effectué ses actions en quelques années maximum,<br />
etc.<br />
Une autre remarque, concernant le(s) sujet(s) de l’énoncé, nous paraît importante.<br />
Le sujet commun pour deux actions, comme en (176), apporte un lien logique<br />
supplémentaire, contribuant ainsi au calcul d’une relation entre les événements.<br />
Comparons les exemples suivants :<br />
(177),.<br />
Lena pereexala, kupila sobaku.<br />
= Léna a déménagé, a acheté un chien.<br />
(178),.<br />
Lena pereexala, Volodja kupil sobaku.<br />
= Léna a déménagé, Volodia a acheté un chien.<br />
L’énoncé (177) ne présente pas de difficultés particulières pour être interprété, on<br />
le comprend normalement comme : Léna a déménagé, ensuite elle a acheté un<br />
chien. En revanche, en (178) l’instruction de la relation antériorité / postériorité est<br />
bloquée parce que le destinataire dispose de trop peu d’informations<br />
contextuelles, notamment au sujet des participants concernés. Si aucune relation<br />
pertinente entre les participants n’est connue, il est délicat de s’aventurer dans<br />
des conjectures au sujet des relations chronologiques ou logiques que pourraient<br />
entretenir les deux événements. Le contexte peut nous fournir les interprétations<br />
suivantes de cet énoncé :<br />
148
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
a) Antériorité / postériorité conditionnée par une relation causale :<br />
(178’) ,<br />
Lena pereexala, poetomu Volodia kupil sobaku.<br />
= Léna a déménagé c’est pourquoi Volodia a acheté un chien.<br />
Par rapport à cette interprétation, on peut imaginer des situations diverses et<br />
variées : Léna et Volodia vivaient ensemble, ils se sont séparés, Léna a<br />
déménagé, Volodia, se sentant seul, s’est acheté un chien ; ou bien Léna et<br />
Volodia étaient collocataires, Volodia voulait prendre un chien mais ne pouvait pas<br />
le faire parce que Léna était allergique aux poils d’animaux, quand Léna a<br />
déménagé Volodia a pu prendre un chien, etc.<br />
b) Postériorité / antériorité conditionnée par une relation causale :<br />
(178’’) ,.<br />
Lena pereexala, tak kak Volodia kupil sobaku.<br />
= Léna a déménagé parce que Volodia avait acheté un chien.<br />
Dans ce cas, on peut par exemple imaginer que Léna et Volodia vivaient sous le<br />
même toit, Volodia voulait que Léna quitte les lieux ; sachant qu’elle ne supporte<br />
pas les chiens il en a acheté un, ce qui l’a fait partir.<br />
c) Relations non différenciées. On peut envisager un contexte où les<br />
événements Léna a déménagé, Volodia a acheté un chien sont inclus dans un<br />
événement plus général, entretenant une relation de partie / tout (relation<br />
d’encapsulation, selon la terminologie de L. de Saussure [Saussure 2003 a : 186-<br />
191]) à l’égard de cet événement général :<br />
(178''') : <br />
, ( ,<br />
...).<br />
V prošlom godu proizošli bol’šie izmenenija : Lena pereexala, Volodja kupil<br />
sobaku (Maša našla novuju rabotu, Ivan sdal na prava).<br />
149
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= L’année dernière, il y a eu beaucoup de changements : Léna a<br />
déménagé, Volodia a acheté un chien (Macha a trouvé un nouveau travail,<br />
Ivan a passé son permis…).<br />
Nous considérons donc que la suite des passés perfectifs donne, dans l’énoncé,<br />
l’ordre temporel positif s’il y a un lien conceptuel (logique, stéréotypique ou<br />
thématique) entre les actions qui montre que la première action précède la<br />
deuxième.<br />
1. La première action sert souvent de prémisse pour la deuxième, indiquant un<br />
instrument appliqué dans la deuxième action, un premier stade de la deuxième<br />
action, etc. :<br />
(179) , , <br />
( : 23).<br />
I vot xozjain vstal, rasexlil ruž’ë, vložil patrony.<br />
Et – voilà – maître – se leva, – déhoussa – fusil, – mit – cartouches.<br />
= Et voilà que le maître se leva, sortit le fusil de sa housse, le chargea.<br />
(180). […] ( : 107).<br />
Egoruške dali ložku. On stal est’.<br />
(A) Egorouchka – (on) donna – cuillère. – Il – se mit – manger.<br />
= On donna à Egorouchka une cuillère. Il se mit à manger.<br />
(181) ( : 15).<br />
On nalil sebe vodki i vypil.<br />
Il – versa – (à) soi – vodka – et – but.<br />
= Il se versa de la vodka et but.<br />
(182) ( : 99);<br />
Lëvka vyspalsja i sel obedat’.<br />
Levka – dormit bien et assez – et – s’assit – déjeuner.<br />
= Après avoir bien dormi, Levka se mit à table.<br />
150
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
L’interprétation des deux formes perfectives comme une suite temporelle d’actions<br />
peut être confirmée, explicitée au niveau lexicologique, par les adverbes<br />
( – snaala – « d’abord » ; – posle – « après » ; –<br />
potom – « puis », – zatem – « ensuite » ; – posle ego –<br />
« après quoi », etc.) :<br />
(183),<br />
( :<br />
64).<br />
My proslušali pesnju mola, potom razvernuli štandarty i pod zvuki<br />
gremjašego marša vorvalis’ v Beresteko.<br />
Nous – écoutâmes – chanson – en silence, – puis – déployâmes –<br />
étendards – et – sous – sons – (de) tonitruante – marche – entrâmes en<br />
force – à – Bérestetchko.<br />
= Nous avons écouté la chanson en silence, puis avons dressé les<br />
étendards et, aux sons d’une marche militaire tonitruante, avons envahi le<br />
village de Bérestetchko.<br />
(184) , <br />
, ( : 23).<br />
On prožil v derevne okolo vos’mo let, a zatem perebralsja na jug, v Odessu.<br />
Il – vécut – à – campagne – environ – huit – ans, – et – puis –<br />
déménagea – à – sud, – à – Odessa.<br />
= Il vécut à la campagne environ huit ans, ensuite il s’installa dans le sud, à<br />
Odessa.<br />
Notons un emploi décalé de l’adverbe – teper’ – « maintenant », capable<br />
de survenir dans le régime narratif, cf. l’exemple suivant :<br />
(185) . <br />
: <br />
( : 50).<br />
Bim vypil iz rukavicy poti vsju vodu. Teper’ on posmotrel ženšine v glaza i<br />
srazu že poveril : xorošij elovek.<br />
151
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Bim – but – de – moufle – presque – toute – eau. – Maintenant – il regarda<br />
– femme – dans – yeux – et – immédiatement – alors – crut : – bonne –<br />
personne.<br />
= Bim but presque toute l’eau dans la moufle. Alors il regarda la femme<br />
dans les yeux et sut tout de suite : c’est quelqu’un de bien.<br />
L’intervalle entre les actions peut être explicité à l’aide des adverbes : <br />
– erez dva dnja – « dans deux jours » ; – totas – « tout de<br />
suite » ; – vdrug – « subitement », etc. :<br />
(186) , <br />
, […] ( : 429-430).<br />
Lošad’ vošla v vodu po brjuxo i ostanovilas’, no totas že opjat’ pošla,<br />
naprjagaja sily.<br />
Cheval – entra – dans – eau – jusqu’à – panse – et – s’arrêta, – mais – tout<br />
de suite – alors – se mit en marche, – en tendant – forces.<br />
= Le cheval entra dans l’eau jusqu’au ventre et s’arrêta mais se remit<br />
aussitôt à avancer en rassemblant toutes ses forces.<br />
(187) […] , <br />
[…] ( : 443).<br />
On doplyl do samoj serediny plesa i nyrnul, i erez minutu pokazalsja na<br />
drugom meste.<br />
Il –parvint en nageant – jusqu’à – même – milieu – (de) étendue calme – et<br />
– plongea, – et – dans – minute – se montra – dans – autre – endroit.<br />
= Il atteignit le milieu même de la rivière et disparut, puis, un instant plus<br />
tard, il réapparut ailleurs.<br />
2. Certains énoncés présentent une relation de non-simultanéité partielle,<br />
autrement dit une relation temporelle d’antériorité / postériorité incluant un laps de<br />
temps pendant lequel les deux actions peuvent être considérées comme<br />
simultanées. C’est le cas des énoncés où le fait postérieur se déroule sur le fond<br />
d’un fait antérieur, exprimé par un verbe perfectif ingressif ou un verbe perfectif<br />
152
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
indiquant la phase débutante de l’action ( – naat’ – « commencer »)<br />
[Akimova, Kozinceva 1987 : 277-278] :<br />
(188),<br />
[…] (.. ; Ruscorpora).<br />
V glazax poplyly krasnye pjatna, ja stal sdërgivat’ s plea ruž’ë.<br />
Dans – yeux – se mirent à flotter – rouges – taches, – je – commençai –<br />
retirer – de – épaule – fusil.<br />
= Des taches rouges se mirent à danser devant mes yeux, je détachai le<br />
fusil de mon épaule.<br />
On peut également interpréter comme non-simultanéité partielle la relation qui<br />
s’installe entre les événements dont l’un désigne un fait postérieur qui se déroule<br />
sur le fond d’un état résultant exprimé par un verbe perfectif à valeur de parfait<br />
[Akimova, Kozinceva 1987 : 278] :<br />
(189),<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
On naklonil golovu i stal šumno, bol’šimi glotkami pit’ vodu.<br />
Il – inclina – tête – et – se mit – bruyamment, – (à) grandes – gorgées –<br />
boire – eau.<br />
= Il pencha la tête et se mit à boire l’eau bruyamment, à grandes gorgées.<br />
3. Dans certains contextes, le locuteur est amené à interpréter le premier<br />
perfectif qui indique le début de l’action (mode d’action ingressif) comme<br />
désignant un fait accompli, strictement antérieur au fait suivant :<br />
(190) a<br />
(.. – ! ; Ruscorpora).<br />
A Ol’ga Vasil’evna pošla k stolu i tože stala pisat’.<br />
Et – Olga – Vassilievna – se mit à marcher – vers – table – et – aussi –<br />
commença – écrire.<br />
= Quant à Olga Vassilevna, elle gagna la table et se mit aussi à écrire.<br />
153
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(191) […] (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Belka pobežala po stvolu i povisla na vetke.<br />
Ecureuil – se mit à courir – sur – tronc – et – se suspendit – sur – branche.<br />
= L’écureuil courut sur le tronc et s’immobilisa, accroché à une branche.<br />
Dans ces cas, on perçoit un hiatus entre les deux actions et on reconstruit<br />
mentalement une action supplémentaire entre les deux perfectifs, implicite dans<br />
l’énoncé, cf. :<br />
(190’) , <br />
a (.. – ! ; Ruscorpora).<br />
A Ol’ga Vasil’evna pošla k stolu, sela i tože stala pisat’.<br />
Et – Olga – Vassilievna – se mit à marcher – vers – table, – s’assit – et<br />
aussi – commença – écrire.<br />
= Quant à Olga Vassilievna, elle gagna la table, s’assit et se mit aussi à<br />
écrire.<br />
4. Et, enfin, évoquons l’antériorité / postériorité de contact (pour la définition, cf.<br />
pp.139-140 de notre travail). Dans ce cas, le second perfectif désigne la phase<br />
finale de l’action du premier perfectif :<br />
(192) <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ja obognul bašnju i popal na mošënnuju bulyžnikom uloku vdol’ steny<br />
Kremlja.<br />
Je – contournai – tour – et – tombai – sur – revêtue – (de) gros pavés –<br />
ruelle – le long de – mur – (de) Kremlin.<br />
= Je passai la tour et débouchai sur une ruelle pavée qui longeait la<br />
muraille du Kremlin.<br />
(193),,<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Menjali mesta, izryli ves’ uastok, i pod konec dokopalis’.<br />
154
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(On) changeait – endroits, – creusa – tout – terrain, – et – vers – fin –<br />
trouva.<br />
= On changea d’endroits plusieurs fois, on creusa le terrain partout et enfin<br />
on trouva.<br />
3.4.1.2. (E1) Passé imperfectif) + (E2) Passé imperfectif)<br />
La succession syntaxique des passés imperfectifs peut produire un ordre temporel<br />
positif. Dans ce cas, il s’agit, dans la grande majorité des cas, des procès qui se<br />
répètent :<br />
(194) ; , <br />
,, ( : 366).<br />
Maša priezžala v koljaske ; ja sadilsja k nej, i my exali vmeste v Dubenju,<br />
vesëlye, svobodnye.<br />
Macha – arrivait – en – calèche ; – je – m’asseyais – auprès de – elle, – et<br />
– nous – roulions – ensemble – à – Doubetchnia – joyeux, – libres.<br />
= Macha venait en calèche ; je prenais place à côté d’elle, et nous allions<br />
ensemble à Doubetchnia, joyeux, libres.<br />
(195), (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Ona stanovilas’ vperedi xora, ispolnjala zapev.<br />
Elle – se mettait debout – devant – coeur, – interprétait – solos.<br />
= Elle prenait place devant le chœur, interprétait les solos.<br />
(196) , , , ,<br />
, <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Prosypalsja on rano, asov v pjat’, odevalsja, bral knigu, binokl’ i<br />
nezametno prošmygival na ulicu, k morju.<br />
Se réveillait – il – tôt, – heures – à – cinq, – s’habillait, – prenait – livre –<br />
jumelles – et – discrètement – filait – dans – rue, – vers – mer.<br />
155
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Il se réveillait tôt, vers cinq heures, s’habillait, prenait un livre, ses<br />
jumelles et filait discrètement dans la rue, en direction de la mer.<br />
Il est possible que la suite des imperfectifs passés indique une consécution<br />
temporelle des procès qui ne sont pas répétés 63 . Dans ce cas, le contexte de<br />
l’énoncé doit contenir des éléments restrictifs qui montrent que les actions ne se<br />
produisent qu’une seule fois et ne se répètent pas. Ces éléments restrictifs sont<br />
habituellement des adverbiaux qui limitent la période du déroulement des actions<br />
( – vera – « hier » ; – na prošloj nedele – « la<br />
semaine dernière » ; … – snaala … potom – « d’abord …<br />
ensuite », etc.) :<br />
(197) , (.. <br />
; Ruscorpora).<br />
Papa smotrel televizor, a potom pel.<br />
Papa – regardait – télévision, – et – ensuite – chantait.<br />
= Papa a regardé la télé, ensuite il a chanté.<br />
(198),<br />
(Exemple donné dans [Akimova, Kozinceva 1987 : 285-286)].<br />
Segodnja njanja snaala guljala s malyšom, potom kormila ego obedom.<br />
Aujourd’hui – nounou – d’abord – se promenait – avec – petit – ensuite –<br />
nourrissait – le – (de) repas.<br />
= Aujourd'hui la nounou a commencé par promener le petit, puis lui a donné<br />
son repas.<br />
(199) . , <br />
, <br />
, (..<br />
; exemple présenté dans [Sémon 2008 a : 310]).<br />
63 Cf. aussi des remarques intéressantes à ce sujet dans l’article de Jean-Paul Sémon [Sémon<br />
2008].<br />
156
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
A Kostoglotova vyzvali na rentgen. On ždal tam, potom ležal pod<br />
apparatom, potom ešë vyšel na kryl’co posmotret’, otego pogoda takaja<br />
xmuraja.<br />
Et – Kostoglotov – (on) appela – pour – radio. – Il – attendait – là-bas, –<br />
puis – était allongé – sous – appareil, – puis – encore – sortit – sur –<br />
perron – regarder, – pourquoi – temps – si – gris.<br />
= Kostoglotov fut convié à passer la radio. Il attendit là-bas, puis resta<br />
allongé sous l’appareil, puis sortit sur le perron voir pourquoi il faisait si gris.<br />
3.4.1.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
1. Un passé imperfectif est à même de désigner un procès postérieur au fait<br />
exprimé par un passé perfectif :<br />
(200) , <br />
( : 383).<br />
Ona pošla i legla, a ja ešë s as sidel i rassmatrival illustracii.<br />
Elle – alla – et – se coucha, – et – moi – encore – environ – heure – étais<br />
assis – et – regardais – illustrations.<br />
= Elle alla se coucher et moi, je restai encore environ une heure à regarder<br />
des illustrations.<br />
(201) , […]<br />
(.. ; exemple présenté dans [Fontaine<br />
1983 : 122]).<br />
Oni ušli, a ja ešë dolgo sidel na pristani.<br />
Ils – partirent, – et – moi – encore – longtemps – étais assis – sur –<br />
débarcadère.<br />
= Ils partirent tandis que moi je restai encore longtemps sur le débarcadère.<br />
Rappelons que, normalement, dans l’énoncé qui combine un passé perfectif et un<br />
passé imperfectif, la valeur temporelle par défaut est celle de simultanéité (ou,<br />
dans une autre terminologie, le recouvrement) : le fait exprimé par le passé<br />
157
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
perfectif se déroulant sur le fond du procès du passé imperfectif. En (200) et (201),<br />
cette instruction par défaut n’est pas valable, annulée par les expressions<br />
adverbiales ešë s as (« environ une heure encore ») et ešë dolgo (« encore<br />
longtemps ») qui indiquent une limitation dans le temps de l’imperfectif.<br />
Dans l’exemple suivant (qui est la continuation de l’énoncé (185)) :<br />
(202) […] :<br />
. , , , ,<br />
, ( : 50).<br />
Bim posmotrel ženšine v glaza i srazu že poveril : xorošij elovek. I lizal,<br />
lizal eë grubye, v trešinax, ruki, slizyvaja kapel’ki, padajušie iz glaz.<br />
Bim – regarda – femme – dans – yeux – et – aussitôt – alors – crut : –<br />
bonne – personne. – Et – léchait, – léchait – ses – rugueuses, – avec –<br />
crevasses – mains, – en avalant en léchant – gouttelettes, – tombantes<br />
de – yeux.<br />
= Bim regarda la femme dans les yeux et vit tout de suite : c'est quelqu'un<br />
de bien. Et il léchait, léchait ses mains rugueuses, abîmées, en avalant les<br />
petites gouttes qui tombaient de ses yeux ;<br />
la postériorité du procès exprimé par le passé imperfectif (léchait) est déclenchée<br />
par l’hypothèse causale : Le chien Bim crut que devant lui se trouvait quelqu’un de<br />
bien, c’est pourquoi il léchait les mains de cette personne. Le choix de l’imperfectif<br />
lizal (« léchait ») pour indiquer un procès postérieur peut être expliqué par le fait<br />
que l’auteur a voulu donner à l’événement une dimension aspectuelle de<br />
l’étendue, comparable à une longue séquence cinématographique. Cf. aussi les<br />
exemples suivants :<br />
(203) <br />
[…] (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Potom ona bystro uvela Volod’ku ot etogo dereva k drugomu i celovalas’<br />
uže s drugim nastroeniem.<br />
158
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Puis – elle – vite – emmena – Volodka – de – ce – arbre – vers – autre –<br />
et – s’embrassais – avec – autre – humeur.<br />
= Puis, elle éloigna rapidement Volodka de cet arbre vers un autre et<br />
l’embrassait avec une autre humeur.<br />
(204) , , (.. <br />
,, ; Ruscorpora).<br />
Otsnjali ešë dubl’, opjat’ ždali, kurili.<br />
(On) tourna – encore – scène, – à nouveau – attendait, – fumait.<br />
= On a tourné la scène encore une fois, après quoi on s’est à nouveau<br />
interrompu, on a fumé.<br />
2. On trouve aussi des énoncés dans lesquels le passé perfectif exprime un fait<br />
unique suivi d’un procès répété. Dans ce cas, la forme du passé imperfectif est<br />
normalement accompagnée d’un adverbial indiquant une répétition ( –<br />
asto – « souvent » ; – každyj den’ – « chaque jour » ; –<br />
asami – « pendant des heures », etc.) :<br />
(205) […]<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
On kupil rjukzak i každyj veer vyxodil na promysel.<br />
Il – acheta – sac à dos – et – chaque – soir – sortait – à – chasse.<br />
= Il acheta un sac à dos et tous les soirs sortait chercher sa proie.<br />
(206) , <br />
, , <br />
,<br />
(. . <br />
; Ruscorpora).<br />
Uastok byl ogromnyj, Pavel Alekseevi ustroil etyre kormuški, i Tanja<br />
asami nabljudala, kak kormilis’ na derevjannom stolike, pod kosym<br />
navesom krasnogrudye snegiri i temnošëkie sinicy.<br />
Terrain – était – gigantesque, – Pavel – Alexeevitch – installa – quatre –<br />
mangeoires, – et – Tania – heures – contemplait – comment – sur – en<br />
159
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
bois – tablette, – sous – oblique – toit – à poitrine rouge – bouvreuils – et –<br />
à joues foncées – mésanges.<br />
= Le terrain était gigantesque, Pavel Alexeevitch y installa quatre<br />
mangeoires, et Tania regardait des heures durant manger sur une tablette<br />
en bois, sous un toit oblique, les bouvreuils à poitrine rouge et les<br />
mésanges aux joues foncées.<br />
3. Dans les énoncés que nous venons d’examiner, l’intervalle entre les<br />
événements n’est pas spécialement marqué. Il existe néanmoins un type d’énoncé<br />
où la relation d’antériorité / postériorité en question (un fait est antérieur à un<br />
procès) est soutenue par un intervalle explicite entre les actions. Cet intervalle est<br />
perçu comme un « saut », l’omission d’une action qui devrait avoir lieu entre le fait<br />
exprimé par le perfectif et le procès exprimé par l’imperfectif. Habituellement, dans<br />
les énoncés de ce type, le procès de l’imperfectif est accompagné par un adverbe<br />
temporel ( – uže – « déjà » ; –erez dva asa – « dans deux<br />
heures », etc.) [Akimova, Kozinceva 1987 : 285] :<br />
(207) <br />
(. ; exemple donné<br />
dans [Akimova, Kozinceva 1987 : 285]).<br />
On prošël v paxnušij samovarom vokzal i erez minutu sidel v kupe<br />
meždunarodnogo vagona.<br />
Il – passa – dans – sentant – samovar – gare – et – dans – minute – était<br />
assis – dans – compartiment – (de) internationale – voiture.<br />
= Il entra dans la gare qui exhalait l’odeur de samovar et une minute plus<br />
tard il était déjà assis dans le compartiment d’une voiture des lignes<br />
internationale.<br />
(208) <br />
(. . , <br />
, ; Ruscorpora).<br />
Assistent nyrnul pod verëvku i vskore podvodil desantnika k režissëru.<br />
Assistant – plongea – sous – corde – et – bientôt – amenait – para – vers –<br />
réalisateur.<br />
160
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= L’assistant plongea sous la corde et peu de temps après ramenait le para<br />
vers le réalisateur.<br />
3.4.1.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif<br />
1. Le passé perfectif exprime un fait qui met la fin au procès du passé<br />
imperfectif. Cf. les exemples (142), (143), (144), pp. 122-123, ou les exemples<br />
suivants :<br />
(209) , […]. <br />
[…] ( : 105).<br />
No’ju Dementij Trifonovi pisal sidja za stolom. On složil pis’mo i skazal.<br />
(Pendant) nuit – Démenti – Trifonovitch – écrivait, – étant assis – à – table.<br />
– Il – plia – lettre – et – dit.<br />
= La nuit, Démenti Trifonovitch écrivait, assis à table. Il plia la lettre et dit<br />
[…].<br />
(210) , ,<br />
… (..- ; Ruscorpora).<br />
eloveekital gazetu, otorvalsja na maloe vremja, posmotrel na Ivana...<br />
Bonhomme – lisait – journal, – s’interrompit – pour – petit – temps –<br />
regarda – sur – Ivan.<br />
= Le bonhomme lisait un journal, interrompit sa lecture pendant un moment,<br />
regarda Ivan…<br />
(211) - , …<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Mimo šla kakaja-to staruška s sumokoj, ostanovilas’.<br />
Devant – passait – quelconque – vieille – avec – petit sac, – s’arrêta.<br />
= Une petite vieille qui passait devant avec un sac, s’arrêta.<br />
La postériorité de l’action du passé perfectif peut être mise en évidence à l’aide de<br />
l’adverbe potom – potom – « ensuite, puis » :<br />
161
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(212) , , ,<br />
<br />
( : 12).<br />
Bim obnjuxival, trogal lapoj za dlinnyj nos, potom sel, podragivaja i<br />
perebiraja perednimi lapami v udivlenii.<br />
Bim – flairait, – touchait – (avec) patte – sur – long – museau, – puis –<br />
s’assit, – en tremblant – et – en piétinant – de devant – pattes – dans –<br />
étonnement.<br />
= Bim reniflait, touchait avec sa patte le long museau [de l’animal], puis<br />
s’assit, ses pattes de devant tremblant et piétinant d’étonnement.<br />
(213) , , <br />
( // ,<br />
09.04.2002 ; Ruscorpora).<br />
Vernuvšis’ s pljaža, ona dolgo prinimala duš, potom protërla zapotevšee<br />
zerkalo.<br />
Etant revenue – de – plage, – elle – longtemps – prenait – douche, –<br />
ensuite – essuya – embuée – glace.<br />
= Revenue de la plage, elle est longtemps restée sous la douche, après elle<br />
a essuyé la glace embuée.<br />
2. La relation d’antériorité / postériorité de contact que nous avons signalée<br />
dans la combinaison avec deux formes de passé perfectif se réalise aussi dans la<br />
séquence passé imperfectif + passé perfectif, la seconde action étant un ultime<br />
stade et / ou un résultat, un aboutissement du premier procès :<br />
(214).<br />
On vygrebal rukami i vyplyl na poverxnost’.<br />
Il – ramait – (avec) bras – et – remonta en nageant – à – surface.<br />
= Il ramait avec les bras et remonta à la surface.<br />
(215) , , <br />
(.. ;<br />
Ruscorpora).<br />
162
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Korytin sam ezdil na stanciju, k poezdu, eë vstreat’ i privëz prjamo k<br />
nakrytomu stolu.<br />
Korytine – lui-même – roulait – à – station, – vers – train, – la – accueillir –<br />
et – amena en roulant – directement – vers – servie – table.<br />
= Korytine alla en personne la chercher à la gare, à son train, et la ramena<br />
directement vers la table servie.<br />
(216),<br />
, (.. <br />
; Ruscorpora).<br />
Izmuennyj bol’ju v boku, losënok ne odin ešë den’ brodil v lesu i prišël<br />
sjuda, v osinnik u Krivoj sosny.<br />
Harassé – (par) douleur – dans – flanc, – petit élan – non – une – encore –<br />
journée – rôdait – dans – forêt – et – vint – ici, – dans – tremblaie – près de<br />
– Tordu – Pin.<br />
= Harassé par la douleur dans le flanc, le petit élan, après avoir rôdé<br />
plusieurs jours dans la forêt, vint ici, dans la tremblaie près du Pin Tordu.<br />
(217) […] <br />
[…]<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Pervyj koegar prodolžal vozit’sja s butylkami i nakonec slegka sdvinul<br />
kryšku odnoj iz butylok.<br />
Premier – chauffeur – continuait – s’occuper – de – bouteilles – et – enfin –<br />
légèrement – fit glisser – couvercle – (de) une – de – bouteilles.<br />
= Le premier chauffeur s’obstinait à ouvrir les bouteilles et réussit enfin à<br />
déplacer le couvercle de l’une d’elles.<br />
Souvent, les actions sont accompagnées d’adverbiaux restrictifs de temps qui<br />
précisent le cadre temporel des événements :<br />
(218),<br />
- (. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
163
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
On šël vsju no’ bez dorogi, naugad i na rassvete outilsja na zadax kakoj-<br />
to derevni.<br />
Il – marchait – entière – nuit – sans – chemin, – à l’aveugle – et – à –<br />
aube – se retrouva – sur – derrère – (de) quelconque – village.<br />
= Il marcha toute la nuit sans route, à l'aveugle et à l'aube se retrouva<br />
derrière un village.<br />
3.4.2. Postériorité / antériorité<br />
3.4.2.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Dans les énoncés où la succession des passés perfectifs désigne la régression<br />
temporelle, cette signification est inférée grâce à des hypothèses conceptuelles,<br />
stéréotypiques ou causales, qui annulent l’ordre temporel positif :<br />
(219) . <br />
( : 325).<br />
Ja vypil ešë bokal zavetnogo muskata. Raisa oknulas’ so mnoj.<br />
Je – bus – encore – verre – (de) exceptionnel – muscat. – Raïssa – trinqua<br />
– avec – moi.<br />
= J’ai bu encore un verre de ce muscat exceptionnel, Raïssa ayant trinqué<br />
avec moi.<br />
On sait que normalement on trinque avant de boire, et dans ce contexte aucune<br />
autre hypothèse ne vient contredire cette règle conceptuelle stéréotypique, donc le<br />
destinataire infère l’ordre temporel régressif : j’ai bu, Raïssa avait trinqué avec<br />
moi.<br />
Cet exemple peut aussi recevoir une autre interprétation : le second fait (trinquer)<br />
est considéré comme un détail par rapport au fait plus général qui l’englobe<br />
(boire). Il s’agit alors de la simultanéité.<br />
Observons l’exemple suivant :<br />
164
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(220) […] .<br />
. , <br />
, , <br />
( : 229).<br />
Starik vyšel za vorota. Tuda prišla i Bas’ka vsled za nim. Ona odela<br />
mužskie štiblety i oranževoe plat’e, ona odela šljapu, obvešannuju pticami, i<br />
uselas’ na lavoke.<br />
Vieillard – sortit – derrière – portes. – Là-bas – vint – et – Baska – suite –<br />
derrière – lui. – Elle – mit – masculins – chaussures – et – orange – robe, –<br />
elle – mit – chapeau, – décoré – (de) oiseaux, – et – s’assit – sur – petit<br />
banc.<br />
= Le vieux sortit hors de la cour intérieure de la maison. Baska à son tour<br />
vint là-bas le rejoindre. Elle portait des chaussures d’homme et une robe<br />
orange, elle portait un chapeau, décoré d’oiseaux. Elle s’assit sur un banc.<br />
L’ordre réel des événements est : (B1 + B2 (s’habiller)) A (sortir) C (s’asseoir<br />
sur un banc). Le destinataire infère cette succession grâce aux hypothèses<br />
stéréotypiques : on s’habille avant de sortir et non après ; on s’assoit sur un banc<br />
après être sorti de la maison.<br />
Cf. aussi un autre exemple où l’ordre temporel négatif est inféré par le biais d’une<br />
hypothèse conceptuelle :<br />
(221) <br />
[…] (.. ; Ruscorpora).<br />
Vdali ot rodnogo doma umer Kirill i tak skazal pered smert’ju.<br />
Loin – de – natale – maison – mourut – Cyril – et – ainsi – dit – avant –<br />
mort.<br />
= Cyril mourut loin de sa maison natale et dit, avant de mourir […].<br />
Comme nous l’avons signalé un peu plus haut, la ponctuation par écrit, et<br />
l’intonation oralement, peuvent contribuer à l’inférence de l’ordre temporel négatif,<br />
cf. :<br />
165
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(222) [] : <br />
( : 51).<br />
Djadja Volodja zadumalsja nad šaxmatnoj doskoj : Skavka neožidanno<br />
sdelal kaverznyj xod.<br />
Oncle – Volodia – se mit à réfléchir – au-dessus de – échiquier : – Slavka –<br />
d’une manière inattendue – fit – rusé – déplacement.<br />
= L’oncle Volodia se mit à réfléchir au-dessus de l’échiquier : Slavka avait<br />
joué un coup astucieux.<br />
Plus précisément, les deux points servent souvent à confirmer une relation<br />
causale entre deux événements, c’est pourquoi on infère normalement, dans cet<br />
énoncé : L’oncle Volodia prit l’air pensif, parce que Slavka avait joué d’une façon<br />
astucieuse. Cet énoncé présente donc deux relations à la fois : temporelle et<br />
causale.<br />
Dans d’autres cas, c’est le contexte linguistique, c’est-à-dire les énoncés<br />
précédant ou suivant l’énoncé examiné, qui conduit le destinataire à privilégier la<br />
relation de postériorité / antériorité (ordre temporel négatif).<br />
Aussi l’exemple ci-dessous, sans contexte supplémentaire, serait-il interprété<br />
comme présentant une relation d’antériorité / postériorité (ordre temporel positif) :<br />
(223) . <br />
.<br />
Andrej vernulsja v dom. Xozjajka s doer’ju sobrali v mešok uguny i<br />
posudu.<br />
André – retourna – à – maison. – Maîtresse de maison – avec fille –<br />
ramassèrent – dans – sac – pots – et – vaisselle.<br />
= André retourna à la maison. La maîtresse de maison et sa fille<br />
ramassèrent les pots et la vaisselle dans un sac.<br />
Cependant, dans un contexte plus large, le destinataire est amené à annuler<br />
l’hypothèse de l’ordre temporel positif et à conclure à la postériorité du fait A par<br />
rapport au fait B :<br />
166
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(223') . <br />
. , - <br />
, (, I : 77).<br />
Andrej vernulsja v dom. Xozjajka s doer’ju sobrali v mešok uguny i<br />
posudu. Frol, po-pokojnicki skrestiv na grudi pal’cy, ležal na lavke uže v<br />
odnixulkax.<br />
André – retourna – à – maison. – Maîtresse de maison – avec – fille –<br />
ramassèrent – dans – sac – pots – et – vaisselle. – Frol, – à la manière de<br />
défunt – ayant croisé – sur – poitrine – doigts, – était allongé – sur – banc –<br />
en – seules – chaussettes.<br />
= André retourna à la maison. La maîtresse de maison et sa fille avaient<br />
déjà ramassé les pots et la vaisselle dans un sac. Frol, n'ayant gardé que<br />
ses chaussettes, les doigts croisés sur sa poitrine à la manière d’un défunt,<br />
était allongé sur le banc.<br />
Grâce à l’amplification du contexte, on comprend qu’André retourna à la maison et<br />
vit le tableau suivant : les femmes avaient déjà ramassé les pots et la vaisselle et<br />
Frol était allongé déjà rien qu’en chaussettes.<br />
Des connecteurs temporels du type déjà, d’abord, ensuite influencent évidemment<br />
la lecture de la relation entre les événements :<br />
(224) , , . <br />
, (, I : 197).<br />
Nakinul pidžak, snjal s pei valenki, vyšel. Polovcev uže vvël v kalitku konja,<br />
zaper vorota na zasov.<br />
[Il] mit – veste, – enleva – de – poêle – valenkis, – sortit. – Polovtsev – déjà<br />
– introduit – dans – portillon – cheval, – ferma – portes – à – verrou.<br />
= Il mit la veste, prit les valenkis sur le poêle, sortit. Polovtsev avait déjà<br />
amené le cheval dans la cour et fermé les portes.<br />
Dans cet exemple, les actions successives amener, fermer sont interprétées<br />
comme antérieures à l’action de sortir grâce à l’adverbe uže.<br />
167
3.4.2.2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Nous n’avons pas rencontré d’exemples qui contiendraient cette combinaison.<br />
Une telle conjoncture nous semble pourtant possible bien qu’extrêmement rare, cf.<br />
l’exemple construit :<br />
(225) , <br />
.<br />
Volodja vosvrašalsja domoj daleko zapolno’, on segodnja dopozdna<br />
rabotal v laboratorii.<br />
Volodia – rentrait – (à) maison – loin – minuit passé, – il – aujourd’hui –<br />
jusqu’à tard – travaillait – dans – laboratoire.<br />
= Volodia rentrait à la maison minuit bien passé, ce jour-là il a travaillé tard<br />
dans le laboratoire.<br />
Nous avons déjà noté la contradiction entre la nature de l’imperfectif (qui présente<br />
habituellement le procès dans son stade médian ou désigne la répétition de<br />
procès) et la valeur de non-simultanéité. Il est donc difficile et coûteux pour une<br />
suite d’imperfectifs d’exprimer la progression temporelle. Quant à la régression<br />
temporelle, son expression par les imperfectifs est d’autant plus impertinente que<br />
s’impose alors une contrainte supplémentaire d’ordre des mots iconique. Pour que<br />
la suite d’imperfectifs exprime l’ordre temporel régressif, il est impératif que<br />
l’énoncé présente de puissants supports contextuels (hypothèses contextuelles<br />
et / ou indices lexicaux). Probablement, le deuxième imperfectif doit souvent avoir<br />
la valeur explicative intrinsèque comme en (225), fréquemment renforcée par des<br />
éléments modaux (une appréciation du locuteur) comme dans l’exemple suivant :<br />
(226),.<br />
On xorošo otveal na ekzamenax, ne zrja zubril vsju nedelju.<br />
Il – bien – répondait – à – examens, – ne – en vain – bachotait entière –<br />
semaine.<br />
= Il a bien répondu aux examens, ce n’est pas en vain qu’il avait bachoté<br />
toute une semaine.<br />
168
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Soulignons à nouveau l’importance du sujet (commun ou non) et des liens<br />
causaux ou stéréotypiques pour l’interprétation de l’énoncé. Dans l’exemple<br />
suivant :<br />
(227).,<br />
.<br />
Volodja ložilsja v postel’. Zakryval plotno stavni, toby dnevnoj svet ne budil<br />
ego.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit. – Bien – fermait – volets, – pour que –<br />
(de) jour – lumière – ne – révéillait – le.<br />
= Volodia se mettait au lit, baissait bien les volets pour que la lumière du<br />
jour ne le révéillât pas ;<br />
on infère que le procès fermer les volets précède celui de se mettre au lit, grâce<br />
au sujet commun pour tous les procès (Volodia) et grâce à l’hypothèse<br />
conceptuelle stéréotypique : on baisse les volets avant de dormir.<br />
Comparons l’énoncé (227) avec les énoncés où : 1) le sujet n’est pas le même<br />
mais il existe un lien conceptuel évident entre deux événements (228) ; 2) le sujet<br />
est le même mais il n’y a pas de liens causaux ou stéréotypiques évidents (229) ;<br />
3) le sujet n’est pas le même et il n’y a pas de liens causaux ou stéréotypiques<br />
(230) :<br />
(228) . ,<br />
.<br />
Volodja ložilsja v postel’. Lena plotno zakryvala stavni, toby dnevnoj svet<br />
ne budil ego.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit. – Léna – bien – fermait – volets, – pour<br />
que – (de) jour – lumière – ne – réveillait – lui.<br />
= Volodia se mettait au lit. Léna fermait bien les volets pour que la lumière<br />
du jour ne le réveillât pas.<br />
(229),.<br />
Volodja ložilsja v postel’, kormil košku.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit, – nourrissait – chat.<br />
= Volodia se mettait au lit, donnait à manger au chat.<br />
169
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(230)..<br />
Volodja ložilsja v postel’. Lena kormila košku.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit. – Léna – nourrissait – chat.<br />
= Volodia se mettait au lit. Léna donnait à manger au chat.<br />
En (228), on conclut à une relation causale entre A et B : Léna fermait les volets<br />
parce que Volodia se couchait. La relation temporelle n’est pas déterminée : Léna<br />
peut fermer les volets juste avant, pendant ou juste après que Volodia se couche.<br />
En (229), si on sait que le locuteur a l’intention de communiquer quelque chose,<br />
donc si on exclut la possibilité que l’énoncé est absurde, on infère l’ordre temporel<br />
positif : Volodia se couchait et ensuite, de son lit, donnait à manger au chat.<br />
La lecture neutre de l’énoncé (230) attribuerait aux procès A et B une relation<br />
temporelle non différenciée (ou, à la limite, une simultanéité partielle). Cependant,<br />
une intonation qui met en relief le prénom Léna (baisse de la voix focalisante sur<br />
la syllabe accentuée de Léna) changerait l’interprétation de cet énoncé, en lui<br />
assignant une hypothèse causale : Volodia se couchait, et c’est pourquoi Léna<br />
donnait à manger au chat. Remarquons que le même résultat est atteint si on<br />
change l’ordre des mots, en mettant Léna à la fin (Léna formant le rhème) :<br />
/ . – Košku kormila / Lena. – C’était Léna qui donnait à<br />
manger au chat (Il est également possible : Košku / kormila Lena. – Quant au<br />
chat, c’était Léna qui lui donnait à manger).<br />
Bien entendu, des adverbiaux peuvent faciliter l’inférence d’une relation temporelle<br />
(ou logique), cf. :<br />
(227') , <br />
,.<br />
Volodja ložilsja v postel’, no snaala plotno zakryval stavni, tob dnevnoj<br />
svet ne budil ego.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit, – mais – d’abord – bien – fermait –<br />
volets, – pour que – (de) jour – lumière – ne – réveillait – le.<br />
= Volodia se mettait au lit mais d'abord baissait bien les volets pour que la<br />
lumière du jour ne le réveille (réveillât) pas.<br />
170
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(229'),.<br />
Volodja ložilsja v postel’, no snaala kormil košku.<br />
Volodia – s’allongeait – dans – lit, – mais – d’abord – nourrissait – chat.<br />
= Volodia se mettait au lit mais d'abord donnait à manger au chat.<br />
3.4.2.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
La relation de postériorité / antériorité dans cette combinaison n’est pas non plus<br />
très fréquente, inhibée par les valeurs aspecto-temporelles des verbes. Si ces<br />
dernières sont annulées par une hypothèse contextuelle, le destinataire peut être<br />
alors amené à inférer la postériorité du fait de passé perfectif au procès exprimé<br />
par un passé imperfectif :<br />
(231).<br />
- ( : 276).<br />
Bliže k utru Jurij Andreevi prosnulsja v drugoj raz. Opjat’ emu snilos’to-to<br />
prijatnoe.<br />
Plus près – de – matin – Iouri – Andreevitch – se réveilla – à – autre – fois.<br />
– Encore – (à) lui – (il) rêvait – quelque chose – agréable.<br />
= Vers le matin, Iouri Andreevitch se réveilla encore une fois. Il avait de<br />
nouveau rêvé de quelque chose d’agréable.<br />
N’ayant pas trouvé beaucoup d’exemples, nous supposons néanmoins que, dans<br />
un tel cas de figure, le passé imperfectif aurait souvent une valeur explicative, cf.<br />
l’exemple construit :<br />
(232) . (, , )<br />
.<br />
Kotënok promok do nitki. On (dolgo, vsju no’, dva asa) guljal pod<br />
doždëm.<br />
Chaton – fut trempé – jusqu’à – fil. – Il – (longtemps, – entière – nuit, –<br />
deux – heures) – se promenait – sous – pluie.<br />
171
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Le chaton fut complètement trempé. Il était resté (longtemps, toute la nuit,<br />
deux heures) sous la pluie.<br />
Les adverbes restrictifs de temps ne sont pas décisifs pour limiter la durée du<br />
procès de l’imperfectif car le passé perfectif, incarnant le résultat ou la phase<br />
finale, pose par sa sémantique la limite de ce procès.<br />
Le procès du passé imperfectif peut contenir des éléments modaux<br />
d’appréciation :<br />
(233).<br />
, , <br />
« » (,<br />
: 124).<br />
Kisljarskij sdelalsja mramornym. Ešë segodnja on tak vkusno i spokojno<br />
obedal, el kurinye pupoki, bul’on s oreškami i niego ne znal o strašnom<br />
« sojuze mea i orla ».<br />
Kisliarski – devint – (de) marbre. – Encore – aujourd’hui – il – si – bon – et –<br />
tranquillement – déjeunait, – mangeait – gésiers de poulet, – bouillon –<br />
avec – noisettes – et – rien – ne – savait – sur – terrifiante – « union – (de)<br />
glaive – et – aigle ».<br />
= Kisliarski se pétrifia. Aujourd'hui encore, il avait si bien et si tranquillement<br />
déjeuné, mangé des gésiers de poulet, du bouillon aux noisettes et ne<br />
savait rien de la terrifiante « union du glaive et de l'aigle ».<br />
3.4.2.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Dans les énoncés avec cette combinaison, le passé perfectif prend une valeur<br />
explicative :<br />
(234) ; <br />
, ( :<br />
116).<br />
172
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Ispisannye Ivanom listki valjalis’ na polu ; ix sdulo vetrom, vletevšim v<br />
komnatu pered naalom grozy.<br />
Ecrites – (par) Ivan – feuilles – jonchaient – sur – sol ; – les – (il) emporta –<br />
(par) vent, – venu en volant – dans – pièce – avant – début – (de) orage.<br />
= Les feuilles de papier écrites par Ivan jonchaient le sol ; elles avaient été<br />
emportées par le vent qui s’était engouffré dans la chambre avant le début<br />
de l’orage.<br />
Dans cet énoncé, l’antériorité de l’action du passé perfectif est inférée grâce à<br />
l’hypothèse causale qui vient naturellement à l’esprit : les feuilles jonchaient le sol<br />
parce qu’elles étaient emportées par le vent. Cependant, un simple adverbe<br />
suffirait pour changer l’ordre en positif : <br />
; (potom) , <br />
. – « Les feuilles jonchaient par terre, ensuite le<br />
vent les emporta ».<br />
3.4.3. Simultanéité<br />
Définition. Les événements A et B sont simultanés si ces événements ont lieu<br />
pendant un laps de temps t, le déroulement de l’événement A ne contredisant à<br />
aucun moment la réalisation de B et, inversement, le déroulement de l’événement<br />
B ne contestant pas la réalisation de A. Remarquons que A B et que A et B<br />
coincident à un moment ou à un autre :<br />
(235),-<br />
( : 150).<br />
apaev vsë tak že sidel naprotiv so stakanom v ruke, to-to napeval sebe<br />
pod nos i gljadel v stenu.<br />
Tchapaev – tout – ainsi – alors – était assis – en face – avec – verre –<br />
dans – main, – quelque chose – chantonnait – à soi – sous – nez – et –<br />
regardait – dans – mur.<br />
= Tchapaev était toujours assis en face de moi, un verre à la main, il<br />
chantonnait doucement quelque chose et fixait le mur.<br />
173
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(236),.<br />
, ( : 105).<br />
No’ju Dementij Trifonovi pisal, sidja za stolom. Žena v xalate sidela podle<br />
nego, sledila za ego rukoj.<br />
(Pendant) nuit – Démenti – Trifonovitch – écrivait, – étant assis – à table. –<br />
Femme – en – robe de chambre – était assise – près de – lui, – suivait –<br />
derrière – sa – main.<br />
= La nuit, Dementi Trifonovitch écrivait, assis à la table. Sa femme en robe<br />
de chambre était assise près de lui, observait sa main.<br />
3.4.3.1. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
Cette configuration transmet le mieux la simultanéité des événements dans la<br />
langue. L’imperfectif, qui désigne généralement un procès non ponctuel<br />
( – netoenoe dejstvie), et sous-entend donc une durée<br />
de l’action dans le temps, permet à deux événements de coïncider durant un laps<br />
de temps. On ne peut prétendre que les événements considérés comme<br />
concomitants le sont réellement pendant chaque instant de leur déroulement.<br />
D’une certaine façon, la langue construit un cadre temporel d’observation dans<br />
lequel se produisent les procès interprétés comme simultanés. L’esprit humain ne<br />
peut pas retenir et fixer toutes les caractéristiques instables, versatiles, fugaces<br />
des objets ou des événements et ne retient que des propriétés stables qui durent<br />
assez de temps pour être remarqués et fixés. En ce qui concerne les procès non<br />
ponctuels, la langue souligne des moments de leur stabilité qualitative, en les<br />
représentant habituellement dans leur phase médiane sans prêter attention aux<br />
phases débutante ou finale [Poljanskij 1987 : 247]. L’aspect imperfectif correspond<br />
tout à fait à l’objectif de mettre en évidence la phase médiane du procès, cf. les<br />
exemples (235), (236).<br />
Soulignons à nouveau le rôle du sujet (qui se mêle à des hypothèses<br />
conceptuelles) dans l’interprétation des relations temporelles, cf. :<br />
174
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(237)...<br />
Volodja spal . Lena itala. Katja smotrela televizor.<br />
Volodia – dormait. – Léna – lisait. – Katia – regardait – télévision.<br />
= Volodia dormait. Léna lisait. Katia regardait la télé.<br />
(238),,.<br />
Volodja spal,ital, smotrel televizor.<br />
Volodia – dormait, – lisait, – regardait – télévision.<br />
= Volodia dormait, lisait, regardait la télé.<br />
Les procès de (237) seront normalement interprétés comme simultanés, tandis<br />
que les procès de (238) sont en relation d’exclusion : dans les conditions<br />
habituelles, normales, une seule personne ne peut dormir, lire et regarder la télé à<br />
la fois. La relation temporelle entre ces événements sera définie comme non<br />
ordonnée : les procès dormir, lire, regarder la télé ne se déroulent pas en même<br />
temps mais l’ordre entre eux est indéterminé.<br />
La relation de simultanéité entre deux imperfectifs présente quelques régularités<br />
sémantiques et syntaxiques.<br />
1. Dans les énoncés à un seul sujet, le premier verbe définit un emplacement<br />
(ou déplacement) spatial du sujet, le deuxième verbe quant à lui désigne l’action<br />
effectuée par le sujet :<br />
(239) , , <br />
( : 55)<br />
Oba kombata, Podufarov i Movšovi, sideli za stolom i zavtrakali.<br />
Les deux – chefs de bataillon, – Podtchoufarov – et – Movchovitch, –<br />
étaient assis – à table – et – petit-déjeunaient.<br />
= Les deux commandants, Podchoufarov et Movchovitch, étaient assis à<br />
table et prenaient leur petit déjeuner.<br />
(240) <br />
( : 333).<br />
Za pis’mennym stolom sidela do’ inženera i itala gazetu.<br />
175
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Derrière – à écrire – table – était assise – fille – (de) ingénieur – et – lisait –<br />
journal.<br />
= Au bureau était assise la fille de l'ingénieur et elle lisait le journal.<br />
(241) , <br />
, ,<br />
( : 45).<br />
Posredi truby v staren’koj gimnastërke, v pilotoke s zelënoj frontovoj<br />
zvëzdokoj stojal, skloniv golovu, muzykant i igral na skripke.<br />
Au milieu – (de) tube – en – vieille – vareuse, – en – petit calot – avec –<br />
verte – (de) front – petite étoile – se tenait debout, – ayant incliné – tête, –<br />
musicien – et – jouait – de – violon.<br />
= Au milieu des tubes de canalisations, vêtu d'une vareuse, un calot avec<br />
une petite étoile militaire verte sur la tête, se tenait debout, la tête penchée,<br />
un musicien qui jouait du violon.<br />
(242) (. .<br />
; Ruscorpora).<br />
Ona šla po grjaznoj ulice i ulybalas’.<br />
Elle – marchait – dans – boueuse – rue – et – souriait.<br />
= Elle descendait la rue boueuse en souriant.<br />
2. Le deuxième verbe désigne un procès répété (mode d’action itératif) :<br />
(243) , <br />
(. . ; l’exemple de<br />
Ruscorpora).<br />
Xodil po komnate roslyj molodoj paren’, vremenami pogljadyval na telefon.<br />
Marchait – dans – pièce – grand – jeune – gars, – de temps en temps –<br />
jetait des coups d’œil – sur – téléphone.<br />
= Un grand jeune homme arpentait la pièce, en jetant des coups d’œil au<br />
téléphone.<br />
176
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
3. Dans les énoncés à deux (ou plusieurs) sujets, chaque sujet produit son<br />
propre procès dans le même cadre spatial :<br />
(244),,<br />
[…] (. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
Otec nës ego na pleax, gordjas’ im i svoej ocovskoj siloj, mama šla<br />
rjadom.<br />
Père – portait – le – sur – épaules – en s’enorgueillissant – (de) lui – et –<br />
(de) sa – paternelle – force, – maman – marchait – à côté.<br />
= Le père le portait sur ses épaules, fier de lui et de sa propre force<br />
paternelle, la mère marchait à leur côté.<br />
(245) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Šagal Ded Moroz po doroge, a zajik v meške u nego sidel.<br />
Marchait – Grand-Père – Gel – sur – route, – et – petit lièvre – dans – sac –<br />
chez – lui – siégeait.<br />
= Le Père Noël avançait sur la route, et il avait dans son sac un petit lapin.<br />
Dans tous les cas, la simultanéité peut être soulignée par un adverbe :<br />
(246) […] (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Ja bežal i vsë vremja smotrel pod nogi.<br />
Je – courais – et – tout – temps – regardais – sous – pieds.<br />
= Je courais en regardant sans arrêt sous mes pieds.<br />
(247) , (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Serëža spal, a Jurij tem vremenem razmyšljal.<br />
Serioja – dormait – et – Iouri – (pendant) ce – temps – réflechissait.<br />
= Pendant que Serioja dormait, Iouri réflechissait.<br />
177
3.4.3.2. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Cette combinaison n’exprime pas facilement la simultanéité, car la valeur<br />
aspectuelle de globalité de l’action empêche de dégager la phase médiane chez<br />
les formes perfectives. Cependant, certaines conjonctures permettent à la suite de<br />
perfectifs de désigner la simultanéité.<br />
1. Des adverbiaux temporels ou autres indicateurs lexicaux indiquent<br />
explicitement que les faits se sont produits simultanément :<br />
(248) <br />
(. ; exemple donné par Poljanskij<br />
[Poljanskij 1987 : 248]).<br />
No vdrug v odno i to že vremja on pouvstvoval sebja vinovatym i požalel<br />
eë.<br />
Mais – soudain – en – seul – et – même – temps – il – sentit – soi –<br />
coupable – et – eut pitié – (de) elle.<br />
= Mais soudain il se sentit coupable et en même temps eut pitié d’elle.<br />
(249),.<br />
(, I :70).<br />
Nagul’nov mignul Davydovu, vyšel. Šukarju na xodu podnës k borode<br />
kulak.<br />
Nagoulnov – cligna d’œil – (à) Davydov – sortit. – (A) Choukar – en –<br />
marche – apporta – vers – barbe – poing.<br />
= Nagoulnov fit un clin d’œil à Davydov, sortit . En marchant, tendit un poing<br />
serré vers la barbe de Choukar.<br />
2. La durée implicite du fait exprimé par le perfectif inclut le procès de<br />
l’imperfectif :<br />
(250) , , .<br />
, […] (, I :<br />
112).<br />
178
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Razmëtnov rasskazal, to znal o naavšemsja uboe skota. Pod konec<br />
Davydov el, poti ne prožëvyvaja.<br />
Razoumovski – raconta, – quoi – savait, – sur – commencé – abattage –<br />
(de) bétail. – Vers – fin – Davydov – mangeait, – presque – ne – en<br />
mastiquant.<br />
= Razmetnov raconta tout ce qu'il savait sur l'abattage du bétail qui avait<br />
commencé. Vers la fin de son récit Davydov mangeait en avalant tout sans<br />
mâcher.<br />
3. Les deux faits se déroulent strictement pendant un seul laps de temps. C’est<br />
le cas lorsque un perfectif exprime le déplacement d’un objet (ou d’un sujet) qui<br />
accompagne obligatoirement le mouvement du sujet désigné par l’autre perfectif :<br />
(251) […] <br />
( : 99).<br />
Sëstry poskorej ušli v gornicu i unesli tuda emodany.<br />
Soeurs – au plus vite – partirent – dans – chambre – et – emportèrent – là-<br />
bas – valises.<br />
= Les sœurs partirent vite dans la chambre et y emportèrent les valises.<br />
(252) . <br />
( : 80).<br />
Sobirat’ garderob prišël dvornik Markel. On privël s soboj šestiletnjuju do’<br />
Marijku.<br />
Monter – garde-robe – vint – domestique – Markel. – Il – amena – avec –<br />
soi – (de) six ans – fille – Mariyka.<br />
= Pour monter le meuble vint le domestique Markel. Il amena avec lui sa<br />
fille de six ans Mariyka.<br />
4. Les deux faits se produisent strictement pendant le même laps de temps<br />
désignant deux perceptions d’un seul phénomène. Il s’agit ici de deux faits ayant<br />
deux sujets différents et décrivant la même réalité du point de vue de ces deux<br />
sujets. Les deux événements sont distincts (E1 E2) : décrivant la même réalité,<br />
la langue donne deux perceptions différentes de cette réalité :<br />
179
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(253) - <br />
. <br />
[…] ( : 64) ;<br />
Iz-za mogil’nogo kamnja vypolz ded s banduroj i detskim golosom spel pro<br />
byluju kaza’ju slavu. My proslušali pesnju mola.<br />
De derrière – tombale – pierre – apparut en rampant – vieillard – avec –<br />
bandoura 64 – et – (de) enfantine – voix – chanta – de – ancienne – (de)<br />
cosaques – gloire. – Nous – écoutâmes – chanson – en silence.<br />
= De derrière la pierre tombale apparut un vieillard tenant une bandoura,<br />
qui chanta d’une voix d’enfant l’ancienne gloire des cosaques. Nous<br />
écoutâmes la chanson sans parler.<br />
(254) –,-, – . – ? ! –<br />
. <br />
( : 96).<br />
– Pudžik, kis-kis, – pozval on. – Kolbasy xoeš’ ? A netu ! – I on položil<br />
kolbasu v rot. Pudžik provodil eë glazami.<br />
Poudjik, – pss-pss, – appela – il. – Saucisson – veux ? – Mais – point ! – Et<br />
– il – mit – saucisson – dans – bouche. – Poudjik – accompagna – lui – (de)<br />
yeux.<br />
= Poudjik, pss-pss, appela-t-il. – Tu veux du saucisson ? Mais y'en a pas ! –<br />
Et il déposa le saucisson dans sa bouche. Poudjik le suivit des yeux.<br />
(255) ; <br />
, , <br />
[…] ( : 177) ;<br />
On zakrial neeloveeskim i protjažnym krikom ; etot tosklivyj, odinokij,<br />
zaterjavšijsja vopl’ prošël po vzboronënnym poljam.<br />
Il – se mit à crier – (de) inhumain – et – prolongé – cri ; – ce – lugubre, –<br />
solitaire, – éperdu – hurlement – passa – sur – labourés – champs.<br />
= Il poussa un cri inhumain et prolongé ; ce hurlement lugubre, solitaire,<br />
éperdu parcourut les champs labourés.<br />
64 Sorte de guitare.<br />
180
3.4.3.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
1. Le procès de l’imperfectif fait partie de la durée implicite du fait exprimé par le<br />
perfectif. La perspective temporelle (l’action du perfectif) est exprimée par un<br />
verbe marquant le début de l’action (mode d’action ingressif) (256), (257) ou par<br />
un verbe désignant une action résolue qui a duré dans le temps (mode d’action<br />
délimitatif relativement) (258), (259) [Akimova, Kozinceva 1987 : 282-283] :<br />
(256) , <br />
, <br />
(. ; exemple de [Akimova, Kozinceva 1987 : 283]).<br />
I stal on im rasskazyvat’ o neverojatnyx udesax, o naunyx dostiženijax, a<br />
sam pri etom to i delo prigubljal vodku.<br />
Et – commença – il – (à) eux – raconter – sur – extraordinaires – miracles,<br />
– sur – scientifiques – acquis, – et – lui-même – sur – cela – ce – et –<br />
faisant – mettait à ses lèvres – vodka.<br />
= Et il se mit à leur parler de miracles extraordinaires, des acquis<br />
scientifiques, et ce faisant il portait de temps à autre la vodka à ses lèvres.<br />
(257) […] . <br />
( : 50).<br />
Bim stal lakat’. Ženšina gladila ego po spine.<br />
Bim – commença – laper. – Femme – caressait – lui – sur – dos.<br />
= Bim se mit à laper. La femme lui caressait le dos.<br />
(258) . –<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ele do domu donës. Po doroge pjat’ raz ostanavlivalsja – otdyxal.<br />
A peine – jusqu’à – maison – (il) parvint à porter. – En – route – cinq –<br />
fois – s’arrêtait – se reposait.<br />
= Il parvint à peine à le porter jusque chez lui. Il s’arrêta cinq fois en route<br />
pour se reposer.<br />
181
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(259) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Vot i prosideli u ëlki daleko za polno’, peli i daže tancevali.<br />
Voilà – et – (on) resta assis – près de – sapin – loin – derrière – minuit, –<br />
chantait – et – même – dansait.<br />
= Ainsi on resta près du sapin jusqu’à minuit passé, on chanta et même on<br />
dansa.<br />
2. Le fait (perfectif) se produit sur le fond du procès (imperfectif).<br />
Habituellement, dans ce cas, interviennent des indices temporels explicitant la<br />
simultanéité ( – v eto vremja – « pendant ce temps » ;<br />
– odnovremenno – « en même temps », etc. ) :<br />
(260) , – , <br />
; <br />
( : 413).<br />
Odnaždy utrom, – eto bylo uže v naale sentjabrja, Fëkla prinesla snizu dva<br />
vedra vody ; v eto vremja Marja i Ol’ga sideli za stolom i piliaj.<br />
Une fois – (pendant) matin, – cela – était – déjà – à – début – (de)<br />
septembre, – Fiokla – apporta – (de) en-bas – deux – seaux – (de) eau ; –<br />
en – ce – temps – Maria – et – Olga – étaient assises – à – table – et –<br />
buvaient – thé.<br />
= Un matin, – c'était déjà début septembre, Fiokla monta d'en bas deux<br />
seaux remplis d'eau ; pendant ce temps Maria et Olga étaient assises à<br />
table et prenaient du thé.<br />
3. Le procès (imperfectif) se déroule sur le fond de l’état résultant (perfectif) :<br />
(261) ( :<br />
44).<br />
Bim utknulsja nosom v botinok i tak ležal.<br />
Bim – se mit – (avec) nez – dans – chaussure – et – ainsi – était allongé.<br />
= Bim fourra le nez contre la chaussure et restait allongé ainsi.<br />
182
3.4.3.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
1. Le fait (perfectif) se produit sur le fond du procès (imperfectif). La<br />
simultanéité est inférée grâce à des hypothèses conceptuelles (liens causaux ou<br />
stéréotypiques) :<br />
(262) , <br />
. <br />
, (, : 120).<br />
Velikij kombinator uvstvoval vdoxnovenie, upoitel’noe sostojanie pered<br />
vyšesrednim šantažom. On prošëlsja po komnate kak bars.<br />
Grand – combinateur – sentait – inspiration, – enivrant – état – avant – au-<br />
dessus de la moyenne – chantage. – Il – passa – à travers – pièce comme<br />
– panthère.<br />
= Le grand combinateur se sentait inspiré, éprouvant une sensation<br />
d’ivresse avant un chantage au-dessus de la moyenne. Il traversa la pièce<br />
de long en large comme une panthère.<br />
(263) . <br />
(, : 130).<br />
Poezd unosil druzej v šumnyj centr. Druz’ja prinikli k oknu.<br />
Train – emportait – amis dans – bruyant – centre. – Amis – se collèrent –<br />
contre – fenêtre.<br />
= Le train emportait les amis vers le centre bruyant. Les amis collèrent leur<br />
visage contre la vitre.<br />
(264),<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ja stojal na kryl’ce, a on spustilsja vo dvor i vyvel iz saraja velosiped.<br />
Je – étais debout – sur – perron, – et – il – descendit – dans – cour – et –<br />
sortit – de – abri – vélo.<br />
= J’attendais sur le perron tandis que lui descendit dans la cour et sortit le<br />
vélo de l’abri.<br />
183
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
2. L’état résultant du perfectif apparaît sur le fond du procès (265) ou de l’état<br />
(265) de l’imperfectif :<br />
(265) […] . […] ,<br />
( : 152).<br />
Pëtr Dmitri kosil travu. Galstuk razvjazalsja,asovaja cepoka vypala petli.<br />
Piotr – Dmitritch – fauchait – herbe. – Cravate – se dénoua – (de) montre –<br />
chaîne – tomba – de – boutonnière.<br />
= Piotr Dmitritch fauchait l'herbe. Sa cravate se dénoua, sa chaîne de<br />
montre se décrocha de sa boutonnière.<br />
(266) , , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
U brata sekli lob moršiny, pojavilas’ redkaja, no sedina.<br />
Chez – frère – taillaient – front – rides, – apparurent – rares, – mais –<br />
cheveux gris.<br />
= Des rides taillaient le front du frère, quelques cheveux gris apparurent.<br />
3.4.4. Relations temporelles non ordonnées<br />
Définition. Ce type de relations est opposé aux relations ordonnées de<br />
simultanéité et de non-simultanéité (antériorité / postériorité). Les événements A et<br />
B sont considérés comme non ordonnés (non différenciés) s’il s’agit de deux<br />
événements distincts, autonomes, qui se produisent à l’intérieur d’une période de<br />
temps commune et possèdent un lien temporel, la nature chronologique exacte de<br />
ce dernier étant impossible de définir. Autrement dit, dans l’énoncé, se produisent<br />
deux événements A et B, mais il est impossible d’établir si l’événement A se<br />
produit avant, après ou en même temps que l’événement B.<br />
Ce type de relations apparaît souvent dans les énoncés dont le sujet au pluriel<br />
présente la valeur de « pluralité distributive » (<br />
– distributivnaja množestvennost’). Cette valeur implique la<br />
division d’une pluralité en plusieurs éléments (participants) dont chacun possède<br />
184
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
son propre espace de mouvement. Probablement, chaque action de l’énoncé<br />
occupe, dans le cadre temporel commun, une période de temps (et d’espace)<br />
indéfinie et peut ne pas être liée à tous les participants de l’énoncé. Effectivement,<br />
en réalité, chaque participant de la pluralité distributive peut effectuer une seule<br />
action qui lui est propre sans s’associer à toutes les actions, mais la langue<br />
présente toutes les actions de l’énoncé comme effectuées par tous les participants<br />
de la pluralité [Poljanskij 1987 : 249-250] :<br />
(267) , <br />
, (, ; exemple cité dans [Poljanskij<br />
1987 : 250]).<br />
Mužiki obnimali amerikanca, šupali ego odeždu i izo vsej sily žali ego ruki,<br />
plei.<br />
Hommes – étreignaient – américain, – tâtaient – ses – vêtements – et –<br />
de – toute force – serraient – ses – mains, – épaules.<br />
= Les hommes étreignaient l’Américain, tâtaient ses vêtements et serraient<br />
de toutes forces ses mains, ses épaules.<br />
La relation de non-ordonnancement temporel est aussi celle qu’entretiennent entre<br />
eux des actions-hyponymes constituant les parties d’une action générale-<br />
hypéronyme :<br />
(268) (A) :<br />
(B) , (C) <br />
, (D) , , ,<br />
(E)... (. ; exemple cité<br />
dans [Poljanskij 1987 : 249]).<br />
Za stolom Marusja vsë vremja zabotilas’ (A) o Klimove : podkladyvala (B)<br />
emu na tarelku edu, spešila (C) napolnit’ stopku, pododvigala (D) to sol’, to<br />
xren, to goricu, prinosila (E) xolodnuju vodu v kružke.<br />
A – table – Maroussia – tout – temps – prenait soin (A) – de – Klimov : –<br />
mettait (B) – (à) lui – sur – assiette – nourriture, – se pressait (C) – remplir –<br />
verre, – glissait (D) – tantôt – sel, – tantôt – raifort, – tantôt – moutarde, –<br />
apportait (E) – froide – eau – dans – bol.<br />
185
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= A table, Maroussia prenait tout le temps soin de Klimov : elle mettait dans<br />
son assiette de la nourriture, remplissait son verre, glissait vers lui le sel, le<br />
raifort, la moutarde, lui apportait de l’eau froide dans un bol.<br />
En (268), les procès B, C, D, E sont en relation de non-ordonnancement l’un par<br />
rapport à l’autre, faisant partie du procès général A. (Rappelons que ce type de<br />
relation est défini comme partie / tout, hyponymie / hyperonymie ou encore, dans<br />
la terminologie de Saussure, encapsulation).<br />
3.4.4.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif<br />
Nous avons avancé que la succession de passés perfectifs avantage l’ordre<br />
temporel positif. Néanmoins, si aucune hypothèse contextuelle ne vient renforcer<br />
cet avantage, les passés perfectifs expriment deux faits qui se produisent dans un<br />
seul cadre temporel sans préciser un ordre temporel.<br />
1. Les événements non ordonnés sont exprimés par les perfectifs à valeur<br />
d’aoriste :<br />
(269),,<br />
, <br />
( : 204).<br />
Maksimilian Andreevi pokašljal, potopal nogami, i togda dver’ kabineta<br />
otkrylas’, i v perednjuju vyšel Korov’ev.<br />
Maximilian – Andreevitch – toussota quelques fois, – tapa quelques fois –<br />
(de) pieds, – et – alors – porte – (de) bureau – s’ouvrit, – et – dans –<br />
entrée – sortit – Koroviev.<br />
= Maximilian Andreevitch toussota, tapa des pieds sur le sol, et alors la<br />
porte du bureau s'ouvrit, et dans l'entrée pénétra Koroviev.<br />
2. Le premier perfectif à valeur d’aoriste exprime un fait, le second perfectif à<br />
valeur de parfait désigne un état résultant :<br />
186
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(270) – , – . <br />
( : 201).<br />
– Spasibo, – otvetil Knjazev. U nego sžalos’ serdce ot durnogo<br />
preduvstvija.<br />
Merci – répondit – Kniazev. – Chez – lui – se serra – cœur – de –<br />
mauvais – pressentiment.<br />
= – Merci, répondit Kniazev, le cœur serré d’un mauvais pressentiment.<br />
(271), ( : 43).<br />
Nastupilo molanie, i Berlioz poblednel.<br />
Arriva – silence, – et – Berlioz – pâlit.<br />
= Le silence se fit et Berlioz était tout pâle.<br />
(272) - <br />
, , .<br />
, ( :<br />
297).<br />
Paralizovannyj Simon-Vol’f sxvatilsja za rul’ svoej teležki i, vizža i<br />
vyvoraivaja ladoni, dvinulsja k dveri. Ermolka sdvinulas’ s malinovoj,<br />
razdutoj ego golovy.<br />
Paralysé – Simon-Wolf – se saisit – de – guidon – (de) sa – charrette – et, –<br />
en hurlant – et – en retournant – paumes, – se dirigea – vers porte. –<br />
Calotte – glissa – de – cramoisie, – enflée – sa – tête.<br />
= Le paralytique Simon-Wolf saisit le guidon de sa charrette et, hurlant et<br />
tournant les mains, le dirigea vers la porte. Sa calotte avait glissé sur sa<br />
tête cramoisie et enflée.<br />
3. Tous les perfectifs, dans l’énoncé, ont une valeur de parfait et expriment un<br />
état résultant :<br />
(273) ( : 345).<br />
V tjur’me Nedain poželtel i obrjuzg.<br />
Dans – prison – Nedatchine – jaunit – et – enfla.<br />
= En prison Nedatchine était devenu jaune et soufflé.<br />
187
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(274) , , […]<br />
( : 422).<br />
Za zimu ona poxudela, podurnela, nemnogo posedela.<br />
Pendant – hiver – elle – maigrit, – enlaidit, – un peu – grisonna.<br />
= Pendant l’hiver, elle avait maigri, enlaidi, pris quelques cheveux blancs.<br />
(275) , <br />
(, I : 177).<br />
Nagul’nov sdvinul razlatye brovi, ut’ poblednel.<br />
Nagoulnov – fronça – larges – sourcils, – un brin – pâlit.<br />
= Nagoulnov fronça ses larges sourcils, légèrement pâle.<br />
4. La suite de passés perfectifs représente des actions hyponymes (actions<br />
encapsulées) qui concrétisent, c’est-à-dire définissent en « extension », une action<br />
générale (action hyperonyme, encapsulante) :<br />
(276) , <br />
.,,<br />
( : 113).<br />
Medljaki sygrali svoju rol’, i teper’ nikto ne ostalsja sidet’. Kolesnikov<br />
prikleilsja k Saše, Budkin oblapil Nadju, a Služkinu dostalas’ Vetka.<br />
Slows – jouèrent – leur – rôle, – et – maintenant – personne – ne – resta –<br />
être assis. – Kolesnikov – se colla – à – Sacha, – Boudkine – enserra dans<br />
ses pattes – Nadia, – et – (à) Sloujkine – échut – Vetka.<br />
= Le moment des slows arriva et maintenant personne ne resta assis.<br />
Kolesnokov se colla à Sacha, Boudkine serra dans ses pattes Nadia et<br />
Sloujkine décrocha Vetka.<br />
Dans de nombreux énoncés, la relation d’encapsulation entre les passés perfectifs<br />
est sous-entendue sans être dénotée par une action hyperonyme. Ainsi, on peut<br />
considérer que l’énoncé (273) présente implicitement une situation générale :<br />
Nedatchine changea en mal. En (277), l’action générale implicite serait : Judith<br />
était agitée (en colère, indignée, etc.) :<br />
188
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(277) , <br />
( : 297).<br />
Pensne na nosike Judifi zakaalos’, grud’eë vyšla iz nakraxmalennogo<br />
xalata.<br />
Pince-nez – sur – petit nez – (de) Judith – se mit à trembler, – poitrine –<br />
sa – sortit – de – amidonnée – blouse.<br />
= Le pince-nez se mit à trembler sur le petit nez de Judith, sa poitrine<br />
déborda de la blouse blanche amidonnée.<br />
3.4.4.2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
1. Les procès sont réunis dans un seul cadre temporel sans précision<br />
chronologique entre eux. Ce type de relation peut être également considéré<br />
comme simultanéité non stricte :<br />
(278) , <br />
, <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
V trave strekotali kuzneiki, v vozduxe žužžali slepni i muxi, i naperegonki<br />
nosilis’ raznocvetnye baboki.<br />
Dans – herbe – stridulaient – sauterelles, – dans – air – bourdonnaient –<br />
taons – et – mouches, – et – à qui arrivera le premier – volaient –<br />
multicolores – papillons.<br />
= Des sauterelles stridulaient dans l’herbe, des taons et des mouches<br />
bourdonnaient dans l’air et des papillons multicolores jouaient à qui arrivera<br />
le premier.<br />
2. Les procès répétitifs (de mode d’action fréquentatif, itératif, etc.) s’agencent<br />
dans un seul cadre temporel sans fixer d’ordre temporel exact entre eux :<br />
(279) . <br />
. <br />
, <br />
(, : 106).<br />
189
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Ego blëklye usy gnevno obvisali. Kurnosoe lico ševelilos’. On vynimal iz<br />
stola napeatannye svetopis’ju na sinej bumage erteži, serdito pokazyval<br />
ix žene v tysjanyj raz.<br />
Ses – ternes – moustaches – furieusement – tombaient. – Camard –<br />
visage – remuait. – Il – retirait – de – table – imprimés – (avec) encre<br />
spéciale – sur – bleu – papier – plans, – avec irritation – montrait – les – (à)<br />
femme – pour – millième – fois.<br />
= Ses moutaches ternes tombaient de colère. Son visage au nez camus<br />
remuait. Il sortait d'un tiroir des plans imprimés avec une encre spéciale sur<br />
un papier bleu, les montrait, irrité, à sa femme pour la millième fois.<br />
(280) , , , <br />
( : 18).<br />
On i sam, Ivan Ivany, to dremal, to prosypalsja v ožidanii rassveta.<br />
Lui – et – même, – Ivan – Ivanytch, – tantôt – somnolait, – tantôt – se<br />
réveillait – en – attente – (de) aube.<br />
= Ivan Ivanytch lui-même, tantôt somnolait, tantôt se réveillait en attendant<br />
le lever du soleil.<br />
En (280), la répétition non ordonnée des actions est aussi soulignée par le moyen<br />
lexical : la conjonction disjonctive to… to – « tantôt… tantôt ».<br />
Le sujet au pluriel apporte la valeur de pluralité distributive et contribue à la<br />
relation temporelle non ordonnée entre les événements :<br />
(281) , <br />
, (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Prixodilo vremja obeda, iz okon vysovyvalis’ mamy i babuški i zvali detej,<br />
každaja so svoim akcentom.<br />
Arrivait – temps – (de) déjeuner, – de – fenêtres – se montraient –<br />
mamans – et – grands-mères – et – appelaient – enfants, – chacune –<br />
avec – son – accent.<br />
190
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= L’heure du déjeuner arrivait. Les mères et les grands-mères<br />
apparaissaient aux fenêtres et appelaient les enfants, chacune avec son<br />
accent.<br />
3. Les procès hyponymes non ordonnés sont encapsulés dans un événement<br />
hyperonyme :<br />
(282) : , ,<br />
, , <br />
, , <br />
( : 51).<br />
K veeru on zabespokoilsja : podxodil k Matrëne, sadilsja, vjalo semenil<br />
perednimi lapami, smotrel ej v lico, snova otxodil, ložilsja, no vskore opjat’<br />
podxodil i snova otdaljalsja.<br />
Vers – soir – il – commença à s’agiter : – s’approcher – de – Matriona, –<br />
s’asseyait, – mollement – trottinait – (avec) de devant – pattes, – regardait –<br />
(à) elle – dans – visage, – de nouveau – partait, – se couchait, – mais –<br />
bientôt – de nouveau – s’approchait – et – de nouveau – s’éloignait.<br />
= Vers le soir il commença à s’agiter : il s'approchait de Matriona,<br />
s'asseyait, bougeait mollement les pattes avant, fixait son visage,<br />
s'éloignait, se couchait et bientôt s'approchait de nouveau pour s'éloigner<br />
une nouvelle fois.<br />
3.4.4.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif<br />
Le perfectif exprime un résultat (mode d’action à résultativité spéciale ou<br />
générale). Il est impossible d’introduire un intervalle entre l’action du perfectif et<br />
celle de l’imperfectif :<br />
(283). (, I : 127).<br />
Oni vyšli na baz. Porošila mokraja metel’.<br />
Ils – sortirent – sur – corral. – Poudrait – mouillée – bourrasque de neige.<br />
= Ils pénétrèrent sur le corral. Une neige mouillée tourbillonnait.<br />
191
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(284). ( : 334).<br />
Vošël Dolžikov. On vytiral polotencem šeju.<br />
Entra – Doljikov. – Il – essuyait – (avec) serviette- cou.<br />
= Entra Doljikov. Il s’essuyait le cou avec une serviette.<br />
(285) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Onulsja on na trotuare, nad nim xlopotal tot samyj elovek.<br />
Reprit connaissance – il – sur – trottoir, – au-dessus – lui – s’affairait –<br />
celui – même – homme.<br />
= Quand il reprit connaissance, il était allongé sur un trottoir et au-dessus<br />
de lui s’affairait le même homme.<br />
3.4.4.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif<br />
On peut remarquer que les énoncés contenant cette combinaison prennent<br />
généralement une valeur descriptive : le procès de l’imperfectif et le fait du<br />
perfectif, unis par un lien stéréotypique ou causal, sont des éléments descriptifs<br />
particuliers permettant de donner une appréciation générale d’une personne ou<br />
d’une situation :<br />
(286) , - <br />
, <br />
(. .<br />
; Ruscorpora).<br />
(To i delo) morosil doždiek, i tol’ko-tol’ko naali nabuxat’ za zaborami, na<br />
mokryx bul’varax i v butylkax na podokonnikax burye podatlivye poki.<br />
(De temps en temps) – bruinait – petite pluie, – et – à peine-à peine –<br />
commencèrent – enfler – derrière – grilles, – sur – mouillés – boulevards –<br />
et – dans – bouteilles – sur – rebords de fenêtres – bruns – malléables –<br />
boutons.<br />
192
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Une petite pluie fine tombait fréquemment et de malléables boutons bruns<br />
commencèrent à enfler à peine derrière les grilles, sur les boulevards<br />
mouillés et dans des bouteilles posées au bord des fenêtres.<br />
Du point de vue aspectologique, on distingue les situations suivantes :<br />
1. Le même cadre temporel rassemble un procès de l’imperfectif et un fait du<br />
perfectif qui mènent vers une appréciation plus générale d’une personne ou d’une<br />
situation :<br />
(287) […] , , , <br />
,<br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Mužik, šatajas’, pobrël domoj, gde dolgo i bol’no bil ženu i na kusoki<br />
razorval novyj platok, kotoryj na prošloj nedele kupil ej v podarok.<br />
Homme, – en vacillant, – se mit à marcher – (à) maison, – où – longtemps –<br />
et – douloureusement – battait – femme – et – en – petits morceaux –<br />
déchira – neuf – fichu, – que – en – passée – semaine – acheta – (à) elle –<br />
en – cadeau.<br />
= L’homme, vacillant, prit la route de la maison, où il battit longtemps et fort<br />
sa femme et déchira le nouveau fichu qu’il lui avait acheté la semaine<br />
passée.<br />
(288),-<br />
- <br />
, (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Ona vsë vremja molala, sidela gde-nibud’ v uglu i sredi vsex staryx<br />
Tan’kinyx igrušek vybrala poemu-to tu samuju kuklu, kotoruju našla v<br />
pervyj den’.<br />
Elle – tout – temps – se taisait, – était assise – discrètement – quelque<br />
part – dans – coin – et – parmi – tous – vieux – (de) Tanka – jouets –<br />
choisit – pourquoi donc – celle – même – poupée, – que – trouva – en –<br />
premier – jour.<br />
193
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Elle ne disait jamais rien, restait assise, discrète, quelque part dans un<br />
coin et parmi tous les vieux jouets de Tanka elle choisit, on ne sait<br />
pourquoi, la poupée qu’elle avait trouvée le premier jour.<br />
L’action de l’appréciation générale peut être explicitée :<br />
(289) , , – <br />
, (., ; Ruscorpora).<br />
I koška segodnja umyvalas’, i nožik na pol upal, – tak i est’, gost’ požaloval.<br />
Et – chat – aujourd’hui – se lavait, – et – petit couteau – sur – sol – tomba,<br />
– ainsi – et – est, – hôte – arriva.<br />
= Aujourd’hui, le chat avait fait sa toilette et le couteau était tombé par terre,<br />
et effectivement on eut une visite.<br />
Ici, l’appréciation générale on eut une visite est une explication des deux présages<br />
populaires, annonciateurs d’une visite. On comprend que les événements le chat<br />
avait fait sa toilette et le couteau était tombé, tous les deux antérieurs à on eut une<br />
visite, ont simplement eu lieu dans le même cadre temporel sans qu’aucun ordre<br />
chronologique ne soit précisé entre eux.<br />
2. Un fait (perfectif) a lieu dans le même cadre temporel qu’une suite de procès,<br />
répétitifs ou non, exprimés par l’imperfectif :<br />
(290) […] , <br />
, , <br />
,<br />
[…] (. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
Myšin zval priexavšego oficera pogret’sja, obrašal ego vnimanie, to sidit<br />
zdes’ noami, toropil i dërgal Nedalašina i na vsjakij sluaj sprosil u samogo<br />
Bobynina, teplo li on odelsja.<br />
Mychine – appelait – venu – officier – se réchauffer, – attirait – son –<br />
attention, – que – est assis – ici – (pendant) nuits – pressait – et –<br />
bousculait – Nédalachine – et – à – tout – cas – demanda – à – même –<br />
Bobynine, – chaudement – si – il – s’habilla.<br />
194
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Mychine proposait à l’officier de se réchauffer, attirait son attention sur le<br />
fait qu’il restait là toutes les nuits, tarabustait Nédalachine et demanda à<br />
tout hasard à Bobynine lui-même s’il avait mis des vêtements chauds.<br />
En (290), le fait du perfectif sprosil s’insère dans le même cadre temporel que les<br />
procès à l’imperfectif. Dans l’interprétation de cet énoncé, il importe que les<br />
actions se soient déroulées dans le même cadre temporel ; il n’est pas nécessaire<br />
d’établir un ordre exacte entre elles.<br />
(291),,,<br />
, <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
On uprjamo pytalsja svodit’, mirit’, selil vmeste na dae, odnaždy kupil<br />
obeim putëvki na Rižskoe vzmor’e, no niego putnogo iz etogo ne vyxodilo.<br />
Il – obstinément – s’efforçait – rapprocher, – réconcilier, – logeait –<br />
ensemble – à – datcha, – une fois – acheta – (à) toutes les deux – tour –<br />
à – (de) Riga – côte, – mais – rien – de bien – de – cela – ne – résultait.<br />
= Il s’obstinait à les rapprocher, les réconcilier, les logeait ensemble dans<br />
sa datcha, leur acheta une fois à toutes les deux un tour au bord de la mer<br />
Baltique, mais il n’obtenait rien de bien.<br />
En (291), l’action au perfectif kupil s’insère dans le cadre de cohabitation forcée de<br />
deux femmes.<br />
(292) , <br />
,,,<br />
, , , , <br />
<br />
<br />
(.. , <br />
; Ruscorpora).<br />
Neskol’ko mesjacev ja tol’ko tem i zanimalsja, to pisal pis’ma i zajavlenija,<br />
xodil po naal’stvu, zvonil po telefonu, sobiral storonnikov, xitril, zlilsja,<br />
195
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
vyxodil iz sebja, s’’el neskol’ko paek seduksena i validola i tol’ko<br />
blagodarja ešë neploxomu zdorov’ju vyšel iz bor’by bez infarkta.<br />
Plusieurs – mois – je – seulement – ce – et – faisais, – que – écrivais –<br />
lettres – et – déclarations, – allais – à – chef, – appelais – par – téléphone,<br />
– rassemblais – sympathisants, – rusais, – me fâchais – sortais – de – soi,<br />
– mangeai – plusieurs – paquets – (de) seduxène – et – (de) validol – et –<br />
seulement – grâce à – encore – non mauvaise – santé – sortis – de –<br />
lutte – sans – infarctus.<br />
= Durant quelques mois je n’ai pas arrêté : j’écrivais des lettres et des<br />
déclarations, allais voir l’administration, téléphonais, rassemblais des<br />
sympathisants, rusais, me fâchais, m’emportais, avalai plusieurs boîtes de<br />
sédatif et sortis de la lutte sans infarctus seulement grâce à une santé<br />
encore solide.<br />
En (292), le complément direct neskol’ko paek seduksena – « plusieurs boîtes de<br />
sédatif » nous fait comprendre que le perfectif s’’el désigne une action répétée.<br />
Celle-ci se produit dans le même cadre temporel que les actions répétées à<br />
l’imperfectif pisal, xodil, zvonil, etc.<br />
3. L’état résultant (perfectif) a lieu dans le même cadre temporel que le procès<br />
(imperfectif) :<br />
(293) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ona stojala i gljadela na nego, platok u neë sbilsja nabok.<br />
Elle – était debout – et – regardais – sur – lui, – foulard – chez – elle – se<br />
mit – de travers.<br />
= Elle était là à le regarder, son foulard mis de travers.<br />
(294) , <br />
, <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Eë lico vsë bol’še vytjagivalos’, brovi vsë vyše podnimalis’ na lob, a serye<br />
glaza stali sovsem kruglymi.<br />
196
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Son – visage – tout – encore plus – s’allongeait, – sourcils – tout – plus<br />
haut – se levaient – sur – front, – et – gris – yeux – devinrent –<br />
complètement – ronds.<br />
= Son visage s’allongeait de plus en plus, ses sourcils se levaient de plus<br />
en plus haut sur le front et ses yeux gris étaient devenus tout ronds.<br />
4. L’état résultant (perfectif) est conditionné par le procès de l’imperfectif. Cette<br />
situation présente donc une fusion de la relation d’indétermination temporelle et de<br />
la relation de cause à effet :<br />
(295) , <br />
(. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
Ja peretaptyvalsja ot xoloda, i moi botinki ušli v glinu poti po šikolotku.<br />
Je – piétinais – de – froid, – et – mes – chaussures – partirent – dans –<br />
glaise – presque – jusqu’à – cheville.<br />
= Je piétinais de froid et mes chaussures s’enfonçaient dans la glaise<br />
presque jusqu’à la cheville.<br />
(296) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ja nemnogo nervnial, i ruki u menja bystro vspoteli.<br />
Je – un peu – étais nerveux, – et – mains – chez – moi – vite – devinrent<br />
moites.<br />
= J’étais un peu nerveux et j’eus vite les mains moites.<br />
3.5. Relations causales<br />
Les relations temporelles entre les événements peuvent se combiner avec des<br />
relations logiques (causales) ou même s’effacer au profit de ces dernières.<br />
Généralement, on distingue quatre types de relations causales :<br />
197
1. Cause / conséquence (cause à effet) ;<br />
2. But ;<br />
3. Concession ;<br />
4. Condition.<br />
3.5.1. Cause / conséquence<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
On parle de la relation causale (cause / conséquence) entre les événements<br />
lorsqu’un événement est causé, conditionné par un autre événement. On a donc<br />
deux événements : l’événement A, qui exprime la cause, et l’événement B, qui<br />
désigne la conséquence provoquée par A. La langue peut expliciter la cause à<br />
l’aide des conjonctions du type parce que ( , , <br />
, , , , etc.) ou la conséquence, à<br />
l’aide des conjonctions du type c’est pourquoi (,, etc.), cf. les<br />
exemples (297) et (298) :<br />
(297) , <br />
( :31).<br />
V tot den’ Bim zdorovo narabotalsja, poetomu bystro usnul i niego ne<br />
slyšal.<br />
En – celui-là – jour – Bim – énormément – travailla, – c’est pourquoi – vite –<br />
s’endormit – et – rien – ne – entendais.<br />
= Ce jour-là, Bim travailla énormément, c’est pourquoi il s’endormit vite et<br />
n’entendait rien.<br />
(298),<br />
,,<br />
( : 37).<br />
Tebja draznili Gerostratom za to, to ty kazënnuyu knižku papiroskoj<br />
prožëg, a menja Efial’tom za to, to ja jabedniat’ ljubil.<br />
Te – (on) traitaient – (de) Hérostrate – pour – ce, – que – tu – public –<br />
bouquin – (avec) cigarette – brûla, – et – me – (de) Ephialte – pour – ce, –<br />
que – je – rapporter – aimais.<br />
198
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= On t’avait surnommé Hérostrate parce que tu avais brûlé un livre de<br />
bibliothèque avec ta cigarette, et moi, on m’avait appelé Ephialte parce que<br />
j’aimais rapporter 65 .<br />
Analysant les prédicats juxtaposés et coordonnés, nous nous intéressons<br />
particulièrement aux énoncés qui n’affichent aucun signe extérieur de cause, la<br />
relation causale étant inférée grâce au contexte (299) :<br />
(299)<br />
. ( : 83).<br />
Ves’ nojabr’ odinnadcatogo goda Anna Ivanovna proležala v posteli. U neë<br />
bylo vospalenie lëgkix.<br />
Tout – novembre – (de) onzième – année – Anna – Ivanovna – resta<br />
couchée – dans – lit. – Chez – elle – était – inflammation – (de) poumons.<br />
= Pendant tout le mois de novembre de 1911, Anna Ivanovna resta alitée.<br />
Elle avait une pneumonie.<br />
La relation entre la notion de causalité et celle de temporalité est assez complexe.<br />
On pourrait croire que les événements qui entretiennent une relation de cause à<br />
effet sont nécessairement liés par l’ordre temporel positif car la causalité suppose<br />
qu’un élément est premier par rapport l’autre. Or il n’est pas toujours évident de<br />
cerner la relation chronologique entre les événements liés par une causalité<br />
[Wilson, Sperber 1993 ; Saussure 2003 a : 194-196 ; Saussure 2003 b] ; cf. deux<br />
exemples donnés par Wilson, Sperber [Wilson, Sperber 1993 : 14] :<br />
(106) J’ai parlé à Jean et j’ai découvert qu’il était charmant (Cet exemple est<br />
également présenté à la page 99 de notre travail).<br />
(300) Nous avons examiné tous les cas et nous avons découvert que le<br />
problème était plus complexe que nous ne l’avions pensé.<br />
Effectivement, en (106) et en (299), il y a à la fois une relation temporelle et une<br />
relation de conséquence. Les actions j’ai parlé à Jean et nous avons examiné tous<br />
65 Hérostrate est connu pour avoir brûlé, en 356 av. J.-C., le temple d’Artémis à Ephèse afin<br />
d’immortaliser son nom. Ephialte est le traître qui, lors de la guerre gréco-perse de 500-449 av. J.-<br />
C., dévoila aux Perses le sentier secret par lequel ils contournèrent les positions des Spartiates.<br />
199
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
les cas précèdent respectivement les actions j’ai découvert et nous avons<br />
découvert, mais il impossible de paraphraser ces énoncés de façon adéquate par<br />
les énoncés avec l’adverbe ensuite :<br />
*(106’) J’ai parlé à Jean et j’ai ensuite découvert qu’il était charmant.<br />
*(300’) Nous avons examiné tous les cas et nous avons ensuite découvert<br />
que le problème était plus complexe que nous ne l’avions pensé.<br />
Nous supposons que la relation de cause à effet est susceptible de s’associer à<br />
toutes les relations chronologiques (antériorité / postériorité, postériorité /<br />
antériorité, simultanéité, indétermination temporelle).<br />
3.5.1.1. Antériorité / postériorité (Ordre temporel positif)<br />
Dans ce type de relation, il est possible d’établir un intervalle entre l’événement E1<br />
(cause) et l’événement E2 (conséquence) : d’abord se produit E1, ensuite se<br />
produit E2 :<br />
(301) - - , <br />
( : 412).<br />
Obe baryšni skazali to-to po-francuzski studentu, i tot podal Saše<br />
dvugrivennyj.<br />
Deux – demoiselles – dirent – quelque chose – en français – (à) étudiant, –<br />
et celui-ci – donna – (à) Sacha – vingt kopecks.<br />
= Les deux demoiselles dirent quelque chose en français à l’étudiant et ce<br />
dernier donna une pièce de vingt kopecks à Sacha.<br />
(302) <br />
, (, I : 163).<br />
Spustja neskol’ko dnej Jakov Luki uslyšal no’ju stuk v stavnju, vyšel v<br />
seni.<br />
Après – quelques – jours – Yakov – loukitch – entendit – (pendant) nuit –<br />
battement – dans – volet, – sortit – dans – entrée.<br />
= Quelques jours après, Yakov Loukitch entendit quelqu’un frapper dans le<br />
volet et se précipita dans l’entrée.<br />
200
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
3.5.1.2. Postériorité / antériorité (Ordre temporel négatif)<br />
L’événement E1 est la conséquence de l’événement E2. Il est possible d’introduire<br />
un intervalle entre les deux événements :<br />
(303) . <br />
( : 378).<br />
(Conséquence) Barynja otošla i naxmurilas’. (Cause) Vnezapnoe dviženie<br />
sobaki eë ispugalo.<br />
Barynia – s’éloigna – et – se renfrogna. – Brusque – mouvement – (de)<br />
chien – la – effraya.<br />
= Madame s’éloigna et se renfrogna. Le brusque mouvement du chien<br />
l’avait effrayée.<br />
(304) <br />
. (, : 111).<br />
V tolpe neožidanno poslyšalsja gromkij smex Ostapa Bendera. On ocenil<br />
etu frazu.<br />
Dans – foule – inopinément – s’entendit - fort – rire – (de) Ostap – Bender.<br />
– Il – apprécia – cette – phrase.<br />
= On entendit soudain dans la foule le gros rire d'Ostap Bender. Il avait<br />
apprécié cette phrase.<br />
3.5.1.3. Simultanéité<br />
La cause et la conséquence se produisent pendant le même laps de temps, les<br />
deux actions étant exprimées par l’imperfectif :<br />
(305),<br />
– , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Medvežonok postavil samovar, a Ëžik pereminalsja s nogi na nogu – ne<br />
znal, kak predložit’ inoplanetjanam razdet’sja.<br />
201
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Ourson – mit – samovar, – et – Hérisson – balançait – de – pied – sur –<br />
pied – ne – savait, – comment – proposer – (à) extraterrestres – se<br />
déshabiller.<br />
= Ourson alluma le samovar et Hérisson se dandinait d’un pied sur l’autre,<br />
se demandant s’il pouvait inviter les extraterrestres à se mettre à l’aise.<br />
La conséquence (perfectif) se déroule sur le fond de la cause (imperfectif) :<br />
(306) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Stojali tëplye noi, i ja prinorovilsja spat’ na trave v meške.<br />
Se tenaient – douces – nuits, – et – je – m’accoutumai – dormir – sur –<br />
herbe, – dans – sac de couchage.<br />
= Les nuits étaient douces et je m’accoutumai de dormir à la belle étoile<br />
dans un sac de couchage.<br />
(307) , <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Bylo dušno, i my raspaxnuli okno prjamo v ërnye kusty sireni.<br />
(Il) était – étouffant, – et – nous – ouvrîmes grand – fenêtre – directement<br />
dans – noirs – buissons – (de) lilas.<br />
= Il faisait chaud et nous ouvrîmes tout grand les fenêtres qui donnaient<br />
directement sur les buissons noirs des lilas.<br />
3.5.1.4. Indétermination temporelle<br />
Il est impossible d’introduire un intervalle entre deux événements. Du point de vue<br />
syntaxique, l’action causante peut précéder (308), (309) (cf. aussi les exemples<br />
(295), (296), pp. 197) ou suivre l’action causée (310) :<br />
(308) <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Ja dolgo vytiral botinki o travu i promoil ix naskvoz’.<br />
202
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Je – longtemps – essuyais – chaussures – contre – herbe – et – trempa –<br />
elles – de part en part.<br />
= Je frottai longtemps mes chaussures dans l'herbe et elles furent trempées<br />
de part en part.<br />
(309) ,,,<br />
(..,, ; Ruscorpora).<br />
On govoril legko, uverenno, ubeditel’no, i ona postepenno uspokoilas’.<br />
Il – parlait – légèrement – sûrement – pertinemment, – et – elle – petit à<br />
petit – se calma.<br />
= Il parlait avec légèreté, assurance, conviction et petit à petit elle se calma.<br />
(310) , (. .<br />
3.5.2. But<br />
; Ruscorpora).<br />
Ne raspolnela s godami, sobljudala režim.<br />
(Elle) ne – grossit – avec – années, – observait – régime.<br />
= Elle n'avait pas grossi au fil des ans, elle suivait un régime.<br />
La relation de but est explicitée dans l’énoncé par les conjonctions accompagnant<br />
l’infinitif –toby –« pour », – dlja togo toby – « pour<br />
que », – daby – « afin de » :<br />
(311) , <br />
(, : 18).<br />
toby rassejat’sja nemnogo, Ippolite Matveevi vyšel na kryl’co.<br />
Pour – se distraire – un peu, – Hippolyte – Matveevitch – sortit – sur perron.<br />
= Pour se changer un peu les idées, Hippolyte Matveevitch sortit sur le<br />
perron.<br />
Dans les énoncés où la relation de but est implicite, c’est toujours le prédicat en<br />
deuxième position syntaxique qui exprime le but :<br />
203
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(312), (, I : 187).<br />
Arxip byl v cerkvi, otmalival grexi.<br />
Arkhip – était – dans – église, – priait pour – péchés.<br />
= Arkhip était à l’église, priait pour ses péchés.<br />
(313),<br />
(. ; exemple de Akimova, Kozinceva [Akimova,<br />
Kozinceva 1987 : 282]).<br />
Devoka gonjalas’ po rige za petuxom, vsë norovila pojmat’ ego za xvost.<br />
Fillette – courait – dans – grange – après – coq, – tout – essayait –<br />
attraper – le – par – queue.<br />
= La fillette courait après le coq dans la grange, voulait l’attraper par la<br />
queue.<br />
(314) <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
Svjašenniki xodili po domam i opovešali naselenie.<br />
Prêtres – allaient – dans – maisons – et – informaient – population.<br />
= Les prêtres faisaient du porte à porte, informaient la population.<br />
(315),,<br />
, (. . ;<br />
Ruscorpora).<br />
Okazyvaetsja, priezžal s Severa elovek i privëz izvestie, to umer djadja<br />
Kostja, muž tëti Leli.<br />
Il s’avère – venait – de – Nord – homme – et – apporta – nouvelle, – que –<br />
mourut – oncle – Kostia – mari – (de) tante – Lelia.<br />
= Il s’avère qu’un homme du Nord était passé et avait apporté la nouvelle<br />
de la mort de l’oncle Kostia, le mari de la tante Lelia.<br />
3.5.3. Concession<br />
Les relations de concession entre les événements apparaissent lorsqu’un<br />
événement exprime une contrainte qui influe sur un déroulement attendu d’un<br />
204
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
autre événement. La concession est une « dérogation » à la relation causale : la<br />
relation de concession apparaît quand l’événement A, supposé de causer<br />
l’événement B, cause le contraire de B. Au centre même de la concession, il y a<br />
donc une négation.<br />
Dans les phrases complexes à proposition subordonnée, la concession est<br />
explicitée par les conjonctions – xotja – « bien que, quoi que », –<br />
xot’ – « bien que, quoi que », – nesmotrja na to to –<br />
« malgré que », – meždu tem kak –« tandis que », <br />
– tol’ko by – « pourvu que », – liš’ by – « pourvu que », –<br />
pust’ – « que » :<br />
(316) <br />
, <br />
<br />
(,<br />
: 7).<br />
Voprosy ljubvi i smerti ne volnovali Ippolita Matveevia Vorob’janinova,<br />
xotja etimi voprosami po rodu svoej služby on vedal s devjati utra do pjati<br />
veera ežednevno s poluasovym pereryvom dlja zavtraka.<br />
Questions – (de) amour – et – (de) mort – ne – troublaient – pas –<br />
Hippolyte – Matveevitch – Vorobianinov, – bien que – (de) ces –<br />
questions – par – genre – (de) son – service – il – s’occupait – de – neuf –<br />
(de) matin – jusqu’à – cinq – (de) soir – quotidiennement – avec – demi-<br />
heure – pause – pour – déjeuner.<br />
= Hippolyte Matveevitch Vorobianinov n'était pas touché par les questions<br />
d'amour ou de mort, même si, par son travail, il s'occupait de ces questions<br />
tous les jours de neuf heures du matin à cinq heures de l’après-midi, en<br />
faisant une pause d’une demi-heure pour déjeuner.<br />
Dans les phrases complexes à propositions coordonnées, la concession est mise<br />
en relief par les conjonctions adversatives – a – « mais », – no –« mais »,<br />
plus rarement – i – « et, mais » :<br />
205
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(317) , (. . <br />
; Ruscorpora).<br />
Igrali der’movo, no mne ponravilos’.<br />
(Ils) jouaient – de manière m…que, – mais – (à) moi – (cela) plut.<br />
= Ils ont joué comme des pieds mais ça m’a plu.<br />
(318).<br />
On probežal pjat’ kilometrov i niskol’ko ne ustal.<br />
Il – courut – cinq – kilomètres – et – nullement – ne – se fatigua.<br />
= Il courut cinq kilomètres mais il n’était pas fatigué.<br />
Même si l’opposition entre les événements se manifeste à travers la sémantique<br />
verbale, la relation de concession demande généralement une confirmation par<br />
une conjonction. S’il n’y a pas de conjonction adversative, on conclut normalement<br />
à la relation causale :<br />
(318’) ..<br />
On probežal pjat’ kilometrov. On niskol’ko ne ustal.<br />
Il – courut – cinq kilomètres. – Il – nullement – ne – se fatigua.<br />
= Il courut cinq kilomètres. Il n’était pas fatigué.<br />
3.5.4. Condition<br />
Un événement se déroule à condition que l’autre ait lieu. Les conjonctions de<br />
condition – esli, – esli by, – raz, – li, – kol’, –<br />
kaby – « si » aident à expliciter cette relation :<br />
(319) , . <br />
, (. ; extrait d’une chanson<br />
populaire).<br />
Esli u vas net sobaki, eë ne otravit sosed. I s drugom ne budet draki, esli u<br />
vas druga net.<br />
206
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Si – chez – vous – pas – (de) chien, – le – ne – empoisonnera – voisin. –<br />
Et – avec – ami – ne – sera – bagarre, – si – chez – vous – (de) ami – pas.<br />
= Si vous n’avez pas de chien, le voisin ne l’empoisonnera pas. Et vous ne<br />
vous battrez pas avec votre ami, si vous n’en avez pas.<br />
La relation de condition dans les énoncés à prédicats autonomes n’entre pas dans<br />
le champ de notre étude, les événements appartenant a des plans chronologiques<br />
différents.<br />
3.6. Relations de caractérisation<br />
Dans les relations de caractérisation, les verbes désignent le même événement,<br />
représentant ses différents aspects. La relation chronologique entre les actions est<br />
restreinte à une coexistence dans le même cadre temporel. Appliquant aux<br />
prédicats autonomes la classification des relations gérondivales proposée par<br />
Akimova, Kozinceva [Akimova, Kozinceva 1987 : 263-267], nous distinguons<br />
globalement deux types de relation de caractérisation : 1) concrétisation<br />
( – otnošenie konkretizacii) ; 2) appréciation et<br />
interprétation (- – interpretativno-<br />
ocenonoe otnošenie).<br />
Les événements A et B liés par la relation de concrétisation appartiennent au<br />
même plan sémantique : ils constatent les faits. Les conditions de vérité de<br />
l’énoncé dépendent de la réalité et non de l’attitude du locuteur :<br />
(320) (A) , (B) - <br />
(.. ; Ruscorpora).<br />
(A) Žili oni bedno, (B) koe-kak svodili koncy s koncami.<br />
(A) Vivaient – ils – pauvrement, – (B) comme ci comme ça – joignaient –<br />
bouts – avec – bouts.<br />
= Ils étaient pauvres, joignaient les deux bouts tant bien que mal.<br />
207
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Les événements A et B unis par la relation d’appréciation et d’interprétation<br />
représentent deux plans sémantiques différents : un événement constate le fait,<br />
l’autre donne une appréciation de ce fait du point de vue du locuteur. Ainsi, les<br />
conditions de vérité de l’énoncé sont déterminées par le jugement du locuteur :<br />
(321) (A) , (B)<br />
, ( : 405).<br />
(A) So svoim starikom ona obrašalas’ ne laskovo, (B) obzyvala ego to<br />
ležebokoj, to xoleroj.<br />
(A) Avec – son – vieux – elle – se comportait – non – doucement, – (B)<br />
traitait – lui – tantôt – (de) fainéant, – tantôt – (de) choléra.<br />
= Elle se comportait durement avec son vieux, le traitant tantôt de fainéant<br />
tantôt de teigne.<br />
3.6.1. Concrétisation<br />
Selon le rapport sémantique entre les événements, on distingue les situations<br />
suivantes :<br />
1. Les événements sont liés par une relation partie / tout, l’un des verbes<br />
désignant une action générale (hyperonyme) et l’autre verbe – une action<br />
particulière (hyponyme) qui fait partie de l’action générale (322) ou exprime la<br />
manière dont elle se déroule (323) :<br />
(322) . <br />
, […] ( : 356).<br />
My vtroëm užinali. Doktor i Maria Viktorovna pili krasnoe vino, šampanskoe<br />
I kofe s kon’jakom.<br />
Nous – (à) trois – dînions. – Docteur – et – Maria – Victorovna – buvaient –<br />
rouge – vin, – champagne – et – café – avec – cognac.<br />
= Nous dînions tous les trois. Le docteur et Maria Victorovna buvaient du<br />
vin rouge, du champagne et du café arrosé de cognac.<br />
208
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(323) –<br />
a c, (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Bibliotekar’ privyno zabotilsja o svoëm bogatstve – oberegal ot pyli i<br />
syrosti, ot krys i požarov.<br />
Bibliothécaire – habituellement – se souciait – de – son – trésor – protégeait<br />
de – poussière – et – humidité, – de – rats – et – incendies.<br />
= Le bibliothécaire prenait un soin quotidien de son trésor – le protégeait de<br />
la poussière et de l’humidité, des rats et des incendies.<br />
Le plus souvent, la relation partie / tout se réalise sous forme d’encapsulation.<br />
Cela veut dire que, dans l’énoncé, se trouve un événement hyperonyme qui est<br />
découpé en plusieurs événements hyponymes, chaque hyponyme étant en<br />
relation de concrétisation avec l’hyperonyme :<br />
(324) .<br />
( : 218).<br />
I papaša Krik posledoval sovetu syna. On zakusil i vypil.<br />
Et – pépère – Krik – suivit – conseil – (de) fils. – Il – mangea un peu – et –<br />
but.<br />
= Et le père Krik suivit le conseil de son fils. Il mangea et but.<br />
(325),, (..<br />
; Ruscorpora).<br />
Starik professor rasšalilsja, lajal, kukarekal.<br />
Vieillard – professeur – se déchaîna, – aboyait, – poussait des cocoricos.<br />
= Le vieux professeur était complètement déchaîné, il aboyait, poussait des<br />
cocoricos.<br />
(326) . <br />
, <br />
( : 215).<br />
Bufetik sidel nepodvižno i oen’ postarel. Tëmnye kol’ca okružili ego glaza,<br />
šëki obvisli i nižnjaja eljust’ otvalilas’.<br />
209
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
Buffetier – siégeait – de manière immobile – et – beaucoup – vieillit. –<br />
Foncés – cernes – encerclèrent – ses – yeux, – joues – pendirent – et –<br />
inférieure – mâchoire – tomba.<br />
= Le buffetier, immobile sur son siège, semblait avoir subitement vieilli. Des<br />
cernes entouraient ses yeux, ses joues étaient flasques et sa mâchoire<br />
inférieure pendait.<br />
Si dans les exemples (324), (325), (326), l’action hyperonyme se présente comme<br />
sémantiquement autonome, à même d’exister sans être développée par les<br />
hyponymes (suivre le conseil, se déchaîner, vieillir), dans les énoncés ci-dessous,<br />
l’action hyperonyme exige des précisions sémantiques sous formes<br />
d’hyponymes :<br />
(327) (A) , <br />
– (B) , <br />
, ,<br />
, , ,<br />
( : 30).<br />
(A : HYPERONYME)em tol’ko ne pytalis’ujkov, Krylov i Gurov zapolnit’ etot<br />
den’ – (B : HYPONYMES) sozdavali vidimost’ dela, pisali pis’ma, sporili o<br />
vozmožnyx peredviženijax protivnika, šutili, i vodku pili s zakuskoj i bez<br />
zakuski, i molali, prislušivajas’ k gromu bombëžki.<br />
(A) (De) quoi – seulement – ne – s’efforçaient – Tchouïkov, – Krylov – et –<br />
Gourov – remplir – ce – jour – (B) créaient – apparence – (de) travail, –<br />
écrivaient – lettres, – discutaient – de – éventuels – déplacements – (de)<br />
ennemis, – plaisantaient, – et – vodka – buvaient – avec –<br />
accompagnement – et – sans – zakouski, – et – se taisaient, – en écoutant<br />
attentivement – à – orage – (de) bombardement.<br />
= Que n’essayèrent pas Tchouïkov, Krylov et Gourov pour remplir cette<br />
journée ! Ils firent mine de travailler, écrivirent des lettres, discutèrent des<br />
déplacements éventuels de l’ennemis, plaisantèrent, burent de la vodka<br />
avec ou sans amuse-gueule et firent silence pour écouter le fracas des<br />
bombardements.<br />
210
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(328) (A) : (B) <br />
[…] ( : 11).<br />
(A : HYPERONYME) Tut inostranec otkolol takuju štuku : (B : HYPONYMES) vstal<br />
i požal izumlënnomu redaktoru ruku.<br />
Ici – étranger – fit éclater – tel – truc : – se leva – et – serra – (à) ébahi –<br />
rédacteur – main.<br />
= Alors l’étranger fit une chose époustouflante : il se leva et serra la main du<br />
rédacteur ébahi.<br />
L’action hyponyme transmet diverses caractéristiques de l’action hyperonyme : la<br />
manière de passer le temps (329), la manière de se déplacer (330), (331),<br />
d’accomplir une tâche (332), etc. :<br />
(329),-<br />
, - ,<br />
(, I : 163).<br />
Noami on do koetov prosižival (HYPERONYME) v svoej komnatuške, to-to<br />
pisal,ertil ximieskim karandašom kakie-to karty, ital.<br />
(Pendant) nuits – il – jusqu’à – coqs – restait assis – dans – sa –<br />
chambrette, – quelque chose – écrivait, – dessinait – (avec) chimique –<br />
crayon – quelconques – plans, – lisait.<br />
= Il restait éveillé dans sa chambrette des nuits entières, écrivait quelque<br />
chose, traçait des plans avec un crayon à encre, lisait.<br />
(330) […] , […] ( :<br />
108).<br />
Vnizu šël Pantelej, pritopyval nogami.<br />
En bas – marchait – Pantéléï, – tapait – (avec) pieds.<br />
= En bas Pantéleï marchait, battant la mesure avec ses pieds.<br />
(331) , <br />
( : 32).<br />
Ona vzjala so stola kljui i bystro ušla, poti pobežala.<br />
Elle – prit – de – table – clés – et – vite – partit, – presque – courut.<br />
= Elle prit les clés sur la table et partit vite, courut presque.<br />
211
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
(332) <br />
(..- ; Ruscorpora).<br />
Mama Tolstuška rabotala dvorniixoj i celymi dnjami mela pyl’ po dvoru.<br />
Maman – Rondelette – travaillait – (comme) agent de propreté – et –<br />
entières – journées – balayait – poussière – dans – cour.<br />
= Maman Rondelette travaillait comme agent de propreté et toute la journée<br />
passait le balai dans la cour.<br />
2. La durée et / ou l’intensité de l’action est exprimée par la répétition du même<br />
verbe :<br />
(333) <br />
,,,<br />
,.<br />
( : 49-50).<br />
Potom on bežal nekotoroe vremja za poslednim domikom do tex por, poka<br />
tot ne skrylsja iz vidu, bežal i dal’še, po toj že doroge, potomu to ona<br />
nikuda ne svoraivala. Dolgo bežal.<br />
Puis – il – courait – certain – temps – après – derrière – maisonnette –<br />
jusqu’à – ce – temps, – que – celle-ci – ne – se cacha – de – vue, –<br />
courait – et – plus loin, – sur – cette – même – route, – parce – que – elle –<br />
nulle part – ne – tournait.<br />
= Puis il courut pendant quelque temps après le dernier wagon jusqu'à ce<br />
qu'il fût hors de sa vue, et même après il continua de courir toujours tout<br />
droit, en poursuivant le même chemin. Il courut ainsi très longtemps.<br />
(334) , , <br />
(, I :<br />
167).<br />
Podumal, podumal Davydov i prišël k vyvodu, to Jakov Luki ne vinoven v<br />
nesastnom sluae s bykami.<br />
Réfléchit, – réfléchit – Davydov – et – arriva – à – conclusion, – que –<br />
Yakov – Loukitch – ne – coupable – dans – malheureux – accident – avec –<br />
bœufs.<br />
212
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Davydov réfléchit pendant quelque temps et en déduisit que Yakov<br />
Loukitch n'était pas responsable de l'incident avec les bœufs.<br />
3. La durée et / ou l’intensité de l’action est exprimée par une combinaison de<br />
verbes, désignant chacun un stade différent de l’événement. Les verbes de la<br />
combinaison sont des synonymes (335), (336) ou constituent un couple aspectuel<br />
(337) :<br />
(335) […] (.. ;<br />
Ruscorpora).<br />
Stal ja snova kriat’ i oral užasno.<br />
Me mis – je – à nouveau – crier – et – hurlais – terriblement.<br />
= Je me remis à crier et je hurlais terriblement.<br />
(336),,<br />
( : 47).<br />
Bim uvidel, to strašnyj djad’ka ispugalsja ego, to on ego do smerti boitsja.<br />
Bim – vit, – que – affreux – individu – eut peur – (de) lui, – que – il – le –<br />
jusqu’à – peur – craint.<br />
= Bim vit que l’affreux individu eut peur de lui, qu’il le craignait à mort.<br />
(337),,.<br />
On rešal zadau ves’ veer i, nakonec, rešil eë.<br />
Il – résolvait – problème mathématique – entière – soirée – et, – enfin, –<br />
résolut – le.<br />
= Il passa toute la soirée à essayer de résoudre le problème et finit par le<br />
résoudre.<br />
3.6.2. Appréciation et interprétation<br />
Dans les énoncés de ce type, un seul événement est décrit par deux verbes. Un<br />
verbe renvoie directement à l’événement réel et l’autre présente une appréciation,<br />
un jugement que formule le locuteur sur cet événement. L’appréciation et<br />
213
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
l’interprétation communiquées par le locuteur se manifestent dans l’énoncé de<br />
différentes façons :<br />
1. La sémantique de l’un des verbes recèle des éléments de jugement :<br />
– napominat’ – « rappeler, faire penser », – oznaat’ –<br />
« signifier, symboliser », / – byt’ pravym / nepravym –<br />
« avoir raison / tort », / – postupat’<br />
pravil’no / nepravil’no – « agir bien / mal », / – delat’<br />
xorošo / ploxo – « faire bien / mal », etc. :<br />
(338) . <br />
( : 339).<br />
Obed byl ploxoj. Podavali tol’ko pirog s gor’kim tvorogom i molonyj sup.<br />
Déjeuner – était – mauvais. – (On) servait – seulement – tarte – avec –<br />
amer – fromage blanc – et – laitière – soupe.<br />
= Le dîner était mauvais. On ne servait que de la tarte au fromage blanc<br />
amer et de la soupe au lait.<br />
La relation d’appréciation accompagne fréquemment celle d’encapsulation :<br />
(339) , <br />
(, II : 40).<br />
Sotnik poprošalsja s nimi xolodnovato, sunul dva pal’ca pod kozyrëk i<br />
otvernulsja.<br />
Chef d’escadron – prit congé – de – eux – un peu froidement, – mit – deux<br />
doigts – sous – visière – et – se détourna.<br />
= Les adieux du chef d'escadron furent un peu froids, il mit deux doigts<br />
sous sa visière et se détourna.<br />
En (339) l’action hyperonyme poprošalsja s nimi xolodnovato encapsule les<br />
hyponymes sunul dva pal’ca pod kozyrëk, otvernulsja.<br />
(340) , <br />
. <br />
214
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
, <br />
, ( : 50).<br />
Kot okazalsja ne tol’ko platëžesposobnym, no i disciplinirovannym zverem.<br />
Pri pervom že okrike konduktorši on prekratil nastuplenie, snjalsja s<br />
podnožki i sel na ostanovke, potiraja grivennikom usy.<br />
Chat – s’avéra – non – seulement – solvable, – mais – et – discipliné –<br />
bête. – Sous – premier – même – cri – (de) receveuse – il – cessa – assaut,<br />
– se décrocha – de – marchepied – et – s’assit – sur – arrêt, – en frottant –<br />
(avec) dix kopecks – moustaches.<br />
= Le chat s'avéra être une bête non seulement solvable mais également<br />
bien disciplinée. Juste après le premier cri de la receveuse, il arrêta net son<br />
assaut, descendit du marchepied et s'assit à l'arrêt du tramway en frottant<br />
ses moustaches avec dix kopecks.<br />
En (340), l’hyperonime kot okazalsja disciplinirovannym zverem est défini « en<br />
extension » par les hyponymes prekratil nastuplenie, snjalsja s podnožki, sel na<br />
ostanovke.<br />
(341) , <br />
. , <br />
, , <br />
, :<br />
– ! --- ! ( : 109).<br />
Varenuxa prodelal vsë, to polagaetsja eloveku v minuty velikogo<br />
izumlenija. On i po kabinetu probežalsja, i vzdymal ruki, kak raspjatyj, i vypil<br />
celyj stakan želtovatoj vody iz grafina, i vosklical :<br />
– Ne ponimaju ! Ne ponimaju !<br />
Varénoukha – fit – tout – que – (il) est dû – (à) homme – dans – minutes –<br />
(de) grande – stupéfaction. – Il – et – à travers – bureau – parcourut, – et –<br />
deux fois – leva – mains, – comme – crucifié, – et – but – entier – verre –<br />
(de) jaunâtre – eau – de – carafe, – et – s’exclamait : – Ne – comprends ! –<br />
Ne – comprends !<br />
= Varénoukha fit tout ce que fait habituellement un homme en état de<br />
grande stupéfaction. Il parcourut le bureau de long en large, leva deux fois<br />
215
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
les mains au ciel comme un crucifié, but tout un verre de l’eau jaunâtre de<br />
la carafe et s'exclamait :<br />
– Je ne comprends pas ! Je ne comprends pas !<br />
En (341), l’hyperonyme est prodelal vsë, to polagaetsja eloveku v minuty<br />
velikogo izumlenija, les hyponymes sont : probežalsja, vzdymal ruki, vypil stakan<br />
vody, vosklical.<br />
2. L’un des verbes est précédé d’une particule comparative, exprimant ainsi des<br />
doutes, une incertitude du locuteur :<br />
(342) , <br />
- (, I : 163).<br />
Sceplennye krutye elusti ego dvigalis’, slovno prožëvyvali to-to<br />
nepodatlivo tvërdoe.<br />
Serrées – osseuses – mâchoires – (à) lui – remuaient, – comme –<br />
mâchaient – quelque chose – (de) insensiblement – dur.<br />
= Ses mâchoires osseuses contractées remuaient comme s'il mâchait<br />
quelque chose de très dur.<br />
(343) – , ! – <br />
, ( : 334).<br />
– Strannye vy ljudi, gospoda ! – prodolžal on gromko i takim tonom, kak<br />
budto delal mne vygovor.<br />
Etranges – vous – personnes – messieurs ! – poursuivit – il – fort – et – (de)<br />
tel – ton, – comme – si – faisait – (à) moi – blâme.<br />
= – Comme vous y allez, messieurs ! – poursuivit-il d'une voix forte et sur<br />
un ton tel que l’on pouvait croire qu’il me blâmait.<br />
(344) , ,<br />
( : 354).<br />
Ona s ser’ëznym, xolodnym vyraženiem ogljadela mebel’, tono xotela<br />
sositat’ eë.<br />
Elle – avec – serieuse – froide – expression – examina en regardant –<br />
meuble, – comme – voulait – compter – lui.<br />
216
3.7. Bilan<br />
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
= Avec une expression sérieuse et froide, elle examina les meubles comme<br />
si elle voulait les compter.<br />
Pour décrire les relations temporelles entre les événements exprimés par les<br />
prédicats autonomes juxtaposés ou coordonnés, il nous a fallu tout d’abord définir<br />
un cadre méthodologique et terminologique. Celui-ci doit beaucoup aux travaux de<br />
A. V. Bondarko et ses collaborateurs, en particulier, à la classification de T. G.<br />
Akimova et N. A. Koziceva [Akimova, Kozinceva 1987], sur laquelle nous nous<br />
sommes appuyée au cour de notre analyse sémantique. Quant à l’apport<br />
pragmatique, il nous a été inspiré par L. de Saussure [Saussure 2003 a]. Guidée<br />
par ses idées, nous avons entrepris de cerner les facteurs linguistiques et<br />
pragmatiques qui influencent les relations entre les événements dans l’énoncé et<br />
de définir la valeur par défaut du passé perfectif et imperfectif en russe.<br />
Nous avons constaté que les rapports qu’entretiennent les événements dans<br />
l’énoncé sont de nature complexe, relevant de la chronologie, de la causalité et<br />
des liens sémantiques, tels que l’inclusion ou l’équivalence. Nous avons donc<br />
rangé toutes les relations entre les événements en trois groupes : 1) relations<br />
temporelles ; 2) relations causales ; 3) relations de caractérisation.<br />
L’interprétation d’une relation entre les événements s’effectue à partir de<br />
l’information linguistique et pragmatique, cette dernière intervenant à tous les<br />
niveaux de l’analyse. Les observations que nous avons faites nous permettent de<br />
rejeter la conjecture traditionnelle, selon laquelle le passé perfectif fait avancer le<br />
temps, tandis que le passé imperfectif indique la stagnation, et d’affirmer que<br />
l’inférence des relations chronologiques ne se base pas directement sur des<br />
propriétés linguistiques intrinsèques des verbes. Les caractéristiques aspecto-<br />
temporelles du verbe russe fournissent des informations sur le déroulement de<br />
l’action (durée, limite, répétition, etc.) et favorisent l’inférence d’une relation<br />
temporelle sans pour autant être décisives. Dans certaines conditions<br />
contextuelles, toute combinaison de formes aspecto-temporelles (passé perfectif +<br />
217
Chapitre 3. Énoncés à prédicats autonomes<br />
passé perfectif, passé imperfectif + passé imperfectif, passé perfectif + passé<br />
imperfectif, passé imperfectif + passé perfectif) est à même de désigner toute<br />
relation chronologique. Ainsi, par exemple, deux passés perfectifs peuvent être<br />
non seulement en relation d’antériorité / postériorité mais aussi en relation de<br />
postériorité / antériorité, de simultanéité ou de non-ordonnancement temporel.<br />
Il est aussi important de remarquer que les trois types de relations entre les<br />
événements se superposent fréquemment dans l’énoncé. La relation<br />
chronologique peut s’effacer au profit d’une relation causale ou sémantique.<br />
218
CHAPITRE 4.<br />
ÉNONCÉS A PRÉDICAT SECONDAIRE (LE CAS DU GÉRONDIF)<br />
4.1. Précisions terminologiques<br />
Le terme de gérondif ( – deepriastie) est réservé à la forme<br />
isolée dans l’énoncé : (napevaja – « en chantonnant ») 66 , <br />
(itaja – « en lisant »), (otdoxnuv – « s’étant reposé), <br />
(podprygnuv – « ayant sauté »).<br />
Est appelée construction gérondivale ( – deepriastnyj<br />
oborot) le gérondif et ses extensions éventuelles : <br />
« » (napevaja ariju gercoga iz opery « Rigoletto » – « en<br />
chantonnant l’air du duc de l’opéra « Rigoletto »), <br />
(itaja policejskij roman – « en lisant un roman policier »), <br />
(xorošen’ko otdoxnuv – « s’étant bien reposé »), <br />
(podprygnuv ot radosti do potolka – « ayant sauté de joie<br />
jusqu’au plafond »).<br />
Nous appelons relation gérondivale le couple formé par le gérondif (ou la<br />
construction gérondivale) et le verbe dont il relève, ce dernier étant nommé verbe<br />
régissant (ou verbe principal) 67 :<br />
(354),.<br />
On ležal na divane, itaja policejskij roman.<br />
Il – était allongé – sur – canapé, – en lisant – policier – roman.<br />
= Allongé sur le canapé, il lisait un roman policier .<br />
66 Le gérondif russe n’ayant pas d’équivalent exact en français, dans la traduction mot à mot le<br />
gérondif perfectif est transposé en français à l’aide du participe passé composé, le gérondif<br />
imperfectif à l’aide du gérondif ou du participe présent.<br />
67 Le gérondif peut aussi se rapporter à d’autres formes dites verbales (infinitif, participe, un autre<br />
gérondif), mais nous ne traitons pas ces cas ici. Cf., par exemple, l’énoncé où le gérondif se réfère<br />
au participe passé : , , . – elovec, sidevšij<br />
sognuvšis’, podnjal golovu. – Litt. : Homme – assis – s’étant courbé – leva – tête ». = « L’homme,<br />
qui était assis le dos courbé, leva la tête ».<br />
219
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Lorsqu’il n’y a pas d’ambiguïté, le recours à cette tripartition terminologique est<br />
superflu, le terme de gérondif pouvant être employé pour les trois cas.<br />
4.2. Le gérondif, forme hybride : le flou des définitions<br />
Les définitions du gérondif russe ( – deepriastie) cherchent à<br />
mettre en évidence la « cohabitation » des traits verbaux et adverbiaux à l’intérieur<br />
de cette forme, cf. par exemple la formule que donne la Grammaire russe 1980<br />
[RG I 1980] : « – , <br />
,,. e.<br />
- […] » [RG I<br />
1980 : 672]. – (Le gérondif est une forme verbale fléchie qui combine les valeurs<br />
de deux parties du discours, du verbe et de l’adverbe, c’est-à-dire les valeurs<br />
d’action et de circonstance attributive – traduction personnelle). La coexistence<br />
des traits verbaux et adverbiaux à l’intérieur du gérondif a valu à cette forme les<br />
caractéristiques telles que « partie du discours hybride » ( <br />
– gibridnaja ast’ rei) [Peškovskij 1956 : 128], « forme d’adverbe verbal »<br />
[Comtet 1997 / 2002 : 280].<br />
Définies de cette manière, les valeurs gérondivales demeurent assez floues et<br />
même contradictoires. Reste obscure notamment la question sur le poids de la<br />
verbalité et de l’adverbialité à l’intérieur du gérondif : quels traits prédominent,<br />
verbaux ou adverbiaux, ou se manifestent-ils sur un pied d’égalité ? Passant sous<br />
silence ce problème épineux, les grammaires classiques continuent de placer le<br />
gérondif parmi les formes verbales impersonnelles (cf. la définition de la<br />
Grammaire russe 1980 ci-dessous ou encore celles de [GRJ I 1960 : 520 ; GSRLJ<br />
1970 : 421] et d’exclure de la classe du gérondif les formes dans lesquelles<br />
l’adverbialité devient un peu trop manifeste (parfois sans effacer complètement,<br />
soulignons-le, la valeur d’action), en les considérant comme des adverbes ou des<br />
formations adverbiales ( – narenye obrazovanija).<br />
Ainsi, la Grammaire de la langue russe 1960 [GRJ I 1960] et la Grammaire du<br />
russe littéraire contemporain 1970 [GSRLJ 1970] qualifient les mots et les<br />
220
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
expressions suivants comme adverbes : (stoja – « (étant) debout »),<br />
(lëža – « (étant) couché), (sidja – « (étant) assis »), (mola – litt.<br />
« (en) se taisant » = « en silence »), (spustja rukava – litt. « (en)<br />
baissant les manches ; les manches baissées » = « sans ardeur, avec paresse »),<br />
(povesja nos – litt. « (en) baissant le nez ; le nez baissé » =<br />
« découragé, attristé »), (šutja – litt. « (en) plaisantant » = « facilement,<br />
sans efforts »), (zaikajas’ – « (en) bégayant »), (ne tajas’ –<br />
litt. « ne se cachant pas » = « sans se cacher »), (igrajui – litt. « (en)<br />
jouant » = « facilement, sans efforts »), (kraduis’ – « (en) marchant à<br />
pas de loup »), (umejui – litt. « (en) sachant » = « avec compétence,<br />
avec savoir-faire »), (pripevajui – litt. « en chantonnant » = « avec<br />
joie et facilité »), etc. La Grammaire russe 1980 « réhabilite » cependant les<br />
gérondifs du type stoja, lëža, sidja, šutja, en notant que le développement des<br />
valeurs adverbiales dans ces formes ne les projette pas en dehors du verbe.<br />
Quels sont des traits verbaux et adverbiaux présents dans le gérondif ? Les<br />
grammaires disent que le gérondif désigne une action secondaire,<br />
complémentaire (, –<br />
vtorostepennoe, dopolnitel’noe dejstvie). La capacité d’indiquer une action<br />
rapproche donc le gérondif du verbe. Tout comme le verbe, le gérondif possède la<br />
catégorie d’aspect – perfectif et imperfectif. Nous repoussons, comme le fait aussi<br />
Jacqueline Fontaine [Fontaine 1983 : 146], les termes de gérondif passé et de<br />
gérondif présent, largement employés à titre pédagogique dans les ouvrages<br />
français. Ces termes ne sont pas conformes à la réalité morphologique, ne<br />
répondant à la réalité sémantique qu’en partie. Nous adoptons les dénominations<br />
habituelles des grammaires russes : gérondif perfectif et gérondif imperfectif. Les<br />
termes rejetés nous renvoient toutefois à la valeur spécifique du temps relatif<br />
qu’incarne le gérondif. Il est sous-entendu, dans les grammaires et manuels<br />
traditionnels, que tous les gérondifs possèdent cette signification. Généralement,<br />
on assigne au gérondif perfectif la valeur d’antériorité (plus rarement – de<br />
postériorité) et au gérondif imperfectif – la valeur de simultanéité par rapport à<br />
l’action du verbe principal de l’énoncé. Plus loin, nous essayerons de démontrer<br />
qu’une partie seulement des gérondifs gardent la valeur du temps relatif tandis<br />
221
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
qu’un grand nombre de gérondifs expriment différentes circonstances ou<br />
caractéristiques sémantiques par rapport au verbe régissant sans garder de<br />
marque temporelle. Enfin, tout comme le verbe, le gérondif peut avoir des formes<br />
réfléchies et non-réfléchies ( (vstreaja) / (vstreajas’)<br />
IMPERF. ; (vstretiv ) / (vstretivšis’) PERF. – « en<br />
rencontrant/ en se rencontrant ») et une rection (<br />
– neajanno vstretiv drouga na ulice – « en rencontrant un ami par hasard<br />
dans la rue »).<br />
Les traits communs du gérondif et de l’adverbe, selon les grammaires, sont<br />
l’invariabilité morphologique et la fonction syntaxique : le gérondif, comme<br />
l’adverbe, joue le rôle du complément circonstanciel (de manière, de cause, de<br />
concession, etc.).<br />
Comment les traits verbaux et adverbiaux sont donc répartis à l’intérieur du<br />
gérondif ? Quelle part de traits verbaux et de traits adverbiaux doit posséder le<br />
gérondif pour ne pas perdre son statut ? On peut remarquer que, dans les<br />
descriptions des grammaires, les traits verbaux du gérondif sont mis en avant<br />
quand il s’agit de sa sémantique et de sa morphologie ; ils se dissipent, cédant la<br />
place aux traits adverbiaux, dès qu’il est question des fonctions syntaxiques. En<br />
même temps, la prééminence des traits verbaux est sous-entendue, car même si<br />
toutes les grammaires traditionnelles ne marquent pas ouvertement dans leur<br />
définition, comme le fait la Grammaire russe 1980, que le gérondif est une forme<br />
verbale, elles le rangent invariablement dans les sections consacrées aux formes<br />
verbales impersonnelles.<br />
Une telle approche mène à l’amalgame de la valeur gérondivale avec celles du<br />
verbe et de l’adverbe. Nous soutenons l’idée de D.I. Arbatskij, selon laquelle le<br />
gérondif ne copie pas les significations du verbe et de l’adverbe mais possède sa<br />
propre valeur qui exprime à la fois une action et une circonstance (Arbatskij<br />
appelle cette valeur spécifique au gérondif <br />
(processual’naja obstojatel’stvennost’ –<br />
« circonstance processive ») ou <br />
(obstojatel’stvennaja processual’nost’ – « procès circonstanciel »)) [Arbatskij<br />
222
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
1980]. Ainsi, les valeurs verbales et adverbiales du gérondif ne doivent pas être<br />
séparées mais, au contraire, doivent être envisagées conjointement. Il n’y a pas<br />
de prédominance obligatoire des traits verbaux. La verbalité et l’adverbialité ne se<br />
manifestent pas de la même façon chez tous les gérondifs, les uns développant<br />
plus des traits verbaux, les autres amplifiant des particularités adverbiales. Le<br />
gérondif n’est privé de son statut qu’à la condition d’avoir complètement perdu<br />
toute trace de verbalité. Il devient adverbe : (zrja – « pour rien, en vain »),<br />
(zagodja – « (bien) d’avance »), é (nexotja – « à contrecœur »),<br />
(stremglav – « à toute vitesse »), etc. ; ou préposition : +<br />
Dat. (blagodarja – « grâce à »), () + Gén. (nainaja – « à partir de »),<br />
+ Gén. () (spustja (tri goda)) – « dans (trois ans) »), ()<br />
+ Dat. (sudja (po) – « selon, d’après ») ; ou même conjonction : (xotja –<br />
« bien que, quoi que »). La complexité de la valeur gérondivale est due à sa<br />
double nature syntagmatique : le gérondif se rapporte à la fois au prédicat et au<br />
sujet de l’énoncé.<br />
4.3. Particularités syntaxiques et sémantiques du gérondif<br />
Le principal défaut des définitions traditionnelles réside, à notre avis, dans la<br />
description du gérondif comme une forme isolée du reste de l’énoncé. Cependant,<br />
l’essence même du gérondif est son attachement syntaxique direct au prédicat et<br />
indirect au sujet de l’énoncé. L’emploi du gérondif seul, fréquent surtout dans les<br />
titres de journaux, ne déroge pas à cette dépendance syntaxique : <br />
(itaja gazety – « (En) lisant les journaux ») ; <br />
(Izuaja pti’i trassy – « (En) étudiant des itinéraires des oiseaux ») ; <br />
(Obgonjaja vremja – « (En) dépassant le temps ») ; <br />
(Vozvrašajas’ k napeatannomu – « (En) revenant à nos<br />
écrits »), etc. (Ces exemples sont présentés dans [Arbatskij 1980 : 117]). On peut<br />
dire que, artificiellement détaché de son support syntaxique, le gérondif désigne<br />
une action, dans le sens large du terme, c’est-à-dire, un fait, un procès, un état.<br />
Or, dans son emploi normal, le gérondif apparaît dans l’énoncé qui met en rapport<br />
deux actions, l’une, syntaxiquement indépendante, exprimée par le verbe et<br />
223
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
l’autre, syntaxiquement subordonnée, exprimée par le gérondif. De notre point de<br />
vue, la capacité du gérondif d’exprimer la prédication secondaire doit être<br />
considérée comme une fonction syntaxique et non une valeur sémantique. Le<br />
gérondif possède donc deux fonctions syntaxiques : 1) prédicat secondaire et / ou<br />
2) complément circonstanciel.<br />
La sémantique du gérondif n’est pas autonome, elle est indéfectiblement liée à sa<br />
syntaxe. C’est la corrélation entre le verbe et le gérondif attelé à ce verbe, qui<br />
produit un éventail d’effets de sens. L’interprétation de la relation gérondivale<br />
dépend de différents facteurs, linguistiques et pragmatiques, et ne peut se faire<br />
qu’a posteriori, après la confrontation des deux formes dans l’énoncé. Il est difficile<br />
d’encadrer les valeurs sémantiques du gérondif, c’est-à-dire les relations<br />
qu’exprime le gérondif par rapport au verbe régissant, en raison de l’hétérogénéité<br />
de ces relations. En effet, on attribue au gérondif la capacité d’exprimer le temps<br />
(relatif), la cause, le moyen, etc. Il y a deux problèmes, à notre avis, avec ces<br />
catégories logiques : premièrement, le nombre de ces catégories et les frontières<br />
entre elles ne sont pas complètement définis ; deuxièmement, il n’y a pas<br />
forcément correspondance exacte des catégories logiques avec les catégories<br />
grammaticales. Comme pour les prédicats autonomes, nous divisons les valeurs<br />
sémantiques gérondivales en trois catégories : 1) chronologiques (antériorité,<br />
simultanéité, postériorité) ; 2) causales (cause, conséquence, concession, but,<br />
condition) ; 3) valeurs de caractérisation (manière, intensité, concrétisation, etc.).<br />
Les valeurs sémantiques et syntaxiques du gérondif ne restent pas figées,<br />
changeant au cours de l’évolution de la langue. L’origine du gérondif est connue :<br />
il est le résultat de la transformation progressive de l’ancienne forme courte du<br />
participe passé actif. On est redevable de cette découverte à Alexandr Potebnja<br />
qui fut le premier à décrire le processus de conversion de la forme courte du<br />
participe actif en gérondif, en s’appuyant sur des textes historiques abondants<br />
[Potebnja 1874 / 1958] 68 . Dans les grandes lignes, la transformation s’est<br />
déroulée de la manière suivante 69 :<br />
68 Avant Potebnja, d’autres linguistes russes se trouvaient déjà sur la voie d’une explication<br />
correcte de l’origine du gérondif. Jacques Veyrenc cite un éclaircissement étymologique fantaisiste,<br />
amusant et touchant dans sa naïveté, que donne un dictionnaire russe de 1845 du mot<br />
224
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
1) Au niveau morphologique, en vieux russe, à côté de la forme courte du<br />
participe passé actif, s’est progressivement développée une forme longue (sdelav<br />
sdelavšij –« (ayant) fait »). L’existence de la forme courte se réduit petit à petit<br />
au seul cas du nominatif : sdelav M SING. ET N SING., sdelavši F SING., sdelavše PL. DES<br />
TROIS G<strong>EN</strong>RES.<br />
2) Sémantiquement et syntaxiquement, la transformation du participe passé<br />
actif court en gérondif consiste en un changement du centre d’attraction du<br />
participe dans la phrase. Le participe, qualifiant le sujet, gravite autour de ce<br />
dernier, tandis que le gérondif se rattache à l’action du prédicat et tend vers une<br />
certaine autonomie syntaxique. Progressivement, le centre d’attraction du<br />
participe passé actif court s’est déplacé du sujet vers le prédicat. Dans l’exemple<br />
suivant :<br />
(346),,.<br />
elovek, skazav eto, vošël v komnatu.<br />
= L’homme, ayant dit cela, entra dans la chambre,<br />
la tournure skazav eto était considérée par le vieux russe comme participiale,<br />
égale à skazavšij eto (L’homme qui avait dit cela entra dans la chambre) ; le<br />
participe skazav s’accordant en genre, en nombre et en cas avec le substantif<br />
elovek. Aujourd’hui, cette tournure est envisagée comme gérondivale, désignant<br />
une action secondaire (L’homme après avoir dit cela entra dans la chambre).<br />
Chronologiquement, la procédure de transformation a duré presque trois siècles :<br />
la confusion des formes aurait commencé vers la fin du XII ème ou le début du<br />
XIII ème siècle, en se terminant vers le XV ème siècle par la constitution d’une<br />
catégorie grammaticale autonome – le gérondif. Au cours de sa formation, le<br />
gérondif renforce son lien syntagmatique avec le verbe, en affaiblissant son lien<br />
avec le sujet, ce qui favorise le développement des valeurs circonstancielles au<br />
détriment des valeurs verbales. Il est intéressant en l’occurrence d’observer le<br />
: « , <br />
, , - » [Veyrenc 1962 :<br />
10]. Quant au mot (gerundij), on ne l’emploie que rarement parce qu’il se serait<br />
compromis dans l’argot des étudiants en (erunda – « billevesée ») [Ibid. : 10].<br />
69 Nous nous référons à la synthèse de l’étude de A. A. Potebnja dans [Veyrenc 1962 : 10-11].<br />
225
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
destin des gérondifs en -vši. Ces gérondifs, fréquents du XV ème au XIX ème siècle,<br />
sortent de l’usage au début du XX ème siècle. Dans la langue moderne, les<br />
gérondifs en -vši sont considérés comme archaïques ou populaires (vypivši –<br />
« ayant bu », kupivši – « ayant acheté », skazavši – « ayant dit », uznavši –<br />
« ayant appris », reconnu, užinavši – « (en) dînant », etc.), certains continuent<br />
d’apparaître dans des expressions figées (,<br />
(Proverbe russe). – Poterjavši golovu, po volosam ne plaut. – Litt. :<br />
« (En) ayant perdu tête, ne pleure pas cheveux ») 70 . Les<br />
grammaires signalent le remplacement des gérondifs en -vši par la forme<br />
concurrente en -v, en expliquant souvent ce fait par des raisons d’euphonie. A<br />
notre avis, la disparition de l’usage de la forme en -vši est plutôt liée à des<br />
phénomènes sémantiques et syntaxiques (Cf. aussi [Veyrenc 1962]). Les<br />
gérondifs en -vši manifestent plus d’attachement au sujet que leurs concurrents,<br />
tandis que la tendance est à la diminution des traits verbaux chez les gérondifs.<br />
Cf. l’exemple de A. Mazon, cité dans [Veyrenc 1962 : 213] :<br />
(347) , , <br />
.<br />
Ležavši na divane, Pëtr Ivanovi ne zametil, kak nastupili sumerki.<br />
Etant allongé – sur – canapé, – Piotr – Ivanovitch – ne – remarqua, –<br />
comment – arriva – pénombre.<br />
= Allongé sur le canapé, Piotr Ivanovitch ne vit pas la nuit arriver.<br />
La forme concurrente lëža serait plus adverbialisée, soulignant moins bien la<br />
signification causale, clairement présente avec ležavši [Ibid. : 213]. La capacité de<br />
certains gérondifs en -vši d’accomplir la fonction d’attribut, inaccessible aux<br />
gérondifs concurrents modernes, prouve davantage le lien plus étroit de cette<br />
forme avec le sujet, cf. :<br />
(348).<br />
On ne evši.<br />
Il – ne – ayant pas mangé.<br />
= Il n’a pas mangé. / Il a faim.<br />
70 On dit cela lorsqu’il est trop tard et donc inutile de regretter les choses que l’on a faites. Un<br />
équivalent français à ce proverbe serait : Ce qui est fait est fait.<br />
226
(349).<br />
On vypivši.<br />
Il – ayant bu.<br />
= Il a bu. / Il est ivre.<br />
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Aujourd’hui, la dépendance obligatoire du gérondif du sujet ne représente pas un<br />
critère décisif pour trancher sur le statut du gérondif. Certes, la norme du russe<br />
littéraire contemporain exige que le gérondif et le prédicat se rapportent au même<br />
sujet :<br />
(350),.<br />
Guljaja, on vstretil prijatelja.<br />
= En se promenant, il rencontra un copain,<br />
mais on trouve à foison des exemples qui dérogent à cette règle dans la littérature<br />
russe du XIX ème siècle et dans la langue moderne, administrative et parlée :<br />
(351) , <br />
(Exemple tiré d’une œuvre de Tchékhov, cité dans de<br />
nombreux ouvrages pédagogiques).<br />
Pod’’ezžaja k siej stancii i gljadja na prirodu, s menja sletela šljapa.<br />
En arrivant – vers – cette – station – et – en regardant – sur – nature, –<br />
de – moi – s’envola – chapeau.<br />
= Pendant que le train arrivait à cette station, j’observais la nature et mon<br />
chapeau s’envola.<br />
(352),…<br />
Prinimaja rešenie, ja prošu vas pomnit’…<br />
En prenant – décision, - je – prie – vous – vous souvenir…<br />
= En prenant une décision, n’oubliez pas…<br />
Ici, nous voudrions également défendre la « popularité » du gérondif. De<br />
grammaire en grammaire, on répète que le gérondif est une forme livresque qui<br />
n’est pas utilisée dans la langue parlée. A notre avis, c’est une méprise provoquée<br />
par la vision du gérondif comme une forme exclusivement verbale. Effectivement,<br />
227
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
les gérondifs, dans lesquels prédominent les traits verbaux, ne sont employés que<br />
dans la langue littéraire :<br />
(353) , <br />
( : 32).<br />
Pridja domoj,ervjakov rasskazal žene o svoëm nevežestve.<br />
Etant rentré, – maison – Tcnerviakov – parla – (à sa) femme – de – sa –<br />
impolitesse.<br />
= Rentré chez lui, Tcherviakov parla de son impolitesse à sa femme.<br />
Néanmoins les gérondifs à prédominance de traits adverbiaux sont largement<br />
représentés dans la langue parlée :<br />
(354),.<br />
On kuril, stoja u okna.<br />
Il – fumait, – en étant debout – près de – fenêtre.<br />
= Il fumait, debout près de la fenêtre.<br />
(355).<br />
Otveat’ na voprosy ne zadumyvajas’.<br />
Répondre – à – questions – ne – en réflechissant.<br />
= Repondre aux questions sans réfléchir.<br />
(356).<br />
Govorit’ zaikajas’.<br />
= Parler en bégayant.<br />
(357).<br />
Vyjti ne govorja ni slova.<br />
Sortir – ne – en disant – ni – mot.<br />
= Sortir sans un mot.<br />
(358).<br />
Rasskazat’ ne vdavajas’ v podrobnosti.<br />
Raconter – ne – en entrant – dans – détails.<br />
= Raconter sans entrer dans les détails.<br />
228
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Le russe contemporain contient un grand nombre de gérondifs qui conservent un<br />
lien syntagmatique étroit avec le sujet. Ces gérondifs ne diffèrent pas beaucoup<br />
des verbes et peuvent être facilement remplacés, dans l’énoncé, par une forme<br />
finie du verbe :<br />
(359),, (, I : 123).<br />
Razmëtnov, pokuriv, ušël.<br />
Razmëtnov – ayant fumé – partit.<br />
= Ayant fumé, Razmetnov partit.<br />
(359’) .<br />
Razmëtnov pokuril i ušël.<br />
= Razmetnov fuma et partit.<br />
Cependant, la grande majorité des gérondifs modernes s’attachent, au niveau<br />
syntagmatique, plus au verbe qu’au sujet. Dans l’énoncé, ils jouent plutôt le rôle<br />
de complément circonstanciel que de prédicat. Dans la plupart des cas, ces<br />
gérondifs ne peuvent pas être remplacés par la forme finie du verbe sans<br />
déformer le sens de l’énoncé :<br />
(360) […] , […] - ( :<br />
32).<br />
Ona ušla, zasemeniv po-staruše’i.<br />
Elle – partit, – s’étant mis à trottiner – comme une vieille.<br />
Elle partit, en trottinant comme une vieille.<br />
*(360’) .<br />
Ona ušla i zasemenila.<br />
= Elle partit et trottina.<br />
(361) , <br />
( : 117).<br />
On massiroval kožu pod glazami, vrašaja vokrug nix pal’cami.<br />
Il – massait – peau – sous – yeux, – en tournant – autour – eux – doigts.<br />
229
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= Il massait la peau sous les yeux, en faisant autour d’eux des ronds avec<br />
ses doigts.<br />
*(361’).<br />
On massiroval kožu i vrašal pal’cami.<br />
= Il massait la peau et faisait des ronds avec ses doigts.<br />
L’évolution du gérondif passe donc par la décroissance des traits verbaux et<br />
l’augmentation des traits adverbiaux. D.I. Arbatskij signale que dès la fin du<br />
XVIII ème – le début du XIX ème siècle, l’usage des gérondifs à prédominance de<br />
traits verbaux diminue, tandis que celui des gérondifs adverbiaux augmente<br />
[Arbatskij 1980 : 110]. Le linguiste explique ce phénomène par le fait que la langue<br />
n’a pas besoin des gérondifs verbaux car, dans l’énoncé, ils sont facilement<br />
remplaçables par une forme finie du verbe [Ibid. : 110]. Cette supposition n’est<br />
peut-être pas fausse, par contre, nous contestons l’approche morphologique de<br />
D.I. Arbatskij, sur laquelle cette idée est fondée. Selon Arbatskij, la langue forme<br />
facilement les gérondifs à signification circonstancielle, tandis que la dérivation<br />
des gérondifs verbaux est limitée. Plusieurs verbes se montrent défectifs au<br />
niveau morphologique, ne pouvant pas former de gérondifs ou produisant des<br />
formes douteuses, parce que ces gérondifs seraient trop verbaux :<br />
– bere’ – « garder » * (beregja), (beregši) ;<br />
– lit’ – « verser » * (l’ja), (livši) ;<br />
– mo’ – « pouvoir » * (mogja), (mogši) ;<br />
– pet’ – « chanter » * (poja), (pevši) ;<br />
– teret’ – « frotter, râper » * (trja), (terevši),<br />
(tërši), etc.<br />
Nous considérons qu’il est illégitime de parler de verbalité ou d’adverbialité du<br />
gérondif au niveau purement morphologique, c’est-à-dire lorsque le gérondif est<br />
seul, isolé du reste de l’énoncé. Pour nous, la verbalité ou l’adverbialité du<br />
gérondif ne ressort qu’à travers son usage dans l’énoncé, quand plusieurs<br />
facteurs (morphologiques, sémantiques, syntaxiques, pragmatiques) entrent en<br />
230
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
jeu, cf., par exemple, deux emplois de la construction gérondivale <br />
(opustiv glaza – litt. « ayant baissé les yeux » = « les yeux baissés ») :<br />
(362),.<br />
Opustiv glaza, on uvidel u svoix nog kotënka.<br />
Ayant baissé – yeux, – il – vit – près de – ses - pieds – chaton.<br />
= Il baissa les yeux et vit à ses pieds un chaton.<br />
(363),.<br />
On stojal, opustiv glaza.<br />
Il – était debout, – ayant baissé – yeux.<br />
= Il restait debout, les yeux baissés.<br />
La même construction gérondivale opustiv glaza se comporte différemment, selon<br />
les conditions dans lesquelles elle est employée. Dans le premier cas, elle joue le<br />
rôle de prédicat secondaire en exprimant l’antériorité par rapport à l’action du<br />
verbe régissant. Dans le second cas, la tournure gérondivale accomplit la fonction<br />
de complément circonstanciel, désignant la manière dont se déroule l’action (plus<br />
précisément l’état) du verbe régissant. Le critère morphologique est certes très<br />
important mais il n’est pas décisif. En même temps, nous reconnaissons que les<br />
gérondifs ne sont pas égaux sur le plan morphologique, les uns manifestant plus<br />
de verbalité et les autres tendant vers l’adverbialité. Par exemple, les gérondifs<br />
perfectifs sont initialement « plus verbaux » que les gérondifs imperfectifs ou les<br />
gérondifs avec négation, perfectifs et imperfectifs ( PERF. –<br />
dotancevav – « ayant fini la danse » ; IMPERF. – tancuja – « en dansant » ;<br />
PERF. – ne dotancevav – litt. « n’étant pas allé jusqu’au bout de<br />
la danse » = « sans finir la danse » ; IMPERF. – ne tancuja – « en ne<br />
dansant pas » = « sans danser »). Les gérondifs formés à partir des verbes<br />
intransitifs sont a priori « plus adverbiaux » que ceux formés à partir des verbes<br />
transitifs, parce que l’emploi du gérondif isolé augmente son adverbialité.<br />
Néanmoins les prédominances morphologiques ne se réalisent dans l’énoncé que<br />
231
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
par défaut, c’est-à-dire à condition que des contraintes plus fortes ne conduisent<br />
pas à leur annulation 71 , cf. les exemples plus haut avec opustiv glaza.<br />
4.4. Gérondif et ordre temporel<br />
Comme nous l’avons noté un peu plus haut, les grammaires et les manuels<br />
traditionnels attribuent habituellement au gérondif les valeurs du temps relatif : le<br />
gérondif perfectif exprime l’antériorité par rapport à l’action du prédicat principal, le<br />
gérondif imperfectif désigne la simultanéité par rapport à l’action principale. Or ce<br />
tableau des valeurs gérondivales n’est qu’un résumé extrêmement incomplet et<br />
simplifié de la sémantique de cette forme verbale. Si l’on se tourne vers les études<br />
spécialisées du gérondif [Fontaine 1983 ; Akimova, Kozinceva 1987], on constate<br />
que, depuis au moins vingt ans, les significations, considérées habituellement<br />
comme dominantes, ont été détrônées : les linguistes signalent que le gérondif<br />
perfectif peut bien exprimer la postériorité et la simultanéité par rapport à l’action<br />
principale, alors que le gérondif imperfectif est tout à fait capable d’indiquer une<br />
action antérieure à l’action du prédicat principal. On remarque également que le<br />
gérondif peut être atemporel, désignant un lien logique avec le verbe principal.<br />
Même les grammaires classiques, présentant comme principales la valeur<br />
d’antériorité pour le gérondif perfectif et la valeur de simultanéité pour le gérondif<br />
imperfectif, montrent plusieurs dérogations à la règle.<br />
Les relations gérondivales dans l’énoncé, comme le sens de tout l’énoncé, sont<br />
inférées par le destinataire, qui prend en compte les données linguistiques et<br />
pragmatiques. Plus haut, nous avons distingué trois types fondamentaux de<br />
relations que le gérondif est capable a priori d’exprimer dans l’énoncé :<br />
1) chronologie ; 2) circonstance et 3) caractérisation. Dans cette section, nous<br />
allons présenter une analyse de ces valeurs sémantiques gérondivales.<br />
Soulignons encore une fois que cette classification représente un tableau idéal<br />
des relations gérondivales. Il est impossible de façonner des moules sémantiques<br />
pour les valeurs de gérondif dans l’énoncé. Chaque cas doit être traité à part. Les<br />
facteurs linguistiques (l’aspect du verbe et du gérondif, la position syntaxique du<br />
71 L’idée de la règle par défaut fut lancée par L. de Saussure [Saussure 2003 : 170].<br />
232
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
gérondif par rapport au verbe régissant, la sémantique du verbe et du gérondif)<br />
sont très importants pour la compréhension de l’énoncé mais doivent être validés<br />
ou non au niveau pragmatique. Cela signifie que le même énoncé peut être<br />
interprété de différentes manières, selon sa réalisation concrète. Par exemple,<br />
l’énoncé suivant peut-être compris au moins de deux façons, chronologique ou<br />
causale :<br />
(364) , <br />
.<br />
Pogovoriv s nim, ja s vdoxnoveniem vzjalsja za napisanie stat’i.<br />
Ayant parlé – avec – lui, – je – avec – enthousiasme – me mis – à –<br />
écriture – (de) article.<br />
= Ayant parlé avec lui, je me mis avec enthousiasme à l’écriture de l’article.<br />
Interprétation chronologique : Je parlai avec lui, ensuite je me mis à l’écriture de<br />
l’article. Interprétation causale : Je me mis à l’écriture avec enthousiasme parce<br />
que j’avais parlé avec lui (sous-entendu : il sut me donner un élan). Cet exemple<br />
peut aussi être interprété d’une troisième façon – chronologique et causale à la<br />
fois : Je parlai avec lui, ensuite je me mis à l’écriture (sous-entendu : car il sut me<br />
donner un élan).<br />
Théoriquement, huit combinaisons syntaxiques avec le gérondif et son verbe<br />
régissant au passé sont envisageables :<br />
(E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
(E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
(E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
(E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
233
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5. Relations chronologiques entre les événements<br />
4.5.1. Le gérondif exprime une action antérieure<br />
Quand le gérondif exprime une action antérieure, les huit combinaisons<br />
énumérées ci-dessus sont envisageables.<br />
4.5.1.1. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
1. Le fait (exprimé par le gérondif perfectif) est antérieur à un autre fait (exprimé<br />
par le verbe perfectif) :<br />
(365),, (, I : 61).<br />
I, maxnuv emu rukoj, ona pobežala pod arku.<br />
Et - ayant agité – lui – main elle – se mit à courir – sous – porche.<br />
= Et après avoir agité la main en signe d'adieu, elle se précipita sous le<br />
porche.<br />
(366),, (, I : 5).<br />
Akademik Rjadno, krjaknuv, uselsja za svoj stol.<br />
Académicien – Riadno – ayant ahané – s’assit – derrière – sa – table.<br />
= En ahanant, l’académicien Riadno s’assit à sa table.<br />
La valeur de l’antériorité du gérondif peut se manifester comme « pure »<br />
(aoristique) ou se combiner avec la valeur de parfait (il s’agit alors des<br />
conséquences que laisse l’action du perfectif).<br />
Il est question de la valeur d’aoriste chez le gérondif perfectif (-<br />
– perfektno-akcional’noe deepriastie), lorsque<br />
l’action antérieure du gérondif ne laisse pas de résultat qui influencerait ou<br />
déterminerait l’action principale :<br />
(367) , ,<br />
(., I : 42).<br />
234
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Daša s nenavist’ju pogljadev emu na mjagkie bol’šie guby, pošla za Katej v<br />
eë spal’nju.<br />
Dacha – avec – haine – ayant jeté un coup d’œil – (à) lui – sur – molles –<br />
grosses – lèvres, – alla – derrière – Katia dans – sa – chambre.<br />
= Dacha, ayant jeté un coup d'œil plein de haine sur ses grosses lèvres<br />
molles, suivit Katia dans sa chambre.<br />
(368) , (. ;<br />
l’exemple donné par Arbatskij dans [Arbatskij 1980 : 110]).<br />
Ottolknuv menja, babuška brosilas’ k dveri.<br />
Ayant repoussé – me, – grand-mère – se jeta – vers – porte.<br />
= Ma grand-mère me repoussa et se précipita vers la porte.<br />
Le gérondif à valeur d’aoriste peut être remplacé par une forme finie du verbe<br />
sans modifier le sens de l’énoncé : <br />
– Daša pogljadela na ego gubyi pošla za Katej – « Dacha jeta un coup<br />
d’œil sur ses lèvres et suivit Katia » ; <br />
– La grand-mère me repoussa et et se précipita vers la<br />
porte.<br />
Généralement, l’antériorité du gérondif à valeur d’aoriste est soutenue par des<br />
relations conceptuelles exposant les liens suivants entre le gérondif et le verbe<br />
régissant : a) le sujet obtient un instrument ou un objet (action du gérondif) qu’il<br />
utilise (action du verbe) (369), (370) ; b) le résultat de l’action exprimée par le<br />
gérondif apparaît comme une étape préalable, nécessaire à l’action du verbe<br />
(371), (372) :<br />
(369) […], -,<br />
( : 212).<br />
Konjukov, vytašiv iz-za pojasa širokij trofejnyj nož, stal povoraivat’ na<br />
skovorode kartošku.<br />
Ayant retiré – de derrière – ceinture – large – trophée de guerre –<br />
couteau, – se mit – tourner – sur – poêle – pomme de terre.<br />
235
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= Konioukov prit derrière sa ceinture un large couteau, trophée de guerre,<br />
et commença à tourner des morceaux de pommes de terre sur la poêle.<br />
(370) , <br />
(, II : 18).<br />
Vzjav pincet, Fëdor Ivanovi raskryl odin iz verxnix butonov.<br />
Ayant pris – pince, – Fiodor – Ivanovitch – ouvrit – un – des – d’en haut –<br />
boutons.<br />
= Fiodor Ivanovitch prit une pince et ouvrit l’un des boutons du haut.<br />
(371) , […]<br />
(.).<br />
Podnjav vintovku, Rošin vošël po pojas v vodu.<br />
Ayant levé – carabine, – Rochtchine – entra – jusqu’à – ceinture dans –<br />
eau.<br />
= Protégeant sa carabine, Rochtchine s’enfonça dans l’eau jusqu’à la taille.<br />
(372) , <br />
, c <br />
(, II : 79).<br />
Sbežav po stupen’kam, Fëdor Ivanovi gnevnymi šagami prosledoval k<br />
eloveku, kotoryj ne sdvinulsja s mesta.<br />
Ayant descendu en courant – sur – petites marches, – Fiodor – Ivanovitch –<br />
(de) coléreux – pas – passa – vers – homme, – qui – ne – bougea – de –<br />
place.<br />
= Fiodor Ivanovitch descendit l’escalier et se dirigea d’un pas coléreux vers<br />
l’homme qui ne broncha pas.<br />
Quant au gérondif perfectif à valeur de parfait (-<br />
– perfektno-rezul’tativnoe deepriastie), il exprime une action<br />
dont les conséquences sont visibles pendant le déroulement de l’action du verbe<br />
principal :<br />
(373) , -<br />
(., I : 359).<br />
236
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Opustivšis’ na koleni, on perekrestil žëlto-voskovoe lico Kornilova i<br />
poceloval ego v lob.<br />
S’étant baissé – à – genoux, – il – signa de croix – jaune-cire – visage –<br />
(de) Kornilov – et – embrassa – le – sur – front.<br />
= S’étant mis à genoux, il bénit par un signe de croix le visage jaune<br />
comme la cire de Kornilov et l'embrassa sur le front.<br />
(374) […], <br />
(, : 14).<br />
Podobrav pravoj rukoj rjasu, otec Fëdor pronëssja k vyxodu.<br />
Ayant retroussé – (de) droite – main – soutane, – père – Théodore – passa<br />
en trombe – vers – sortie.<br />
= Retenant sa soutane de la main droite, le père Théodore passa en<br />
trombe vers la sortie.<br />
2. La combinaison Gérondif perfectif + Verbe au passé perfectif exhibe un lien<br />
temporel renforcé par des relations (règles) conceptuelles. Il s’agit donc non<br />
seulement de la succession des actions dans un même cadre temporel mais aussi<br />
de la détermination de l’action principale par le temps du déroulement de l’action<br />
secondaire 72 . Dans ce cas, la construction gérondivale est facilement remplacée<br />
par la subordonnée de temps, ce remplacement étant impossible pour les<br />
énoncés (385-394) :<br />
(375) « », <br />
(, I : 24).<br />
Uslyšav znakomoe slovo « vospitanie », miurinec Cvjax zakival golovoj.<br />
Ayant entendu – familier – mot – éducation, – disciple de Mitchourine –<br />
Tsviakh – se mit à hocher – tête.<br />
= Ayant entendu le mot familier « éducation », Tsviakh hocha la tête.<br />
Cf. : , . – Kogda Cvjax uslyšal, on<br />
zakival. – « Quand Tsviakh entendit, il hocha la tête ».<br />
72 Cf. aussi à ce sujet [Akimova, Kozinceva 1987 : 267-269].<br />
237
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(376), […] ( : 103).<br />
Otdyšavšis’, on skazal.<br />
Ayant repris souffle – il – dit.<br />
= Le souffle retrouvé, il dit.<br />
Cf. : , . – Kogda on otdyšalsja, on skazal. –<br />
Quand il reprit son souffle, il dit.<br />
Le lien temporel renforcé se manifeste habituellement dans les énoncés avec le<br />
gérondif perfectif à valeur d’aoriste. Le conditionnement temporel de l’action<br />
principale par l’action secondaire se réalise de deux façons : a) l’action principale<br />
est suscitée par l’achèvement de l’action secondaire (377), (378) ; b) l’action<br />
principale se produit sur le fond des conséquences ou du résultat laissés par le<br />
déroulement de l’action secondaire (379), (380), (381), (382) :<br />
(377) , , <br />
( : 169).<br />
Nakonec, otrydavšis’, tëša suxo priglasila Vasilija Nikandrovia k stolu.<br />
Enfin – ayant fini de sangloter, – belle-mère – sèchement – invita – Vassili<br />
Nikandrovitch – à – table.<br />
= Quand sa belle-mère finit de sangloter, elle invita sèchement Vassili<br />
Nikandrovitch à table.<br />
(378) , <br />
(., I : 276).<br />
Doslušav istoriju pro Gniluju Lipu, ona pošla pripudrit’sja.<br />
Ayant fini d’écouter – histoire – du – Pourri – Tilleul, – elle – alla – se<br />
poudrer.<br />
= Quand l’histoire du Tilleul Pourri eut été finie, elle partit remettre de la<br />
poudre sur son visage.<br />
Remarquons que les gérondifs en (377) et (378) sont formés des verbes de mode<br />
d’action à résultativité spéciale. L’achèvement de l’action du gérondif (valeur<br />
d’aoriste) est donc marqué grammaticalement : par le confixe ot-…-sja en (377) et<br />
par le préfixe do- en (378).<br />
238
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(379) , <br />
(, I : 31).<br />
Podojdja pobliže, Fëdor Ivanovi uvidel v skverike dlinnyj krasnyj šit na<br />
postamente.<br />
S’étant approché – plus près, – Fiodor – Ivanovitch – vit – dans – petit<br />
square – long – rouge – panneau – sur – piédestal.<br />
= Quand il s’approcha plus près, Fiodor Ivanovitch vit, dans un petit square,<br />
un long panneau rouge dressé sur un piédestal.<br />
(380) , , , <br />
(.,<br />
I : 173).<br />
Nikolaj Ivanovi, uznav, to Katja spasena, obxvatil moxnatyj žilet Dmitrija<br />
Stepanovia i zarydal.<br />
Nikolaï – Ivanovitch, – ayant appris, – que – Katia – sauvée, – entoura –<br />
duveteux – gilet – Dmitrij – Stepanovitch – et – se mit à sangloter.<br />
= Quand Nikolaï Ivanovitch apprit que Katia était sauvée, il entoura de ses<br />
bras le gilet duveteux de Dmitriï Stepanovitch et éclata en sanglots.<br />
(381), (, I : 19).<br />
No uvidev Lenu, on poterjal uverennost’.<br />
Mais – ayant vu – Léna, – il – perdit – assurance.<br />
= Mais dès qu’il eut vu Léna, son assurance disparut.<br />
(382) , […] ( :<br />
252).<br />
Opomnivšis’ ot padenija, Saburov vskoil.<br />
Etant revenu en soi – de – chute – Saburov – bondit.<br />
= Ayant repris connaissance après sa chute, Sabourov se remit sur ses<br />
pieds d’un bond.<br />
Dans le cas (b), l’action secondaire laisse des conséquences qui déterminent le<br />
déroulement de l’action principale. De ce point de vue, le gerondif peut indiquer un<br />
239
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
changement de localisation du sujet dans l’espace (379), des informations reçues<br />
par le sujet (380), (381), un changement d’état du sujet (382).<br />
4.5.1.2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Le gérondif perfectif qui suit le verbe régissant perfectif peut également exprimer<br />
l’antériorité.<br />
1. L’antériorité du gérondif est confirmée par des moyens lexicaux, tels les<br />
adverbes ( – snaala – « d’abord », – sperva – « d’abord,<br />
premièrement », – predvaritel’no – « préalablement ») :<br />
(383) […] x , <br />
( : 50).<br />
Xozjain kvartiry uexal otsjuda, predvaritel’no otpraviv sem’ju.<br />
Propriétaire – appartement – partit – d’ici, – préalablement – ayant<br />
évacué – famille.<br />
= Le propriétaire de l'appartement partit d'ici ayant préalablement évacué<br />
toute sa famille.<br />
2. L’énoncé peut contenir certaines informations linguistiques qui contribuent à<br />
l’expression de l’antériorité du gérondif dans la post-position syntaxique. Ces<br />
informations peuvent être :<br />
i) Morphologiques : le préverbe po- conférant au gérondif la valeur d’une action<br />
préalable :<br />
(384) –, – , (, I : 83).<br />
– Nu i ladno, – skazala ona, pomolav.<br />
– Euh – et – d’accord, – dit – elle, – s’étant tue.<br />
= – Bon, d'accord, dit-elle après quelques instants de silence.<br />
ii) Morphologiques et syntaxiques : le gérondif avec la négation ne et le<br />
préverbe do- (ou autres préverbes qui signalent l’achèvement de l’action), cf. le<br />
240
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
modèle : -, - (-, -, - ) + - -<br />
– On sdelalto-to ne do- (pro-, po-, za-) + -delavto-to drugoe – « Il a fait<br />
(fit) quelque chose n’ayant fait … » :<br />
(385),.<br />
On ostanovilsja, ne projdja sta metrov.<br />
Il – s’arrêta, – ne – en ayant marché – cent – mètres.<br />
= Il s’arrêta n’ayant fait que cent mètres.<br />
(386), 73 .<br />
On zakryl knigu, ne proitav i dvux stranic.<br />
Il – ferma – livre, – n’ayant lu – et – deux – pages.<br />
Il ferma le livre n’en ayant lu que deux pages.<br />
(387) , , <br />
(., I : 373).<br />
Ogon’ki pogasli, ne doletev do zemli, stalo erno.<br />
Petits feux – s’éteignirent, – ne – en ayant volé – jusqu’à – terre, – (il)fut –<br />
noir.<br />
= Les petits feux s’éteignirent sans atteindre la terre, tout redevint noir.<br />
(388) […] , <br />
(. , l’exemple présenté dans [Akimova, Kozinceva :<br />
262]).<br />
Devonka vybežala iz xaty, niego ne dogovoriv so straxu.<br />
Fille – sortit en courant – de – maison, – rien – ne – en ayant fini à dire –<br />
de – peur.<br />
= Prise de peur, la fille s’enfuit sans avoir fini sa phrase.<br />
3. L’antériorité de l’action du gérondif en post-position peut être inférée grâce<br />
au contexte :<br />
73 Dans certaines conditions, la relation gérondivale dans ces exemples peut être interprétée<br />
comme concession : Il s’arrêta bien qu’il n’ait fait que cent mètres ; Il ferma le livre bien qu’il n’ait lu<br />
que deux pages.<br />
241
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(389) – ! – , <br />
( : 134).<br />
– Privet ! – skazal Zanadvornov, obernuvšis’ na skripnuvšuju dver’.<br />
Salut ! – dit – Zanadvornov, – s’étant retourné – pour – ayant grincé – porte.<br />
= – Salut ! dit Zanadvornov, après avoir tourné la tête vers la porte qui<br />
grinça.<br />
(390), (., I : 279).<br />
I on zasnul, edva uspev razdet’sja.<br />
Il – s’endormit, – à peine – ayant eu le temps – se déshabiller.<br />
= A peine déshabillé, il s’endormit.<br />
Effectivement, en (389), on suppose que pour saluer quelqu’un, il faut faire face à<br />
son interlocuteur, donc Zanadvornov d’abord s’est retourné et ensuite a dit salut.<br />
L’interprétation naturelle de (390) sera : on se déshabille avant de se coucher.<br />
Souvent, la relation chronologique est sugérée par le contexte linguistique :<br />
(391),-<br />
(, I : 78).<br />
Kobel’ s voem otskoil, uspev-taki naposledok raspustit’ dedovu šubu<br />
nadvoe.<br />
Chien – avec – hurlement – s’éloigna d’un bond, – ayant le temps-tout de<br />
même – en dernier lieu – déchirer – (de) vieux – pelisse – en deux.<br />
= Le chien hurla et fit un bond en arrière non sans avoir pris le temps de<br />
déchirer la pelisse du vieux en deux.<br />
Dans cet exemple, la signification du verbe – uspet’ – « avoir le temps »,<br />
la particule – taki (dont la signification est très proche de celle d’une<br />
conjonction adversative) et l’adverbe – naposledok – « en dernier<br />
lieu » sont des éléments indiquant que l’action du gérondif s’est produite avant<br />
l’action du verbe.<br />
242
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5.1.3. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
L’antériorité de l’action gérondivale est possible dans certaines conditions<br />
contextuelles permettant d’enfreindre la forte contrainte de l’imperfectif d’exprimer<br />
la phase médiane du procès. Du point de vue aspectuel, les actions sont<br />
forcément répétées, cf. :<br />
(392) , […]<br />
(, I : 170).<br />
Napivajas’, on sklonen byl k politieskim razgovoram.<br />
En s’enivrant, – il – enclin – était – à – politiques – conversations.<br />
= Après avoir bu, il parlait politique.<br />
L’énoncé (392) présente deux contraintes à la valeur d’imperfectivité : la télicité du<br />
gérondif (gérondifs de mode d’action à résultativité générale) et un lien conceptuel<br />
entre l’état (exprimé par le verbe régissant) et le procès du gérondif (hypothèse<br />
conceptuelle : l’alcoolémie délie la langue). Tous ces éléments mènent à un<br />
rapport temporel renforcé. Dans cet énoncé, le gérondif est donc facilement<br />
remplaçable par une subordonnée de temps :<br />
(392’),…<br />
Kogda on napivalsja, on byl sklonen…<br />
Quand – il – s’envivrait, – il – enclin – était…<br />
Quand il buvait, il était enclin…<br />
4.5.1.4. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
Cette situation est possible dans les mêmes conditions que pour la configuration<br />
précédente. Il s’agit, dans ce cas, de procès répétés :<br />
(393),.<br />
On lez v draku, napivajas’.<br />
Il – se mêlait – dans – bagarre, – en s’envivrant.<br />
= Il cherchait la bagarre dès qu’il buvait trop.<br />
243
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5.1.5. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
1. Le fait exprimé par le gérondif perfectif (d’habitude avec la valeur de parfait)<br />
est antérieur au procès désigné par le verbe principal (imperfectif). La valeur<br />
d’antériorité se combine souvent avec celle de simultanéité : le résultat (les<br />
conséquences) de l’action du gérondif est simultané avec le procès du verbe<br />
principal :<br />
(394) , <br />
(., I : 168).<br />
Razdvinuv okutannye pautinoj vetvi loznjaka, Žadov sledil za perepravoj.<br />
Ayant écarté – enveloppées – (de) toile d’araignée – branches – (de) osier,<br />
– Jadov – suivait – pour – passage.<br />
= Ayant écarté des branches d’osier couvertes de toile d’araignée, Jadov<br />
épiait les gens passer la rivière.<br />
(395) , <br />
<br />
(., I : 154).<br />
Opustiv šerstjanoe vjazanie, Ekaterina Dmitrievna gljadela na padajušie v<br />
bezvetrennoj tišine snežinki.<br />
Ayant baissé – de laine – tricotage, – Ekaterina – Dmitrievna – regardait –<br />
sur – tombants – dans – sans vent – silence – flocons de neige.<br />
= Ekaterina Dmitrievna cessa de tricoter et contemplait les flocons de neige<br />
tomber dans un silence impassible.<br />
2. Le fait exprimé par le gérondif perfectif est antérieur au procès répétitif du<br />
verbe principal. L’action du gérondif perfectif est répétée autant de fois que se<br />
produit l’action principale :<br />
(396) , […]<br />
(, I : 165).<br />
Pogovoriv s Polovcevym, Jakov Luki šël veerjat’.<br />
Ayant parlé – avec – Polovtsev, – Yakov – Loukitch – allaît – dîner.<br />
= Après avoir parlé à Polovtsev, Yakov Loukitch allait dîner.<br />
244
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5.1.6. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Dans cette situation, le verbe régissant à l’imperfectif désigne un procès qui est en<br />
train de se dérouler ou un procès qui se répète. Le gérondif perfectif exprime un<br />
fait. La post-position syntaxique du gérondif et la valeur d’imperfectivité du verbe<br />
régissant apportent une contrainte supplémentaire à l’expression de l’antériorité<br />
du gérondif, favorisant plutôt le non-ordonnancement temporel. Il faut donc que<br />
l’énoncé présente de puissants moyens capables de transgresser ces contraintes,<br />
telles les règles conceptuelles :<br />
(397),.<br />
On zasypal, posmotrev fil’m po televizoru.<br />
Il – s’endormait, – ayant regardé – film – à – télévision.<br />
= Il s’endormait, après avoir regardé un film à la télé.<br />
En effet, en (397), l’hypothèse conceptuelle la plus pertinente sera : on s’endort<br />
après avoir vu le film. Des informations linguistiques contextuelles explicitent<br />
davantage la relation d’antériorité / postériorité, cf. :<br />
(397’) , ( ) <br />
.<br />
On zasypal, posmotrev snaala (pered snom) fil’m po televizoru.<br />
Il – s’endormait, – ayant regardé – d’abord – (avant – sommeil) – film – à –<br />
télévision.<br />
= Après avoir regardé un film à la télé, il s’assoupissait.<br />
4.5.1.7. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
L’antériorité / postériorité se réalise, dans cette combinaison, comme l’antériorité /<br />
postériorité de contact. Grâce au sens lexical des formes verbales, l'action<br />
principale est représentée comme le résultat atteint à un moment du déroulement<br />
de l'action secondaire. Il est impossible d’introduire un intervalle entre les deux<br />
actions. Cette dernière disparaît quand l'action principale se concrétise :<br />
245
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(398), ( : 23).<br />
Vygrebaja rukami, on outilsja na poverxnosti.<br />
En ramant – (avec) bras, – il – se retrouva – à – surface.<br />
= En ramant avec ses bras, il se retrouva à la surface.<br />
4.5.1.8. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
Une telle conjoncture est rare puisque très coûteuse en traitement. On peut<br />
imaginer deux types de situations où l’action du gérondif imperfectif en post-<br />
position syntaxique est antérieure à l’action du verbe régissant :<br />
1. Le verbe régissant exprime un fait qui interrompt le procès du gérondif :<br />
(399),.<br />
On upal, idja po ulice.<br />
Il – tomba, – en marchant – dans – rue.<br />
= Il tomba quand il marchait dans la rue.<br />
2. Le verbe régissant désigne un fait (perfectif de mode d’action à résultativité<br />
générale), le gérondif (ou la construction gérondivale) indique un procès qui,<br />
précèdant ce fait, ne fait que décrire la manière du déroulement de ce dernier.<br />
Dans notre travail, nous choisissons d’interpréter cette relation plutôt comme<br />
caractérisation (cf. la section 4.7.) :<br />
(400),.<br />
On napisal otkrytku, staratel’no vyvodja každuju bukvu.<br />
Il – écrivit – carte postale, – soigneusement – en calligraphiant – chaque –<br />
lettre.<br />
= Il écrivit la carte postale, en calligraphiant soigneusement chaque lettre.<br />
4.5.2. Le gérondif exprime une action postérieure<br />
Il faut dire sur-le-champ que la faculté du gérondif de désigner une action<br />
postérieure est réduite et, dans les cas où elle se manifeste, le gérondif se trouve<br />
246
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
obligatoirement en post-position syntaxique par rapport au verbe régissant. Nous<br />
expliquons cette situation par la nature du gérondif, verbale et adverbiale à la fois,<br />
et par la tendance générale de cette forme de renforcer ses traits adverbiaux. Le<br />
gérondif perfectif est évidemment « plus verbal » que le gérondif imperfectif ; le<br />
gérondif perfectif à valeur d’aoriste est « plus verbal » que son homologue à<br />
valeur de parfait. Compte tenu de ces observations, la position syntaxique du<br />
gérondif dans l’énoncé importe beaucoup pour l’expression des valeurs<br />
chronologiques. Le gérondif prépositif (seul ou avec ses extensions) montre<br />
pleinement ses aptitudes verbales tandis que, post-positif, il tend à effacer sa<br />
verbalité, diminuant sa capacité à exprimer le temps relatif, cf. :<br />
(401), ().<br />
On skazal, otvernuvšis’ (k oknu).<br />
Il – dit, – s’étant détourné – (vers – fenêtre).<br />
= Il dit, la tête détournée (la tête tournée vers la fenêtre).<br />
(402) O (), o.<br />
Otvernuvšis’ (k oknu), on skazal.<br />
S’étant détourné – (vers – fenêtre), – il – dit.<br />
= Il se détourna et dit (Il tourna la tête vers la fenêtre et dit).<br />
(403),.<br />
On pozvonil žene, vyjdja iz kafe.<br />
Il – téléphona – (à sa) femme, – étant sorti – de – café.<br />
En sortant du café, il téléphona à sa femme.<br />
(404) B, o.<br />
Vyjdja iz kafe, on pozvonil žene.<br />
Etant sorti – de – café, – il – téléphona – (à sa) femme.<br />
Sorti du café, il téléphona à sa femme.<br />
La relation gérondivale dans les énoncés (401) et (402), contenant le gérondif à<br />
valeur de perfectif otvernuvšis’, est interprétée respectivement comme non<br />
ordonnancement et antériorité / postériorité. Si on remplace le gérondif par la<br />
forme finie :<br />
247
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(401').<br />
On skazal i otvernulsja.<br />
= Il dit et se détourna.<br />
(402’) .<br />
On otvernulsja i skazal.<br />
= Il se détourna et dit,<br />
la relation temporelle dans les deux énoncés (401’) et (402’) sera comprise<br />
comme antériorité / postériorité. On constate donc l’affaiblissement de l’aptitude<br />
du gérondif d’exprimer le temps, en (401).<br />
Les énoncés (403), (404) contiennent un gérondif à valeur d’aoriste, et la relation<br />
gérondivale, dans les deux exemples, est celle d’antériorité / postériorité. En<br />
revanche, si on remplace le gérondif par la forme finie :<br />
(403’) .<br />
On pozvonil žene i vyšel iz kafe.<br />
Il téléphona à sa femme et sortit du café.<br />
(404’) .<br />
On vyšel iz kafe i pozvonil žene.<br />
Il sortit du café et téléphona à sa femme,<br />
l’interprétation la plus naturelle qui s’impose pour les deux énoncés est celle<br />
d’antériorité / postériorité. Ainsi, si on compare le gérondif en (403) avec la forme<br />
finie en (403’), on voit que leur valeur n’est pas la même : non ordonnancement<br />
pour le gérondif et postériorité pour le verbe. C’est aussi une preuve<br />
supplémentaire qui témoigne du fait que le gérondif, perdant des traits verbaux,<br />
n’est l’équivalent de la forme finie. Pour que le gérondif du (403) exprime la<br />
postériorité, il faut ajouter dans l’énoncé des informations complémentaires, par<br />
exemple, des adverbes ( – zatem – « ensuite » ; – potom –<br />
« puis ») :<br />
248
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(403’’) ,. 74<br />
On pozvonil žene, vyjdja zatem iz kafe.<br />
Il – téléphona – (à sa) femme, – étant sorti – ensuite – de – café.<br />
= Il téléphona à sa femme, ensuite il sortit du café.<br />
Du point de vue aspectuel, nous distinguons les situations suivantes :<br />
4.5.2.1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Le fait (verbe perfectif) est suivi par le fait (gérondif perfectif, souvent avec la<br />
valeur de parfait) :<br />
(405) , <br />
, ( : 205).<br />
Kavabata probežal po komnate, vzjal svoj bol’šoj me i vernulsja k<br />
Serdjuku, vstav u nego za spinoj.<br />
Kawabata – courut – à travers – pièce, – prit – sa – grande – épée – et –<br />
revint – vers – Serdiouk, – s’étant mis debout – chez – lui – derrière – dos.<br />
Kawabata parcourut la pièce, s’empara de sa grande épée et revint vers<br />
Serdiouk, s’arrêtant derrière son dos.<br />
(406) , <br />
(. ; exemple présenté dans [Akimova, Kozinceva<br />
1987 : 263]).<br />
Mat’ uložila ego, nakryv blednyj lob polotencem.<br />
Mère – coucha – le, – ayant couvert – pâle – front – (avec) serviette.<br />
= La mère le mit au lit, en posant une serviette sur son front pâle.<br />
(407) , <br />
(., I : 344).<br />
Rošin vlez na ugol telegi, svesiv nogi nad kolesom.<br />
74 On imagine aisément ce genre d’énoncé dans un compte rendu de police ou de détective privé.<br />
249
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Rochtchine – grimpa – sur – bord – chariot (de), – ayant pendu – pieds –<br />
au-dessus – roue.<br />
= Rochtchine grimpa dans le chariot et s’assit, les pieds pendant au-dessus<br />
de la roue.<br />
4.5.2.2. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Dans ce cas, est exprimée la postériorité du fait (gérondif perfectif) au procès dans<br />
son déroulement ou au procès répétitif (verbe imperfectif). La valeur temporelle<br />
d’antériorité / postériorité faiblit et confine à celle de caractérisation, cf. :<br />
(405’),.<br />
Kavabata vozvrašalsja k Serdjuku, vstav u nego za spinoj.<br />
Kawabata – revenait – vers – Serdjuk, – s’étant mis debout – chez – lui –<br />
derrière – dos.<br />
Kawabata revenait vers Serdiouk, s’arrêtant derrière son dos.<br />
(406’) , <br />
.<br />
Mat’ ukladyvala ego v postél’, nakryv blednyj lob polotencem.<br />
Mère – couchait – le – dans – lit, – ayant couvert – pâle – front – (avec)<br />
serviette.<br />
La mère le mettait au lit, lui posant une serviette sur son front pâle.<br />
(407’) ,.<br />
Rošin vlezal na ugol telegi, svesiv nogi nad kolesom.<br />
Rochtchine – grimpait – sur – bord – chariot (de), – ayant pendu – pieds –<br />
au-dessus – roue.<br />
Rochtchine s’installait dans le chariot, les pieds pendant au-dessus de la<br />
roue.<br />
4.5.2.3. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
Le procès du gérondif imperfectif est postérieur au fait du verbe perfectif :<br />
250
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(408) , <br />
(, I : 185).<br />
Najdënov stašil svoju promaslennuju kepku, priglaživaja podnjavšiesja<br />
tormja volosy.<br />
Naïdenov – tira en bas – sa – huilée – casquette, – en lissant – levés –<br />
debout – cheveux.<br />
= Naïdenov essayait de ranger ses cheveux ébouriffés après avoir enlevé<br />
sa casquette imbibée d’huile.<br />
Souvent, la relation gérondivale de postériorité se confond avec la conséquence :<br />
(409) [ ] […] , <br />
(, :<br />
11).<br />
Ippolit Marveevi sel na podušeku, nemnogo vozvyšajas’ nad tremja<br />
svoimi sosluživcami.<br />
[Hippolyte – Matveevitch] – s’assit – sur – coussinet, – un peu – en<br />
dominant – au-dessus – trois – ses – collègues.<br />
= Hippolyte Matveevitch s’assit sur le coussin, dépassant légèrement ses<br />
collègues en hauteur.<br />
4.5.2.4. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
Le procès du gérondif suit le procès unique ou répétitif du verbe :<br />
(408’) ,<br />
.<br />
Najdënov staskival svoju promaslennuju kepku, priglaživaja podnjavšiesja<br />
tormja volosy.<br />
Naïdenov – tirait en bas – sa – huilée – casquette, – en lissant – levés –<br />
debout – cheveux.<br />
Naïdenov enlevait sa casquette imbibée d’huile et essayait de ranger ses<br />
cheveux ébouriffés.<br />
251
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(409’) , <br />
.<br />
On sadilsja na podušeku, nemnogo vozvyšajas’ nad tremja svoimi<br />
sosluživcami.<br />
Il – s’asseyait – sur – coussinet – un peu, – en dépassant – au-dessus –<br />
trois – ses – collègues.<br />
Il s’asseyait sur le coussin, dépassant légèrement ses collègues en<br />
hauteur.<br />
4.5.3. Simultanéité<br />
4.5.3.1. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
L’imperfectif marquant la phase médiane du procès, ces deux combinaisons sont<br />
celles qui expriment le plus aisément la simultanéité entre les actions du verbe et<br />
du gérondif. Du point de vue sémantique et syntaxique, nous distinguons trois<br />
situations : 1) le procès du verbe sert de cadre temporel pour le procès du<br />
gérondif ; 2) le procès du gérondif sert de cadre temporel pour le procès du verbe ;<br />
3) aucun des procès ne sert pour l’autre de cadre temporel, les deux actions se<br />
déroulant sémantiquement sur un pied d’égalité.<br />
1. Le procès du verbe est le cadre temporel pour le procès du gérondif :<br />
(410) , <br />
(, II : 42).<br />
I Fëdor Ivanovi šël so vsemi, obdumyvaja svoju predstojašuju vstreu s<br />
uënym sovetom.<br />
Et – Fiodor – Ivanovitch – marchait – avec – tous, – en réfléchissant – son –<br />
prochain – entretien – avec – scientifique – conseil.<br />
= Et Fiodor Ivanovitch marchait au côté des autres en pensant à son<br />
prochain entretien avec le conseil scientifique.<br />
252
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(411),,<br />
(. ; exemple de<br />
[Akimova, Kozinceva 1987 : 259]).<br />
V poludennom pekle, proklinaya sud’binu i glotaja pyl’, šli grenadërskie i<br />
mušketërskie polki.<br />
Dans – (de) midi – fournaise, – en maudissant – destin – et – en avalant –<br />
poussière, – marchaient – (de) grenadiers – et – mousquetaires –<br />
régiments.<br />
= Des régiments de grenadiers et de mousquetaires avançaient sous un<br />
implacable soleil de midi, maudissant le destin et avalant la poussière.<br />
La relation de simultanéité entre les procès s’accompagne de différents effets<br />
aspectuels (cf. aussi [Akimova, Kozinceva 1987 : 258-259]) : l’un des procès<br />
exprime une action itérative (ou fréquentative) (412), (413), le procès du verbe est<br />
limité dans le temps par des indicateurs temporels (414) et aussi (413) :<br />
(412) , , <br />
(., I : 362).<br />
Matrëna, posverkivaja belozuboj ulybkoj, mesila testo.<br />
Matrena, – en brillant de temps en temps – à dents blanches – sourire<br />
(avec) – pétrissait – pâte.<br />
= Matrena, jetant de temps en temps un sourire éclatant, travaillait la pâte.<br />
(413) , , <br />
, , ( :<br />
121).<br />
On zakryl glaza i, to terjaja soznanie, to snova prixodja v sebja, ležal ešë<br />
pjat’, a možet byt’ desjat’ minut.<br />
Il – ferma – yeux – et, – tantôt – en perdant – connaissance, – tantôt – à<br />
nouveau – en revenant – à – lui, – était allongé – encore – cinq, – et –<br />
peut – être – dix – minutes.<br />
= Il ferma les yeux et, tantôt perdant connaissance, tantôt revenant à lui,<br />
resta par terre encore cinq ou peut-être dix minutes.<br />
253
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(414),,<br />
, […] ( : 138).<br />
S minutu Lukas stojal, obvodja vzgljadom vz’’erošennogo, kak bol’šaja<br />
ptica, Appija.<br />
Environ – minute – Lucas – était debout, – en cernant – regard (avec) –<br />
hérissé, – comme – grand – oiseau, – Appiï.<br />
= Lucas resta une minute environ à regarder des pieds à la tête Appiï, qui<br />
ressemblait à un oiseau herissé.<br />
2. Le procès du gérondif sert de cadre temporel pour le procès du verbe :<br />
(415) , <br />
, ( : 98).<br />
Slušaja po radio etu dramu, Ivan Mixajlovi vspominal smert’ svoego<br />
družka,ekista Peršenko.<br />
En écoutant – à – radio – ce – drame, – Ivan – Mikhaïlovitch – se rappelait<br />
– mort – (de) son – copain, – tchékiste – Perchenko.<br />
= En écoutant ce drame à la radio, Ivan Mikhaïlovitch se souvenait de la<br />
mort de son copain, le tchékiste Perchenko.<br />
(416) , , <br />
(, II : 48).<br />
Fëdor Ivanovi, slušaja Bruzžaka, s issledovatel’skim interesom vnikal v<br />
ego intonacii.<br />
Fiodor – Ivanovitch, – en écoutant – Brouzjak, – avec – (de) chercheur –<br />
intérêt – entrait – dans – ses – intonations.<br />
= En écoutant Brouzjak, Fiodor Ivanovitch examinait avec une curieusité de<br />
chercheur ses intonations.<br />
(417) « ? » – , <br />
(, I : 26).<br />
– « to so mnoj sluilos’? » – dumal on, idja meždu stellažami.<br />
« Que – avec – moi – arriva ? » – pensait – il, – en marchant – entre –<br />
étagères.<br />
= « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? », pensait-il, en circulant entre les étagères.<br />
254
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Dans ce cas, le lien temporel entre les actions est renforcé, la construction<br />
gérondivale équivalant à la subordonnée de temps : <br />
, –<br />
Kogda Ivan Mixalovi slušal, to vspominal smert’ svoego družka – Quand Ivan<br />
Mikhaïlovitch écoutait à la radio ce drame, il se souvenait de la mort de son<br />
copain ; , <br />
– Kogda Fiodor Ivanovi slušal Bruzžaka, to vnikal v ego intonacii –<br />
Quand Fiodor Ivanovitch écoutait Brouzjak, il examinait ses intonations ; <br />
, – Kogda on šël, to dumal – Quand il marchait, il pensait.<br />
Remarquons aussi que, dans cette situation, le gérondif fait partie du « thème » de<br />
l’énoncé, se rapportant aux informations contextuelles déjà évoquées.<br />
On observe également des énoncés où la relation causale se confond avec celle<br />
de caractérisation, le verbe principal décrivant une caractéristique de l’action du<br />
gérondif :<br />
(418) […] , , <br />
, ( : 268).<br />
Golos Il’i Makarovia, kak stal’noj prut, gnulsja i rasprjamljalsja, slavja<br />
tovariša Sidorova.<br />
Voix – (de) Ilia – Makarovitch, – comme – tige – en acier, – se pliait – et –<br />
se redressait, – en glorifiant – camarade – Sidorov.<br />
= La voix d’ilia Makarovitch se pliait et se redressait, telle une tige en acier,<br />
en glorifiant le camarade Sidorov.<br />
(419) […], , <br />
, <br />
(A., I : 20).<br />
On, prošajas’, tak dolgo ostavalsja prižatym k ruke Ekateriny Dmitrievny,<br />
to u neë porozovela spina.<br />
Il, – en faisant ses adieux, – si – longtemps – restait – accolé – à – main –<br />
(de) Ekaterina – Dmitrievna, – que – chez – elle – rosit – dos .<br />
255
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= En faisant ses adieux, il resta si longtemps accroché à la main de<br />
Ekaterina Dmitrievna qu’elle sentit son dos rosir.<br />
3. Les deux procès se déroulent dans le même cadre temporel sans que l’un<br />
englobe l’autre :<br />
(420) , , <br />
[…] (., I : 79).<br />
Raboie, stoja u stankov, stranno pogljadyvali na proxodjašee naal’stvo.<br />
Ouvriers, – étant debout – près de – machines-outils, – étrangement –<br />
jetaient des coups d’œil – sur – supérieurs – passant.<br />
= Les ouvriers, debout près de leurs machines, jetaient des coups d’œil<br />
étranges sur les supérieurs qui passaient.<br />
4.5.3.2. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
Sémantiquement, cette situation prévoit globalement deux interprétations : a) Le<br />
procès du gérondif apparaît comme arrière-plan pour le fait du verbe, autrement<br />
dit le temps du procès inclut le moment où se produit le fait ; b) Le procès du<br />
gérondif se déroule pendant la durée implicite du fait exprimé par le verbe<br />
[Akimova, Kozinceva 1987 : 259].<br />
a) Dans le premier cas, le gérondif précède normalement le verbe :<br />
(421) , , <br />
(, I : 20).<br />
Xoderjaxin, s mukoj gljadja emu v glaza, vystavil vperëd gorški s<br />
kartofel’nymi cvetami.<br />
Khoderiakhine, – avec – souffrance – en regardant – lui – dans – yeux, –<br />
exposa – devant – pots – avec – (de) pomme de terre – fleurs.<br />
= Khoderiahkine, en le regardant dans les yeux avec souffrance, plaça<br />
devant lui les pots de fleurs de pommes de terre.<br />
256
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Le gérondif peut être accompagné par des éléments lexicaux soulignant le<br />
caractère ininterrompu et continu de l'action ( – vsë bolše<br />
i bolše – « de plus en plus », – vsë sil’nee i sil’nee –<br />
« de plus en plus fort », – vsë tak že – « toujours, avec la même<br />
intensité », – vsë ešë – « toujours, encore ») :<br />
(422), […] (.,<br />
I : 142).<br />
Vsë ešë trudno dyša, on opustilsja na stul i sidel nepodvižno.<br />
Tout – encore – difficilement – en respirant – il – se baissa – sur – chaise.<br />
= Continuant à respirer avec difficulté, il s'assit sur une chaise.<br />
(423) –! – ,<br />
( : 104).<br />
Ot vam i nu ! – plaa vsë sil’nee i sil’nee, voskliknula ona.<br />
Voilà – (à) vous – et – ben! – en pleurant – tout – plus fort – et – plus fort, –<br />
s’exclama – elle.<br />
= Et ben voilà ! s'exclama-t-elle, pleurant de plus en plus fort.<br />
Le gérondif exprime la continuité par sa sémantique (, +<br />
inf. – prodolžaja, ne brosaja + inf. – « tout en continuant de faire qch » ; <br />
+ subst. – ne preryvaja + subst. – « sans arrêter de faire qch » :<br />
(424) , , <br />
, […] ( : 140).<br />
Ostorožno zvjaknul telefon, Ivan Mixajlovi, prodolžajaitat’, snjal trubku.<br />
Précautionneusement – sonna – téléphone, – Ivan – Mikhaïlovitch, – en<br />
continuant – lire, – enleva – combiné.<br />
= Le téléphone émit un son hésitant, Ivan Mikhaïlovitch décrocha tout en<br />
continuant sa lecture.<br />
On distingue les énoncés avec le lien temporel renforcé, la construction<br />
gérondivale équivalant à la subordonnée de temps. Dans ce cas, le gérondif peut<br />
se trouver non seulement en préposition (425), (426) mais également en post-<br />
position syntaxique (427), (428) :<br />
257
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(425) , ,<br />
(., I : 401).<br />
Vkladyvaja svežuju paku patronov, Rošin pouvstvoval, to vsë ešë<br />
drožat ruki.<br />
Mettant – frais – paquet – cartouches, – Rochtchine – sentit, – que – tout –<br />
encore – mains – tremblent.<br />
= En rechargeant son arme, Rochtchine sentit que ses mains tremblaient<br />
toujours.<br />
(426) , , <br />
( : 30).<br />
Obxodja vtoruju rotu, Saburov vspomnil togo soldata, s kotorym govoril v<br />
El’tone.<br />
En faisant le tour – (de) deuxième – compagnie, – Sabourov – se rappela –<br />
ce – soldat, – avec – qui – parlait – à – Elton.<br />
= En faisant le tour de la deuxième compagnie, Sabourov se souvint du<br />
soldat avec lequel il avait parlé à Elton.<br />
(427) –, – , ( : 70).<br />
– Tak tono, – otvetil Konjukov, vyxodja.<br />
Cela – exact, – répondit – Konjukov, – en sortant.<br />
= – Affirmatif, répondit Konioukov, en sortant.<br />
(428),,<br />
( : 201).<br />
On nemnogo poboltal so staruxoj v kuxne, dožidajas’, kogda vyjdet Klavdia.<br />
Il – un peu – bavarda – avec – vieille – dans – cuisine, – en attendant –<br />
quand – sortira – Klavdia.<br />
= En attendant Klavdia, il bavarda un peu avec la vieille dans la cuisine<br />
La relation temporelle renforcée, comme nous l’avons observé plus haut, apparaît<br />
lorsque l’action du verbe et celle du gérondif contiennent des liens stéréotypiques<br />
et causaux. Quand le gérondif précéde le verbe, comme en (425) et (426), on<br />
devine un lien causal implicite : le tremblement des mains de Rochtchine a un<br />
258
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
certain lien causal avec le fait qu’il rechargeait son arme ; le souvenir de Sabourov<br />
est sans doute provoqué par le procès faire le tour de la deuxième compagnie.<br />
Dans l’exemple suivant, on observe un lien stéréotypique entre les événements<br />
qui appartiennent au même « univers » de sommeil :<br />
(429), ( : 119).<br />
Uže zasypaja, on zevnul ot blaženstva.<br />
Déjà – en s’endormant, – il – bâilla – de – béatitude.<br />
= Déjà presque endormi, il bâilla béatement.<br />
Quand le gérondif suit le verbe, comme en (427), (428), on a affaire à la situation<br />
où le procès du gérondif sert d’arrière-plan au fait exprimé par le verbe.<br />
Quant aux énoncés ci-dessous, on y décèle un lien causal implicite entre les<br />
événements, le verbe régissant exprimant une réaction émotionnelle (430), (431)<br />
ou physique (432) par rapport à l’action du gérondif :<br />
(430) , , <br />
(., I : 103).<br />
Nikolaj Ivanovi, gljadja na Dašu, podvypil i zagrustil.<br />
Nikolaï – Ivanovitch – en regardant – sur – Dacha, – but un peu – et –<br />
devint triste.<br />
= En regardant Dacha, Nikolaï Ivanovitch but un coup et devint triste.<br />
En (430), on suppose un lien de cause à effet : Nikolaï Ivanovitch but un coup et<br />
devint triste parce qu’il regardait Dacha. Il y avait quelque chose en Dacha qui<br />
forçait Nikolaï Ivanovitch à boire et à devenir triste.<br />
(431), (., I : 95).<br />
Slušaja, Daša tixon’ko naala smejat’sja.<br />
En écoutant, – Dacha – tout doucement – commença – rire.<br />
= En l’écoutant, Dacha se mit à rire tout doucement.<br />
Ici, on suppose que Dacha riait parce qu’il y avait quelque chose de drôle dans ce<br />
qu’elle écoutait.<br />
259
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(432) […], ,<br />
( : 56).<br />
Milicioner, dožidajas’ ego zdes’ na moroznom vetru, posinel.<br />
Milicien, – en attendant – le – ici – sous – froid – vent, – devint bleu.<br />
= Le milicien qui l’attendait dehors sous le vent glacial devint bleu de froid.<br />
Enfin, en (432), il est évident que le milicien est devenu bleu de froid parce qu’il<br />
était resté trop longtemps dehors sous le vent glacial.<br />
b) Dans ce cas donc le procès (gérondif en post- ou préposition syntaxique) se<br />
déroule pendant le fait (verbe), lequel sous-entend alors une certaine durée avant<br />
d’atteindre sa limite. Il est possible de discerner certaines régularités aspectuelles<br />
(cf. aussi [Akimova, Kozinceva 1987 : 259- 260]).<br />
b1) Le procès du gérondif imperfectif accompagne la durée implicite du fait<br />
exprimé par un verbe imperfectif de mode ingressif :<br />
(433) <br />
, […] (, I : 98).<br />
Fëdor Ivanovi podnjalsja na vtoroj etaž i pošël po polutëmnomu koridoru,<br />
divjas’ ego forme.<br />
Fiodor – Ivanovitch – monta – à – deuxième – étage – et – se mit à<br />
marcher – dans – semi-obscur – couloir, – en s’étonnant – (de) sa forme.<br />
= Fiodor Ivanovitch monta au premier étage et s’enfonça dans un couloir<br />
obscur, surpris par sa forme.<br />
(434) <br />
, […] (, I : 101).<br />
On brosil sigaru v more i stal spuskat’sja po lestnice na bereg, vertja<br />
serebrjanoj trost’ju.<br />
Il – jeta – cigare – dans – mer – et – se mit – descendre – par – escalier –<br />
sur – côte, – en tournant – argentée – canne .<br />
= Il jeta le cigare dans la mer et se mit à descendre l’escalier qui menait<br />
vers la côte, tournant sa canne argentée.<br />
260
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
b2) Le verbe principal exprime un fait qui a atteint son résultat (mode<br />
d’action à résultativité générale), le gérondif exprimant un procès simultané à la<br />
durée implicite de ce fait :<br />
(435),<br />
(., I : 346).<br />
Kornilov široko perekrestilsja, carapaja nogtëm mizinca po zaskoruzlomu<br />
polušubku.<br />
Kornilov – largement – se signa, – en grattant – (avec) ongle – (de)<br />
auriculaire – sur – calleux – manteau court.<br />
= Kornilov fit un large signe de croix, l’ongle de son petit doigt grattant le<br />
manteau calleux.<br />
Faisons observer que la relation gérondivale en (435) flirte avec la caractérisation<br />
car on peut interpréter le procès du gérondif non comme un événement à part<br />
mais comme une caractéristique, décrivant la manière dont se déroule l’action<br />
principale.<br />
(436) , ,<br />
, (, I ;<br />
31).<br />
On postojal pered portretom, izuaja usatoe i brovastoe, serditoe lico,<br />
kepku i ërnye oki nad kozyr’kom.<br />
Il – resta debout un moment – devant – portrait, – en étudiant –<br />
moustachu – et – sourcilleux, – mécontent – visage, – casquette – et –<br />
noires – lunettes – au-dessus – visière.<br />
= Il resta un moment devant le portrait, étudiant ce visage mécontent,<br />
moustachu et sourcilleux, la casquette et les lunettes noires au-dessus de<br />
la visière.<br />
(437) , <br />
, <br />
(, I : 116).<br />
261
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Xozjain v tri šaga obežal po komnate krug, pospešno sobiraja v odno mesto<br />
na stol predmety, ostavlennye utrom gde popalo.<br />
Propriétaire – en – trois – pas – parcourut – à travers – pièce – rond, –<br />
hâtivement – en ramassant – dans – seul – endroit – sur – table – objets –<br />
laissés – matin – où (ça) tomba.<br />
= Le propriétaire parcourut la pièce en trois pas, en mettant hâtivement<br />
dans un seul endroit, sur la table, les objets laissés le matin un peu<br />
n’importe où.<br />
(438) , , <br />
,,<br />
(, I : 78).<br />
V kajute Ivan Il’i prosidelasa tri, pridumyvaja, kak objasnit' Daše svoj, po<br />
ego ponimaniju, pošlyj i navjazivyj postupok.<br />
Dans – cabine – Ivan – Illitch – resta assis un moment – heures – trois, – en<br />
inventant, – comment – expliquer – (à) Dacha – son, – selon – sa –<br />
compréhension, – vulgaire – et – importun – acte.<br />
= Ivan Ilitch resta environ trois heures dans sa cabine à réfléchir comment<br />
expliquer à Dacha son acte qui lui semblait vulgaire et importun.<br />
Quant aux énoncés (436), (437) et (438), l’interprétation temporelle de la relation<br />
gérondivale peut aussi être enrichie d’une lecture causale, à savoir de la relation<br />
de but : Il resta un moment devant le portrait pour étudier le visage mécontent ; Le<br />
propriétaire parcourut la pièce pour mettre les objets dans un seul endroit ; Ivan<br />
Illitch resta dans sa cabine pour réfléchir.<br />
4.5.3.3. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Dans ces combinaisons, il s’agit de la simultanéité de l’état résultant (gérondif<br />
perfectif à valeur de parfait) et du procès principal (verbe imperfectif) [Akimova,<br />
Kozinceva 1987 : 260].<br />
262
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Les gérondifs à valeurs de parfait sont généralement formés des verbes<br />
intransitifs ou des verbes transitifs à objet possessif ( – opustit’<br />
glaza – « baisser les yeux ») qui désignent l’état du sujet, perdurant pendant<br />
l’action principale. Nous présentons ci-dessous quelques groupes sémantiques de<br />
verbes engendrant des gérondifs à valeur de parfait (cf. aussi [Akimova,<br />
Kozinceva 1987 : 260-261].<br />
a) Expression du visage ( – naxmurit’sja – « se renfrogner »,<br />
– smoršit’sja – « faire une grimace », –<br />
prišurit’sja – « plisser les yeux ») :<br />
(439),, ( : 124).<br />
Žmakin, prišurivšis’, gljadel na Balagu.<br />
Jmakin – ayant plissé les yeux – regardait – sur – Balaga.<br />
= Jmakine, les yeux plissés, regardait Balaga.<br />
(440),,,<br />
(., I : 324).<br />
Katja, vsja smoršivšis’, gljadela to na muža, to na Tet’kina.<br />
Katia – toute – ayant fait une grimace – regardait – tantôt – sur – mari –<br />
tantôt – sur – Tetkine.<br />
= Katia, toute grimaçante, jetait des regards tantôt sur son mari, tantôt sur<br />
Tetkine.<br />
b) La disposition ou le mouvement du sujet (du corps et / ou de ses parties)<br />
dans l’espace.<br />
Verbes intransitifs<br />
– vyprjamit’sja – « se redresser » ;<br />
– vytjanut’sja – « s’allonger » ;<br />
– navalit’sja – « s’écrouler, s’appuyer (de tout son poids) » ;<br />
– nagnut’sja – « se pencher » ;<br />
– obernut’sja – « se retourner » ;<br />
263
– ostat’sja – « rester » ;<br />
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
– otvernut’sja – « tourner la tête » ;<br />
– otkinut’sja – « se rejeter en arrière » ;<br />
– peregnut’sja – « se pencher au-dessus de… » ;<br />
– povernut’sja – « tourner le dos, faire un demi-tour » ;<br />
– podboenit’sja – « mettre les mains sur les hanches » ;<br />
– pridvinut’sja – « s’approcher, se rapprocher » ;<br />
– primostit’sja – « se mettre dans un endroit, se percher, se<br />
caser » ;<br />
– pripodnjat’sja – « se soulever » ;<br />
– prisest’ – « s’asseoir pour un moment, s’accroupir » ;<br />
– pritknut’sja – « se caser, se mettre dans un endroit » ;<br />
– razvalit’sja – « s’avachir, être assis d’une façon négligente » ;<br />
– raskinut’sja – « s’étaler, s’étendre » ;<br />
– sognut’sja – « se plier » ;<br />
– sojtis’ – « se rapprocher » ;<br />
– ugnezdit’sja – « se percher, s’installer confortablement dans un<br />
endroit », etc. :<br />
(441) , <br />
(., I : 242).<br />
Esaul s krivoj usmeškoj slušal ego, razvaljas’ v sedle.<br />
Capitaine de cosaques – avec – dédaigneux – sourire – écoutait – le, –<br />
s’étant négligemment assis – dans – selle.<br />
= Le capitaine l’écoutait avec un sourire dédaigneux, assis négligemment<br />
sur sa selle.<br />
264
Verbes transitifs<br />
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
– vytjanut’ šeju – « tirer le cou » ;<br />
– naklonit’ golovu – « baisser la tête » ;<br />
– opustit’ glaza – « baisser les yeux » ;<br />
– otkryt’ rot – « ouvrir la bouche » ;<br />
– pripodnjat’ brovi – « relever les sourcils » ;<br />
– protjanut’ ruki – « tendre les bras » ;<br />
– sžat’ zuby – « serrer les dents » ;<br />
– složit’ ruki – « croiser les bras » ;<br />
() – stisnut’ zuby (ruki) – « serrer les dents (les mains) » ;<br />
– scepit’ pal’cy – « entrelacer, croiser les doigts », etc. :<br />
(442) , [] – <br />
, ( : 53).<br />
Da i pervyj, matëryj [volk] ešë ne byl ubit – on bilsja i gryz sneg, vyvernuv<br />
šeju.<br />
Mais – et – premier – [loup] – encore – ne – était – tué – il – se débattait –<br />
et – rongeait – neige, – ayant tordu – cou.<br />
= Et même le premier, le gros, n’était pas encore mort – il se débattait en<br />
rongeant de la neige, le cou retourné.<br />
(443), (., I : 356).<br />
Generaly slušali, opustiv glaza.<br />
Généraux – écoutaient, – ayant baissé – yeux.<br />
= Les généraux écoutaient, les yeux baissés.<br />
(444) , <br />
, <br />
(., I : 270).<br />
265
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Klavdija Ivanovna, s utra podrisovav sebe brovi i nadev parik voronova<br />
kryla, sadilas’ raskladyvat’ pas’jans.<br />
Klavdia – Ivanovna, – dès – matin – ayant dessiné – (à) soi – sourcils – et –<br />
ayant mis – perruque – (de) corbeau – aile, – s’asseyait – disposer –<br />
patience.<br />
= De bon matin, Klavdia Ivanovna, les sourcils dessinés et une perruque<br />
noire comme du jais sur la tête, se mettait à faire des réussites.<br />
c) Changement de l’état physique et / ou moral :<br />
– vosplamenit’sja – « s’enflammer » ;<br />
– vyspat’sja – « dormir bien et suffisamment » ;<br />
– « perdre conscience, se plonger dans ses pensées, dans ses<br />
rêves » ;<br />
– « se mettre sur ses gardes, prêter l’oreille » ;<br />
– nasupit’sja – « se renfrogner » ;<br />
– onut’sja – « revenir à soi » ;<br />
– podobrat’sja – « se contracter, se crisper » ;<br />
– ponurit’sja – « s’affaisser, se courber » ;<br />
– pokrasnet’ – « rougir » ;<br />
– prigotovit’sja – « se mettre en attente » ;<br />
– razomlet’ – « s’amollir, se détendre, se relaxer » ;<br />
– uglubit’sja v sebja – « se plonger dans ses pensées » ;<br />
– uspokoit’sja – « se calmer, se rassurer », etc.<br />
(445) , , (,<br />
I : 26).<br />
Elena Vladimirovna, porozovev, smotrela v upor.<br />
Elena – Vladimirovna, – ayant rosi, – regardait – dans – point.<br />
= Elena Vladimirovna, toute rosissante, le regardait fixement.<br />
266
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(446) , <br />
( : 224).<br />
Ves’ podobravšis’, Samson Popënkin proboval napravit’ svoë jasnovidenie<br />
v odnu toku.<br />
Tout – s’étant contracté, – Samson – Popenkine – essayait – diriger – sa –<br />
clairvoyance – dans – seul – point.<br />
= Samson Popenkine, extrêmement concentré, essayait de focaliser sa<br />
clairvoyance en un seul point.<br />
(447) , <br />
(, I : 44).<br />
Uglubivšis’ v sebja, on dyšal s nutrjanym ozaboennym sopeniem.<br />
Plongé – dans – soi, – il – respirait – avec – (de) tripes – préoccupé –<br />
reniflement.<br />
= Absorbé par ses réflexions, il émettait, en respirant nerveusement, un<br />
bruit caverneux.<br />
4.5.3.4. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Compte tenu de la valeur du perfectif, ces combinaisons expriment difficilement la<br />
simultanéité et pour que cette valeur se réalise il faut que le contexte présente de<br />
fortes contraintes capables de modifier le comportement du perfectif :<br />
(448),…<br />
On skazal, pogljadev pri etom na neë…<br />
Il – dit, – ayant jeté un regard – pendant – cela – sur – elle…<br />
= Il dit, en lui jetant un regard…<br />
(449),…<br />
Pogljadev na neë, on pri etom skazal…<br />
Ayant jeté un regard – sur – elle, – il – pendant – cela – dit…<br />
= En lui jetant un regard, il dit…<br />
267
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5.4. Relations temporelles non ordonnées<br />
La relation temporelle non ordonnée entre le verbe et le gérondif se réalise dans<br />
les combinaisons suivantes.<br />
4.5.4.1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif<br />
Dans ce cas, le gérondif peut exprimer la valeur de parfait ou la valeur d’aoriste<br />
(cf. [Akimova, Kozinceva 1987 : 263]).<br />
Le gérondif à valeur de parfait exprime l’état résultant qui apparaît pendant la<br />
durée implicite de l’action principale :<br />
(450) , <br />
(., I : 404).<br />
Naštaba vyslušal zameanie mola, opustiv golovu.<br />
Chef de l’état-major – écouta – remarque – en silence, – ayant baissé –<br />
tête.<br />
= Le chef de l’état-major écouta la remarque en silence, la tête baissée.<br />
(451) –, – , […] ( : 214).<br />
– Klavdja, – skazal on, opjat’ otkryv glaza.<br />
Klavdia – dit – il, – à nouveau – ayant ouvert – yeux.<br />
= – Klavdia, dit-il, les yeux ouverts de nouveau.<br />
Le gérondif à valeur d’aoriste indique un fait concomitant au fait du verbe principal.<br />
Il est impossible d’inférer la relation chronologique exacte, l’action du gérondif<br />
pouvant se produire avant, après ou en même temps que l’action du verbe :<br />
(452) – , – , <br />
(, I : 58).<br />
– Treplo, – prošipela Tumanova, udariv kulakom s perstnjami po poduške.<br />
Fanfaron – cracha – Toumanova – ayant frappé – (avec) petit poing –<br />
avec – bagues – sur – oreiller.<br />
268
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= – Minable fanfaron, cracha Toumanova, frappant l’oreiller avec son petit<br />
poing serti de bagues.<br />
(453) – , – , <br />
( : 46).<br />
– Izvinité, – skazal Lapšin, slegka dotronuvšis’ rukoj v peratke do kon’kov<br />
junoši.<br />
Pardon – dit – Lapchine, – doucement – ayant touché – (avec) main –<br />
dans – gant – à – patins – (de) jeune homme.<br />
= – Excusez-moi, dit Lapchine, effleurant avec sa main gantée les patins du<br />
jeune homme.<br />
Contrairement aux énoncés (452) et (453) qui tolèrent la simultanéité, il y a<br />
également des énoncés où les actions du verbe et du gérondif sont en relation<br />
d’exclusion mutuelle. La simultanéité est donc évincée sans qu’on puisse inférer<br />
pour autant l’ordre exact entre les événements :<br />
(454) – , – , (,<br />
II : 4).<br />
– On vsë uspevaet, – zametil akademik, xixiknuv.<br />
Il – tout – a le temps de faire – remarqua – académicien, – ayant pouffé.<br />
= – Il a le temps de tout faire, remarqua l'académicien en ricanant.<br />
(455) – , – , , – <br />
(., I : 278).<br />
– Esli ne proizojdët uda, – skazal on, pokašljav, – to my pogibli.<br />
Si – ne – se produira – miracle – dit – il – ayant toussé – alors – nous –<br />
mourûmes.<br />
= – Si un miracle ne se produit, dit-il en toussant, on est mort.<br />
En effet, si en (452), (453), l’action du gérondif peut servir d’arrière-plan à l’action<br />
du verbe, en (454), (455) une telle interprétation est exclue, le fait exprimé par le<br />
gérondif se produisant avant ou après le fait du verbe.<br />
269
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
On peut interpréter comme indétermination temporelle la relation qui s’établit entre<br />
le verbe et le gérondif dans l’énoncé avec le sujet au pluriel. Le lien chronologique<br />
entre les événements est compris comme concomitance de plusieurs actes<br />
verbals et gérondivals dans le même cadre temporel :<br />
(456) - <br />
, , <br />
(., I : 86).<br />
No otkuda-to sboku xlopnul etvërtyj revol’vernyj vystrel, i poletelo neskol’ko<br />
kamnej, udarivšis’ o železo.<br />
Mais – (de) quelque part – à côté – claqua – quatrième – (de) revolver –<br />
coup, – et – se mit à voler – plusieurs – pierres, – ayant cogné – contre –<br />
fer.<br />
= Mais quelque part à côté claqua un quatrième coup de revolver en faisant<br />
s’envoler quelques pierres qui cognèrent contre la ferraille.<br />
4.5.4.2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif avec négation<br />
Certains linguistes définissent comme indétermination temporelle la relation qui<br />
unit, dans l’énoncé, le verbe perfectif et le gérondif imperfectif avec négation en<br />
post-position [Odincova 1974 ; Akimova, Kozinceva 1987 : 263].<br />
(457) – , – , <br />
( : 162).<br />
– Ne podpišu, – skazal Procenko, ne podnimaja golovy.<br />
Ne – (je) signerai – dit – Procenko, – ne – levant – tête.<br />
= – Je ne signerai pas, dit Protsenko sans lever la tête.<br />
(458) , (Exemple de<br />
[Akimova, Kozinceva 1987 : 263]).<br />
On prisel na stul, ne snimaja pal’to i šljapy.<br />
Il – s’assit – sur chaise, – ne – enlevant – manteau – et – chapeau.<br />
Il s’assit sur une chaise sans enlever son manteau ni son chapeau.<br />
270
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
4.5.4.3. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
(E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
Il s’agit, dans ce cas, des actes répétés exprimés par le verbe qui coexistent dans<br />
le même cadre temporel avec les actes répétés du gérondif :<br />
(459),,<br />
« » ( ) <br />
: « ? » ( : 244).<br />
V etot den’ v grade Kitjaže znakomyj, vstreaja znakomogo, posle<br />
« zdravstvujte » (inogda daže vmesto) neterpelivo sprašival : « A vy<br />
itali ? »<br />
En – ce – jour – dans – ville – Kitej – connaissance, – en rencontrant –<br />
connaissance, – après – bonjour – (parfois – même – (au lieu)) –<br />
impatiemment – demandait : – « Et – vous - lisiez ? »<br />
= Ce jour-là, dans la ville de Kitej, les gens en rencontrant quelqu’un qu’ils<br />
connaissaient, après le bonjour (parfois même à la place) lui demandaient :<br />
« Avez-vous lu ? »<br />
Dans les exemples suivants, la répétition des actions est explicitée par des<br />
moyens lexicaux, en (460), l’adverbe asto – « souvent ») ou lexico-<br />
grammaticaux, en (461), la conjonction li… li – « ou… ou », la construction net-<br />
net da i + passé imperfectif – « tantôt, de temps en temps ») :<br />
(460),,<br />
, (., I : 221).<br />
V nonye dežurstva Ivan Il’iasto, podxodja k Rublëvym, slušal, kak otec i<br />
syn zavodili spory.<br />
En – (de) nuit – services – Ivan – Ilitch – souvent, – en s’approchant – de –<br />
(les) Roublev, – écoutait, – comment – père – et – fils – commençaient –<br />
discussions.<br />
= Quand il était de service de nuit, Ivan Ilitch, s’approchant des Roublev,<br />
écoutait souvent les discussions entre le père et le fils.<br />
271
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(461),,-<br />
, (., I : 367).<br />
Ubiraja li kuski, stavja li misku s novoj edoj, Matrëna net-net da i kasalas’<br />
ego to rukoj, to grud’ju.<br />
En ramassant – ou – morceaux, – en mettant – ou – assiette – avec –<br />
nouvelle – nourriture, – Matrena – non-non – mais – et – touchait – le –<br />
tantôt – (avec) main, – tantôt – (avec) poitrine.<br />
= En débarrassant ou en mettant sur la table un nouveau plat, Matrena<br />
l’effleurait comme par hasard tantôt avec sa main, tantôt avec sa poitrine.<br />
4.6. Relations causales<br />
La relation temporelle entre le gérondif et le prédicat principal peut être effacée au<br />
profit de la relation de causalité. On distingue six types de causalité : cause, but,<br />
conséquence, condition, concession et temps.<br />
4.6.1. Cause<br />
Dans les énoncés où l’action principale est conditionnée par l’action secondaire,<br />
s’emploient souvent les gérondifs perfectifs et imperfectifs formés des verbes<br />
appartenant aux groupes sémantiques suivants :<br />
a) Les verbes désignant le changement d’état émotionnel ou psychique du sujet<br />
( – obradovat’sja – « se réjouir » ; –<br />
rasserdit’sja – « se fâcher » ; – rasterjat’sja – « se<br />
décontenancer » ; – rešit’sja – « se décider » ; –<br />
spoxvatit’sja – « se ressaisir » ; – uvle’sja – « se passionner pour »,<br />
etc. ) :<br />
(462), […] (, I : 6).<br />
Tut že spoxvativšis’, on otvernulsja.<br />
Ici – même – s’étant ressaisi, – il – se détourna.<br />
= Ressaisi immédiatement, il détourna la tête.<br />
272
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
b) Les verbes mentaux et de perception ( – videt’ – « voir » ;<br />
– dumat’ – « penser » ; – znat’ – « savoir » ; –<br />
podozrevat’ – « soupçonner » ; – ponimat’ – « comprendre » ;<br />
– sitat’ – « croire, penser » ; – ubedit’sja – « se<br />
convaincre » ; – uvidet’ – « voir » ; – uslyšat’ –<br />
« entendre », etc.) :<br />
(463),,<br />
( : 84).<br />
Saburov, ponjav eto kak priglašenie sledovat’ za nim, tože vošël.<br />
Sabourov, – ayant compris – cela – comme – invitation – suivre – après –<br />
lui, – aussi - entra.<br />
= Ayant compris cela comme invitation à le suivre, Sabourov entra aussi.<br />
c) Les verbes d’état émotionnel ( – bojat’sja – « avoir peur » ;<br />
– ispytyvat’ trevogu – « être inquiet, angoissé » ;<br />
– opasat’sja – « craindre » ; –<br />
uvstvovat’ nelovkost’ – « être mal à l’aise », etc.) :<br />
(464) , , <br />
[…] ( : 96).<br />
I, pitaja neprijazn’ k lišnim razgovoram, Saburov prosto skazal.<br />
Et – en nourrissant – aversion – envers – superflues – conversations, –<br />
Sabourov – simplement – dit.<br />
= Et, nourrissant une aversion pour les conversations inutiles, Sabourov, dit<br />
simplement […].<br />
(465) , , , <br />
( : 44).<br />
Petja,uvstvuja,to emu ne otvertet’sja, rešil priznat’sja.<br />
Petia, – en sentant, – que – (à) lui – ne – échapper, – décida – avouer.<br />
= Pétia, sentant qu’il ne pouvait pas y échapper, décida de tout avouer.<br />
d) Les verbes d’intention ( – nadejat’sja – « espérer, attendre » ;<br />
– namerevat’sja – « avoir l’intention », etc.) :<br />
273
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(466),,<br />
, - <br />
( : 16).<br />
Vas’ka prosypalsja ot krika, no ne podaval priznakov žizni, nadejas’, to<br />
kak-nibud’ obojdëtsja bez nego i emu ne pridëtsja vstavat’.<br />
Vasska – se réveillait – de – cri, – mais – ne – donnait – signes – (de) vie, –<br />
en espérant – que – comment n’importe – (il) se passera – sans – lui – et –<br />
à lui – ne – arrivera – se lever.<br />
= Les cris réveillaient Vasska, mais il ne bougeait pas, en espérant que,<br />
d’une manière ou d’une autre, on se passerait de lui et qu’il ne serait pas<br />
obligé de se lever.<br />
(467) , <br />
(., I : 338).<br />
Sejas on vertelsja u kryl’ca, iša sluaja poprosit’sja v peredovuju zastavu.<br />
Maintenant – il – tournait autour – près de – perron, – en cherchant –<br />
occasion – demander d’être pris – dans - d’avant-garde – pointe.<br />
= En ce moment, il tournait autour de l’entrée, cherchant une occasion de<br />
demander la permission d’être pris dans la pointe d’avant-garde.<br />
La relation de cause se réalise également dans les situations où le gérondif est la<br />
source d’un état émotionnel exprimé par le verbe :<br />
(468) , <br />
(., I : 78).<br />
No obojdja krugom palubu i ne najdja Daši, Ivan Il’i vzvolnovalsja.<br />
Mais – ayant fait le tour – autour de – pont – et – ne – ayant trouvé –<br />
Dacha, – Ivan – Ilitch – s’inquiéta.<br />
= Après avoir fait tout le tour du pont sans trouver Dacha, Ivan Ilitch se<br />
sentit inquiet.<br />
Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, plusieurs énoncés manifestent à la<br />
fois une relation temporelle et causale, cf. aussi :<br />
274
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(469) , , <br />
( : 129).<br />
Uslyšav šagi, on sdelal dviženie,toby otstranit’sja.<br />
Ayant entendu – pas, – il – fit – mouvement, – pour – se détacher.<br />
= Entendant le bruit des pas, il eut un mouvement pour se détacher d’elle.<br />
(470) , <br />
(, I : 116).<br />
Fëdor Ivanovi vzdrognul, uvidev ego ustaluyu xudobu i rešimost’.<br />
Fiodor – Ivanovitch – tressaillit, – ayant vu – sa – fatiguée – maigreur et –<br />
détermination.<br />
= Fiodor Ivanovitch tressaillit, voyant sa maigreur causée par la fatigue et<br />
sa détermination.<br />
Du point de vue aspectuel, plusieurs configurations sont possibles :<br />
1. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif et (E1) Verbe perfectif + (E2)<br />
Gérondif perfectif. Le fait principal est causé par le fait secondaire (le gérondif est<br />
souvent marqué par la valeur de parfait) qui suit immédiatement l’action<br />
principale :<br />
(471), ( : 11).<br />
Podvernuv pri pryžke nogu, on vyrugalsja.<br />
Ayant foulé – pendant – saut – pied, – il – jura.<br />
= Parce qu’il venait de se fouler le pied en sautant, il lança une injure.<br />
(472) , <br />
(, I : 19).<br />
Uvidev ego v dverjax, Ekaterina Dmitrievna zalilas’ jarkoj kraskoj.<br />
Ayant vu – le – dans – porte, – Ekaterina – Dmitrievna – se remplit – (de)<br />
vive – couleur.<br />
= En le voyant dans la porte, Ekaterina Dmitrievna devint toute rouge.<br />
(473) , <br />
(, I : 25).<br />
275
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Odin tol’ko raz on kak by prosnulsja, uslyšav znakomuju familiju.<br />
Une – seulement – fois – comme – si – s’éveilla, – ayant entendu –<br />
familier – nom.<br />
= Il semblait ne s’être éveillé qu’une fois : lorsqu’il entendit un nom familier.<br />
2. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif et (E1) Verbe imperfectif +<br />
(E2) Gérondif perfectif<br />
Le procès exprimé par le verbe imperfectif est causé par le fait du gérondif<br />
perfectif :<br />
(474),<br />
.<br />
Proigrav vse den’gi v karty, on naxodilsja teper’ v krajnej nužde.<br />
Ayant perdu – tout – argent – à – cartes, – il – se trouvait – maintenant –<br />
dans – extrême – besoin.<br />
= Après avoir perdu tout son argent en jouant aux cartes, il se trouvait dans<br />
un extrême besoin.<br />
(474’) O,<br />
.<br />
On naxodilsja teper’ v krajnej nužde, proigrav vse den’gi v karty.<br />
Il – se trouvait – maintenant – dans – besoin – extrême, – ayant perdu –<br />
tout – argent – à cartes.<br />
Il se trouvait dans un extrême besoin parce qu’il avait perdu tout son argent<br />
aux cartes.<br />
3. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif et (E1) Verbe perfectif + (E2)<br />
Gérondif imperfectif<br />
Dans le premier cas, le fait principal se déroule à cause du procès secondaire. Ce<br />
dernier apparaît comme arrière-plan pour l’action du verbe :<br />
276
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(475) , <br />
( : 138).<br />
uvstvuja golovokruženie, on nemnogo posidel u kalitki.<br />
Sentant – vertiges, – il – un peu – resta assis un moment – près de –<br />
portillon.<br />
= Comme sa tête tournait, il resta assis un moment près du portillon.<br />
Dans le second cas, le procès du gérondif (cause) se déroule pendant le laps de<br />
temps occupé par la durée implicite du fait principal (conséquence). La valeur<br />
causale est moins manifeste que dans l’énoncé avec le gérondif prépositif :<br />
(475’) O,.<br />
On nemnogo posidel u kalitki, uvstvuja golovokruženie.<br />
Il – un peu – resta assis un moment – près de – portillon, – en sentant –<br />
vertiges.<br />
Il resta assis un moment près du portillon, sentant sa tête tourner.<br />
4. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif et (E1) Gérondif<br />
imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
Le procès principal se déroule à cause et en même temps que le procès<br />
secondaire :<br />
(476) […] , ,<br />
(. ; exemple emprunté à<br />
Akimova et Kozinceva [Akimova, Kozinceva 1987 : 270]).<br />
Tol’ko Obnoskin slegka ulybalsja, predvidja gonku, kotoruju zadadut djade.<br />
Seulement – Obnoskine – légèrement – souriait – prévoyant –réprimande –<br />
que – (on) imposera – (à) oncle.<br />
= […] seulement Obnoskine souriait légèrement, prévoyant le savon qu’on<br />
passerait à l’oncle.<br />
277
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
L’imparfait peut signifier un procès répété, cf. l’énoncé (477) où le procès<br />
principale itératif se produit à cause du procès secondaire répétée :<br />
(477),, ( : 16).<br />
Ženšina, pugajas’, vešala trubku.<br />
Femme – prenant peur – raccrochait – combiné.<br />
= De peur, la femme raccrochait chaque fois.<br />
4.6.2. Conséquence<br />
Le gérondif en post-position est également capable d’exprimer la conséquence (le<br />
résultat) provoquée par l’action du verbe principal. Les situations aspectuelles<br />
suivantes sont envisageables :<br />
1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif :<br />
(478) […] , <br />
(., I : 396).<br />
Telegin so vzdoxom lëg na kojku, zaskripev pružinami.<br />
Teleguine – avec – soupir – s’allonga – sur – lit, – ayant fait grincer –<br />
ressorts .<br />
= Soupirant, Teleguine s’allonga dans le lit dont les ressorts grincèrent.<br />
(479) […] , <br />
( : 13).<br />
Tolpa somknulas’, skryv uitelja ot uenikov.<br />
Foule – se ferma, – ayant caché – maître – de – élèves.<br />
= La foule serra ses rangs, cachant le maître de ses élèves.<br />
2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif. La relation gérondivale de<br />
conséquence se combine alors avec celle de caractérisation :<br />
(480) , <br />
( : 156).<br />
278
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Saburov pridvinulsja vplotnuju k samomu radio, tesnja pleom Vanina.<br />
Sabourov – s’approcha – tout près – de – même – radio, – en pressant –<br />
(avec) épaule – Vanine.<br />
= Sabourov s’approcha tout près de la radio, touchant Vanine avec son<br />
épaule.<br />
3. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif :<br />
(481), ( :<br />
77).<br />
Oni ešë dolgo prerekalis’ mešaja Lapšinu itat’.<br />
Ils – encore – longtemps – se chicanaient, – en empêchant – Lapchine –<br />
lire.<br />
4.6.3. But<br />
Ils se sont chicanés encore longtemps, empêchant Lapchine de lire.<br />
Dans les énoncés avec la relation gérondivale de but, les valeurs sémantiques du<br />
verbe et du gérondif en post-position se combinent de la sorte que ce dernier<br />
exprime une intention du locuteur liée à l’action principale. Ainsi, par exemple, le<br />
verbe principal peut désigner un discours ( – govorit’ – « parler » ;<br />
– kriat’ – « crier » ; – šeptat’ – « murmurer », etc.), le<br />
gérondif indiquant une intention du locuteur attachée à ce discours ( –<br />
izvinjajas’ – « en s’excusant » ; – obvinjaja – « en accusant » ; <br />
– prosja prošenija – « en demandant pardon » ; –<br />
soglašajas’ – « en consentant », etc.) :<br />
(482) , , <br />
, - (. ,<br />
I : 155).<br />
Ekaterina Dmitrievna rešilas’, nakonec, pogovorit’ s mužem, prosja pristroit’<br />
eë na kakoe-nibud’ delo.<br />
279
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Ekaterina – Dmitrievna – se décida – enfin – parler – avec – mari, – en<br />
demandant – placer – la – à – un – travail.<br />
= Ekaterina Dmitrievna se décida enfin à parler à son mari pour lui<br />
demander de lui trouver un travail.<br />
Les gérondifs sont formés des verbes susceptibles d’exprimer une intention<br />
( – iskat’ – « chercher » ; – gotovit’sja – « se préparer<br />
à… » ; – presledovat’ – « suivre » ; – probovat’ –<br />
« essayer » ; – pytat’sja – « tenter » ; – rassityvat’<br />
– « compter sur » ; – skryvat’ – « cacher » ; –<br />
sobirat’sja – « se préparer, avoir l’intention » ; – spasat’sja – « se<br />
sauver » ; – starat’sja – « s’appliquer » ; –<br />
straxovat’sja – « s’assurer » ; – stremit’sja – « aspirer à…, tendre<br />
à… », etc.) :<br />
(483),<br />
, (., I : 23)<br />
Daša neskol’ko raz pro sebja povtorila etu frazu, starajas’ ponjat’, to ona<br />
oznaaet.<br />
Dacha – plusieurs – fois – en – soi – répéta – cette – phrase, – en<br />
s’efforçant – comprendre – que – elle – signifie.<br />
= Dacha répéta cette phrase plusieurs fois dans sa tête, en s’efforçant de<br />
comprendre ce qu’elle signifiait.<br />
(484), (, I : 116).<br />
On povël po stene rukoj, iša vykljuatel’.<br />
Il – glissa – sur – mur – (avec) main, – en cherchant – interrupteur.<br />
= Il glissa sa main le long du mur, cherchant un interrupteur.<br />
Nous avons observé les combinaisons aspectuelles suivantes :<br />
1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif :<br />
(485) […] , <br />
, <br />
( : 42).<br />
280
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Saburov pozvonil po telefonu snaala Maslennikovu, a potom Gorienko,<br />
predupreždaja ix o gotovjašejsja atake.<br />
Sabourov – appela – à – téléphone – d’abord – Maslennikov, – et –<br />
ensuite – Gorienko, – en prévenant – les – de – attaque – se préparant.<br />
= Sabourov téléphona d’abord à Maslennikov et ensuite à Gorienko pour<br />
les prévenir de l’attaque qui se préparait.<br />
2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif :<br />
(486) , (, I :<br />
84).<br />
Ona trjaxnula golovoj, otgonjaja svoi somnenija.<br />
Elle – secoua – tête, – en chassant – ses – doutes.<br />
= Elle secoua la tête pour chasser ses doutes.<br />
(487)<br />
, (. , I :<br />
405).<br />
V tu že minutu Ivan Il’i brosilsja i sxvatil Sorokina za ruku u kisti, ne davaja<br />
emu podnjat’ revol’ver.<br />
Dans – cette – même – minute – Ivan – Ilitch – se jeta – et – saisit –<br />
Sorokine – par – main – près de – poignet, – ne – en donnant – (à) lui –<br />
lever – revolver.<br />
= A l’instant même, Ivan Ilitch se jeta vers Sorokine et, saisissant son<br />
poignet, lui empêcha de lever le revolver.<br />
3. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif :<br />
(488) , ,<br />
( : 231).<br />
Vostrikov dolgo kopalsja v emodane, otyskivaja kartu, kotoruju davno ne<br />
vynimali.<br />
Vostrikov – longtemps – fouillait – dans – valise, – en cherchant – carte –<br />
que – longtemps – ne – retirait. .<br />
281
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= Vostrikov mit du temps pour trouver dans la valise la carte qu’on n’utilisait<br />
plus depuis longtemps.<br />
(489) ,<br />
, (, I : 47-<br />
48).<br />
Elena Vladimirovna rešitel’no vstrjaxivala starika, taskala ego po koridoru,<br />
otnimaja u nego pribor.<br />
Elena – Vladimirovna – décidément – secouait – vieillard, – traînait – le – à<br />
travers – couloir, – en arrachant – chez – lui – appareil.<br />
= Elena Vladimirovna secouait avec détermination le vieux, le traînait dans<br />
le couloir, en essayant de lui arracher l’appareil.<br />
4.6.4. Concession<br />
La relation gérondivale de concession apparaît lorsqu’on infère une contradiction<br />
entre les actions du verbe et du gérondif. Pour expliciter la valeur de concession,<br />
on emploie les conjonctions – no – « mais », – odnako –<br />
« cependant », les particules - – vsë-taki – « quand même, tout de<br />
même », – vsë že – « quand même, toute de même », – daže –<br />
« même », – vmeste s tem – « en même temps » :<br />
(490),,<br />
, <br />
( : 211).<br />
Konjukov tože sel, naiskos’ ot nego, no daže sidja na nizkoj avtomobil’noj<br />
poduške, uxitrjalsja soxranjat' podtjanutyj vid.<br />
Konioukov – aussi – s’assit, – en sens oblique – de – lui, – mais – même –<br />
étant assis – sur – bas – d’automobile – coussin, – arrivait – garder –<br />
irréprochable – air.<br />
= Konjukov prit aussi une place à côté de lui mais, même assis sur un bas<br />
coussin d’automobile, arrivait à garder sa prestance.<br />
282
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
La négation devant le gérondif est un autre élément permettant d'extérioriser une<br />
contradiction entre les actions du verbe et du gérondif, en instaurant entre elles la<br />
relation de concession :<br />
(491),,, (, I :<br />
79).<br />
Tak i ne doždavšis’ Leny, on, nakonec, podnjalsja.<br />
Ainsi – et – ne – ayant attendu jusqu’au résultat – Léna, – il – enfin – se<br />
leva.<br />
= Il se leva enfin pour partir sans avoir vu Léna.<br />
(492) , <br />
( : 427).<br />
V uitel’nicy ona pošla iz nuždy, neuvstvuja nikakogo prozvanija.<br />
Dans – institutrices – elle – s’engagea – de – besoin, – ne – en sentant –<br />
aucune – vocation.<br />
= Elle devint institutrice par besoin, sans sentir aucune vocation.<br />
La relation gérondivale de concession se manifeste dans les situations suivantes :<br />
1. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif / (E1) Verbe perfectif + (E2)<br />
Gérondif perfectif. Le fait du gérondif est antérieur à celui du verbe :<br />
(493) , <br />
.<br />
Proitav šifrovku vsego liš’ raz, Štirlic zapomnil eë naizust’.<br />
Ayant lu – codage – en tout – seulement – une fois, – Stirliz – retint – le –<br />
par cœur.<br />
= N’ayant lu le codage qu’une seule fois, Stirliz le retint toutefois par cœur.<br />
(493’) , <br />
.<br />
Štirlic zapomnil šifrovku naizust’, proitav eë vsego liš’ raz.<br />
Stirliz – retint – codage – par cœur, – ayant lu – le – en tout – seulement –<br />
une fois.<br />
283
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Stirliz retint le codage par cœur, bien qu’il ne l’ait lu en tout et pour tout<br />
qu’une seule fois.<br />
2. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif / (E1) Verbe imperfectif +<br />
(E2) Gérondif imperfectif. La relation de concession unit, dans ce cas deux procès<br />
(et / ou états) simultanés, répétés ou non :<br />
(494) ,,,<br />
, , ,<br />
( : 109).<br />
Kot v nej duši ne ajal i, budui gruboj, ugrjumoj skotinoj, zavidja staruxu,<br />
vnutrenne preobražalsja, stanovilsja laskov, vesel.<br />
Chat – en – elle – âme – ne – espérait – et, – étant – rude – maussade –<br />
brute, – en ayant vu – vieille, – intérieurement – changeait, – devenait –<br />
câlin, – joyeux.<br />
= Le chat l’adorait et, d’habitude, une brute hérissée et maussade, se<br />
métamorphosait entièrement, devenant câlin et joyeux, dès qu’il apercevait<br />
la vieille.<br />
(495) , ,<br />
, , ( :<br />
45).<br />
Prjaas’ v boke, etot staryj poitatel’ Sokrata, poxože, slyšit vsë, o ëm<br />
govorjat ego sobrat’ja.<br />
En se cachant – dans – tonneau, – ce – vieux – admirateur – (de) Socrate,<br />
– il semblerait, – entend – tout – de – quoi – parlent – ses – confrères.<br />
= Caché dans un tonneau, ce vieil admirateur de Socrate entend, on dirait,<br />
tout ce dont parlent ses confrères.<br />
3. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif / (E1) Verbe imperfectif + (E2)<br />
Gérondif perfectif. Le gérondif prépositif désigne un fait antérieur au procès du<br />
verbe, celui-ci se déroulant alors malgré les conséquences laissées par l’action du<br />
gérondif :<br />
284
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(496) , <br />
, , , (. ; exemple<br />
présenté dans [Akimova, Kozinceva 1987 : 271]).<br />
Švejcar, postavivemodan na rešëtatuju podstavku u dverej, ne toropilsja,<br />
odnako, uxodit’.<br />
Portier, – ayant posé – valise – sur – à grille – support – près de – porte, –<br />
ne – se pressait – toutefois – partir.<br />
= Après avoir posé la valise sur la grille métallique près de la porte, le<br />
portier n’était pas pressé de partir.<br />
Quand le gérondif suit le verbe, la relation de concession s’estompe au profit de la<br />
relation temporelle qui se présente comme indéterminée, cf. :<br />
(496’) , <br />
.<br />
Švejcar ne toropilsja uxodit’, postaviv emodan na rešëtatuju podstavku u<br />
dverej.<br />
Portier – ne – se pressait – partir – ayant posé – valise – sur – à grille –<br />
support – près de – porte.<br />
= Le portier n’était pas pressé de partir, la valise posée sur la grille<br />
métallique près de la porte.<br />
4. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif / (E1) Verbe perfectif + (E2)<br />
Gérondif imperfectif. Dans ce cas, il s’agit de la simultanéité du fait principal et du<br />
procès secondaire :<br />
(497) – , , – <br />
,, (.,<br />
I : 119).<br />
Pospali by, Ivan Il’i, – ubito poprosil ego xozjain komnaty, znaja, to<br />
pros’ba ostanetsja bez otveta.<br />
Dormîtes – si – Ivan – Il’i – désespérément – demanda – le – propriétaire –<br />
(de) chambre, – en sachant, – que – demande – restera – sans – réponse.<br />
285
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= – Et si vous dormiez un peu, Ivan Ilitch, lui demanda désespérément le<br />
propriétaire de la chambre, sachant que sa demande resterait sans<br />
réponse.<br />
Si le sujet est au pluriel ou s’il s’agit d’actions répétées, la relation temporelle peut<br />
être considérée comme indéterminée :<br />
(498) […], , , […]<br />
, , <br />
, ( : 86).<br />
Medniki, plotniki, gonary, torgovcy prisoedinjalis’ k tolpe, zaražalis’ eë<br />
nenavist’ju, daže ne uspev uznat’, v ëm že provinilsja osuždënny.<br />
Chaudronniers, – charpentiers, – potiers, – marchands – se joignaient – à –<br />
foule, – contractaient – sa – haine, – même – ne – ayant eu le temps –<br />
apprendre, – en – quoi – donc – se rendit coupable – accusé.<br />
= Des chaudronniers, charpentiers, potiers, marchands se joignaient à la<br />
foule, contractaient sa haine sans avoir même pris la peine de savoir de<br />
quoi exactement l’accusé était coupable.<br />
4.6.5. Condition<br />
Le gérondif (perfectif ou imperfectif, en post-position ou en préposition) pose une<br />
condition pour l’accomplissement de l’action du verbe principal, ce dernier<br />
désignant un événement futur ou hypothétique. La relation temporelle entre<br />
l’action principale et secondaire est constante : la condition précède la<br />
conséquence [Akimova, Kozinceva 1987 : 272].<br />
(499),.<br />
Poluiv pis’mo ot neë, on obraduetsja.<br />
Ayant reçu – lettre – de – elle, – il – se réjouira.<br />
= Il sera heureux de recevoir une lettre d’elle.<br />
286
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(500) […] , […]<br />
( : 14).<br />
Posmotrev na štabnuju kartu goroda, on by uvidel.<br />
Ayant regardé – sur – (de) état-major, – carte – (de) ville – il – si – vit.<br />
= S’il avait consulté la carte d’état-major de la ville, il aurait vu […].<br />
Il s’agit souvent d’énoncés non localisés temporellement, désignant des vérités<br />
générales 75 ou des événements usuels :<br />
(501) , , ,<br />
[…] ( :<br />
49).<br />
Znaja napor vody, tolšiu plotiny, plotnost’ grunta, inžener možet rassitat’<br />
skorost’ razmyva.<br />
En connaissant – pression – (de) eau, – épaisseur – (de) digue, – densité –<br />
(de) sol, – ingénieur – peut – calculer – vitesse – (de) affouillement.<br />
= Connaissant la pression de l’eau, l’épaisseur de la digue, la densité du<br />
sol, l’ingénieur peut calculer la vitesse de l’affouillement.<br />
4.7. Relations de caractérisation<br />
Dans un nombre considérable d’énoncés, le gérondif n’exprime pas une action<br />
indépendante mais fait partie intégrante de l’action du verbe principal,<br />
représentant une de ses caractéristiques :<br />
(502), ( : 126).<br />
Tot prišël, xromaja.<br />
Celui-là – arriva, – en boitant.<br />
Celui-là arriva en boitant.<br />
(503) – , , – <br />
, ( : 9).<br />
75 Cf. le proverbe que nous citons à la page 242 : ,<br />
– Poterjavši golovu, po volosam ne plaut.<br />
287
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
– Izvinite menja, požalujsta, – zagovoril podošedšij s inostrannym<br />
akcentom, no ne koverkaja slov.<br />
Excusez – moi, – s’il vous plaît, – se mit à parler – venu – avec – étranger –<br />
accent, – mais – ne – en écorchant – mots.<br />
= Veuillez m’excuser, dit le nouveau venu avec un accent étranger mais<br />
sans écorcher les mots.<br />
Le gérondif exprimant la caractérisation est évidemment fortement adverbialisé et<br />
s’emploie donc le plus souvent à l’aspect imperfectif. La relation temporelle entre<br />
le verbe et le gérondif est définie par Poljanskij comme pseudo-simultanéité car,<br />
dans la réalité, il ne s'agit pas de deux actions différentes mais d'une seule action<br />
et de sa caractéristique [Poljanski 1987: 250-253].<br />
Comme nous l’avons fait pour les énoncés à prédicats autonomes, nous<br />
distinguons deux types de caractérisation, suivant, dans ses grandes lignes, la<br />
classification de Akimova, Kozinceva [Akimova, Kozinceva 1987 : 263-267] :<br />
1) Concrétisation (ou, dans une autre terminologie, la relation d’hyponymie), le<br />
gérondif remplissant la fonction de complément de manière :<br />
(504) ,<br />
,- (, I : 184).<br />
Najdënov dvigalsja s neprivynoj dlja Makara bystrotoj, valko, po-utinomu<br />
pokaivajas’.<br />
Naïdenov – marchait – avec – inhabituelle – pour – Makar – rapidité, – de<br />
manière chaloupée, – en canard – en se balançant.<br />
= Naïdenov avançait trop vite pour Makar, de sa démarche chaloupée, se<br />
dandinant comme un canard.<br />
2) Appréciation et interprétation (ou, dans la terminologie d’Odile Halmøy,<br />
relation d’inclusion et d’équivalence [Halmøy 2003 : 99]). Une action constate<br />
l’événement et l’autre présente une appréciation (interprétation) que porte sur lui<br />
le locuteur :<br />
288
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(505) , , <br />
( : 24).<br />
Saburov podumal, to xorošo sdelal, prikazav snjat’ im šineli.<br />
Sabourov – pensa – que – bien – fit, – en ordonnant – enlever – (à) eux –<br />
capotes.<br />
= Sabourov pensa qu’il avait bien fait de leur ordonner d’enlever les<br />
manteaux.<br />
4.7.1. Concrétisation<br />
Dans les énoncés avec relation de concrétisation, le couple gérondif-verbe<br />
régissant ne marque en réalité qu’une seule action. L’action du gérondif, faisant<br />
partie de l’action plus générale du verbe, exprime une caractéristique particulière<br />
de cette dernière :<br />
(506) , <br />
( : 65).<br />
On podošël k stolu, prixramyvaja i slegka opirajas’ na samodel’nuju<br />
paloku.<br />
Il – s’approcha de – table, – en claudiquant – et – en s’appuyant –<br />
légèrement – sur – improvisée – canne.<br />
= Il s’approcha de la table en claudiquant et en s’appuyant sur une canne<br />
improvisée.<br />
(507) – , , – ,<br />
(, I : 390).<br />
– Slovom, obyknovennaja istorija, – progovoril Sapožkov, otëtlivo<br />
proiznosja každuju bukvu.<br />
(En un) mot – ordinaire – histoire, – dit – Sapojkov, – nettement – en<br />
prononçant – chaque – lettre.<br />
= – Bref, l’histoire habituelle, dit Sapojkov en articulant nettement chaque<br />
lettre.<br />
289
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Selon Odile Halmøy, qui a entrepris une étude très intéressante du gérondif<br />
français [Halmøy 2003], les gérondifs en relation d’hyponymie avec le verbe<br />
régissant de mouvement / déplacement ou de dire sont les seuls gérondifs<br />
auxquels peut s’appliquer l’étiquette de manière : « Dans une séquence comme<br />
« rentrer en boitant », « boiter » dénote en effet la manière dont s’effectue le<br />
déplacement, tandis que dans « fermer la fenêtre en haussant les épaules »,<br />
« hausser les épaules » n’est pas une manière de fermer la fenêtre » [Ibid. : 104].<br />
En accord absolu avec le rôle syntaxique de complément de manière attribué à<br />
ces gérondifs par Halmøy, nous contestons toutefois son affirmation selon laquelle<br />
ils sont les seuls à présenter cette particularité. Effectivement, dans sa<br />
classification, la chercheuse norvégienne sépare les gérondifs de manière<br />
(marcher en boitant) des gérondifs de moyen (se suicider en se noyant), alors que<br />
pour nous ces gérondifs forment un seul groupe, celui de caractérisation. Par<br />
ailleurs, il ne faut pas, certes, oublier la différence de nature et de fonctionnement<br />
entre les gérondifs russes et les gérondifs français [Makarieva 1993 ; Bernitskaïa<br />
1999]. Les séquences avec le verbe régissant de mouvement / déplacement et de<br />
dire étant effectivement les plus répandues et aussi probablement les plus<br />
éloquentes, la relation gérondivale de caractérisation se produit également dans<br />
d’autres énoncés relatant des activités diverses et variées de la vie quotidienne.<br />
Au cours de notre recherche, nous avons rencontré les situations sémantiques<br />
suivantes (et la liste n’est pas close) :<br />
1. Le gérondif se rapporte au verbe de mouvement / déplacement, exprimant la<br />
manière du déplacement, vue de l’extérieur et perçue subjectivement ou<br />
objectivement par le locuteur ( – buxaja sapogami – « en faisant<br />
du bruit avec les bottes » ; – voloa nogi – « en traînant les<br />
pieds » ; – edva peredvigaja nogi – « en remuant à<br />
peine les jambes » ; – zvjakaja šporami – « en faisant tinter ses<br />
éperons » ; – kovyljaja – « en clopinant » ; –<br />
neslyšno stupaja – « en marchant sans bruit » ; –<br />
perevalivajas’ – « en se dandinant » ; – pošatyvajas’ – « en<br />
chancelant » ; – pritoptyvaja – « en piétinant, en tapant du<br />
pied » ; – prixramyvaja – « en claudiquant » ; <br />
290
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
– provalivajas’ v sneg – « en s’enfonçant dans la neige (dans le sable) » ;<br />
– raz’’ezžajas’ nogami – « en écartant les pieds » ;<br />
– skol’zja – « en glissant » ; – skripja snegom – « en<br />
faisant crisser la neige » ; – spotykajas’ – « en trébuchant » ;<br />
– xromaja – « en boitant » ; – široko šagaja – « en<br />
faisant de grands pas » ; – šlëpaja bosikom – « en tapant le sol<br />
de ses pieds nus », etc. ) :<br />
(508) , , <br />
[...] ( : 53).<br />
Potom, trudno peredvigaja iskusannye volkami nogi, on podošël k<br />
izdyxajušemu zverju.<br />
Puis, – difficilement – en déplaçant – mordues – (par) loups – jambes, – il –<br />
s’approcha – de – crevant – animal.<br />
= Puis, remuant avec peine ses jambes lacérées par les loups, il s’approcha<br />
de l’animal mourant.<br />
(509) […] ,,<br />
( : 50).<br />
Bim s ogromnym usiliem podnjalsja i, šatajas’, medlenno pobrël za neju.<br />
Bim – avec – énorme – effort – se leva – et, – en chancelant, – lentement –<br />
se mit à marcher – derrière – elle .<br />
= Bim fit un effort énorme pour se lever et, chancelant, la suivit lentement.<br />
Le gérondif qui caractérise un déplacement peut rendre compte non seulement du<br />
mouvement des pieds ou des jambes mais aussi du mouvement d’autres parties<br />
du corps ou d’objets participant au déplacement ( –<br />
vzmaxivaja loktjami – « en levant les coudes » ; – voloa mešok –<br />
« en traînant un sac » ; – groxoa emodanami – « en<br />
faisant du bruit avec des valises » ; – derža ruki v<br />
karmanax – « en tenant les mains dans les poches » ; <br />
– zasunuv ruki v karmany – « ayant mis les mains dans les poches » ;<br />
– nagibajas’ – « en se penchant » ; <br />
() – pomaxivaja nagajkoj (zontikom) – « en brandissant le fouet (le<br />
291
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
parapluie) » ; – razmaxivaja rukami – « en agitant les<br />
bras » ; – taša za soboj emodan – « traînant<br />
derrière soi une valise » ; – unosja sumki – « en emportant les<br />
sacs », etc.) :<br />
(510),,<br />
[…] (., I : 234).<br />
Vdol’ trotuara, razmaxivaja polami polušubka, šël raboij.<br />
Le long – (de) trottoir, – en agitant – pans – (de) pelisse courte, –<br />
marchait – ouvrier.<br />
= Le long du trottoir, agitant les pans de sa pelisse courte, marchait un<br />
ouvrier.<br />
(511),, – <br />
( : 120)<br />
K nišemu, pomaxivaja salfetkoj, uže šël oficiant – gnat’ vzašej.<br />
Vers – clochard, – en agitant doucement – serviette, – déjà – marchait –<br />
serveur – chasser – (par) cou.<br />
= En s’éventant doucement avec une serviette, un serveur avançait déjà<br />
vers le clochard pour le flanquer à la porte.<br />
(512),<br />
(, II : 50).<br />
Merno rabotaja rukami, Fiodor Ivanovi bežal i postepenno razogrevalsja.<br />
Rythmiquement – en travaillant – (avec) bras, – Fiodor – Ivanovi – courait<br />
– et – petit à petit – se réchauffait.<br />
= En remuant rythmiquement les bras, Fiodor Ivanovitch courait et se<br />
réchauffait petit à petit.<br />
Le gérondif peut aussi exprimer la vitesse du déplacement ( –<br />
toropjas’ – « en se dépêchant » ; – ne toropjas’ – « en ne se<br />
dépêchant pas » = « sans se dépêcher » ; – speša – « en se hâtant » ; <br />
– ne speša – « en ne se hâtant pas » = « sans se hâter » ; <br />
– medlenno stupaja – « en marchant lentement », etc. ) :<br />
292
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(513) […] , <br />
, ( : 41).<br />
Komandir udaril plet’ju lošad’ po šee, vyrovnjal eë i poskakal v pereulok,<br />
perexodja v galop.<br />
Commandant – frappa – (avec) cravache – cheval – sur – encolure, – aligna<br />
– lui – et – se mit à aller à cheval – dans – ruelle, – en passant – à – galop.<br />
= Le commandant cravacha le cheval à l’encolure, maîtrisa sa direction et<br />
se mit au galop pour s’engager dans la ruelle.<br />
Le gérondif marque une direction, une caractéristique spatiale (<br />
– napravljajas’ domoj – « en se dirigeant à la maison » ; –<br />
otdaljajas’ – « en s’éloignant » ; – ogibaja usad’bu – « en<br />
contournant le manoir » ; – približajas’ k balkonu – « en<br />
s’approchant du balcon », etc. ) :<br />
(514) <br />
, (, I : 8).<br />
asa erez dva Fëdor Ivanovi bystro šël po odnoj iz allej parka,<br />
napravljajas’ domoj.<br />
Heures – dans – deux – Fiodor – Ivanovitch – vite – marchait – dans – une<br />
– de – allées – (de) parc, – en se dirigeant – (à) maison.<br />
= Environ deux heures plus tard, Fiodor Ivanovitch traversait vite une allée<br />
du parc pour rentrer chez lui.<br />
(515) , , <br />
[…] ( : 63).<br />
Perebegaja ot vorot k vorotam, vdol’ sten, za nimi dvinulis’ avtomatiki.<br />
En courant – de – porte – en – porte, – le long – (de) murs, – derrière –<br />
eux – se mirent à marcher – mitrailleurs.<br />
= En courant de porte en porte, le long des murs, les mitrailleurs se<br />
lancèrent à leur suite.<br />
Le gérondif exprime la continuité / discontinuité du déplacement<br />
( – ostanavlivajas’ – « en s’arrêtant » ; –<br />
293
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
ne ostanavlivajas’ – « en ne s’arrêtant pas » = « sans s’arrêter » ; –<br />
tormozja – « en freinant » ; – « en s’arrêtant devant<br />
les vitrines ») :<br />
(516) , <br />
(, I : 25).<br />
Vse dvinulis’ dal’še vdol’ stellaža, ostanavlivajas’ okolo každogo novogo<br />
jašika ili gorška.<br />
Tous – se mirent à marcher – plus loin – le long de – étagère, – en<br />
s’arrêtant – à côté de – chaque – nouvelle – caisse – ou – pot. .<br />
= Tout le monde se remit en marche le long de l’étagère, en s’arrêtant<br />
devant chaque nouvelle caisse ou nouveau pot.<br />
2. Le gérondif accompagnant le verbe régissant de dire (verba dicendi)<br />
( – govorit’ – « parler » ; – skazat’ – « dire » ; –<br />
kriat’ – « crier » ; – šeptat’ – « murmurer » ; – pet’ –<br />
« chanter », etc.) exprime des caractéristiques objectives ou subjectives de la<br />
parole ( – kartavja – « en grasseyant » ; <br />
– ne slyša sobstvennogo golosa – « en n’entendant pas sa propre voix »<br />
= « sans entendre sa voix » ; – otëtlivo<br />
proiznosja každoe slovo – « en prononçant distinctement chaque mot » ; <br />
–ekanja každoe slovo – « en martelant chaque mot », etc.) :<br />
(517),,<br />
- (., I : 335).<br />
On stal itat’ peredovicu, vygovarivaja slova tak, budto onii byli napisany ne<br />
po-russki.<br />
Il – commença – lire – la une, – en prononçant – mots – ainsi, – si – ils –<br />
étaient – écrits – non – en russe.<br />
= Il commença à lire la une du journal en prononçant les mots comme s’ils<br />
n’étaient pas écrits en russe.<br />
(518) « ! ! ! » – ,<br />
( I : 180).<br />
294
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
« Mitja ! Mitja ! Postoj ! » – zval on, ne slyša sobstvennogo golosa.<br />
« Mitia ! – Mitia ! – Arrête-toi ! » – appelait – il, – ne – en entendant –<br />
propre – voix.<br />
= « Mitia ! Mitia ! Arrête-toi ! », appelait-il sans entendre sa propre voix.<br />
Le gérondif peut désigner la vitesse ( –itaja<br />
vsë bystree i bystree – « en lisant de plus en plus vite » ; <br />
– medlenno vygovarivaja slova – « en prononçant<br />
lentement des mots ») :<br />
(519) – - <br />
, – , […] (,<br />
I : 35).<br />
– Mendelisty-morganisty vsled za Vejsmanom utverždajut, – nabrav<br />
skorost’, ital Variev.<br />
– Mendelistes-morganistes – suite – à – Weismann – affirment, – ayant<br />
pris – vitesse, – lisait – Varitchev.<br />
= – Suivant la théorie de Weismann, les partisans de Mendel et de Morgan<br />
affirment, lisait Varitchev lancé maintenant à toute vitesse.<br />
(520) […] (, I : 161).<br />
Govoril on podrobno i ne speša.<br />
Parlait – il – en détail – et – ne – en se pressant.<br />
= Il parlait d’une manière détaillée et sans se presser.<br />
Le gérondif désigne la force ou l’intensité du son ( – zaglušaja<br />
kriki – « en couvrant les cris », – zastužaja glotku – « en<br />
prenant froid à la gorge » ; – nadsaživajas’ – « en s’égosillant, en<br />
s’époumonnant » ; – povysiv golos – « ayant haussé la voix » ;<br />
– poterjav golos – « ayant perdu la voix » = « sans voix » ;<br />
– sbavljaja ton – « en baissant le ton », <br />
– starajas’ perekriat’ – « en essayant de couvrir avec sa voix »,<br />
etc. ) :<br />
295
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(521), […] (, I :<br />
55).<br />
Poniziv golos poti do šëpota, on dobavil.<br />
Ayant baissé – voix – presque – jusqu’à – chuchotement – il ajouta.<br />
= Baissant la voix jusqu’à chuchoter, il ajouta […].<br />
(522) -, <br />
, , (., I :<br />
313).<br />
Szadi podbežal kto-to, upal na koleni rjadom s Krasil’nikovym i krial, krial,<br />
nadsaživajas’.<br />
Derrière – arriva en courant quelqu’un, – tomba – à – genoux – près – de –<br />
Krasil’nikov – et – criait, – criait – en s’égosillant.<br />
= Quelqu’un arriva en courant derrière, tomba à genoux près de Krasilnikov<br />
et criait, criait à se faire éclater les poumons.<br />
(523) –, – ,<br />
[…] (., I : 290).<br />
Tovariši, – zastužaja glotku, krial s granitnogo cokolja xudoj malyj.<br />
– Camarades, – en prenant froid – (à) gorge, – criait – de – (de) granit –<br />
socle – efflanqué – type.<br />
= Camarades, s’égosillait un type efflanqué du haut du socle de granit.<br />
Le gérondif peut indiquer la position dans laquelle se trouvent les organes (les<br />
parties du corps) participant directement ou indirectement à la parole<br />
( – vytjagivaja šeju – « en tendant le cou » ; <br />
– zakidyvaja golovu – « en renversant la tête » ; –<br />
naklonjaja golovu – « en baissant la tête » ; – naprjagaja<br />
muskuly – « en tendant les muscles » ; – sžav zuby – « en serrant les<br />
dents », etc. ) :<br />
(524) –, – , (, I : 8).<br />
– Klju, – skazal on, ševelja usami.<br />
– Clé, – dit – il, – en bougeant – moustache.<br />
296
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= – La clé, dit-il, la moustache frémissante.<br />
(525) , , <br />
( : 16).<br />
Sadok, naprjagaja žily na tošej šee, zablagovestil.<br />
Sadok, – en faisant saillir – veines – sur – cou – malingre, – se mit à<br />
annoncer des bonnes nouvelles.<br />
= Les veines saillantes sur son cou malingre, Sadok se mit à annoncer de<br />
bonnes nouvelles.<br />
Le gérondif donne des caractéristiques sur la continuité / discontinuité de la parole<br />
( – zamolkaja – « en se taisant » ; – otduvajas’ –<br />
« soufflant » ; – perebivaja – « en interrompant » ; –<br />
preryvaja – « en interrompant, en arrêtant » ; – pokašlivaja – « en<br />
toussant légèrement » ; – ustavaja – « ne ustavaja » – « en se<br />
fatiguant » ; – ne ustavaja – « en ne se fatiguant pas » = « sans se<br />
fatiguer ») :<br />
(526) – , ? ? – ,<br />
, ( : 36).<br />
to govorit, a ? to govorit ? – dva ili tri raza, perebivaja nemca, sprašival<br />
Konjukov.<br />
Quoi – dit – quoi – dit ? – deux – ou – trois – fois, – en interrompant –<br />
Allemand, – demandait – Konioukov.<br />
= – Qu’est-ce qu’il dit, hein ? Qu’est-ce qu’il dit ? interrompant l’Allemand,<br />
demanda Konioukov deux ou trois fois.<br />
Le gérondif répète explicitement l’information, transmise dans le discours direct<br />
( vyrugavšis’ – « ayant lancé un juron » ; <br />
– perejdja na oficial’nyj ton – « en passant au ton officiel » ;<br />
« » – perejdja na « ty » – « en tutoyant ») :<br />
(527) – , – , « »,<br />
( : 86).<br />
A vy sprosite, – nazidatel’no, opjat’ perejdja na « vy », skazal Lapšin.<br />
297
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Et – vous – demandez, – sentencieusement, – de nouveau – ayant passé –<br />
à – « vous », – dit – Lapchine.<br />
= Demandez donc, dit Lapchine prenant un ton sentencieux et le vouvoyant<br />
derechef.<br />
Le gérondif reflète l’état émotionnel ou l’attitude du locuteur envers les paroles<br />
( – pripominaja – « en se souvenant » ; –<br />
skrytniaja – « en faisant des cachotteries » ; – toržestvuja – « en<br />
triomphant ») :<br />
(528) – , , – , <br />
( : 43).<br />
Da tak, poblizosti, – skrytniaja, povtoril Petja.<br />
Et – ainsi, – pas loin, – en faisant des cachotteries, – répéta – Pétia.<br />
= Dans un endroit, pas loin d’ici, répéta Pétia en faisant des cachotteries.<br />
Le gérondif concrétise, donne des détails sur le contenu du discours ( –<br />
ob’’jasnjaja – « en expliquant » ; – obrašaja vnimanie<br />
na – « en prêtant attention à ») :<br />
(529) <br />
, <br />
, (, I : 3).<br />
Vsë že akademik vovremja otrëksja ot zabluždenij i ital studentam svoj<br />
peresmotrennyj kurs, ubeditel’no rugaja monaxa Mendelja, pravda<br />
nemnogo gromoglasno.<br />
Tout – or – académicien – à temps – renonça – à – erreurs – et – lisait –<br />
(à) étudiants – son – révisé – cours, – avec conviction – en critiquant –<br />
moine – Mendel, – à vrai dire – un peu – emphatiquement.<br />
= Toutefois l’académicien se rétracta à temps et lisait aux étudiants son<br />
cours révisé dans lequel il critiquait avec conviction le moine Mendel, avec<br />
un peu trop d’emphase, il est vrai.<br />
298
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Le gérondif fait référence à la personne vers laquelle le discours est tourné<br />
(... – obrašajas’ k… – « en s’adressant à » ; ... –<br />
razgovarivaja s … – « en parlant avec ») :<br />
(530) , <br />
<br />
(., I : 352).<br />
Obrašajas’ k edva pospevajušemu za nim polkovniku, on rugalsja i<br />
svoloilsja po adresu vysšego komandovanija.<br />
En s’adressant – à – à peine – suivant – derrière – lui – colonel, – il –<br />
jurait – et – proférait de gros mots – à – adresse – (de) suprême –<br />
commandement.<br />
= Parlant au colonel, qui avait de la peine à le suivre, il proférait des jurons<br />
et des gros mots à l’adresse du commandement suprême.<br />
Dans ce dernier cas, la subordonnée de temps remplace facilement la<br />
construction gérondivale : ,<br />
– Kogda on obrašalsja k polkovniku, to rugalsja i svoloilsja –<br />
« Quand il s’adressait au colonel, il proférait des jurons et des gros mots ».<br />
3. Le gérondif caractérise le processus d’écriture – pisat’ – « écrire »<br />
( – vyvodja slova – « en calligraphiant les mots » ; –<br />
kroša mel – « en émiettant la craie » ; – ne otryvaja glaz –<br />
« en ne quittant pas des yeux » = « sans quitter des yeux » ; –<br />
lëža na stole – « étant affalé sur la table » ; – podërkivaja<br />
slova – « en soulignant des mots », etc. ) :<br />
(531),<br />
, « » « » <br />
(, I : 30).<br />
I on zastroil, poti lëža grud’ju na liste i staratel’no vyvodja slova,<br />
zavjazyvaja na bukvax « y » i « g » zamyslovatye bantiki.<br />
299
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Et – il – se mit à écrire vite – presque – étant couché – (avec) poitrine –<br />
sur – feuille – et – soigneusement – en calligraphiant – mots, – en nouant –<br />
sur – lettres – « y » – et – « g » – sophistiqués – rubans.<br />
= Et il se mit à écrire rapidement, presque couché sur sa feuille, en<br />
calligraphiant les mots et en tortillant les « y » et les « g » par des rubans<br />
sophistiqués.<br />
(532) , <br />
, , , <br />
, <br />
(, I : 165).<br />
Vzjal spisok i tšatel’no snjal s nego kopiju, polnost’ju zapisyvaja imena,<br />
otestva, familii i vzjatye veši, stavja protiv familii každogo, poluivšego<br />
odeždu ili obuv’ krestik.<br />
Prit – liste – et – soigneusement – fit – de – elle – copie, – entièrement – en<br />
écrivant – noms, – patronymes, – noms de famille – et – pris – objets, – en<br />
mettant – en face – (de) nom de famille – (de) chacun, – ayant reçu –<br />
vêtements – ou – chaussures – petite croix.<br />
= Il prit la liste et en fit soigneusement une copie, en écrivant en toutes<br />
lettres les prénoms, les patronymes, les noms de famille et les objets pris,<br />
en mettant une petite croix en face du nom de chacun qui avait reçu des<br />
vêtements ou des chaussures.<br />
4. Le gérondif caractérise le processus d’ingestion de nourriture – est’ –<br />
« manger » ; – pit’ – « boire » ; – obedat’ – « déjeuner » ;<br />
– glotat’ – « avaler » ( – dvigaja eljustjami –<br />
« en bougeant les mâchoires » ; – ne moršas’ – « ne faisant pas<br />
de grimace » = « sans grimacer » ; – ne prožëvyvaja – « ne<br />
mâchant pas bien » = « sans mâcher » ; – obžigajas’ – « en se<br />
brûlant » ; – peretiraja zubami – « en malaxant avec les<br />
dents » ; – otkusyvaja bol’šie kuski – « en<br />
mangeant (en prenant) de gros morceaux », etc. ) :<br />
300
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(533) , <br />
, <br />
( : 130).<br />
Xozjajka prinesla im bol’šoe antonovskoe jabloko, i oni stali est’ ego<br />
vdvoëm, pooerëdno otkusyvaja i starajas’ pobol’še ostavit’ drugomu.<br />
Propriétaire – apporta – (à) eux – grande – antonovka – pomme, – et –<br />
eux – se mirent – manger – la – (à) deux, – à tour de rôle – en mordant –<br />
et – en essayant – le plus possible – laisser – (à) autre.<br />
= La propriétaire leur apporta une grosse pomme aigre, et ils se mirent à la<br />
manger à deux, en y mordant chacun à leur tour et en essayant d'en laisser<br />
plus à l'autre.<br />
(534) , (, I : 23).<br />
Cvjax el, energino dvigaja vsem licom.<br />
Tsviakh – mangeait – énergiquement – en bougeant – tout – visage.<br />
= Tsviakh mangeait en faisant bouger énergiquement son visage.<br />
(535) , , ( :<br />
159).<br />
Saburov, obžigajas’, vypil kružku gorjaegoaju.<br />
Sabourov, – en se brûlant, – but – mug – (de) chaud – thé.<br />
= Sabourov, en se brûlant, vida un mug de thé bouillant.<br />
5. Le gérondif caractérise le processus du sommeil ( – bormoa –<br />
« en marmonnant » ; – posapyvaja – « en reniflant » ; –<br />
xrapja – « en ronflant ») :<br />
(536) , -<br />
, […] ( : 202).<br />
Maslennikov rastjanulsla na kojke i srazu že, po-detski posapyvaja nosom,<br />
zasnul.<br />
Maslennikov – s’étendit – sur – lit – et – immédiatement – alors, – comme<br />
enfant – en reniflant – (avec) nez, – s’endormit.<br />
301
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= Maslennikov s’étendit sur le lit et s’endormit aussitôt faisant un bruit léger<br />
avec son nez, comme un enfant.<br />
(537) – ! – , <br />
.,<br />
(, I : 197).<br />
Svolo’ ! – ne razžimaja zubov, s velikim prezreniem procedil Polovcev. I<br />
snova zadremal sidja, pokaivaja bol’šoj sedejušej golovoj.<br />
Fumier ! – ne – desserrant – dents, – avec – grand – mépris – dit<br />
Polovtsev. – Et – à nouveau – tomba en somnolence – étant assis, – en<br />
balançant – grande – grisonnante – tête.<br />
= – Fumier ! fit Polovtsev les dents serrées, avec beaucoup de mépris. Et il<br />
retomba dans sa torpeur, assis, en dodelinant de sa grosse tête<br />
grisonnante.<br />
6. Le gérondif caractérise le processus d’habillage :<br />
(538) […], , <br />
( : 54).<br />
Saburov privynym žestom popadaja v rukava, nadel poverx gimnastërki<br />
šinel.<br />
Sabourov, – (de) habituel – geste – en dirigeant – dans – manches, – mit –<br />
par-dessus – vareuse – capote.<br />
= Sabourov, enfilant les manches d'un geste habituel, passa le manteau<br />
par-dessus sa vareuse.<br />
(539) , , <br />
, (, I :<br />
81).<br />
Izognuvšis’, tob ne trevožit’ levyj bok, to i delo ložas’ otdoxnut’, on snjal<br />
botinki i nadel sapogi.<br />
S’étant tortillé, – pour – ne – déranger – gauche – flanc, – ce – et – affaire –<br />
en se couchant – se reposer, – il – ôta – chaussures – et – mit – bottes.<br />
302
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
= En se tortillant pour épargner son flanc gauche, en faisant de petites<br />
pauses pour s’allonger et se reposer, il réussit à enlever ses chaussures et<br />
à mettre ses bottes.<br />
7. Le gérondif apporte des caractéristiques au processus de fumer :<br />
(540),<br />
( : 207).<br />
Ona neumelo zakurila, bystro vtjagivaja i srazu že vypuskaja dym.<br />
Elle – gauchement – se mit à fumer, – vite – en tirant – et – aussitôt –<br />
alors – en relâchant – fumée.<br />
= Elle alluma gauchement une cigarette, tirant rapidement une bouffée et<br />
rejetant aussitôt la fumée.<br />
(541) , <br />
(., I : 170).<br />
Dmitrij Stepanovi kuril, syplja peplom na moxnatyj žilet.<br />
Dimitri – Stepanovitch – fumait, – en parsemant – (de) cendre – sur –<br />
duveteux – gilet.<br />
= Dimitri Stepanovitch fumait, en laissant tomber de la cendre sur son gilet<br />
duveteux.<br />
8. Le gérondif caractérise le processus du rasage :<br />
(542), ( : 186).<br />
Lapšin brilsja, naduvaja odnu šëku.<br />
Lapchine – se rasait, – en gonflant – une – joue.<br />
= Lapchine se rasait en gonflant une joue.<br />
9. La chasse :<br />
(543) […] , <br />
( : 18).<br />
Utrom oni proverili patrontaš, perekladyvaja patrony iz gnezda v gnezdo.<br />
303
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Matin – ils – examinèrent – cartouchière, – en déplaçant – cartouches –<br />
de – compartiment – en – compartiment.<br />
= Le matin, ils examinèrent la cartouchière, en déplaçant les cartouches de<br />
compartiment en compartiment.<br />
10. Le gérondif désigne la manière de passer, d’occuper le temps. L’action<br />
principale est exprimée par les verbes du type – provesti<br />
vremja – « passer le temps » ; – ubit’ vremja – « tuer le temps » ou<br />
d’autres verbes désignant une tâche, une occupation, tandis que le gérondif<br />
concrétise des détails de cette occupation :<br />
(544) , <br />
( : 140).<br />
Tak v tišine sosredotoennoitaja i razdumyvaja, on prosidel asa dva.<br />
Ainsi – dans – silence – avec concentration – en lisant – et – en<br />
réflechissant, – il – resta assis – heures – deux.<br />
= Il resta ainsi, dans le silence, près de deux heures, absorbé à lire et à<br />
réfléchir.<br />
(545) ,<br />
– , <br />
[…] (., II : 354).<br />
No i vpravdu emu prišlos’ provozit’sja ves’ veer, obuaja tovarišej – kak<br />
nužno nižnim inam tjanut’sja, kozyrjat’ i otveat’.<br />
Mais – et – en vérité – (à) lui – fallut – s’occuper – toute – soirée, – en<br />
apprenant – (à) camarades – comment – (il) faut – (à) inférieurs – grades –<br />
se mettre au garde-à-vous, – saluer – et – répondre.<br />
= Mais il dut en effet se dépenser toute la soirée à instruire ses camarades :<br />
leur expliquer comment les subalternes devaient se mettre au garde-à-<br />
vous, saluer et répondre.<br />
11. Le gérondif suit le verbe désignant la position du sujet dans l’espace<br />
( – ležat’ – « être couché, allongé » ; – sidet’ – « être assis » ;<br />
– stojat’ – « être debout ») et indique la contribution des parties du corps<br />
304
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
à cette position ( – vytjanuv šeju – « ayant tendu le cou » ;<br />
– vytjanuvšis’ – « s’étant étendu » ; … – deržas’ za –<br />
« en se tenant à… » ; – oblokotivšis’ – « s’étant appuyé avec<br />
les coudes » ; – obnjavšis’ – « s’étant entrelacés » ; <br />
… – opirajas’ na – « en s’appuyant sur… » ; – opustiv<br />
golovu – « ayant baissé la tête » = « la tête baissée » ; – razvaljas’ –<br />
« s’étant affaissé » ; … – položiv ruki na – « ayant mis les<br />
mains sur… » ; – prislonivšis’ – « s’étant appuyé, adossé » ;<br />
– prislonjas’ – « s’étant appuyé, adossé », etc. ) :<br />
(546) , <br />
(., I : 66).<br />
Ekaterina Dmitrievna stojala okolo, deržas’ za spinku kresla.<br />
Ekaterina – Dmitrievna – était debout – près, – en se tenant – à – dossier –<br />
(de) fauteuil.<br />
= Ekaterina Dmitrievna se tenait debout tout près, les doigts sur le dossier<br />
du fauteuil.<br />
(547) , <br />
( : 193).<br />
Saburov sidel, prislonivšis’ spinoj k stenke okopa.<br />
Sabourov – était – assis, – s’étant appuyé – (de) dos – contre – paroi – (de)<br />
tranchée.<br />
= Sabourov demeurait assis, le dos contre la paroi de la tranchée.<br />
(548) , <br />
(, I : 11).<br />
Professor teper’ ustalo poluležal, navalivšis’ na svoj stol.<br />
Professeur – maintenant – de manière fatiguée – était mi-allongé, – s’étant<br />
écroulé – sur – sa – table.<br />
= L’air fatigué, le professeur était maintenant presque couché, le buste<br />
appuyé contre sa table.<br />
305
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Quand le gérondif suit le verbe, la relation gérondivale de caractérisation se<br />
confond avec la relation temporelle de postériorité :<br />
(549), (, I : 177).<br />
Bannik sel, široko rasstaviv nogi.<br />
Bannik – s’assit, – largement – ayant disposé – jambes.<br />
= Bannik s’assit, les jambes largement écartées.<br />
(550) , <br />
(., I : 218).<br />
Ivan Il’i vyšel iz kupe i stal v proxode u okna, poti kasajas’ stekla licom.<br />
Ivan – Illitch – sortit – de – compartiment – et s’arrêta – dans – couloir –<br />
près de – fenêtre, – presque – en touchant – vitre – (avec) visage.<br />
= Ivan Illitch sortit du compartiment et s’arrêta dans le couloir, son visage<br />
presque plaqué contre la vitre.<br />
12. Les gérondifs formés des verbes statiques ( – lëža – « étant couché,<br />
allongé » ; – sidja – « étant assis » ; – stoja – « étant<br />
debout ») désignent une position dans laquelle le sujet effectue une action :<br />
(551) […], , <br />
(., I : 14).<br />
Daša, sidja bokom, odnoju rukoj naala razbirat’ Skrjabina.<br />
Dacha, – étant assise – de côté, – (de) une – main – commença –<br />
déchiffrer – Skriabine.<br />
= Dacha, assise de travers, commença d’une main à déchiffrer du<br />
Skriabine.<br />
(552) , ,<br />
, <br />
[…] (, I : 29).<br />
Oni dobryx dva asa pili aj, sidja za bol’šim stolom vokrug starinnogo,<br />
otlitogo iz olova i poserebrënnogo ajnika.<br />
306
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Ils – bonnes – deux – heures – buvaient thé, – étant assis – à – grande –<br />
table, – autour de – ancienne, – fondue – en – étain – et – argentée –<br />
théière.<br />
= Ils prirent le thé pendant deux bonnes heures, assis à la grande table,<br />
autour de la théière ancienne en étain et argentée.<br />
4.7.2. Appréciation et interprétation<br />
La relation gérondivale d’appréciation et d’interprétation rend compte d’un nombre<br />
non négligeable d’énoncés où une action dénote un événement réel et l’autre un<br />
jugement, une appréciation du locuteur sur cet événement. Suivant la<br />
classification de Akimova-Kozinceva, nous distinguons trois types de relation<br />
gérondivale d’appréciation et d’interprétation :<br />
1. Le gérondif exprimant un événement concret, l’appréciation est donnée par le<br />
verbe régissant ( / – byt’ pravym / nepravym – « avoir<br />
raison / tort » ; / – postupit’ pravil’no /<br />
nepravil’no – « agir bien / mal » ; – soveršit’ ošibku –<br />
« commettre une erreur » ; – govorit’ erundu – « dire des<br />
bêtises » ; – nesti uš’ – « dire des âneries » ; <br />
– ploxo vyspat’sja – « mal dormir », etc.) :<br />
(553) , , <br />
( : 69).<br />
On rešil, to byl soveršenno prav, korotko otveaja na voprosy.<br />
Il – décida – que – était – complètement – juste – brièvement – en<br />
répondant – à – questions.<br />
= Il se dit qu’il avait eu entièrement raison en répondant aux questions<br />
brièvement.<br />
(554) ,<br />
(.<br />
; exemple présenté dans [Akimova, Kozinceva 1987 : 266]).<br />
307
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
I poetomu Maria Alexandrovna prevosxodno postupila, soslav Afanasija<br />
Matveia v podgorodnuju derevnju.<br />
Et – c’est pourquoi – Maria – Alexandrovna – magnifiquement – agit, –<br />
ayant envoyé – Afanassi – Matveitch – dans – environnant – village.<br />
= Et c’est pourquoi Maria Alexandrovna agit parfaitement bien lorsqu’elle<br />
envoya Afanassi Matvéévitch à la campagne.<br />
2. Le gérondif exprime une interprétation qu’attribue le locuteur à l’événement<br />
dénoté par le verbe régissant :<br />
(555) , <br />
<br />
( : 65).<br />
Obnaruživ privyki štatskogo eloveka, on srazu snjal i položil na stol<br />
furažku i otpustil na odnu dyriku remen’.<br />
Ayant révélé – habitudes – (de) civil – homme, – il – aussitôt – ôta – et –<br />
posa – sur – table – casquette – et – relâcha – de – un – trou – ceinture.<br />
= Révélant des habitudes de civil, il ôta sa casquette, la posa sur la table et<br />
relâcha sa ceinture d’un cran.<br />
(556),<br />
(. ; exemple donné dans [Akimova, Kozinceva 1987 :<br />
265]).<br />
Ona postojanno vorala i kurila trubku, napominaja starogo soldata.<br />
Elle – constamment – maugréait – et – fumait – pipe, – en rappelant –<br />
vieux – soldat.<br />
= Elle n’arrêtait pas de maugréer et de fumer la pipe, faisant penser à un<br />
vieux soldat.<br />
Les exemples suivants montrent que la relation d’interprétation recouvre celle de<br />
but :<br />
(557),,<br />
,,<br />
(, I : 18).<br />
308
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
Poetomu, prošajas’ s Lenoj, Fëdor Ivanovi byl sux i daže nevežlivym<br />
obrazom prodolžal razgovor s Cvjaxom, pokazyvaja, to oen’ uvleën.<br />
C’est pourqoi, – en prenant congé – de – Léna, – Fiodor – Ivanovitch –<br />
était – sec – et – même – (de) impolie – manière – continuait –<br />
conversation – avec – Tsviakh, – en montrant, – que – très – occupé.<br />
= C’est pourquoi, quand il faisait ses adieux à Léna, Fiodor Ivanovitch était<br />
sec et continuait même impoliment une conversation avec Tsviakh pour<br />
montrer qu’il était très occupé.<br />
(558) , <br />
, , -<br />
, <br />
, <br />
( : 27).<br />
Procenko ljubil nazyvat’ vsex, daže samyx malen’kix komandirov, kotoryx<br />
on davno znal, nepremenno po imeni-otestvu, podërkivaja etim pered<br />
ostal’nymi svoë staroe soldatskoe tovarišestvo s nimi, nezavisimo ot ix<br />
zvanij.<br />
Protsenko – aimait – appeler – tous, – même – les plus – petits –<br />
commandants, – que – il – depuis longtemps – connaissait, –<br />
obligatoirement – par – prénom-patronyme, – en soulignant – (par) cela –<br />
devant – autres – sa – vieille – militaire – camaraderie – avec – eux, –<br />
indépendamment – de – leurs – grades.<br />
= Protsenko aimait appeler tous les gradés qu’il connaissait de longue date,<br />
même les plus humbles, toujours par leur prénom et leur patronyme pour<br />
souligner devant les autres la vieille camaraderie de soldats qui les unissait,<br />
indépendamment de leurs grades.<br />
3. Le gérondif, exprimant une appréciation de l’action principale, est<br />
accompagné de particules comparatives modales (() () – (kak)<br />
budto (by) – kak budto by, () – slovno (by), – tono – « comme<br />
(si) ») :<br />
309
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
(559)<br />
, <br />
(., I : 246).<br />
elovek s solomennymi volosami vytašil nosovoj platok i priložil ego ko rtu,<br />
budto by starajas’ skryt’ usmešku.<br />
Homme – avec – (de) paille – cheveux – retira – (pour) nez – mouchoire –<br />
et – appliqua – le – à – bouche, – comme – si – en essayant – cacher –<br />
rictus.<br />
= L’homme aux cheveux de paille prit un mouchoir et couvrit sa bouche<br />
comme s’il voulait cacher son rictus.<br />
(560),<br />
(., I : 268).<br />
Slovno opasajas’ etoj tišiny, Daša staralas’ ne molat’.<br />
Comme – en redoutant – ce – silence, – Dacha – essayait – ne – se taire.<br />
= Comme si elle avait peur de ce silence, Dacha essayait de ne pas se<br />
taire.<br />
(561) , <br />
(, I : 83).<br />
Ona povernula v ruke korobok, kak budto ne vidja ego.<br />
Elle – tourna – dans – main – petite boîte, – comme – si – ne – en voyant –<br />
la.<br />
4.8. Bilan<br />
= Elle tourna la boîte dans sa main, comme si elle ne la voyait pas.<br />
Dans le quatrième chapitre, nous avons examiné la relation gérondivale dans<br />
l’énoncé. Les observations que nous avons pu faire nous permettent de tirer les<br />
conclusions suivantes.<br />
Le gérondif est une forme spécifique dont la singularité est due à son double<br />
attachement syntaxique dans l’énoncé, à la fois au sujet et au verbe. Le gérondif<br />
310
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
conjugue donc en lui des traits verbaux et adverbiaux, développant la tendance à<br />
se lier davantage au verbe et à augmenter ainsi son adverbialité. Le gérondif est<br />
à même de remplir deux fonctions syntaxiques, celle de prédicat secondaire<br />
(Naevšis’, on zasnul – « Ayant mangé, il s’endormit ») et celle de complément<br />
circonstanciel (On skazal, ele voroaja jazykom – « Il dit, remuant à peine la<br />
langue »).<br />
La nature du gérondif est complexe, il est inconcevable d’assimiler la sémantique<br />
du gérondif (et de la construction gérondivale) à la sémantique du verbe ou de<br />
l’adverbe. Effectivement, nous avons constaté, au cours de notre analyse, la<br />
diversité sémantique et syntaxique du gérondif, la valeur de celui-ci dépendant<br />
dans l’énoncé de plusieurs facteurs : syntaxiques, sémantiques, morphologiques<br />
et pragmatiques. Remarquons, par exemple, que les gérondifs dits « verbaux » ne<br />
peuvent pas toujours être remplacés par la forme finie sans que le sens de<br />
l’énoncé en soit modifié. Ainsi, dans l’énoncé :<br />
(562),.<br />
Dopivaj, on vyšel iz cafe.<br />
Ayant bu – thé, – il – sortit – de – café.<br />
Après avoir terminé son thé, il sortit du café.<br />
le gérondif perfectif prépositif désignant une action antérieure par rapport à l’action<br />
du verbe régissant peut être aisément remplacé par la forme finie ou par la<br />
subordonnée de temps : On dopil aj i vyšel iz cafe – Il termina le thé et sortit du<br />
café ; Kogda on dopil aj, on vyšel iz cafe – Quand il termina son thé, il sortit du<br />
café.<br />
En revanche, un énoncé similaire mais avec le gérondif perfectif en post-position :<br />
(562’) ,.<br />
On vyšel iz café, dopiv aj.<br />
Il – sortit – de – café, – ayant bu – thé.<br />
Il sortit du café, après avoir terminé son thé,<br />
311
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
se prête seulement au remplacement du gérondif par la subordonnée du temps :<br />
On vyšel iz kafe, kogda on dopil aj – Il sortit du café, quand il avait terminé son<br />
thé. La forme finie à la place du gérondif modifierait la relation temporelle entre les<br />
événements. L’énoncé On vyšel iz kafe i dopil aj – Il sortit du café et termina son<br />
thé est normalement compris comme : Il sortit d’abord du café et ensuite il termina<br />
son thé.<br />
Si on modifie la valeur temporelle du gérondif :<br />
(562’’) ,.<br />
On vyšel iz kafe, dopiv aj na ulice.<br />
Il – sortit – de – café, – ayant bu – the – dans – rue.<br />
Il sortit du café et termina son thé dans la rue,<br />
on ne peut alors remplacer le gérondif que par la forme finie : On vyšel iz kafe i<br />
dopilaj na ulice – Il sortit du café et termina son thé dans la rue. La subordonnée<br />
de temps est impossible : * On vyšel iz kafe, kogda dopil aj na ulice – Il sortit du<br />
café quand il but le thé dans la rue.<br />
Sémantiquement, le rapport entre le verbe régissant et le gérondif induit plusieurs<br />
effets de sens, la relation gérondivale pouvant exprimer des valeurs<br />
chronologiques, causales et sémantiques (inclusion de l’action gérondivale dans<br />
l’action verbale, jugement sur l’action du verbe, etc.). La valeur sémantique du<br />
gérondif, se trouvant sous la forte influence des facteurs linguistiques (place du<br />
gérondif dans l’énoncé, aspect), doit toutefois toujours être validée au niveau<br />
pragmatique. Observons l’exemple suivant :<br />
(563).<br />
On rabotal zasuiv rukava.<br />
Il – travaillait – ayant retroussé – manches.<br />
L’interprétation habituelle, la plus fréquente serait adverbiale : Il travaillait sans<br />
relâche. Néanmoins, au fond, rien, au niveau linguistique, ne nous empêche<br />
d’interpréter cet énoncé au pied de la lettre : Il travaillait, les manches retroussées.<br />
La deuxième interprétation, adverbiale elle aussi, manifeste tout de même un peu<br />
312
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
plus de verbalité que la première. Si on mettait une virgule devant la tournure<br />
gérondivale, le degré de verbalité augmenterait encore (en même temps, il faut<br />
remarquer que les règles sur la virgule dans les énoncés contenant des tournures<br />
gérondivales demeurent floues et instables). L’ambiguïté de l’interprétation se<br />
résout au niveau pragmatique : la première interprétation est inférée par le<br />
destinataire parce qu’elle est la plus pertinente, coûtant le moins d’efforts<br />
possibles. Cependant, si le destinataire possède des informations susceptibles<br />
d’annuler la première interprétation, il donne à l’énoncé une autre interprétation,<br />
par exemple :<br />
(564) , , <br />
.<br />
On rabotal, zasuiv rukava, poetomu na manžetax net ni odnogo pjatnyška.<br />
Il – travaillait, – ayant retroussé – manches, – c’est pourquoi – sur –<br />
manchettes – non – ni – seule – petite tache.<br />
= Il avait travaillé, les manches retroussées, c’est pourquoi il n’y a pas la<br />
moindre petite tache sur ses manchettes.<br />
Selon la théorie de la pertinence de Sperber, Wilson [Sperber, Wilson 1989], dont<br />
nous avons soutenu ici les postulats, l’interprétation de l’énoncé (et donc<br />
l’interprétation de la relation gérondivale) est une opération mentale d’inférence.<br />
L’information linguistique dans l’énoncé est souvent sous-déterminée. Le<br />
destinataire rassemble tous les facteurs en présence dans l'énoncé ainsi que ses<br />
connaissances du monde réel et choisit alors l’interprétation la plus pertinente<br />
possible, la moins coûteuse en calcul. Ainsi, on peut établir, dans ses grandes<br />
lignes, l’interprétation de la construction gérondivale zasuiv rukava.<br />
Le destinataire reçoit un stimulus verbal (et éventuellement non verbal), qui attire<br />
son attention sur le fait que le locuteur cherche ostensiblement à lui rendre<br />
manifeste un certain nombre de faits ou de pensées. Par exemple, à la question :<br />
– ?<br />
– Ty xoeš’ pereodet’sja ?<br />
– Tu – veux – te changer ?<br />
= – Veux-tu te changer ?,<br />
313
le locuteur répond :<br />
Chapitre 4. Énoncés à prédicat secondaire (Le cas du gérondif)<br />
–.<br />
– Ja myl mašinu zasuiv rukava.<br />
Je – lavais – voiture – ayant retroussé – manches.<br />
Cette réponse est d’abord une forme logique, produite par la syntaxe, qui reçoit<br />
ensuite une forme propositionnelle, c’est-à-dire un enrichissement pragmatique,<br />
notamment des assignations référentielles et des désambiguïsations. Cette forme<br />
propositionnelle correspond à ce que le locuteur a explicitement dit. Ainsi, à<br />
travers l’énoncé Ja myl mašinu zasuiv rukava – « J'ai lavé la voiture les manches<br />
retroussées », le locuteur explicite qu’il produisait une action de laver la voiture et<br />
caractérise cette action par les manches retroussées. Dans cet exemple, le<br />
destinataire résout, selon le contexte, le problème de référence de la voiture<br />
(Quelle voiture exactement ? A qui appartient-elle ?) ou encore le problème de la<br />
tournure gérondivale (Faut-il la comprendre comme sans relâche ou littéralement<br />
ayant remonté les manches ?). Enfin, à partir de la forme propositionnelle, le<br />
destinataire récupère par des opérations d’inférence, à ses risques et périls, ce qui<br />
a été implicitement communiqué : des implicatures. Ainsi, Ja myl mašinu zasuiv<br />
rukava – « J’ai lavé la voiture les manches retroussées » peut sous-entendre que<br />
le locuteur ne va pas se changer parce que sa chemise est propre, il n’y a pas fait<br />
de taches en lavant la voiture.<br />
314
CONCLUSION<br />
La réalité dépasse le langage. En disant cela, nous n’avons nullement l’intention<br />
d’affirmer que le langage ne rend pas compte de la réalité mais qu’il choisit<br />
toujours un angle, un point de vue. En transposant les événements réels dans le<br />
langage, l’esprit humain les cadre et les structure, en saisissant, dans la multitude<br />
des caractéristiques événementielles, celles qui lui semblent les plus importantes.<br />
Ainsi, prétendant à l’objectivité, la description langagière des événements garde<br />
aussi une grande part de subjectivité. Par ailleurs, le choix de l’angle sous lequel<br />
on décrit un événement dépend, d’une part, de la langue et, d’autre part, du<br />
locuteur. Ce choix est donc à la fois conscient et inconscient.<br />
Les relations qu’entretiennent entre eux les événements du monde réel sont<br />
complexes, relevant de la chronologie et de la causalité. S’appropriant les<br />
événements réels, le langage est apte à leur conférer des liens chronologiques,<br />
causaux et aussi sémantiques, ces derniers exposant l’attitude subjective du<br />
locuteur.<br />
Du point de vue chronologique, toutes les relations entre les événements dans<br />
l’énoncé peuvent être divisées en deux blocs : 1) relations temporellement<br />
ordonnées ; 2) relations temporellement non ordonnées. Fixer la chronologie<br />
exacte entre les événements n’est pas toujours le meilleur moyen de les décrire,<br />
d’autres éléments pouvant se révéler plus pertinents. Ainsi, la langue (et le<br />
locuteur qui la manie) privilégie souvent des liens causaux ou une énumération<br />
d’événements sans préciser l’ordre temporel entre eux. La condition nécessaire<br />
pour que se réalise un lien quelconque entre les événements dans l’énoncé est<br />
l’unité de la période de temps pendant laquelle se passent les actions. Quand il<br />
s’agit des relations temporellement ordonnées, cette unité représente une sorte de<br />
cadre général à l’intérieur duquel se déroulent les événements simultanés ou non<br />
simultanés. Lorsqu’il s’agit de relations non ordonnées, ce cadre temporel général<br />
s’installe au premier plan, devenant plus important que la distinction nette de<br />
chronologie entre les événements qui se déroulent en son sein.<br />
315
Conclusion<br />
Toutes les relations chronologiques, ordonnées ou non ordonnées, peuvent être<br />
purement temporelles ou « partager le terrain » de l’énoncé avec les relations<br />
causales ou sémantiques. Plusieurs types de relations peuvent se superposer et<br />
parfois il n’est pas évident (et il n’est pas nécessaire) de les démêler.<br />
Les informations qui aident à interpréter la chronologie entre les événements<br />
dans l’énoncé sont : 1) linguistiques ; 2) pragmatiques.<br />
Les informations linguistiques importantes pour l’interprétation de l’ordre temporel<br />
sont : 1) les adverbiaux (temporels, logiques) ; 2) l’aspect. Pourtant, ces<br />
informations ne sont pas décisives et doivent être validées ou invalidées au niveau<br />
pragmatique, celui-ci intervenant à tout moment de l’interprétation, dès la<br />
phonétique juqu’à la sémantique.<br />
En sachant cela, on comprend mieux ce qui manque à Sloujkine, le personnage<br />
que nous évoquons dans l’exemple (2) de l’Introduction. D’une part, Sloujkine est<br />
handicapé par l’absence de l’intention de lui communiquer quelque chose : les<br />
trois dames parlent entre elles sans se soucier de l’intrus. D’autre part, Sloujkine<br />
ne partage pas les mêmes connaissances du monde (donc les informations<br />
pragmatiques) avec elles : il n’a probablement jamais vu le feuilleton dont il s’agit.<br />
Les informations linguistiques dont dispose Sloujkine ne suffisent pas à elles<br />
seules pour qu’il puisse facilement reconstituer la trame du récit. Cependant, cet<br />
exemple montre aussi qu’il n’est pas toujours utile de tout comprendre. En<br />
interprétant un énoncé, on ne cherche pas une compréhension exhaustive mais<br />
une compréhension pertinente.<br />
316
ANNEXE<br />
I. Modèle des inférences directionnelles de Jacques Moeschler<br />
Pour Jacques Moeschler [Moeschler 1998 : 8-12, 311-321 ; 2000 a ; 2000 b],<br />
l’objectif a été de construire un modèle général de la détermination de l’ordre<br />
temporel. Pour son Modèle des inférences directionnelles (MID), Moeschler s’est<br />
inspiré non seulement de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson, mais<br />
aussi des théories sémantiques du discours, telles que la SDRT (Segmented<br />
Discourse Representation Theory) d’Asher et Lascarides [Asher 1993 ; Lascarides<br />
& Asher 1993 ; Lascarides & Oberlander 1993] et la DRT (Discourse<br />
Representation Theory) de Kamp et Rohrer [Kamp & Roher 1983 ; Kamp & Reyle<br />
1993].<br />
Présentation du modèle de Moeschler<br />
L’hypothèse fondamentale de Moeschler stipule que les facteurs conduisant à la<br />
compréhension d’un ordre temporel peuvent être hiérarchisés et, quels que soient<br />
ces facteurs, ils sont gérés par le biais de l’inférence générale.<br />
Pour établir un ordre entre deux énoncés dans le discours, le destinataire est<br />
amené à faire des inférences directionnelles : en avant et en arrière. Les<br />
inférences en avant (exemple (A1)) stipulent la correspondance entre l’ordre réel<br />
des événements et l’ordre dans lequel les événements apparaissent dans le<br />
discours (ordre temporel positif). Les inférences en arrière (exemple (A2)) donnent<br />
l’inversion temporelle où l’ordre réel des événements n’est pas respecté (ordre<br />
temporel négatif ) :<br />
(A1) Max poussa Jean. Jean tomba ;<br />
(A2) Jean tomba. Max l’avait poussé.<br />
317
Annexe<br />
Les énoncés dans lesquels il n’y a pas de progression (ou régression) temporelle,<br />
comme (A3) ou (A4) sont caractérisés comme ne contenant aucune inférence<br />
directionnelle, ni en avant, ni en arrière :<br />
(A3) Comme tous les matins à la même heure, ils allèrent d’un pas martial<br />
vers la récréation. Ils étaient heureux, tous les deux (Cohen : 102).<br />
(A4) Tout se mit à tourner autour d’Aurélien. Sa vue se brouilla (Aragon : 459).<br />
Les inférences directionnelles sont le résultat d’un calcul qui prend en compte<br />
divers facteurs organisés en degrés de force différents. Ces facteurs sont de deux<br />
types. Premièrement, il y a les informations linguistiques, à savoir les expressions<br />
procédurales (connecteurs et temps verbaux principalement) et les informations<br />
conceptuelles (fournies par les items lexicaux). Ces informations conceptuelles, en<br />
particulier causales, sont appelées par Moeschler règles conceptuelles.<br />
Deuxièmement, il y a les informations contextuelles c’est-à-dire un ensemble<br />
d’hypothèses contextuelles, liées à l’environnement cognitif du destinataire. On<br />
peut représenter ce schéma dans le tableau suivant :<br />
I. INFORMATIONS POUR CALCULER L’ORDRE <strong>TEMPOREL</strong><br />
Informations linguistiques Informations contextuelles<br />
Procédurales<br />
Connecteurs Temps verbaux<br />
Conceptuelles<br />
(causales)<br />
Hypothèses contextuelles<br />
Ces différentes informations portent chacune un trait directionnel dont la force est<br />
forte ou faible. Ces traits directionnels sont distribués comme suit:<br />
1) Les hypothèses contextuelles et les connecteurs ont un trait fort.<br />
2) Les temps verbaux et les règles conceptuelles ont un trait faible.<br />
La hiérarchie, destinée à résoudre des conflits entre des traits, se construit de la<br />
manière suivante : l’information contextuelle (les hypothèses contextuelles) est<br />
plus forte que l’information linguistique, l’information procédurale est plus forte que<br />
318
Annexe<br />
l’information conceptuelle, l’information procédurale propositionnelle (les<br />
connecteurs) est plus forte que l’information procédurale morphologiquement<br />
incorporée (les temps verbaux). Cette hiérarchie est résumée dans le tableau<br />
suivant :<br />
1. Hypothèses contextuelles<br />
2. Expressions procédurales<br />
2.1. Connecteurs<br />
2.2. Temps verbaux<br />
3. Règles conceptuelles<br />
II. HIERARCHIE DES INFORMATIONS DANS L’<strong>EN</strong>ONCE<br />
Fort<br />
Fort<br />
Faible<br />
Faible<br />
Afin d’ordonner deux énoncés entre eux, le destinataire doit effectuer une<br />
« procédure » d’évaluation des traits directionnels présents dans les deux<br />
énoncés en choisissant le trait le plus valable. Le calcul de la relation temporelle<br />
se déroule selon les principes ci-dessous :<br />
1. Un trait fort annule un trait faible si leurs directions sont opposées ;<br />
2. Un trait faible (ou un ensemble de traits faibles) n’est actif que s’il est validé<br />
par un trait fort de même direction. (En même temps, pour être actif, un trait<br />
directionnel, faible ou fort, doit impérativement être validé par une<br />
hypothèse contextuelle) ;<br />
3. Des traits faibles de directions opposées ne permettent d’inférer aucune<br />
direction.<br />
Pour illustrer le fonctionnement de son système, Moeschler présente deux<br />
exemples rituels dans lesquels se conjuguent des relations temporelles et<br />
causales :<br />
(A5) Max a poussé Jean. Jean est tombé ;<br />
(A6) Jean est tombé. Max l’a poussé.<br />
319
Annexe<br />
Selon le linguiste genevois, ces exemples contiennent une règle conceptuelle<br />
« pousser cause tomber », laquelle, engendre une hypothèse contextuelle : Si<br />
Max pousse Jean, Jean tombe.<br />
Les informations nécessaires au calcul de relation temporelle, présentes dans les<br />
énoncés, sont notées de la manière suivante :<br />
– [IAV] en majuscule indique les traits forts d’inférence en avant, [iav] en<br />
minuscule correspond aux traits faibles d’inférence en avant ;<br />
– [IAR] et [iar] correspondent respectivement aux traits forts et faibles d’inférence<br />
en arrière ;<br />
– [PC] définit le temps verbal – passé composé ;<br />
– [RC] renvoie à la règle conceptuelle ;<br />
– [HC] indique l’hypothèse contextuelle.<br />
La description donc de (A5) et de (A6), selon le modèle de Moeschler, est la<br />
suivante :<br />
(A5) Max a poussé Jean. Jean est tombé.<br />
Le passé composé porte un trait en avant, ce trait est faible, donc le<br />
symbole de E1 « a poussé » et de E2 « est tombé » est [iav PC].<br />
La règle conceptuelle « pousser cause tomber » porte un trait en<br />
avant faible, elle reçoit le symbole [iav RC].<br />
L’hypothèse contextuelle « Si Max pousse, Jean tombe » possède<br />
un trait en avant fort, recevant le symbole [IAV HC].<br />
Tout l’énoncé « Max a poussé Jean. Jean est tombé » est donc<br />
retranscrit comme suit :<br />
< [iav PC], [iav RC], [IAV HC] >.<br />
320
(A6) Jean est tombé. Max l’a poussé.<br />
Annexe<br />
Le passé composé porte un trait en avant, ce trait est faible, donc le<br />
symbole de E1 « a poussé » et de E2 « est tombé » est [iav PC].<br />
La règle conceptuelle « pousser cause tomber » porte un trait en<br />
arrière faible, elle reçoit le symbole [iar RC].<br />
L’hypothèse contextuelle « Si Max pousse, Jean tombe » possède<br />
un trait en arrière fort, recevant le symbole [IAV HC].<br />
Tout l’énoncé « Max a poussé Jean. Jean est tombé » est donc<br />
retranscrit comme suit :<br />
< [iav PC], [iar RC], [IAR HC] >.<br />
L’étape suivante consiste à effacer des contradictions entre les traits, en annulant<br />
les traits faibles au profit des traits forts. En (A5), les traits sont homogènes, on<br />
conclut donc facilement à l’inférence en avant, autrement dit à la progression<br />
temporelle – [IAV]. En revanche, en (A6), les traits divergent ; en reprenant le<br />
calcul, on obtient : < [iav PC], [iar RC], [IAR HC] > < [iar RC], [IAR HC] > <br />
< [IAR] >, c’est-à-dire la régression temporelle.<br />
Donnons encore un exemple du calcul de la relation temporelle entre deux<br />
événements E1 et E2 selon le modèle de Moeschler, cette fois avec le connecteur<br />
temporel parce que [Moeschler 2000 b : 9] :<br />
(A7) Jean tomba parce que Max le poussa.<br />
a. E1_tomba – [iav PASSÉ SIMPLE]<br />
b. parce que – [IAR PARCE QUE]<br />
c. E2_poussa – [iav PASSE SIMPLE] & [iar RC]<br />
d. E2_ [IAR PARCE QUE] & [iav PASSE SIMPLE] & [iar RC] [IAR]<br />
e. E1_ [iav] & E2_ [IAR] E1 & E2_ [IAR]<br />
f. Hypothèse contextuelle accessible : [IAR POUSSER CAUSE TOMBER]<br />
g. Résultat de l’interprétation : E1 & E2_ [IAR].<br />
Moeschler montre également comment fonctionne son modèle dans des énoncés<br />
où le temps ne progresse ne régresse :<br />
321
(A8) Bianca chanta l’air des bijoux et Igor l’accompagna au piano.<br />
Annexe<br />
(A9) Ce soir-là, notre héros but une bouteille de whisky et écrivit une lettre à<br />
Lady Ann.<br />
En (A8) et (A9), le passé simple et le connecteur et ont des traits [iav] et [IAV].<br />
Pourtant, il n’y a pas de progression temporelle dans ces exemples : en (A8), il y a<br />
concomitance et l’on est enclin à interpréter la relation temporelle en (A9) comme<br />
indéterminée.<br />
Dans le premier cas (A8), explique Moeschler, la règle conceptuelle :<br />
X accompagner Y au piano X et Y chanter et jouer du piano en même temps, –<br />
déclenche une hypothèse contextuelle : Si Bianca chante et Igor l’accompagne au<br />
piano, alors Bianca chante en même temps que Igor joue du piano 76 . La règle<br />
conceptuelle et l’hypothèse contextuelle annulent les traits en avant [iav] du passé<br />
simple du connecteur et.<br />
Dans le deuxième cas (A9), c’est aussi une hypothèse contextuelle qui abolit les<br />
traits en avant [iav] des deux formes verbales au passé simple. Cette hypothèse<br />
se fonde sur les entrées encyclopédiques des concepts boire une bouteille de<br />
whisky et écrire une lettre : processus discontinus qui peuvent être interrompus<br />
par d’autres événements. La formulation de l’hypothèse contextuelle est donc la<br />
suivante : Si le héros but une bouteille de whisky et s’il écrivit une lettre à Lady<br />
Ann, alors il but une bouteille de whisky et écrivit une lettre à Lady Ann en même<br />
temps.<br />
Les failles du modèle de Moeschler<br />
Le modèle des inférences directionnelles de Moeschler présente une tentative<br />
intéressante de décrire la procédure du calcul qu’effectue le destinataire pour<br />
établir la relation temporelle entre deux événements. Cependant, ce modèle<br />
s’avère réfutable tant du point de vue de la description linguistique que de celui de<br />
76 Cependant, remarque L. de Saussure, ces deux événements peuvent également être interprétés<br />
comme temporellement ordonnés : D’abord Bianca chanta, ensuite Igor l’accompagna jusqu’au<br />
piano [Saussure 2003 : 147].<br />
322
Annexe<br />
l’analyse pragmatique. Selon Louis de Saussure, ce sont certains présupposés<br />
théoriques erronés et l’architecture même, pas assez finement construite, du<br />
modèle qui provoquent des faiblesses dans la lecture des données linguistiques et<br />
pragmatiques. Ces défauts théoriques et architecturaux concernent surtout le rôle<br />
des traits directionnels, le statut de l’hypothèse contextuelle, la nature des règles<br />
contextuelles et le nombre des énoncés à analyser. Nous allons montrer certaines<br />
failles du système de Moeschler, en nous appuyant sur la synthèse critique de<br />
Saussure [Saussure 2003 a : 140-151].<br />
Le rôle des traits directionnels<br />
Posant les inférences directionnelles en avant, en arrière et nulles, le modèle de<br />
Moeschler réduit ainsi toutes les relations temporelles possibles dans l’énoncé à<br />
trois types : 1) inférences en avant (= progression temporelle) ; 2) inférences en<br />
arrière (= régression temporelle) et 3) inférences nulles (= indétermination<br />
temporelle). Si la progression et la régression temporelles, traduites en termes<br />
d’inférences en avant et en arrière, sont assez bien couvertes par son modèle, les<br />
relations d’indétermination temporelle, représentées par les inférences nulles,<br />
restent mal définies. Le paradigme de Moeschler ne permet pas d’accéder à une<br />
description détaillée de nombreux types d’indétermination temporelle, comme il<br />
oublie la concomitance. L’une des solutions, pour assouplir le calcul des relations<br />
temporelles, est suggérée par L. de Saussure, qui, proposant sa propre procédure<br />
de l’ordre temporel, abandonne les directions au profit d’opérations plus fines,<br />
basées sur des coordonnées temporelles.<br />
Comme nous l’avons vu, les inférences directionnelles, dans le modèle de<br />
Moeschler, sont déclenchées par les informations linguistiques et contextuelles<br />
contenues dans les énoncés. Toutes les informations possèdent des traits, forts<br />
ou faibles. Concrètement, le modèle dispose de quatre types d’informations (trois<br />
types pour les informations linguistiques : connecteurs, temps verbaux, règles<br />
conceptuelles ; et un type d’informations contextuelles : hypothèses contextuelles.<br />
(Cf. Le tableau I, p. 318), ce qui devrait nous amener à avoir quatre forces<br />
différentes. Seulement, en réalité, il n’y en a que deux, et, du point de vue formel,<br />
323
Annexe<br />
la force d’un connecteur temporel est égale à celle d’une hypothèse contextuelle<br />
(Cf. Le tableau II, p. 319).<br />
En plus, ce type d’architecture donne aux traits forts une domination totale, ce qui<br />
rend la présence des traits faibles, dans le calcul de certains énoncés, purement<br />
symbolique, voire complètement inutile. Saussure remarque que, dans les trois<br />
exemples (A5), (A6), (A7), il suffit de ne retenir que les traits forts pour obtenir le<br />
même résultat de l’analyse [Saussure 2003 a : 144]. Ainsi, les temps verbaux,<br />
porteurs des traits faibles, ne jouent pratiquement aucun rôle dans le calcul de<br />
l’ordre temporel, même s’ils fournissent des traits directionnels (en avant pour le<br />
passé simple et le passé composé, en arrière pour le plus-que-parfait). Les traits<br />
faibles des temps verbaux sont soit superflus, leur direction coïncidant avec celle<br />
des traits forts, soit annulés par une direction opposée des traits forts. Dans le<br />
modèle de Moeschler, un ordre temporel ne se déduit in fine que de la présence<br />
de(s) trait(s) fort(s). Les énoncés, comme (A10) qui ne contiennent que des traits<br />
faibles, ne reçoivent donc aucune interprétation dans le modèle des inférences<br />
directionnelles :<br />
(A10) François épousa Adèle. Paul acheta une maison à la campagne<br />
(Exemple de Saussure [Saussure 2003 a : 146, 222] ).<br />
Il y a un autre problème concernant les temps verbaux, dans le modèle de<br />
Moeschler. Nous avons vu que les traits directionnels des temps verbaux sont<br />
invariables, assignés par défaut : en avant pour le passé simple et le passé<br />
composé, en arrière pour le plus-que-parfait. Or, si pour le passé simple, cette<br />
hypothèse s’avère assez juste, pour les autres temps verbaux elle semble<br />
erronée.<br />
Effectivement, en attribuant au passé simple le trait directionnel en avant, le MID<br />
va dans le sens de pratiquement toutes les études de cette forme verbale,<br />
lesquelles affirment que la valeur principale du passé simple est de faire<br />
progresser le temps. Cette affirmation est surtout vraie pour les séquences<br />
homogènes passé simple + passé simple. Cependant, on peut remarquer que<br />
dans des séquences hétérogènes avec l’imparfait – passé simple + imparfait (ou<br />
324
Annexe<br />
imparfait + passé simple), – le passé simple désigne habituellement une action<br />
simultanée au procès de l’imparfait (A11) ou bien la relation temporelle entre les<br />
deux formes verbales reste indéterminée (A12) :<br />
(A11) En 1943-1944, lorsqu’il écrivit « Aurélien », Aragon vivait dans la<br />
clandestinité.<br />
(A12) Monsieur Amédée m’appela un soir d’une cabine téléphonique. Il<br />
semblait inquiet (Simon : 53).<br />
En ce qui concerne le plus-que-parfait, il est vrai que, dans une séquence avec le<br />
passé simple (A13), le plus-que-parfait a en général un trait en arrière :<br />
(A13) Max enleva ses chaussures. Il avait beaucoup marché (Exemple de<br />
[Saussure 2003 a : 254]).<br />
Mais, dans des séquences plus-que-parfait + plus-que-parfait, cette forme désigne<br />
plutôt la progression temporelle (A14) :<br />
(A14) D’un bond elle avait sauté sur ses genoux, l’avait embrassé dans la<br />
nuque, et pendant que se déroulait un baiser très hollywoodien, il avait<br />
déployé son journal autour de leurs visages […] (Simon : 65).<br />
Le passé composé, dans des séquences homogènes, peut marquer la<br />
progression (A15) ou l’indétermination temporelle (A16) :<br />
(A15) Marianne s’est approchée et a reconnu la veste à franges de son amie<br />
(Simon : 116).<br />
(A16) Une autre nuit, le même froid. Des propriétaires ont posé une housse<br />
sur leur voiture en stationnement, d’autres ont glissé un carton d’emballage<br />
entre les essuie-glaces et le pare-brise (Simon : 157).<br />
Remarquons que L. de Saussure avance l’hypothèse selon laquelle, le plus-que-<br />
parfait et le passé composé, dans les séquences homogènes, désignent par<br />
défaut l’indétermination temporelle [Saussure 2003 a : 150 ; 249-260]. Le modèle<br />
325
Annexe<br />
de Moeschler devrait soit assigner aux temps verbaux les traits directionnels<br />
indéterminés par défaut, soit attribuer une valeur au temps verbal d’un énoncé à<br />
partir du temps verbal de l’énoncé conjoint.<br />
Le nombre d’énoncés à analyser<br />
Le modèle de Moeschler analyse à la fois deux énoncés à ordonner. Cette<br />
position implique donc la procédure suivante : étant donné deux énoncés A et B, il<br />
faut analyser parallèlement les données linguistiques et contextuelles dans ces<br />
deux énoncés et en inférer un ordre temporel ; ensuite on traite de la même façon<br />
les énoncés B et C, C et D et ainsi de suite. Incluant dans son champ d’analyse<br />
deux énoncés, le modèle de Moeschler réduit ainsi l’espace cognitif de l’analyse,<br />
autrement dit le contexte dans lequel le destinataire pourrait puiser ses<br />
hypothèses. D’une part, une telle approche rend difficile l’étude des énoncés qui<br />
s’interprètent par le biais d’un tiers énoncé, comme le (A17) où les événements (b)<br />
et (c) sont à la fois indéterminés temporellement par rapport l’un à l’autre et<br />
englobés par l’événement général du (a) :<br />
(A17) L’été de cette année-là vit de nombreux changements dans la vie de<br />
nos héros (a). François épousa Adèle (b). Paul s’acheta une maison à la<br />
campagne (c).<br />
D’autre part, restent exclus de l’analyse les énoncés ayant des relations<br />
temporelles entre eux mais séparés par d’autres énoncés, comme dans l’exemple<br />
suivant où les événemente (a), (b) et (d) sont liés temporellement, représentant<br />
une relation de progression temporelle, mais (b) et (d) sont séparés par (c) :<br />
(A18) Marcel ralentit (a). La voiture se rangea contre le talus (b). Le chien<br />
courait toujours, de gauche et de droite, mi-affolé, mi-amusé (c). André<br />
ouvrit la portière […] (Troyat : 9).<br />
Nous sommes encline à partager l’avis de L. de Saussure : il semblerait plus près<br />
de la réalité cognitive de ne pas traiter deux énoncés conjointement mais un<br />
énoncé seul au milieu de son contexte [Saussure 2003 a : 149].<br />
326
Le statut de l’hypothèse contextuelle et la nature des règles conceptuelles<br />
Annexe<br />
Moeschler ne fait qu’effleurer l’explication de ce qu’est une hypothèse<br />
contextuelle. D’où provient-elle exactement ? A partir de quelles informations le<br />
destinataire construit-il des hypothèses contextuelles ? Quel est le rôle des<br />
connecteurs temporels et des règles conceptuelles dans la construction des<br />
hypothèses contextuelles ? Y a-t-il d’autres données contextuelles qui participent<br />
à la construction des hypothèses contextuelles ? A toutes ces questions, le<br />
modèle de Moeschler n’apporte guère de réponse.<br />
Les exemples avec le couple « pousser – tomber » nous font comprendre que<br />
l’une des possibilités d’accéder aux hypothèses contextuelles passe par les règles<br />
conceptuelles. Cependant, le mécanisme de l’ascension d’une règle conceptuelle<br />
au rang d’une hypothèse contextuelle n’est pas expliqué.<br />
Le modèle de Moeschler ne nous présente qu’un seul type de règles<br />
conceptuelles – la règle causale et reste muet sur d’autres relations conceptuelles,<br />
comme, par exemple, les relations stéréotypées. Cependant, l’un des exemples<br />
de Moeschler ((A8) Bianca chanta l’air des bijoux et Igor l’accompagna au piano))<br />
montre que, mis à part les relations temporelles et causales, il y a d’autres liens<br />
possibles entre les événements, des relations conceptuelles en l’occurrence<br />
(appelées sémantiques, dans les approches plus traditionnelles).<br />
Le modèle des inférences directionnelles relègue les règles conceptuelles au<br />
statut d’informations linguistiques. Ainsi, les relations causales, comme<br />
« pousser – tomber », dériveraient entièrement des significations des verbes,<br />
c’est-à-dire du lexique. Il faut donc comprendre que tomber est une implication<br />
lexicale de pousser. Nous voyons, dans cette position, un égarement du<br />
pragmatisme de la théorie de la pertinence, notamment de son hypothèse du<br />
contexte choisi. Premièrement, d’après la théorie de la pertinence, les relations<br />
conceptuelles, dont causales, ne sont pas lexicales, mais inférées<br />
pragmatiquement. Deuxièmement, les informations pragmatiques ne sont pas<br />
imposées au destinataire, ce dernier construit ses hypothèses ad hoc à partir des<br />
informations qui sont à sa disposition. Pousser n’implique tomber que dans<br />
certaines circonstances. Comme remarque L. de Saussure, légèrement ironique,<br />
327
Annexe<br />
pousser peut aussi impliquer un caddie, un cri ou une chansonnette [Saussure<br />
2003 a : 149]. En ce qui concerne les relations conceptuelles, nous nous rangeons<br />
du côté de la théorie de la pertinence et de L. de Saussure. Nous parlerons en<br />
détail de notre position ultérieurement.<br />
II. Modèle pragmatique procédural du temps de Louis de Saussure<br />
Insatisfait du modèle de Moeschler, Louis de Saussure se propose de l’améliorer.<br />
Ainsi, il construit son propre modèle du calcul de l’ordre temporel, dit Modèle<br />
pragmatique procédural du temps (MPPT) [Saussure 2003 a : 165-297].<br />
Les principes théoriques du modèle de Saussure<br />
Saussure part d’une idée ambitieuse qu’il est possible de construire un modèle<br />
pragmatique procédural général d’interprétation de l’énoncé (et donc du langage).<br />
Son Modèle pragmatique procédural du temps constitue en quelque sorte un<br />
premier jalon de ce modèle général. Le MPPT porte l’empreinte de cinq théories, à<br />
savoir : 1) le modèle des inférences directionnelles de Moeschler ; 2) la théorie de<br />
la pertinence ; 3) le modèle logique des temps verbaux de Reichenbach ; 4) la<br />
SDRT (Segmented Discourse Representation Theory) d’Asher et Lascarides ; 5)<br />
la DRT (Discourse Representation Theory) de Kamp et Rohrer [Kamp, Rohrer<br />
1983]. Les deux notions-clefs du modèle de Saussure sont la procédure et la<br />
pragmatique.<br />
La théorie de la pertinence lance une idée : l’interprétation est une procédure.<br />
Saussure s’inspire de cette idée et de son évolution dans le travail de J.-M.<br />
Luscher [Luscher 2002]. Effectivement, pour interpréter un énoncé, autrement dit,<br />
pour accéder au bon référent, le destinataire doit réaliser une série d’opérations<br />
mentales. L’esprit ne manipule pas des informations linguistiques et pragmatiques<br />
n’importe comment, au hasard. Au contraire, à partir d’un input phonologique,<br />
l’esprit déclenche une suite d’opérations automatiques bien organisées entre elles.<br />
Dès lors, il est possible de décrire ces opérations d’une manière structurée, donc<br />
328
Annexe<br />
de dresser une procédure. Une procédure est un parcours à suivre, pas à pas, qui<br />
démarre dès le stimulus verbal et se poursuit jusqu’à l’hypothèse interprétative<br />
finale [Saussure 2003 a : 155, 165-166].<br />
Selon Saussure, le modèle de Moeschler, s’attachant trop à la logique discursive<br />
et sémantique, n’exploite pas pleinement les attendus pragmatiques de la théorie<br />
de la pertinence. Dans le modèle de Moeschler, les paramètres permettant de<br />
calculer un ordre temporel sont directement fournis au destinataire : ce dernier n’a<br />
pas vraiment à effectuer une procédure d’inférence. Donc, le caractère inférentiel<br />
même de ce modèle est compromis [Saussure 2003 a : 143, 145]. Saussure garde<br />
le modèle de Moeschler comme point de départ mais va beaucoup plus loin que<br />
son confrère dans le développement des principes inférentiels de la théorie de la<br />
pertinence en fondant son modèle sur la procédure.<br />
L’autre trait prépondérant du modèle de Saussure est son aspect pragmatique,<br />
lequel se manifeste à tous les niveaux de l’analyse. Saussure n’emploie pas la<br />
méthode traditionnelle de l’analyse, c’est-à-dire la méthode où l’on procède<br />
progressivement, strate par strate : d’abord la syntaxe, ensuite la sémantique et<br />
enfin la pragmatique. Non, pour Saussure, la pragmatique s’infiltre dans l’analyse<br />
dès le niveau syntaxique. Effectivement, un certain nombre d’observations, allant<br />
à l’encontre de la structure classique à trois étages (syntaxe, sémantique,<br />
pragmatique), donnent raison au chercheur genevois. Rappelons que la théorie de<br />
la pertinence assure l’analyse de l’énoncé à trois niveaux : 1) le stimulus verbal<br />
reçu par le destinataire est transformé en une représentation sémantique<br />
minimale – forme logique (ce qui correspond aux étages syntaxique et sémantique<br />
du traitement) ; 2) le système central procède à la désambiguïsation de la forme<br />
logique en la transformant en forme propositionnelle (niveau pragmatique) ; 3) par<br />
des opérations inférentielles, le destinataire assigne à la forme propositionnelle<br />
des enrichissements pragmatiques et obtient ainsi le vrai référent (niveau<br />
pragmatique développé) [Sperber, Wilson 1989 : 112-119]. Pourtant, remarque<br />
Saussure [Saussure 2003 a : 155-156], il est judicieux de supposer que, dans<br />
certains énoncés, dans ceux, par exemple, qui peuvent avoir deux formes<br />
syntaxiques (126), le destinataire est d’emblée guidé pragmatiquement pour<br />
trouver la bonne interprétation (A19’) et non (A19’’) :<br />
329
Annexe<br />
(A19) La petite brise la glace (exemple tiré de [Sperber, Wilson 1989 : 274]).<br />
(A19’) La ARTICLE petite NOM brise VERBE la ARTICLE glace NOM = La petite<br />
fille brise la glace ;<br />
(A19’’) La ARTICLE petite ADJECTIF brise NOM la PRONOM glace VERBE = Le petit<br />
vent lui donne froid.<br />
En effet, dans une situation neutre de communication, il est peu probable que le<br />
destinataire accède à un moment ou à un autre du traitement à l’hypothèse<br />
(A19’’), car tout le contexte le guide directement au référent petite fille de (A19’). Il<br />
semblerait ainsi que le système central de la pensée, à savoir la dimension<br />
pragmatique, interviendrait dès le début, lors des modules syntaxiques et<br />
sémantiques, évitant au destinataire des opérations inutiles et coûteuses. Pour<br />
Sperber et Wilson, le système central bloque des opérations de décodage inutiles,<br />
pour Saussure, le système central défavorise des opérations inutiles ; ce qui<br />
revient, au fond, à la même conclusion : le système central favorise les<br />
hypothèses les plus pertinentes [Saussure 2003 a : 155-156]. Pourtant, souligne<br />
Saussure, le système linguistique n’est pas une partie du système central. Le<br />
système central agit comme un fournisseur de service pour le système linguistique<br />
en favorisant son action, et inversement le système linguistique est un fournisseur<br />
pour le système central en produisant la représentation dont ce dernier a besoin<br />
pour trouver une forme propositionnelle, assigner des référents et tirer des<br />
implications, bref pour réaliser une interprétation complète. Ainsi, le système<br />
central n’a pas seulement la fonction de fournisseur de service mais aussi celle de<br />
producteur d’étapes du processus interprétatif. Le système central est orienté vers<br />
la pertinence et il intervient pour minimiser le coût des opérations du système<br />
linguistique, mais ce dernier possède par ailleurs ses propres mécanismes de<br />
computation [Ibid. : 156].<br />
On constate que le modèle de Saussure suit fidèlement l’hypothèse centrale de la<br />
théorie de la pertinence : l’information linguistique est sous-déterminée,<br />
l’interprétation de l’énoncé dépend hautement du contexte 77 . Cela veut dire que la<br />
77 Dans l’idéal, note Saussure, l’élaboration d’une procédure générale d’interprétation devrait tenir<br />
compte du contexte qui n’est pas donné mais qui, comme nous le dit la théorie de la pertinence, se<br />
330
Annexe<br />
plupart des faits linguistiques n’ont pas de significations stables mais sont inférés<br />
par le destinataire.<br />
Le modèle de Saussure, suivant la méthode de la Discourse Representation<br />
Theory de Kamp et Rohrer, abandonne les arbres purement descriptifs au profit<br />
d’algorithmes, qui offrent une description plus logique, plus explicite, plus<br />
minutieuse et plus en adéquation avec la réalité psychologique. L’algorithme<br />
semble plus approprié que l’arbre de Porphyre pour expliciter tous les choix que<br />
fait le destinataire lors du processus du traitement de l’énoncé [Saussure 2003 a :<br />
149, 166, 172].<br />
Contrairement au modèle de Moeschler, le modèle de Saussure ne traite pas deux<br />
énoncés à la fois, mais un seul. Sa référence temporelle est fixée par rapport à un<br />
énoncé antérieur ou par rapport à une (des) information(s) encyclopédique(s)<br />
incorporée(s) dans l’énoncé en cours de traitement.<br />
Les faits linguistiques (et pragmatiques) qui influencent l’ordre temporel sont<br />
appelés, dans le modèle de Saussure, expressions procédurales. Comme il est<br />
impossible de prendre en considération tous les facteurs qui déteignent sur l’ordre<br />
temporel pour une raison évidente de place, Saussure se limite aux faits les plus<br />
courants et les plus significatifs. Ainsi, son modèle encadre les mêmes facteurs<br />
que le modèle de Moeschler : temps verbaux du passé (passé simple, imparfait,<br />
passé composé et plus-que-parfait), connecteurs temporels, adverbiaux, règles<br />
conceptuelles (ces dernières deviennent chez Saussure relations conceptuelles).<br />
En même temps, Saussure souligne l’importance, pour le calcul de l’ordre<br />
temporel, de la dimension aspectuelle et de la sémantique des prédicats,<br />
lesquelles sont également incluses dans le paradigme de son modèle.<br />
construit pendant l’interprétation. Il est probablement possible de construire la procédure<br />
d’interprétation en envisageant deux ensembles de faits : le premier, constitué par l’environnement<br />
cognitif du destinataire (l’état du système) ; le deuxième, qui est considéré comme vide au début<br />
du processus de l’interprétation et qui se construit au fur et à mesure en récupérant des<br />
hypothèses pertinentes et en inférant des hypothèses implicitées (contexte). Cependant, pour<br />
confirmer cette piste, il faut étudier en détail les mécanismes de computation à toutes les étapes<br />
des opérations, en s’appuyant peut-être sur des expérimentations neurocognitives [Saussure<br />
2003 a : 156-157].<br />
331
Annexe<br />
A la différence de Moeschler, Saussure refuse aux expressions procédurales des<br />
significations stables, constantes, « non défaisables » et introduit une règle par<br />
défaut. La règle par défaut suppose que la signification de toute expression<br />
procédurale est inférée à défaut d’informations plus contraignantes ou par défaut<br />
de contraintes plus fortes. Par exemple, on attribue habituellement au passé<br />
simple la valeur de faire progresser le temps. Selon la règle par défaut, c’est une<br />
valeur préférée et non obligatoire. On choisit cette signification par défaut de<br />
contraintes plus fortes, parce qu’elle est la moins coûteuse pour l’interprétation, la<br />
moins pragmatiquement enrichie. Mais si le destinataire rencontre des contraintes<br />
plus fortes que cette valeur du passé simple, il la sacrifiera pour l’interprétation<br />
avec l’enrichissement pragmatique le plus faible. La logique de choix mise en<br />
œuvre dans le modèle est non prudente. Cela signifie que le destinataire opte<br />
pour une hypothèse qui lui semble la plus prometteuse et qui peut s’avérer fausse,<br />
auquel cas le destinataire revient sur son choix et adopte une autre possibilité. La<br />
logique prudente, c’est-à-dire un choix entre plusieurs possibilités à la fois serait<br />
trop coûteuse pour le calcul, incompatible avec l’hypothèse d’effets et efforts<br />
cognitifs de la théorie de la pertinence [Saussure 2003 a : 170-171].<br />
Enfin, pour Saussure, la détermination de l’ordre temporel implique<br />
nécessairement la détermination de la référence temporelle du procès. Il ancre<br />
donc dans son modèle les points de repérage temporel de Reichenbach E / R / S.<br />
Cependant, pour Saussure les formules à trois points des temps verbaux ne sont<br />
pas figées, il les manipule selon les conditions de l’énoncé, en annulant par<br />
exemple la pertinence de R lorsqu’il se confond avec S, en incrémentant la valeur<br />
de R au passé simple ou encore en rajoutant des caractéristiques aspectuelles<br />
supplémentaires (étendue du procès, état résultant) [Saussure 2003 a : 221-249].<br />
Architecture de la procédure de l’interprétation temporelle<br />
Le modèle d’interprétation temporelle de Saussure prévoit trois types<br />
d’opérations :<br />
332
Annexe<br />
1) Instruction par défaut. Ce sont des instructions qui s’appliquent dans des<br />
conditions normales (par exemple, l’instruction par défaut du passé simple est la<br />
suivante :<br />
E, R – S ; R : = R + 1 (la valeur de R est incrémentée) ; E : = R).<br />
2) Instructions secondaires. Ce sont des instructions du temps verbal qui ne<br />
portent pas directement sur l’ordre temporel mais enrichissent l’interprétation de<br />
manière générale. Il s’agit par exemple de diverses caractéristiques aspectuelles :<br />
état résultant, mode d’action ingressif, itératif, etc. (Nous supposons que c’est à ce<br />
niveau-là que le russe se distingue particulièrement du français, grâce à son<br />
système aspectuel grammaticalisé).<br />
3) Instructions contraintes. Ce sont des instructions qui ne s’appliquent que<br />
lorsque les instructions par défaut ne se réalisent pas à cause d’un conflit<br />
[Saussure 2003 a : 261] :<br />
Dans ces grandes lignes, la procédure se présente de la façon suivante [Saussure<br />
2003 a : 276-284] :<br />
Le destinataire reçoit, dans son système d’entrée (input), un énoncé à<br />
traiter.<br />
Le système détecte alors la présence et la nature des expressions<br />
procédurales (adverbiaux, temps verbaux).<br />
Le destinataire compare les données procédurales avec les données de<br />
l’environnement cognitif pour comprendre si l’instruction par défaut sera<br />
productive d’effet ou non.<br />
Si aucune hypothèse ne contredit l’instruction par défaut (cela signifie<br />
qu’aucun connecteur ni relation conceptuelle ne va à l’encontre de<br />
l’interprétation par défaut), le destinataire l’applique et l’enrichit par des<br />
instructions secondaires (si elles sont présentes), en tirant en fin de compte<br />
l’ordre temporel.<br />
333
Annexe<br />
Si l’instruction par défaut ne peut se réaliser, le destinataire doit appliquer la<br />
procédure d’un connecteur ou d’une relation conceptuelle [Saussure 2003<br />
a : 277-279].<br />
L. de Saussure attire l’attention sur le fait que la procédure n’est pas linéaire, les<br />
processus de traitement des données linguistiques et conceptuelles se déroulant<br />
en parallèle. Le modèle de l’interprétation temporelle est en fait conçu comme un<br />
système de branchement de sous-procédures à la procédure générale. On peut<br />
maintenant donner le schéma général de la procédure d’interprétation temporelle :<br />
C = connecteur ;<br />
RC = règle conceptuelle ;<br />
TV = temps verbal ;<br />
Vn = variable temporelle<br />
334
III. SCHEMA G<strong>EN</strong>ERAL DE LA PROCEDURE DE L’INTERPRETATION <strong>TEMPOREL</strong>LE DE<br />
Input (Enoncé)<br />
Traitement linguistique<br />
Connecteurs ou<br />
compléments<br />
Procédure TV, sémantique de<br />
base, instruction par défaut<br />
Ordre TV<br />
Relations conceptuelles<br />
saillantes ?<br />
Ordre TV<br />
pertinent ?<br />
Procédure TV<br />
instr. secondaire<br />
Mise à jour Vn – FIN<br />
L. DE SAUSSURE<br />
Conflit avec<br />
un C<br />
Procédure Récupération de<br />
Connecteur l’instr. directionnelle<br />
Instr. Directionnelle ou demandée par le<br />
Par défaut compléments<br />
Ordre C<br />
Variable<br />
indisponible ?<br />
Construction de<br />
l’instruction<br />
Ordre RC<br />
Avec une RC<br />
pertinente ?<br />
?*<br />
Validation de<br />
Ordre C<br />
Procédure TV<br />
Instructions<br />
contraintes<br />
Validation de<br />
Ordre RC<br />
Crée Vn selon<br />
sém. TV<br />
Annexe<br />
335
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Dans un souci d’accessibilité à l’intention du lecteur non russisant, tous les titres en cyrillique sont<br />
translittérés et traduits entre crochets en français. L’ordre alphabétique suivi est celui de l’alphabet<br />
français, étant entendu que toute lettre diacritée suit immédiatement son homologue non diacritée :<br />
après c, š après s, ž après z.<br />
Les abréviations « p. » (pour « page ») et « pp. » (pour « pages ») sont employées quelle que soit<br />
la langue de l’ouvrage (russe, allemand, etc.).<br />
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Bibliographie<br />
Cohen – Albert Cohen. Belle du seigneur. Ed. France Loisirs, 2001. – 854 p.<br />
Le Clézio – J.M.G. Le Clézio. Diego et Frida. Ed. Gallimard : Collection Folio,<br />
2003. – 310 p.<br />
Simon – Yves Simon. La dérive des sentiments. Ed. Grasset : Livre de poche,<br />
1999. – 224 p.<br />
Troyat – Henri Troyat. La pierre, la feuille et les ciseaux. Ed. France Loisirs,<br />
1974. – 282 p.<br />
2. En russe<br />
., I –. :.. I. – :<br />
, 1961. – 590 .<br />
. , II – . : . . II. –<br />
: , 1961. – 383 .<br />
– . . . – :<br />
, 2005. – 478 .<br />
354
Bibliographie<br />
– . . – :<br />
, 1998. – 416 .<br />
–.:. – : ,<br />
1960. – 631 .<br />
– . . . – : <br />
, 1988. – 832 .<br />
, I – . : . . I // -<br />
, 1988, 7. – 128 .<br />
, II – . : . . II // -<br />
, 1988, 8. – 112 .<br />
– . : . – . : -<br />
, 2005. – 512 .<br />
, – ,. :.<br />
– : « », 2002. – 350 .<br />
– . : . – :<br />
, 2005. – 624 .<br />
– . . – : , 2000. –<br />
348.<br />
– . . <br />
. . . – : <br />
, 1977. – 736 .<br />
– . : <br />
..2. – : , 1967. – . 7-256.<br />
– . : , <br />
: . – : , 1987. –<br />
303.<br />
355
Bibliographie<br />
– . : . –<br />
: , 1979. – 125 .<br />
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,, 2006. – 448 .<br />
– . . . . – :<br />
, 1974. – 752 .<br />
, I – . . . –<br />
: , 1978. – 653 .<br />
, II – . : . . – :<br />
,, 1998. – 704 .<br />
– . : . – :<br />
, 1992. – 288 .<br />
356
TABLE DES MATIÈRES<br />
REMERCIEM<strong>EN</strong>TS……………………………………………………………………….2<br />
SOMMAIRE………. ………………………………………………………………………3<br />
AVERTISSEM<strong>EN</strong>T………..……………………………………………………………...4<br />
INTRODUCTION……………………………………………………………………….....8<br />
1. Problématique………………………………………………………………………...8<br />
2. Principes théoriques, précisions méthodologiques et terminologiques………16<br />
3. Corpus……………………………………………………………………………….24<br />
4. Plan de la thèse…………………………………………………………………….24<br />
Chapitre 1. LA REPRÉS<strong>EN</strong>TATION DES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS DANS LE<br />
LANGAGE………………………………………………………………..26<br />
1.1. Événement réel et événement langagier ....................................................26<br />
1.2. Événement langagier et prédication ...........................................................34<br />
1.3. Le temps langagier .....................................................................................48<br />
1.4. Les catégories verbales exprimant l’idée du temps ....................................51<br />
1.4.1. Temps verbaux .…………………………………………………………………...51<br />
1.4.2. Aspect ............................................................................................................52<br />
1.4.3. Mode d’action (Aktionsart) ..............................................................................56<br />
1.4.4. Télicité et bornage ..........................................................................................58<br />
1.4.5. Classes sémantiques des verbes ...................................................................61<br />
1.5. En guise de bilan : la référence des événements .......................................65<br />
Chapitre 2. APPRÉH<strong>EN</strong>DER LE TEMPS PAR LES RELATIONS EXISTANT<br />
<strong>EN</strong>TRE LES ÉVÉNEM<strong>EN</strong>TS…………………………………………..69<br />
2.1. Le modèle logique des temps de Hans Reichenbach..................................69<br />
2.1.1. Présentation de la théorie de Reichenbach.....................................................69<br />
357
Table des matières<br />
2.1.2. Les pierres d’achoppement de la théorie de Reichenbach..............................74<br />
2.1.3. La théorie de Reichenbach et le verbe russe (La conception de<br />
E.V. Padueva)............................................................................................... 77<br />
2.2. L'approche sémantique (Théorie de la taxis)...............................................81<br />
2.2.1. Origine de la théorie de la taxis .......................................................................81<br />
2.2.2. La taxis dans la conception de A. V. Bondarko ...............................................83<br />
2.3. L'approche pragmatique (L'Ecole de Genève).............................................91<br />
2.3.1. Le socle de l’approche genevoise : la théorie de la pertinence.......................92<br />
2.3.1.1. Sources de la théorie de la pertinence .....................................................92<br />
2.3.1.2. Hypothèse de sous-détermination linguistique de l’énoncé......................93<br />
2.3.1.3. Hypothèse du contexte choisi...................................................................95<br />
2.3.1.4. Effets et efforts cognitifs ...........................................................................96<br />
2.3.2. Pertinence et référence temporelle..................................................................98<br />
2.3.3. Modèles de l'ordre temporel de Moeschler et de Saussure.......................... 101<br />
2.3.3.1. Configurations temporelles des énoncés………………………………….101<br />
2.3.3.2. Calculer l'ordre temporel ...................................................................... .104<br />
2.4. Bilan : un modèle à compléter......................................................................107<br />
Chapitre 3. ÉNONCÉS A PRÉDICATS AUTONOMES…………………………..109<br />
3.1. Types de relations entre les événements dans l’énoncé : entrée en<br />
matière………………………………………………………………………… 109<br />
3.2. Facteurs pragmatiques ..............................................................................112<br />
3.2.1. Informations encyclopédiques et logiques. Règles conceptuelles................ 113<br />
3.2.2. Intervalle ....................................................................................................... 121<br />
3.3. Facteurs linguistiques ................................................................................125<br />
3.3.1. Adverbiaux et conjonctions : connecteurs temporelles, causaux et<br />
logiques…………………………………………………………….……………….125<br />
3.3.2. Temps et aspect ........................................................................................... 127<br />
3.3.2.1. Passé perfectif : valeurs temporelles de base ....................................... 129<br />
3.3.2.2. Passé imperfectif : valeurs temporelles de base ................................... 131<br />
3.3.2.3. Combinaisons des formes aspecto-temporelles du passé : valeur par<br />
défaut .................................................................................................... 134<br />
3.4. Relations chronologiques entre les événements .......................................142<br />
3.4.1. Antériorité / postériorité................................................................................. 142<br />
3.4.1.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif…………………………..144<br />
3.4.1.2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif…………………….155<br />
3.4.1.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif ……………………….157<br />
3.4.1.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif ……………………….161<br />
3.4.2. Postériorité / antériorité................................................................................. 164<br />
3.4.2.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif…………………………..164<br />
3.4.2.2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif ……………………168<br />
3.4.2.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif ……………………….171<br />
3.4.2.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif………………………..172<br />
358
Table des matières<br />
3.4.3. Simultanéité .................................................................................................. 173<br />
3.4.3.1. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif ……………………174<br />
3.4.3.2. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif…………………………..178<br />
3.4.3.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif………………………..181<br />
3.4.3.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif ……………………….183<br />
3.4.4. Relations temporelles non ordonnées .......................................................... 184<br />
3.4.4.1. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé perfectif ………………………….186<br />
3.4.4.2. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé imperfectif…………………….189<br />
3.4.4.3. (E1) Passé perfectif + (E2) Passé imperfectif ……………………….191<br />
3.4.4.4. (E1) Passé imperfectif + (E2) Passé perfectif ……………………….192<br />
3.5. Relations causales.....................................................................................197<br />
3.5.1. Cause / conséquence ................................................................................... 198<br />
3.5.1.1. Antériorité / postériorité (Ordre temporel positif) ……………………200<br />
3.5.1.2. Postériorité / antériorité (Ordre temporel négatif)……………………201<br />
3.5.1.3. Simultanéité...…………………………………………………………...201<br />
3.5.1.4. Indétermination temporelle…………………………………………….202<br />
3.5.2. But ................................................................................................................ 203<br />
3.5.3. Concession ................................................................................................... 204<br />
3.5.4. Condition....................................................................................................... 206<br />
3.6. Relations de caractérisation.......................................................................207<br />
3.6.1. Concrétisation............................................................................................... 208<br />
3.6.2. Appréciation et interprétation........................................................................ 213<br />
3.7. Bilan...........................................................................................................217<br />
Chapitre 4. ÉNONCÉS A PRÉDICAT SECONDAIRE (LE CAS DU<br />
GÉRONDIF)…………………………………………………………….219<br />
4.1. Précisions terminologiques ........................................................................219<br />
4.2. Le gérondif, forme hybride : le flou des définitions.....................................220<br />
4.3. Particularités syntaxiques et sémantiques du gérondif ..............................223<br />
4.4. Gérondif et ordre temporel.........................................................................232<br />
4.5. Relations chronologiques entre les événements .......................................234<br />
4.5.1. Le gérondif exprime une action antérieure ................................................... 250<br />
4.5.1.1. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif……………………………234<br />
4.5.1.2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif …………………………..240<br />
4.5.1.3. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif ……………………..243<br />
4.5.1.4. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif ……………………..243<br />
4.5.1.5. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif ………………………..244<br />
4.5.1.6. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif………………………...245<br />
4.5.1.7. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif ………………………..245<br />
4.5.1.8. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif ………………………..246<br />
4.5.2. Le gérondif exprime une action postérieure ................................................. 246<br />
4.5.2.1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif……………………………249<br />
359
Table des matières<br />
4.5.2.2. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif ………………………..250<br />
4.5.2.3. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif ………………………..250<br />
4.5.2.4. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfecti………………………251<br />
4.5.3. Simultanéité .................................................................................................. 252<br />
4.5.3.1. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif……………………..252<br />
4.5.3.2. (E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif………………………...256<br />
4.5.3.3. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe imperfectif<br />
(E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif perfectif………………………...262<br />
4.5.3.4. (E1) Gérondif perfectif + (E2) Verbe perfectif<br />
(E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif……………………………267<br />
4.5.4. Relations temporelles non ordonnées .......................................................... 268<br />
4.5.4.1. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif perfectif …………………………..268<br />
4.5.4.2. (E1) Verbe perfectif + (E2) Gérondif imperfectif avec négation ………270<br />
4.5.4.3. (E1) Verbe imperfectif + (E2) Gérondif imperfectif<br />
(E1) Gérondif imperfectif + (E2) Verbe imperfectif ……………………..271<br />
4.6. Relations causales.....................................................................................272<br />
4.6.1. Cause ........................................................................................................... 272<br />
4.6.2. Conséquence................................................................................................ 278<br />
4.6.3. But ................................................................................................................ 279<br />
4.6.4. Concession ................................................................................................... 282<br />
4.6.5. Condition....................................................................................................... 286<br />
4.7. Relations de caractérisation.......................................................................287<br />
4.7.1. Concrétisation............................................................................................... 289<br />
4.7.2. Appréciation et interprétation........................................................................ 307<br />
4.8. Bilan...........................................................................................................310<br />
CONCLUSION…………………………………………………………………………315<br />
ANNEXE………………………………………………………………………………..317<br />
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………...336<br />
TABLE DES MATIÈRES……………………………………………………………..357<br />
360