« L'entrée dans l'écrit des enfants sourds » - Savoirs Textes Langage

ARCAMBAL Emeline
Année universitaire Numéro étudiant : 21105502
2011 / 2012
« L’entrée dans l’écrit des
enfants sourds »
Mémoire de Master 1 sciences du langage
mention interprétariat LSF français.
Sous la direction de Mme Annie Risler

Remerciements
Mes remerciements s’adressent en premier lieu à Mme Annie Risler
pour les précieux conseils qu’elle a pu me donner,
ainsi que pour son encadrement et le temps qu’elle m’a accordé
et qui ont permis la rédaction de ce mémoire.
Un grand merci aux écoles qui m’ont si gentiment
ouvert leurs portes, que ce soit l’an passé ou cette année,
ainsi qu’aux enfants qui ont bien voulu effectuer
les évaluations que je leur ai proposées,
et sans qui ce mémoire n’aurait pas pu voir le jour.
Je tiens à remercier sincèrement ma famille et mes amies
pour les encouragements qu’ils m’ont insufflés
pendant la rédaction de ce mémoire
et pour leur soutien dans les moments de doute.
Je voudrais remercier tout particulièrement
Mlles Brajou Claire, Cayrac Nathalie, Gentil Estelle,
Guillon Elise, Lesieur Nina et Lombardet Léa
pour leurs conseils, leur aide et leur écoute.
Enfin, je n’oublie pas ma maman et ma sœur
pour leurs nombreuses relectures et leurs conseils avisés.
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Table des matières
Remerciements .................................................................................... 2
Résumé .................................................................................................. 6
Introduction ......................................................................................... 7
Partie 1 : Théorie
1. L’entrée dans l’écrit des enfants ................................................. 9
1.1. Le point de vue d’Emilia Ferreiro : la psychogénèse de l’écriture ... 9
1.1.1. Première période : la distinction entre l’écrit et le dessin : ............................ 10
1.1.2. Deuxième période : La production d’une série de lettres ................................ 11
1.1.3. Troisième période : la période syllabique ........................................................ 14
1.2. Jacques Fijalkow : la clarté cognitive ................................................ 16
1.2.1. Le traitement figuratif ...................................................................................... 18
1.2.2. Le traitement visuel .......................................................................................... 18
1.2.3. Le traitement de l’oral ...................................................................................... 19
1.2.4. Le traitement orthographique .......................................................................... 21
1.3. Jean-Marie Besse : La maîtrise du pluri-système graphique
français.................................................................................................. 22
1.3.1. Une trace différente du dessin .......................................................................... 23
1.3.2. Une trace se rapportant au référent ................................................................. 24
1.3.3. Une trace relative à la durée de la chaîne sonore ........................................... 25
1.3.4. Une trace relative à l’analyse phonique de l’énoncé ....................................... 25
1.3.5. Une trace codant, dans le même ordre, la succession des sons de la chaîne
orale .................................................................................................................. 26
1.3.6. Une trace codant de manière spécifique la chaîne orale ................................. 26
1.3.7. Les textes écrits permettent de communiquer selon des formes culturelles
données ............................................................................................................. 27
1.4. Conclusion sur l’entrée dans l’écrit de l’enfant ................................ 27
2. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds ............ 28
2.1. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds oralisants . 29
2.1.1. Définition de l’éducation oraliste .................................................................... 29
2.1.2. L’enseignement de l’écrit se fait selon une méthode ascendante ..................... 30
2.1.3. Critiques à la méthode ascendante dans l’éducation des jeunes sourds ......... 32
2.2. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds bilingues .... 34
2.2.1. Définition de l’éducation bilingue .................................................................... 34
2.2.2. L’enseignement de l’écrit se fait selon une méthode descendante ................... 35

2.2.3. Critiques à la méthode descendante dans l’éducation des jeunes sourds ........ 38
2.3. Les techniques d’enseignement de l’écrit ......................................... 39
2.3.1. Le Langage Parlé Complété (LPC) .................................................................. 39
2.3.2. Le français signé .............................................................................................. 42
2.3.3. La méthode Borel Maisonny ............................................................................ 43
2.3.4. La dictée à l’adulte ........................................................................................... 44
2.3.5. L’analyse contrastive ....................................................................................... 48
Partie 2 : Méthodologie et recueil de données
1. La mise en place d’un test ......................................................... 52
1.1. La création d’un test pour les entendants ......................................... 52
1.2. L’adaptation de ce test aux enfants sourds ....................................... 55
1.3. Protocole de passation des tests auprès des enfants ......................... 57
2. Présentation des sujets ............................................................... 57
2.1. Les élèves entendants........................................................................... 58
2.2. Les élèves sourds d’une école bilingue ............................................... 58
2.3. Les élèves sourds en intégration collective ........................................ 59
2.4. Les élèves sourds scolarisés en Centre spécialisé .............................. 60
3. Analyse des résultats .................................................................. 61
3.1. Les enfants entendants de grande section de maternelle ................. 61
3.1.1. Les enfants mélangés à ceux de moyenne section de maternelle. .................... 61
3.1.2. Les enfants mélangés à ceux de CP ................................................................. 67
3.1.3. Tableau de synthèse des enfants entendants .................................................... 70
3.2. Les enfants sourds de petite et moyenne section de maternelle de
l’école bilingue ...................................................................................... 73
3.2.1. Les enfants de petite section de maternelle ...................................................... 73
3.2.2. Les enfants de moyenne section de maternelle ................................................. 76
3.2.3. Tableau de synthèse des enfants sourds de l’école bilingue ............................ 77
3.3. Les enfants sourds de CP et CE1 en intégration collective ............. 79
3.3.1. Les enfants de CP ............................................................................................. 79
3.3.2. Les enfants de CE1 ........................................................................................... 82
3.3.3. Tableau de synthèse des enfants de CP et CE1 en intégration collective ........ 84
3.4. Les enfants scolarisés en Centre spécialisé ........................................ 86
3.4.1. Enfants sourds profonds, avec utilisation unique de la LSF ............................ 86
3.4.2. Enfants sourds profonds, implantés, dont les consignes sont données en
français oral, avec appui du français signé...................................................... 87
4

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3.4.3. Enfants sourds moyens, appareillés, à qui les consignes sont données
uniquement en français oral. ............................................................................ 89
3.4.4. Tableau de synthèse des enfants du centre spécialisé ............................................ 90
3.5. Synthèse des résultats .......................................................................... 92
3.5.1. Résultats généraux ........................................................................................... 92
3.5.2. Comparaison entre sourds et entendants ......................................................... 93
3.5.3. Comparaison avec la littérature ...................................................................... 95
3.5.4. Les spécificités des sourds et les différences observées selon les modes
d’éducation ....................................................................................................... 97
4. Discussion ....................................................................................... 99
Conclusion ................................................................................ 103
Bibliographie et Sitographie .................................................... 104
Annexes ................................................ Erreur ! Signet non défini.

Résumé
Le français écrit est une modalité très importante dans l’insertion sociale des personnes
sourdes. C’est donc naturellement que nous avons décidé de nous intéresser à l’entrée dans l’écrit
de l’enfant sourd, signeur ou oralisant. Nous avons voulu savoir si celle-ci se faisait de la même
manière que pour les enfants entendants, et si ces deux groupes possèdent les mêmes concepts sur
la langue écrite. Nous avons pour cela étudié la littérature concernant les enfants entendants, étant
donné, pour les enfants sourds, l’absence d’écrits sur cette question. A partir de ces textes, nous
avons mis en place un test pour les dix-huit enfants entendants que nous avons pu interroger. Puis,
en raison des structures différentes du français et de la LSF, ce test a été adapté pour les vingt
enfants sourds. A travers l’écriture d’un certain nombre d’items, ce test permet de mettre en
évidence, ou non, les concepts avancés par les auteurs. Enfin, nous avons essayé de voir s’il
existait une différence entre les deux modes d’éducation prédominants chez les enfants sourds :
l’éducation bilingue, et l’éducation oraliste. Les résultats, bien que n’ayant pas été obtenus auprès
d’enfants du même âge dans la population lambda et dans la population sourde, essayent d’être
représentatifs de l’entrée dans l’écrit des enfants.
Mots clés : français écrit, LSF, français oral, éducation, concepts
El francés escrito es una forma lingüística muy importante para que los sordos se inserten
en la sociedad. Por eso, naturalmente, hemos decidido interarnos por la entrada en el escrito del
niño sordo, que utilize la lengua de los signos, o el francés oral. Hemos querido saber si esta
entrada se hace de la misma manera que para los niños oyentes, y si estos dos grupos tienen la
misma conceptualización de la lengua escrita. Por eso, hemos estudiado esta pregunta leyendo
muchas cosas sobre los niños oyentes, a causa de la ausencia de textos relativo a la entrada en el
escrito de los sordos. A partir de estos textos, hemos creado una prueba para los dieciocho oyentes
que hemos interrogado. Luego, a causa de las differentes estructuras del francés y de la LSF
(lengua de los signos francesa), hemos tenido que adaptar la prueba para los veinte niños sordos.
A través de la escritura de unas palabras, esta prueba permite poner de relieve o no, las
conceptualizaciones que sostienen los autores. Por fin, hemos intentado ver si existe una
diferencia entre los dos modos de educación que existen para los sordos : la educación bilingüe y
la educación en francés oral. Los resultados que hemos obtenido, aunque los niños del grupo de
los oyentes y del grupo de los sordos no tengan la misma edad, intentan estar representativos de la
entrada en el escrito de los niños.
Palabras claves : francés escrito, LSF, francés oral, educación, conceptualización
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Introduction
L’écriture est omniprésente dans notre vie de tous les jours. C’est un élément très
important pour l’intégration sociale. Nous devons la maîtriser pour produire des textes, mais
aussi pour les lire. Mais cette modalité est encore plus importante pour l’intégration des
sourds dans un monde entendant. En effet, elle est souvent leur seul moyen de communication
avec la société. C’est pourquoi il est important pour eux de savoir bien lire et bien écrire le
français. Cependant, après la lecture de nombreux écrits, il apparaît que ces deux modalités
sont très peu maîtrisées par les sourds. Ceux-ci sont pourtant scolarisés dès l’âge requis, et
reçoivent une éducation comparable à celle des entendants. Il est alors important de se
demander si l’enfant sourd entre dans l’écrit de la même manière que l’enfant entendant.
De nombreux auteurs ont mis en avant le fait que l’entrée dans l’écrit de l’enfant
entendant commence bien avant son entrée à l’école, et s’affine avec l’apprentissage. Lors de
son évolution vers un français normé, l’enfant entendant va posséder des concepts différents
sur la langue écrite. C’est pourquoi, il est intéressant de savoir si cela en est de même pour les
enfants sourds.
Pour beaucoup, entrer dans l’écrit signifie entrer dans la production écrite, mais aussi
entrer dans la lecture. En effet, depuis toujours, enseigner l’écrit signifie enseigner la lecture,
ainsi que l’écriture. Ces deux modalités sont donc indissociables. Dès lors, même si le travail
qui suit porte sur des productions d’écrits, il est possible de voir des parallèles effectués avec
la lecture.
Nous avons choisi de mettre en place un test afin de mettre en lumière les différents
concepts que possèdent les enfants sur la langue écrite. Il a été proposé à des enfants
entendants et des enfants sourds âgés de 3 à 7 ans. En ce qui concerne les sourds, ceux-ci
utilisent différents modes de communication : Langue des Signes Française (désormais LSF)
ou français oral, appuyé ou non par des codes.
Nous nous appuierons donc sur les résultats de ces passations, afin de mettre en
évidence le cheminement conceptuel des enfants sur la langue écrite. Le fait d’avoir interrogé
des enfants entendants et des enfants sourds, va nous permettre de faire des comparaisons et
des parallèles dans les manières de fonctionner de ces enfants.

Nous présenterons dans une partie théorique l’entrée dans l’écrit des enfants lambdas,
et les méthodes d’enseignement de l’écrit pour les enfants sourds. Cela nous permettra ensuite
de présenter dans une seconde partie la création du test, et l’analyse des passations, en nous
appuyant sur les données théoriques.
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Partie 1 : Théorie
1. L’entrée dans l’écrit des enfants
Afin de savoir quels sont les procédés mis en place par les enfants pour entrer dans
l’écrit, nous nous sommes interrogées sur le ou les outils qui vont les aider dans leur
démarche cognitive. Pour cela les travaux de différents auteurs ont été étudiés. Les premiers
qui seront exposés ici, sont ceux d’Emilia Ferreiro, qu’elle présente dans son livre l’écriture
avant la lettre (2000). Ils seront ensuite mis en parallèle avec l’article « Clarté cognitive et
entrée dans l’écrit » (1993) de Jacques Fijalkow et Angeline Liva. Enfin, il est intéressant de
voir comment Jean Marie Besse traite cette question dans son article « De l’écriture
productive à la psychogénèse de la langue écrite » (1993).
Ces trois points de vue mettent en avant l’importance de l’écriture inventée. Il est
essentiel que les enfants écrivent spontanément dès le plus jeune âge afin de leur permettre de
comprendre les fonctionnements du système écrit. Ils mettent en place des hypothèses et les
confirment ou les infirment grâce à ces expériences.
Ces travaux vont maintenant être exposés, afin de voir en quoi ils se recoupent et en
quoi ils diffèrent. Cela va permettre aussi de mettre en évidence les stades qui sont décrits
dans ces différents textes. Ils seront, dans un deuxième temps, notre support pour analyser les
productions recueillies sur le terrain.
1.1. Le point de vue d’Emilia Ferreiro : la psychogénèse de l’écriture
Selon E. Ferreiro, l’écrit est une acquisition préscolaire. Afin de rentrer dans l’écrit,
l’enfant tente de résoudre des problèmes d’ordre logique auxquels il est confronté. Pour cela il
va se créer son propre système de représentations de l’écrit pour mieux gérer les difficultés
auxquelles il doit faire face.
On constate que le milieu dans lequel baigne l’enfant exerce une influence sur la
richesse de ses représentations. Un enfant qui aura dans son milieu social des interactions
constantes avec l’écrit fera plus tôt le lien oral / écrit qu’un enfant vivant dans un milieu où il
y a peu ou pas d’écrits. Cependant, l’influence de l’environnement extérieur n’est pas

déterminante. Quel que soit le contexte, on observe la même chose : les représentations
principales ne changent pas selon le milieu de vie.
Pour rentrer dans l’écrit, l’enfant doit passer par un conflit cognitif. C’est-à-dire qu’il
doit, à un moment donné, accepter de sortir de ses représentations pour pouvoir progresser.
C’est ce que J. Piaget explique comme un mouvement de déstructuration puis de
restructuration. E. Ferreiro divise son analyse de l’entrée dans l’écrit en trois parties : c’est ce
qu’elle appelle la psychogénèse de l’écriture. Cependant elle analyse la construction d’un
système de représentations, elle parle donc uniquement des aspects constructifs de ces trois
stades, et occulte les aspects figuratifs. Par exemple, elle n’analysera pas la forme des lettres
produites, mais plutôt les constructions conceptuelles que les enfants effectuent sur l’objet
écrit.
1.1.1. Première période : la distinction entre l’écrit et le dessin :
Lors de son entrée dans l’écrit, l’enfant va tout d’abord progresser vers une distinction
entre écrit et dessin. Pour cela, il va, en premier lieu, utiliser des ressemblances figuratives
pour écrire un mot (par exemple : des ronds pour des objets ronds). Puis, comprenant que
l’écriture n’est pas du dessin, il va désormais faire la distinction entre les marques iconiques,
et les marques non iconiques (lettres, numéros). Cela lui permet d’entrer dans le système écrit.
Quand on dessine, on se place dans le domaine de l’iconique ; les formes des graphismes
sont pertinentes parce qu’elles reproduisent la forme des objets. Quand on écrit, on se
place en dehors de l’iconique ; les formes des graphismes ne reproduisent pas le contour
des objets. (Ferreiro, 2000 : 17)
A ce stade du développement les lettres sont aussi des objets. Elles n’ont de sens que
si elles sont associées à un objet matériel (souvent une image). Ainsi les lettres qui constituent
le mot « guitare » n’ont de sens que si elles sont associées à l’objet lui-même. Le lien entre un
dessin et son écriture est donc très important à ce moment-là.
La distinction entre écrit et dessin peut se voir au vocabulaire choisi par l’enfant. Il
dira « j’ai écrit », « j’ai marqué » lorsqu’il s’agit de désigner sa production « écrite » ou « j’ai
dessiné » quand il s’agit d’un dessin (Ferreiro, 2000 : 17). La différenciation entre l’image et
l’écrit se fait également par le choix ou non de l’article indéfini. En effet, si on lui montre le
dessin d’une guitare, il dira « c’est UNE guitare », alors que si on lui montre le mot
« guitare » à côté de l’image, en lui demandant ce qu’il y a d’écrit, il répondra « guitare ».
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De plus, pour les enfants de cette période, l’écrit reste très lié à l’image à laquelle il est
associé. Pour eux, les mêmes lettres écrites dans le même ordre peuvent représenter des
choses différentes en fonction de l’image à laquelle est attribué l’écrit. Les enfants vont
parfois écrire une suite de lettres identique pour deux images différentes. Peut être ajouté à
cela le fait que des lettres différentes attribuées à une même image peuvent signifier la même
chose. Ainsi, les enfants ne peuvent interpréter les lettres qu’en lien avec une image. Par
exemple, si l’on présente l’image d’un chien à un enfant, avec écrit en dessous : VOC, il nous
dira qu’il y a écrit « chien ». Si on lui présente la même image avec écrit : RFI, il y aura
toujours écrit « chien ».
L’enfant doit comprendre que l’écrit représente le nom de l’objet et non l’objet lui-
même. L’écrit doit devenir objet-substitut. Ce n’est que lorsqu’il aura compris cette différence
qu’il pourra entrer dans la seconde période du traitement de l’écrit.
Lors de cette première période, l’écrit fera tout d’abord partie du dessin, ces deux
modalités seront liées et indissociables. Puis, peu à peu, l’écrit et le dessin vont se séparer
pour former deux modalités différentes.
1.1.2. Deuxième période : La production d’une série de lettres
Les enfants vont ensuite commencer à écrire des séries de « lettres » (c’est ainsi qu’ils
vont appeler toutes les marques qu’ils posent sur une feuille, marques différentes du dessin).
Pour tous les enfants, l’écriture est tout d’abord un objet de l’environnement : l’enfant dès sa
naissance est plus ou moins entouré d’écriture dans sa vie quotidienne. Il va donc commencer
à représenter ce qui lui apparaît de l’écrit.
- L’exigence de quantité minimale et maximale, et la variété intra-figurale
Ce qui est interprétable n’est pas une lettre isolée mais une série qui doit remplir deux
conditions formelles essentielles : avoir une quantité minimale et ne pas présenter la
même lettre répétée (variété intra-figurale) (Ferreiro, 2000 : 21)
Les enfants, vont donc être confrontés à des problèmes de quantité et de qualité. En
effet, ceux-ci commencent à se rendre compte qu’il est impossible de lire quand il y a toujours
la même lettre répétée (par exemple : aaaa). Ils vont donc avoir une exigence de variété intra-
figurale, c’est à dire qu’on ne peut pas répéter une même lettre plusieurs fois dans le mot.

Cela peut être poussé à l’extrême, car certains enfants n’acceptent pas qu’une même lettre soit
répétée dans un même mot, même alternée par une autre lettre (par exemple : non). Pour ces
enfants-là, un mot doit s’écrire avec des lettres totalement différentes.
De plus, ces enfants vont se confronter à un problème de quantité. En effet, pour eux,
un mot composé d’une seule lettre ne peut pas se lire. Certains poussent cela jusqu’à deux ou
trois lettres, mais pour tous, un mot de quatre lettres est lisible. C’est ce que E. Ferreiro
appelle l’exigence de quantité minimale, c’est à dire qu’il faut un minimum de lettres pour
pouvoir écrire un mot que l’on peut lire. A l’inverse, un mot composé de trop de lettres ne
peut pas se lire non plus, c’est ce qu’elle appelle, l’exigence de quantité maximale.
- La constitution du répertoire de lettres
Pour répondre à ces exigences de quantité et de qualité, ainsi que pour différencier
plusieurs mots à l’écrit, l’enfant va devoir se constituer un répertoire de lettres. Pour cela, il
va commencer par utiliser celles de son prénom. En effet, il s’agit du premier mot que les
enfants apprennent à écrire. Ses lettres apparaissent donc comme la source principale de
toutes ses productions : il va répondre aux différentes demandes d’écriture en combinant de
différentes façons les lettres qui composent son prénom. L’enfant va alors découvrir deux
propriétés de l’écrit :
- tout écrit est un assemblage de lettres, et uniquement de lettres ;
- pour écrire des choses différentes, il faut changer l’ordre des lettres.
Beaucoup d’enfants ne disposent pas d’un répertoire suffisamment vaste de graphies
différentes. Au lieu d’en inventer de nouvelles, ils trouvent une solution remarquable, à
savoir qu’en changeant de position des lettres dans l’ordre linéaire, on obtient des totalités
différentes. (Ferreiro, 2000 : 25)
De plus, il va aussi faire varier la longueur des segments produits, en fonction du sens
de l’objet à écrire. Il écrira par exemple « chat » plus grand que « chaton » car, physiquement,
le chat est plus grand. Il en est de même pour des mots représentant des objets lourds ou pour
le pluriel, ceux-ci étant écrits avec plus de lettres que les mots d’objets légers ou le singulier.
Puis, petit à petit, l’enfant va utiliser d’autres lettres : le prénom va perdre de son influence. Il
comprend alors que les lettres utilisées dans la langue sont plus nombreuses que celles qui
constituent son prénom.
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Le prénom, premier mot auquel est confronté l’enfant lors de son acquisition de l’écrit,
va jouer divers rôles dans sa conceptualisation de cette modalité. En effet, tout d’abord, le
prénom est le premier exemple clair d’écriture dont l’interprétation ne dépend pas d’une
image. De plus, dans le prénom, l’ordre des graphies ne peut pas être aléatoire. Enfin, il va
être source de conflit : les hypothèses successives que se forge l’enfant ne sont pas confirmées
quand elles sont confrontées au prénom. Il s’agit donc d’un élément clé permettant de passer
de la correspondance logique (une lettre par syllabe) à la correspondance stabilisée de
l’écriture (une lettre pertinente par syllabe).
Néanmoins, E. Ferreiro ne prend pas en considération le fait que certains enfants ont
un prénom court et simple comme « Léo » ou « Eva », alors que d’autres ont un prénom long
et composé de lettres moins courantes comme « Hippolyte » ou « Gwendoline ». Il serait
intéressant d’observer si des effets différents apparaissent, selon le prénom porté par les
enfants.
- Faire la différence entre les parties d’un tout
Enfin l’enfant ne fait pas la différence entre les parties d’un tout : il ne sait pas
décomposer les mots ou les phrases. Si on enlève une partie, cela ne veut plus rien dire. Pour
lui, c’est la phrase ou le mot dans sa totalité qui a un sens. Mais, petit à petit, E. Ferreiro nous
dit que l’enfant va commencer à différencier les parties de son prénom, les syllabes. Pour
illustrer cela, on peut prendre l’exemple de Leonel (Ferreiro, 2000 : 36), qui va réutiliser des
prénoms de son entourage pour répondre aux questions de l’expérimentateur. Quand on lui
montre seulement leo, il répond « ça veut dire Fernando » ; pour nel « ça veut dire Carlos » ;
et pour on «ça veut dire Gerardo », tous des prénoms de ses amis.
Lors de la mise en écrit, les enfants peuvent aussi faire coïncider leur écrit avec le
nombre réel d’objets représentés. Par exemple (Ferreiro, 2000 : 39), si l’on demande à un
enfant d’écrire « cinq pommes », l’enfant représentera cinq « numéros » (les lettres sont là
appelées numéros par l’enfant). Il peut aussi leur arriver de représenter le pluriel par la
répétition de la même séquence initiale. Un enfant écrira par exemple « chat » : EOAM ; et
« des chats » : EOAM EOAM EOAM. Il s’agit là aussi d’une première hypothèse de l’enfant
sur l’écrit quant à la décomposition des mots, ce qui lui permet de différencier le singulier et
le pluriel.
Lors de l’une de ses expérimentations, E. Ferreiro (2000 : 39) explique à l’enfant
qu’elle va écrire le mot « barco » (« bateau »), et elle lui demande de l’arrêter quand selon

lui, il y aura écrit « barco ». Elle écrit d’abord un B, l’enfant répond que cela ne suffit pas : il
y a seulement écrit : « ba ». Elle ajoute une lettre, cela ne suffit toujours pas, il y a encore
écrit : « ba ». Elle ajoute une troisième lettre, et, cette fois-ci, pour l’enfant, il y a écrit :
« bateau ». On peut donc ici penser que pour cet enfant, à une totalité incomplète à l’écrit
correspond une totalité incomplète à l’oral. Il y a donc ici une première apparition d’un
découpage syllabique. L’auteur pose deux hypothèses qui expliqueraient ceci :
- l’enfant applique une décomposition syllabique de l’oral à l’écriture
- l’enfant se confronte à des problèmes cognitifs posés par l’étape précédente de
distinction des parties d’un tout. Le découpage syllabique serait donc un moyen de
résoudre ce problème.
L’enfant se confronte à divers problèmes concernant son entrée dans l’écrit. En effet,
il doit résoudre des problèmes quantitatifs et qualitatifs, qu’il va résoudre en s’appropriant peu
à peu un répertoire de lettres riches. C’est alors que, petit à petit, il va se construire une
nouvelle représentation de l’écrit qui va l’amener à faire le lien entre oral et écrit.
1.1.3. Troisième période : la période syllabique
- L’hypothèse syllabique
Selon E. Ferreiro c’est lors de la relecture de sa production, que l’enfant va faire le lien
entre l’oral et l’écrit et va donc entrer dans la troisième période. C’est ce qu’elle appelle
« l’hypothèse syllabique ». Celle-ci ne sert, au départ, qu’à justifier une écriture déjà produite,
elle ne contrôle pas la production. Au début de cette dernière période, l’enfant va se rendre
compte que lorsqu’il procède à la lecture de son travail, il n’arrive pas toujours à faire une
relation terme à terme entre ce qu’il a écrit et ce qu’il dit. En effet, à ce moment là, pour
l’enfant, une lettre correspond à une syllabe. Lorsqu’il va relire sa production, il va donc se
trouver confronté à un surplus de lettres. En essayant de respecter ses propres représentations,
il va se trouver devant un nouveau conflit cognitif.
Dans le cas de la correspondance terme à terme entre des éléments qualifiés, il y a
contradiction avec l’exigence de variété intra-relationnelle ainsi que dans certains cas
avec l’exigence de différentiation interrelationnelle. (Ferreiro, 2000 : 55)
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Ce sont des conflits propres aux différentes représentations que se fait l’enfant lui-
même. Lors de « l’hypothèse syllabique », pour l’enfant, n’importe quelle lettre peut
représenter n’importe quelle syllabe. Cette période est importante car elle permet à l’enfant de
régler et même d’anticiper le nombre de lettres qu’il va produire. Néanmoins, l’enfant va se
confronter au problème des mots monosyllabiques et bisyllabiques. Il va se trouver face à un
conflit cognitif mettant en jeu d’un côté « l’hypothèse syllabique », et de l’autre l’exigence de
quantité minimale.
- La période syllabico-alphabétique
A ce niveau de développement, les enfants comprennent fort bien leur propre façon
d’écrire, mais ont une difficulté majeure à comprendre les écrits qui sont présents dans
leur milieu. (Ferreiro, 2000 : 56)
Lorsqu’il va se confronter aux écrits des adultes par exemple, l’enfant va se trouver
face à certains problèmes. Il comprend son système d’écriture, mais il n’arrive pas à le
transposer à celui des adultes. L’écriture dans sa construction sociale, c’est-à-dire dans ses
propres règles est d’une grande difficulté pour lui car il doit laisser tomber sa vision du monde
de l’écrit pour rentrer dans celle des adultes.
L’enfant va commencer par entrer dans une phonétisation de l’écriture. Il représentera
une lettre pertinente pour une syllabe. Dans une majorité des cas, il s’agira d’une voyelle.
Cependant, E. Ferreiro observe cela auprès d’enfants hispanophones pour lesquels, à l’oral, la
voyelle est plus pertinente que la consonne. Il est possible que cela soit différent dans d’autres
langues. Les enfants vont néanmoins se confronter au problème des syllabes contenant la
même voyelle. Ils vont donc se débrouiller pour différencier ces syllabes. Certains écriront :
aA pour « papá » (« papa »), alors que d’autres utiliseront une voyelle écrite pour représenter
deux syllabes contenant cette voyelle : caa pour « calabaza » (« citrouille »), le dernier « a »
représentant « baza » (Ferreiro, 2000 : 53-54). Là encore, les enfants vont devoir faire face au
problème des monosyllabiques. Les enfants représenteront donc par exemple « pez »
(« poisson ») : ee (Ferreiro, 2000 : 53). Cette période intermédiaire dans laquelle l’enfant va
laisser tomber l’hypothèse syllabique pour entrer dans « autre chose » est ce que Ferreiro va
appeler « la période syllabico-alphabétique ». Ainsi, les enfants vont utiliser beaucoup de
lettres pertinentes, même s’il en manque encore quelques-unes. On retrouve par exemple le

mot « Mariposa » (« papillon ») écrit maiosa. Le « ma » et le « sa » sont écrits
alphabétiquement, mais les autres syllabes sont toujours écrites selon un système syllabique.
- La période alphabétique
L’étape finale, elle, consistera à entrer dans les principes de base du « système
alphabétique ». Cette dernière étape survient lorsque l’enfant a réussi à comprendre les règles
de production du système alphabétique.
E. Ferreiro souligne en revanche que cette dernière étape ne correspond pas pour
autant à la fin de l’apprentissage de l’écrit chez l’enfant puisque, avec cette prise de
conscience du système alphabétique, viennent les problèmes que posent les règles
orthographiques. Néanmoins, pour elle, l’étape orthographique n’a pas sa place dans la
psychogénèse de l’écriture. Elle considère que l'orthographe ne fait pas parti de la
psychogénèse ou du moins des trois périodes qui définissent l'apprentissage de l'écriture. En
effet, l'étape finale de l'évolution : l'accès au système alphabétique, est également le
commencement d'une nouvelle période. Celle-ci regroupe plutôt des éléments liés au
processus de normalisation de la langue, tels que la grammaire, la syntaxe et plus
particulièrement l'orthographe. E. Ferreiro distingue donc les problèmes de l'écriture de ceux
liés à l'orthographe.
Les problèmes d'écriture, déjà envisagés dans les trois périodes, sont conceptuels :
l'écriture correspond à la construction d’une connaissance nouvelle, d'une représentation.
Cette conception de l'écriture s’appuie sur une réflexion de celle-ci. Contrairement aux
problèmes d'écriture, l'orthographe est bien plus basée sur la technique, la copie ainsi que sur
le respect des normes permettant une compréhension mutuelle plus aisée entre locuteurs. Le
français, dont l’écriture est alphabétique, met en avant les différences entre signifiants par une
série de particularités dont l'orthographe fait parti.
1.2. Jacques Fijalkow : la clarté cognitive
La théorie de la Clarté cognitive énonce qu’une des difficultés majeures que rencontre
l’enfant pour s’approprier la langue écrite est sa difficulté à comprendre la nature de
celle-ci, ses structures et ses fonctions. (J.Fijalkow, 1993 : 203).
16

17
Fijalkow se place dans la continuité des travaux de M.D. Vernon (1957, cité in
Downing et Fijalkow, 1984). Cet auteur britannique s’est demandé quels pouvaient être les
processus d’apprentissage de la lecture. Pour lui, la compréhension de l’acte de lecture doit
passer par deux aspects :
- la compréhension de ses buts
- la compréhension de ses caractéristiques techniques
Pour cet auteur, les problèmes des enfants dans l’acte de lecture viennent d’une
confusion cognitive. Ces enfants aborderaient l’apprentissage de l’écrit de manière
inadéquate.
J. Fijalkow et J. Downing ont donc décidé de reprendre cette théorie (1984). Ces
auteurs se sont penchés sur les moyens mis en œuvre par les enfants afin de passer de la
confusion face à l’écrit, à la clarté cognitive. Ils ont ainsi pu théoriser l’acquisition de l’écrit
chez les enfants, ce qui a permis de mettre en place des pratiques pédagogiques qui respectent
les différents processus d’apprentissage de la langue écrite par l’apprenant. Pour ces auteurs,
la théorie de la clarté cognitive montre bien que l’acquisition de la lecture / écriture ne se fait
pas spontanément.
Le cheminement vers la clarté cognitive doit permettre à l’enfant d’acquérir les aspects
linguistiques de l’écrit (lettres, mots, syllabes, phrases…), mais aussi les aspects sociaux et
communicationnels de cette modalité. Il doit comprendre que l’écrit tout comme l’oral est un
objet de communication. L’enfant doit donc acquérir une idée claire de ce que représente
l’écrit. Trois conduites concourent à la clarté cognitive (cité in Besse, 2010 : 133-134 ) :
- distinguer les conduites propres à la lecture et celles propres à l’écriture
- comprendre les fonctions et les spécificités de l’écrit
• fonction déictique : désigner le réel au travers du langage
• fonction représentative : porter le signifiant du réel, et être disposé sur un
espace orienté
• fonction mnémonique : conserver en mémoire
• fonction structurante : organiser (exemple : schémas, tableaux…)
• fonction intellectuelle : mettre ce qui est écrit à distance de soi
• fonction communicative : entrer en relation avec les autres
• fonction informative : transmettre des connaissances aux autres
• fonction culturelle : transmettre des manières de voir, de ressentir le monde

• écrits privés vs. fonction sociale de l’écrit (pour d’autres)
- utiliser le langage technique, employé pour parler de la lecture / écriture : « lettre »,
« mot », « phrase »… L’enfant va peu à peu se demander ce que peut être, ce que peut
représenter un « mot », une « phrase ».
Contrairement à E. Ferreiro qui parle de trois « périodes », J. Fijalkow, lui, parle de
quatre « traitements ».
1.2.1. Le traitement figuratif
Selon J. Fijalkow, le fait de dessiner est une première appropriation de l’écrit par
l’enfant. Au début de son exposition à l’acte d’écriture, l’enfant considère qu’« écrire c’est
dessiner ». L’écriture est alors vue comme une représentation symbolique de l’objet auquel il
fait référence. Pour l’enfant, il n’y a pas encore de lien arbitraire entre l’oral et l’écrit.
Puis, petit à petit, il va produire des traits, continus ou discontinus pour représenter
l’écriture. Il s’agit ici de simulations de l’écrit. Il y a donc là une évolution d’un traitement
symbolique vers un traitement arbitraire de l’écrit. Il perçoit maintenant l’écrit comme un
ensemble de tracés arbitraires.
1.2.2. Le traitement visuel
Durant cette période, l’enfant va essayer de représenter l’écrit tel qu’il le perçoit dans
son environnement. En effet, l’écriture est avant tout un objet social, et est présente autour de
nous, dans la vie de tous les jours. L’enfant baigne et est entouré d’écrits depuis sa naissance.
Il va donc de plus en plus précisément appréhender cet objet en fonction de ce qu’il en perçoit
dans son environnement.
Au début de ce stade, il continue d’utiliser des tracés (comme vu précédemment), mais
on commence à voir également apparaître d’autres formes que J. Fijalkow nomme pseudo-
lettres. Il s’agit ici de formes non conventionnelles, mais qui apparaissent plusieurs fois dans
la production de l’enfant (stabilité). De plus, ces formes ressemblent quelque peu à des lettres
conventionnelles, et ont un tracé simple (simplicité). Peu à peu, l’enfant acquiert donc des
connaissances de base sur le système écrit : stabilité et simplicité.
Puis, il va apprendre des lettres conventionnelles, et peu à peu, les tracés vont
disparaître. Néanmoins, ne possédant pas un répertoire de lettres suffisamment grand pour
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varier ses écrits, il va continuer à utiliser des pseudo-lettres. Il est aussi important de noter que
pour de nombreux enfants, il ne peut pas y avoir deux lettres identiques côte à côte. Ils vont
donc, pour répondre à cette exigence de variété intra-figurale, utiliser tous les moyens à leur
disposition (lettres, pseudo-lettres). Lors de cette période, les apprenants ont aussi un besoin
de quantité minimale. Pour eux, un mot ne peut pas s’écrire avec moins de trois lettres.
19
Lors de l’enseignement de l’écriture à l’école, le premier mot que l’élève maîtrise en
production écrite est son prénom. Il est donc normal que la grande majorité des lettres de son
répertoire provienne de celui-ci. Il va ainsi utiliser les lettres de son prénom pour représenter
les mots qu’il souhaite écrire. Pour ce faire, il va les combiner de manière différente afin
d’écrire des mots différents. L’enfant « découvre deux propriétés de l’écrit :
- Tout écrit est un assemblage de lettres et de lettres uniquement
- pour écrire des choses différentes, il faut changer l’ordre des lettres. » (Fijalkow et
Liva, 1993 : 207)
Puis, peu à peu, le prénom va perdre de son importance, et on va trouver dans les productions
des enfants une grande variété de lettres.
Ils vont ensuite effectuer un pas de plus vers la clarté cognitive en se rendant compte
qu’un mot à l’oral aura toujours la même écriture. Ainsi, si l’on demande à un enfant d’écrire
« rat » et « cheval », puis « le rat monte sur le cheval », il comprend que, dans les deux cas,
les mots « rat » et « cheval » s’écrivent de la même façon (Fijalkow, Liva, 1993 : 208).
1.2.3. Le traitement de l’oral
Après avoir acquis toutes ces connaissances sur l’écrit, l’enfant va alors commencer à
prendre en considération le fait que l’oral et l’écrit soient liés. Il va prendre en compte
certaines propriétés orales des énoncés qu’il veut écrire. C’est pourquoi, ici, J. Fijalkow fait
une différence entre la production des phrases, et la production des mots. Néanmoins, dans
son article « Clarté cognitive et entrée dans l’écrit », il expose dans un premier temps la
production des phrases, et dans un second temps celle des mots. C’est l’organisation qui va
être suivie ci-dessous, pour respecter l’ordre de l’auteur, mais on peut se demander s’il
n’aurait pas été plus pertinent de procéder à l’inverse. En effet, bien avant de produire des
phrases, les enfants vont produire des mots. C’est donc grâce à ceux-ci qu’ils vont entrer dans
le traitement de l’oral.

- La production de phrases
La première caractéristique de la prise de conscience de l’oral par l’enfant est
l’écriture des phrases plus longues que les mots. En effet, lorsqu’on la prononce à l’oral, une
phrase est plus longue qu’un mot. Il s’agit ici d’une première prise « en considération [de]
certaines propriétés orales des énoncés qu’on leur demande [aux enfants] d’écrire » (Fijalkow
et Liva, 1993 : 208). C’est pourquoi, les enfants vont peu à peu écrire des phrases sur un
espace plus grand que celui utilisé pour les mots. Ils ont ici compris qu’il y a une différence
entre phrases et mots.
Puis, peu à peu, certains enfants vont écrire leurs phrases avec une lettre pour un mot.
On peut donc ici en conclure que ces enfants ont compris qu’une phrase est composée de
plusieurs mots. Ils vont ensuite progresser vers un découpage de la phrase en plusieurs
segments plus ou moins significatifs (un segment pour le sujet et un pour le reste de la phrase
par exemple).
A travers ces différentes modalités de segmentation, l’enfant manifeste sa compréhension
qu’une phrase écrite représente des parties distinctes de l’énoncé oral, ces parties allant en
s’affinant de plus en plus et se rapprochant de l’unité mot. (Fijalkow, Liva, 1993 : 210).
Enfin, l’enfant va segmenter ses phrases en autant de partie que de mots. Néanmoins,
contrairement à la première partie, où l’enfant représentait une lettre pour un mot, cette fois-
ci, ses mots sont composés de plusieurs lettres. Ainsi, l’enfant a peu à peu compris qu’une
phrase est une suite de mots.
- La production de mots
Tout comme pour les phrases, l’enfant va peu à peu comprendre que les mots sont des
unités divisibles en syllabes. Il va donc, au fil de son apprentissage, segmenter ses mots de
plus en plus précisément, de façon à atteindre la segmentation en syllabes.
Lors de leurs premières segmentations de mots, les enfants vont faire correspondre une
lettre pour une syllabe reconnue à l’oral. Néanmoins, cette lettre n’est pas forcément
pertinente par rapport à la syllabe. On trouve par exemple des enfants qui vont écrire le mot
« voiture » : BP ou BPD, selon qu’il prononce ou non la syllabe finale.
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21
Peu à peu les enfants vont procéder à des correspondances grapho-phonétiques. Cela
signifie que le découpage en syllabe va s’affiner. L’enfant va d’abord repérer quelques
phonèmes à l’oral qu’il va représenter à l’écrit, mais tous les phonèmes des mots ne sont pas
pertinents. Puis, il va représenter correctement les attaques des mots, plus faciles à distinguer.
Enfin, il va représenter au moins un phonème correct par syllabe. Il découvre ainsi petit à petit
le principe des correspondances grapho-phonétiques.
Une troisième étape dans l’écriture des mots est l’écriture phonétique. Il s’agit
maintenant pour l’enfant de faire une correspondance terme à terme entre l’oral et l’écrit. Il
semble avoir compris qu’un son à l’oral correspond à un phonème écrit. Il a, pour cela, besoin
d’une bonne connaissance de l’alphabet, d’une bonne compréhension du découpage de l’oral,
et d’une bonne assimilation du code de correspondance entre l’oral et l’écrit. L’enfant va
donc, en s’appropriant le principe alphabétique du français, peu à peu évoluer vers une
écriture phonétique.
Arrivé à ce stade, l’apprenant va devoir, pour définitivement rentrer dans l’écrit,
prendre en compte les règles orthographiques puisque les correspondances terme à terme ne
suffisent pas pour coder le français oral.
1.2.4. Le traitement orthographique
Après avoir compris le système alphabétique du français, et l’avoir bien assimilé,
l’enfant va maintenant devoir prendre en considération ses particularités orthographiques.
Tout comme pour les étapes précédentes, cette dimension va s’affiner progressivement, en
fonction des connaissances acquises sur la langue.
Le traitement orthographique s'inscrit dans la continuité de la clarté cognitive. Il s’agit
d’un traitement à part entière de l'écrit car il correspond à une nouvelle conception de
l'écriture par l’enfant. Nous pouvons également ajouter le fait que le traitement
orthographique se base sur un mode quantitatif : de l'écriture orthographique partielle à une
écriture plus systématique.
Comme on peut le voir, J. Fijalkow prend en compte la dimension orthographique
dans sa théorie de la clarté cognitive, alors que E. Ferreiro, dans sa théorie de la psychogénèse
ne la prenait pas en considération.

1.3. Jean-Marie Besse : La maîtrise du pluri-système graphique français
Dans son article « De l’écriture productive à la psychogénèse de la langue écrite »
(1993 : 44), Jean-Marie Besse explique que la langue écrite est « un objet à découvrir, un
objet à reconstruire, un objet à pratiquer » par les jeunes enfants. Ils vont donc effectuer un
vrai travail cognitif pour pouvoir acquérir ce système.
De plus, cet auteur présente la langue française comme possédant un des systèmes
d’écriture les plus complexes. En effet, ce « pluri-système graphique », comme il le nomme,
est composé à la fois de phonogrammes, de morphogrammes et de logogrammes. Les
premiers représentent les sons, alors que les seconds notent des informations en lien avec la
fonction et la nature des mots. Ces-derniers sont uniquement présents dans le système écrit
français, et non dans son système oral. Il s’agit par exemple du « s » ou du « x » de pluriel, ou
encore, du « e » du féminin. Enfin, les troisièmes représentent des mots complets
indépendamment de la langue dans laquelle ils sont écrits. Il s’agit par exemple des chiffres
arabes qui, notés en chiffres, sont compris par la quasi-totalité des êtres humains ou encore
des signes tels que « & » ou « @ ». Malgré le fait qu’ils ne se prononcent pas pareillement
dans toutes les langues, ils sont compris de tous.
L’enfant va donc devoir reconstruire ces différentes faces de l’écrit afin de pouvoir le
maîtriser. De plus, il doit comprendre que l’écrit est un moyen de communication qui permet
l’expression d’un langage, et qui entretient un rapport direct avec les éléments du réel. Cela
est difficile à comprendre car, au moment de l’écriture, le destinataire n’est pas présent
physiquement. La production est lue à un autre moment, en un autre lieu. C’est ce qui rend la
compréhension de ce système difficile pour l’enfant.
Celui-ci va donc effectuer un travail cognitif par étapes. La psycholinguistique
génétique cherche à identifier ces stades, depuis la genèse de l’apprentissage du système écrit,
jusqu’à l’acquisition de la lecture / écriture.
L’auteur s’appuie donc sur une expérience menée auprès d’enfants afin de déterminer
les différents paliers par lesquels ceux-ci passent pour acquérir le système écrit. Le travail qui
était demandé aux apprenants était un travail d’écriture productive.
Le chercheur essaie de créer les conditions d’une expression aussi personnelle que
possible de l’enfant, en essayant d’éviter de lui demander des écrits qui ne seraient qu’une
reproduction de ce qu’il a rencontré à l’école. (Besse, 1993 : 46)
22

23
Dans son article « l’accès au principe phonographique : ce que montrent les écritures
approchées » (2010), J.M. Besse explique que l’environnement qui entoure l’enfant (parents,
enseignants…) est important dans son apprentissage de la langue écrite. Néanmoins, l’entrée
dans l’écrit de l’enfant commence avant son entrée à l’école élémentaire grâce à sa rencontre
avec des scripteurs confirmés. Il va observer ces personnes, et il va aussi observer les écrits
qui l’entourent afin de se forger des hypothèses sur l’acte d’écriture. L’enfant va donc essayer
très tôt de comprendre l’écrit, et essayer de conceptualiser ses idées. Pour cela, il va se
demander « comment ça marche ? », « à quoi ça sert ? », et ainsi fournir un premier travail sur
l’écrit.
Selon cet auteur, le développement cognitif de l’enfant illustre le passage des
connaissances vers le savoir, mais pas vers tout le savoir. La connaissance représente
« l’élaboration dynamique d’un ensemble de connaissances sur le réel par l’enfant. » Il va se
forger des hypothèses, et le milieu qui l’entoure va lui apporter des réponses à ses
questionnements. Il s’agit donc ici d’une progression intra-sujet, mais qui reste en relation
avec les ressources qui l’entourent. Le savoir, lui, représente l’ensemble de la connaissance
élaborée par les experts d’un domaine sur la base de travaux, de vérifications. Il s’agit ici
d’une connaissance inter-sujet (par exemple : le savoir sur la langue écrite, élaboré par les
linguistes). L’auteur se place donc dans une perspective piagétienne : ce qui est important ici
c’est la reconstruction du système écrit par l’enfant. J.M. Besse insiste sur l’importance de
l’activité du sujet, en tant que constructeur de ses concepts sur l’écrit.
J.M. Besse s’est donc demandé comment l’enfant essaie de penser cet objet
relativement opaque qu’est la langue écrite ? Il a décrit sept étapes par lesquelles doivent
passer les enfants pour acquérir la langue écrite. Néanmoins, ces sept points ne sont que des
repères généraux, il est rare que les enfants suivent pas à pas ces étapes, certains peuvent en
sauter une, d’autres peuvent rester très longtemps dans une période, alors qu’un troisième
enfant peut n’y rester que très peu de temps. Cela dépend de chacun.
1.3.1. Une trace différente du dessin
Lors de cette première période, l’enfant va utiliser un répertoire de graphies très
variable : des figuratives (des tracés représentatifs de l’objet : des ronds, des carrés…), des
pseudo-lettres (lettres qui ne sont pas tirées de l’alphabet conventionnel, mais qui s’en
rapprochent.), mais aussi des lettres conventionnelles. De plus, les enfants vont ici poser juste

des traces sur un papier, sans pour autant qu’elles aient une signification stable pour lui. En
effet, lors de sa relecture, il peut donner, à une même écriture, diverses interprétations.
Enfin, les élèves produisent souvent autant de graphies pour des mots courts ou des
mots longs. Pour eux, tous les mots s’écrivent avec le même nombre de lettres. Ceci se
retrouve aussi bien dans l’écriture des mots que dans celle des phrases. Les enfants ne
différencient pas encore ces deux écrits, et les représentent avec autant de graphies.
1.3.2. Une trace se rapportant au référent
Les enfants vont ici travailler leur écrit de façon à avoir une variété interne, mais aussi
une quantité variable de graphies dans leurs mots. En effet, pour eux, à ce moment-là de leur
développement, un mot ne peut pas s’écrire avec plusieurs lettres identiques. De plus, un mot
ne peut pas s’écrire avec moins de deux voire même trois graphies pour certains enfants. Ici,
les apprenants vont commencer à prendre en compte le fait que chaque objet soit différent
d’un autre, et ne peut par conséquent pas s’écrire de la même manière.
De plus, certains vont prendre en considération la taille des référents. Plus l’objet est
grand, plus l’enfant mettra de graphies dans sa représentation écrite.
Cette trace écrite peut prendre en compte la taille respective des référents : on constate
alors une augmentation significative du nombre de graphies utilisées lorsqu’il s’agit de
produire un écrit correspondant à un objet plus grand que les précédents. (Besse, 1993 :
55)
Ainsi, l’enfant écrira « éléphant » avec plus de lettres que « souris » car celle-ci est, dans la
réalité, plus petite.
Le répertoire de lettres utilisé par l’enfant est ici très proche de celui de la période
précédente, avec toute fois un emprunt plus important aux lettres de l’alphabet conventionnel.
Enfin, comme lors de l’étape précédente, lors de sa relecture, l’écrit de l’enfant ne
revêt pas de signification fixe. Sa production écrite ne lui fournit pas encore d’indices lui
permettant de conserver une interprétation unique lors de la relecture de son travail. L’enfant
ne s’appuie que sur sa mémoire, il se souvient ou non de ce que l’expérimentateur lui a
24

demandé d’écrire. Il n’arrive pas encore à s’appuyer sur des indices fournis par son écrit pour
pouvoir le lire.
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1.3.3. Une trace relative à la durée de la chaîne sonore
Il s’agit en quelque sorte pour les enfants de ce groupe de faire correspondre, sur la place
utilisée par les graphies, la durée de cet oral et l’espace écrit. (Besse, 1993 : 56)
Lors de cette troisième partie, l’enfant commence à faire une différence entre l’écriture
des mots, et l’écriture des phrases. De plus, il commence à segmenter ses phrases en diverses
parties. La phrase ne forme plus un tout unique, mais bien un tout divisible en parties.
Lors de la répétition d’un mot d’abord présenté isolément, puis présenté dans une
phrase, les enfants, dont le développement a atteint cette étape, vont, dans la majorité des cas,
le réécrire identiquement les deux fois.
Certains de ces enfants vont commencer à effectuer un découpage syllabique des mots.
On constate cela à la fois lors de l’oralisation du mot ou lors de sa production écrite. Ils vont
soit écrire une graphie pour une syllabe, soit faire correspondre une graphie à un son lors de la
relecture. Très souvent, c’est lors de la relecture que l’on comprend que l’enfant commence à
faire une relation entre oral et écrit. En effet, à ce moment-là, il essaie de faire correspondre,
grâce au geste du doigt, la longueur du mot produit avec le mot énoncé oralement. Pour
l’enfant, la production écrite devient alors un objet stable auquel il faut ajuster la parole lors
de la relecture pour que cela corresponde.
1.3.4. Une trace relative à l’analyse phonique de l’énoncé
Lors de cette période, l’enfant va entrer dans la phonétisation de l’écrit. Les lettres
vont désormais commencer à représenter des sons repérés dans l’énoncé. Néanmoins, certains
enfants vont écrire les sons qu’ils reconnaissent, et qu’ils savent coder, sans pour autant se
soucier de leur ordre. Ils vont alors écouter tout d’abord ce que leur demande d’écrire
l’expérimentateur, avant de le noter sur sa feuille.
Les apprenants vont donc faire des essais d’analyse phonique du mot ou de la phrase.
Cela va se traduire tout d’abord par l’apparition de lettres conventionnelles et pertinentes à
l’initiale de certains écrits. Puis, petit à petit, cela s’étend à d’autres graphies du mot. Ainsi,

« Ils acquièrent peu à peu une capacité phonogrammique, qui leur permet de comprendre
qu’un son est représenté par une unité graphique. » (Besse, 1993 : 59)
A la fin de cette période, ils commencent à combiner une écriture syllabique, et une
écriture alphabétique.
1.3.5. Une trace codant, dans le même ordre, la succession des sons de la chaîne orale
Lors de leur entrée dans cette cinquième étape, les enfants ont compris la
correspondance grapho-phonétique. Ils vont alors utiliser une écriture phonétique, en notant
les graphies dans un ordre très proche de la chaîne sonore.
De plus, lorsque leur développement a atteint ce niveau cognitif, les apprenants vont
commencer à différencier les différentes graphies qui peuvent être utilisées pour coder un
même son. Si l’on prend par exemple, le son [s], il peut être codé par : c, comme dans
« cela », ç, comme dans « garçon », s, comme dans « silence », ss comme dans « passage » ou
encore t comme dans « patient ».
1.3.6. Une trace codant de manière spécifique la chaîne orale
L’enfant [est] confronté au fait que le « plurisystème graphique du français » n’est pas
pleinement alphabétique (Besse, 1993 : 61)
L’enfant va désormais analyser l’oral en phonèmes, et il va alors commencer à restituer
des formes complexes telles que le son [s] dans le mot « récréation ».
De plus, il commence à reconnaître les morphogrammes (propres à l’écrit), et les
logogrammes (reconnaissables dans toutes les langues).
Enfin, lorsque son développement est arrivé à cette étape, il respecte l’ordre
conventionnel des mots dans la phrase.
grammaire.
Dans cette période, l’enfant se heurte à la fois à des problèmes d’orthographe et de
26

27
1.3.7. Les textes écrits permettent de communiquer selon des formes culturelles
données
L’enfant est désormais passé par toutes les étapes précédentes, mais il continue tout de
même à apprendre en ce qui concerne l’orthographe et la grammaire. Il va alors commencer à
maîtriser les formes sociales de l’énonciation écrite. En effet, il va devoir respecter les
différentes modalités propres à chaque type de communication écrite : l’écriture est différente
lorsqu’il s’agit d’une lettre ou d’une recette de cuisine ou encore d’un récit ou d’un dialogue.
1.4. Conclusion sur l’entrée dans l’écrit de l’enfant
Comme cela a été exposé tout au long de cette partie, les enfants entrent dans l’écrit
selon une série d’étapes successives. Néanmoins, l’activité conceptuelle des apprenants sur
l’écrit sera différente d’un enfant à l’autre. En effet, comme dit précédemment, certains
enfants vont rester très longtemps dans une période, alors que d’autres n’y resteront que très
peu de temps, et que d’autres encore la sauteront.
Le nombre d’étapes diffère d’un auteur à l’autre, mais tous s’accordent sur certains
points, tels que le fait que l’acquisition de l’écrit commence bien avant l’entrée à l’école. De
plus, tous mettent en avant le rôle important que joue le prénom dans l’apprentissage de
l’écrit. Néanmoins, comme expliqué pour E. Ferreiro, il est important de se demander si ce
rôle va être le même en fonction du prénom porté par l’enfant. Enfin, certaines particularités
des écrits des enfants sont mises en avant par les trois auteurs : exigence de quantité
minimale, variété intra-figurale…
A l’inverse, ces auteurs ne prennent pas toujours en considération les mêmes étapes
dans l’acquisition de l’écrit. Contrairement à E. Ferreiro, J. Fijalkow met en avant le fait que
selon lui, un enfant qui dessine lorsqu’on lui demande d’écrire, est un enfant qui est déjà entré
dans l’écrit. De plus, il consacre un traitement complet à l’orthographe, alors que E. Ferreiro
avance le fait que celle-ci ne fait pas partie de la psychogénèse de l’écriture. Néanmoins, pour
elle, la psychogénèse de l’écriture ouvre sur un nouveau traitement de l’écrit où l’orthographe
occupera une place prépondérante. J.M. Besse, quant à lui, tout comme E. Ferreiro, ne prend
pas en considération le fait que l’enfant, lorsqu’il dessine serait déjà entré dans l’écrit.
Néanmoins, il va au-delà de ce qu’avance J. Fijalkow, puisqu’il prend en considération, dans

l’acquisition de l’écriture par l’enfant, des problèmes de genre de texte. On n’écrit pas
pareillement si l’on écrit une recette de cuisine ou une poésie.
Au vu des champs recouverts par ces trois auteurs sur l’entrée dans l’écrit de l’enfant,
le point de vue de J. Fijalkow semble le plus complet pour analyser les données qui seront
recueillies sur le terrain par la suite. En effet, même s’il ne prend pas en considération les
problèmes de genre de textes, comme J.M. Besse (étape 7), cela ne semble pas être un
obstacle, puisqu’il ne sera demandé aux enfants de n’écrire que des mots et des phrases hors
contexte. Il n’est donc pas utile de se demander si les enfants ont conscience ou non des
différents genres de textes existants. En revanche, il est le seul à prendre en compte le dessin
dans l’entrée dans l’écrit de l’enfant, traitement qui peut se retrouver dans certaines
productions.
Cependant, ces trois auteurs présentent dans leurs ouvrages l’entrée dans l’écrit de
l’enfant, mais ils ne s’arrêtent pas sur les enfants ayant des particularités ou des handicaps. Il
serait intéressant de se demander si l’enfant aveugle, l’enfant dyslexique ou encore l’enfant
sourd, entre dans l’écrit de la même manière qu’un enfant « ordinaire ». C’est pourquoi, la
recherche sur le terrain s’intéressera à la manière dont l’enfant sourd (signeur ou oralisant),
entre dans l’écrit. Néanmoins, avant cela, il est important de se demander quelle place est
donnée à l’écrit dans l’éducation des enfants sourds.
2. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds
Dans notre société, l’écrit occupe une place très importante, tant pour être autonome
dans la vie quotidienne que pour devenir citoyen ou pour faire des études. Mais pour les
sourds, cette modalité occupe une place encore plus importante. En effet, pratiquant un
français oral souvent approximatif, et faisant face à des entendants ne connaissant pas la
langue des signes, leur seul moyen pour communiquer avec la société est le français écrit.
L’écrit est omniprésent dans notre société et la lecture est un réel enjeu pour les personnes
sourdes car c’est un instrument privilégié d’accès au monde, un facteur d’intégration.
(Romand, 2005 : 77)
Cependant, par cause d’une mauvaise adaptation de l’enseignement de l’écrit aux
sourds, nombreux sont les illettrés dans cette communauté. Et les sourds eux-mêmes en
souffrent. L. Drouet (2008 : 1) expose le ressenti d’un sourd par rapport à cette situation :
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En effet, Jean Noël 40 ans, Sourd profond signant nous confiait : « Je suis obligé de
mettre mes cartes postales dans une enveloppe parce que j’ai honte ; le regard des
entendants me gêne. »
C’est pourquoi, il est intéressant de se pencher ici sur la place qu’occupe
l’enseignement de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds. Est-il enseigné de la même
manière en école ayant une philosophie oraliste qu’en école ayant une philosophie bilingue ?
Quelles sont les techniques utilisées dans les établissements pour enseigner l’écrit ?
L’apprentissage du français écrit est, pour les sourds, un facteur critique de leur
intégration dans une société majoritairement entendante. Plusieurs méthodes ont vu le
jour et sont adaptables à chaque famille et à chaque apprenant selon ses aptitudes
personnelles. (Teutch, Cruaud et Tchounikine, 2002 : 126)
En effet, Selon P. Séro-Guillaume (2008 : 93), « l’enfant sourd ne maîtrise pas la langue
[le français] lorsqu’il aborde l’écrit ». Cet auteur explique que, pour l’enfant sourd, l’entrée
dans la lecture / écriture va donc se faire dans le même temps que l’entrée dans la langue
française. Il faut donc adapter la pédagogie. L’enfant sourd, contrairement à son homologue
entendant aborde l’écrit alors qu’il ne maîtrise pas encore la langue française. Il n’est donc
pas possible d’aborder l’écrit de la même manière avec un enfant sourd qu’avec un enfant
entendant. Celui-ci baigne dans la langue française depuis sa naissance, alors que le premier
va devoir construire le français écrit à partir des exemples qui lui seront présentés lors de son
apprentissage.
2.1. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds oralisants
2.1.1. Définition de l’éducation oraliste
Avant d’entrer dans le détail de l’enseignement de l’écrit selon l’éducation oraliste, il
convient de donner une définition à cette méthode. Néanmoins, la définition apportée ci-
dessous prendra en compte uniquement la dimension et la place accordée aux langues dans
ces structures, les autres points n’étant pas pertinents ici.
La méthode dite méthode orale stricte exclue tous les signes, que ce soit ceux de la
LSF, comme ceux des codes (LPC, français signé, etc.). Néanmoins, de nos jours, en France,
la plupart des établissements ayant une philosophie oraliste inclut un minimum de codes ou de
signes. P. Dalle (2003 : 34) nous dit en effet :

Concernant les établissements spécialisés, un grand nombre d'entre eux, tout en se
déclarant d'option oraliste, disent intégrer la communication gestuelle. Cependant
cela recouvre des statuts divers (mimique, code gestuel, langue), plusieurs rôles
(langue de construction du petit enfant, outil de transmission d'informations,
seconde langue enseignée, langue de communication dans la classe) et des usages
très différents suivant l’âge des enfants, le type d’activité concernée (éducative,
scolaire, extrascolaire) et le rôle ou la compétence des intervenants.
C’est pourquoi cette partie sera plutôt basée sur la place de l’écrit dans l’optique d’une
éducation utilisant la communication totale. Celle-ci, pour de nombreux auteurs serait
l’utilisation des diverses formes de communication que les enfants sourds ont à leur
disposition (Rondal, Henrot, Charlier, 1985 : 176). D. Denton (1970) définit la
communication totale comme :
Incluant donc tout moyen de communication utile dans toute une série de circonstances :
la parole, la lecture labiale, le langage gestuel, l’épellation digitale, l’audition résiduelle,
la lecture, l’écriture, ainsi que toutes autres méthodes qui pourront être développées dans
le futur. (Denton, 1970, cité in Quigley et Kretschmer, 1983, eux-mêmes cités in Rondal,
Henrot, Charlier, 1985 : 176)
Ne sera donc exposée ici que la place occupée par l’écrit dans l’éducation des jeunes
sourds oralisants, mais avec lesquels la communication gestuelle peut être utilisée. La
définition et l’utilité des codes et moyens de communication (LPC, français signé, etc.)
utilisés avec les enfants sourds, seront exposés en 2.3. Ces codes peuvent à la fois être utilisés
en écoles bilingues, comme en écoles oralistes, afin d’enseigner l’écrit.
2.1.2. L’enseignement de l’écrit se fait selon une méthode ascendante
Dans les écoles oralistes (écoles dont l’enseignement se fait à travers le français vocal),
le français est considéré comme la langue première des apprenants sourds. D. Daigle et C.
Dubuisson (1998 : 31) nous expliquent que « dans cette méthode, la langue majoritaire est
considérée comme la langue première des apprenants sourds. » Il est donc nécessaire de
l’enseigner comme cela, identiquement aux enfants entendants. Les pédagogues s’appuient
donc ici sur le fait que l’enfant sourd connaît, à son entrée à l’école, la langue française aussi
bien que son homologue entendant. Cela n’est cependant pas toujours le cas, étant donné que,
30

contrairement aux entendants, les sourds 1 n’ont pas accès à tout l’input 2 qui les entoure. Ils
ont des difficultés à suivre les échanges qui se font en langue vocale autour d’eux. Il faudrait
donc permettre à ces enfants d’accéder à tout cela, par exemple en codant en LPC tous les
échanges, même ceux qui ne leur sont pas adressés, afin qu’ils aient connaissance de toutes
les conversations qui les entourent, au même titre que leurs homologues entendants.
31
Ces auteurs recommandent à l’entourage professionnel et familial des enfants sourds de
rendre le plus visible et explicite possible les interactions qui entourent ces derniers, en
utilisant en leur présence les moyens de communication qui leur sont accessibles (par
exemple, LPC, langue des signes), même lorsque le message ne leur est pas destiné, ou en
leur commentant à leur attention au fur et à mesure ce qui se passe dans leur
environnement. (Niederberger, 2007 : 260)
Dans ces écoles, l’enseignement de l’écrit se fait selon une méthode dite ascendante ou
synthétique. Cet enseignement va se faire via le français oral. Les défenseurs de l’éducation
oraliste avancent l’idée que « la connaissance préalable du français oral est une condition
nécessaire (voire suffisante) à l’acquisition du français écrit » (Duhayer, Frumholz et
Garcia, 2006 : 2).
Pour définir cette méthode, A. Bentolila et B. Germain (2005), utilisent aussi
l’expression de « méthode indirecte d’accès au sens ». Son point de départ est le phonème.
Elle permet de développer la conscience phonologique de l’enfant, en mettant en relation le
français oral, et le français écrit. Il a été démontré par de nombreuses études « que la pratique
d’exercices basés sur la conscience phonologique peut réellement aider le débutant à
apprendre à lire et écrire. » (Liberman et Shankweiler, 1989). Pour arriver au sens, il faut
associer un phonème oral, avec un graphème écrit. On part donc des unités de bas niveaux
(les graphèmes) pour accéder au sens du mot. Grâce à cette méthode, on évolue du simple, des
unités : la lettre, le son ; vers le complexe, la combinaison des unités : la syllabe, le mot. Dès
lors, l’enfant sourd va pouvoir se constituer comme un lecteur autonome. En effet, il peut
déchiffrer un mot écrit inconnu et en comprendre le sens, en lui associant une image vocale.
1 Nous parlerons ici des enfants sourds de parents entendants. En effet, les échanges qui les entourent sont
généralement en langue vocale. Les enfants sourds de parents sourds ont eux, en règle générale, accès aux
conversations en langue des signes
2 Selon le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, l’input est « l’ensemble d’informations qui
parviennent à un système et que ce système (organisme, mécanisme) va transformer en informations de sortie
(ou output). » Il s’agit donc pour nous de l’ensemble des conversations qui entoure l’enfant, et que celui-ci va
pouvoir réutiliser pour émettre ses hypothèses sur la langue orale.

S. Mugnier (2006 : 147) nous explique les tenants et les aboutissants de l’utilisation
d’une telle méthode dans l’éducation des jeunes sourds :
Ce courant privilégie dans le processus de la lecture l’aspect phonique et la relation aux
graphèmes. Selon les chercheurs de ce courant, la phonologie de la langue orale peut être
acquise sans expérience acoustique; le décodage pourrait prendre sa source dans
l’expérience articulatoire des sujets ou dans leur perception visuelle de la langue. Les
arguments appuyant cette position reposent largement sur des outils et des codes basés
sur le français oral tels que l’oralisation, la lecture labiale, la dactylologie et surtout le
LPC.
De plus, comme le dit A. Bentolila (1996), sans « réelle maîtrise de la langue orale, il
n’y a pas d’entrée possible dans le monde de l’écrit, ni de chances réelles d’intégration
sociale. »
Trois types de démarches peuvent être utilisés pour permettre aux enfants d’accéder au
système alphabétique du français 3 :
- Une démarche grapho-phonétique : construction des correspondances
graphèmes / phonèmes, et phonèmes / graphèmes, ainsi que l’automatisation des
procédures de codage / décodage.
- Une démarche syllabique : part du code inconnu (la combinaison des lettres à l’écrit),
vers le code connu (la chaîne des sons de la langue orale).
- Une démarche phonologique ou phono-graphique : part de ce que connaît l’enfant :
l’oral, pour lui faire découvrir ce qu’il ne connaît pas : l’écrit. Il s’agit de développer
la perception des unités minimales de la langue orale (les sons, les phonèmes
constituant les syllabes orales) pour les transcrire en unités écrites correspondantes
(les graphèmes, les syllabes écrites). L’enfant va donc observer ce qu’il dit : il va
développer sa conscience phonémique.
2.1.3. Critiques à la méthode ascendante dans l’éducation des jeunes sourds
Cependant, de nombreux auteurs, tels que A. Millet, C. Cuxac ou encore D. Bouvet,
avancent l’idée que tous les enfants ont besoin d’une langue pour se développer, et que pour
l’enfant sourd, la plus naturelle qu’il puisse acquérir, est la langue gestuelle. A. Millet (2008),
3 Source : http://ife.ens-lyon.fr/vst/LettreVST/pdf/31-novembre-2007.pdf
32

propose «d’enseigner la LSF aux sourds, puis de construire, sur les acquis et appris de la LSF,
les compétences en lecture du français, sans passer par un apprentissage du français oral. »
33
Il a souvent été avancé à l’encontre de cette méthode pour enseigner l’écrit à l’enfant
sourd, que celui-ci ne peut pas y parvenir par une méthode basée sur la correspondance entre
le français oral et le français écrit. En effet, celui-ci n’entend que peu ou pas les sons de la
langue vocale. Selon A. Vanbrugghe (2009 : 141), il faut prendre en compte que l’enfant
sourd, contrairement à son homologue entendant, arrive à l’école sans avoir eu réellement
accès aux sons qui l’entourent.
On observe ainsi des dispositifs qui semblent ignorer que l’apprentissage de l’écrit, pour
un élève n’ayant pas ou peu d’accès au français oral, ne pourra suivre la même démarche,
ni la même progression, que celles adoptées pour les enfants entendants l’ayant entendu,
acquis et pratiqué naturellement, pendant environ deux années avant leur entrée à l’école
maternelle et environ cinq ans avant leur entrée en CP. (Vanbrugghe, 2009 : 141)
Néanmoins, I. Liberman et D. Shankweiler (1989) ont montré que de nombreux sourds
profonds de naissance utilisent un traitement phonologique. En effet, qu’il soit sourd ou
entendant, le traitement du langage va se faire de manière linguistique.
Les processus permettant d’extraire la signification du langage sont fondamentalement
différents de ceux par lesquels nous extrayons la signification de stimuli non verbaux
visuels ou auditifs. Il faut bien comprendre que ce qui distingue les mots de tous les
autres signaux signifiants, c’est le fait que tous les mots, et seulement les mots, ont une
structure phonologique et que, de plus, les unités phonologiques de base qui forment la
structure des mots, les phonèmes, ne sont ni visuels, ni auditifs. Au contraire, ils sont, à
des degrés divers, des abstractions linguistiques. (Liberman et Shankweiler, 1989 : 39)
Ainsi, bien que l’enfant sourd n’ait pas accès au monde sonore qui l’entoure, cela n’est
en aucun cas un problème lorsqu’il s’agit de lire ou de produire de l’écrit. Comme avancé
dans l’argument ci-dessus, « les phonèmes ne sont ni visuels, ni auditifs ». L’enfant sourd
peut donc accéder à ces unités linguistiques, même s’il n’entend pas.
De plus, certaines études, menées notamment par D. Daigle et C. Dubuisson, ont
révélé que les erreurs des apprenants sourds sur la langue française, étaient identiques à celles
commises par des apprenants entendants du français langue étrangère. Eux-mêmes reprennent
l’exemple de S. Quigley et P. Paul (1984). « Ils ont comparé les erreurs des apprenants sourds

à celles d’apprenants allophones 4 et affirment que la plupart des erreurs que font les
apprenants sourds se retrouvent dans les textes des apprenants en langue seconde. » (cité in
Daigle et Dubuisson, 1998 : 41). Selon ces auteurs, il faudrait donc adapter la pédagogie
d’enseignement du français aux élèves sourds, de façon à prendre en compte cette langue
comme une langue étrangère, et non comme une langue première.
Enfin, certains auteurs ont montré que le français oral, et le français écrit sont deux
langues différentes. En effet, selon T. Opillard (2002 : 77), « Les entendants ne voient pas le
contraste entre leurs deux langues, français oral et français écrit, parce qu'ils croient que c'est
la même chose » Il est vrai que ces deux langues se ressemblent, et permettent de passer de
l’une à l’autre, mais elles ne sont pas identiques : « L'enfant entendant accède à une autre
langue que celle qu'il parle mais ces deux langues sont très proches l'une de l'autre : l'une étant
issue de l'autre. » (Goulet-Denis, 2005 : 37) Il ne semble donc pas utile que les enfants sourds
passent obligatoirement par le français vocal pour accéder au français écrit. P. Dalle (2005 :
14) avance le fait qu’ « en dissociant la langue parlée de la langue de l’écrit, elle [la LSF]
montre mieux que dans le cas du français oral et écrit, qu’il s’agit de deux langues différentes
et que l’apprentissage de l’écrit ne passe pas par une approche phonologique. »
2.2. La place de l’écrit dans l’éducation des jeunes sourds bilingues
2.2.1. Définition de l’éducation bilingue
Comme précédemment avec l’éducation oraliste, il convient de définir ici l’éducation
bilingue. De la même manière, seule la place des langues dans ces structures va être présentée
ici.
Selon F. Bertin (2007 : 242), « grandir bilingue c’est un enseignement en LSF et de
LSF, un enseignement en et de français. » De plus, pour lui (2007 : 243), « il ne saurait être
question de nommer bilingue un projet qui intègre la LSF comme une béquille, de façon
partielle ou ponctuelle. » La langue des signes, tout comme le français seront enseignés
comme des langues à part entière. Cela va permettre une vraie réflexion métalinguistique sur
ces deux langues. De plus, selon P. Dalle (2003 : 37), dans les établissements bilingues, « la
langue des signes est langue de communication dans la classe. Le français est utilisé pour
4 Selon sa définition canadienne, « allophone se dit de quelqu’un qui a une autre langue maternelle que l’anglais
ou le français. (Larousse, adj. et n., allophone, 2)
34

toutes les formes d’expression écrite, ou de prise de note, pour la recherche d’informations
dans les documents ou comme support de la communication » Ainsi, dans ces structures, la
langue des signes et le français sont toutes deux langues d’enseignement et langue enseignée.
35
La LSF est considérée comme langue première. Elle sera donc la langue
d’enseignement. Comme toute langue première, elle va permettre aux élèves d’acquérir
certains concepts. Selon C. Courtin (2005 : 42), « l’apprentissage de la langue des signes va
permettre à l’enfant l’acquisition des concepts, puis de transférer ces connaissances vers
l’écrit (comme le fait l’enfant entendant de l’oral vers l’écrit). » Les enfants suivant une
éducation bilingue vont acquérir des connaissances du monde et de la vie en société, qu’ils
vont ensuite pouvoir transférer sur la langue seconde, ici le français écrit.
Néanmoins, en LSF, il est difficile de rendre les phonèmes de la langue vocale, utilisés
comme base dans l’apprentissage selon la méthode ascendante. Il faut donc ici utiliser une
autre méthode.
2.2.2. L’enseignement de l’écrit se fait selon une méthode descendante
Le principe fondamental sous-tendant ces programmes bilingues est de favoriser le
développement d’une langue des signes comme langue dominante (L1) servant ensuite de
base et de référence pour l’apprentissage de la langue orale / écrite majoritaire dans la
culture environnante. Cette dernière est alors enseignée comme langue seconde (L2),
principalement dans sa modalité écrite. (Niederberger, 2005 : 287)
Le postulat qui est donc avancé ici est que la langue des signes peut permettre à
l’enfant sourd d’acquérir la langue majoritaire, au minimum dans sa version écrite. Il faut
donc enseigner le français écrit comme une langue étrangère, et non comme une langue
première, et prendre en compte le fait que ces apprenants-là fassent des erreurs dues au
transfert de la langue première sur la langue seconde. D. Daigle et F. Armand (2002 : 26)
nous expliquent qu’il est indispensable, dans une optique bilingue, de penser l’enseignement
du français écrit comme pour une langue seconde. Il faut donc prendre en compte le fait que
le rythme d’acquisition, et les processus d’apprentissage soient différents de ceux mis en
place par les apprenants en langue première.
Dans ces établissements, la LSF est utilisée comme langue d’enseignement du français
écrit, comme métalangue de cette-dernière. En effet, un enfant sourd qui possède de bonnes
capacités en langue des signes va développer des compétences métalinguistiques dans celle-

ci, c’est à dire qu’il va réfléchir sur son fonctionnement. J. Duverger (2002 : 74) nous
explique :
L'apprentissage de l'écrit est un apprentissage linguistique et on peut apprendre l'écrit
sans oraliser puisque « les compétences de lecture et d'écriture sont indépendantes de
celles d'entendre et de parler comme le prouvent les observations menées lors des
apprentissages en langue étrangère. » L'accession au code écrit d'une langue seconde par
la voie directe (sans recours à l'oralisation) est facilitée par la maîtrise du code de la
langue première. Si les fonctions langagières se sont, pour les sourds, convenablement
développées grâce à la langue des signes, on se trouve donc dans un cas particulier de
bilinguisme. Face à l'écrit français, langue seconde, la langue des signes est bien la langue
première qui va permettre toutes les activités métalexiques « contrastives » et
« comparatives » d'investigations et d'élucidations sémantiques et syntaxiques (cité in
GOULET-DENIS, 2005 : 38)
Cette compétence va ensuite pouvoir être transférée sur la langue seconde que
l’enfant est en train d’apprendre. A.M. Vonen (1996) montre « qu'utiliser une langue
maîtrisée pour enseigner une autre langue apparaît comme légitime pour des apprenants
en langue étrangère et qu'il est possible de transposer ce schéma pour l'enfant sourd. »
(cité in Renaud, 2010 : 9) Il souligne l’importance d’un développement solide d’une
langue première quelle qu’elle soit, pour que l’enfant accède aux connaissances du
monde qui l’entoure. Lorsque l’enfant apprend à écrire, il doit pouvoir faire des liens
entre ce qu’il lit, et les référents qu’il connaît dans la langue orale (ici la LSF). Il doit
donc posséder de bonnes expériences langagières dans sa langue première pour pouvoir
les transférer sur sa langue seconde.
Dans ce type de structure le français écrit ne peut pas être enseigné selon la méthode
ascendante. En effet, la LSF, langue d’enseignement ne fonctionne pas de la même manière
que le français oral, et celui-ci est généralement proscrit de ces établissements. Il est donc
impossible d’établir des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. S. Mugnier
(2006 : 147) nous explique quelques tenants et aboutissants de cette pédagogie bilingue basée
sur une méthode descendante :
Ce second courant s’appuie davantage sur la « prise de sens ». L’idée est de suppléer à
l’impossibilité d’avoir recours à certaines habiletés ou connaissances liées à l’audition en
insistant sur d’autres habiletés, accessibles aux sourds, en particulier la reconnaissance
directe et globale des mots, les stratégies d’anticipation sémantiques et l’autogestion de la
36

37
compréhension (Dubuisson, Vercaingne-Ménard, 1999). L’ensemble de ces habiletés
reposerait sur la maîtrise de la langue des signes qui, dans cette situation, est envisagée en
tant que langue première/naturelle, le fait de la maîtriser permettrait de tabler sur une
langue solide pour construire les apprentissages scolaires.
L’entrée dans l’écrit va donc devoir être effectuée selon une méthode dite descendante
ou analytique. L’enseignement va se faire en partant des unités de haut de niveau, le texte, la
phrase, le mot, pour accéder aux composantes plus petites, les graphèmes. Ce sont « les
messages écrits, complets et contextualisés qui sont simples à comprendre, pas les unités
linguistiques abstraites » (Cèbe & Goigoux, 2006).
Lors d’un enseignement de l’écrit par cette méthode, la lecture est étroitement liée à la
compréhension, une oralisation n’est alors pas nécessaire. Selon C. Courtin (1998), écrire est
une opération « qui va du général au mot isolé » (cité in Leroy, 2005 : 130). Selon lui, il faut
mettre en œuvre, dans l’ordre dans lequel ils sont énoncés, les processus suivants :
- déterminer la structure du texte à produire,
- construire les paragraphes qui énoncent les points principaux,
- construire et mettre en ordre des phrases grammaticales,
- choisir le vocabulaire adéquat,
- épeler les mots correctement,
- produire une écriture lisible. (cité in Leroy, 2005 : 130)
Il s’agit donc bien ici d’un apprentissage selon la méthode descendante, en partant du
texte vers l’écriture et donc vers l’alphabet.
C.Cuxac (1998) appuie cette idée en ajoutant que, dans une éducation en LSF, pour
des raisons techniques, il est préférable de partir des unités de haut niveau, la LSF et le
français étant structurellement très différents (utilisation de l’espace, mimique faciale, etc. en
LSF). Il est alors difficile de concevoir l’enseignement du français écrit depuis les unités de
bas niveau, plutôt que de se concentrer sur « le sens et l’interprétation » (Leroy, 2005 : 131)
Cette méthode d’enseignement de l’écriture permet de prendre en compte le fait que le
système d’écriture n’est pas uniquement basé sur le code grapho-phonétique. En effet, G.
Chauveau (1997 : 82) nous dit que « la langue écrite ce n’est pas que de la langue transcrite,
c’est également de la langue à lire. Et cette langue à lire possède ses propres codes :
typographiques, spatio-graphique, textuels, etc. ». La méthode dite analytique va donc
permettre d’enseigner aux jeunes sourds (tout comme aux jeunes entendants éduqués selon
cette méthode) les codes alphabétiques du français, mais aussi les codes de mise en texte.
L’enfant doit pouvoir prendre en considération le code grapho-phonétique, mais aussi « un

code sémiographique, c’est à dire un ensemble de procédés graphiques, sans relation avec
l’oral, qui donnent du sens : espaces blancs, ponctuation, majuscules, marques grammaticales,
marques lexicales ». (Chauveau, 1997 : 100). Le fait de considérer le texte dans son ensemble
permet donc à l’enfant de prendre tout cela en considération. Il pourra ensuite procéder lui-
même à une mise en écrit.
2.2.3. Critiques à la méthode descendante dans l’éducation des jeunes sourds
Cependant, de nombreux auteurs avancent des arguments qui vont à l’encontre de
cette méthode descendante dans l’enseignement de l’écrit aux enfants sourds. En effet, selon
D. Daigle et F. Armand (2002) l’enfant sourd doit être capable d’utiliser une correspondance
graphème / phonème pour pouvoir se constituer en tant que lecteur expert. N. Catach (1991),
expose le fait que la langue française écrite est à 80% phonogrammique. Cela signifie que les
graphèmes de l’écrit correspondent à 80% aux phonèmes de l’oral. Il serait donc important
d’enseigner les correspondances grapho-phonétiques à l’enfant sourd, afin qu’il puisse lire des
mots inconnus. D. Daigle et F. Armand défendent donc une éducation bilingue plus nuancée,
où la LSF serait langue enseignée (au même titre que le français écrit), mais aussi langue
d’enseignement. Cependant, pour eux, il faudrait tout de même introduire un peu de français
vocal ou de codes permettant un transcodage phonétique ou syllabique (Méthode Borel-
Maisonny ou LPC) ou encore seulement une « sensibilisation à la phonologie en langue
majoritaire » (proposé par Daigle et Dubuisson, 2002 : 35), afin de favoriser, auprès des
enfants sourds, la correspondance entre le français écrit et son pendant oral. En effet, pour
eux (Daigle et Armand, 2002 : 34) :
La connaissance d’une langue signée ne donne pas accès aux traitements phonémique et
syllabique. Il s’agit là d’une limite de l’approche bilingue si l’interprétation qu’on en fait
ne favorise pas un milieu suffisamment souple pour faciliter le développement de
représentations phonologiques nécessaires au traitement de l’écrit. Les résultats de Daigle
(2003) laissent entendre que ces traitements phonologiques sont liés aux connaissances de
la langue orale, dans le cas du traitement phonémique, et à l’expérience en lecture, dans le
cas du traitement syllabique.
C. Courtin (2005 : 44) appuie cette idée en expliquant que « si la LSF permet
d’accéder à la lecture, apparemment par la voie directe (codage visuel), plutôt qu’indirecte
(codage phonologique), il pourrait être intéressant pour le développement maximal des
compétences de lecture, de stimuler également la voie indirecte. » Ainsi, pour bon nombre des
38

auteurs, l’utilisation de la LSF dans l’éducation des jeunes sourds ne fait aucun doute, mais,
pour enseigner le français écrit, une approche minimale du français oral serait importante pour
développer la conscience phonologique des enfants sourds.
39
De plus, en 1985, est paru un texte de l’éducation nationale et des affaires sociales qui
met en avant l’importance de la langue des signes dans l’éducation des jeunes sourds.
(Bouillon & al., 1985, cité in Dalle, 2003 : 39) Néanmoins, dans ce même texte, il est exposé
le fait que selon eux, « la langue des signes constitue un danger pour la maîtrise du français. »
(Dalle, 2003 : 40).
Le grand risque du bilinguisme… c’est qu’il se réalise au détriment du français, langue
non seulement seconde dans le temps mais incomparablement plus ardue, plus
rébarbative, plus longue à acquérir. (Bouillon & al., 1985 : 18)
C’est pourquoi, les défenseurs de l’éducation oraliste, ainsi que de nombreuses
institutions scolaires mettent en avant le fait que l’éducation des sourds ne doit pas se faire en
LSF, car celle-ci empêcherait l’acquisition du français par la suite. Niederberger nuance ce
propos en avançant le fait que de bonnes capacités langagières dans une langue permettent
l’entrée dans l’écrit de l’enfant sourd. Néanmoins, elle énonce le fait que ces capacités
peuvent tout aussi bien être développées en langue vocale ou en langue gestuelle. Pour elle,
« il est essentiel d’exposer les enfants sourds à des expériences langagières riches et variées,
qui leur soient entièrement accessibles, dès le plus jeune âge, et d’attirer leur attention sur les
événements qui les entourent et au besoin les expliciter pour eux. » (Niederberger, 2007 :
262) Et ces échanges peuvent être faits soit en langue vocale, soit en langue signée, pour peu
que l’enfant se sente à l’aise dans sa compréhension et dans son expression.
2.3. Les techniques d’enseignement de l’écrit
2.3.1. Le Langage Parlé Complété (LPC)
Le Langage Parlé Complété (LPC), aussi appelé depuis quelques années Langue
Française Parlée Complétée (LFPC), est un code manuel permettant de soutenir la lecture
labiale. En effet, celle-ci permet au sourd d’accéder à la parole en « lisant » les phonèmes sur
les lèvres du locuteur. Cependant, il est impossible de pouvoir tout déchiffrer sur les lèvres.
Selon de nombreux auteurs, tels que Périer (1987), environ 30% de ce qui est prononcé par le

locuteur, est déchiffré par la lecture labiale. Par l’intermédiaire de cette seule méthode, les
sourds ne peuvent pas accéder à la totalité du message.
C’est pourquoi, en 1967, le Docteur Cornett crée aux Etats Unis le « Cued Speech »,
afin de permettre aux enfants et adultes sourds d’accéder à la langue vocale. En effet, ce code
permet de désambiguïser les sosies labiaux qui ne sont pas reconnaissables par la seule lecture
labiale. Il est en effet difficile de voir la différence entre « boule », « poule » et « moule » par
exemple. Cette difficulté à discriminer les sosies labiaux peut se retrouver sur des phrases
entières : il est difficile de différencier « il mange des frites » et « il marche très vite ». Cela
pose donc un problème de compréhension des énoncés oraux par les sourds.
Ce n’est qu’en 1977, soit dix ans après son invention, que le LCC (Langage Codé
Cornett) arrive en France. Il changera ensuite deux fois de nom, pour devenir le Langage
Parlé Complété, puis la Langue Française Parlée Complétée.
J.A. Rondal & al (1985 : 49) décrivent et définissent le LPC comme un code manuel
syllabique et phonématique. Lorsqu’il code gestuellement les sons de la parole, le locuteur ne
se soucie pas de l’orthographe. Il code les sons selon un découpage syllabique, tout en
respectant les liaisons, les pauses du discours et les variantes régionales.
Ce code s’effectue autour du visage. Cinq parties sur le visage représentent les
quatorze voyelles du français, alors que huit configurations manuelles représentent les dix-
sept consonnes et les trois semi-consonnes du français. Il ne s’agit pas ici des voyelles et des
consonnes telles que nous les connaissons dans l’alphabet. Borel-Maisonny (1966) définit la
voyelle comme « un son uniforme à canal buccal largement ou moyennement ouvert, facile à
entendre. Il ne s’agit pas des seules voyelles alphabétiques, mais aussi des « diphtongues ». »
Notons que le Trésor de la Langue Française (TLF), lui, l’explicite comme un « phonème
constituant à lui seul un son et n’ayant pas de trait consonantique. On compte généralement en
français seize voyelles. Nous proposons un système phonique minimum, constitué comme
suit : 7 voyelles orales ([a], [e], [i], [o], [y], [ø], [u]), avec trois variantes de position ([ ], [ ],
[œ]) et le [ ] caduc ; quatre voyelles nasales ([ ], [ ], [õ], [ ]). » (Catach, 1980 : 37, cité in TLF
s.f. A). Cependant, il est intéressant de voir ici que le LPC ne code que quatorze voyelles
alors que le dictionnaire nous expose le fait qu’il y en a seize en français. On peut donc se
demander ici pourquoi cette différence. S’oppose à cela la consonne, qui, selon le dictionnaire
Larousse, se définit comme « un des deux types de sons du langage, caractérisé par la
présence d’un obstacle dans le conduit buccal (occlusion ou constriction), qui entrave
l’écoulement du flux phonatoire. » (Larousse, consonne, nf.)
40

41
Une syllabe sera codée en combinant une localisation sur le visage, et une
configuration manuelle. Les sosies labiaux tels que le [m], le [p] et le [b] seront codés par des
clés différentes, pour permettre la compréhension. (cf. annexe 1) Ce code n’est en revanche
pas dissociable de l’utilisation de la langue vocale. Le LPC est un soutien à la langue vocale,
il ne peut pas être utilisé seul, sinon il perd sa signification.
Le LPC va donc permettre à l’enfant sourd de recevoir un bain langagier en français
oral, et de faire le lien avec l’écrit. De plus, il lui permet d’accéder à la lecture et donc à un
bain écrit. En effet, grâce au LPC, il va développer des compétences phonologiques. Ces-
dernières vont ensuite pouvoir jouer, dans l’acquisition de la lecture, un rôle identique à celui
joué chez les entendants. L’enfant va donc recevoir un bain de langage quasi identique à celui
d’un enfant entendant, et ainsi acquérir des structures de langue, propres au français. De
nombreuses études appuient cette idée (Hage, 1994 ou Leybaert, 2000, cités in Niederberger,
2005). En effet, elles ont dévoilé des progrès en français, écrit ou oral des élèves exposés
précocement et intensivement à ce code.
Cependant, D. Daigle et C. Dubuisson (1998 : 35) nous expliquent que « cette
utilisation simultanée de l’oral et d’un code manuel peut ralentir le débit du locuteur. Or, un
débit trop lent peut nuire à la compréhension du message parce qu’il se produit un
encombrement de la mémoire à court terme. » Il est donc nécessaire de garder un débit de
parole normal en codant, car un ralentissement pourrait causer des problèmes de
compréhension.
Le LPC est un bon moyen d’accéder à la langue française orale et écrite, mais il faut
prendre en considération le fait qu’il doit être pratiqué régulièrement auprès des enfants pour
obtenir de bons résultats. De plus, certains parasites peuvent faire obstacle à son bon
fonctionnement : distance du locuteur, problème de lecture sur les lèvres (moustache,
articulation lente…), ou temps d’effectuation d’une phrase codée trop long. En revanche,
comme exposé plus haut, le LPC n’est pas un code orthographique, mais syllabique. On peut
donc se demander si le fait de ne pas prendre en compte l’orthographe, et donc l’écrit, mais
les codes de l’oral (liaisons…) ne pourrait pas être un frein à l’acquisition de l’écrit.

2.3.2. Le français signé
Le français signé est un code gestuel qui permet de traduire le français parlé, grâce à
des gestes. Ceux-ci transcodent chaque mot du français, et ils sont ordonnés selon la syntaxe
du français vocal. Le français signé va pouvoir coder le genre, le nombre, les temps de la
conjugaison et introduire tous les petits mots du français, tels que les articles, les prépositions,
les déterminants, etc. (Rondal & al., 1985 : 40)
Selon C. Romand (2005 : 80), il s’agit d’une aide à la communication « permettant de
visualiser la langue française pour faciliter l’accès au sens en recourant aux signes en tant que
support de la parole. Le locuteur combine le lexique de la LSF selon les règles de la syntaxe
du français. »
Ce code permet aux enfants sourds de comprendre la linéarité du français écrit. En
effet, l’enfant sourd signeur va développer une langue spatiale, et donc avoir des difficultés à
comprendre la linéarité du français écrit. Le français signé va donc l’aider dans cette tâche-ci.
Comme l’explique D. Daigle (1998, cité in Renaud, 2010) : « Les signes sont utilisés en
parallèle de la langue vocale c’est à dire qu’ils respectent l’organisation syntaxique linéaire de
la langue vocale orale. »
Il existe différentes sortes de français signé qui vont d’un français signé où toutes les
règles grammaticales sont respectées, à d’autres variétés où l’on utilise l’ordre des mots tout
en omettant diverses spécificités grammaticales (les temps verbaux, les déterminants, etc. par
exemple).
Le français signé est une sorte de pont entre les langues signées et les langues parlées.
Il permet de présenter aux enfants sourds la structure du français parlé, et donc du français
écrit. Cela va lui permettre d’accéder au français écrit via un code gestuel. Il s’agit donc d’un
outil pédagogique qui permet de faciliter l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Cependant, il ne s’agit en aucun cas d’une langue.
Néanmoins, ce code peut être difficile à comprendre par les enfants sourds, et
notamment les enfants sourds qui utilisent la langue des signes au quotidien. En effet,
contrairement au français signé, qui, comme dit plus haut, copie sa syntaxe sur celle du
français, la langue des signes possède sa propre syntaxe. Il faut donc faire attention lors de
l’exposition de l’enfant sourd au français signé de ne pas l’embrouiller entre le code gestuel,
qui n’est qu’un appui à l’apprentissage du français, et la langue des signes. (Rondal, 1985 :
41)
42

43
2.3.3. La méthode Borel-Maisonny
C’est dans les années 50 que Suzanne Borel-Maisonny publie pour la première fois sa
méthode d’enseignement de la lecture. Elle est destinée aux enfants sourds ou dyslexiques ou
dysorthographiques. Sa méthode est une méthode phonétique qui permet de centrer l’attention
de l’enfant ayant des difficultés de lecture sur les sons du langage parlé, qui seront ensuite
reproduits par l’écriture. S. Borel-Maisonny (1985 : 18) avance ainsi l’idée que « lire
oralement, c’est, devant un signe écrit, retrouver sa sonorisation porteuse de sens »
L’enfant lecteur doit donc faire un effort de mémoire pour retrouver la sonorisation de
ce qu’il lit. Cet effort peut être amoindri grâce à l’accompagnement d’un geste. En effet,
l’image visuelle du phonème permet à l’enfant de le mémoriser plus rapidement. La relation
entre graphème et phonème va donc être aussi facilitée grâce au signe. Les gestes seront
présents auprès du signe écrit jusqu’à ce que l’enfant l’ait complètement assimilé. Dès que les
gestes ne seront plus nécessaires pour l’enfant, ils seront abandonnés.
Contrairement au LPC, cette méthode est une méthode phonétique. Pour le LPC, chaque
geste code une syllabe, alors que pour la méthode Borel-Maisonny, chaque geste code un
phonème, un son. Un geste représentera toutes les graphies possibles d’un même son : pour le
son [o] par exemple le geste représentera à la fois les graphies o, ot, os, eau, au, aux, eaux,
aut, aud…C’est pourquoi, il ne faut pas penser qu’un geste représente une graphie. En effet,
cette méthode a d’abord été créée pour permettre aux enfants ayant des difficultés de langage
d’entrer dans ce-dernier. Ce n’est qu’ensuite que les enseignants l’utilisent pour l’entrée dans
l’écrit. Etant donné le nombre de phonèmes en français, il existe donc une grande quantité de
gestes.
Ceux-ci sont de plusieurs sortes : [ici ne seront présentés et explicités que quelques
exemples représentatifs] : (cf. annexe 2)
1) Les uns sont représentatifs d’une forme. Ainsi :
• z, sorte d’éclair rapide dessiné dans l’espace, index tendu
• m, on placera le pouce, l’index et le majeur, rigides, le bout appuyé sur
la table.
• o, l’opposition du pouce à l’index arrondi représente, en général,
suffisamment et la lettre et le son. Toutefois, pour certains enfants, il
arrive qu’il faille montrer le trou ainsi formé en y introduisant l’index
de l’autre main.

2) D’autres gestes sont représentatifs d’une image articulatoire :
• r, on placera (et l’on fera placer) l’index sur le côté du larynx, où l’enfant sent
en effet le râclement qui accompagne l’émission de cette consonne. Après
cette constatation, lui-même l’appelle « la lettre qui gratte ».
• a, on montrera la main ouverte rappelant la bouche ouverte. Cette analogie
suffit aux enfants.
• l, on porte l’index devant la bouche en le dressant vers le haut, comme fait la
pointe de la langue dans la prononciation de cette consonne.
3) D’autres gestes souligneront l’idée d’écoulement. Par exemple, on ne montrera
pas la consonne f sans accompagner sa prononciation d’un mouvement de tout le bras de
droite à gauche si on fait face à l’enfant, ou de gauche à droite s’il est placé à côté de
nous. Ce mouvement rappelle à la fois le son et la barre horizontale.
4) Ou bien enfin, tout simplement, on associe le signe à une petite scène.
• oi, on fait entendre un aboiement, on ouvre et ferme le poing avec vivacité, on
dessine une tête de chien.
• Pour œ, on placera par exemple deux sujets dos à dos, etc. (Borel-Maisonny,
1966 : 18-19)
Si le son comporte une association de consonnes et de voyelles, il est important que
cette association soit présentée par les gestes correspondants à son orthographe phonétique.
Ils seront alors émis dans l’ordre de leur énonciation, et dans le sens où l’enfant doit les lire.
Néanmoins, le fait d’utiliser un code phonétique peut créer des problèmes d’orthographe aux
enfants. En effet, le geste ne leur permet pas de faire la différence entre o, ot, eau, au…
La différence entre les voyelles et les consonnes, quant à elle, va pouvoir être
effectuée grâce à des schémas qui rendent compte de l’intensité du phonème. Cela peut
s’avérer très utile avec des enfants sourds, afin de leur faire comprendre la différence entre
une consonne (effectuée bouche fermée), et une voyelle (effectuée bouche ouverte pour
laisser passer un son d’une plus grande intensité). (cf. annexe 3)
2.3.4. La dictée à l’adulte
La dictée à l’adulte est une méthode qui a tout d’abord été utilisée par Célestin Freinet
dans les années 60, sous le nom de « texte libre ». Ce n’est que dans les années 70, que
Laurence Lentin lui donne le nom de « dictée à l’adulte ».
44

45
Cette méthode d’apprentissage de l’écrit est une méthode qui permet le partenariat
entre un expert (le professeur), et un apprenant (l’élève). Le premier va être la main de
l’enfant, pour l’initier aux spécificités de l’écrit. Le second étant déchargé de la compétence
de scripteur, va pouvoir se concentrer sur la structuration de son oral, selon les règles de
l’écrit. Comme l’explique Hébrard, J. (1998), il est demandé à l’enfant d’oraliser de l’écrit, de
« parler l’écrit ». Il faut éduquer les élèves de façon à ce qu’ils « parlent comme des livres
c’est-à-dire qu’ils sachent parler le langage écrit. » (Hébrard, 2000 cité par Lacroix, 2005).
Cette étape entre l’oral et l’écrit permet à l’enfant de prendre conscience de la manière dont
on écrit, et de produire alors de l’écrit à l’oral.
Il faut que l’enfant rencontre l’activité d’un adulte lisant / écrivant et qu’il découvre dans
cette activité adulte les matériaux qui lui permettront d’accéder (souvent
inconsciemment) aux régularités et aux principes du fonctionnement de l’écrit. (Clesse,
1977 : 95)
C. Freinet met en avant le fait que l’élève peut apprendre à écrire, indépendamment de
la lecture. En effet, jusque dans les années 60, lecture et écriture étaient indissociables. Il
fallait savoir lire pour pouvoir recevoir un enseignement de l’écrit. Il est le premier à dire que
cette condition n’est pas nécessaire. La méthode de la dictée à l’adulte (qu’il appelle,
rappelons-le, texte libre) permet à l’enfant de se familiariser avec la langue écrite, avec son
fonctionnement et ses contraintes, avant même d’avoir appris à lire. Ainsi, l’enfant connaît le
langage écrit, et peut donc plus facilement entrer ensuite dans la lecture. Les nouveaux
programmes scolaires rappellent ceci :
L’école maternelle doit donner l’occasion à tous les élèves d’une imprégnation orale des
mots et des structures de la langue écrite […] Cette imprégnation se fait aussi à travers ce
qu’on a pris l’habitude d’appeler « la dictée à l’adulte », qui offre à l’enfant qui ne sait
pas encore écrire la possibilité de bénéficier de l’aide d’une secrétaire pour construire des
messages ou des textes. 5
L’enfant va, grâce à cette méthode, comprendre les spécificités de l’écrit, telles que la
ponctuation, la segmentation de la phrase en mots ou encore l’orthographe. Il prend alors
conscience des conventions propres à l’écrit qui vont lui permettre d’élaborer son propre
texte.
L’enfant va passer par diverses étapes pour évoluer d’une dictée à l’adulte où le
langage qu’il utilise est structuré par l’oral, vers une dictée à l’adulte où son discours sera régi
5 Source : MEN Qu’apprend-on à l’école maternelle ? CNDP, 2002, p18.

par les règles s’appliquant normalement à l’écrit. Selon A.M. Chartier, C. Clesse et J. Hébrard
(1998 : 97), cette progression va se faire en trois temps :
• première étape : l’enfant est dans de l’oral :
o Il ne respecte pas encore la syntaxe et les contraintes de la langue écrite.
o Il dicte à l’adulte sans se préoccuper de ce que ce dernier écrit.
o Il ne se sent pas concerné par l’acte d’écriture de l’adulte.
• deuxième étape : l’enfant commence à entrer dans l’écrit tout en continuant à dicter
des discours régis par la langue orale :
o Il prend peu à peu conscience de l’écrit.
o Il ralentit son débit de parole pour suivre le rythme de la main de l’adulte.
o Il comprend que pour écrire, il faut régler autrement ce que l’on a à dire.
o Il continue de temps en temps à avoir un discours structuré par l’oral.
• Troisième étape : il dicte de l’écrit.
L’enfant va alors consciemment s’installer dans le registre écrit. Il a pris conscience
des fonctionnements de l’écrit, et, lors de sa dictée, il va utiliser ses connaissances pour dicter
selon un discours régi par une structure écrite. Selon J. Hébrard (1977 : 88), « L’enfant
apprend progressivement à faire fonctionner dans son langage oral les contraintes de l’écrit »
L’adulte, quant à lui, va, grâce à ses corrections, le mener peu à peu vers les
caractéristiques du langage écrit. Il va permettre à l’enfant d’étayer et de développer ses
connaissances sur l’écrit. M. Hibon (1994 : 23), définit l’étayage « comme l’ensemble des
interactions (de l’adulte le plus souvent, mais aussi des autres enfants) qui ont pour effet de
permettre à l’enfant de réaliser une performance qu’il n’aurait pu réussir sans cette aide. ». Le
maître va donc corriger des formules orales telles que « Le monsieur et la dame entrent dans
le magasin, pis le monsieur i va acheter du lait », qui sera corrigée par « Le monsieur et la
dame entrent dans le magasin, et le monsieur va acheter du lait ». Il rectifie aussi les
néologismes, comme « j’ai prendu » pour « j’ai pris ». Néanmoins, l’adulte ne doit pas
corriger des énoncés qui lui semblent incorrects, alors qu’ils sont tout à fait recevables,
comme par exemple : « on voudrait des vieilles chemises pour la peinture s’il vous plait »,
que l’adulte pourrait réécrire : « nous souhaiterions de vieux vêtements pour la peinture » 6 . Le
6 Source : http://isfp.fr/documents/memoire/m03-besset.pdf, p19
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problème est qu’ici les enfants risquent de ne pas reconnaître leurs énoncés, et l’exercice de
dictée à l’adulte ne porterait pas ses fruits.
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L’enfant va donc, grâce aux interactions avec l’adulte, pouvoir développer de
nouveaux savoirs, sur la langue écrite, mais aussi sur sa langue orale. Grâce aux corrections
apportées par l’adulte sur l’oral de l’enfant, celui-ci s’améliore, et devient plus structuré.
L’adulte prend en main, au départ, les tâches que l’enfant n’est pas capable de faire tout seul.
Peu à peu, il va laisser plus de liberté à l’apprenti qui réussira seul ces tâches.
C’est dans la pratique de la langue écrite par l’adulte que l’enfant va trouver l’occasion de
faire des hypothèses sur le fonctionnement de cette langue écrite. Cela lui permettra de
faire des essais, de tâtonner comme lorsqu’il apprenait à parler. (Clesse, 1977 : 95)
L’enfant va donc, grâce au travail d’écriture de l’adulte, pouvoir se forger ses
hypothèses sur cette modalité, et sa manière de fonctionner. Pour cela, le travail de dictée à
l’adulte va donc débuter par une dictée au sens strict du terme par l’enfant. Puis, avec
l’apparition de nouvelles connaissances sur l’écrit, l’enfant va pouvoir produire des écrits
seuls. Il s’agira tout d’abord de suites d’histoires, car l’enfant commence à connaître le
vocabulaire de celle de départ, puis d’histoires personnelles, écrites grâce au lexique possédé
par l’enfant.
Cependant, C. Freinet, comme L. Lentin ont théorisé cette méthode pour des enfants
entendants ou des enfants s’exprimant vocalement. Est-elle adaptable pour des enfants sourds
signeurs ? Peut-on utiliser cette méthode avec des enfants s’exprimant en LSF ?
Sandrine Burgat (2008) a mené une expérience où elle utilisait cette méthode avec des
enfants sourds signeurs. Elle avance tout d’abord le fait qu’il faut adapter l’activité. En effet,
dans des écoles dites bilingues, le français oral est très généralement proscrit. Il n’est donc pas
possible de demander aux enfants, tout comme aux adultes de passer par la langue vocale
pour la dictée à l’adulte. Il faut donc l’adapter à un contexte bilingue et biculturel, où chacune
des deux langues occupe une vraie place. Il est donc nécessaire que les échanges qui ont
normalement lieu en langue vocale soient ici effectués en LSF, langue orale à part entière.
Pour V. Duhayer (2005 : 70), « il est difficile de séparer l’apprentissage de l’écrit de celui de
la langue des signes, puisque la langue des signes est le soutien de la compréhension de
l’écrit. Le travail de grammaire de la langue des signes permet de travailler la grammaire du
français, et inversement. » La langue visuo-gestuelle ne semble donc pas constituer un frein à

l’apprentissage de l’écrit. Elle permet même de développer des compétences propres à celui-
ci, tout en renforçant les siennes.
Tout comme avec les enfants entendants, il faut faire changer petit à petit l’expression
orale de l’enfant sourd, de façon à ce qu’elle se rapproche au maximum d’une langue
« écrivable » (Lentin). Cependant, il ne faut pas que la langue de l’apprenant glisse vers un
français signé. Il faut faire en sorte de trouver le juste milieu entre une LSF très orale, et un
français signé. Tout comme avec les entendants, cet étayage des connaissances sur la langue
écrite va être effectué grâce aux interactions des enfants avec le ou les adultes.
Cette expérience montre une évolution de la LSF des enfants, ainsi qu’une nette
progression en français écrit. Néanmoins, l’auteure conclue sur le fait qu’il est nécessaire pour
un enfant avec lequel on utilise cette méthode de parler une LSF normée, afin de pouvoir lire
et écrire une langue française normée. (Burgat, 2008)
On peut donc terminer en disant que la méthode de la « dictée à l’adulte » peut être
utilisée pour enseigner la langue écrite quelle que soit la langue orale parlée par l’enfant et les
adultes, qu’elle soit audio-orale ou visuo-gestuelle.
2.3.5. L’analyse contrastive
Dans le contexte d’une éducation bilingue, lors de l’apprentissage d’une langue
seconde (ici le français écrit), on ne peut pas laisser de côté le fait que l’apprenant possède
déjà une langue première qui peut créer des interférences dans ce second apprentissage. Selon
C. Germain (1983 : 30), pour enseigner une langue étrangère, on est dans « 1. l’obligation de
tenir compte de ce qui existe déjà, 2. l’impossibilité de déstructurer cet acquis, 3. la nécessité
d’y superposer de nouvelles habiletés et connaissances. » (cité in Besse et Porquier, 1991 :
200)
La théorie de l’analyse contrastive est au départ une théorie béhavioriste qui vise à
mettre en lumière les interférences possibles de la langue première sur la langue seconde. Afin
d’éviter que les apprenants commettent des erreurs, les linguistes vont comparer la langue
première (langue source) avec la langue étrangère (langue cible). Cela va permettre de mettre
en évidence les erreurs qui pourraient être commises lors de l’apprentissage de cette
deuxième, et de trouver des moyens pour les éviter. Selon R. Lado (1957) :
Les comparaisons de langues, selon les mêmes méthodes, permettent de prévoir les
problèmes d’apprentissage, par confrontation des structures phonologiques,
48

49
morphologiques, syntaxiques et lexico-sémantiques de la langue « source » et de la
langue « cible » : « en comparant chaque structure (pattern) dans les deux systèmes
linguistiques, nous pouvons découvrir tous les problèmes d’apprentissage. » (cité in
Besse et Porquier, 1991 : 201)
Cette méthode s’appelle « l’analyse contrastive ». Selon R. Galisson et D. Coste
(1976), elle a pour but de « mettre en évidence les différences de deux langues et permettre
ainsi l’élaboration de méthodes d’enseignement mieux appropriées aux difficultés spécifiques
que rencontre une population scolaire d’une langue première donnée, dans l’apprentissage
d’une langue étrangère. »
Cette méthode va permettre de présenter des structures propres à chaque langue, afin
d’éviter les transferts impossibles. R. Lado (1957) explique :
Ce qui est similaire est facilement transféré, donc facile à apprendre, ce qui est différent
donne lieu à transfert négatif - ou interférence - et donc à des erreurs, manifestations des
difficultés d’apprentissage. (cité in Besse et Porquier, 1991 : 201)
En effet, un enfant dont la langue première est l’anglais, et qui apprend le français aura
tendance à traduire : « I see them » par « Je vois les ». Il est alors nécessaire de lui présenter
des exercices permettant de mettre en lumière les différences entre les deux langues afin
d’éviter ce type de transfert.
Cependant, l’analyse contrastive possède quelques limites. En effet, certaines erreurs
vont être prévues et ne vont pas être rencontrées dans les productions. Au contraire, certaines
erreurs non prévues vont s’y retrouver. En effet, les recherches sur la possible influence d’une
langue sur l’autre vont être effectuées par des linguistes qui connaissent déjà le système des
deux langues. C.C. Fries (1945 : 9) explique que « les matériaux pédagogiques les plus
efficaces sont ceux qui sont basés sur une description scientifique de la langue à apprendre,
comparée avec une description parallèle de la langue maternelle de l’apprenant. » Cela peut
donc expliquer pourquoi certaines erreurs sont prévues et ne sont pas observées : l’analyse sur
la langue cible faite par les apprenants sera forcément différente de celle des linguistes.
L’apprenant ne connaissant pas la structure de la langue cible va parfois l’apprendre sans
transférer ses connaissances de sa langue source. H. Besse et R. Porquier (1991 : 204)
constatent ceci :
Bien des erreurs prévues par une analyse contrastive ne se produisent pas, ou rarement,
ou seulement à certains stades d’apprentissage, ou de façon aléatoire selon les individus,

les circonstances, les méthodes ou les exercices. Certaines, de façon apparemment
paradoxale, ne se produisent qu’à un niveau avancé.
Une autre critique à l’analyse contrastive est explicitée par ces auteurs. En effet, ils
avancent le fait qu’il n’est pas possible de prévoir des erreurs dans l’apprentissage d’une
langue, si on ne prend pas en compte la langue maternelle des apprenants. Cela signifie que
les transferts ne seront pas identiques pour un apprenant italien du français langue étrangère
que pour un apprenant japonais de cette même langue. Ceci s’explique par le fait que la
première ait une forme et une structure beaucoup plus proche du français que la seconde.
(exemple emprunté à Besse et Porquier, 1991 : 205)
Enfin, le transfert de la langue première vers la langue étrangère va varier en fonction
du niveau de connaissance dans celle-ci. Comme l’exposent H. Besse et R. Porquier (1991 :
203) :
[…] on doit constater que transferts positifs et négatifs ne peuvent s’opérer, chez
l’apprenant entre deux systèmes linguistiques, représentés par leurs descriptions
grammaticales, mais entre ce qu’il possède déjà de l’une et de l’autre. Le transfert ne peut
s’opérer alors qu’entre ce qui est déjà acquis, de la langue maternelle et de la langue
étrangère, et les données nouvelles d’acquisition.
En effet, pour un espagnol apprenant le français, certaines spécificités de sa langue
première vont pouvoir être transférées dans ses productions en langue seconde, comme le fait
de mettre du subjonctif imparfait après la locution « comme si » (como si) 7 . En revanche,
pour pouvoir commettre cette erreur, il faut que cet apprenant connaisse la formation de ce
temps en français. Pour traduire en français la phrase : « Mi hermano se viste como si fuera el
verano. » (Mon frère s’habille comme si on était en été), il dira certainement au début de son
apprentissage : « mon frère s’habille comme si on est en été. », puis petit à petit, il dira :
« Mon frère s’habille comme si on fût en été. ». Ainsi, plus les apprenants possèdent des
connaissances sur la langue cible, plus il leur est possible de transférer leurs connaissances
depuis la langue première.
C’est pourquoi, R. Di Pietro (1968 : 68), essaie de se détacher de cet ancrage
béhavioriste, et donne sa définition de ce que doit être l’analyse contrastive :
7 En espagnol, la locution « como si » est toujours suivie du subjonctif imparfait.
50

51
L’analyse contrastive peut être définie comme le processus qui consiste à montrer
comment chaque langue interprète des traits universaux communs sous des formes de
surface spécifique. (cité in Besse et Porquier, 1991 : 201)
Les enseignants voient alors l’avantage de cette méthode, qui leur paraît
« pédagogiquement utile ». En effet, ils vont alors présenter un même contenu de sens dans
les deux langues en présence, afin de permettre aux apprenants de bien voir la différence des
deux structures. C’est pourquoi, cette exposition explicite d’un même contenu de sens dans
deux langues différentes, va pouvoir servir pour l’enseignement des langues, mais aussi pour
la traduction ou la linguistique. (Besse et Porquier, 1991 : 206)
En ce qui concerne la langue des signes française et le français, l’analyse contrastive
peut tout à fait être utilisée dans l’enseignement de l’écrit. En effet, malgré les structures
différentes de ces deux langues (Sujet-Verbe-Objet en français ; Objet-Sujet-Verbe, en LSF),
cette méthode peut permettre de mettre en évidence les erreurs que pourraient commettre les
apprenants, et ainsi pouvoir comparer les énoncés dans les deux langues.
Il s’agit donc de « mettre en évidence des équivalences ou des différences dans
l’expression d’une même unité de sens. L’analyse contrastive a alors cet intérêt de faire
prendre conscience que ces deux langues sont différentes et peuvent véhiculer le même
contenu. » (Perini, Righini-Leroy, 2008 : 84) Cela peut donc permettre de présenter deux
structures différentes, afin de faire prendre conscience aux élèves que le passage d’une langue
à l’autre n’est pas du mot à mot, mais bien une traduction de sens.
La mise en place d’un tel exercice va permettre de comparer des énoncés produits dans
les deux langues, et donc de trouver des équivalences ou des différences pour exprimer une
même unité de sens. Un professeur pourra par exemple montrer qu’en LSF, on dit :
« AFFAIRES HUMAINES », alors qu’en français, on écrira plutôt en ce qui concerne les
humains. 8
8 En majuscule sont écrits les signes de la LSF, alors qu’en minuscule et en italique est retranscrit le français
écrit.

Partie 2 : Méthodologie et
recueil de données
Ainsi, ont été exposés ci-dessus différents points de vue sur l’entrée dans l’écrit d’un
enfant lambda. Grâce aux données relevées sur le terrain, nous allons maintenant voir ce qu’il
en est pour les enfants sourds. Ont-ils les mêmes conceptions de l’écrit que les enfants
entendants ? Ou bien acquièrent-ils ce code d’une façon différente ?
De plus, ci-dessus, a été présentée la place occupée par l’écrit dans l’enseignement des
jeunes sourds. Il est donc important ici de voir si, dans les écoles interrogées, l’écrit est
enseigné de la même manière, et aussi observer si cela a une incidence sur la manière dont les
enfants appréhendent ce nouveau code qu’est l’écrit.
Au vu des différentes théories sur l’entrée dans l’écrit, mais aussi sur la place de l’écrit
dans l’éducation des sourds, il apparaît important de partir de l’hypothèse que l’entrée dans
l’écrit s’effectue identiquement pour un enfant lambda, et pour un enfant sourd. Il est aussi
intéressant d’avancer l’idée que la méthode descendante, dans l’apprentissage de l’écrit par
l’enfant sourd, est la meilleure manière pour l’enfant d’acquérir cette modalité. En effet, très
nombreux sont les auteurs (Millet, Bouvet, Cuxac) qui avancent le fait que pour entrer dans
l’écrit, l’enfant sourd doit partir de la langue qui lui est la plus accessible : la langue visuo-
gestuelle.
1. La mise en place d’un test
1.1. La création d’un test pour les entendants
De nombreux auteurs se sont inspirés des travaux d’Emilia Ferreiro pour mettre en
place un test d’écriture inventée. Celle-ci utilise des mots issus du quotidien des enfants, tels
que des noms d’animaux ou des prénoms de l’entourage.
Néanmoins, une grande majorité des tests de E. Ferreiro sont en espagnol, celle-ci
ayant travaillé surtout en Amérique Latine. Les auteurs français ont donc repris ces items et
les ont adaptés à la langue française.
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C’est pourquoi l’an dernier lors de notre premier travail sur « l’entrée dans l’écrit de
l’enfant », travail effectué auprès d’enfants entendants, nous avons adapté un de ces tests pour
des enfants entendants français. Ce test doit permettre de mettre en évidence les concepts que
possèdent les enfants sur la langue écrite.
Après concertation, le test adopté était le suivant :
- crocodile
- chat
- chaton
- loup
- bébé
- canard
- le crocodile tire la trompe de l’éléphant
- [prénom de l’enfant] est un grand garçon / une grande fille
- AERUGÉBILOCV
Tout comme pour E. Ferreiro, les items choisis sont des items que peut facilement
rencontrer un enfant dans son quotidien. Il s’agit pour la majorité de noms d’animaux qui
peuvent se retrouver dans des contes, des dessins animés ou des jeux pour enfants.
De plus, ce test a été adapté à partir des écrits des auteurs, pour tester certains points
qu’ils avancent. En ce qui concerne les mots présentés seuls, ont été proposés deux noms de
gros animaux (crocodile et loup), deux noms d’animaux moyens (chat et canard) et enfin deux
noms de petits animaux (chaton et bébé). En fonction de la manière dont les enfants écrivent
ces mots, on peut mettre en lumière le traitement dans lequel ils se trouvent. Vont-ils écrire
plus gros les noms d’animaux au physique plus imposant ? Ou bien, vont-ils écrire les mots
oralement plus longs, sur un espace plus grand sur la feuille ?
La dyade 9 « chat », « chaton », a, elle, été choisie afin de vérifier si l’enfant traite
l’oral ou le visuel. En effet, ce sont deux animaux de la même famille, il est donc possible de
se demander si l’enfant va écrire ces deux mots avec des lettres communes ou non. De plus, le
« chaton » est un animal plus petit que le « chat », cela permet donc de tester l’hypothèse du
9 Le terme de dyade est défini par le Larousse comme un « couple de deux sujets, de deux éléments en
interaction ». (Larousse, dyade, n.f.)

traitement de l’oral ou du traitement visuel. En effet, si l’enfant fait un traitement visuel, il
écrira le « chaton » plus petit que le « chat ». A l’inverse, s’il fait un traitement de l’oral, il
écrira le chaton avec plus de lettres que le « chat ».
Le fait de présenter des mots dont le nombre de syllabes est variable n’était pas anodin
non plus. On retrouve donc deux mots d’une syllabe, trois de deux syllabes et un de quatre
syllabes (ou trois selon que l’on prononce le « e » muet à la fin ou non). Cela permet de savoir
si l’enfant est dans un traitement de l’oral ou non. En effet, s’il a atteint ce traitement, il aura
comme concept de l’écrit qu’un mot composé d’un nombre supérieur de syllabes s’écrira avec
plus de lettres. De plus, le fait de présenter des mots d’une syllabe permet de tester
l’hypothèse de quantité minimale, une des caractéristiques du traitement visuel. En effet,
comme cela a été présenté plus haut, certains enfants vont écrire les mots d’une syllabe avec
une seule lettre. Néanmoins, cela va poser problème à certains enfants qui ne vont pas vouloir
écrire des mots de moins de deux voire trois lettres.
Le mot « crocodile » et le mot « bébé » ont eux été choisis car certains enfants vont
avoir tendance à ne noter que les voyelles pour le premier mot, et deux « B » pour le second.
Cela permet donc de vérifier si les enfants s’autorisent ou non à écrire deux lettres identiques
côte à côte dans un même mot (OO pour crocodile, et BB pour bébé), et donc voir s’ils ont
une exigence de variété intra-figurale.
Le mot « canard », tout comme le mot « bébé » avec le son [be], peut mettre en
évidence l’écriture ou non du son [ka] avec le nom de la lettre qui correspond : K. De plus,
quatre noms d’animaux commencent par un « C », cela, afin de vérifier si l’enfant fait des
correspondances entre ces mots, s’il utilise une lettre commune dans tous ces mots permettant
de laisser croire qu’ils fait un rapprochement entre tous ces items.
La liste de lettres, elle, reflète le répertoire de lettres possédé par l’enfant. En effet, en
demandant à l’enfant d’écrire ces lettres, cela permet de faire des parallèles avec les mots
écrits par l’enfant.
Enfin, le fait de présenter des mots isolés, puis des phrases, permet de voir si les
enfants font une différence dans leur façon d’écrire leurs phrases et leurs mots. En effet,
certains vont écrire les phrases et les mots de la même façon, d’autres vont écrire les phrases
plus longues que les mots. De plus, certains enfants vont segmenter leurs phrases, d’autres
non. Cela permet donc encore de vérifier si l’enfant fait plutôt un traitement visuel ou un
traitement de l’oral.
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Dès lors, tous ces mots n’ont pas été choisis au hasard, et permettent de vérifier la
manière dont les enfants entrent dans l’écrit. En effet, selon la manière dont les enfants
écrivent et se comportent face à l’écrit, on peut en déduire dans quelle période ils se situent.
Cela met en évidence les différents procédés qu’ils utilisent pour faire face à cet objet qui leur
est inconnu qu’est l’écrit.
1.2. L’adaptation de ce test aux enfants sourds
Ce test et cette expérience ont toujours été menés auprès d’enfants entendants, mais
jamais auprès d’enfants sourds. Il a donc fallu adapter le test précédent à la spécificité de la
langue des signes, langue visuo-gestuelle et spatiale. De plus, il n’est souvent pas possible,
pour passer d’une langue à l’autre, de faire une traduction. En effet, ici, ce qui est testé, ce
n’est pas l’écriture des mots, mais bien les traits caractéristiques des items (monosyllabique
ou bisyllabique, par exemple), et les liens entre chaque mot (même famille, par exemple). Il a
donc fallu adapter le test de façon à retrouver les mêmes caractéristiques sur les signes que sur
les mots en français.
Le test retenu est donc le suivant :
- Camion
- Voiture
- Poisson
- Maison
- Château
- Bébé
- Maman
- Grand-mère
- Le bébé joue avec le poisson
- [prénom de l’enfant] est un grand garçon / une grande fille
- AERUGBILOCV
La présentation de mots de l’univers des enfants est encore une fois visible ici. Cela
permet de toucher un maximum d’enfants, et de faire en sorte que les signes soient compris
par des enfants âgés de 3 à 7 ans, âge des enfants constituant notre population.

Tout comme dans le test précédent, mis en place pour les entendants, on retrouve ici la
dyade « voiture » / « camion », qui met en avant deux objets de l’univers de l’enfant, qui
peuvent être écrits différemment selon le traitement dans lequel il se situe. En effet, il peut
écrire « camion » avec plus de lettres que « voiture » s’il considère le visuel. En revanche, s’il
prend en considération l’oral, il écrira à ce moment-là le mot « voiture » avec plus de lettre
que pour « camion ». De plus, cette dyade permet aussi de mettre en évidence ou non une
relation de famille dans l’écrit de l’enfant. En effet, en LSF, les deux signes sont très proches,
le premier, « voiture », étant effectué avec les mains plus resserrées que dans le deuxième. Si
l’enfant fait cette relation, il écrira sûrement ces deux mots avec quelques ressemblances.
La dyade « maman » / « grand-mère », elle, permet tout d’abord, comme pour la
précédente, de savoir si l’enfant fait ressortir dans son écrit une ressemblance entre ces deux
mots, mots de la même famille et effectués par deux signes quasiment identiques. En effet, un
signe est rajouté à celui de « maman » pour produire « grand-mère ». De plus, ces deux signes
ont un temps d’effectuation identique, mais le second, « grand-mère », est un signe
bisyllabique 10 . L’opposition monosyllabique / bisyllabique en LSF permet donc de voir ici si
l’enfant fait une différence dans son écrit.
Le fait de présenter le mot « bébé », permet ici de voir si, comme pour les enfants
entendants, les enfants sourds utilisent le nom de la lettre /b/ pour écrire phonétiquement le
mot. De plus, le fait de présenter ce mot isolément, tout comme le mot « poisson », permet
ensuite de le reprendre dans les phrases, afin de voir si l’enfant le réécrit identiquement la
deuxième fois.
Tout comme pour les enfants entendants, la présentation de mots d’une part, puis de
phrases d’autre part, permet de voir si l’enfant écrit ses mots plus courts que ses phrases ou si
ses mots et ses phrases ont la même longueur. Cela permet alors de mettre en lumière le
traitement auquel il appartient. Néanmoins, une différence avec le français oral vient du fait
qu’en LSF, les conjugaisons, et les « petits mots », tels que les articles ou les prépositions ne
peuvent pas être rendus. De plus, en LSF, certains verbes tels que le verbe « être », présent
dans la seconde phrase ne sont pas rendus non plus. Il faut donc, au moment de l’analyse des
résultats, prendre en considération tout cela.
10 En LSF, les signes bisyllabiques sont effectués par composition. Il s’agit de l’association de deux signes, soit
dans la symposition (en même temps : ex : prêter), soit dans la juxtaposition (l’un après l’autre : ex : grand-
mère). Néanmoins, les signes monosyllabiques et bisyllabiques ont une durée d’effectuation identique.
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1.3. Protocole de passation des tests auprès des enfants
Lors de la passation des tests auprès des enfants, les items ont été dictés dans l’ordre
dans lequel ils ont été présentés ci-dessus. Néanmoins, il y a eu certaines différences dans la
présentation des tests auprès des enfants. En effet, étant donné qu’allaient être interrogés des
enfants sourds âgés de 3-4 ans, nous avons préparé des images représentant les items qui
devaient leur être présentés, afin de s’assurer une intercompréhension, expérimentateur /
enfant.
Ainsi, avec les enfants de petite et moyenne section de maternelle, les signes ont été
précédés de la présentation d’une image. Ensuite, enquêteur et enfant ont réfléchi au signe de
l’item présenté, puis il était demandé à l’enfant d’écrire le mot. Seule l’image de l’item
« maman » n’était pas présentée, car il est difficile de trouver une image représentant cela.
Avec les enfants sourds des deux autres écoles, les images ont été laissées de côté, mais en
cas de non-compréhension de l’item par l’enfant, elles étaient à nouveau présentées. Les mots
leur étaient alors directement donné à l’oral (français et/ou LSF), sans réflexion ensemble du
signe ou du mot français, comme cela a été fait avec les enfants plus jeunes.
Ces images ont donc permis l’intercompréhension entre expérimentateur et enfant,
mais elles ont aussi permis de désambiguïser les signes des items. En effet, la LSF possédant
des variantes régionales, certains items, comme « maman » ne se signent pas de la même
manière d’une région à l’autre. Néanmoins, il est possible que ces images, du fait qu’elles
n’aient pas été présentées à tous les enfants, faussent quelque peu les résultats obtenus. Cette
variante est donc à prendre en considération dans l’analyse des résultats.
2. Présentation des sujets
Les sujets de ce travail sont des enfants âgés de 3 à 7 ans. Ils ont été interrogés dans 4
écoles différentes. Dix-huit élèves sont entendants, et vingt sont sourds. Pour des raisons
d’anonymat, les noms des écoles seront tus. En effet, pour l’analyse des résultats, les prénoms
des élèves sont nécessaires. Etant donné l’importance accordée aux prénoms par les auteurs, il
est donc compréhensible que, pour garder l’anonymat des enfants, le nom des écoles ne soit
pas donné.

2.1. Les élèves entendants
Les dix-huit élèves entendants ont tous été interrogés dans la même école. Il s’agit
d’une école de ZEP 11 . Ils sont scolarisés en classe de grande section de maternelle. Cette
classe est constituée de neuf filles et neuf garçons. Le matin, ils sont dans deux classes
séparées. Douze sont mélangés à des enfants de moyenne section de maternelle, six à des
enfants de CP. Le même programme, et les mêmes méthodes sont utilisés dans ces deux
classes. L’après-midi, ils se retrouvent tous ensembles pour faire des activités communes.
La méthode utilisée dans cette école pour enseigner l’écrit est une méthode totale
alliant la méthode descendante et la méthode ascendante. Les professeurs de l’école utilisent
beaucoup la dictée à l’adulte pour permettre aux enfants de « parler l’écrit ». Pour cela, après
une sortie scolaire par exemple, les enfants vont raconter leur journée, et le professeur va
noter les phrases données par les élèves pour leur faire prendre conscience du lien entre l’oral
et l’écrit. Enfin, de nombreuses activités sont liées à l’écrit, comme l’éphéméride du matin ou
la lecture d’histoires. De plus, on retrouve de nombreuses traces écrites dans les salles de
classe :
- plusieurs calendriers : un grand pour changer la date tous les matins, un plus petit
où sont inscrits les événements du mois (anniversaires, sorties …) ;
- les prénoms de tous les enfants sont aussi affichés sur un tableau pour voir le matin
qui est présent et qui est absent ;
- un abécédaire avec un mot correspondant à chaque lettre ;
- des affiches de sons. Il s’agit de fiches où sont inscrits en haut : un son, par
exemple [ch], et en dessous des mots connus par les enfants qui sont composés de
ce son, par exemple : chaise, niche, mouchoir.
2.2. Les élèves sourds d’une école bilingue
Les vingt élèves sourds ont été interrogés dans trois écoles différentes.
Les six premiers sont scolarisés en école bilingue, quatre en petite section de
maternelle, et deux en moyenne section. Il n’y a qu’une fille dans chaque niveau, les autres
élèves étant des garçons. Ces six enfants sont scolarisés dans la même classe, avec une
enseignante sourde, et une AVS entendante. Néanmoins, ils côtoient tous les jours des enfants
11 Zone d’Education Prioritaire
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entendants, puisque cette classe est intégrée dans une école ordinaire. Tous les six reçoivent
un enseignement de la LSF et du français écrit, en LSF. Une seule élève est appareillée, et les
six élèves sont issus de familles sourdes.
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L’écrit est enseigné selon la méthode descendante, le professeur donne un mot en LSF,
puis l’écrit au tableau, et en redonne ensuite le signe. Néanmoins, ces élèves étant âgés de 3 à
4 ans, ils n’ont pas encore réellement reçu d’enseignement de l’écrit. Celui-ci leur est
présenté, mais sans un réel enseignement.
La lecture, et donc l’objet livre, occupent aussi une place importante. En effet, tous les
matins, les six élèves sourds retrouvent leurs homologues entendants afin d’écouter une
histoire qui est racontée en français par l’instituteur des entendants, et en LSF par le
professeur sourd. A chaque page terminée, le professeur montre le livre aux enfants. Cela leur
permet aussi de faire un lien entre oral (français et LSF) et écrit. De plus, le français oral reste
présent dans le quotidien de ces enfants. En effet, au-delà des lectures faites en langue vocale
(et signées par le professeur sourd), et la présence des enfants entendants dans cette école, le
professeur sourd, lorsqu’elle s’adresse à eux vocalise tout ce qu’elle dit, en articulant
fortement. Cela donne donc aux enfants une représentation du français vocal, ce qui peut leur
permettre à leur tour de vocaliser et donc ensuite de faire un quelconque lien avec le français
écrit.
Ici aussi, de nombreux écrits ornent la salle de classe, et la salle de jeux : un calendrier
pour l’éphéméride du matin, de nombreux dessins avec les prénoms des enfants ou encore des
comptines accompagnées de petites images représentant les signes de la LSF. Cela permet aux
enfants de faire le lien entre l’oral et l’écrit. Cela se retrouve aussi dans la salle de jeux, où
l’on peut par exemple observer la présence du nom des enfants avec leur signe au-dessus de
leur porte-manteau.
2.3. Les élèves sourds en intégration collective
Ensuite, huit élèves ont été interrogés dans une école en intégration collective. Ils sont
tous les huit scolarisés dans une école ordinaire, mais dans une classe à part. C’est pourquoi
nous parlerons ici d’intégration collective. Trois de ces élèves sont scolarisés en CE1, les cinq
autres, en CP. Ils sont tous dans la même classe, avec une enseignante et une AVS entendante,
ainsi qu’une orthophoniste. Six sont du sexe masculin, et on retrouve une fille par niveau. Ces
huit élèves reçoivent un enseignement du français écrit et oral, en langue vocale. Néanmoins,

l’AVS reprend ensuite les cours avec les enfants en utilisant soit le LPC pour les enfants qui
communiquent avec ce code-ci, sinon la LSF pour ceux qui se sentent plus à l’aise avec cette
langue-là. La méthode Borel-Maisonny est elle aussi utilisée par bon nombre des enfants lors
de la révision des leçons avec l’AVS. Les huit élèves sont implantés. Sept communiquent en
majorité à l’oral, avec parfois quelques appuis de français signé pour se faire comprendre, un
seul communique plutôt en LSF. Ils ont tous des parents entendants.
Le français écrit est ici enseigné selon une méthode ascendante. Le professeur nous
explique qu’« il n’est pas possible avec les enfants sourds d’utiliser une méthode descendante,
car il leur faudrait apprendre par cœur plusieurs centaines de mots. » C’est pourquoi elle
utilise la méthode ascendante, afin de leur permettre de développer une conscience
phonologique. Ici, l’écrit est présent dans la classe en quantité très importante. De nombreux
sons sont écrits sur des feuilles, avec des mots qui illustrent ces sons (comme chez les
entendants). D’autres feuilles représentent les couleurs. De plus, de nombreux mots sont
inscrits au tableau, comme notamment les chiffres écrits selon leurs deux modalités (en
chiffres et en lettres). Enfin, des poèmes ornent les murs de la salle.
2.4. Les élèves sourds scolarisés en Centre spécialisé
Enfin, les six derniers enfants sont scolarisés dans un Centre d’Education Spécialisée.
Deux élèves sont sourds moyens appareillés, et deux sont sourds profonds implantés. Les
deux derniers sont sourds profonds, mais n’ont pas d’appareils. Tous deux communiquent en
LSF, les quatre autres communiquent en français oral, avec, pour les deux enfants implantés,
quelques appuis de français signé pour se comprendre. Les deux enfants sourds moyens
communiquent en français oral, sans appui de signes. Les six élèves ont des parents
entendants. Les enseignants et éducateurs sont tous entendants, et connaissent un peu la LSF
ou le français signé.
Pour ces élèves-là, la seule chose qui puisse être avancée, car la question a été posée
aux éducateurs, c’est que l’écrit leur est enseigné selon la méthode ascendante. Cependant,
pour les deux élèves s’exprimant en LSF, la méthode descendante est aussi très souvent
utilisée pour leur permettre d’accéder au sens, avant d’accéder aux phonèmes. Néanmoins, en
ce qui concerne la présence de l’écrit dans la classe, cela ne peut pas être décrit ici car nous
n’avons pas pu interroger les enfants sur le temps de la classe. Cependant, il peut quand même
être avancé le fait que l’écrit soit présent dans l’environnement de ces enfants, puisqu’une
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partie a été interrogée lorsqu’ils étaient à l’internat. Là, il est possible de voir de très
nombreux écrits dans les couloirs, les chambres, et les salles de repos, sous la forme de
comptines ou de règlement de bonne conduite par exemple.
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3. Analyse des résultats
Les élèves vont ici être présentés selon les écoles auxquels ils appartiennent, puis
selon leur classe :
- avec les grandes sections ou les CP pour les entendants
- petite section ou moyenne section pour les sourds de l’école bilingue
- CP ou CE1 pour les sourds en intégration collective
Pour les élèves du centre spécialisé, ils seront présentés selon leur mode de
communication.
alphabétique.
Enfin, à l’intérieur de chaque classe, les enfants seront exposés selon un ordre
3.1. Les enfants entendants de grande section de maternelle
3.1.1. Les enfants mélangés à ceux de moyenne section de maternelle.
Angel (cf. annexe 4), dans sa production utilise surtout les lettres de son prénom ainsi
que le /m/. Il utilise ces lettres, et les met dans différents ordres, comme on peut le voir dans
« chat », « chaton » et « loup » qu’il écrit MLG, NMG, NGM 12 , puis pour « bébé », il va
rajouter des lettres car il n’a plus de combinaisons possibles. Ceci peut illustrer une exigence
de variété intra-figurale. De plus, il a une exigence de quantité minimale, et une exigence de
quantité maximale, qui s’illustre par le fait qu’il écrive ses mots juste en dessous d’Angel, qui,
on peut penser, doit lui servir de modèle de longueur. Enfin, Angel s’aide beaucoup du
contexte pour écrire ses lettres. En effet, il cherche le /r/ sur le feutre avant de l’écrire, et il
regarde sa production pour écrire les autres lettres. Enfin, dans ses phrases, Angel donne de
l’importance aux acteurs. En effet, il n’écrit que « crocodile » et « éléphant » dans la première
12 Par un souci de compréhension, dans la suite du travail, seront écrit entre guillemets les mots donnés par
l’expérimentateur, et en italique les écrits des enfants (le fait de les écrire en majuscule ou en minuscule dépend
de ce qui a été produit par l’enfant). Enfin, seront notées entre barres horizontales les lettres.

phrase, qui, soit dit en passant, il différencie à l’aide des couleurs (crocodile en vert, et
éléphant en bleu); et dans la seconde phrase, il n’écrit qu’Angel, comme si le reste des phrases
était sous-entendu. Dès lors, Angel est très certainement dans le traitement visuel.
Dans la production d’Aymeric (cf. annexe 5), on observe quelques lettres pertinentes :
/o/ dans « crocodile », /ah/ dans « chat », et /b/ dans « bébé ». De plus, dans sa première
phrase, on peut remarquer quelques correspondances grapho-phonétiques : /r/ de
« crocodile », /i/ de « tire », /a/ de « la », /lé/ de « éléphant » (le /e/ à quatre barres étant un
/é/). On peut aussi voir qu’Aymeric utilise d’autres lettres que celles de son prénom. De plus,
nous pouvons remarquer qu’il commence à traiter l’oral, puisque quand nous lui avons
demandé pourquoi « chaton » était écrit avec plus de lettres que « chat », il nous a dit que
c’était « parce que le chat il est plus gros, mais il s’écrit avec moins de lettres. ». Ainsi,
Aymeric est encore dans du traitement visuel, mais il commence à comprendre des
caractéristiques du système de l’oral.
Quand nous analysons la production de Candice (cf. annexe 6), il est visible qu’elle a
une exigence de quantité minimale sauf pour « canard » qu’elle écrit avec une seule lettre :
/e/, et une exigence de quantité maximale (pas plus de 7 lettres par mots). Pour illustrer ceci,
on peut voir que Candice écrit ses mots exactement en dessous de son prénom : elle les
commence sous le premier /c/, et les termine sous le /e/. Son modèle de longueur, c’est son
prénom. On peut donc penser que pour elle tous les mots sont de la même longueur que ce-
dernier. De plus, Candice utilise surtout les lettres de son prénom ainsi que le /l/ et le /o/.
Enfin, on peut remarquer quelques phénomènes d’autocopie 13 par rapport à son prénom. En
effet, le /n/ dans tous ses mots se retrouve sous le /n/ de Candice, tout comme le /e/ et le /i/.
On peut donc penser que Candice se sert de son prénom comme d’un modèle, tant pour la
longueur de ses mots que pour l’ordre de ses lettres. Elle se représente l’écrit par rapport à ce
modèle. On peut donc penser que Candice se situe dans le traitement visuel.
Lorsqu’on analyse la production de Clémentine (cf. annexe 7), on s’aperçoit qu’elle a
un grand répertoire de lettres, puisqu’elle en utilise beaucoup de différentes en plus de celles
de son prénom. De plus, le fait qu’elle écrive ses mots avec beaucoup de lettres nous laisse à
penser qu’elle n’a pas d’exigence de quantité maximale, mais on voit bien que, malgré cela,
13 Il s’agit pour l’enfant de recopier plus ou moins fidèlement une même suite lettres
62

elle écrit ses mots sous son prénom. En effet, plus elle s’approche de la fin de celui-ci, plus
elle écrit des lettres petites. Ainsi, elle aligne ses mots par rapport à son prénom. De plus,
dans « chaton » et dans « loup », elle se permet de s’autocopier au début UOSAEB, et
OUSAEB. On peut donc penser qu’elle utilise les lettres qu’elle connaît et qu’elle les combine
de manières différentes, afin de former ses mots. Enfin, on peut aussi voir qu’elle écrit
« bébé » plus petit que les autres mots, et on peut donc ici émettre l’hypothèse qu’elle traite le
sens. On peut donc se permettre de dire que Clémentine se situe très certainement dans le
traitement visuel. Cependant, on peut remarquer que pour ses phrases, elle s’autorise à ne plus
écrire sous CLEMENTINE. Il est alors visible qu’elle a compris que les phrases sont plus
longues que les mots.
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Quand on regarde la production d’Elem (cf. annexe 8), on peut voir qu’elle dispose
d’un grand répertoire de lettres, et qu’elle n’utilise pas beaucoup les lettres de son prénom. On
peut donc émettre l’hypothèse que, pour elle, les lettres de son prénom ne servent qu’à ce-
dernier. Pour elle, les lettres sont toujours dans un ordre différent, et les mots ne commencent
jamais pareil. On peut donc aussi émettre l’hypothèse que, pour elle, un mot s’écrit toujours
de manière différente. Elem a donc une exigence de variété intra-figurale. De plus, elle a une
exigence de quantité minimale (4 lettres), et une exigence de quantité maximale (pas plus de 6
lettres). De plus, elle ne réécrit ni « Elem », ni « crocodile » dans ses phrases, et ses phrases
ne sont composées que de 4 lettres, comme si, pour elle les phrases s’écrivaient avec autant de
lettres que son prénom. On peut donc penser qu’ici elle utilise son prénom comme d’un
modèle. On peut donc dire qu’Elem se situe très certainement dans le traitement visuel.
Cependant, si dans « chat », le début de son écrit est caché, ne laissant visible que le /s/ final,
elle nous explique qu’il n’y a plus écrit « chat », mais « soleil ». Elle commence donc à faire
une correspondance terme à terme, si on cache une partie du mot, cela ne veut plus dire la
même chose, mais un nouveau mot. De plus, le /s/ est une lettre pertinente du mot « soleil ».
On peut ainsi, en regardant à nouveau la production d’Elem, voir s’il n’y a pas d’autres lettres
pertinentes. On s’aperçoit alors qu’elle utilise le /o/ seulement dans « Crocodile ». On peut
donc émettre l’hypothèse qu’elle commence à faire une relation oral / écrit.
La production d’Emmanuel (cf. annexe 9) montre une importance particulière
accordée à la longueur du mot. Ainsi ses segments sont tous de la même longueur. Lorsqu’il
n’a plus de place pour écrire, il revient à la ligne comme c’est le cas ci-dessous lorsqu’il écrit
« Emmanuel est un grand garçon » (cf. schéma 1) Ayant un prénom assez long, il dispose

d’un répertoire de lettres assez varié duquel il ne semble pas vouloir sortir, à l’exception du
/d/, /i/ et /f/. Emmanuel semble être très influencé par l’environnement : durant toute la
passation il n’a de cesse de regarder une affiche en face de lui répertoriant les « produits
laitiers ». On peut penser que les lettres en dehors de son prénom sont prises dans l’affiche.
On note également un phénomène d’autocopie assez flagrant. Le / i/ est repris quasiment
chaque fois comme avant dernière lettre (cf. schéma 2). Comme dans le mot « produit » qu’il
fixe. Le /m/, quant à lui, revient assez souvent en fin de phrase. Emmanuel se situe très
certainement dans le traitement visuel. Il ne semble pas encore avoir fait le lien avec l’oral. La
première phrase « le crocodile tire la trompe de l’éléphant » est de la même longueur que ses
autres segments. La seconde phrase est certes plus longue, mais cela est certainement dû au
fait qu’il écrive d’abord correctement son prénom avant de construire le reste du segment. On
observe chez Emmanuel une volonté nette de ne pas répéter deux fois la même lettre dans ses
segments, donc une exigence de variété intra-figurale mais aussi de quantité minimale.
(Schéma 1)
(Schéma2)
Léa (cf. annexe 10), elle, a une exigence de quantité minimale et maximale. Cela
s’illustre par le fait qu’elle aligne ses écrits par rapport à son prénom. En effet, elle a beau
avoir un prénom court (3 lettres), elle réussit à se débrouiller pour que ses écrits ne dépassent
pas beaucoup par rapport à celui-ci. De plus, on observe que même pour les lettres, chaque
fois qu’elle arrive au bout de son prénom, elle revient à la ligne. (Cf. schéma 3) De plus, elle
utilise des lettres de son prénom, mais pas que. En effet, ne disposant pas d’un répertoire
suffisamment riche au niveau de son prénom, elle en utilise d’autres, et elle varie ces lettres
de façon à former ses mots. De plus, on peut remarquer qu’elle s’autocopie beaucoup : pour le
/l/ en fin de mots ou le /a/ au début de la production. Il est donc probable que Léa est dans un
traitement visuel. Cependant, pour les mots « chat » et « chaton », elle commence avec la
même base OFA et OEA, même si elle change le /f/ en /e/. Ainsi, on peut se demander si ce
64

n’est pas ici un traitement de l’oral : elle aurait compris que « chat » et « chaton » s’écrivent
sur la même base. Cependant, si l’on regarde plus attentivement la production, on peut voir
que « crocodile » est écrit DFA, son /d/ ressemblant à un /o/, ce qui pourrait nous amener
plutôt vers une hypothèse d’autocopie entre ces trois items. C’est pourquoi on peut se
demander si elle est dans le début du traitement de l’oral ou si elle écrit cela dans un but de
variation. Ce qui pourrait renforcer l’hypothèse du début de l’oral, c’est le fait qu’elle écrive
« chaton » avec plus de lettres que « chat ». Peut-être ici a-t-elle compris que « chaton »
s’écrivait avec plus de lettres.
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(Schéma 3)
On remarque que Lola (cf. annexe 11) a une exigence de quantité minimale, et une
exigence de quantité maximale qui peut s’illustrer par le fait qu’elle écrive les mots juste en
dessous de son prénom. Son prénom lui sert de modèle de longueur pour ses mots. De plus,
dans ses phrases, elle ne sait pas réécrire « Lola » ni « crocodile ». Elle utilise aussi
l’autocopie pour ce qui est du /l/ au début, du /t/, du /a/ et du /i/. La plupart de ses mots
finissent par /i/. Enfin, elle à un prénom qui n’a pas beaucoup de lettres différentes, elle doit
donc varier ses mots avec d’autres lettres qu’elle connaît. On voit donc qu’elle a un répertoire
varié qu’elle utilise pour écrire ses mots en gardant une exigence de variété intra-figurale.
Avant « bébé », elle semble refuser d’écrire deux lettres identiques côte à côte. On peut alors
penser que Lola se situe dans le traitement visuel. Cependant, pour le mot « bébé », qu’elle
écrit GGAOIG, on peut se demander si ce n’est pas une manière pour Lola de faire apparaître
la double sonorité entendue à l’oral. Néanmoins, après les deux /g/, elle ajoute d’autres lettres.
On peut donc émettre l’hypothèse que Lola se trouve en conflit entre la quantité minimale, et
le début du traitement de l’oral. Cette hypothèse peut être appuyée par le fait qu’elle écrive
« chat » et « chaton » en commençant par un /o/, peut être pour faire apparaître le fait que ces
deux mots soient de la même famille. De plus, elle commence « loup » par les lettres LO, qui
sont des lettres pertinentes. Enfin, on se rend compte que « chaton » est écrit plus grand que
« chat », et on peut donc se demander si, ici aussi, elle ne fait pas une relation avec l’oral.
Ninon (cf. annexe 12), elle, a une exigence de quantité minimale, et de quantité
maximale (8 lettres par mots.). De plus, elle a une exigence de variété intra-figurale, et elle

utilise surtout les lettres de son prénom, ainsi que quelques autres. On peut aussi voir que
Ninon met autant de lettres dans la première phrase que dans le mot le plus long de sa
production. On s’aperçoit aussi qu’elle ne reprend pas le mot « crocodile » dans la phrase, et
qu’elle commence presque tous ses mots par un /o/, car pour elle, « tous les mots commencent
comme ça ». On peut donc dire que Ninon se trouve certainement dans un traitement visuel.
Cependant, si on lui cache deux lettres dans un mot, celui-ci ne veut plus dire la même chose :
si on cache NL (cf. Schéma 4) dans « crocodile », « il y a écrit : krokoda ». On peut donc
penser ici que Ninon commencerait à comprendre la relation oral / écrit.
(cf. schéma 4)
Samantha (cf. annexe 13), lorsqu’elle écrit, a une exigence de quantité minimale, et de
quantité maximale (pas plus de 7 lettres par mots). Cela peut s’illustrer par le fait qu’elle
prend pour modèle de longueur son prénom, elle écrit juste au-dessous de celui-ci. De plus,
Samantha n’utilise quasiment que les lettres de ce-dernier, sauf le /o/ qui apparaît dans le
troisième segment, pour varier, ainsi que le /p/ qui apparaît pour « canard ». On peut donc
penser que Samantha utilise ces nouvelles lettres dans un souci de variété intra-figurale. En
effet, on peut voir que jusqu’à la première phrase, elle semble refuser d’écrire deux fois la
même lettre dans un mot. Samantha dispose d’un petit répertoire de lettres qu’elle combine de
différentes manières, afin d’écrire les mots. C’est pourquoi, on peut penser qu’elle se situe
dans le traitement visuel.
Lorsque nous demandons à Tesnim (cf. annexe 14) d’écrire, il dessine. On peut donc
penser qu’il ne fait pas la différence entre écrire et dessiner. Cependant, lorsque nous lui
demandons d’écrire les lettres, il en produit plusieurs de pertinentes. D’autres sont fausses,
mais sont tout de même des lettres de l’alphabet, donc des lettres qu’il connaît. C’est pourquoi
on peut se demander s’il se situe dans un traitement figuratif ou si, comme il ne sait pas écrire,
et par peur de se tromper, il dessine.
66

67
Yllane (cf. annexe 15) a lui aussi une exigence de quantité minimale et maximale (pas
plus de 5 lettres par mots.) De plus, il a une exigence de variété intra-figurale. Il utilise les
lettres de son prénom plus quelques autres, mais aussi quelques pseudos lettres. On voit aussi
qu’Yllane écrit sa première phrase avec autant de lettres que dans le mot le plus long. Enfin,
on observe qu’il se sert de son prénom comme d’un modèle, pour la longueur de ses mots. En
effet, il écrit les mots en dessous de son prénom, il les commence sous le /y/, et les termine
sous le /e/. Son prénom lui sert donc de modèle de longueur. On peut donc penser qu’Yllane
est dans le traitement visuel. Cependant, il segmente sa première phrase grâce à un point entre
deux lettres (cf. Schéma 5): « pour faire un espace entre les mots » nous dit-il. On peut donc
penser qu’Yllane commence ici à faire une relation oral / écrit.
(Schéma 5)
3.1.2. Les enfants mélangés à ceux de CP
Dans la production d’Elsa (cf. annexe16), on trouve des mots écrits phonétiquement :
É (dans la première phrase), voire orthographiquement BÉBÉ, LOU 14 . De plus, elle segmente
bien ses phrases, elle a bien compris qu’une phrase est constituée de mots différents qu’il faut
séparer. C’est pourquoi, on peut dire qu’Elsa a bien compris la relation oral / écrit, et se situe
donc dans un traitement de l’oral.
Pour Enzo (cf. annexe 17), le mot n’a besoin que d’une graphie pour être codifié. Il est
capable de se rappeler ce qu’il a écrit, ce qui est une preuve de stabilité de son écrit. Ainsi
lorsqu’il écrit « le crocodile tire la trompe de l’éléphant », il reprend la lettre utilisée
précédemment pour écrire « crocodile » (cf. schémas 6 et 7). Dans cette phrase on peut aussi
considérer qu’il accorde plus facilement d’importance aux noms. Il ne codifie que
« crocodile » et « éléphant » le reste semble bien moins important. On peut également noter
que certaines des lettres choisies pour codifier les mots sont pertinentes. On retrouve le /b/ de
« bébé » et le /e/ d’ « éléphant ». Enzo connaît toutes les lettres demandées, il refusera tout de
14 Le terme d’écriture orthographique sera employé comme faisant référence aux préoccupations de l’enfant sur
l’écrit. Cela ne signifiera pas pour autant que la production ne possèdera pas des fautes d’orthographe.

même d’écrire /é/ car il ne sait pas l’écrire. On peut considérer qu’Enzo se trouve dans un
traitement visuel.
(Schéma 6) (Schéma 7)
Quand on regarde la production de Fantine (cf. annexe 18), on retrouve des
correspondances grapho-phonétiques, comme dans « crocodile » : EOEOILE ou dans
« chat » : GAHA, mais on retrouve aussi des écritures phonétiques strictes, comme dans
« bébé » : BB et dans « canard » : KNRA. De plus, Fantine à compris le traitement syllabique,
puisque quand on lui cache EOILE dans « crocodile », elle sait qu’il reste écrit [kro]. Ensuite,
il est vraisemblable qu’elle a compris que « chat » et « chaton » sont de la même famille,
puisqu’elle écrit GA pour « chat » et le répète pour « chaton ». Cependant, elle ne segmente
pas ses phrases, comme si une phrase était un ensemble, même si l’on retrouve des
correspondances grapho-phonétiques : GN pour « grande » et FE pour « fille ». Dès lors, on
peut penser que Fantine est déjà entrée dans le traitement de l’oral, tout en gardant quelques
caractéristiques du traitement visuel, notamment lors de la production des phrases.
Pour Ilhan (cf. annexe 19), on remarque que, contrairement aux autres enfants, il
n’écrit pas en colonne mais en ligne (cf. schéma 8). On peut voir qu’il utilise beaucoup de
lettres de son prénom, et qu’il les combine de manières différentes afin de constituer ses mots.
Pour cela, on voit qu’il fait de grands efforts de variété avec les lettres dont il dispose. De
plus, on remarque des phénomènes d’autocopie par rapport à son prénom : il écrit souvent le
/l/ suivi du /h/ et du /a/. On remarque également ce phénomène d’autocopie dans « loup » et
dans « canard », puisqu’il commence le premier par AK, et le second par KA, les deux mots
étant écrits l’un au-dessus de l’autre. On peut aussi voir qu’il a une exigence de variété intra-
figurale, puisqu’il ne s’autorise qu’au bout d’un moment à recopier deux lettres côte à côte.
On peut donc dire qu’Ilhan est dans le traitement visuel. Cependant, on observe qu’il écrit
« chaton » avec plus de lettres que « chat », on peut donc émettre l’hypothèse qu’ici il traite
l’oral. De plus, on peut appuyer cette hypothèse par le fait qu’il utilise le /o/ seulement dans
68

« Crocodile », qui est une lettre pertinente, et par le fait qu’il commence « chat » par un /a/,
pertinent aussi. On aurait pu se demander si le fait qu’il commence « canard » par KA était
aussi pertinent, cependant, quand il lui a été demandé d’écrire « canapé », il n’a pas repris ces
lettres.
69
(schéma 8)
Tristan (cf. annexe 20), lui, écrit orthographiquement. En effet, il a bien compris les
caractéristiques de l’écrit, il a compris que c’est lié à l’oral, et qu’il faut ensuite se confronter
à des problèmes d’orthographe. On peut donc dire que Tristan se trouve dans le traitement
orthographique.
Enfin, dans la production de Yanis (cf. annexe 21), comme dans celle de Fantine, on
retrouve des correspondances grapho-phonétiques : ROROIS pour « crocodile » par exemple
ou LOOUE pour « loup ». Ici, on peut voir qu’il ajoute un /e/ à la fin du mot, et on peut
penser qu’il sait qu’il y a quelque chose à la fin, mais qu’il ne sait pas quoi. C’est pourquoi,
on peut dire que Yanis se situe dans le traitement de l’oral. Cependant, on s’aperçoit qu’il
reste en conflit cognitif face au traitement de l’oral, puisque, lorsqu’il est confronté à des
problèmes de variété intra-figurale, comme dans « bébé » par exemple qu’il écrit BRB, il ne
veut pas écrire deux lettres identiques côte à côte. En revanche, si on lui cache le /r/ il y a
toujours écrit « bébé ». Ensuite, dans sa deuxième phrase, il est visible que, quand il ne sait
pas, il procède à de l’autocopie. En effet, il ne sait pas écrire « est un grand garçon », du coup,
il regarde dans la phrase du dessus et recopie quasi exactement la fin : phrase 1 : LAROLEC,
et phrase 2 : LALEC.(cf. schéma 9) Enfin, il considère encore la phrase comme un tout,

puisqu’il ne segmente pas ses mots. Ainsi, Yanis, semble être entré dans le traitement de
l’oral, tout en gardant quelques caractéristiques propres au traitement visuel.
(Schéma 9)
3.1.3. Tableau de synthèse des enfants entendants
70

71
Traitement
figuratif
dessin tracés Pseudolettres
Lettres
conventionnelles
Exigence de
quantité minimale
Exigence de
quantité maximale
Traitement visuel
Importance du
prénom
Stabilité
de l’écrit
Variété intrafigurale
Importance
des acteurs
Autocopie
Variation en
fonction du sens
Enfants de la classe 1
Angel X X X X X X
Aymeric X X X
Candice X X X X
Clémentine X X X X
Elem X X X X X
Emmanuel X X X X X
Léa X X X X X X
Lola X X X X X X
Ninon X X X X X X
Samantha X X X X X
Tesnim X X
Yllane X X X X X X
Enfants de la classe 2
Elsa X X
Enzo X X X
Fantine X X
Ilhan X X X X
Tristan X X
Yanis X X X X X

Phrases plus
longues que
les mots
Une lettre par mot
dans la phrase
Segmentation
de la phrase
Une lettre par
syllabe dans les
mots
Traitement de l’oral
Correspondances
graphophonétiques
Enfants de la classe 1
Ecriture
phonétique
Correspondances
terme à terme
Lien oral /
écrit
Lien entre mots
de la même
famille
Traitement
orthographique
Correspondances
orthographiques
Angel
Aymeric X X
Candice
Clémentine X
Elem X X
Emmanuel
Léa X X
Lola X X X
Ninon X X
Samantha
Tesnim
Yllane X X
Enfants de la classe 2
Elsa X X X X
Enzo X
Fantine X X X X X X
Ilhan X X
Tristan X
Yanis X X X
72

73
3.2. Les enfants sourds de petite et moyenne section de maternelle de
l’école bilingue
3.2.1. Les enfants de petite section de maternelle
Lorsque l’on observe la production de Joackim (cf. Annexe 22), on peut tout d’abord
se rendre compte qu’il alterne entre du dessin : « voiture », « Joackim est un grand garçon »,
et de l’écriture via des lettres : « maman », « bébé ». L’écrit reste donc très lié au dessin. On
peut donc penser que Joackim est dans un traitement figuratif. Néanmoins, certains mots sont
écrits avec des correspondances grapho-phonétiques. Pour ce qui est du mot « maman », lors
de sa production, il commence par écrire un /m/, puis il s’arrête. Après que l’enquêteur lui a
demandé s’il a terminé, il ajoute un /m/. Cela se reproduit pour le /n/.(cf. schéma 10). On peut
en déduire ici que, soit Joackim a une exigence de quantité minimale (pas moins de trois
lettres), soit il connaît ce mot. De plus, il convient de dire que Joackim est dans un conflit
cognitif entre traitement figuratif et traitement visuel. En effet, dans le mot « maison », il
mélange dessin et écrit (cf. schéma 11). Si l’on s’arrête maintenant sur la phrase « le bébé
joue avec le poisson », on voit qu’elle est représentée par un trait horizontal. Ainsi, on peut
dire que Joackim a compris qu’une phrase est plus longue qu’un mot, et représente un tout,
non segmenté et linéaire. Enfin, Joackim, écrit ses lettres sur toute la spatialité de la page. On
pourrait penser qu’il fait ici un lien avec la LSF, celle-ci étant une langue visuo-gestuelle
utilisant l’espace. On observe de nombreuses pseudo-lettres, ce qui signifie que Joackim
possède un petit répertoire de lettres, mais qu’il essaie de combler ce manque en créant des
lettres qui ressemblent quand même quelque peu à des lettres conventionnelles. On peut donc
conclure en disant que Joackim se situerais dans un traitement figuratif, mais il commence à
comprendre certaines caractéristiques de l’écrit.
(schéma 10) (schéma 11)
Paul-Louis (cf. annexe 23) écrit son prénom grâce à deux traits. Cela est peut être dû
au fait qu’il a un prénom composé, et donc, il représente un tracé pour chaque mot. Pour cet

enfant, l’écrit possède un lien très étroit avec le dessin. En effet, si une image ne lui est pas
présentée, il « ne peut pas écrire » nous dit-il. C’est ce qui s’est produit avec le mot
« maman ». De plus, pour lui, écrire c’est dessiner. Tous les mots qu’il représente le sont sous
forme de dessin. Cela s’observe aussi par le fait que Paul-Louis représente les lettres données
en dactylologie aussi sous forme de dessin (cf. schéma 12). Enfin, il est visible que Paul-
Louis fait des liens entre la réalité et l’écrit. En effet, il représente « voiture » plus petit que
« camion ». Il est donc clairement visible ici que Paul-Louis est dans un traitement figuratif
de l’écrit, mais ceci peut être nuancé par l’argument précédent. En effet, cette dernière
caractéristique est un trait prégnant du traitement visuel. Paul-Louis commence donc à
comprendre certaines caractéristiques du traitement visuel. Cette idée peut être renforcée par
le fait que son écrit commence à avoir une certaine stabilité : il est capable de se souvenir de
ce qu’il a écrit.
Grandmère
(schéma 12)
En ce qui concerne l’écrit de Rose (cf. annexe 24), on peut tout d’abord voir que, pour
elle, cela est très lié au dessin, comme dans « bébé », « maman » ou « grand-mère ».
Néanmoins, elle représente aussi certains mots avec une trace différente du dessin, comme
pour « voiture », « camion » ou encore les deux phrases. Arrêtons-nous un peu sur ces
dernières. Rose semble commencer à comprendre qu’une phrase est une suite de mots,
puisque dans la première, le trait vertical représente « bébé », le trait horizontal « poisson », et
enfin, le quart de cercle représente le mot « jouer ». En effet, à chaque fois qu’elle va
représenter un de ces traits, elle répète le signe qu’elle va écrire. (cf. schéma 13) En ce qui
concerne la seconde phrase, il est visible qu’elle la représente sous la forme d’une ligne
horizontale, comme pour signifier ici la compréhension de sa part qu’une phrase représente
une unité linéaire. Ainsi, elle représente ses deux phrases de deux façons différentes, mais il
R
I
A
C
L
E
74

semble qu’elle ait compris dans les deux cas qu’une phrase est une unité. Néanmoins,
contrairement à Joackim, elle ne semble pas encore avoir réellement fait la différence entre un
mot et une phrase. En effet, ses deux phrases sont représentées de manière plus petite que le
mot « voiture ». Une autre différence entre ces deux enfants peut venir du fait que Rose
semble commencer à comprendre qu’une phrase se segmente (cf. explication précédente sur la
première phrase). Enfin, ce qui est visible dans l’écrit de Rose, c’est une certaine différence
dans la représentation de ses lettres. Elle représente les lettres de « Rose » plus grande que les
lettres qui lui sont ensuite demandées isolément, comme si elle donnait une prédominance à
son prénom sur le reste de sa production. De plus, il est visible qu’elle représente à la fois des
lettres conventionnelles et des pseudo-lettres. Elle marque d’ailleurs une différence dans
l’écriture de ces deux types de lettres : les lettres conventionnelles, sont écrites sur une même
ligne, alors que les pseudo-lettres le sont à la verticale. (cf. schéma 14) Il est donc possible de
dire qu’elle a compris que les pseudo-lettres qu’elle utilise ne sont pas des lettres
conventionnelles, et qu’elles ne peuvent donc pas être écrites sur une ligne horizontale. Ainsi,
Rose semble être encore dans un traitement figuratif, mais elle commence à rentrer dans un
traitement visuel
75
(schéma 13)
(schéma 14)
Thomas, quant à lui, (cf. annexe 25) dessine clairement lorsque nous lui demandons
d’écrire. Pour lui, écrire, c’est la même chose que dessiner. De plus, Thomas refuse
d’ « écrire » des mots qu’il ne sait pas représenter, comme « grand-mère » ou « poisson » ou
même la phrase « le bébé joue avec le poisson ». Il est aussi visible lorsque nous discutons
avec lui, que, selon sa conception de l’écrit, celui-ci est lié à l’image. En effet, si nous ne lui
présentons pas d’image, Thomas ne peut pas écrire. C’est le cas pour « maman ». On

emarque que le mot « voiture » est écrit plus petit que le mot « camion ». On peut donc
envisager ici le fait que Thomas fasse un lien avec la réalité. Cela se retrouve dans la phrase
« Thomas est un grand garçon », représentée par un grand bonhomme. Il est aussi possible de
dire qu’il donne de l’importance à l’acteur de la phrase, seul élément « écrit », comme si le
reste était sous-entendu. Lorsqu’il est demandé à Thomas d’écrire son prénom, il ne produit
que le « T » : il s’écrit pour lui avec une seule et unique lettre. Néanmoins, lors de la
production des lettres, il refuse catégoriquement de reproduire celles qui ne seraient pas dans
son prénom : « je ne peux pas les écrire », nous dit-il. C’est alors qu’il accepte d’écrire le
« H », le « M » et le « S », bien que ne faisant pas partie de la liste des lettres données par
l’expérimentateur. Il ne rajoute pas le « O », car pour lui l’endroit où il a produit le mot
« voiture » représente le « O » de son prénom. Son écrit n’a donc pas de stabilité, une même
écriture, en fonction de ce à quoi elle est associée, peut avoir des significations différentes.
Enfin, en ce qui concerne le « A », Thomas le représente en observant bien le doigt de
l’expérimentateur. Il est possible de dire que, pour cette lettre, Thomas reproduit un tracé, ne
s’agissant pas de pseudo-lettre, ni de lettre conventionnelle. Ainsi, pour lui, l’écrit n’est
qu’une représentation figurative de l’oral. Il est donc possible de conclure que Thomas est
dans un traitement figuratif.
3.2.2. Les enfants de moyenne section de maternelle
Lorsque l’on observe la production d’Arthur (cf. annexe 26), on se rend tout de suite
compte que, pour lui, l’écriture est très liée au dessin. En effet, il ne peut écrire que si une
image lui est présentée, comme pour « voiture », « camion » et « bébé ». Si l’on observe la
taille de ses dessins, on se rend compte que le camion est nettement plus grand que la voiture,
ce qui pourrait signifier qu’Arthur fait ici une relation avec la réalité. Si l’on s’attache
maintenant à regarder la production des lettres d’Arthur, on peut remarquer que malgré
quelques erreurs, il ne s’agit que de lettres conventionnelles. On peut donc voir ici qu’Arthur
connaît un répertoire assez grand de lettres, mais qu’il n’a sans doute pas encore fait le lien
entre ces lettres connues, et l’utilité qu’elles ont pour produire les mots. Néanmoins, il est
remarquable qu’il a certainement compris que l’écriture est quelque chose de linéaire,
puisque, contrairement aux enfants présentés précédemment, il produit ses lettres sur une
même ligne. Arthur semble donc être encore dans un traitement figuratif tout en commençant
à comprendre certains aspects propres à l’écriture (comme la linéarité). Cependant, tout
76

comme pour Tesnim (enfant entendant), il est aussi possible d’émettre l’hypothèse que, ne
sachant pas écrire, et par peur de se tromper, Arthur décide de dessiner.
77
Si on observe attentivement la production de Fiona (cf. annexe 27), la première chose
qui nous frappe est le phénomène très présent d’autocopie, et l’importance du prénom pour
cette enfant. Tous ses items (mots ou phrases), sauf « maman » sont écrits : FIONA. Elle-nous
explique : « Tous les mots ont un sens différent, mais ils s’écrivent pareil ». On pourrait donc
avancer l’idée que Fiona a une exigence de quantité minimale et maximale, ne s’autorisant
pas à dépasser son prénom, qui lui sert de modèle. Pour contredire cela, on peut mettre en
avant le fait qu’elle produise « maman » avec une seule lettre, ce qui nous laisse croire qu’il
s’agit d’un mot connu. Pour cette enfant, les phrases s’écrivent identiquement aux mots, la
première étant encore une fois écrite FIONA. Enfin, tout comme pour Arthur, on peut voir
l’importance chez Fiona de la linéarité de l’écrit. En effet, lors de l’écriture des lettres, elle se
trouve gênée par le dessin de la « grande fille ». Elle explique à l’expérimentateur qu’elle ne
peut pas écrire les lettres suivantes car elle « n’a pas la place ». Ce n’est que quand ce-dernier
lui dit qu’elle peut écrire en dessous qu’elle s’autorise à le faire. Néanmoins, elle finit en
écrivant ses lettres en colonne comme pour signifier qu’il y a un lien entre les différentes
lettres produites. Il est donc possible de dire que Fiona est dans un traitement visuel.
Cependant, il est visible que Fiona écrit « maman » avec un m, lettre pertinente. Elle déroge
ici à la règle qu’elle s’est fixée au début : « tous les mots ont un sens différent mais s’écrivent
pareil. ». On peut ici émettre deux hypothèses face à ce m : ou bien elle fait un lien avec le
mot de la langue vocale ou bien il s’agit d’un mot connu. Cette deuxième hypothèse pourrait
être la bonne, puisqu’elle n’est pas la seule à représenter ce mot avec des lettres pertinentes
(cf. Joackim). Il est donc possible d’avancer qu’elle est certes dans un traitement visuel, mais
grâce à l’enseignement de l’écrit à l’école, elle est en conflit cognitif avec certains écrits, ce
qui lui permet d’accéder peu à peu à un traitement de l’oral.
3.2.3. Tableau de synthèse des enfants sourds de l’école bilingue

Traitement
figuratif
dessin tracés Pseudolettres
Lettres
conventionnelles
Exigence de
quantité minimale
Exigence de
quantité maximale
Traitement visuel
Importance du
prénom
Stabilité
de l’écrit
Variété intrafigurale
Importance
des acteurs
Autocopie
Variation en
fonction du sens
Enfants de petite section de maternelle
Joackim X X X X X
Paul-Louis X X X X
Rose X X X X X X
Thomas X X X X X X
Enfants de moyenne section de maternelle
Arthur X X X
Fiona X X X X X X
Phrases plus
longues que
les mots
Une lettre par mot
dans la phrase
Segmentation
de la phrase
Une lettre par
syllabe dans les
mots
Traitement de l’oral
Correspondances
graphophonétiques
Ecriture
phonétique
Enfants de petite section de maternelle
Joackim X X
Paul-Louis
Rose X
Thomas
Enfants de moyenne section de maternelle
Arthur
Fiona X
Correspondances
terme à terme
Lien oral /
écrit
Lien entre mots
de la même
famille
Traitement
orthographique
Correspondances
orthographiques
78

79
3.3. Les enfants sourds de CP et CE1 en intégration collective
3.3.1. Les enfants de CP
Si l’on observe la production d’Adam (cf. annexe 28), on peut tout d’abord voir de
nombreuses correspondances grapho-phonétiques, comme dans « poisson » : pammon. Ici, on
observe le double /m/, ce qui semble montrer qu’il se souvient qu’une double consonne est
nécessaire. Néanmoins, on observe que, dans sa première phrase, il écrit « poisson »
orthographiquement. Il est possible d’avancer ici qu’il n’a pas fait le lien entre le mot isolé et
la phrase. On retrouve d’autres mots écrits orthographiquement, comme « voiture », « bébé »,
ou encore « château ». Pour ce dernier, on voit que l’enfant confond le son [o] et le son [ɔ̃ ].
Nous verrons au fil des analyses qu’il n’est pas le seul à commettre cette erreur. Ainsi, il est
possible de conclure qu’Adam est dans un traitement de l’oral, mais il commence à entrer
dans un traitement orthographique. Nous pouvons appuyer cette idée par le fait que, lorsque
l’expérimentateur a donné le mot, et avant de l’écrire, Adam répète l’item en détachant
chaque syllabe, pour bien appuyer le lien avec le français oral. Néanmoins, en ce qui concerne
les phrases, certains traits spécifiques du traitement visuel sont observables. En effet, Adam
ne segmente pas ses phrases de façon claire. En ce qui concerne la seconde, seul le mot Adam
est séparé des autres, comme pour donner de l’importance à son prénom. Les deux phrases
sont données à Adam à l’oral, avec un appui de français signé, mais proche de la LSF, c’est à
dire, où les conjugaisons, les déterminants, et le verbe « être » de la seconde phrase ne sont
pas signés. Cela explique certainement le fait que le mot « joue » soit écrit à l’infinitif : jouer,
ou encore l’absence des déterminants et du verbe « être ». Adam se situe donc très
certainement dans un traitement de l’oral, tout en gardant quelques caractéristiques du
traitement précédent, et en commençant à comprendre l’orthographe française.
Si l’on observe la production d’Enzo (cf. annexe 29), on peut voir qu’il écrit de
nombreux mots avec des correspondances grapho-phonétiques, comme « camion » : tayo ou
bien « maison » : pévo. D’autres sont écrits orthographiquement, comme « voiture » et
« bébé ». Néanmoins, dans sa production, quelques phénomènes caractéristiques du traitement
visuel, comme l’autocopie sont visibles. En effet, dans le mot « maman », il répète trois fois
la syllabe « ma ». Cela se retrouve aussi sur les mots tayo, poiso, et pévo, qu’Enzo termine par
un « o », comme dans son prénom. Cette importance du prénom peut se retrouver dans les

mots qu’Enzo ne sait pas écrire orthographiquement : ils sont alignés sous son prénom. Enfin,
une des caractéristiques de sa production vient du fait que, lorsqu’il ne sait pas écrire, il
dessine. Néanmoins, il n’est pas possible de conclure ici qu’Enzo garderait certaines
caractéristiques du traitement figuratif. En effet, lui-même explique à l’expérimentateur que,
ne sachant pas écrire « château » par exemple, il le dessine. En revanche, en ce qui concerne
les phrases, il n’en a pas encore compris les caractéristiques. En effet, même s’il ne sait pas
écrire certains mots, il sait écrire « Enzo », « bébé » ou encore « poisson », mots présentés
isolément. Néanmoins, il dessine. Ainsi, pour lui, le dessin serait un moyen de répondre aux
problèmes posés par l’écrit. De plus, dans ces dernières, il est possible de voir qu’il ne
représente que les acteurs, comme si le reste était sans importance, sous-entendu. Enzo
commence donc à entrer dans un traitement de l’oral, tout en gardant encore des
caractéristiques du traitement visuel.
En observant la production de Fodé (cf. annexe 30), on voit deux choses différentes :
tout d’abord des dessins : « camion », « poisson », puis de l’écrit. Pour communiquer avec
Fodé, l’expérimentateur utilise la LSF et le français oral. En ce qui concerne les dessins, il est
possible de dire que, soit Fodé garde quelques caractéristiques d’un traitement figuratif, soit
ne sachant pas écrire certains mots, il dessine. Si l’on analyse plus précisément les mots qu’il
écrit, on observe beaucoup de correspondances grapho-phonétiques, comme dans « maison » :
pison, mais aussi des mots écrits orthographiquement, comme « bébé » ou « maman ». En ce
qui concerne le mot « grand-mère », on peut voir qu’il a écrit mami. On peut émettre plusieurs
hypothèses sur cette production : ou bien Fodé écrit plus souvent « mamie » que « grand-
mère », c’est pourquoi il a choisi le premier ; ou bien ne sachant pas écrire l’item qui lui est
donné, il écrit un synonyme qu’il sait produire. Enfin, on peut penser aussi que Fodé, ayant vu
le signe de « maman », composant les deux mots en LSF, fait ici un lien de famille en
recopiant « mam » dans les deux mots, le changement de lettre à la fin, faisant part de la
différence de sens. Si l’on s’attarde enfin sur les phrases, on remarque tout d’abord que cette
fois-ci, Fodé essaie d’écrire le mot « poisson ». Cela nous amène à conclure qu’il n’y a pas de
stabilité dans son écrit. De plus, dans les deux phrases, il écrit principalement les mots signés
en LSF. On peut donc dire qu’il a tout de même compris ce qu’est une phrase, même s’il
n’écrit pas tous les mots attendus. Fodé est donc entré dans un traitement de l’oral, tout en
gardant quelques caractéristiques des traitements antérieurs.
80

81
En observant la production de Margot (cf. annexe 31), on observe tout d’abord que ses
mots sont tous écrits phonétiquement : metson ou même orthographiquement : bébé ou
poison. De plus, dans ses phrases, ces deux mots vont être repris tels quels. Son écrit est donc
stable. De plus, lors de la passation du test par Margot, comme la majorité des enfants
précédents, elle répète les mots en en détachant les syllabes. Néanmoins, le mot « grand-
mère » semble lui poser un problème, puisqu’elle ne l’écrit pas phonétiquement. Elle l’écrit :
mémère. On peut penser que Margot fait un lien de famille entre le mot « maman » et le mot
« grand-mère », le double /m/ exprimant ce lien. De plus, autre chose montre que Margot doit
se trouver dans un traitement de l’oral, car elle écrit mémère avec plus de lettres que maman.
Cela met bien en avant le fait qu’à l’oral « grand-mère » est plus long que « maman ».
Comme pour Fodé (avec le mot « mamie »), on peut aussi se demander si Margot n’appelle
pas sa grand-mère « mémère ». Cela expliquerait le fait qu’elle l’écrive ainsi. Il est néanmoins
visible que tous ses mots sont parfaitement alignés, pas sous son prénom, comme souvent
chez les enfants, mais sous le premier mot présenté. Cela continue à être visible dans ses
phrases. En effet, elle écrit la quasi-totalité des mots de ses phrases les uns au-dessous des
autres, mais en les séparant bien (cf. schéma 15). Il serait possible de conclure que Margot
n’a peut être pas encore compris qu’une phrase est plus longue qu’un mot, c’est pourquoi elle
les aligne sous les mots. En revanche, dans la deuxième phrase, elle écrit « est » : sé. On
pourrait donc avancer ici que Margot a une exigence de quantité minimale, c’est pourquoi elle
s’interdit d’écrire le « é » tout seul. On peut conclure que Margot est dans un traitement de
l’oral, tout en gardant quelques caractéristiques du traitement visuel.
(schéma 15)
Trey, (cf. annexe 32), contrairement aux autres enfants, écrit en ligne. De plus, on
observe une différence entre l’écriture de son prénom et l’écriture de ses mots. En effet, ces
derniers sont écrits en minuscules, alors que celui-ci est écrit en majuscule (cf. schéma 16).
On peut en déduire que cela doit être une manière de lui donner de l’importance. Si l’on
s’attarde maintenant un peu plus sur l’écriture des mots, on peut voir que Trey fait de

nombreuses correspondances grapho-phonétiques, comme dans vajeve (« voiture ») ou encore
néjon (« maison »). D’autres mots sont en revanche écrits orthographiquement, comme bébé
ou maman. Si l’on s’attarde un peu plus sur la production des phrases de Trey, on s’aperçoit
qu’il continue à écrire sur une seule ligne, mais il ne sépare pas ses mots. Ainsi, il a compris
qu’une phrase est une unité linéaire, mais cela reste pour lui une unité indissociable. Ce qui
est aussi visible dans la production des phrases par rapport à celle des mots, c’est qu’elles sont
écrites sur un espace plus grand que les mots. Il a donc compris qu’une phrase est plus longue
qu’un mot : une unité de sens plus longue à l’oral, sera plus longue à l’écrit. De plus, il n’écrit
que les acteurs. Pour lui, ce qui est important dans la phrase, c’est les acteurs, le reste étant
sous-entendu, et donc pas nécessaire. Enfin, toujours dans la production des phrases de Trey,
on se rend compte qu’il recopie à l’identique les mots d’abord présentés isolément, puis
répétés. Cependant, pour « est un grand garçon », ne sachant pas comment l’écrire, Trey
s’autorise à s’autocopier : jaja (cf. schéma 16). Dès lors, il est visible que Trey est entré dans
le traitement de l’oral, voire dans un traitement orthographique, tout en gardant certaines
caractéristiques du traitement visuel.
3.3.2. Les enfants de CE1
(schéma 16)
En observant la production d’Amira (cf. annexe 33), on peut voir au premier coup
d’œil que la grande majorité de ses écrits sont produits orthographiquement : camion, poisson,
maison… Si l’on observe maintenant plus attentivement le mot « château », on voit que,
comme pour Adam, elle l’écrit chaton. Il est vraisemblable qu’elle fait une confusion entre [o]
et [ɔ̃ ]. Enfin, le mot « grand-mère », lui, est écrit avec quelques correspondances grapho-
phonétiques : répre. Néanmoins, on sent bien qu’ici, Amira se trouve confrontée à un mot
qu’elle ne connaît pas. Elle essaie de répondre à ce conflit en essayant de mettre en relation
l’oral et l’écrit. Cela se voit aussi dans le fait qu’elle répète beaucoup les mots en détachant
chaque syllabe pour essayer de les rendre à l’écrit. Cependant, même si elle écrit ses phrases
plus longues que ses mots, on peut aussi constater qu’elle n’écrit que les acteurs, comme si,
82

pour elle, le sens de la phrase émanait de ceux-ci. Le reste ne serait que secondaire, et donc
pas nécessaire à reproduire. Enfin, si l’on s’arrête maintenant sur la production des lettres
d’Amira, on observe que celles-ci sont toutes écrites en attaché, sauf le à. Il est possible
d’avancer ici le fait qu’Amira fasse un lien avec ses apprentissages. Ainsi, elle écrit le « A »
avec un accent, et on peut en déduire qu’elle sait qu’en français, cette lettre là ne se trouve
qu’isolée, pas à l’intérieur des mots (cf. schéma 17). Il est possible de conclure qu’Amira est
dans un traitement de l’oral, tout en gardant quelques caractéristiques du traitement visuel
quand elle se trouve en conflit.
83
(schéma 17)
Dans la production de Dorian (cf. annexe 34), ce qui retient l’attention en premier lieu,
c’est que la quasi-totalité de ses mots sont écrits orthographiquement : camon, voiture, poison,
bébé, maman…Seul l’item « château » est, tout comme pour Adam ou Amira, écrit avec le
son [ɔ̃ ], à la place du son [o]. On peut donc se demander si cela n’est pas dû à une mauvaise
discrimination de ce son par ces enfants, le son [ɔ̃ ], n’étant que la voyelle nasale en lien avec
[o]. Si l’on s’attarde maintenant un peu plus sur les phrases de Dorian, ce qui est visible c’est
tout d’abord qu’il a compris qu’une phrase est une unité de sens formée d’une suite de mots
(il segmente ses phrases en mots). Dans la première phrase tout d’abord, il reprend les mots
« bébé » et « poisson » comme il les avait écrits isolément. En revanche, si l’on observe
attentivement la retranscription par l’enfant du mot « joue », on se rend compte qu’il l’a écrit
jeu. La phrase lui a été donnée en français oral, avec un appui de français signé. Ceci peut
donc expliquer cette écriture. En effet, dans ce code, le signe utilisé pour « jouer » peut aussi
être utilisé pour « jeu ». Enfin, dans la deuxième phrase, il ne reproduit que les mots
« Dorian » et « garçon ». Ainsi, ce serait, pour lui, les éléments les plus importants de la
phrase, et donc nécessaires à transcrire à l’écrit pour que la phrase ait un sens. Il donne donc
ici une importance aux acteurs. Il est possible de conclure que Dorian est dans un traitement
de l’oral, voire même orthographique pour les mots qu’il connaît, mais lorsqu’il se trouve en
conflit, il revient en arrière dans les traitements pour répondre à la demande du test.

La production de Yacine (cf. annexe 35) est, elle, une production entièrement
orthographique. Tous les mots sont orthographiés correctement, seul « grand-mère » : gramai
comporte quelques erreurs. Néanmoins, on peut voir ici qu’il peut s’agir du mot
« grammaire », matière du français, que Yacine doit savoir écrire. Le français signé n’ayant
pas été utilisée pour ce mot-ci, il n’est pas possible pour Yacine de faire la différence entre les
deux. En ce qui concerne les phrases, il est visible que Yacine ne retranscrit pas le « le » de la
première phrase (« le poisson »), ni le verbe « être » dans la seconde. Cela peut être dû au fait
qu’ici le français signé est employé afin d’aider à la compréhension. Or, en utilisant ce code,
l’expérimentateur ne signe pas ces deux mots. C’est pourquoi, Yacine ne semble pas être en
mesure de les noter ici. Enfin, deux points sont notables dans la production de cet enfant. Tout
d’abord, les mots camions, voitures, et maisons sont écrits au pluriel. On peut donc se
demander s’il ne s’agit pas ici d’un transfert d’apprentissage. Peut être est-ce dû au fait qu’il a
l’habitude de rencontrer ces mots au pluriel ou bien peut-être est-ce dû à la leçon sur le pluriel
qu’ils sont en train de faire en classe. Dans un deuxième temps, on voit que Yacine écrit tous
ses mots en attaché, ainsi que ses lettres. Pour lui, les lettres ne pourraient pas être produites
seules, il faut qu’elles soient toujours accompagnées d’autres. Il est possible d’avancer ici
qu’il garderait une exigence de quantité minimale. On peut donc conclure que Yacine est dans
un traitement orthographique, tout en gardant quelques caractéristiques des traitements
antérieurs.
3.3.3. Tableau de synthèse des enfants de CP et CE1 en intégration collective
84

85
Traitement
figuratif
dessin tracés Pseudolettres
Lettres
conventionnelles
Exigence de
quantité minimale
Exigence de
quantité maximale
Traitement visuel
Importance du
prénom
Stabilité
de l’écrit
Variété intrafigurale
Importance
des acteurs
Enfants de CP
Adam X X
Enzo X X X X X X
Fodé X X X
Margot X X X X
Trey X X X X X
Enfants de CE1
Amira X X X
Dorian X X X
Yacine X X X
Phrases plus
longues que
les mots
Une lettre par mot
dans la phrase
Segmentation
de la phrase
Une lettre par
syllabe dans les
mots
Traitement de l’oral
Correspondances
graphophonétiques
Ecriture
phonétique
Correspondances
terme à terme
Lien oral /
écrit
Autocopie
Lien entre mots
de la même
famille
Variation en
fonction du sens
Traitement
orthographique
Correspondances
orthographiques
Enfants de CP
Adam X X X X
Enzo X X
Fodé X X X X
Margot X X X X X X
Trey X X X
Enfants de CE1
Amira X X X X
Dorian X X X
Yacine X X X

3.4. Les enfants scolarisés en Centre spécialisé
3.4.1. Enfants sourds profonds, avec utilisation unique de la LSF
Lors de l’expression des premiers items, Aymen (cf. annexe 36) commence par
dessiner, avant d’écrire en dessous. On peut dire que, pour lui, l’écrit semble ici très lié à
l’image. On peut néanmoins voir qu’il écrit quelques mots orthographiquement : maison,
bébé, maman. On peut penser ici que ce sont des mots qu’il connaît. Les mots « voiture » et
« poisson » commencent tous deux par une lettre pertinente : v et p, ce qui laisse à penser
qu’Aymen commence à faire un lien entre le français oral, et le français écrit. De plus, dans le
mot « poisson », la fin est aussi correcte : sson. Il est possible de déduire ici qu’il sait qu’il y a
quelque chose à écrire entre le p et le sson, mais ne sachant pas quoi, il écrit des lettres de son
prénom : ayonm. Si l’on s’attarde maintenant sur la production du mot « grand-mère », on
peut constater tout d’abord que celui-ci est écrit plus grand que « maman », tout comme
« voiture » est écrit plus grand que « camion ». Peut-être ici, Aymen fait-il un lien entre l’oral
et l’écrit, le premier étant plus long à l’oral, il sera forcément représenté par un segment plus
long à l’écrit. De plus, on se rend compte qu’il commence « grand-mère » par un « m »,
comme dans « maman ». Cela lui permet de montrer que ces deux mots ont un lien de famille.
Si l’on s’attarde plus amplement sur les phrases, il est tout d’abord visible qu’Aymen a
compris la différence entre mots et phrases. En effet, ces dernières sont plus longues que les
mots. De plus, il segmente bien ses phrases, et a donc compris qu’une phrase est une unité
linéaire constituée d’une suite de mots. Néanmoins, il ne reprend pas le mot « poisson »
comme écrit précédemment. On peut donc penser que l’écrit d’Aymen n’est pas stable, deux
écritures différentes pouvant signifier la même chose. Il est donc possible de conclure
qu’Aymen est dans un traitement visuel, tout en commençant à entrer dans le traitement de
l’oral.
Lorsque l’on observe la production de Maxime (cf. annexe 37), ce qui retient tout
d’abord notre attention c’est qu’il fait précéder tous ses mots, ainsi que sa première phrase de
l’article « un ». On peut penser que, pour lui, un mot ne peut pas s’écrire sans un déterminant
qui le précède. Cela peut aussi être dû à un transfert d’apprentissage. En effet, très souvent,
quand les enfants apprennent les mots, ils apprennent le déterminant qui va avec, par
exemple : « un chat », « un chien »… De plus, le prénom de Maxime semble constituer pour
86

lui une sorte de modèle. En effet, tous ses mots sont quasiment alignés en dessous, ce qui lui
permet d’avoir une exigence de quantité minimale, et maximale. Dans sa production, un
phénomène d’autocopie en fin de mot est observable : ei : cherefei (« voiture »), binein
(« poisson »), fimeine (« château) et nefei (« bébé »). De plus, si l’on continue à suivre cette
colonne formée par ces ei, on tombe sur cette même association dans la première phrase :
meirne (« jouer ») (cf. schéma 18). On pourrait donc conclure que Maxime se situe dans un
traitement visuel. Néanmoins, son écrit de « voiture » : cherefei est plus grand que celui de
« camion » : lene, ce qui laisse supposer un lien avec l’oral. Le mot « grand-mère », quant à
lui, est écrit comme chez Fodé (enfant de la classe d’intégration collective), on pourrait donc
donner les mêmes explications à cet écrit. De plus, Maxime a compris qu’à une unité longue
orale correspond une unité longue écrite. Pour argumenter cela, on peut s’appuyer sur ses
phrases, écrites plus longues que ses mots. On peut aussi voir que Maxime recopie le mot
« poisson » tel qu’il l’avait écrit auparavant, mot qu’il recherche dans sa production avant de
le réécrire. Il est donc visible ici que son écrit lui donne des indices lui permettant de se relire,
ce qui le rend stable. Pour la seconde phrase, en revanche, il n’écrit pas le verbe « être ». Tout
comme pour la plupart des enfants précédents, cela est certainement dû au fait qu’ici est
utilisée la LSF, et que le verbe « être » n’est donc pas signé par l’expérimentateur. On peut
donc conclure en disant que Maxime est certes encore dans un traitement visuel de l’écrit,
mais commence à entrer dans un traitement de l’oral.
87
(schéma 18)
3.4.2. Enfants sourds profonds, implantés, dont les consignes sont données en français
oral, avec appui du français signé
Si l’on jette un premier coup d’œil à la production de Clara (cf. annexe 38), on peut
observer que ses écrits sont tous orthographiques. On remarque quelques fautes d’inversion
de lettres, mais cela est peut-être dû à la surdité. Néanmoins, malgré ces fautes d’orthographe,
l’écrit de Clara est stable. En effet, elle écrit « grand-mère » : ganrd mère, et elle reprend cette
même écriture de « grand » dans la seconde phrase, en ajoutant le /e/ pour le féminin. On

emarque que certains mots sont absents de ses phrases, peut-être parce qu’ils n’ont pas été
signés : « est une » notamment. Enfin, si l’on observe les lettres produites par cette enfant, on
se rend compte qu’elles sont écrites verticalement, comme pour signifier que les lettres seules
ne peuvent pas être écrites sur une ligne, contrairement aux mots (cf. schéma 19). Il est
possible de conclure que Clara est dans un traitement orthographique.
(schéma 19)
En observant la production d’Eva (cf. annexe 39), on se rend compte qu’elle écrit
orthographiquement la quasi-totalité de ses mots. Certes, on retrouve quelques erreurs, mais
ses préoccupations face à l’écrit sont dans l’ensemble des préoccupations orthographiques.
Seuls les mots « maison » et « poisson » sont écrits avec des correspondances grapho-
phonétiques : le p et le m en début sont pertinents, ainsi que les o de fin qui peuvent se
retrouver dans le son [ɔ̃ ]. En revanche, l’on pourrait ici penser qu’il s’agit d’autocopie. En
effet, le /o/ de ces deux mots sont parfaitement alignés l’un au-dessous de l’autre, mais ils le
sont aussi avec ceux de canon, et de chaton. On peut donc émettre ici l’hypothèse qu’il
s’agisse d’autocopie. Le mot « grand-mère » est quasiment écrit phonétiquement, et, si on le
met en relation avec le « grande » de la deuxième phrase, on peut voir qu’Eva utilise les
mêmes lettres pour représenter le « gran » : ra, auquel elle ajoute le « de » du féminin : rade.
Si l’on s’attarde un peu plus sur les phrases, on s’aperçoit que tous les mots sont présents dans
la première phrase, ce qui n’était pas le cas chez les autres enfants jusqu’à présent. On
observe aussi que son écrit est stable, car elle réécrit le mot « poisson » de la même façon
qu’elle l’avait écrit précédemment. En revanche, la seconde phrase est, elle, écrite sans le
verbe « être », peut être à cause du fait qu’elle est exprimée par l’enquêteur en français oral,
appuyé de français signé, mais dans lequel il ne signe pas ce verbe. Il est possible de dire
qu’Eva se situe dans un traitement orthographique, mais lorsqu’elle se trouve face à de
nouveaux écrits, elle n’hésite pas à revenir au traitement précédent pour répondre à la
demande.
88

89
3.4.3. Enfants sourds moyens, appareillés, à qui les consignes sont données
uniquement en français oral.
Si l’on observe la production d’Angel (cf. annexe 40), on voit, au premier coup d’œil,
qu’il doit se situer dans un traitement visuel. En effet, les mots sont écrits grâce à 4 lettres ou
chiffres : A, S, 4 et B. Si l’on observe la production des lettres finales, on observe qu’Angel ne
connaît qu’un petit répertoire de lettres. Il va varier l’ordre de ces signes, afin de produire les
mots demandés. On peut observer certains phénomènes d’autocopie, comme le A en début de
mot sur les deux premières lignes, comme dans son prénom ou encore de B dans les trois
dernières lignes, le troisième étant plus une pseudo-lettre qu’un réel /b/, mais cela doit être
dans un soucis de variation. Il est néanmoins possible de se demander si le B de « bébé » est
pertinent ou s’il s’agit d’une simple copie du mot du dessus. Un autre point à souligner, est le
fait qu’Angel ne sépare pas ses mots de manière visible. Ainsi, si l’on observe la première
ligne, il n’est pas visible qu’il s’agit de deux mots : « camion » et « voiture » (cf. schéma 20).
En revanche, on observe qu’Angel écrit « voiture » avec plus de lettres que « camion »,
comme s’il avait compris qu’une unité plus longue à l’oral devait être associée à une unité
plus longue à l’écrit. Lors de l’écriture de sa seconde phrase, il commence par produire ANG.
Lors de la relecture, suivie du doigt, il associe : A = « Angel est », N = « un » et G = « grand
garçon ». On peut donc penser qu’il s’agit ici de lettres pertinentes. Néanmoins, il termine en
écrivant EL pour revenir à son prénom. Finalement, ce qui est produit ici, c’est l’acteur. Il est
donc en conflit entre des correspondances grapho-phonétiques, et l’importance des acteurs
dans la phrase. Enfin, on observe qu’il écrit, dans les phrases, les lettres plus grandes que dans
les mots, peut être pour figurer la différence de longueur entre un mot et une phrase. Ainsi,
Angel se situe dans un traitement visuel.
(schéma 20)

Si l’on observe la production de Sandra (cf. annexe 41), on se rend compte qu’elle a
tendance à s’autocopier par moments. En effet, elle écrit souvent and, à la suite, comme dans
« Sandra » (cf. schéma 21). Elle serait donc dans un traitement visuel. En revanche, si l’on
s’attarde un peu plus sur les lettres qu’elle utilise dans ses mots, on se rend compte que, très
souvent, elle utilise une lettre pertinente à l’attaque de ses mots, comme dans « voiture » :
Vudri ou « maison » : Msl. Pour ce dernier, d’ailleurs, elle écrit d’abord le m, et dit « mé »,
puis elle écrit le s et dit « son ». Elle ajoute ensuite un /l/, comme pour appuyer ici une
exigence de quantité minimale : un mot ne peut pas s’écrire avec moins de trois lettres. Cela
se voit dans sa production, puisqu’elle n’écrit pas moins de trois lettres par mots. Pour ce qui
est du mot « camion », on ne retrouve pas une lettre pertinente, mais plutôt une
correspondance phonétique entre le son [ka] et la lettre /k/ : Knie. Lorsqu’on compare la
production du mot « maman » : Mand, avec celle du mot « grand-mère » : Mandri, on se rend
compte que Sandra utilise les mêmes lettres pour commencer le mot, comme pour montrer
qu’il s’agit de deux mots de la même famille. De plus, elle écrit ce dernier avec plus de lettres
que le premier, comme pour exprimer le fait qu’étant plus long à l’oral, il doit s’écrire avec
plus de lettres à l’écrit. Ceci se retrouve dans les mots « voiture » et « camion », le premier
étant écrit plus long que le second. Si l’on s’attarde maintenant sur la production des phrases
par Sandra, on peut voir qu’elle ne les segmente pas. Néanmoins, elles sont plus longues que
les mots, ce qui signifie qu’elle a compris qu’à une unité orale longue, correspond une unité
écrite longue. En revanche, elle ne reprend pas les mots « poisson » et « bébé » tels qu’écrits
précédemment, ce qui nous amène à dire que son écrit n’est pas stable. Ainsi, Sandra est dans
un traitement visuel, mais elle commence à entrer dans un traitement de l’oral.
(schéma 21)
3.4.4. Tableau de synthèse des enfants du centre spécialisé
90

91
Traitement
figuratif
dessin tracés Pseudolettres
Lettres
conventionnelles
Exigence de
quantité minimale
Exigence de
quantité maximale
Traitement visuel
Importance du
prénom
Stabilité
de l’écrit
Variété intrafigurale
Importance
des acteurs
Enfants avec consignes en LSF
Aymen X X X X X
Maxime X X X X X X X
Enfants avec consignes en français oral avec appui du français signé
Clara X
Eva X X X X
Enfants avec consignes en français oral uniquement
Angel X X X X X X
Sandra X X X X X X
Phrases plus
longues que
les mots
Une lettre par mot
dans la phrase
Segmentation
de la phrase
Une lettre par
syllabe dans les
mots
Traitement de l’oral
Correspondances
graphophonétiques
Ecriture
phonétique
Correspondances
terme à terme
Lien oral /
écrit
Autocopie
Lien entre mots
de la même
famille
Variation en
fonction du sens
Traitement
orthographique
Correspondances
orthographiques
Enfants avec consignes en LSF
Aymen X X X X X X
Maxime X X X X X
Enfants avec consignes en français oral avec appui du français signé
Clara X X X
Eva X X X X
Enfants avec consignes en français oral uniquement
Angel X X
Sandra X X X

3.5. Synthèse des résultats
Après l’exposition des résultats enfant par enfant, il est nécessaire maintenant de faire
des parallèles et une analyse comparative, afin de pouvoir répondre à la problématique et aux
hypothèses. Il est donc important de comparer les résultats des enfants sourds avec ceux des
enfants entendants, mais il est aussi intéressant de comparer les résultats des enfants sourds
entre eux, afin de voir si le mode d’éducation joue un rôle dans leur acquisition de l’écrit.
Le problème de l’analyse comparative vient du fait qu’elle aurait été plus pertinente si
les enfants avaient tous le même âge. Néanmoins, il est possible, à partir des comparaisons
faites, d’émettre des hypothèses sur l’entrée dans l’écrit des enfants sourds. Nous reviendrons
ici point par point sur les résultats obtenus, afin de faire ressortir les points saillants de cette
comparaison.
3.5.1. Résultats généraux
Il paraît tout d’abord important de citer ici les résultats généraux obtenus, avant de
pouvoir comparer les résultats.
En ce qui concerne les enfants entendants, ceux-ci sont séparés en deux classes. Il est
alors observable que la première classe, celle mélangée avec les enfants de moyenne section
de maternelle se trouve majoritairement dans un traitement visuel de l’écrit. La seconde
classe, celle mélangée aux enfants de CP, quant à elle, se trouve majoritairement dans un
traitement de l’oral. Il est alors possible de se demander si le fait d’être en classe avec un
niveau supérieur n’a pas un impact sur l’entrée dans l’écrit de l’enfant. En effet, ces enfants
sont perpétuellement en contact avec des exercices et des écrits d’un niveau supérieur au leur,
ce qui peut leur permettre d’évoluer plus rapidement vers un écrit normalisé et lié à l’oral. On
pourrait s’appuyer ici sur la théorie de L.S. Vygotsky. Celui-ci avance le fait qu’avec l’aide
d’une personne plus expérimentée, l’enfant peut progresser vers un niveau de
conceptualisation supérieur. Cette théorie s’appelle la Zone Proximale de Développement
(ZPD). Il s’agit de la distance entre ce que l’enfant sait faire tout seul, et ce qu’il peut réaliser
avec l’aide d’un expert. C’est pourquoi, du fait de la présence d’enfants plus expérimentés
dans la seconde classe, on peut penser que les enfants de grande section de maternelle auront
tendance à progresser plus vite que les enfants de la première classe.
92

93
Pour les enfants sourds de l’école bilingue, il est visible qu’ils sont majoritairement
dans un traitement figuratif, avec des entrées plus ou moins importantes dans le traitement
visuel, voire le traitement de l’oral. Néanmoins, il faut ici se demander si cela n’est pas dû au
fait que ces enfants soient très jeunes (3 à 4 ans), ce qui peut expliquer la différence avec les
enfants entendants.
En observant les résultats des enfants sourds en intégration collective, on se rend
compte que la majorité de ces élèves se trouve dans un traitement de l’oral, avec quelques
restes visuels, voire figuratifs pour certains. Contrairement aux enfants de l’école bilingue,
cela est certainement dû au fait que ces enfants soient plus âgés que les entendants.
Néanmoins, on peut se demander ici si le fait de recevoir une éducation en français oral, ne
joue pas un rôle dans le fait que ces enfants soient plus avancés que ceux de l’école bilingue.
En effet, il serait possible d’émettre ici l’hypothèse que, recevant une éducation en langue
vocale, ils font plus facilement des liens entre ces deux modalités du français.
Cela peut être corroboré par le fait que, dans la troisième école, une partie des enfants
éduqués en français vocal se trouve dans un traitement de l’oral, voire même dans un
traitement orthographique. Au contraire, les enfants recevant une éducation en LSF sont
encore dans un traitement visuel, tout comme les deux enfants sourds moyens. On peut donc
émettre ici l’hypothèse que l’appui de la langue des signes ou l’appui de codes, tels que le
français signé, la LPC ou la méthode Borel-Maisonny soit une aide à l’entrée dans l’écrit des
enfants sourds. En effet, les deux enfants sourds moyens reçoivent une éducation
exclusivement en français oral, sans appui de gestes. Au contraire, tous les enfants sourds
profonds oralisant reçoivent une éducation en français oral, avec appui de gestes (LSF ou
codes). Au vu des résultats, on se rend compte qu’il est donc possible que l’appui des gestes,
même dans une éducation oraliste, soit bénéfique à l’enfant sourd pour acquérir le code écrit.
On peut donc conclure en disant que l’âge des enfants, mais aussi l’éducation reçue
joue un rôle dans leur entrée dans l’écrit. Il est désormais important de s’arrêter sur quelques
points saillants des résultats des enfants, afin de montrer ce qui les regroupe, mais aussi ce qui
les différencie.
3.5.2. Comparaison entre sourds et entendants
Quand on observe les résultats des passations de tous ces enfants, on se rend compte
qu’une des premières caractéristiques qui les regroupe est la connaissance de lettres

conventionnelles. En effet, seul un élève, Paul-Louis (école bilingue), n’en connaît pas ou
bien ne souhaite pas en produire dans son écrit. Néanmoins, le fait qu’il n’écrive pas son
prénom avec des lettres conventionnelles laisse à croire qu’il n’en connaît pas encore.
Pour continuer les parallèles entre les enfants sourds et entendants, on peut se rendre
compte que, chez les quatre groupes d’enfants, en cas de conflit avec ce qui leur est demandé
d’écrire, ils peuvent revenir en arrière dans les traitements, afin de répondre à ce conflit. Cela
se voit par exemple chez Yanis pour les enfants entendants. Il se trouve dans un traitement de
l’oral, mais, au moment de l’écriture des phrases, il est confronté à certains problèmes et
s’autorise à revenir à de l’autocopie pour pouvoir répondre à cela. Cela peut se retrouver chez
Trey pour les enfants sourds. Lui aussi se trouve dans un traitement de l’oral, mais au moment
d’écrire les phrases, il n’est pas encore dans un traitement segmental de ses phrases,
caractéristique du traitement de l’oral.
De plus, on se rend compte que nombreux sont les enfants sourds qui, confrontés à
l’écrit, vont dessiner. Cela se retrouve en majorité chez les enfants de l’école bilingue qui sont
dans un traitement figuratif, mais cela se retrouve aussi chez beaucoup d’enfants plus avancés
dans le traitement de l’écrit. Cela leur permet soit de s’aider, comme pour Aymen par
exemple qui dessine avant d’écrire en dessous, soit de répondre à des conflits face à l’écrit :
ne sachant pas écrire l’item, ils dessinent, comme chez Enzo (de la classe d’intégration
collective). En revanche, cela ne se retrouve pas chez les enfants entendants. Lorsqu’ils se
trouvent en conflit, ceux-ci ne s’autorisent pas à revenir au dessin, ce qui les différencie des
enfants sourds.
Il est aussi observable qu’aucun enfant sourd (sauf peut être Sandra dans le mot
« camion » : Knie) n’utilise le nom de la lettre pour représenter son son, comme le /b/ pour
représenter le son [be] dans « bébé » (celui-ci étant, très généralement écrit
orthographiquement), ou le /k/ pour représenter le son [ka] de « camion ». En revanche cela se
retrouve très fréquemment chez les enfants entendants, notamment pour le « bébé ». On peut
ici se demander pourquoi cette différence ? Encore une fois, est-ce dû à l’âge des enfants ?
(trop jeunes d’un côté ou trop âgés de l’autre) Ou bien est-ce dû à un apprentissage : les
enfants sourds auraient appris plus tôt le fait que le mot « bébé » ne s’écrive pas avec la
répétition de la lettre ? Cela peut aussi être dû à la surdité. En effet, bien qu’une majorité des
enfants soit appareillée, il est possible de dire que, n’entendant pas ou pas bien le mot
94

« camion » (il en est de même pour « bébé »), ils ne font pas le lien entre le son [ka] et la
lettre /k/. De plus, la LSF ou le français signé, très souvent utilisés dans les échanges avec les
enfants, ne permettent pas non plus de faire ce rapprochement.
95
3.5.3. Comparaison avec la littérature
Il est visible chez de nombreux enfants, qu’ils soient sourds ou entendants, qu’ils ne
sont pas « catégorisables » dans l’un ou l’autre des traitements. En effet, très souvent, des
enfants faisant partie des traitements figuratif ou visuel semblent comprendre certains points
du traitement de l’oral. De ce fait, on peut observer dans leurs passations quelques
caractéristiques de ce traitement. Il est vrai que les auteurs présentés en partie théorique
expliquent que la durée d’un traitement varie d’un enfant à l’autre. Néanmoins, aucun ne
prend en considération le fait que certains enfants peuvent être dans plusieurs traitements à la
fois. Cela peut être dû à l’enseignement reçu à l’école. Celui-ci peut entraîner chez les enfants
des conflits cognitifs entre leurs hypothèses sur l’écrit, et l’apprentissage scolaire, auxquels ils
répondent en mettant en jeu des concepts propres à différents traitements.
Dans ces trois points de vue, est avancé le fait que le prénom est très important dans
l’entrée dans l’écrit des enfants. Cela se retrouve chez les enfants entendants, mais aussi chez
les enfants sourds. Il est aussi visible qu’en fonction de leur avancée dans le traitement de
l’écrit, celui-ci perd peu à peu de son importance. Cependant, les trois auteurs expliquent que
cette prédominance du prénom se retrouve dans l’utilisation des lettres de celui-ci. En effet,
ils mettent en avant le fait que le répertoire de lettres des enfants sera d’abord constitué par
celles du prénom. Or, dans les productions recueillies sur le terrain, ce point-là se retrouve
peu. En revanche, le modèle du prénom va se retrouver dans la longueur des mots écrits.
Nombreux sont les enfants qui vont écrire leurs mots juste en dessous de leur prénom, comme
si celui-ci constituait un modèle de longueur qu’il ne faut pas dépasser.
Une question avait surgi lors de l’exposition des points de vue : l’importance du
prénom est-elle aussi prégnante chez un enfant ayant un prénom court et simple que chez un
enfant ayant un prénom long et plus complexe ? Il est possible d’amener certains éléments de
réponse ici. En effet, on peut observer chez Léa par exemple (enfant entendante), que malgré
son prénom court, elle ne s’autorise pas à écrire des segments plus longs que celui-ci. Ainsi,
lorsque les enfants ont cette conception de l’écrit, où le prénom est un modèle, on peut dire
qu’ils ne se soucieront pas de sa longueur et qu’ils mettront tout en œuvre pour ne pas déroger

à cette règle. Pour ce qui est de la complexité, on peut voir chez Aymen (enfant sourd du
centre spécialisé) par exemple, qu’il s’autorise à recopier le /y/ lorsqu’il ne sait pas écrire ses
mots (comme dans « poisson »). Ainsi, il est aussi possible de dire ici que, si les enfants
considèrent leur prénom comme un modèle, qu’il soit simple ou complexe, ils répondront tout
de même à cette règle.
De plus, les trois auteurs ont présenté le fait que, souvent, dans le traitement visuel, les
enfants fassent varier leurs écrits en fonction du sens (un mot écrit plus long pour un objet
plus gros par exemple). Néanmoins, dans l’ensemble, cela ne se retrouve pas chez les enfants
étant dans ce traitement. Cela se retrouve un peu uniquement chez les enfants de l’école
bilingue, donc chez des enfants étant majoritairement dans un traitement figuratif. Il est
possible de penser ici que le fait de dessiner leur permet certainement de représenter les
différentes tailles des objets. Cependant, sur des écrits à proprement parler, on ne le retrouve
quasiment pas.
Toujours en parallèle avec la littérature exposée en partie théorique, il est visible que
les trois auteurs insistent sur le fait que les pseudos-lettres 15 sont souvent présentes dans les
productions des enfants faisant partie des premiers traitements de l’écrit. Or, cela ne se
retrouve que peu sur le terrain. En effet, on retrouve soit des dessins ou des tracés, soit des
lettres conventionnelles, mais très peu de pseudos-lettres.
Il est possible de se pencher maintenant sur le problème des phrases. En effet,
Fijalkow, auteur sur lequel nos analyses se sont appuyées, nous explique que le traitement des
phrases et des mots passe par différents processus : une lettre par mots dans les phrases ou par
syllabes dans les mots, découpage des phrases en mots, correspondances grapho-phonétiques,
etc. Néanmoins, le premier point, celui indiquant que les enfants vont écrire une lettre par
mots ou une lettre par syllabes ne se mesure que très peu sur le terrain. En effet, seuls deux
enfants entendants ont ce concept là de l’écrit alors qu’il ne se retrouve pas chez les enfants
sourds. En ce qui concerne les enfants sourds oralisant, cela est peut être dû à leur âge avancé,
et au fait qu’ils ont donc déjà dépassé ce stade dans leur développement. Au contraire, pour
les enfants sourds utilisant la LSF, cela peut soit être dû à leur jeune âge (pour l’école
15 Rappelons ici que ce que les auteurs appellent pseudo-lettre est une lettre inventée par l’enfant, lettre qui
n’existe pas dans l’alphabet, mais qui est tout de même proche d’une lettre conventionnelle.
96

ilingue), soit au fait qu’ils sont éduqués selon une méthode descendante (pour l’école
bilingue, et le centre spécialisé), où la phrase leur est présentée dans son ensemble. Il leur est
donc possible de comprendre plus tôt qu’une phrase est composée de mots, eux-mêmes
composés de plus d’une lettre.
97
Enfin, on peut se rendre compte de la limite des points de vue des auteurs présentés
dans la partie théorique. En effet, ceux-ci ne prennent pas en considération certains points
spécifiques aux différences, et, en ce qui nous concerne, à la surdité et à la LSF. On observe,
dans de nombreuses productions, surtout chez les enfants s’exprimant en LSF, une utilisation
de l’espace pour écrire les mots. Cela peut être dû au fait que la LSF est une langue visuo-
gestuelle, utilisant un espace en trois voire quatre dimensions (si l’on inclut la dimension
temporelle). Il serait donc intéressant de prendre en compte les différentes spécificités liées
aux handicaps, afin de théoriser au mieux l’entrée dans l’écrit de la population enfantine,
celle-ci ne se réduisant pas uniquement aux enfants lambdas.
De plus, il faudrait considérer le problème du passage d’une langue à l’autre. En effet,
pour les enfants sourds signants, écrire en français, c’est savoir traduire la LSF en français. Il
serait donc intéressant de se pencher sur les problèmes posés par cette traduction. En effet, on
peut observer, dans de nombreuses productions, même celles d’enfants recevant une
éducation en français vocal, mais éducation souvent appuyée sur du français signé, l’absence
de certains mots dans les phrases. Cela peut être dû au fait que les phrases ont été dictées aux
enfants en français oral, puis en français signé, dans lequel certains mots n’étaient pas signés,
ou bien directement en LSF pour les enfants s’exprimant dans cette langue. Ainsi, au moment
du passage du français signé au français écrit, ou de la LSF au français écrit, l’enfant devait
soit rétablir tous les mots dans le premier cas, soit faire une traduction dans le second. Il serait
donc important de se demander si le fait de devoir faire ces travaux cognitifs ne joue pas un
rôle dans les productions des enfants.
3.5.4. Les spécificités des sourds et les différences observées selon les modes
d’éducation
On peut désormais s’attarder sur les spécificités des sourds. En effet, certains traits
apparaissent spécifiquement dans leurs productions, et ne se retrouvent pas dans celles des
entendants. Le premier point à relever serait celui de la phrase notée par un trait. En effet,

chez deux enfants sourds de l’école bilingue, on retrouve la phrase notée ainsi. Or, cela ne se
retrouve pas chez les enfants entendants, même ceux se trouvant dans un traitement figuratif.
Il s’agirait donc d’une spécificité des sourds, et même des sourds suivant une éducation
bilingue, puisque chez les sourds suivant une éducation en français, cela ne s’observe pas. On
pourrait donc avancer ici le fait que la méthode descendante permet aux enfants de
comprendre plus tôt les caractéristiques d’une phrase en français (linéarité, unité de sens), ce
qui leur permet de la représenter sous forme de trait.
Une remarque peut maintenant être formulée sur les enfants sourds éduqués en langue
vocale. En effet, dans de très nombreuses productions, on retrouve le mot « château » écrit
chaton, les enfants confondant le son [o] et le son [ɔ̃ ]. Cette erreur se retrouve fréquemment,
ce qui peut être dû à une mauvaise discrimination de ce son (lors de sa prononciation orale par
l’expérimentateur) par les enfants. Il serait donc intéressant de se demander si l’appui du LPC
ou de la méthode Borel-Maisonny lors de la passation n’aurait pas pu permettre ici aux
enfants de réussir à faire la différence entre ces deux sons.
Si l’on s’arrête maintenant sur l’écriture de l’item « grand-mère », on observe que la
majorité des enfants recevant une éducation en français oral arrive plus facilement à faire des
correspondances grapho-phonétiques, et donc à se rapprocher de l’écriture normée de cet
item. On peut avancer ici l’idée que l’éducation ascendante de ces enfants leur permette
d’essayer de faire des correspondances entre les phonèmes entendus à l’oral, et les graphèmes
à produire à l’écrit. En effet, cela ne se retrouvant pas chez les enfants éduqués en LSF. Il est
possible qu’ici l’enseignement joue un rôle dans l’entrée dans l’écrit.
Si l’on revient sur la théorie d’Emilia Ferreiro, on se souvient que, dans sa troisième
période, elle plaçait la syllabe au centre des écrits : c’est par la syllabe que les enfants arrivent
à comprendre le système écrit. Cette prédominance ne se retrouve pas dans les écrits des
enfants de l’école bilingue, peut être à cause de leur jeune âge. En revanche, cela se retrouve
fortement dans les passations des enfants en intégration collective et ceux du centre spécialisé
recevant une éducation en français vocal. En effet, tous ces enfants répètent les mots donnés
par l’expérimentateur en en détachant les syllabes. Néanmoins, cette « syllabisation » des
mots ne se retrouve pas chez les enfants entendants. La syllabe occuperait donc une place
prépondérante pour les enfants sourds recevant un apprentissage du français selon une
méthode ascendante.
98

99
4. Discussion
Il est tout d’abord discutable d'affirmer que toute réponse d'un enfant à un item est
stable. En effet, il n'est pas rare de voir des modalités de réponses différer d'un item à l'autre.
Cela peut également causer des problèmes d'objectivité et de fidélité. Pour résoudre cela, il
faudrait ne pas tenir absolument à caractériser les procédures utilisées par l'enfant mais plutôt
d'essayer de définir sa démarche et de la comprendre dans un même temps.
De plus, il est notable que certains facteurs, bien qu'énoncés, sont peu exploités par les
trois auteurs. Il existe chez ces auteurs une focalisation de l'analyse sur la production écrite et
une mise à l'écart des conditions de cette production telles que la répétition orale des items
proposés, le stress (lors du conflit cognitif ainsi que la peur de l'erreur), l'environnement
(recherche d'aide sur tout support écrit), les pauses entre les écrits et les blocages que nous
avons pu voir lors des passations. Pour pallier ce manque d'exploitation, l'utilisation de la
vidéo serait très utile lors de l'analyse des données.
De plus, les données théoriques des trois textes sont fragiles : leur ancienneté ne
prouve en rien leur véridicité. Certains points sont d'ailleurs toujours en débat actuellement.
Nous pouvons citer le débat entre une vision discontinue de l'entrée dans l'écrit (Ferreiro) et
une vision continue de celle-ci (Fijalkow et Liva). Ces données théoriques peuvent dont être
remises en cause. Dans le but de diminuer la fragilité de ces données, des études sur le sujet
seraient envisageables et permettraient une confrontation entre différents points de vue pour
ensuite déboucher sur un progrès cognitif et une vision neuve sur le sujet. Des travaux
empiriques sont également nécessaires à la crédibilité des hypothèses émises.
De plus, il convient de nuancer la notion de psychogénèse. La psychogénèse se situe
dans un cadre conceptuel, elle est stable par la linéarité de l'apprentissage et a comme pilier la
syllabe. Ferreiro affirme l'universalité de la psychogénèse. Suite à notre recherche, il est
discutable de parler de psychogénèse universelle car nous avons pu voir que les
cheminements des enfants varient. Il existerait différents processus equifonctionnels
concurrents lors de la résolution d'un problème (Lautrey et Carrof, 2004 : 143). La stratégie
cognitive utilisée dans une situation donnée change en fonction des enfants. Ainsi la pluralité
des processus amène à une variabilité intra-individuelle, et interindividuelle. Il est donc
possible de dire que l'écriture inventée n'est que la domination d'un processus sur un autre à
un moment donné. De plus, nous avons vu plus haut que le contexte de la passation semble

jouer un rôle dans la production, il est donc plus complexe de savoir s'il s'agit de réelles
représentations ou juste d'un choix dans une situation donnée.
Lors de notre analyse des passations des quatre classes, nous avons, tout comme
Fijalkow, remis en cause l’existence d’une psychogénèse. En effet, nous pourrions parler de
psychogénèse uniquement lorsque les enfants ont acquis le modèle alphabétique (visible donc
surtout chez les CP et les CE1). Cependant, en observant les passations des enfants plus
jeunes, nous pouvons penser que ces enfants de CP et CE1, avant d’acquérir ce modèle sont
passés par toutes sortes de stratégies mises en place afin de s’approprier l’écrit. Le fait de
travailler avec des enfants d’âges différents nous permet alors de nous poser la question
puisque nous voyons ici deux approches différentes de l’écrit.
De plus, les auteurs ne prennent pas en compte le milieu d’apprentissage, milieu qui,
au vu des résultats semble important à observer. En effet, tant chez les entendants que chez les
sourds, on observe des différences en fonction des classes interrogées. On trouve chez les
entendants des différences en fonction de la classe d’appartenance (avec les moyennes
sections, ou avec les CP), et chez les sourds, en fonction du mode de communication, et en
fonction de l’éducation. En effet, on remarque que les enfants communiquant en LSF
semblent moins avancés dans les traitements de l’écrit que les enfants communiquant en
français oral. Comme nous l’appuyons depuis le début, peut être est-ce dû à l’âge des enfants,
la majorité des sourds communiquant en LSF étant des enfants de 3-4 ans. En revanche, il est
tout de même visible que les enfants du centre spécialisé communiquant en LSF sont moins
avancés dans l’écrit que leurs homologues communiquant en français oral.
De plus, il est visible que le mode d’éducation leur permet de prendre plus tôt en
compte certains aspects du français écrit. En effet, il est visible chez tous les élèves sourds
s’exprimant en français oral que la syllabe occupe une place très importante, ceux-ci répétant
les mots en les détachant bien, afin de réussir à les retranscrire à l’écrit. En revanche, les
sourds éduqués en LSF prennent plus tôt en considération les caractéristiques des phrases
(unité, linéarité). Ainsi, l’entrée dans l’écrit semble être une acquisition préscolaire, ne
nécessitant pas au départ l’intervention d’un apprentissage. Il est néanmoins possible de dire
que le cheminement vers une écriture normée du français doit se faire grâce aux conflits posés
par l’enseignement.
On peut aussi appuyer le fait que le terme de « traitement de l’oral » (Fijalkow), ou de
« chaîne orale » (Besse), peut être discutable dans notre travail. En effet, lorsque l’on parle de
100

cela avec des enfants sourds éduqués en LSF, parle-t-on de l’oral du français ou de la LSF ?
Comment faire la différence entre ces deux points ? Peut-on parler de lien entre le français
oral et le français écrit pour un enfant qui reçoit une éducation en LSF, avec prohibition de la
langue vocale ? Ainsi ce terme d’oral, avec des enfants sourds, est discutable et à retravailler.
101
Il est alors important de prendre en compte l’impact d’une langue seconde sur l’entrée
dans l’écrit de l’enfant. En effet, tel que cela a été exposé ci-dessus, il est vraisemblable que
les enfants sourds recevant une éducation en LSF auraient plus de difficulté à entrer dans
l’écrit que les enfants sourds recevant une éducation en français oral. Il est donc important de
se demander si l’entrée dans l’écrit ne serait pas retardée par le fait de recevoir une éducation
bilingue. Il serait donc intéressant de comparer cela avec l’entrée dans l’écrit des enfants
bilingues en général. Néanmoins, la LSF est une langue uniquement orale, ce qui oblige les
enfants sourds à faire une traduction de ce qu’ils voient, afin de le rendre à l’écrit. C’est
pourquoi la comparaison avec les autres enfants bilingues semble ne pas être forcément
appropriée. En effet, seuls les sourds reçoivent une éducation de la langue écrite via une autre
langue. C’est pourquoi il est important de prendre en considération cette dimension de la
traduction dans l’entrée dans l’écrit de l’enfant sourd recevant une éducation bilingue.
Enfin, il est concevable que l'apport familial joue un rôle dans les représentations des
enfants. Il est alors intéressant d’aborder le milieu social comme influence de la
représentation de l'écriture par l'enfant. Dès lors, K.E. Stanovich parle de l'effet Mathieu : cet
effet met en évidence l'importance du sociocognitif dans l'apprentissage. Pour cet auteur, les
écarts entre les élèves des milieux favorisés et défavorisés vont aller en s’agrandissant
pendant la scolarité. B. Suchaut (2008) reprend cette idée : « Les écarts sociaux en fin d’école
élémentaire résultent donc de deux phénomènes. En premier lieu du degré de compétences à
l’entrée au cours élémentaires qui varie, lui-même selon le niveau social et, en second lieu, du
fait, qu’à niveau initial comparable, les enfants originaires des milieux sociaux les plus
favorisés progressent davantage. » Le nom d’effet Mathieu fait référence à l’évangile de
Matthieu (XXV-28-29) : « à celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance,
mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. » 16 Ainsi, les enfants issus
de milieux défavorisés auront plus de mal à entrer dans la lecture / écriture que les enfants
issus de milieux favorisés, ceux-ci ayant, un accès à la culture de plus grande importance.
16 Source : STANOVICH, K.E. (1986). Matthew effects in reading: Some consequences of individual differences
in the acquisition of literacy. Reading Research Quarterly, vol.21, n°4, p.360-406

Si un enfant se situe dans un milieu peuplé de lettres, il pourra davantage voir sa
vision de l'écriture changer. Il serait donc intéressant de savoir si les enfants interrogés ont
l’habitude de voir de l’écrit dans leur milieu, si leurs parents leur lisent des livres, s’ils
essayent d’écrire quelques mots pour eux-mêmes, etc. Le milieu social dans lequel ils vivent,
ainsi que le niveau d’étude de leurs parents devrait aussi être pris en compte.
102

103
Conclusion
Les analyses effectuées constituent donc une première approche de l’entrée dans
l’écrit de l’enfant sourd. Les résultats montrent que celle-ci s’effectue de manière plus ou
moins comparable chez les enfants entendants et les enfants sourds. Néanmoins, comme cela
a été présenté tout au long de ce travail, il serait intéressant d’effectuer une recherche sur des
enfants d’une école bilingue plus âgés que ceux interrogés ici. Cela permettrait de mettre en
évidence le rôle joué par la langue première dans l’apprentissage de la langue seconde, et
celui de la traduction dans l’acquisition du français écrit chez les enfants sourds.
Néanmoins, au vu des résultats obtenus, il est possible d’avancer le fait que la
meilleure façon de permettre à l’enfant sourd d’entrer dans la langue écrite est de lui proposer
un apprentissage selon une méthode ascendante. Cela lui permettrait de faire plus facilement
des correspondances grapho-phonétiques pour des mots qu’il ne connaît pas. Cependant, une
chose est sûre, le fait de posséder une langue, qu’elle soit vocale ou gestuelle, permet à
l’enfant sourd d’entrer dans l’écrit et d’en comprendre les règles de fonctionnement. Ainsi, il
est possible d’avancer le fait que posséder une langue première quelle qu’elle soit est le
meilleur moyen d’accéder à cette seconde modalité.
Il est cependant important, tout comme avec l’enfant entendant de permettre très tôt à
l’enfant sourd de manipuler la langue écrite, même si elle n’est pas encore correcte et normée.
Cela lui permet de comprendre comment elle fonctionne, et donc de l’acquérir plus
facilement.
Les auteurs exposent le fait que l’âge des enfants n’intervient pas dans leur conception
de l’écrit. Néanmoins, il faudrait mettre en lumière un âge moyen d’entrée dans tel ou tel
traitement, afin de pouvoir voir si les enfants sourds entrent dans ces traitements plus ou
moins au même âge que les enfants entendants.
Cette étude est donc une première approche qui mérite d’être approfondie avec
d’autres enfants sourds d’écoles bilingues. Au vu des résultats des enfants de maternelle de
l’école bilingue, il serait aussi intéressant d’interroger des enfants entendants de la même
tranche d’âge afin de pouvoir les comparer plus en détail.

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in the acquisition of literacy. Reading Research Quarterly, vol.21, n°4.
- SUCHAUT B. (2008) Le rôle de l’école maternelle dans les apprentissages et la scolarité des élèves,
Conférence à Bourges
- VANBRUGGHE A (2009) La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation - no 46 • 2e
trimestre 2009
- VERNON M.D. (1957), Blackwardness in Reading, London, Cambridge University Press.
- VONEN A.M. (1996). Bilinguism and literacy : general and population-Specific Aspects. Oslo:
Skaden Ressource Center.
107
2. Sitographie :
- http://193.49.125.83/ressources/memoires/memoires/2005/a/0/05a0007/05a0007.pdf (dernière
consultation le 6 juin)
- http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?12;s=2540209530;r=1;nat=;sol=1; (dernière
consultation le 8 juin)
- http://cpaien89.free.fr/Pedagogique/Maitrise_de_la_langue/Dictee_a_l_adulte/dictee_a_l_adulte.html
(dernière consultation le 15 mai)
- http://crpe.free.fr/Lestroisgrandesfamillesdemthodesdelecture.htm (dernière consultation le 30 mai)
- http://www.cultura-sorda.eu/resources/Tesis_Leroy_2005.pdf (dernière consultation le 8 juin)
- http://dcalin.fr/publications/goulet.pdf (dernière consultation le 15 mai)

- http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/52/01/35/PDF/RENAUD_Charline_M1R.pdf (dernière
consultation le 30 mai)
- http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/63/10/15/PDF/BALOSETTI_Margot_M2R.pdf (dernière
consultation le 15 mai)
- http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/00/17/65/PDF/alsic_n09-rec2.pdf (dernière consultation le 6
juin)
- http://ife.ens-lyon.fr/vst/LettreVST/pdf/31-novembre-2007.pdf (dernière consultation le 15 mai)
- http://isfp.fr/documents/memoire/m03-besset.pdf (dernière consultation le 15 mai)
- http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais (dernière consultation le 12 juin)
- http://www.lecture.org/ressources/ecrit_surdite/AL101p073.pdf (dernière consultation le 6 juin)
- http://www.lecture.org/ressources/ecrit_surdite/AL101p077.pdf (dernière consultation le 6 juin)
- http://www.msh-m.fr/diffusions/rusca/rusca-langues-litteratures/Colloque-2008-Enfance-s-
et/Articles,268/Un-cas-specifique-de-bilinguisme-l (dernière consultation le 15 mai 2012)
108

1
Annexe 1 : les clés du LPC 1
1 Source : http://www.adapeda85.fr/dossiers/lpc.htm

[a]
[é]
[b]
[m]
[x]
Annexe 2 : Les signes de la méthode
[e]
[è]
[k]
[n]
[z]
Borel-Maisonny 2
sons "voyelles"
[i]
[eu]
[o]
[in]
[u]
[oin]
[oi]
[an]
sons "consonnes"
[d]
[p]
[ch]
[f]
[r]
[gn]
[g]
[s]
[ill]
2 Source : http://cp.lakanal.free.fr/ressources/lecture/affichesBM.htm
[j]
[t]
[ou]
[un]
[l]
[v]
[on]
2

Annexe 3 : intensités des consonnes et des
3
voyelles

Tracé du timbre des voyelles
5
4 : Tracé de vibrations de toutes les voyelles. On y retrouve les deux caractères essentiels
des voyelles : la régularité et l’amplitude
É
O
I

Annexe 4 : Angel
6

9
Annexe 5 : Aymeric

11
Annexe 6 : Candice

Annexe 7 : Clémentine
12

13
Annexe 8 : Elem

Annexe 9 : Emmanuel
14

15
Annexe 10 : Léa

Annexe 11 : Lola
16

17
Annexe 12 : Ninon

Annexe 13 : Samantha
18

19
Annexe 14 : Tesnim

Annexe 15 : Yllane
20

23
Annexe 16 : Elsa

Annexe 17 : Enzo
24

Annexe 18 : Fantine
26

27
Annexe 19 : Ilhan

Annexe 20 : Tristan
28

1
Annexe 21 : Yanis

Annexe 22 : Joackim
2

Annexe 23 : Paul-Louis
4

5
Annexe 24 : Rose

Annexe 25 : Thomas
6

7
Annexe 26 : Arthur

Annexe 27 : Fiona
8

9
Annexe 28 : Adam

Annexe 29 : Enzo
10

Annexe 30 : Fodé
12