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Dossier : Sport et alimentation - USEP 31

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dossier<br />

Presse <strong>Sport</strong><br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong><br />

Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs<br />

qui ne se sont jamais intéressés à leur<br />

<strong>alimentation</strong>. Outre certaines croyances tenaces,<br />

il y a aussi des modes, comme le règne des sucres<br />

lents (pâtes, riz), aujourd’hui concurrencés<br />

par le régime crétois. On relève également<br />

des comportements irrationnels dans les sports<br />

à catégorie de poids <strong>et</strong> les disciplines où la prise de<br />

quelques grammes superflus tourne à l’obsession.<br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong>, c’est parfois<br />

l’amour-haine…<br />

Novembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°393 9


VOUS AVEZ DIT RÉGIME ?<br />

Nourriture je t'aime,<br />

moi non plus...<br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong> entr<strong>et</strong>iennent des rapports étroits<br />

mais compliqués, voire difficiles. Trop de sportifs maltraitent<br />

leur assi<strong>et</strong>te <strong>et</strong> leur corps. Comment manger mieux pour donner<br />

le meilleur de soi? À table!<br />

Essayez un jour d’avaler une bonne<br />

choucroute avant de gravir le col<br />

de l’Izoard <strong>et</strong> vous comprendrez<br />

tout de suite qu’<strong>alimentation</strong> <strong>et</strong><br />

sport ne font pas toujours bon<br />

ménage ! Plus largement, les exigences d’un<br />

organisme en plein effort sont parfois difficiles<br />

à gérer, <strong>et</strong> surtout à anticiper. Les fringales<br />

légendaires qui scotchent les cyclistes<br />

au bitume n’épargnent personne, de l’amateur<br />

au champion. « Au début du siècle,<br />

raconte Jean-Paul Brouchon, ancien chroniqueur<br />

sportif à France-Info, dans une interview<br />

donnée en 2003 au Point, les coureurs<br />

parcouraient dans les 400 km dans la journée…<br />

Alors certains s’arrêtaient carrément<br />

dans une auberge ou directement chez l’habitant<br />

pour prendre un bol de soupe <strong>et</strong> un p<strong>et</strong>it<br />

coup de rouge ! » De mémoire de spécialiste,<br />

c’est Fausto Coppi qui le premier a pris<br />

conscience de l’importance de collations fréquentes,<br />

suite à sa rencontre avec le nutritionniste<br />

Gayelord Hauser (1). Tout le monde<br />

a ensuite voulu l’imiter : « Son grand rival<br />

Bartali faisait même surveiller ses poubelles!»,<br />

rapporte Jean-Paul Brouchon.<br />

Aujourd’hui, même les cyclistes amateurs<br />

ont appris à s’alimenter avant d’avoir faim.<br />

Pourtant, les choses ne sont pas aussi<br />

simples. Si la science a fait beaucoup de<br />

progrès, l’<strong>alimentation</strong> a encore ses raisons<br />

que la raison ignore, <strong>et</strong> les « croyances alimentaires<br />

» les plus farfelues ont souvent<br />

la vie dure. « Déjà, plusieurs siècles avant<br />

10 Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394<br />

Jésus-Christ, dans le cadre des Jeux<br />

Olympiques antiques, on préconisait aux sauteurs<br />

de manger de la viande de chèvre, aux<br />

boxeurs du taureau <strong>et</strong> aux lutteurs du porc,<br />

rappelle le Dr Jean-Pierre de Mondernard,<br />

médecin érudit <strong>et</strong> spécialiste du dopage. Et<br />

dans le rugby des années 1980, on considérait<br />

encore dans certains clubs huppés que les<br />

avants avaient tout intérêt à manger du sanglier<br />

tandis que les arrières trouveraient dans<br />

le chevreuil de quoi bondir plus vite ! »<br />

CROYANCES ALIMENTAIRES<br />

ET PRATIQUES DOPANTES<br />

Ces exemples montrent jusqu’où peuvent se<br />

nicher les croyances alimentaires <strong>et</strong> surtout<br />

jusqu’où les sportifs sont prêts à aller pour<br />

chercher dans la nourriture un remède, une<br />

potion magique, une rec<strong>et</strong>te qui assurera<br />

leur succès… « Dans le temps, les cyclistes<br />

croyaient beaucoup aux fakirs, ces soigneurs<br />

improvisés qui leur vendaient du miracle »,<br />

sourit Jean-Pierre de Mondenard. De fait,<br />

certaines pratiques (prise de caféine, d’extraits<br />

de guarana – plante amazonienne aux<br />

vertus tout aussi excitantes – ou d’autres<br />

aliments) s’approchent dangereusement du<br />

dopage. « Le sportif est tout en sensations,<br />

souligne Véronique Rousseau, diététicienne<br />

à l’Insep, qui vient de cosigner avec le Dr<br />

Stéphane Cascua un ouvrage de fond sur le<br />

suj<strong>et</strong> (2). Il attend la formule magique qui<br />

améliorera sa performance. » Le sportif<br />

cherche le p<strong>et</strong>it plus qui va le faire « décol-<br />

ler », jusqu’à parfois basculer dans « quelque<br />

chose de plus sérieux.»<br />

Ces modes <strong>et</strong> croyances se diffusent aussi dans<br />

les rangs des sportifs du dimanche. «Pendant<br />

des décennies, déplore le Dr de Mondenard,<br />

on a cru <strong>et</strong> répété que boire de l’eau pendant<br />

un effort physique coupait les jambes. C’était<br />

bien évidemment une aberration qui conduisait<br />

à de graves problèmes de déshydratation.<br />

» Il y eut aussi la mode des régimes<br />

pâtes à outrance, le règne absolu des sucres<br />

lents au détriment de tous les autres aliments.<br />

Dans les années 80, l’ouvrage du docteur<br />

Robert Haas, Manger pour gagner, qui<br />

préconisait ce type de déséquilibre alimentaire,<br />

fut la bible de nombreux champions <strong>et</strong>,<br />

par ricoch<strong>et</strong>, celle de bien des amateurs.<br />

Aujourd’hui encore, nombreux sont les sportifs<br />

<strong>et</strong> les entraîneurs qui pensent que hors des<br />

pâtes <strong>et</strong> du riz il n’y a point de salut. «Je mangeais<br />

l’équivalent de deux kilos de pâtes cuites<br />

par jour <strong>et</strong> 300 grammes de viande à chaque<br />

repas », confie dans une interview à<br />

www.nutri-site.com le rugbyman Jérôme<br />

Thion, lequel a choisi depuis de varier son<br />

<strong>alimentation</strong>... Mais les « pasta party »<br />

d’avant les compétitions <strong>et</strong> les plâtrées de<br />

nouilles qu’ingurgitent au soir de chaque<br />

étape les cyclistes du Tour de France ne sont<br />

pas une légende. « On oublie trop souvent<br />

qu’il n’y a pas que les sucres lents, martèle<br />

le Dr Stéphane Cascua. Si l’on compare le<br />

corps humain à une Formule 1, le carburant,<br />

ce sont en eff<strong>et</strong> les sucres lents. Mais, pour


Presse <strong>Sport</strong>s<br />

Le coureur cycliste Jacquinot<br />

se restaure lors de l’étape<br />

Les Sables-d’Olonne-Bayonne,<br />

Tour de France 1922.<br />

faire fonctionner l’électronique, il faut des<br />

vitamines que l’on trouve dans les légumes <strong>et</strong><br />

dans les fruits.» De ce point de vue, le régime<br />

des cyclistes semble donc bien excessif.<br />

Jugée responsable d’apports en graisses animales<br />

suspects <strong>et</strong> peu digestes, la viande a souvent<br />

fait les frais de ces régimes exclusifs. Sauf<br />

chez ceux qui voulaient « faire du muscle »<br />

comme les haltérophiles ou les culturistes…<br />

«Pendant des années, <strong>et</strong> encore aujourd’hui,<br />

les sportifs ont fait preuve d’une véritable lipidophobie,<br />

dénonce le Dr Stéphane Cascua. Ils<br />

faisaient la chasse aux graisses en réduisant<br />

le plus possible les apports en lipides», avec<br />

des comportements parfois proches de l’anorexie.<br />

Or de nombreuses études ont démontré<br />

l’importance de certains lipides, comme les<br />

Oméga 3 ou 6, pour le bon fonctionnement de<br />

l’organisme. Certains ont donc réintégré ces<br />

graisses dans leur <strong>alimentation</strong> tandis que<br />

d’autres persistent dans l’abstinence la plus<br />

stricte…<br />

NON AUX RÉGIMES MIRACLES<br />

Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs<br />

qui ne se sont jamais intéressés à leur <strong>alimentation</strong>.<br />

Pour être plus performants ou parce<br />

qu’ils font du sport pour être en forme <strong>et</strong><br />

améliorer leur apparence physique. «Tous les<br />

sportifs ont un jour où l’autre fait un régime.<br />

Pour perdre de la masse grasse quand on fait<br />

du marathon ou tout autre sport d’endurance,<br />

ou pour gagner du muscle dans les disciplines<br />

de vitesse ou de puissance», résume Véronique<br />

Rousseau. Sans parler des sports à catégorie<br />

de poids (judo, lutte, boxe), de la gymnastique<br />

ou même du ski de fond, où les régimes<br />

sont le « pain quotidien » des sportifs. « J’ai<br />

dû tester à peu près tous les régimes possibles<br />

avant de finir par comprendre »,<br />

explique Nicolas Termier, ancien biathlète<br />

de haut niveau, créateur avec son ami Thomas<br />

Reppelin, lui aussi sportif de haut niveau, du<br />

site intern<strong>et</strong> www.nutri-site.com.<br />

Avides d’informations <strong>et</strong> surtout d’astuces<br />

miracles qui les aideraient à mieux gérer leur<br />

problème de poids <strong>et</strong> leurs performances, les<br />

sportifs sont souvent prêts à essayer tout <strong>et</strong><br />

n’importe quoi sans imaginer les conséquences<br />

de leur démarche. «Tout le problème,<br />

explique la diététicienne Catherine Schmitt,<br />

qui travaille notamment avec le pôle France<br />

de ski nordique, est de lutter contre les idées<br />

fausses qui traînent dans le milieu. Dans le<br />

sport, on a très vite tendance à éliminer tel<br />

ou tel aliment <strong>et</strong> à utiliser la complémenta-<br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong><br />

tion alimentaire sans s’assurer au préalable<br />

du bon équilibre de son <strong>alimentation</strong> ».<br />

Pourtant, dans les années 70 <strong>et</strong> 80, les travaux<br />

du Dr Creff sur le thème «Manger de tout<br />

un peu » ont permis de promouvoir une <strong>alimentation</strong><br />

variée. « Le problème est que prôner<br />

une <strong>alimentation</strong> variée <strong>et</strong> équilibrée est<br />

moins séduisant que proposer un régime<br />

miracle. L’équilibre alimentaire, c’est du long<br />

terme », note Catherine Schmitt.<br />

«Chacun doit faire son propre cheminement<br />

alimentaire, un peu comme on choisit sa religion<br />

», explique Karine Herry. Bien que<br />

médecin, c<strong>et</strong>te spécialiste de trail, également<br />

cinq fois championne de France du 100 km<br />

sur route, est passée par des excès avant de<br />

construire au fil des ans, avec son mari<br />

entraîneur <strong>et</strong> les conseils de nutritionnistes,<br />

son propre régime alimentaire. « Aujourd’hui,<br />

je suis convaincue qu’il faut privilégier la<br />

qualité de son <strong>alimentation</strong> plutôt que d’avoir<br />

recours à des produits synthétiques», confi<strong>et</strong>-elle.<br />

INDIGESTION DE BONNES RECETTES<br />

La sagesse serait-elle en train de l’emporter sur<br />

l’empirisme <strong>et</strong> les régimes miracles qui peuvent<br />

mener tout droit à la blessure ou à l’épui-<br />

Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394 11


sement ? « Il reste beau- Des pâtes <strong>et</strong> encore des pâtes pour<br />

coup à faire », résume le les cyclistes de l’équipe Festina.<br />

nutritionniste Denis<br />

Riché, qui prêche une<br />

approche individualisée<br />

de l’<strong>alimentation</strong> des<br />

sportifs. Pourtant, on<br />

trouve dans les magazines<br />

spécialisés pléthore<br />

de conseils, de<br />

menus types ou même de<br />

régimes soit disant adaptés<br />

à la pratique de telle<br />

ou telle discipline. Pas<br />

facile de s’y r<strong>et</strong>rouver,<br />

surtout quand des sportifs<br />

de renom, comme par<br />

exemple Jeannie Longo,<br />

adepte du bio <strong>et</strong> de la<br />

nourriture saine, y vont<br />

de leur propre livre sur le<br />

suj<strong>et</strong> (3). « Aujourd’hui,<br />

tout le monde se targue<br />

de faire de la diététique,<br />

note Catherine Schmitt.<br />

Les entraîneurs, les kinés,<br />

les médecins du sport n’hésitent pas à donner<br />

leurs p<strong>et</strong>its conseils qui sont souvent très<br />

écoutés par des jeunes en demande.<br />

Pourtant, la diététique c’est du sérieux !<br />

Conseiller telle ou telle complémentation si<br />

le sportif n’en n’a pas besoin peut faire plus<br />

de mal que de bien. » Tel ce skieur de fond<br />

qui s’est offert une grosse cure de magnésium<br />

<strong>et</strong> qui, le jour de l’épreuve, a dû abandonner,<br />

perclus de crampes…<br />

« Malheureusement, on constate souvent un<br />

véritable déficit de connaissance en la<br />

matière dans l’encadrement sportif »,<br />

affirme Catherine Schmitt. Si certaines<br />

fédérations sportives prennent l’<strong>alimentation</strong><br />

très au sérieux <strong>et</strong> font appel à des<br />

spécialistes, d’autres ne s’y intéressent<br />

guère <strong>et</strong> laissent la porte ouverte aux compléments<br />

miracles vendus sur intern<strong>et</strong>, lesquels<br />

peuvent contenir des produits<br />

dopants. D’où l’importance d’une sensibilisation<br />

des jeunes dès qu’ils pratiquent<br />

un sport de façon assez intensive.<br />

« Il est essentiel que les parents s’intéressent<br />

de près à l’<strong>alimentation</strong> de leur enfant »,<br />

souligne d’expérience Nicolas Termier. « Les<br />

jeunes qui font beaucoup de sport, constate<br />

Véronique Rousseau, mangent sans doute<br />

mieux que ceux qui n’en font pas. Mais ils<br />

sont comme tout le monde : ils aiment les<br />

produits sucrés, les chips, les hamburgers,<br />

les viennoiseries, autant d’aliments très<br />

riches en calories vite ingurgités, au détriment<br />

d’autres aliments aux apports nutritionnels<br />

essentiels. »<br />

Vandystadt<br />

12 Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394<br />

De même, si les barres ou les boissons énergétiques<br />

peuvent être très utiles dans le cas<br />

d’efforts prolongés ou pour une meilleure<br />

récupération après une épreuve, elles ne<br />

doivent en aucun cas se substituer à une<br />

<strong>alimentation</strong> variée. « Le problème des compléments<br />

alimentaires, résume Catherine<br />

Schmitt, c’est qu’ils doivent justement être<br />

utilisés comme des compléments <strong>et</strong> non pas<br />

comme des substituts. Il est parfois tentant<br />

de manger n’importe quoi <strong>et</strong> d’espérer rattraper<br />

le coup en avalant telle ou telle gélule<br />

de vitamines ou d’acides aminés. Mais ça ne<br />

marche pas comme ça ! »<br />

ET LA BONNE CHÈRE<br />

DANS TOUT ÇA?<br />

Autre paramètre à prendre en compte, la<br />

dimension plaisir, indissociable de l’<strong>alimentation</strong>.<br />

« Les sportifs subissent déjà<br />

de très fortes contraintes, insiste Véronique<br />

Rousseau, alors pour eux, comme pour<br />

beaucoup d’ailleurs, l’<strong>alimentation</strong> est une<br />

source de plaisir, une récompense. Il est<br />

donc très délicat de leur imposer des<br />

contraintes supplémentaires quand ils passent<br />

à table. » Les excès des troisièmes<br />

mi-temps en rugby ou même en judo<br />

n’existent pas par hasard. « Cela fait partie<br />

intégrante de la récupération des sportifs<br />

», constate Véronique Rousseau. Chez<br />

les amateurs, s’offrir un bon gueul<strong>et</strong>on<br />

après 50 km à vélo ne choque personne<br />

non plus. « Attention toutefois à ne pas<br />

trop en abuser », souligne la diététicienne.<br />

Boire de l’alcool les jours qui précèdent une<br />

compétition aura également des répercussions<br />

néfastes sur les performances.<br />

Même les rugbymen, devenus professionnels,<br />

ont mis la pédale douce sur l’alcool<br />

<strong>et</strong> la bonne chère ! « Ce qui trompe beaucoup<br />

de gens, c’est que l’organisme a une<br />

capacité d’adaptation étonnante aux mauvais<br />

régimes qu’on lui impose », note<br />

Karine Herry. Quand on est jeune, on se dit<br />

qu’on peut tout encaisser ! Jusqu’au jour<br />

où le corps maltraité pendant trop longtemps<br />

dit stop <strong>et</strong> se grippe à coup de tendinites<br />

à répétition, d’inflammations, de<br />

déchirures musculaires, de prises de poids<br />

inexpliquées ou de baisses de forme soudaines.<br />

Mieux vaut donc se poser les<br />

bonnes questions le plus tôt possible,<br />

comme on se réhydrate avant d'avoir trop<br />

soif… ●<br />

VALÉRIE SARRE<br />

(1) Fondateur de la diététique dans les années<br />

50, Gayelord Hauser avait écrit en 1920<br />

un ouvrage intitulé Vivez jeune, vivez plus<br />

longtemps. Aujourd’hui, une gamme de produits<br />

diététiques vendus en grandes surfaces<br />

porte son nom.<br />

(2 ) Alimentation pour le sportif,<br />

de la santé à la performance,<br />

par Véronique Rousseau <strong>et</strong> Stéphane<br />

Cascua, Amphora, 2005,<br />

(www.ed-amphora.fr) 288 p., 22,80 €.<br />

(3) Vivre en forme, Anne Carrière, 2002.


Tous obsédés par leur poids !<br />

« J’ai commencé les régimes à 14 ans,<br />

quand j’étais au niveau régional »,<br />

confie aujourd’hui Franck Bellard,<br />

ancien judoka de haut niveau. Il y a deux<br />

ans, dans un ouvrage aux anecdotes édifiantes<br />

(1), il brisait le silence sur des pratiques<br />

reproduites depuis des années à<br />

tous les niveaux de compétition. «Pour être<br />

au poids de sa catégorie le jour J, il est plus<br />

facile de perdre 5 kilos en une semaine en<br />

se déshydratant que d’apprendre à équilibrer<br />

son <strong>alimentation</strong> à long terme», confie<br />

c<strong>et</strong> ancien participant à des championnats<br />

du monde. Franck Bellard cite<br />

l’exemple de Yacine Douma (futur champion<br />

d’Europe 2002 en moins de 60 kg),<br />

obligé de courir à 5 heures du matin en<br />

sudis<strong>et</strong>te dans les couloirs d’un hôtel biélorusse,<br />

avant la pesée de la Coupe du<br />

monde par équipes, en 1998: «J’entends<br />

encore le bruit de son K-way…» Mais il parle<br />

surtout de sa propre expérience : «Alors que<br />

mon poids s’établissait à 72 kg, je concourrais<br />

dans les moins de 66 kg. Avec le temps,<br />

ça devenait de plus en plus dur. Pour maigrir,<br />

je ne mangeais pas grand chose. Je préférais<br />

un paqu<strong>et</strong> de gâteaux plutôt qu’un<br />

repas. Et 24h, 48h <strong>et</strong> même parfois 72h<br />

avant une épreuve, je cessais complètement de<br />

boire…»<br />

De tels exemples ne sont pas isolés, <strong>et</strong> dès le<br />

niveau régional, les jeunes qui reproduisent<br />

les méthodes des anciens s’astreignent à ces<br />

dérives. «Dire que j’étais considéré comme un<br />

héros parce que j’étais capable de perdre 6 kg<br />

avant chaque épreuve <strong>et</strong> de battre le soir même<br />

des records de nems au resto chinois!» Des pratiques<br />

tolérées, voire encouragées par certains<br />

entraîneurs (2). «Lors des Jeux d’Athènes, ils ont<br />

fait descendre dans la catégorie -60kg un judoka<br />

qui en pesait 72 <strong>et</strong> qui combattait d’habitude<br />

dans les -66kg. Le type a dû perdre 12kg ! C’était<br />

hallucinant ! Deux jours plus tard, il les avait<br />

repris à coup de crises de boulimie <strong>et</strong> de rétention<br />

d’eau…»<br />

Pour éviter ces excès, Franck Bellard donne<br />

dans son livre des conseils de diététique. Mais<br />

pas seulement. «Au-delà de ces conseils, j’ai<br />

voulu alerter le monde du judo. Après m’être<br />

blessé <strong>et</strong> arrêté, j’ai compris que je devais monter<br />

de catégorie. J’ai dû repartir à zéro.<br />

Aujourd’hui, j’en suis convaincu: peu importe<br />

la catégorie, si on doit être fort, on sera fort.»<br />

VICTIMES DU MYTHE DE LA LÉGÈRETÉ<br />

Ce type de pratiques (3) concerne les autres<br />

sports à catégories de poids, comme la lutte ou<br />

la boxe: le combat des puncheurs sur le r<strong>et</strong>our<br />

contre leur bedaine n’est-il pas l’un des ressorts<br />

dramatiques des films de boxe? Mais d’autres<br />

disciplines sont touchées, comme les sports<br />

d’endurance, où le poids est considéré comme<br />

un facteur de ralentissement. «Quand je faisais<br />

du marathon, raconte Catherine Schmitt,<br />

aujourd’hui diététicienne, je me pesais plusieurs<br />

fois par jour, j’évitais les dîners <strong>et</strong> les<br />

réunions de famille, je m’isolais pour être sûre<br />

de contrôler mon poids à 100% ».<br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong><br />

Les sports à catégories de poids comme le judo ou la boxe invitent parfois à<br />

des comportements alimentaires irresponsables. Et la tyrannie du poids qui<br />

s’exerce dans des disciplines comme la gymnastique, le saut à ski ou le ski<br />

de fond conduit parfois à l’anorexie.<br />

Presse <strong>Sport</strong>s<br />

La bonne<br />

catégorie,<br />

c’est parfois au<br />

gramme près…<br />

Même syndrome dans le ski de fond: «J’ai<br />

vu, raconte Nicolas Termier, ancien<br />

biathlète, des skieurs manger trois<br />

feuilles de salade <strong>et</strong> quelques grains de<br />

maïs à midi puis se ruer à la supér<strong>et</strong>te<br />

pour s’ach<strong>et</strong>er un pot de Nutella dès<br />

que l’entraîneur avait le dos tourné.<br />

Beaucoup de filles finissaient par se<br />

rendre anorexiques <strong>et</strong> personne ne disait<br />

rien. Pire, j’ai entendu des entraîneurs<br />

dire à des filles de 16 ans: «Avec tout<br />

le poids que tu traînes, pas étonnant que<br />

tu n’avances pas ! ». Ce genre de<br />

remarque venant d’un entraîneur, ça<br />

fait des dégâts!» Le saut à ski engendre<br />

aussi de tels comportements. À la fin des<br />

années 90, la maigreur maladive de<br />

«l’homme-oiseau» Sven Hannawald<br />

(que sa volonté de rester léger pour planer<br />

plus longtemps avait conduit à<br />

quasiment refuser toute nourriture)<br />

fit même scandale en Allemagne. Et<br />

en 2002, alors qu’il dominait la discipline,<br />

Hannawald ne pesait toujours<br />

que 60 kg pour 1,84m…<br />

Et que dire des gymnastes, véritables<br />

poupées dont la croissance est quasiment<br />

stoppée ? Récemment, une jeune<br />

gymnaste russe a été frappée par son entraîneur,<br />

qui l’avait surprise en train de manger des<br />

gâteaux en cach<strong>et</strong>te (Libération du 27 septembre<br />

2005). L’homme a été suspendu. Mais<br />

combien de temps encore les fédérations <strong>et</strong> les<br />

cadres sportifs responsables de l’entraînement<br />

des jeunes encourageront-ils ces pratiques qui<br />

nuisent à la santé de ces garçons <strong>et</strong> ces filles<br />

en pleine croissance? «Pour une sélection olympique,<br />

témoigne Franck Bellard, on est prêt à<br />

tout. Mais si les Jeux c’est merveilleux, ça ne vaut<br />

pas la peine d’y laisser sa peau!». ●<br />

V.S<br />

(1) Ma diététique de judoka,<br />

Amphora, 208 p., 19 €.<br />

(2) Notamment quand il faut palier<br />

à une défection dans une catégorie.<br />

(3) Certains prennent aussi<br />

des coupe-faim ou des diurétiques.<br />

Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394 13


14 Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394<br />

<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> <strong>alimentation</strong><br />

Denis Riché :<br />

« Le sportif n’est pas une machine à vapeur »<br />

Auteur d’ouvrages de référence<br />

sur l’<strong>alimentation</strong><br />

des sportifs (1), Denis<br />

Riché a collaboré avec des<br />

équipes de France dans<br />

des sports aussi différents<br />

que la natation <strong>et</strong> le rugby.<br />

Farouche opposant à la « dictature des calories<br />

», il est en revanche très attaché à l’individualisation<br />

du conseil en <strong>alimentation</strong>.<br />

DR<br />

Denis Riché, quelle est votre approche de la<br />

diététique sportive?<br />

La position officielle consiste à considérer le<br />

sportif comme une machine à vapeur. On lui<br />

donne du carburant pour le faire avancer en<br />

raisonnant trop souvent en terme de calories<br />

sans se soucier de son état de santé. Les performances<br />

des sportifs progressent ; en<br />

revanche, leur état de santé ne s’est guère<br />

amélioré ces dernières années. Parallèlement,<br />

les recherches portant sur les liens entre le<br />

contenu de l’assi<strong>et</strong>te <strong>et</strong> notre santé ont<br />

apporté beaucoup d’enseignements. Ils ont<br />

notamment mise en évidence l’intérêt du<br />

régime crétois (2). Je me suis donc intéressé<br />

à celui-ci en me demandant comment ce<br />

régime pouvait être favorable aux sportifs.<br />

Quand on regarde de près leur <strong>alimentation</strong>,<br />

on se rend compte que 90% des sportifs souffrent<br />

de carences en graisse <strong>et</strong> plus précisément<br />

en Oméga 3. Ces Oméga 3 jouent un rôle<br />

direct sur les inflammations, l’immunité de<br />

l’organisme, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent de limiter le risque<br />

cardio-vasculaire. Autre problème : on raisonne<br />

trop souvent à partir du contenu de<br />

l’assi<strong>et</strong>te du sportif sans se soucier des pathologies<br />

dont il peut souffrir.<br />

Que préconisez-vous?<br />

Je suis pour une individualisation du conseil<br />

en <strong>alimentation</strong> qui va bien au-delà du simple<br />

contrôle de l’apport calorique. Les sportifs ont<br />

tendance à se peser trop souvent <strong>et</strong> à compter<br />

leurs calories, comme si manger chez Mc<br />

Do ou manger crétois revenait au même du<br />

moment qu’ils ont le bon le nombre de calories<br />

! C’est un point de vue indéfendable.<br />

Quand on suit un sportif, on doit aussi s’intéresser<br />

à ce que j’appelle l’entraînement<br />

invisible, c’est-à-dire à tout ce qu’il y a en<br />

plus de l’entraînement. Chez les joueurs de tennis<br />

par exemple, cela se traduit par la prise en<br />

compte des nombreux décalages horaires qu’ils<br />

subissent tout au long d’une saison. Comment<br />

les vivent-ils? Dorment-ils bien? Toutes ces<br />

questions sont essentielles <strong>et</strong> doivent être prise<br />

en compte dans un suivi d’<strong>alimentation</strong>.<br />

Y a-t-il des régimes en fonction des sports<br />

pratiqués ?<br />

Ce n’est pas comme ça que je raisonne. Ce qui<br />

compte, c’est la réponse de l’individu aux<br />

besoins exigés par le sport qu’il pratique. Il<br />

faut chercher les anomalies que l’on rencontre<br />

chez chaque individu <strong>et</strong> les confronter à ses<br />

habitudes alimentaires pour y remédier. C’est<br />

ainsi que j’ai procédé quand je me suis occupé<br />

de l’équipe de France de rugby lors de la Coupe<br />

du monde 2003. Je proposais ensuite des<br />

conseils alimentaires individualisés <strong>et</strong> une<br />

complémentation en fonction des troubles<br />

ressentis. Ce qui compte, au-delà de la performance<br />

immédiate, c’est l’état dans lequel<br />

les sportifs seront dans quinze ans.<br />

Quelles sont les aberrations que vous<br />

avez pu constater en matière d’<strong>alimentation</strong><br />

?<br />

Les comportements aberrants ont toujours un<br />

sens. Il faut porter un regard neutre <strong>et</strong><br />

essayer de les comprendre en les dédramatisant.<br />

Si un sportif ne mange jamais de<br />

fruits ni de légumes, c’est peut-être parce<br />

qu’il souffre de problèmes digestifs. D’où la<br />

nécessité de rechercher avant tout la cause<br />

de ces comportements.<br />

Que pensez-vous des compléments alimentaires?<br />

Ils ne se justifient que dans une logique de<br />

santé. Ils peuvent perm<strong>et</strong>tre de compenser<br />

les manques d’une <strong>alimentation</strong>. Leur justification<br />

a été confirmée, à l’échelle de la<br />

population, par une étude comme «SuViMax »<br />

(3). En revanche, la confusion avec le dopage<br />

peut s’expliquer quand on attribue à la nutrition<br />

l’unique rôle d’améliorer la performance.<br />

C’est là qu’il y a confusion. La nutrition <strong>et</strong><br />

les compléments alimentaires ont pour mission<br />

de maintenir <strong>et</strong> si possible d’optimiser<br />

la santé du sportif.<br />

Quels types de compléments prescrivez-vous<br />

le plus souvent?<br />

Des probiotiques (4) pour équilibrer les fonctions<br />

digestives <strong>et</strong> des Omega 3 (graisse de poisson,<br />

huile de colza) pour palier les carences fréquentes<br />

en la matière. Tous les joueurs de l’équipe<br />

de France de rugby sont partis en Australie avec<br />

dans leurs bagages de l’huile d’olive <strong>et</strong> de l’huile<br />

de colza bio, première pression à froid !<br />

Vous occupez-vous des gymnastes, pour qui<br />

la prise de poids est une hantise?<br />

On m’a souvent demandé quel régime je proposais<br />

pour de jeunes gymnastes. Si on entre dans<br />

c<strong>et</strong>te démarche, cela revient à proposer quelque<br />

chose qui sera en contradiction avec la santé des<br />

individus. Pour maintenir une gamine à moins de<br />

30 kg, il faut agir contre son bien-être. En tant<br />

qu’acteur de santé, je refuse d’aller dans ce sens.<br />

Quels conseils de base donneriez-vous à des<br />

sportifs amateurs ?<br />

S’hydrater régulièrement pendant l’effort avec<br />

de préférence des boissons énergétiques.<br />

Consommer de l’huile d’olive <strong>et</strong> de colza bio, première<br />

pression à froid. Manger en abondance<br />

des fruits <strong>et</strong> des légumes qui sont les éléments<br />

protecteurs de l’organisme. Ne pas surconsommer<br />

un groupe d’aliment plutôt qu’un autre. Ne<br />

pas, à l’inverse, éliminer complètement un<br />

groupe alimentaire de son <strong>alimentation</strong>. ●<br />

RECUEILLI PAR V.S<br />

(1) Dont L’<strong>alimentation</strong> du sportif en 80 questions (1998),<br />

Diététique <strong>et</strong> micronutrition (2001),<br />

Guide nutritionnel des sports d’endurance (2003),<br />

parus chez Vigot.<br />

(2) Censé réduire les risques de cancer <strong>et</strong> de maladies<br />

cardiovasculaires, le «régime crétois» ou «régime<br />

méditerranéen» consiste en des repas riches en fibres,<br />

en vitamines <strong>et</strong> minéraux <strong>et</strong> en corps gras. Soit beaucoup<br />

de fruits <strong>et</strong> de légumes, peu de viande mais du poisson,<br />

de l’huile d’olive <strong>et</strong> des produits laitiers à base de lait<br />

de chèvre ou de brebis.<br />

(3) SuViMax est l'abréviation de SUpplémentation<br />

en VItamines <strong>et</strong> Minéraux AntioXydants. C<strong>et</strong>te étude<br />

menée en France de 1994 à 2001 auprès de 13027<br />

personnes a permis de tester l'impact positif d'une<br />

supplémentation en vitamines <strong>et</strong> minéraux antioxydants<br />

(bêta-carotène, vitamines E <strong>et</strong> C, zinc<br />

<strong>et</strong> sélénium) dans la prévention des cancers.<br />

(4) Les probiotiques sont des bactéries qui aident à la<br />

digestion <strong>et</strong> contribuent à la santé des intestins. On les<br />

trouve dans les yaourts, les laits fermentés, les végétaux,<br />

les germes de blé ou la levure de bière.

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