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Enquête

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Lorsque vous travailliez,<br />

vous assumiez votre séropositivité ?<br />

J’avais un emploi précaire, à la Poste, dans<br />

un centre de tri. Je n’ai jamais pu le dire, je<br />

ne voulais pas perdre mon contrat. C’était<br />

assez traumatisant car non seulement je voulais<br />

paraître en bonne santé, mais je devais<br />

aussi me soigner. Toutes les quatre heures, je<br />

prenais ma prise, obligée de m’enfermer dans<br />

les toilettes ! Et puis, partout, j’ai l’impression<br />

qu’on sait que je suis séropositive. J’ai perdu<br />

ma poitrine, je souffrais de neuropathies<br />

(fourmillement dans les extrémités du corps),<br />

l’image de soi est mise à mal. Les gens se<br />

cachent aussi parce qu’ils croient que ça se<br />

voit alors que tout ça, c’est plus dans la tête…<br />

Depuis six mois, je recherche un emploi :<br />

après plusieurs entretiens, j’ai compris qu’il<br />

fallait retirer de mon CV ma “reconnaissance<br />

de travailleuse handicapée”, c’est pas très<br />

vendeur… Il faut toujours faire attention à<br />

tout et assurer une façade alors que parfois<br />

on aimerait partager plus !<br />

Comment se passent vos relations intimes ?<br />

Je vois un homme depuis un an qui ignore<br />

tout de ma séropositivité. Je ne veux pas lui<br />

dire car il va fuir. Je lui ai tendu des perches<br />

en lui disant que j’avais une maladie chronique,<br />

mais cela ne l’intéresse pas.<br />

Sexuellement, j’ai souvent peur que le préservatif<br />

craque alors que lui voudrait l’enlever.<br />

Je lui dis que je fais partie des personnes qui<br />

ne veulent pas connaître leur sérologie et<br />

donc, que je me protége toujours. Je sais que<br />

je ne pourrai pas continuer tout le temps<br />

comme ça, ce n’est pas une vie. Mais je reste<br />

choquée par un ancien petit ami qui, lorsque<br />

je lui ai tout dit, n’arrivait plus à bander. “Je<br />

ne peux pas être en érection quand la viande<br />

est avariée” m’a-t-il déclaré. J’avais la rage.<br />

Après, on se met quelques barrières de pro-<br />

“Arrêtons de vivre caché !”<br />

Jacky a 50 ans et vient de s’installer à Saint-Malo. Divorcé, trois<br />

enfants, il envisage de reprendre une formation professionnelle.<br />

Séropositif depuis 1995, il s’est édifié avec le temps un rempart<br />

contre les remous de la vie mais il se sent prêt, aujourd’hui, à ouvrir<br />

une brèche.<br />

Remaides : Pourquoi pouvez-vous aujourd’hui<br />

parler du VIH plus librement ?<br />

Jacky : Je me sens prêt. Mes enfants sont au<br />

courant, même ma fille de 19 ans, la plus<br />

jeune, à qui je viens de l’annoncer. Cela m’a<br />

libéré. Il faut arrêter de vivre caché car on finit<br />

par s’incarcérer soi-même ! Les séropositifs<br />

sont des citoyens qui doivent être insérés<br />

dans la société. C’est aussi de notre responsabilité<br />

d’aider à changer les mentalités et<br />

plus on sera nombreux à prendre la parole et<br />

à se montrer, mieux ce sera. Si je peux le<br />

faire, tout le monde le peut ! Et puis, j’ai<br />

confiance en Remaides.<br />

Comment s’est passé l’annonce à votre famille ?<br />

Ce n’est pas à ma famille à qui j’en ai parlé,<br />

mais à mes enfants. Ils ont très bien réagi. Un<br />

jour à la fête des pères, mon fils aîné m’a dit :<br />

“J’aimerais qu’on parle”. J’ai compris qu’il fal-<br />

lait que je lui dise. Ensuite, il a fait seul le tour<br />

de l’étang où nous étions et nous n’en avons<br />

plus jamais reparlé. Ma fille, c’était au resto et<br />

cela s’est très bien passé. J’ai aimé qu’ils ne<br />

me posent pas de questions, notamment sur<br />

la façon dont j’avais été contaminé. Pour les<br />

autres membres de ma famille, je ne les estime<br />

pas assez évolués pour comprendre. Quant<br />

à ma mère, elle a 78 ans et j’ai peur de la tuer<br />

en lui disant ! Peut-être que cela se passerait<br />

bien, mais je ne veux prendre aucun risque.<br />

Comment a évolué votre visibilité avec le VIH<br />

depuis dix ans ?<br />

La maladie renforce, mais il faut du temps.<br />

Au début, j’étais silencieux. J’habitais à la<br />

campagne, j’allais souvent chez le kiné du<br />

village, les gens jasaient. J’ai fini par aller<br />

acheter le pain dans le bourg d’à côté. Un<br />

jour, j’ai dit stop, marre du Prozac, j’ai vendu<br />

Visibilité<br />

tection. Le danger est de trop en mettre et de<br />

s’isoler.<br />

Et avec votre famille, quels sont les rapports ?<br />

J’ai une partie de ma famille au Brésil que je<br />

ne connais pas et du côté de maman, c’est<br />

eux qui ne veulent pas me voir à cause de la<br />

couleur de ma peau ! Alors, quand je suis<br />

devenue séropositive, j’ai eu besoin pour avoir<br />

une certaine reconnaissance, de leur dire<br />

voilà, en me rejetant, vous avez participé à ma<br />

destruction. Depuis, j’ai coupé les ponts.<br />

Maman est morte d’un cancer et avec elle, j’ai<br />

pu partager la maladie. Après, on se fait sa<br />

famille avec les amis. Mais il y a peu de place<br />

pour les malades. On ne peut pas vivre, en<br />

France, dans la dignité avec un gros problème<br />

de santé. La pathologie entraîne<br />

l’exclusion morale et sociale. La visibilité des<br />

associations est plus que jamais capitale !<br />

la maison et je ne suis jamais revenu. Puis en<br />

allant à AIDES Rennes et aux Universités des<br />

personnes en traitement (UPT), j’ai eu un<br />

déclic en discutant avec d’autres personnes,<br />

j’ai retrouvé confiance en moi. S’il y avait du<br />

mieux pour elles, pourquoi pas pour moi ? J’ai<br />

aussi pu imposer ma vision du VIH. Mon<br />

médecin me disait : “Essayez de vivre sans”.<br />

Droit dans les yeux, je lui ai répondu : “Apprenez-moi<br />

plutôt à vivre avec !”. >>><br />

23<br />

ÉQUILIBRE<br />

Photo : Laurent Marsault - remaides 54 - décembre 2004

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