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Tunis, ville en mutation #3 Paysage révolutionnaire
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Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong>
Etudiantes<br />
Fatma Ben Amor<br />
Aurélie Krotoff<br />
Responsable de l’énoncé théorique<br />
Prof. Christian Gilot<br />
Directeur pédagogique<br />
Prof. Dieter Dietz<br />
Maître<br />
Marc Schmitt<br />
Tunis, ville en mutation<br />
Manifestations spatiales d’une révolution sociale
4 Tunis, ville en mutation<br />
« J’écris avec toi bien-aimée mon sang mon cœur ma voix<br />
Avec ma patrie<br />
Tunisie mon offrande<br />
Je ne suis qu’à toi je peux me déchirer pour toi<br />
Tunisie ma chérie ma<br />
Tunisie chaude amante. »<br />
Moncef Ghachem*, Car vivre est un pays, 1978<br />
Nous tenons à remercier les personnes qui nous ont accompagnés durant le<br />
processus de cette recherche. Notamment Christian Gilot, Dieter Dietz et<br />
Marc Schmit pour leurs précieux conseils. Un grand merci également à nos<br />
familles et à nos amis respectifs qui nous ont soutenus tout au long de ce travail. * Rencontré en Octobre 2011, lors de notre voyage en Tunisie, dans sa maison à Mehdia<br />
5
6 Tunis, ville en mutation<br />
Avant propos<br />
La révolution se définit comme une «transformation profonde et rapide d’un<br />
ordre social préexistant » ** . Cet ébranlement de la structure politique d’un Etat<br />
est généralement causé par une agitation populaire violente et soudaine. La<br />
ville, et dans une plus forte mesure la ville arabe, est une transcription spatiale<br />
de sa composante sociale, fait que nous essayerons de démontrer tout au long<br />
de notre travail. Ainsi, l’environnement bâti et l’espace public devront s’adapter<br />
à ces changements qui bouleversent l’ordre politique, économique, moral et<br />
culturel.<br />
Les révolutions ont par tout temps profondément marqué le paysage architectural<br />
et urbanistique de leurs époques. Ainsi la révolution française a révélé<br />
les deux grands architectes Étienne Louis Boullée et Claude Nicolas Ledoux<br />
dont l’architecture visionnaire a participé à forger un imaginaire utopique qui<br />
a nourrit la production architecturale de générations futures d’architectes ; la<br />
révolution russe a radicalisé autant la pensée constructiviste que le suprématisme<br />
et le mouvement populaire de Mai 68 a poussé encore plus loin la dérive<br />
situationniste.<br />
Une année seulement après la révolution tunisienne du 14 Janvier 2010, la ville<br />
de Tunis porte encore en elle toutes les traces de ce renversement politique et<br />
social qui a surpris la planète entière. Cette ville qui est le produit des différentes<br />
phases politiques qu’a connut la Tunisie et qui ont profondément marqué son<br />
territoire, est encore aujourd’hui le berceau de manifestations intenses où la<br />
tension sociale entre les différents camps traduit la division et les disparités de<br />
tout un pays.<br />
C’est avec émotion que nous avons essayé dans un premier temps de capter<br />
l’essence spatiale de cette phase <strong>révolutionnaire</strong> transitoire critique où les<br />
destructions et le doute côtoient l’espoir de la reconstruction d’une société<br />
nouvelle. Puis, à travers l’analyse du Grand Tunis imprégné des divergences<br />
nationales, nous allons essayer de décortiquer l’urgence de ce paysage <strong>révolutionnaire</strong><br />
et des enjeux liés à l’introduction de solutions éphémères.<br />
** P. G., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003<br />
7
Sommaire<br />
#1 Géographie d’une révolution<br />
L’espace public : lieux de transmission d’une humeur mondiale<br />
Géographie d’une fusion nationale<br />
L’espace public : un espace politique ?<br />
Géographie d’une scission post-<strong>révolutionnaire</strong><br />
#2 Géographie des inégalités<br />
Des inégalités nationales<br />
Genèse d’une ville divisée<br />
Des politiques économiques sectorisés<br />
Une multiplicité de centres au détriment de la périphérie<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
«La révolution des briques»<br />
Des quartiers spontanés<br />
Centre, limite et espace public<br />
Un éphémère structurant<br />
8 Tunis, ville en mutation<br />
9
10 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
11
Table des matière<br />
«La révolution des briques»<br />
Atmosphère politique et premières réactions<br />
Un espace public verrouillé<br />
Un patrimoine en péril<br />
La prolifération des constructions anarchiques<br />
Une homogénéité paysagère<br />
Des quartiers identitaires<br />
La transparence sociale du bâti<br />
Des commerces éphémères<br />
Des quartiers spontanés<br />
Des centralités périphériques<br />
Des faubourgs informels<br />
Un quartier populaire planifié<br />
Un ensemble de bord de route<br />
Une zone agricole intérieur transformée<br />
Un commerce non structurant<br />
Centre, limite et espace public<br />
Centralités hiérarchisées<br />
L’espace public : une opportunité pour les quartiers spontanés<br />
Une centralité grâce à l’espace public<br />
Un centre et une limite interdépendants<br />
Un éphémère structurant<br />
Bibliographie<br />
12 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
15<br />
19<br />
23<br />
25<br />
27<br />
29<br />
30<br />
31<br />
35<br />
39<br />
41<br />
47<br />
49<br />
51<br />
53<br />
55<br />
57<br />
58<br />
60<br />
62<br />
63<br />
65<br />
71<br />
13
«La révolution des briques»<br />
14 Tunis, ville en mutation #1 Géographie d’une révolution<br />
15
Carte de nos parcours dans le Grand Tunis<br />
16<br />
Cité Eadhamen<br />
El Manar<br />
Le Bardo<br />
Ennasr<br />
Mont-Fleury<br />
El Menzah<br />
Cité sportive<br />
Parc du<br />
Belvédère<br />
Medina Ville coloniale<br />
Forêt de<br />
Sijoumi<br />
ibn Sina<br />
Raoued<br />
Mourouj<br />
La Sokra<br />
Bellvue<br />
El ouardia<br />
Kabaria<br />
Aeroport<br />
Bhar Lazreg<br />
Le Kram<br />
La Goulee<br />
Port de Radès<br />
Forêt de Radès<br />
Mornag<br />
Carthage<br />
Sidi Bou Saïd<br />
Nous souhaitons ici rendre compte des observations liées au paysage citadin<br />
offert par notre voyage en Octobre dernier à Tunis, qui se formulèrent par la<br />
suite comme des articulations clés pour notre réflexion théorique. Ces découvertes<br />
furent rythmées par des parcours progressifs au travers des différents tissus<br />
de la ville, afin de saisir couche par couche les modifications spatiales d’un<br />
séisme social. Nous tentons ici de lier les notions d’urbanité et d’identité dans<br />
le contexte d’une fracture sociale.<br />
Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
17
Marchands ambulants envahissant les rues de Tunis<br />
Constructions anarchiques sur la voie publique dès le 15 Janvier 2011<br />
Atmosphère politique et premières réactions<br />
Une phase de transition dont la durée est incertaine a plongé Tunis dans une<br />
atmosphère confuse. La ville est en suspens, sous tension et reprend son activité<br />
en tâtonnant, les administrations sont perturbées, les usines fonctionnent au<br />
gré des sit-in…Si la révolution fut un bouleversement inattendu qui renversa<br />
le pays en moins d’un mois, elle présente aussi l’ambivalence de se poursuivre<br />
dans une temporalité plus ample, nécessaire pour que l’imaginaire d’une civilisation<br />
nouvelle se concrétise en de réelles mutations sociales et spatiales.<br />
« D’une certaine manière, tout ne sera jamais pareil puisque la peur a en<br />
partie disparu, le silence a été brisé et la parole déliée. Le débat peut désormais<br />
avoir lieu même s’il n’a pas encore pris racine dans la sphère publique tant les<br />
conditions de sa concrétisation sont difficiles à réunir. » 1 Cependant, les discussions<br />
se sont définitivement propagées de la maison familiale intime vers<br />
des lieux semi-publics voir publics, comme les conférences, les cafés et les marchés<br />
selon les couches sociales qui les animent. A l’approche des élections, la<br />
politique est dans toutes les bouches. Une palette de non moins de 104 partis<br />
éligibles, autant constitués de figures très influentes que d’associations de<br />
petites communautés, proposent des restructurations qui se noient dans des<br />
promesses confuses. On s’empare de tous les débats, s’engageant même dans<br />
les plus éloignés, au détriment peut être du questionnement économique et<br />
social qui fonda le dialogue.<br />
Pour tous, le rapport à la ville et son utilisation sont modifiés à jamais. Tandis<br />
que les ruines calcinées de l’ancien régime sont le nouveau paysage non réversible<br />
de la ville, les tunisois reprennent possession des lieux comme cela avait été<br />
enclenché lors des manifestations. Les actions artistiques dans l’espace public<br />
se multiplient et des associations d’artistes soutenues par de nouvelles revues<br />
culturelles tel que Z.A.T. (Zone Artistique Temporaire) propose un « art en<br />
action » qui réanime l’espace public. Mais en l’absence de système régulateur<br />
les prémisses d’un chaos urbain apparaissent : au lendemain de la révolution les<br />
barrages routiers modifiant les flux, les constructions illégales squattant les trottoirs,<br />
les marchands ambulants en masse créant une atmosphère étourdissante,<br />
sont autant de manifestations d’une économie anarchique prenant possession<br />
de cette espace public.<br />
1 Hibou B., Le moment <strong>révolutionnaire</strong> tunisien en question, 2011<br />
18 Tunis, ville en mutation, mutation Géographie d’une révolution<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
19
Le projet Inside Out de l’artiste français JR place des photos d’anonymes là où trônaient celles<br />
du président Ben Ali, ici il s’agit d’une maison pillée et brûlée pendant la révolution<br />
Le projet rencontre l’incompréhension des tunisiens qui arrache les photographies Fourgonnette calcinée repeinte durant la performance<br />
20<br />
Happening organisé conjointement par l’école d’architecture et l’école des beaux arts de Tunis,<br />
il s’agissait de repeindre les carcasses des voitures brûlées pendant la révolution<br />
Tunis, ville en mutation, Géographie d’une révolution #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
21
Barbelés encerclant la place de la Kasbah<br />
Listes électorales<br />
Un espace public verrouillé<br />
Débutant nos parcours au cœur de la ville, nos premières révélations sont liées<br />
à l’espace public : si celui-ci était symboliquement verrouillé sous un régime<br />
autoritaire, il est à présent physiquement interdit. Des barbelés et une présence<br />
policière intimidante encercle les vides encore tagués entre le ministère<br />
des finances et le premier ministère. On entend pourtant des rumeurs parlant<br />
d’émeutes mais aucune trace n’en est visible, toute cette installation angoissante<br />
restant immuable.<br />
Policiers devant la porte Beb Bhar, à l’entré de la Médina<br />
22 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
23
Constructions illégales à l’intérieur du tissu de la Médina<br />
Transformation d’une maison traditionnelle de la Médina sans autorisation<br />
24<br />
Tunis, ville en mutation<br />
Un patrimoine en péril<br />
Si les émeutes semblent contenues, les contestations se poursuivent par l’explosion<br />
des constructions illégales. Au tableau connu de Tunis vient s’ajouter un<br />
alignement de briques rouges, s’insérant dans le moindre vide, recouvrant des<br />
étendues impressionnantes, à toutes les échelles, dans tous les tissus. Les lieux<br />
historiques de la ville sont menacés par cette invasion, notamment le tissu de la<br />
médina très introverti et intime et particulièrement vulnérable car invisible aux<br />
yeux du public. D’autre part, le site archéologique de Carthage classé au patrimoine<br />
mondial de l’UNESCO en 1979, fut réduit petit à petit sous la pression<br />
de la classe politique qui habite cette banlieue huppé. Notamment, le président<br />
Ben Ali qui en plus du palais présidentiel s’est fait construire une mosquée sur<br />
ce site et a autorisé le déclassement de plusieurs zones pour des projets immobiliers<br />
financièrement fructueux. Bien que cet héritage tend à être sauvegardé<br />
au lendemain de la révolution, l’incertitude politique met à nouveau en péril ce<br />
site archéologique d’une grande rareté.<br />
Vue sur la mosquée Zitouna depuis les toits de la Médina<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
25
Les rues du quartier Etthadamen en chantier<br />
Complexe immobilier en construction au Nord Ouest de la Sebkha Ariana<br />
26<br />
Tunis, ville en mutation<br />
La prolifération des constructions anarchiques<br />
De même qu’à chaque flou politique, notamment durant les phases de transition<br />
importante du pouvoir politique 2 , nous voyons se former une nouvelle<br />
écorce, sur, autour et au delà du bâti préexistant. Ainsi les limites de la ville<br />
semblent avoir été repoussées et on aperçoit une bande rouge se former en<br />
bordure des quartiers implantés le long des Sebkhas. La ville nous semble être<br />
un gigantesque chantier s’étalant à perte de vue, notamment en périphérie, loin<br />
des repères patrimoniaux. Le décor post<strong>révolutionnaire</strong> en est surprenant : des<br />
espaces résidentiels tel des météorites « plantés» dans une terre encore retournée,<br />
quelques bétails gambadant toujours dans des anciennes zones agricoles<br />
fraîchement urbanisées, les enfants des quartiers spontanés jouant entre les<br />
monticules de briques rouges qui à chaque coin de rue, attendent de futures<br />
constructions inachevées…<br />
Urbanisation au bord de la Sebkha Sijoumi<br />
2 Du pouvoir colonial à Bourguiba, de Bourguiba à Ben Ali<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
27
Urbanisation au Nord de Sabkha Ariana<br />
Une homogénéité paysagère<br />
Qu’il s’agisse d’agrandir son jardin ou sa véranda, de rajouter une ou deux<br />
pièces, un étage, ou d’entreprendre la construction d’une nouvelle maison, la<br />
« révolution des briques » 3 , s’effectue partout avec le même matériau, la même<br />
rapidité, le même mode de construction. De cette opportunité politique saisie<br />
avec frénésie, découle une grande homogénéité. Les quartiers spontanés émergeant<br />
au Nord et au Sud ancrés dans des environnements naturels et morphologiques<br />
si différents, présentent un mimétisme saisissant.<br />
3 Kefi C., La prolifération des constructions anarchiques. 2012<br />
Surélévation dans le quartier de Etthadamen<br />
28 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
29
Des quartiers identitaires La transparence sociale du bâti<br />
Cependant derrière cette uniformité rouge, se développe une hétérogénéité<br />
propre à chaque habitant. Le marché clandestin établi bien avant la révolution,<br />
a en effet transformé des familles populaires en véritables concepteurs des<br />
quartiers spontanés. Ces bouts de villes sont développés en l’absence de toute<br />
contrainte étatique, et ne sont pas le résultat d’une manipulation politique<br />
identitaire. C’est un urbanisme insoumis, correspondant à la projection pure<br />
des interactions culturelles et géographiques qu’établissent ces populations,<br />
comme de nouvelles références urbaines loin à l’horizon tunisois. Depuis le<br />
14 janvier, l’absence total de système régulateur a décuplé la prolifération des<br />
constructions.<br />
Vue depuis la colline de Montfleury<br />
La maison représente le seul élément stable pour ces familles dont les revenus<br />
sont très irréguliers. Elle est un véritable pilier social et le symbole d’une prospérité<br />
économique indispensable à l’apparition de tout noyau familial.<br />
Une habitante de Etthadamen, un immense quartier spontané à l’ouest de la<br />
ville de près de 400 000 habitants, raconte l’histoire de sa maison : lorsque le<br />
père de son mari achète une petite maison à cour en bord de route une cinquantaine<br />
d’années auparavant, le quartier est encore très peu dense et le<br />
terrain bon marché. Au mariage de son fils ainé, une petite construction est<br />
accolée à la première, toujours le long de la route. Marié à son second fils, elle<br />
quitte le centre ville de Tunis dont elle est originaire, pour s’installer dans une<br />
troisième maison mitoyenne avec la seconde. Les petits enfants bénéficient<br />
d’étages indépendants accessibles par un escalier extérieur depuis une petite<br />
cour privée commune. Du haut de son toit, cette citadine voit sous ses yeux<br />
s’articuler une sorte de complexe familiale développé depuis la maison patriarcale,<br />
tel un point d’attache rassurant qu’elle visite chaque jour. Le quartier s’est<br />
lui aussi simultanément métamorphosé, les constructions éparses ayant muté<br />
en une imbrication de petits ensembles agglutinés autour d’une rue commerçante.<br />
Maison à étages à cité Ettadhamen construite par étape<br />
30<br />
Tunis, ville en mutation, mutation Géographie d’une révolution #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
31
Haouch complet typique de l’habitat spontané péri-urbain, Etthadamen<br />
Typologie de l’habitat spontané en fonction du degré d’achèvement des constructions<br />
Haouch de type 1 : logement de une ou deux pièces autour<br />
d’une cour<br />
Haouch de type 2 : logement toujours incomplet à cour clôturé<br />
et en forme de L, comprenant plus de pièces<br />
Haouch de type 3 : logement complet selon une forme en U<br />
autour d’une cour<br />
32 Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
Source, M.Chebbi, 1981<br />
33
Commerce, Etthadamen<br />
Commerce, Sebkha Ariana<br />
Des commerces éphémères<br />
Cette proximité entre les modes de vie et les typologies bâties se traduit par une<br />
grande adaptabilité de ces portions de ville. Ce fait est caractéristique quand<br />
à l’organisation des quartiers spontanés dont l’épanouissement du commerce<br />
informel s’explique notamment par une grande réactivité aux fluctuations du<br />
marché. L’éclosion d’une échoppe n’ayant été soumise à aucune contrainte<br />
tel qu’un loyer, ne se résume qu’à l’ajout d’une pièce, bien souvent accolée à la<br />
maison mère et où les activités changent au grès des opportunités. L’extrême<br />
dynamisme régnant autour de ces commerces est frappant. Nos parcours en<br />
croisent une diversité incroyable : des échantillons de vie rurale installés un peu<br />
partout en bord de route en prévision de l’Aïd 4 , des ruelles envahies étouffant<br />
momentanément le reste du trafic à Etthadamen, et le tout Mélassine, l’un des<br />
plus anciens quartiers populaires de la ville, s’affairant dans une petite place<br />
restée libre à cet effet, parsemé de petites installations en tôle protégeant du<br />
soleil. Plus que des centralités géographiques, ces lieux sont des centralités<br />
identitaires et symboliques puissantes. L’effervescence des échanges y est troublante,<br />
à l’approche des élections les discussions politisées sont très animées.<br />
Elles rappellent que ces quartiers périphériques comme Etthadamen, furent<br />
les premiers de Tunis à se soulever le 12 Janvier 2011, et restèrent les foyers les<br />
plus actifs tout au long de cette période historique. Sans doute l’indépendance<br />
intrinsèque de ce tissu urbain périphérique, mais aussi un phénomène de solidarité<br />
communautaire a t-il pu mieux que d’autres propager une idéologie et<br />
rassembler ses habitants derrière des aspirations communes.<br />
4 La « fête du sacrifice »<br />
34 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
35
Souk hebdomadaire , Sebkha Ariana Commerces de bord de route, Sebkha Ariana<br />
Marché de produits frais, Sebkha Ariana<br />
Garage, Mélassine Marché de Mélassine Marché de Mélassine<br />
36<br />
Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong> 37
Des quartiers spontanés<br />
38 Tunis, ville en mutation #1 Géographie d’une révolution<br />
39
Des centralités périphériques<br />
Au regard de l’emprise au sol actuel considérable des tissus non planifiés au<br />
sein du Grand Tunis, il semble indéniable que ces derniers eurent un rôle formateur<br />
et représentent une question clé pour l’avenir de la capitale. Cependant,<br />
si les populations qui vivent et fabriquent ces quartiers spontanés sont<br />
des acteurs essentiels de l’urbanisation tunisoise, l’histoire de leur exclusion<br />
depuis leur apparition est un fardeau qui remet en question leur rôle dans la<br />
ville. Leur difficulté à s’intégrer à la ville est à l’origine d’un processus géographiquement<br />
complexe définit par l’urbaniste Morched Chebbi : « la recherche<br />
d’une recomposition des structures communautaires sur une base territoriale,<br />
qui prend la forme d’un regroupement par origine, notamment dans un quartier<br />
ou un sous-quartier, des différents groupes sociaux illustre la constitution<br />
de ce que nous avons appelé « des territorialités ».<br />
Ainsi, ces « territorialités » sont elles apparues au cours de la genèse de la ville,<br />
s’insérant autour des centres d’activités dans des configurations morphologiques<br />
spécifiques, visant à établir des liaisons dont leur survie économique est<br />
dépendante. Ces positions géostratégiques relatives à une centralité, confèrent<br />
une situation périphérique à ces quartiers considérés comme indésirables, se<br />
plaçant au pied des limites naturelles de la ville de Tunis, sur des terrains accidentés<br />
ou délaissés.<br />
Ainsi, ces différents tissus se sont insérés au fil de l’évolution de la ville, adaptant<br />
leur typologie et leur situation géographique à l’évolution du centre historique<br />
de Tunis. « L’espace central auquel sont articulées structurellement ces<br />
populations reste la Médina et le réseau « soukier » et plus particulièrement<br />
ses composantes commerciales, tels que les souks de la Grana, de Sidi Mehrez<br />
ou encore de la Hafsia. » 5 . En effet, à la différence des classes moyennes qui<br />
aujourd’hui se tournent vers les nouveaux centres commerciaux proches de<br />
leur espace résidentiel, ces populations ne cesseront jamais, par nécessité, de se<br />
déplacer vers la Médina.<br />
Avec la croissance urbaine, la ville englobe progressivement d’anciens quartiers<br />
périphériques les plaçant soudain dans une situation géographique favorable.<br />
Mais malgré cette nouvelle proximité au centre, ces « territorialités »<br />
conservent leur caractère communautaire historique sans jamais pouvoir<br />
muter et créer un hypercentre homogène. Par cette charnière centrale qu’est<br />
5 Chabbi M., Evolution du Grand Tunis, 1997.<br />
40 Tunis, ville en mutation<br />
la Médina, les différents quartiers périphériques peuvent rentrer en communication,<br />
y retrouvant des activités commerciales communes, on assiste ainsi<br />
au départ des populations des quartiers anciens vers des quartiers plus récents.<br />
Apparition de typologies significatives d’habitat spontané au cours de la genèse du Grand Tunis<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
41
Afin de mieux saisir la formation et le fonctionnement de ces quartiers, nous<br />
avons retenu quatre typologies nous semblant significatives au sein de l’habitat<br />
informel du Grand Tunis. Leurs époques de formation et leurs modes d’apparition<br />
différent. Ce sont donc les quartiers de Jebel Lahmar, Etthadamen,<br />
Raoued et Bhar Lazreg qui ont retenu notre attention.<br />
42 Tunis, ville en en mutation<br />
Typologies étudiées<br />
Médina<br />
Habitat spontané<br />
typologies étudiées<br />
zones inondables<br />
Réseau de routes et de train<br />
Etthadamen<br />
Jebel Lahamr<br />
BARDO<br />
Médina<br />
Raoued<br />
ARIANA<br />
Quatre typologies d’habitat spontané au sein du Grand Tunis<br />
Bhar Lazreg<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
LA MARSA<br />
43
Etthadamen Raoued<br />
Jebel Lahmar<br />
Médina<br />
Hypercentre<br />
44 Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
Bhar Lazreg<br />
Aéroport, centre<br />
El Menzah<br />
Des typologies de différentes échelles<br />
45<br />
La Marsa
Jebel Lahmar, analyse des infrastructures<br />
46<br />
Tissu urbain étudié<br />
Commerces<br />
Hopitaux<br />
Sports<br />
Administration<br />
Arrêts de bus<br />
Mosquées<br />
Ecoles<br />
Base militaire<br />
Cimetière<br />
Axes structurants<br />
Tunis, ville en mutation<br />
Un faubourg informel<br />
Jebel Lahmar fut le premier gourbiville de Tunis. Il naît sur les pentes accidentées<br />
qui bordent le plus grand parc de la ville, pour suppléer une médina surpeuplée<br />
ne pouvant plus accueillir de nouveaux arrivants. Son tissu montre encore<br />
aujourd’hui un mimétisme avec le bâti ancien de la médina. Sa morphologie<br />
organique constituée d’une succession de strates articulées par des routes, témoigne<br />
de son évolution rapide. Chacune de ces routes est une connexion clé<br />
vers le centre historique pour ces populations de migrants qui exercent pour la<br />
ville toute sorte de petits métiers.<br />
La première strate du bâti, la plus à l’est, au creux de la colline du belvédère,<br />
contient en son centre un marché central, d’une taille importante pour ce tissu<br />
encore modeste. Ce lieu est protégé par les constructions qui s’agglutinent<br />
autour, telle la mosquée entourée de ses souks dans la médina. Malgré l’apparition<br />
des autres strates dont le tissu se modifie chaque fois, le marché reste une<br />
marque urbaine visible, bien qu’à présent décentré.<br />
Ce tissu semble évoluer lentement à présent, grignotant petit à petit la périphérie<br />
du parc du Belvédère au Nord de la ville européenne. Ses limites incertaines<br />
sont aussi repoussées par des infrastructures opérant un saut d’échelle et un<br />
anachronisme urbain brutal, tel que le siège de la télévision tunisienne au Nord<br />
et la base militaire au Sud.<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
47
Etthadamen, analyse des infrastructures<br />
Etthadamen, évolution du tissu<br />
48 Tunis, ville en mutation<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
1975<br />
1980<br />
1985<br />
1995<br />
Source : M. Chebbi<br />
Tissu urbain étudié<br />
Commerces<br />
Hopitaux<br />
Sports<br />
Espaces verts<br />
Administration<br />
Arrêts de bus<br />
Mosquées<br />
Ecoles<br />
Industries<br />
Axes structurants<br />
Un quartier spontané initié par l’état<br />
L’immense quartier d’Etthadamen marque le début du mitage des terres agricoles<br />
dans la périphérie Ouest de Tunis. Le quartier n’était pourtant à l’origine<br />
que quelques logements agricoles planifiés par l’état à quelques kilomètres du<br />
petit gourbiville d’El Ghiran. Ces deux entités grandissent progressivement<br />
pour se rejoindre, accueillant des citadins tunisois qui se déplacent vers une<br />
périphérie bon marché. Cette urbanisation va croître exponentiellement avec<br />
les interventions de réhabilitation de l’état dès les années 1980. Sous Bourguiba,<br />
cette réhabilitation comprenait l’amélioration ou la création de réseaux<br />
d’infrastructure (alimentation en eau, électricité, assainissement, évacuation<br />
des eaux pluviales, éclairage public, voiries) et la création d’équipements collectifs<br />
de base (écoles primaires, jardin d’enfants, dispensaires, terrains de sport).<br />
Puis sous Ben Ali avec la systématisation de la réhabilitation, la réduction des<br />
programmes d’intervention ne comportait plus que les infrastructures de base<br />
(voirie, électricité, eau potable, et assainissement) 6 . La première phase a donc<br />
laissé une empreinte visible dans le tissu urbain de ce quartier qui s’articule<br />
autour d’axes routiers connectant la population à son lieu de travail et notamment<br />
la Médina 7 . Sa trame urbaine est maintenant la projection d’une population<br />
citadine, et non plus rurale, venue construire directement un bâti en dur<br />
s’étalant à perte de vue. On distingue ainsi la présence de satellites parsemés<br />
dans un tissu urbain homogène. Cette ville dortoir accueille donc des écoles,<br />
des mosquées, des administrations, et bien quelques industries mais ne présente<br />
plus, dans sa morphologie, de centralité tel que la place du marché du<br />
gourbiville de Jebel Lahmar.<br />
6 Malouch S., Requalification des quartiers d’habitation urbaine, 2007<br />
7 Chebbi M., Pratiques et logiques en matière de planification urbaine, 1987<br />
49
Raoued, analyse des infrastructures<br />
Tissu urbain étudié<br />
Mosquées<br />
Ecoles<br />
Projets immobiliers<br />
Axes structurants<br />
Un ensemble de bord de route<br />
Raoued présente une urbanisation irrégulière et intrigante s’insérant entre le<br />
bord mer, le relief montagneux, les terres agricoles et les rives Nord de la Sebkha<br />
Ariana. Les étranglements successifs de sa morphologie témoigne de la conurbation<br />
de petites bourgades établit le long de la route entourant la Sabkha. Elle<br />
forme ainsi une bande d’urbanisation très étroite et ramifiée, constituée le plus<br />
souvent de l’épaisseur de deux maisons accolés depuis le bord de la route. Une<br />
route qui semble être l’élément formateur et structurant d’un quartier spontané<br />
extrêmement jeune, ne possédant donc que très peu d’infrastructures. Ainsi<br />
examine t-on très peu de sauts d’échelle, excepté l’emprise au sol des projets<br />
privés projetés, attirés par le bord de mer, et les rives désertiques de la Sabkha.<br />
50<br />
Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
51
Bhar Lazreg, analyse des infrastructures<br />
52<br />
Tissu urbain étudié<br />
Commerces<br />
Hopital<br />
Sports<br />
Projets immobiliers<br />
Axes structurants<br />
Une zone agricole intérieur transformé<br />
Bhar Lazreg est la seule typologie rencontrée s’intégrant non pas aux limites<br />
extérieures mais aux limites intérieures du grand Tunis. Elle se développe en<br />
mitant les terres agricoles de la Sokra au Sud de la Sebkha Ariana, dans une<br />
position stratégique, en périphérie de quartiers attracteurs tel que la Marsa, et<br />
Carthage. Cette proximité avec ces centres, lui épargne la nécessité de se fournir<br />
en infrastructure car elle puise ses ressources dans son environnement immédiat<br />
tout en étant totalement tributaire de ce dernier. Elle est implantée près<br />
d’une infrastructure phare pour les tunisois de la classe moyenne : le centre<br />
commercial Carrefour. Cette proximité entre les différentes couches sociales<br />
se retrouve également dans le bâti, où l’on voit se côtoyer de luxueuses villas<br />
implantés dans des parcelles très généreuses et des habitations de taille beaucoup<br />
plus modestes.<br />
Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
53
Mélassine<br />
Etthadamen Etthadamen<br />
54<br />
Tunis, ville en mutation<br />
Jebel Lahmar<br />
Un commerce non structurant<br />
On constate que selon les typologies des quartiers spontanés, l’époque de<br />
leur formation et les populations qui les habitent, les infrastructures dont elles<br />
disposent ou dont elles se dotent sont également fortement différenciées. La<br />
disposition et le nombre de ces satellites révèlent souvent les rapports de force<br />
établis entre chaque quartier et la ville, tel une balance entre la dépendance à<br />
un hypercentre et une certaine autonomie. Un fait surprenant de ce point de<br />
vue, est l’absence quasi total d’infrastructure de commerces dans ces quartiers.<br />
En effet, l’étude des différents tissus n’a pas permis d’établir la présence d’un<br />
équipement structurant concernant cette activité. Elle fut pourtant l’une des<br />
observations cruciales faite lors de notre voyage, qui nous révéla des espaces<br />
d’interactions et d’échange essentiel pour la société tunisienne. Cette étude<br />
nous révèle que cette activité majeure reste non visible dans le tissu urbain car<br />
elle s’insère le long des routes ou envahit les rues mais change continuellement<br />
de visage selon les saisons et les semaines. C’est une activité instable mais précieuse<br />
que l’on peut observer s’insérer dans le tissu des quartiers spontanés animant<br />
l’homogénéité du bâti.<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
55
Centre, limite et espace public<br />
56 Tunis, ville en mutation #1 Géographie d’une révolution<br />
57
Médina<br />
Centralité «Unique»<br />
Médina/Ville française<br />
Centralité «Bicéphale»<br />
58 Tunis, ville en mutation<br />
Quartiers planifiés<br />
Centralité «Polynucléaire»<br />
Quartiers spontanés<br />
Centralité «Polynucléaire»<br />
Villages ruraux en mutation<br />
Centralité «Polynucléaire»<br />
Centralités hiérarchisées<br />
Tout au long de son évolution, Tunis a multiplié les formes et les types de<br />
centralités. D’abord ce fut une centralité « unique » 8 , la Médina était le pôle<br />
d’attraction, puis « bicéphale » 9 , la ville française ayant eut une importance<br />
urbaine égale voire supérieure et enfin « polynucléaire » 10 quand la saturation<br />
du centre initial a conduit à l’émergence de centres secondaires qui ne le remplacent<br />
en aucun cas mais qui ont des similitudes typologiques.<br />
Les centres « productifs », les pôles touristiques et surtout le centre historique<br />
qui puise sa force dans l’identité des peuples, représentent des centralités plutôt<br />
stables. La centralité reste pourtant « dynamique et évolutive. Dans les espaces<br />
urbains, des centralités naissent ou disparaissent suite à des changements de<br />
paradigmes, de situations et de circonstances. » 11 .<br />
Même si l’hypercentre de Tunis conserve des dimensions économiques, sociales,<br />
politiques et symboliques. On ne peut plus affirmer à Tunis une seule<br />
centralité, surtout au regard de sa morphologie. Car ce centre peine à combler<br />
les besoins de la population extérieure résidente dans la région complémentaire<br />
de la ville en biens et services. Ces périphéries livrées à elles-mêmes qui<br />
n’ont fait que se disperser durant leur long processus de formation, sont en<br />
totale dépendance par rapport au centre ville. Elles ont de tout temps été considérées<br />
comme intruses dans l’espace urbain tunisien. Les plus récentes et donc<br />
les plus éloignées d’entre elles, ne font pas encore parti de cet espace mais plus<br />
non plus de la zone rurale agricole. Il s’agit d’un entre-deux instable et dangereux,<br />
d’abord pour elle-même en détruisant leurs principales ressources, mais<br />
également pour la ville qui en les intégrant à son système urbain se confronte<br />
aux problèmes de transport et d’infrastructure évoqués précédemment, dus à<br />
leur manque de services et d’administrations. Les habitants de ces quartiers se<br />
trouvent donc dans l’obligation de se déplacer vers d’autres centres pour travailler,<br />
effectuer certaines tâches administratives et accéder à des services spécifiques<br />
(commerce, santé, loisir). Ce qui engendre un rapport de totale soumission<br />
entre ces deux types de centralité.<br />
8 Djemel M., Impact de l’évolution des formes de croissance urbaine sur l’identité de la ville et de ses<br />
citoyens, 2008.<br />
9 Ibidem<br />
10 Ibidem<br />
11 Ibidem<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
59
Entrée du marché de Mélassine<br />
L’espace public :<br />
une opportunité pour les quartier spontanés<br />
Comme nous l’avons démontré tout au long de ce travail, la ville de Tunis est<br />
le cadre de nombreuses inégalités sociales et spatiales dont certaines semblent<br />
s’aggraver après la révolution. L’opportunité de cette mutation sociopolitique<br />
devrait plutôt être saisie pour établir un nouvel avenir urbain et humain. Il est<br />
temps que cette ville s’attache à offrir une certaine qualité de vie dans l’entièreté<br />
de son territoire, en estompant les dissymétries entre les divers cadres de vie,<br />
notamment à l’aide de plus de mixité entre ses habitants et de proximité entre<br />
ces derniers et ceux qui les dirigent.<br />
Nous pensons qu’en ces temps <strong>révolutionnaire</strong>s où tout se déroule dans<br />
l’espace de la rue et d’autant plus dans une société encore dominée par l’oralité,<br />
que l’échelle de l’espace public est celle sur laquelle il faudrait intervenir.<br />
L’espace public aurait le pouvoir de changer le rapport de la société avec son<br />
espace urbain et ainsi parvenir à la mutation du paysage urbain tunisien. Car<br />
si l’espace public a été conquis dans le centre, il reste absent dans la périphérie<br />
où les intérêts individuels dominent sur le bien commun. Dans ces quartiers<br />
homogènes, nous pensons que l’espace public est capable de faire émerger une<br />
identité commune qui s’apparente à toute la société mais également une identité<br />
propre capable de la démarquer et de la sortir de son anonymat.<br />
Il est temps d’ailleurs aujourd’hui d’assumer cette pluralité de centres en renforçant<br />
les centralités « spontanées » jusque là dominées par les centralités<br />
« projetées ». Ces centres pourraient ainsi être complémentaires, profiter les<br />
un des autres et s’influencer mutuellement. Chacun développant une attraction<br />
particulière.<br />
60 Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
61
62 Tunis, ville en mutation<br />
Une centralité grâce à un espace public<br />
La révolution paraît être une opportunité unique pour apporter une vraie<br />
solution à ces quartiers périphériques en les dotant d’une centralité légitime,<br />
auto-entretenue, qui semble être la propriété fondamentale pour la constitution<br />
d’une unité urbaine. Cette centralité serait apte à concentrer « hommes et<br />
activités » 12 et de créer une densité capable de polariser son espace physique<br />
autour de ce centre et ainsi stopper son étalement. La force d’attraction du<br />
centre par rapport à sa périphérie permettra ainsi de hiérarchiser cette unité<br />
urbaine déstructurée.<br />
Cette centralité serait créer non pas autour d’un centre religieux comme à la<br />
Médina ou un centre industriel comme tel est le cas pour certains quartier périphériques<br />
mais en introduisant « un lieu d’ échange » (comme définit dans la<br />
première partie de ce travail), qui semble être l’espace public le plus adapté à la<br />
société tunisienne. Cette centralité commerciale existante devra être renforcée<br />
pour mieux jouer son rôle de « centralité civique » 13 essentielle à l’expression<br />
de la démocratie. Comme il nous est apparu lors de notre voyage, le marché<br />
nous semble être la forme la plus proche de l’espace public en Tunisie. C’est<br />
un espace public où les gens se promènent, s’arrêtent, bavardent, échangent et<br />
sont en plein exercice de leurs droits démocratiques.<br />
Ce centre devra se situer dans un lieu accessible, à la convergence des lignes de<br />
trafic et des concentrations économiques existantes. Car la mobilité spatiale<br />
semble être un facteur majeur pour le développement d’une centralité.<br />
12 Djemel, 2008<br />
13 Ibidem<br />
Un centre et une limite interdépendants<br />
« Les événements sont comme les cristaux, Ils ne deviennent et ne grandissent<br />
que par les bords, sur les bords »<br />
Gilles Deleuze, la logique du sens, 1968<br />
Un centre ne peut se définir que par rapport à la périphérie sur laquelle il va agir.<br />
A l’échelle du quartier, la périphérie représenterait la limite de celui-ci, qu’il faudrait<br />
donc « construire » et qualifier afin qu’elle puisse être au service de son<br />
centre. Cette limite garderait une fonction « défensive » comme une enceinte<br />
de Médina, mais qui au lieu de protéger son contenant, protégerait sa propre<br />
périphérie du danger qu’il représente. Cet habitat spontané principal prédateur<br />
des terres périphériques au Grand Tunis mais aussi de ses ressources internes<br />
(Sebkhats, lacs,…), a besoin d’un « seuil » d’où il pourrait tirer de nouvelles<br />
ressources vitales.<br />
Il s’agit également d’établir une relation d’interdépendance entre le centre et<br />
sa limite mais cette fois-ci, pas uniquement de manière conceptuelle mais de<br />
manière identitaire et économique.<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
63
Un éphémère structurant<br />
64 Tunis, ville en mutation #1 Géographie d’une révolution<br />
65
« … comme ces petits lacs purs que les pluies laissent au printemps pour un<br />
instant dans les éphémères prairies africaines, …. »<br />
Isabelle Eberhardt, Yasmina, 1902<br />
Comme nous l’avons analysé dans la première partie de ce travail, la monumentalité<br />
n’est pas un aspect caractéristique de la ville tunisienne. Son architecture<br />
traditionnelle est introvertie, l’intimité le terme qui qualifie le mieux son<br />
urbanisme et même sa nature, sa faune et sa flore sont éphémères. Les flamants<br />
roses et autres oiseaux migrateurs ne sont que de passage dans ces grandes<br />
étendues d’eau changeante que sont les sebkhas. Exactement une année après<br />
« la révolution du Jasmin », cette fleure typique des nuits estivales tunisoises<br />
qui éclot le soir pour se faner au petit matin, nous montre aussi son côté éphémère<br />
et fragile. La montée de l’intégrisme est une véritable menace et le retour<br />
de la censure ainsi que l’ombre d’une nouvelle dictature planent. Cette nouvelle<br />
liberté semble aussi facile à balayer que ses installations temporaires des<br />
comités de quartiers apparus au lendemain de la révolution.<br />
Malgré ce contexte politique instable et vu l’urgence de certaines situations,<br />
il est nécessaire de saisir cette opportunité pour explorer et tracer de nouvelles<br />
voies à l’architecture tunisienne pour que « la révolution des briques »<br />
se concrétise et donne naissance à des nouvelles possibilités en rupture avec<br />
celle-ci mais peut être plus proche de l’essence même de ces anciens gourbivilles.<br />
Une architecture éphémère nous semble donc être la réponse adéquate<br />
à introduire dans ces quartiers spontanés, reflets de la société de l’instantanéité.<br />
Ce petit laboratoire expérimental nous permettrait de vérifier la capacité de<br />
cette nouvelle architecture à associer une nouvelle image à ces quartiers peu<br />
valorisés.<br />
Cette architecture éphémère doit néanmoins s’inscrire dans le temps si on<br />
considère l’impact urbain de cette architecture sur la ville que l’on souhaite<br />
capable de faire évoluer de manière positive son environnement urbain et<br />
d’amorcer de nouvelles manière d’aménager la ville. C’est ce que nous appelons<br />
l’éphémère structurant : un projet qui même prévu pour un temps court, puisse<br />
avoir un effet à long terme en inscrivant la ville dans un mode de croissance<br />
plus cohérent. Ces constructions éphémères insérées au sein de ces quartier<br />
spontané, pourraient polariser son tissu urbain autour d’un espace identitaire<br />
créant une centralité qui pourrait survivre à l’architecture elle même.<br />
66 Tunis, ville en mutation<br />
Notre volonté est donc d’établir un acte fondateur/salvateur double, en<br />
construisant simultanément une limite et un espace public en son centre, une<br />
structure binaire au moyen de structures éphémères. Un centre « positif » capable<br />
de densifier le quartier autour d’un binôme programmatique constitué<br />
d’un marché et d’un autre type d’espace public spécifique au lieu dans lequel il<br />
va s’implanter et qui puise son identité de la spécificité de cette limite « négative<br />
» qui subit le pouvoir d’attraction du centre.<br />
L’emploi étant le contrecoup le plus dramatique de la révolution, l’idée de ce<br />
projet est également de permettre aux habitants de ces quartiers de trouver de<br />
nouvelles possibilités de ressources financières, en leurs créant des possibilités<br />
de travail autant dans le centre que sa limite. Un lieux de production périphérique<br />
autogéré pourrait ainsi être imaginé en périphérie de ces quartiers, pour<br />
alimenter le centre et ainsi produire de nouvelles chaines vitales qui bénéficierait<br />
autant aux habitants du quartier qu’à la ville elle-même si elle adapte cette<br />
stratégie sur l’ensemble de son territoire. Il est également nécessaire que la ville<br />
adopte une nouvelle politique d’aménagement du territoire plus volontariste<br />
et égalitariste et qu’elle commence à planifier de nouveaux quartiers d’habitations<br />
pour accompagner toutes ces mesures tout en respectant le mode de<br />
croissance dynamique et évolutif de ces quartiers.<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
67
68 Tunis, ville en mutation #3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
69
70 Tunis, ville en mutation<br />
Bibliographie<br />
Articles<br />
CHABBI Morched. Evolution du Grand Tunis, territorialités et centralité. 1997.<br />
Urbanisation, habitat et politiques urbaines en Tunisie (1975-2011)<br />
CHEBBI Morched. Pratiques et logiques en matière de planification urbaine, le cas<br />
du plan de restructuration du quartier Ettadhamen à Tunis. 1987. Urbanisation,<br />
habitat et politiques urbaines en Tunisie (1975-2011)<br />
DJEMEL Manel. Impact de l’évolution des formes de croissance urbaine sur l’identité<br />
de la ville et de ses citoyens. Mémoire en urbanisme. Université de Montréal,<br />
Décembre 2008.<br />
HIBOU Béatrice. Le moment <strong>révolutionnaire</strong> tunisien en question : vers l’oubli du<br />
mouvement social ?. Science Po/CERI CNRS, Mai 2011<br />
Colloque<br />
MALOUCH Slaheddine. Requalification des quartiers d’habitation urbaine.<br />
Conférence Réseau habitat et francophonie, (N°37, Tunis, Novembre 2007).<br />
Accès à la propriété du logement.<br />
Ressources internet<br />
KEFI Chiraz. La prolifération des constructions anarchiques : « la révolution<br />
des briques ». In Globalnet [en ligne]. Disponible sur : http://www.gnet.tn/<br />
temps-fort/proliferation-des-constructions-anarchiques-cest-la-revolutiondes-briques/id-menu-325.html.<br />
Consulté le: 13/01/12.<br />
#3 <strong>Paysage</strong> <strong>révolutionnaire</strong><br />
71
Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne<br />
Janvier 2012
Enoncé théorique<br />
Master en architecture<br />
Janvier 2012