01.07.2013 Views

Sciences au Sud n°56 - Recherches ( PDF , 953 Ko) - IRD

Sciences au Sud n°56 - Recherches ( PDF , 953 Ko) - IRD

Sciences au Sud n°56 - Recherches ( PDF , 953 Ko) - IRD

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

© <strong>IRD</strong>/ E.Dounias © <strong>IRD</strong>/Y.Boulvert<br />

Mobilité et dispersion<br />

La structure démographique des Pygmées pourrait fournir de précieuses informations<br />

pour comprendre certains mécanismes de l'histoire génétique de l'Homme.<br />

Ils constituent en effet actuellement le plus grand groupe de chasseurs-cueilleurs<br />

<strong>au</strong> monde, conservant en cela un mode de vie fait de petits groupes seminomades<br />

qui a prévalu pendant 99 % de l'existence de l'humanité. Une étude,<br />

entreprise <strong>au</strong>près des Pygmées du groupe Baka <strong>au</strong> Cameroun, apporte ainsi des<br />

éléments inédits sur les processus de dispersion déterminant la distribution géographique<br />

de la diversité génétique humaine. Le rapport entre la mobilité et la<br />

diffusion locale, défini par la distance entre le lieu de naissance des parents et<br />

celui des enfants, reste mal connu chez l'Homme. Ce travail, basé sur l'échantillonnage<br />

de trois zones de 2 500 km 2 chacune, établit la corrélation entre<br />

distance génétique et distance géographique, pour estimer la dispersion de ces<br />

populations particulièrement mobiles. Et il révèle de façon surprenante que la<br />

dispersion des Baka est très limitée : malgré une mobilité certaine tout <strong>au</strong> long<br />

de l'année, les enfants voient le jour à quelques dizaines de kilomètres <strong>au</strong> plus<br />

du lieu de naissance de leurs parents. Ce comportement pourrait être l'un des<br />

mecanismes essentiels de l'isolement génétique des populations Pygmées, un<br />

processus décrit par les généticiens comme le modèle de l'isolation par la<br />

distance, cette tendance des individus à trouver des partenaires parmi les<br />

groupes proches plutôt qu'éloignés. ●<br />

Patrimoine en péril<br />

La sédentarisation et la<br />

précarité, qui guettent<br />

les Pygmées à mesure<br />

que leurs territoires<br />

s’amenuisent, pourraient avoir raison<br />

d’un formidable trésor culturel »,<br />

estime l’ethnoécologue Edmond Dounias1<br />

, en marge d’une conférence<br />

internationale qui vient de se tenir<br />

sur le sujet2 . Car ces peuples, comptant<br />

400 000 personnes réparties en<br />

une vingtaine d’ethnies dispersées à<br />

travers toute l’Afrique centrale, ont<br />

leur destin étroitement lié à celui des<br />

forêts. Ils possèdent des traditions<br />

très riches et variées, qui dépassent<br />

largement les clichés simplistes de<br />

l’imaginaire populaire occidental.<br />

« La réalité est bien plus complexe<br />

Abattage d'un grand arbre,<br />

témoin de la forêt dense<br />

disparue, par deux Pygmées Aka.<br />

que les lieux communs faisant du Pygmée<br />

un noble s<strong>au</strong>vage, vivant en<br />

totale <strong>au</strong>tarcie et harmonie avec la<br />

jungle luxuriante », explique le chercheur.<br />

Ainsi, ils entretiennent des<br />

relations très anciennes et fluctuantes<br />

avec les <strong>au</strong>tres populations<br />

de la région vouées à l’agriculture. Et<br />

s’ils partagent tous le mode de vie originellement<br />

nomade et privilégiant la<br />

collecte des produits s<strong>au</strong>vages, les<br />

peuples réunis sous le terme de Pygmées<br />

se démarquent les uns des<br />

<strong>au</strong>tres par leurs spécificités linguistiques<br />

et culturelles. « Ils incarnent<br />

des coutumes matérielles et symboliques<br />

intégralement dédiées à la<br />

forêt, raconte le chercheur : ils excellent<br />

dans l’art de collecter du miel et<br />

des tubercules s<strong>au</strong>vages, sont passés<br />

Feuilles d'Aframomum mises à brûler pour empêcher<br />

la pluie avant une expédition de chasse (Baka, Est Cameroun).<br />

Les Pygmées,<br />

un peuple en transition<br />

Les changements glob<strong>au</strong>x actuels menacent le mode de vie des Pygmées. La pression<br />

économique, démographique et politique sur la forêt tropicale d’Afrique centrale, leur<br />

environnement ancestral, est intense. Elle pourrait bouleverser à court terme le<br />

destin de ce dernier grand groupe de chasseurs-cueilleurs, de près d'un demi million<br />

d'individus, réparti en multiples ethnies sur huit pays*<br />

Sous le règne de l’environnement<br />

La trajectoire des Pygmées<br />

est étroitement<br />

liée à leur choix d'environnement<br />

et de mode<br />

de vie », explique l'anthropologue et<br />

médecin Alain Froment 1 . Ce peuple<br />

d'Afrique centrale, constitué de plusieurs<br />

groupes, se distingue nettement<br />

des <strong>au</strong>tres occupants de la<br />

région, tant <strong>au</strong> plan morphologique<br />

qu'<strong>au</strong> plan social : ils sont le peuple<br />

le plus petit – par la taille – de la<br />

variation humaine et ils mènent une<br />

existence semi-nomade, basée sur la<br />

cueillette et la chasse. « Leur origine<br />

est très ancienne, estime le chercheur,<br />

dont l'équipe a mené la plus<br />

vaste enquête jamais entreprise sur<br />

la génétique des populations africaines.<br />

La divergence entre leurs<br />

ancêtres et ceux de leurs voisins<br />

agriculteurs – appartenant <strong>au</strong> groupe<br />

linguistique Bantou – est estimée,<br />

selon les mutations accumulées dans<br />

l'ADN, entre 70 000 et 90 000 ans. »<br />

Au regard de l'histoire des hommes<br />

modernes, apparus il y a 200 000<br />

ans, c'est effectivement assez précoce.<br />

« Comme à l'époque tous les<br />

hommes étaient chasseurs-cueilleurs,<br />

on suppose que l'éloignement de ces<br />

peuples tient initialement à leurs<br />

choix écologiques, précise-t-il : les<br />

maîtres dans la chasse à l’éléphant,<br />

transition sont les <strong>au</strong>teurs d’œuvres<br />

musicales polyphoniques tout à fait<br />

particulières, et leur connivence avec<br />

les esprits de la forêt justifie leur<br />

prestige de guérisseurs. » La compréhension<br />

des interactions multiples<br />

liant ces peuples <strong>au</strong>x forêts et à leurs<br />

nombreux <strong>au</strong>tres occupants – qu’ils<br />

soient humains, végét<strong>au</strong>x, anim<strong>au</strong>x,<br />

minér<strong>au</strong>x ou surnaturels – mobilise<br />

de vastes compétences scientifiques :<br />

archéologie, histoire, anthropologie<br />

sociale et physique, biomédecine, linguistique,<br />

musicologie, écologie historique<br />

sont à pied d’œuvre pour<br />

recueillir les ultimes témoignages de<br />

ce mode de vie en perdition.<br />

« Quelle que soit leur discipline, les<br />

chercheurs ont l’obligation morale<br />

de collaborer avec les acteurs du<br />

développement et de la société civile<br />

pour concourir favorablement à<br />

l’avenir de ces populations fragilisées<br />

», juge le spécialiste. Que<br />

restera-t-il du patrimoine culturel<br />

des Pygmées – qui ne se nomment<br />

jamais ainsi eux-mêmes parce qu’ils<br />

trouvent cela péjoratif – lorsqu’ils ne<br />

pourront plus arpenter les forêts en<br />

quête des ressources spontanément<br />

prodiguées par la nature ? ●<br />

1. <strong>IRD</strong>, UR Dynamiques socio-environnementales<br />

et gouvernance des ressources.<br />

2. International Conference on Congo<br />

Basin Hunter-Gatherers, Montpellier 22-<br />

24 septembre 2010.<br />

ancêtres des Bantous <strong>au</strong>raient choisi<br />

d'habiter la savane tandis que ceux<br />

des Pygmées s'adaptaient progressivement<br />

à la forêt, où vivent toujours<br />

leurs descendants. » Ainsi, c'est la<br />

barrière de la forêt équatoriale qui<br />

<strong>au</strong>rait longtemps maintenu l'isolement<br />

génétique des Pygmées. Des<br />

événements climatiques plus récents,<br />

impliquant la régression des massifs<br />

forestiers lors de périodes particulièrement<br />

sèches et le confinement<br />

des Pygmées dans de rares réduits<br />

forestiers, <strong>au</strong>raient abouti à la formation<br />

des sous-groupes actuels du<br />

Cameroun, voilà moins de 3 000 ans.<br />

Les études génétiques, paléo-climatiques<br />

et botaniques 2 semblent<br />

concorder en ce sens. « Par la suite<br />

et jusqu'à maintenant, la distance<br />

entre Pygmées et Bantous s'est perpétuée<br />

du fait de leurs modes de vie<br />

dissemblables, raconte le scientifique,<br />

les premiers ayant conservé<br />

une subsistance fondée sur la chasse,<br />

alors que les seconds ont adopté<br />

l'agriculture. » Mais <strong>au</strong>jourd'hui les<br />

Pygmées, comme toutes les sociétés<br />

marginales, doivent négocier leur<br />

place dans un monde de plus en plus<br />

globalisé : l'intensification de l'exploitation<br />

forestière et minière, le développement<br />

urbain et leur propre<br />

Consommation de miel d'abeilles<br />

sans dard (Baka, Est Cameroun).<br />

© <strong>IRD</strong>/ E.Dounias<br />

croissance démographique les<br />

confrontent à un épuisement de leur<br />

milieu, surtout en gibier. « Pour vivre<br />

de la forêt équatoriale, il ne f<strong>au</strong>t pas<br />

dépasser une densité d'un individu<br />

par kilomètre carré, précise Alain<br />

Froment, ce qui est de plus en plus<br />

compromis, notamment parce qu'<strong>au</strong><br />

nom de la préservation de la biodiversité,<br />

une partie de leurs territoires<br />

est transformée en aires protégées<br />

dont l'accès leur est interdit. » Poussés<br />

vers la sédentarité et l'agriculture,<br />

en bute <strong>au</strong>x préjugés tenaces<br />

des <strong>au</strong>tres commun<strong>au</strong>tés, les Pygmées<br />

vivent actuellement des transitions<br />

culturelle, démographi que,<br />

alimentaire et épidémiologique rapides.<br />

Tiraillés entre attirance de la<br />

vie urbaine et tentation de l'indigénisme<br />

3 , ils font certainement face <strong>au</strong><br />

plus grand bouleversement de leur<br />

longue histoire. ●<br />

1. <strong>IRD</strong>, UMR Patrimoines loc<strong>au</strong>x (<strong>IRD</strong>,<br />

MNHN).<br />

2. Pour caractériser les traces de ces isolats<br />

forestiers.<br />

3. Repli sur la notion de commun<strong>au</strong>té<br />

<strong>au</strong>tochtone.<br />

* Au Cameroun, <strong>au</strong> Gabon, en République<br />

centrafricaine, en République démocratique<br />

du Congo, <strong>au</strong> Congo, <strong>au</strong> Rwanda, en<br />

Ouganda et <strong>au</strong> Burundi.<br />

Dents<br />

et mode de vie<br />

L'analyse de la micro-usure dentaire<br />

permet de reconstituer le régime alimentaire<br />

des hominidés. Pour mieux<br />

connaître le rapport entre la striation<br />

de l'émail et la nature de la subsistance,<br />

une étude a été menée <strong>au</strong>près<br />

de Pygmées Baka du Cameroun, qui<br />

ont une alimentation fondée sur la<br />

cueillette et la chasse. Les moulages<br />

dentaires fins de 42 d'entre eux ont<br />

ainsi été examinés, <strong>au</strong> microscope<br />

électronique à balayage, et comparés<br />

à ceux de squelettes de 5 Pygmées<br />

Babinga et 6 Babongo du Congo et<br />

du Gabon – issus du fond du Musée<br />

de l'Homme –, ainsi qu'à ceux de 36 Européens contemporains utilisés comme<br />

contrôle. Sans surprise, les traces relevées sur la dentition des Pygmées se sont<br />

avérées bien différentes de celles des Européens, dans leur longueur et dans leur<br />

densité. Mais ce qui est plus intéressant, et qui atteste de la précision de ce marqueur,<br />

ce sont les dissemblances relevées entre les groupes pygmées : la densité<br />

des micro-stries est ainsi plus élevée chez les Babongo, ce qui les<br />

rapproche des Européens, et indique des composantes plus abrasives dans leur<br />

alimentation liées à un pourcentage plus élevé de végét<strong>au</strong>x cultivés. Ce résultat<br />

est conforme <strong>au</strong> mode de vie plus sédentaire et <strong>au</strong>x relations plus étroites des<br />

Babongo avec les populations Bantou agricultrices. La présence de longues stries<br />

chez les <strong>au</strong>tres Pygmées est en rapport avec une alimentation plus riche en<br />

viande, tandis que leur densité plus basse est due à une alimentation végétale à<br />

base de plantes s<strong>au</strong>vages plus faiblement abrasives. Ces résultats ont des applications<br />

immédiates en paléo-anthropologie, aidant à reconstituer l'alimentation<br />

des populations disparues, et notamment lors de la transition néolithique. ●<br />

Contacts<br />

alain.froment@ird.fr – edmond.dounias@ird.fr<br />

<strong>Sciences</strong> <strong>au</strong> <strong>Sud</strong> - Le journal de l’<strong>IRD</strong> - n° 56 - septembre/octobre 2010<br />

<strong>Recherches</strong><br />

7


<strong>Recherches</strong><br />

8<br />

© S.Brabant<br />

Le genre <strong>au</strong> cœur<br />

du développement<br />

Depuis les années 90, l’approche scientifique « genre et développement » a pris le pas<br />

sur la thématique « femmes et développement ». Les femmes sont ainsi désormais<br />

pensées comme acteurs et partenaires, et non simples bénéficiaires, des processus<br />

de développement. Qu’en est-il concrètement vingt ans après…<br />

Vers un Indice africain du genre<br />

If not engendered, development<br />

is endangered<br />

», clamait le fameux<br />

slogan du rapport mondial<br />

du PNUD 1 en 1995, exhortant à<br />

intégrer des indicateurs des progrès<br />

en matière d’égalité de genre et<br />

d’<strong>au</strong>tonomisation des femmes dans<br />

l’Indice de développement humain.<br />

Deux marqueurs, l’Indice Sexo-spécifique<br />

de Développement Humain<br />

et l’Indice de participation des<br />

femmes, virent le jour. « Des efforts<br />

importants ont été accomplis depuis,<br />

estime l’économiste Jacques Char -<br />

mes 2 , en vue de dépasser le caractère<br />

un peu trop simpliste de ces<br />

indices, fondés sur un petit nombre<br />

de variables – espérance de vie, éducation<br />

et revenu pour le premier,<br />

représentation parlementaire, repré -<br />

sentation dans les décisions économiques<br />

et revenu pour le second. »<br />

Dès 2004, le Centre africain pour le<br />

genre et le développement 3 a ainsi<br />

conçu un indice de développement et<br />

des inégalités entre les sexes en<br />

a crise économique peut<br />

avoir des effets inattendus<br />

sur les relations de<br />

genre ! En Afrique subsaharienne<br />

et particulièrement en<br />

Afrique de l'Ouest, elle impulse un<br />

nouve<strong>au</strong> positionnement des femmes<br />

dans les sphères domestique et économique.<br />

« Les difficultés chroniques,<br />

que connaît cette région depuis les<br />

dernières décennies du XXe XX siècle,<br />

entrainent une redéfinition des rapports<br />

soci<strong>au</strong>x qui bouleverse les relations<br />

de genre », explique la sociodémographe<br />

Agnès Adjamagbo1 . La<br />

dégradation des modalités de production<br />

dans les campagnes et l'effondrement<br />

de l'offre de travail salarié dans<br />

les villes a en effet abouti à une p<strong>au</strong>périsation<br />

sensible de la société.<br />

Cette récession impacte directement<br />

les conditions de vie des ménages, et<br />

les baisses de revenus induites sont<br />

en grande partie compensées, selon<br />

des études menées sur les retombées<br />

de la crise des années 80, par<br />

l'activité des femmes, qu'elles soient<br />

chef de famille ou non. « Au Sénégal<br />

par exemple, les mutations liées à<br />

la conjoncture économique se tra -<br />

duisent notamment par un retard<br />

Afrique (Idisa) et l’a appliqué à 12<br />

pays représentatifs de l’ensemble<br />

des sous-régions ; les résultats ont<br />

été présentés dans le Rapport sur la<br />

femme africaine de 2009. Il est<br />

constitué de deux composantes :<br />

l’Indice de la condition de la femme<br />

et le Table<strong>au</strong> de bord des progrès de<br />

la femme africaine. Le premier est<br />

une mesure quantitative des écarts<br />

de performance entre femmes et<br />

hommes sur plus de quarante<br />

variables réparties en trois blocs<br />

(l’un « pouvoir social » correspondant<br />

<strong>au</strong>x « capabilités 4 » dans la<br />

théorie d’Amartya Sen, l’<strong>au</strong>tre « pouvoir<br />

économique » correspondant<br />

<strong>au</strong>x opportunités, et le dernier<br />

«pouvoir politique » correspondant<br />

<strong>au</strong> pouvoir d’action). « Cet indice a le<br />

mérite d’introduire l’emploi du<br />

temps parmi les variables utilisées,<br />

dont on sait qu’il est le meilleur indicateur<br />

de mesure de la p<strong>au</strong>vreté des<br />

femmes, comparée à celle des<br />

hommes », note le chercheur. Le<br />

Table<strong>au</strong> de bord des progrès de la<br />

d'entrée en union des hommes – à<br />

c<strong>au</strong>se des contraintes d'emploi et de<br />

logement – et par un désir accru d'<strong>au</strong>tonomie<br />

chez les femmes, explique la<br />

chercheuse. Cette revendication se<br />

manifeste plus par le divorce que par<br />

le célibat. » En outre, la plupart des<br />

études menées sur cette partie du<br />

monde s'accordent pour établir un<br />

lien direct entre la dégradation des<br />

conditions d'existence et la réduction<br />

de la fécondité. « Ces tendances sont<br />

également renforcées par un certain<br />

nombre de facteurs cruci<strong>au</strong>x tels que<br />

l'amélioration du nive<strong>au</strong> de scolarisation<br />

– et donc d'instruction – des<br />

femmes ou encore la mondialisation<br />

des archétypes occident<strong>au</strong>x », note-telle.<br />

Ainsi, les modèles classiques de<br />

partage des responsabilités entre<br />

hommes et femmes changent : dans<br />

bien des ménages, en milieu urbain<br />

tout particulièrement, ce sont désormais<br />

ces dernières qui tiennent les<br />

cordons de la bourse. « Le relais<br />

s'opère dans la plus grande discrétion,<br />

estime la scientifique, et cela<br />

échappe encore largement <strong>au</strong>x statistiques.<br />

» Les femmes sont souvent les<br />

premières à cacher leurs nouvelles<br />

prérogatives, pour ne pas faire perdre<br />

<strong>Sciences</strong> <strong>au</strong> <strong>Sud</strong> - Le journal de l’<strong>IRD</strong> - n° 56 - septembre/octobre 2010<br />

femme africaine, seconde composante<br />

du nouvel indice, est une<br />

mesure qualitative de la façon dont<br />

les pouvoirs publics mettent en<br />

œuvre les traités, recommandations<br />

et résolutions adoptés <strong>au</strong> nive<strong>au</strong><br />

international en vue d’améliorer le<br />

statut des femmes et leur <strong>au</strong>tonomisation.<br />

Là encore, une trentaine<br />

d’items correspondant <strong>au</strong>x trois<br />

blocs précédents, plus une sur les<br />

droits de la femme, sont croisés avec<br />

une douzaine de modalités permettant<br />

d’apprécier la volonté et<br />

l’engagement des pouvoirs publics à<br />

réduire les inégalités de genre. « La<br />

combinaison des deux approches,<br />

quantitative et qualitative, et l’uti -<br />

lisation des budget-temps repré -<br />

sentent des avancées notables dans<br />

l’appréhension des inégalités de<br />

genre en Afrique et dans la<br />

démarche de sensibilisation de<br />

pouvoirs publics dont ce n’est<br />

pas toujours la priorité affichée »<br />

affirme-t-il. À l’heure où les Nations<br />

unies se penchent sur le bilan des<br />

la face à leur mari devant le voisinage<br />

et la famille. « Mais dans les faits, la<br />

nécessaire substitution des rôles <strong>au</strong><br />

sein du ménage n'est pas forcément<br />

synonyme de liberté pour les femmes,<br />

estime-t-elle. Elle s’opère <strong>au</strong> prix<br />

d'un accroissement considérable de<br />

leur charge de travail. Certaines<br />

doivent cumuler les occu pa tions :<br />

employées la journée et commerçantes<br />

le soir et le week-end. » De<br />

plus, la nécessité de se faire seconder<br />

dans les tâches ménagères, pour<br />

celles qui travaillent hors de leur<br />

domicile, génère de nouvelles formes<br />

d'assujettissement des femmes par<br />

les femmes. « La difficile conciliation<br />

entre quête de revenus et obligations<br />

conjugales et familiales – le mariage<br />

et la maternité restent des composantes<br />

consubstantielles de l'identité<br />

féminine africaine – est vécue comme<br />

un pénible dilemme par les femmes<br />

d'<strong>au</strong>jourd'hui », conclut-elle. ●<br />

1. UMR Laboratoire population-environnement-développement<br />

(<strong>IRD</strong>, Université de<br />

Provence).<br />

Contact<br />

Genre et<br />

conjoncture<br />

économique<br />

en Afrique<br />

de l'Ouest<br />

Agnes.Adjamagbo@ird.fr<br />

objectifs du millénaire pour le développement<br />

5 – et notamment sur les<br />

réalisations et les retards en vue<br />

d’atteindre l’Objectif 3 « Promouvoir<br />

l’égalité des sexes et l’<strong>au</strong>tonomisation<br />

des femmes » – et tandis qu’une<br />

agence « ONU-Femmes » vient ainsi<br />

de voir le jour, le programme Idisa<br />

entre dans une seconde phase et va<br />

être étendu à 23 pays supplémentaires.<br />

●<br />

Le droit de la famille<br />

instrument de développement<br />

e refus<br />

d’accorder<br />

<strong>au</strong>x femmes<br />

l'égalité des<br />

chances et l’absence de<br />

réalisation de leur plein<br />

potentiel entravent le progrès<br />

et la prospérité des<br />

sociétés arabes. Cette<br />

assertion sans appel n'est<br />

pas le slogan d'une ONG<br />

militante mais émane du<br />

Rapport arabe sur le<br />

développement humain du<br />

PNUD 1 , consacré en 2005 a<br />

la promotion des femmes<br />

dans le monde arabe.<br />

« Dans la sphère publique,<br />

des facteurs culturels,<br />

juridiques, soci<strong>au</strong>x et économiques<br />

empêchent en<br />

effet encore les femmes<br />

arabes de mener leur vie<br />

à l'égal des hommes, explique la<br />

juriste Nathalie Bernard-M<strong>au</strong>giron2 .<br />

Elles ne peuvent accéder comme eux<br />

à l'éducation, à la santé, <strong>au</strong>x opportunités<br />

professionnelles, <strong>au</strong>x droits<br />

civiques et à la représentation politique.<br />

» Il en va de même dans la<br />

sphère privée, où les schémas éducatifs<br />

traditionnels et les dispositions<br />

discriminatoires du droit de la famille<br />

perpétuent les inégalités et la subordination.<br />

« Le droit de la famille, en particulier,<br />

continue de traiter différemment<br />

l'homme et la femme, précise<br />

la chercheuse, alors que les <strong>au</strong>tres<br />

branches du droit sont généralement<br />

neutres en matière de genre – dans<br />

les textes, car ce n'est pas toujours<br />

le cas dans la pratique. » Le droit de<br />

la famille, qui est le domaine juridique<br />

le plus empreint de droit<br />

musulman – et donc a priori le plus<br />

immuable et monolithique – connaît<br />

pourtant des évolutions importantes<br />

depuis quelques années. « Au nom du<br />

progrès social, des réformes législatives<br />

ont été introduites dans différents<br />

pays arabes, afin de mieux<br />

répondre <strong>au</strong>x besoins soci<strong>au</strong>x et économiques<br />

changeants des femmes et<br />

de la famille dans les sociétés<br />

modernes », explique la chercheuse.<br />

L'Égypte a ainsi modifié ses lois du<br />

statut personnel en 2000, 2004 et<br />

2005 et de nouve<strong>au</strong>x amendements<br />

sont en cours d'élaboration.<br />

Le Maroc a révisé sa moudawana3 aa<br />

en 2004 et l’Algérie son code du statut<br />

personnel en 2005, pour garantir<br />

à la femme plus d'égalité avec<br />

1. Programme des Nations unies pour le<br />

développement.<br />

2. <strong>IRD</strong>.<br />

3. De la Commission Économique des<br />

Nations unies pour l’Afrique.<br />

4. En rapport avec les états (santé, éducation,<br />

etc) et les actions des individus.<br />

5. OMD, visent à réduire de moitié la p<strong>au</strong>vreté<br />

d’ici 2015.<br />

Contact<br />

jacques.charmes@ird.fr<br />

l'homme, et le Yémen vient d'<strong>au</strong>gmenter<br />

l'âge minimum du mariage<br />

pour lutter contre les unions précoces...<br />

« Le processus de codification<br />

entraîne l'intégration de normes<br />

religieuses dans les textes juridiques<br />

et permet à l'État d’affirmer son<br />

<strong>au</strong>torité sur la société, en se posant<br />

comme centre unique de décision et<br />

seul habilité à dire le droit », notet-elle.<br />

Le législateur arabe s'est<br />

efforcé de trouver des solutions<br />

endogènes, légitimées par le recours<br />

<strong>au</strong>x enseignements de la sharia.<br />

Au gré des réformes, la situation des<br />

femmes s'est ainsi transformée tout<br />

<strong>au</strong> long du XX e siècle. « Mais la mise<br />

par écrit et l'unification des normes<br />

– ainsi que l'amélioration du statut<br />

de la femme dans les relations familiales<br />

qui en résulte – ne constituent<br />

qu'une première étape, estime la<br />

scientifique. Dans un second temps,<br />

les femmes arabes doivent pouvoir<br />

accéder à la connaissance des<br />

droits qui leur ont été octroyés et<br />

parvenir à les imposer et à les faire<br />

respecter. » La question de la mise<br />

en œuvre effective de ces réformes,<br />

qui subissent la concurrence d'<strong>au</strong> -<br />

tres normes – religieuses et sociales<br />

notamment –, se pose plus que<br />

jamais. ●<br />

1. Programme des Nations unies pour le<br />

développement.<br />

2. <strong>IRD</strong>, UMR Développement et Sociétés.<br />

3. Code du statut personnel marocain.<br />

Contact<br />

nathalie.bernard-m<strong>au</strong>giron@ird.fr<br />

© C.Couzon<br />

© <strong>IRD</strong>/ J.Bonne


© <strong>IRD</strong>/C.Leduc<br />

Zones semi-arides<br />

en ligne de mire<br />

Les recherches menées dans le domaine des sols, de l’e<strong>au</strong>, du climat… offrent<br />

des pistes de compréhension et d’action pour améliorer de la sécurité alimentaire et<br />

de la protection de l’environnement en zones arides et semi-arides.<br />

Comprendre pour prévoir les sécheresses<br />

i de tous temps les zones<br />

arides et semi-arides<br />

se révèlent p<strong>au</strong> vres en<br />

e<strong>au</strong>x, l’activité humaine et<br />

les changements climatiques font peser<br />

sur ces régions des risques accrus de<br />

pénuries de la ressource. « L’équation<br />

de la gestion de l’e<strong>au</strong> doit prendre en<br />

compte un développement mal maîtrisé<br />

de l’urbanisme, du tourisme et de la<br />

démographie, ainsi que des besoins<br />

d’irrigation en <strong>au</strong>gmentation dans ces<br />

régions particulièrement fragiles et<br />

sensibles <strong>au</strong>x variations climatiques »,<br />

explique Abdelghani Chehbouni, direc -<br />

teur de recherche à l’<strong>IRD</strong> et représentant<br />

de l’<strong>IRD</strong> <strong>au</strong> Moyen-Orient. Fournir <strong>au</strong>x<br />

décideurs des outils afin de les aider à<br />

mieux planifier l’utilisation de l’e<strong>au</strong> est<br />

alors un objectif important des<br />

recherches qui sont menées par les<br />

équipes de l’<strong>IRD</strong> dans ces régions.<br />

Pour Abdelfettah Sifeddine, paléoclimatologue,<br />

« les reconstructions climatiques<br />

passées permettent de<br />

contraindre les modèles climatiques<br />

afin d’améliorer les prévisions pour le<br />

futur ». En étudiant les sédiments<br />

lacustres et les spéléothèmes (des<br />

concrétions calcaires trouvées dans<br />

les grottes) de la région semi-aride du<br />

u fait de leur environnement<br />

très particulier, les<br />

milieux arides et semiarides<br />

sont à la fois<br />

extrêmement fragiles et susceptibles<br />

d’évolutions très rapides. Des modifications<br />

importantes peuvent ainsi<br />

survenir à l’échelle d’une décennie<br />

avec des conséquences majeures pour<br />

les populations. Un tel contexte justifie<br />

que des ressources <strong>au</strong>ssi fondamentales<br />

que l’e<strong>au</strong> ou les services<br />

rendus par les écosystèmes fassent<br />

l’objet d’une attention toute particulière<br />

de la part de l’<strong>IRD</strong> et de ses partenaires.<br />

Dans les régions semiarides,<br />

la gestion du carbone, et donc<br />

de la biomasse, est indissociable de la<br />

maîtrise des contraintes hydriques.<br />

Gérer la matière organique du sol<br />

devient une des principales clés de la<br />

production végétale après l’e<strong>au</strong>. « Les<br />

spécialistes maîtrisent les concepts et<br />

Nordeste brésilien, le chercheur docu-<br />

mente les variations climatiques natu-<br />

relles sur des échelles variant de mille<br />

à dix mille ans. L’objectif est de compléter<br />

les données instrumentales<br />

obtenues ces dernières décennies<br />

pour décrire les modes d’oscillation<br />

du climat à l’aide d’informations sur<br />

les variations naturelles sur des<br />

échelles plus longues. Des trav<strong>au</strong>x<br />

que ceux qui s’intéressent <strong>au</strong>x<br />

impacts des variations climatiques<br />

futurs sur le terrain ne manquent pas<br />

de suivre en y trouvant des pistes de<br />

recherche à explorer. « Pour prédire<br />

le futur, il f<strong>au</strong>t connaître le passé :<br />

d’où nous venons et où nous allons ? »,<br />

résume Abdelghani Chehbouni, pour<br />

qui l’étude des contributions des différents<br />

facteurs <strong>au</strong>x régimes des pluies<br />

passés donne les moyens de mieux<br />

interpréter les observations actuelles<br />

et à terme anticiper l’avenir.<br />

Alors que les spécialistes de l’e<strong>au</strong><br />

s’accordent pour dire que mesurer<br />

et évaluer la ressource est <strong>au</strong>jourd’hui<br />

techniquement maîtrisé, les<br />

difficultés pour prévoir les évolutions<br />

en fonction des variations climatiques<br />

résident dans la prise en compte des<br />

usages de la ressource. Comment<br />

les outils d’évaluation et de prévision<br />

des ressources en e<strong>au</strong> », souligne<br />

Christian Leduc, hydrogéologue et<br />

directeur adjoint de l’UMR G-E<strong>au</strong>.<br />

Cependant, depuis plusieurs dizaines<br />

d’années les rése<strong>au</strong>x d’observation se<br />

détériorent et les données scienti-<br />

fiques de terrain manquent. De même,<br />

« la distribution du carbone dans les<br />

sols est mal connue car les données<br />

disponibles sont éparses, incomplètes<br />

et nécessitent encore d’importants<br />

efforts d’acquisition », estime Michel<br />

Brossard, chercheur à l’UMR Eco &<br />

Sols. Les chercheurs insistent sur la<br />

nécessité d’assurer la pérennité des<br />

dispositifs d’observation de longue<br />

durée et des bases de données. La FAO<br />

estime que 20 % des régions semiarides<br />

sont dégradées à différents<br />

degrés. L'érosion par l'e<strong>au</strong> et par le<br />

vent est de loin le processus le plus<br />

important avec comme principales<br />

quantifier les pompages non <strong>au</strong>torisés<br />

? Comment prédire les besoins en<br />

fonction de scénarios d’occupation du<br />

sol ? Comment intégrer l’évolution du<br />

couvert végétal dans des prévisions ?<br />

Ces questions s’adressent à différentes<br />

disciplines scientifiques, allant de la<br />

sociologie à la pédologie, dont les<br />

acteurs ne sont pas toujours habitués<br />

à travailler ensemble. « Il est indispensable<br />

que ces trav<strong>au</strong>x soient menés<br />

par des équipes pluridisciplinaires<br />

pour aboutir à des résultats pouvant<br />

servir <strong>au</strong>x décideurs », explique Abdelghani<br />

Chehbouni, à qui la dimen sion<br />

politique de ces questions n’échappe<br />

<strong>au</strong>cunement. Alors que des modèles et<br />

des outils sont déjà opérationnels et<br />

disponibles, la difficulté est maintenant<br />

de faire accepter les contraintes<br />

d’usages que la science préconise par<br />

la société et les décideurs. ●<br />

Contacts<br />

abdel.sifeddine@ird.fr<br />

UMR Locean (CNRS, <strong>IRD</strong>, MNHN,<br />

Université Paris 6) et <strong>au</strong> LMI Paleotraces.<br />

Ghani.chehbouni@ird.fr<br />

UMR Cesbio (Cnes, CNRS, <strong>IRD</strong>, Université<br />

P<strong>au</strong>l Cezanne).<br />

Ressources naturelles, entre savoirs et usages<br />

c<strong>au</strong>ses le déboisement, le surpâturage<br />

et une gestion inappropriée du sol.<br />

Non seulement certains usages traditionnels<br />

deviennent des c<strong>au</strong>ses de<br />

dégradation lorsque les populations<br />

<strong>au</strong>gmentent, mais les modifications<br />

des formes de production entraînent<br />

<strong>au</strong>ssi des changements d’usages<br />

parfois préjudiciables. La dimension<br />

socio-économique interagit en perma-<br />

nence avec le milieu biophysique et<br />

doit être prise en compte à l’échelle<br />

des décisions politiques afin que<br />

soient intégrées les réalités et les<br />

attentes des populations. Les décideurs<br />

ayant besoin de réponses<br />

claires et rapides, un décalage existe<br />

souvent entre le temps scientifique et<br />

le temps politique, car observations,<br />

mesures et évaluations se font nécessairement<br />

sur le long terme. Tant pour<br />

la gestion de l’e<strong>au</strong> que pour celle du<br />

carbone, des pistes de recherche per-<br />

tinentes et novatrices devront intégrer<br />

les dimensions économique et socioculturelle.<br />

Alors que dans ces régions<br />

arides et semi-arides l’offre en e<strong>au</strong><br />

atteint ses limites, les chercheurs<br />

suggèrent de se concentrer sur la<br />

demande. E<strong>au</strong>, sols et biomasse étant<br />

liés, gérer la demande en e<strong>au</strong> permet<br />

d’améliorer la gestion de la biomasse<br />

et de mieux prendre en compte les<br />

contraintes climatiques fortes <strong>au</strong>x-<br />

quelles sont soumises ces régions. ●<br />

Contacts<br />

christian.leduc@ird.fr<br />

michel.brossard@ird.fr<br />

<strong>Sciences</strong>, politiques et pratiques<br />

contre la désertification<br />

F<strong>au</strong>te de moyens politiques<br />

et de concertations<br />

locales, les solu tions<br />

tech niques pour lutter<br />

contre la désertification, l'app<strong>au</strong>vrissement<br />

des sols et l'épuisement de la<br />

biomasse sont peu mises en œuvre<br />

en Afrique de l'Ouest, affirme<br />

l’anthropologue Peter Hochet 1 , dont<br />

les recherches portent sur les suites<br />

des sécheresses des années 70 et 80.<br />

Les régions soudaniennes sont ainsi<br />

directement menacées de dégradation<br />

par une activité humaine non régulée.<br />

» Ces zones intermédiaires jouent<br />

en effet un rôle de soupape de sécurité,<br />

en accueillant les migrants agri-<br />

coles et pastor<strong>au</strong>x chassés des zones<br />

sahéliennes par les sécheresses successives.<br />

Elles subissent, de ce fait,<br />

une pression anthropique intense,<br />

avec des institutions pas toujours<br />

adaptées à l'accueil massif de<br />

migrants. Des stratégies de gestion et<br />

de préservation sont pourtant élabo-<br />

rées <strong>au</strong> plan international et déclinées,<br />

<strong>au</strong>x échelles nationales des<br />

pays concernés, en politiques. Mais la<br />

question de leur application est sou-<br />

vent laissée dans un angle mort : les<br />

populations ont peu accès à une information<br />

claire et les <strong>au</strong>torités locales<br />

disposent rarement des moyens<br />

matériels, financiers et politiques<br />

pour les mettre en œuvre. « Lutter<br />

contre la désertification, ce n'est pas<br />

seulement aligner des réponses techniques,<br />

souligne le chercheur. C'est<br />

surtout affronter la question de la traduction<br />

des résultats de sciences<br />

naturelles et sociales en politiques<br />

publiques, puis la traduction de ces<br />

politiques en pratiques quotidiennes<br />

des acteurs loc<strong>au</strong>x. » En somme, il<br />

f<strong>au</strong>t réguler les modalités et les<br />

termes de l'accès <strong>au</strong>x ressources, en<br />

disant « Qui peut faire quoi ? Quand<br />

et comment ? À propos de quelle ressource<br />

? ». Cela touche à des enjeux<br />

d'appartenance, de droit, d'équité et<br />

de citoyenneté. « S'agissant de telles<br />

questions, le passage de la science<br />

<strong>au</strong>x politiques publiques ne s<strong>au</strong>rait<br />

s'affranchir d'un ancrage local, <strong>au</strong><br />

moyen de la négociation, du débat<br />

public », précise-t-il. Une telle<br />

concertation suppose une connaissance<br />

fine du contexte sociopolitique<br />

et des savoir-faire rôdés car il y a une<br />

superposition de registres de normes<br />

– État, ONG, coutumes, marché... – et<br />

une multiplicité d'usagers <strong>au</strong>x objectifs<br />

variés – éleveurs, agriculteurs,<br />

bûcherons, populations locales... Sans<br />

ce travail d'explication, d'appropriation,<br />

les mesures efficaces restent<br />

lettre morte ou peuvent s’avérer<br />

contre-productives sur le long terme.<br />

Ainsi, la zone pastorale de Samoroguan<br />

<strong>au</strong> Burkina Faso, créée en 1975<br />

pour préserver les ressources des<br />

éleveurs, s'est muée en véritable<br />

front pionnier agricole et les arbitrages<br />

tendent désormais à y<br />

condamner les éleveurs pour dégâts<br />

dans les champs ! ●<br />

1. <strong>IRD</strong>, UR Dynamiques socio-environnementales<br />

et gouvernance des ressources,<br />

Laboratoire Citoyennetés (Ouagadougou)<br />

Centre Norbert Elias (EHESS/CNRS).<br />

Contact<br />

peter.hochet@ird.fr<br />

Barrage El Haouareb (Tunisie).<br />

<strong>Sciences</strong> <strong>au</strong> <strong>Sud</strong> - Le journal de l’<strong>IRD</strong> - n° 56 - septembre/octobre 2010<br />

© E.Duron<br />

<strong>Recherches</strong> 9


<strong>Recherches</strong><br />

10<br />

© <strong>IRD</strong>/D.Sabatier<br />

Des arbres singuliers<br />

Sous toutes les latitudes, des arbres particuliers sont mêlés de près <strong>au</strong>x activités<br />

humaines comme c’est le cas du palmier babaçu <strong>au</strong> Brésil ou des Ficus à Madagascar.<br />

Quant <strong>au</strong> Cecropia, a il est devenu un <strong>au</strong>xiliaire de recherche précieux…<br />

Le babaçu, un palmier à facettes<br />

u Brésil, les grands propriétaires<br />

rur<strong>au</strong>x ou<br />

fazendeiros et certains<br />

citadins considèrent le<br />

palmier babaçu comme une plante<br />

envahissante à détruire tandis que les<br />

migrants et les familles sans terre le<br />

conservent et l’utilisent. Ces palmiers<br />

qui sont présents dans la forêt primaire<br />

résistent <strong>au</strong> défrichement, ne<br />

nécessitent ni engrais ni protection<br />

phytosanitaire et s’adaptent <strong>au</strong>ssi<br />

bien en milieu urbain que rural.<br />

Entre 300 000 et 400 000 famille<br />

brésiliennes survivraient grâce à<br />

l’extractivisme 1 de cette plante. Pour<br />

les Quebradeiras de coco babaçu<br />

(casseuses de coco) qui en extraient<br />

les semences, cette ressource est<br />

souvent leur seul gagne-pain. Regroupées<br />

en mouvement national 2 , elles<br />

ont réussi à faire voter la loi dite du<br />

« babaçu libre » qui leur garantit dans<br />

certaines municipalités le libre accès<br />

à la ressource même sur des terres<br />

privées ! « Le babaçu est la première<br />

espèce extractiviste du Brésil,<br />

explique Danielle Mitja, botaniste à<br />

L’arbre qui date la forêt<br />

a forêt tropicale est un<br />

énorme réservoir de carbone.<br />

Ce fait établi est à<br />

nuancer en fonction du<br />

type de forêt et de son âge, mais comment<br />

accéder à cette dernière information<br />

? La réponse pourrait venir d’un<br />

protocole d’estimation de l’âge des<br />

forêts en cours de régénération susceptible<br />

de mieux évaluer la capacité<br />

de ces milieux à stocker le carbone.<br />

Cette méthode mise <strong>au</strong> point il y a peu<br />

par P<strong>au</strong>l Camilo Zalamea 1 , doctorant<br />

en accueil à l’<strong>IRD</strong>, est basée sur des<br />

arbres du genre Cecropia dont la<br />

croissance périodique en fait une<br />

« horloge végétale ».<br />

« Lorsqu’une trouée – naturelle ou non<br />

– se fait dans la forêt, certaines<br />

espèces, dites « pionnières », sont les<br />

premières à réoccuper l’espace créé.<br />

Si l’on pouvait connaître l’âge de ces<br />

plantes, cela nous donnerait l’âge<br />

approximatif de la parcelle une fois la<br />

végétation reconstituée », explique le<br />

botaniste. Il s’est donc intéressé <strong>au</strong>x<br />

Cecropia connus dans les forêts tropicales<br />

du continent américain comme<br />

l’<strong>IRD</strong>. De fait, sa part dans l’économie<br />

est significative : la production de<br />

graine à elle seule a généré<br />

l’équivalent de 43 millions d’euros en<br />

2007. » Cette valeur pourrait même<br />

être plus élevée car la disponibilité de<br />

la ressource est bien supérieure <strong>au</strong><br />

prélèvement effectué. Mais revers de<br />

la médaille, cette capacité<br />

d’adaptation voire cette facilité à proliférer<br />

dans les cultures jusqu’à former<br />

des forêts secondaires<br />

pratiquement monospécifiques pose<br />

un véritable souci car le palmier<br />

entre alors en concurrence avec les<br />

cultures. L’enjeu des recherches<br />

<strong>au</strong>jourd’hui réside d’une part dans la<br />

nécessité d’évaluer avec précision<br />

cette ressource et d’<strong>au</strong>tre part<br />

d’envisager les moyens d’en contrôler<br />

la prolifération. La télédétection<br />

pourrait permettre d’accéder à une<br />

appréciation fiable de ces végét<strong>au</strong>x<br />

car les données cartographiques disponibles<br />

d’occurrence du babaçu <strong>au</strong><br />

Brésil sont anciennes ou partielles.<br />

« Après adaptations méthodologiques,<br />

il devrait être possible grâce à l’outil<br />

l’une des plantes pionnières les plus<br />

caractéristiques. « Le genre Cecropia<br />

est très pratique, s’exclame P<strong>au</strong>l<br />

Camilo Zalamea, parce qu’il est important<br />

tant en nombre d’individus que<br />

d’espèces et se trouve dans différents<br />

milieux, du nive<strong>au</strong> de la mer jusqu’à<br />

2 400 m d’altitude. » Concrètement, ce<br />

dernier a inventorié sur les arbres les<br />

signes visibles qui pourraient être<br />

reliés à leur croissance et donc à leur<br />

âge et a finalement retenu les cicatrices<br />

foliaires 2 . «Restait à connaître<br />

la vitesse et le rythme de production<br />

de ces feuilles, explique le chercheur.<br />

J’ai suivi des individus pendant trois<br />

ans en mesurant les distances entre<br />

deux feuilles, en notant les périodes de<br />

floraison, etc. Au final, j'ai constaté<br />

que le nombre de feuilles produites<br />

annuellement est constant. Pour<br />

connaître l'âge de l'arbre, il suffit donc<br />

de compter les cicatrices foliaires sur<br />

le tronc. »<br />

Cette horloge naturelle a été calibrée<br />

sur le terrain pour l’espèce Cecropia<br />

sciadophylla puis validée pour plusieurs<br />

<strong>au</strong>tres en Colombie et en<br />

<strong>Sciences</strong> <strong>au</strong> <strong>Sud</strong> - Le journal de l’<strong>IRD</strong> - n° 56 - septembre/octobre 2010<br />

satellitaire à très h<strong>au</strong>te résolution de<br />

repérer des individus de babaçu dans<br />

le paysage, d’identifier les facteurs<br />

environnement<strong>au</strong>x et humains déterminant<br />

sa présence et son abondance,<br />

et d’en suivre ainsi la dispo ni bil ité<br />

pour les populations locales », estime<br />

Michel Petit, chercheur à l’<strong>IRD</strong>. Des<br />

données qui s<strong>au</strong>ront contribuer à optimiser<br />

la gestion durable de ces<br />

arbres 3 dans les agrosystèmes. ●<br />

1. Collecte puis commercialisation de<br />

plantes s<strong>au</strong>vages.<br />

2. MIQCB – le Movimento Interestadual<br />

das Quebradeiras de Coco Babaçu est<br />

représenté dans 4 états Brésiliens sous la<br />

forme de 6 bure<strong>au</strong>x région<strong>au</strong>x qui organisent<br />

les actions locales de récolte, transformation<br />

et commercialisation des<br />

produits issus du babaçu.<br />

3. Les palmiers ne sont pas botaniquement<br />

parlant des arbres – leur « tronc »<br />

n’en est pas un – mais leur port arboré<br />

permet de les y assimiler.<br />

Contact<br />

danielle.mitja@ird.fr<br />

US Expertise et spatialisation des<br />

connaissances en environnement.<br />

Guyane sur différents sites où la date<br />

des perturbations subies par la forêt<br />

était connue : agriculture sur brûlis,<br />

piste forestière, sites <strong>au</strong>rifères.<br />

La corrélation entre l’âge trouvé pour<br />

deux espèces de Cecropia et celui des<br />

parcelles s’est révélée excellente !<br />

« En jonglant avec les différentes<br />

espèces du genre ayant le même<br />

rythme de croissance, on dispose de<br />

chronomètres végét<strong>au</strong>x sur l’ensemble<br />

du massif forestier néotropical<br />

», explique P<strong>au</strong>l Camilo Zalamea.<br />

La méthode ne permet pas de remonter<br />

très loin dans le passé. De fait,<br />

30 à 50 ans paraissent brefs <strong>au</strong><br />

regard du temps qu’il f<strong>au</strong>t à une forêt<br />

pour reconstituer complètement sa<br />

biomasse, <strong>au</strong> minimum 200 ans. Toutefois<br />

cette datation naturaliste est<br />

un excellent indicateur pour suivre<br />

les phases intenses de la reconstruction<br />

de l’écosystème forestier, reconstituer<br />

les défrichements pirates, les<br />

ouvertures de piste et les trouées<br />

consécutives à une chute naturelle<br />

d’arbres.<br />

« La méthode de Camilo est un outil<br />

<strong>au</strong> service de l’expertise sur les<br />

impacts de ces cinquante dernières<br />

années », renchérit Daniel Sabatier<br />

qui a co-encadré les trav<strong>au</strong>x du jeune<br />

docteur colombien. Ce dernier rapporte<br />

une application inattendue :<br />

L’ONF de Guyane l’utilise déjà pour<br />

expertiser des sites d'orpaillage<br />

abandonnés afin de diagnostiquer la<br />

dynamique naturelle de revégétalisation<br />

et d’appréhender l'impact de<br />

cette activité sur l'environnement. ●<br />

1. Actuellement attaché de recherches à<br />

l’université de Los Andes, Bogota, Colombie.<br />

2. Trace laissée sur le tronc après la chute<br />

d’une feuille.<br />

Contacts<br />

P<strong>au</strong>l Camilo Zalamea<br />

camilozalamea@gmail.com<br />

UMR Botanique et bioinformatique<br />

de l'architecture des plantes<br />

(Cirad, CNRS, INRA, <strong>IRD</strong>, Université<br />

de Montpellier 2)<br />

daniel.sabatier@ird.fr<br />

patrick.heuret@cirad.fr<br />

Le rôle clé des Ficus<br />

rbre isolé dans les paysages<br />

agricoles malgaches,<br />

le ficus pourrait<br />

rendre des services bien<br />

plus grands que son caractère<br />

esseulé ne le laisse présager. « Il est<br />

d’ailleurs protégé lors de défrichage,<br />

voire même planté, indique Stéphanie<br />

Carrière, chercheuse à l’<strong>IRD</strong>. Il<br />

peut avoir une importance symbolique,<br />

comme dans l’ethnie betsileo<br />

où cet arbre est lié <strong>au</strong> culte des<br />

ancêtres, mais également procurer<br />

des services écologiques et économiques<br />

ou encore avoir une utilité<br />

alimentaire ou médicinale. » L’étude<br />

qu’elle vient de conduire 1 montre le<br />

rôle prépondérant de ces arbres<br />

dans la conservation de la biodiversité<br />

en milieu rural. Et ce, en relation<br />

avec leur propension à attirer<br />

préférentiellement des oise<strong>au</strong>x frugivores.<br />

« Les oise<strong>au</strong>x sont de bons<br />

indicateurs de la biodiversité des<br />

milieux agricoles », souligne cette<br />

dernière. Les résultats de ses trav<strong>au</strong>x<br />

soulignent que la richesse spécifique<br />

avienne est nettement plus élevée<br />

dans les espaces où se trouvent ces<br />

arbres relais. La densité d’oise<strong>au</strong>x<br />

frugivores y est remarquable avec un<br />

avantage pour les Ficus.<br />

Si les arbres isolés 2 – <strong>au</strong> premier<br />

rang desquels les Ficus – ont un effet<br />

positif sur la diversité animale, en<br />

retour, les oise<strong>au</strong>x contribuent à<br />

enrichir le milieu en espèces végé-<br />

tales. « Ces arbres assurent le rôle<br />

de corridor, permettent <strong>au</strong>x oise<strong>au</strong>x<br />

de se déplacer en passant d'un arbre<br />

à l'<strong>au</strong>tre – ce qu'ils ne feraient pas<br />

dans un milieu ouvert dépourvu<br />

d’arbres –, et <strong>au</strong>torisent donc des<br />

flux d’espèces et de gènes entre le<br />

milieu cultivé et la forêt proche »,<br />

explique Stéphanie Carrière qui<br />

avait déjà mis en évidence ce rôle<br />

positif <strong>au</strong> Cameroun où ils sont<br />

appelés « arbres orphelins » 3 . Au<br />

final, « <strong>au</strong>tant utiliser toutes les ressources<br />

et tous les savoirs pour<br />

conserver la biodiversité partout où<br />

cela est possible et pas uniquement<br />

dans les aires protégées », relève<br />

cette chercheuse qui fait preuve de<br />

pragmatisme pour défendre l’idée<br />

que même les parcelles cultivées et<br />

donc productives peuvent – sous<br />

certaines conditions – contribuer à<br />

cette nécessité. Et en guise de<br />

conclusion, plaide pour que « ces<br />

pratiques traditionnelles bénéfiques<br />

pour la biodiversité soient identifiées,<br />

étudiées et valorisées... ». ●<br />

1. Avec AgroParisTech et la Faculté des<br />

<strong>Sciences</strong> d’Antananarivo.<br />

2.Appelés Trees Outside Forest par la FAO.<br />

3. Fiches actualité N°170.<br />

Contact<br />

stephanie.carriere@ird.fr<br />

UR Dynamiques socio-environnementales<br />

et gouvernance des ressources.<br />

Arbres et Ficus isolés <strong>au</strong>x abords d'une rizière, en pays betsileo, H<strong>au</strong>tes<br />

Terres malgaches.<br />

© <strong>IRD</strong>/S.Carriere

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!