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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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ine Leclercq dégage trois grands modèles de désengagement :<br />

le déracinement, le désenchantement et le déplacement.<br />

Le « déracinement » est le fruit d’une histoire militante<br />

déchirée, souvent celle d’adhérents issus de lignées communistes<br />

(les « natifs »), qui vivent une contradiction traumati<strong>sa</strong>nte<br />

entre les habitus qui tis<strong>sa</strong>ient la trame d’un univers parti<strong>sa</strong>n et<br />

l’évolution qu’ils perçoivent de l’organi<strong>sa</strong>tion. Le « désenchantement<br />

» résulte d’une histoire militante dégradée, par suite<br />

d’un hiatus installé entre des aspirations individuelles ayant<br />

fondé l’acte d’affiliation et une expérience vécue qui contredit<br />

peu à peu les attentes initiales, qui produit une altération du<br />

lien avec l’organi<strong>sa</strong>tion et qui, au final, provoque une déligitimation<br />

de l’institution parti<strong>sa</strong>ne et une distance affective et<br />

symbolique complète avec elle. Enfin, le « déplacement »<br />

désigne un glissement graduel et insensible hors du parti, souvent<br />

à l’issue de réaménagements généraux du cadre de vie des<br />

« déplacés », qui vont ainsi d’un investissement personnel vers<br />

un autre, <strong>sa</strong>ns récuser l’engagement antérieur, mais en cherchant<br />

l’accomplissement de soi dans d’autres pratiques et d’autres<br />

univers professionnels ou militants.<br />

La force et les modalités du désengagement varient. Les<br />

« déracinés » vivent leur départ comme un drame, une rupture<br />

incompréhensible avec un univers perçu au départ comme<br />

« naturel » : il y a, dans l’éloignement, le sentiment douloureux<br />

d’une dépossession, toujours à la fois parti<strong>sa</strong>ne (« le Parti m’a<br />

quitté ») et sociale (l’univers prolétarien se défait). Les « désenchantés<br />

» souffrent d’un éloignement souvent présenté comme<br />

une tragédie, qui produit une distance critique forte et une<br />

recherche d’apaisement de la souffrance dans d’autres investissements<br />

militants, notamment dans le « mouvement social ».<br />

Quant aux « déplacés », ils enregistrent l’affaiblissement progressif<br />

d’un « bonheur communiste » initial, <strong>sa</strong>ns récuser leur<br />

attachement passé à l’institution, en cherchant à le continuer au<br />

travers d’autres manières d’être communiste.<br />

5. D’hier à aujourd’hui<br />

5.1. Où en est aujourd’hui le PCF ? Officiellement, <strong>sa</strong><br />

direction annonce quelque 135 000 <strong>carte</strong>s adressées nominativement<br />

aux adhérents (un chiffre présenté comme stabilisé<br />

depuis 2003), un fichier national interactif de 96 000 personnes<br />

et un total de 65 000 coti<strong>sa</strong>nts. On <strong>sa</strong>it par ailleurs que<br />

l’association des élus communistes et républicains annonce un<br />

nombre d’élus communistes et « apparentés » qui se situerait<br />

entre 9 500 et 11 000, dont une grande part ne serait pas en<br />

possession d’une <strong>carte</strong> du PCF. Si l’on applique aux chiffres officiels<br />

le ratio établi par Platone et Ranger en 1997 (18 %), cela<br />

correspond à un effectif « militant » qui se situerait entre 12 et<br />

25 000 individus. Difficile d’aller pour l’instant au-delà de ces<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

chiffres. Numériquement, dans un pay<strong>sa</strong>ge français de très faible<br />

implication parti<strong>sa</strong>ne 103 , ils suggèrent que le PCF reste parmi<br />

les partis conséquents de l’espace politique. En tout cas, même<br />

spectaculairement affaibli, il est le mieux doté en « encartés » des<br />

maigres formations situées à la gauche du Parti socialiste.<br />

5.2. De ces adhérents, on ne <strong>sa</strong>it pas grand-chose de plus<br />

que ce qu’a révélé l’enquête de 1997 (Tableau 14). Le PCF resterait<br />

l’organi<strong>sa</strong>tion dont la fémini<strong>sa</strong>tion est la plus poussée : en<br />

<strong>2009</strong>, les femmes forment 41 % des effectifs, contre 39,8 % en<br />

1997 et 35,3 % en 1979. En revanche, le vieillissement continu<br />

(l’âge médian était de 40 ans en 1979 et de 47 ans en 1997) atténue<br />

les traits qui fai<strong>sa</strong>ient du PC un parti d’actifs : les retraités<br />

constituent en 1997 un bon quart du total, contre 15 % en<br />

1979. Au vu des informations officielles 104 , le mouvement s’est<br />

poursuivi par la suite : en décembre <strong>2009</strong>, les moins de 30 ans<br />

représentent 6 % des effectifs contre 10,9 % en 1997 et 24,5 %<br />

en 1979. Les plus de 65 ans, eux, sont 30 %, alors que les plus<br />

de 60 ans étaient 24,4 % en 1997 et 15,6 % en 1979. Sociologiquement,<br />

la prépondérance ouvrière a elle aussi marqué le<br />

pas : les ouvriers forment moins d’un tiers de l’effectif communiste<br />

(un pourcentage voisin de celui de la société française ellemême),<br />

contre un cinquième pour les catégories intermédiaires<br />

et un dixième pour les cadres supérieurs. Il est vrai que la part<br />

des employés se situerait désormais autour du tiers : le PC n’est<br />

plus un parti massivement ouvrier, mais il est pour près des<br />

deux tiers composé de membres des catégories sociales les plus<br />

populaires. Globalement, la <strong>carte</strong> des effectifs communistes est<br />

resté la même, centrée sur la région parisienne et ses prolongements<br />

normand ou picard, la région Nord, le littoral méditerranéen<br />

et l’Aquitaine (<strong>carte</strong> 7). Mais la géographie du militantisme<br />

s’est dénationalisée, comme celle de l’électorat.<br />

5.3. En dehors du référent communiste lui-même, les<br />

éléments d’identification de l’organi<strong>sa</strong>tion sont aujourd’hui<br />

incertains. Les opérateurs idéologiques les plus courants sont<br />

faiblement distinctifs : le marxisme, la lutte des classes, l’antilibéralisme<br />

ou l’anticapitalisme sont largement partagés avec<br />

d’autres courants. Les pratiques militantes des adhérents du<br />

PCF se mènent dans des espaces associatifs communs, les<br />

« organi<strong>sa</strong>tions de masse » historiquement liées au PC étant<br />

souvent en déclin, tandis que le syndicalisme de la CGT s’est<br />

structurellement et culturellement émancipé. Même l’idée de la<br />

supériorité intrinsèque du parti n’est pas propre au seul univers<br />

du PC : l’extrême gauche du NPA et le néo-républicanisme de<br />

gauche de Jean-Luc Mélenchon fustigent allègrement les tentations<br />

du « mouvementisme », pour faire l’apologie des partis<br />

politiques tels qu’ils sont. L’habitus populaire et ouvrier s’est<br />

défait, la culture bolchevique-nationale a disparu ; restent la<br />

mémoire communiste et le patriotisme de parti.<br />

103 Dans son étude sur Les partis politiques français (La Documentation française, édition de 2005), Pierre Bréchon estime que les effectifs des partis, après avoir<br />

atteint un pic de 900 000 adhérents au début des années 1980, sont retombés au niveau des débuts de la V e république, qu’il estime à 450 000. Mais à la fin de<br />

l’année 2006, dans le feu des préparatifs de l’élection présidentielle, un comptage des effectifs déclarés aboutis<strong>sa</strong>it à un total de près de 850 000 adhérents.<br />

104 À la fin de l’année <strong>2009</strong>, la direction communiste a publié une analyse partielle du sexe et des tranches d’âge de ses membres, à partir de son fichier national<br />

d’adhérents (COCIEL). Cette analyse a été publiée dans le bulletin interne Communistes, en date du 9 décembre.<br />

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