02.07.2013 Views

Enquête

Enquête

Enquête

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Christine est morte du sida en septembre (voir Remaides<br />

n°53), mais son regard bleu planté dans le nôtre, ses écrits,<br />

ses cris, continuent de nous faire vibrer. Remaides a voulu,<br />

une dernière fois, vous faire partager un de ses textes,<br />

inédit, dédié à son fils. Une maman comme tout le monde…<br />

Presque.<br />

Ultimes mots d’amour<br />

Midi. Chez elle seule devant son bureau, avec son bouquin<br />

à écrire sur la vie quotidienne d'une séropositive.<br />

Deux heures de l'après-midi. Entamer ou finir quelque chose,<br />

un peu coincée entre deux horaires qui devront de toute manière<br />

lui faire interrompre toute activité. Envie de parler de son<br />

virus à un être humain, un commun des mortels.<br />

Interdiction. La France a beau être un pays libre et tolérant, il<br />

fallait faire le muet. C'est honorable d'avoir un cancer, mais le<br />

sida, malades et séropositifs confondus, il fallait le cacher pour<br />

la famille, la profession, et celle du conjoint, pour les enfants.<br />

C'était son cas, elle qui n'avait contaminé ni son fils ni son mari.<br />

De nombreux exemples, que je ne citerai pas ici, d'émissions<br />

chocs où le scoop avait été de filmer un malade ou un jeune<br />

séropositif parlant de fin proche, à plus ou moins brève échéance.<br />

De la merde tout ça, du crime ! Et l'espoir, et la vie dans<br />

tout ça ? La rage de vivre, de prendre en main mon virus.<br />

Les toubibs qui me suivent me l'avaient bien dit : un séropositif<br />

doit vivre comme tout le monde, surtout ne pas lire, voir et<br />

écouter la presse. Les malades aussi n'étaient pas forcément<br />

des morts-vivants, ils pouvaient vivre, travailler, se faire suivre.<br />

Décence et dignité, messieurs des médias.<br />

16h20. Je piétinais d'impatience avec le pain au chocolat du<br />

goûter de mon fils qui suintait de chaleur.<br />

16h30. Les enfants, sortie en bousculade. Et je me haussais le<br />

cou comme une girafe. Toute miro que je suis, je le vis de loin,<br />

le tee-shirt hors du pantalon, la braguette à moitié ouverte, le<br />

bidon à l'air, tout dépenaillé, avec son cartable sur le dos qui tirait<br />

d'un côté. Il était relax, comme d'habitude, pas pressé, pourquoi<br />

le serait-il ? Il avait, lui, l'assurance que je serais là. C'était ma<br />

rentrée plus que la sienne, et j'avais eu l'éclipse momentanée de<br />

l'avoir perdu. Il avait vaguement l'air de me chercher, puis quand<br />

il me vit, il me fit une grimace de gros bébé, ce genre de grimace<br />

qu'il savait que je détestais, et il se précipita sur le pain au<br />

chocolat en me réclamant à boire. Je lui tendis une brique de jus<br />

de pomme, et il engloutit le tout avant de s'intéresser à moi. Sur<br />

le chemin, je le rafistolais. Qu'il faisait chaud. Déjà, il croisait des<br />

gosses qui l'appelaient par son nom.<br />

Mais lui, hautain, passait l'air "c'est cela, oui ! Vous ne voyez<br />

pas que je suis avec ma maman !". Je lui expliquai que ce<br />

n'était pas très sympa ce mépris qu'il affichait, et que c'était<br />

bon d'avoir des potes, qu'il fallait leur répondre, que…<br />

- D'accord Maman,<br />

me répondit-il d'un<br />

air excédé et soumis.<br />

Il a fallu au<br />

moins une semaine<br />

pour qu'il nous<br />

parle de ce qui se<br />

passait en classe.<br />

Il était "lent", me<br />

disait la maîtresse,<br />

puis ça s'améliora.<br />

Il était le fort en<br />

maths, avait envie<br />

de savoir lire, vite.<br />

Mon fils, la vie. Ma vie.<br />

Il faut que je tienne. Il faut que je me bagarre. Encore<br />

combien de temps ? Combien d’analyses, de visites à l’hosto,<br />

de comprimés ? Comment et quand tout cela va finir ? J’ai<br />

tellement envie de le voir grandir, de lui faire réciter ses leçons,<br />

de lui fêter ses anniveraires, de l’accompagner dans sa jeune<br />

vie. Tellement envie de voir sa première petite amie en me<br />

tordant le nez parce que je ne la trouve pas assez bien pour lui.<br />

Si je pars, qui va lui dire comme je l’aimais ?<br />

“Maman, j’ai plein de devoirs à faire. J’ai deux phrases à lire,<br />

et une poésie…”<br />

Alors voilà mon amour, ma vie,<br />

en voilà une jolie poésie, elle est pour toi :<br />

Dehors il fait beau<br />

Mais je ne vais pas dehors<br />

J’ai pris résolument dans mes bras<br />

Un morceau de ciel pour toi<br />

Sans soleil et sans pluie<br />

Mais avec un nuage entier<br />

Le plus douillet de tous les nuages<br />

Je l’ai pris pour toi<br />

Je m’y suis fait une place<br />

D’où, à chaque instant<br />

Je poserai tout l’amour du monde<br />

Dans ta vie et dans ton cœur.<br />

Christine Weinberger<br />

Extraits de son roman, Morgane ou l’enfant inachevé (non publié).<br />

25<br />

TÉMOIGNER Photo : Patrice Miot - remaides 54 - décembre 2004

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!