Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri
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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />
trouver, dans le système politique français, une démarche stratégique<br />
qui ait la force d'évidence que pouvaient avoir les stratégies<br />
frontistes des années trente et quarante ou des années<br />
soixante et soixante-dix. Un tel cadre de représentations n’est<br />
pas <strong>sa</strong>ns point d'appui sociologique dans une société tendanciellement<br />
dualiste. Mais il est menacé, par son traditionalisme,<br />
de connaître le destin des minorités contestataires dans les sociétés<br />
capitalistes développées.<br />
Le second univers porterait plutôt vers une culture démocratique<br />
de l'alternative sociale. Plus ou moins attaché à l'héritage<br />
des multiples réformateurs du communisme mondial, il est<br />
moins sensible à la recherche d'un enracinement social original<br />
qu'à la définition prioritaire d'une alternative sociopolitique.<br />
Plus soucieux d'hégémonie que de domination, cet embryon de<br />
dispositif culturel garde la matrice anticapitaliste <strong>sa</strong>ns se vouloir<br />
une culture du ressentiment. Conservant leurs réserves à l'égard<br />
de la tradition sociale-démocrate, ceux qui s'inscrivent dans<br />
cette visée maintiennent la référence à une identité communiste<br />
et donc à un héritage dont ils valorisent et la dimension utopique<br />
(l’espérance sociale et un certain volontarisme transformateur)<br />
et l'enracinement politique (le sens de la « perspective » ).<br />
Ces communistes « maintenus » sont moins cohérents que le<br />
premier groupe dans leur travail d'identification, plus sensibles<br />
à l'individu et à la diversité des trajectoires sociales, fragilisés par<br />
l'échec massif de tous les précédents communistes réformateurs.<br />
En fait, leur devenir repose sur un double pari incertain : la<br />
reproduction en France d'un radicalisme politique autonome,<br />
articulant visée sociale alternative et représentations politiques ;<br />
l'incapacité des courants socialistes européens à intégrer cette<br />
culture, ce qui libérerait un espace politico-culturel pour une<br />
nouvelle mouvance, à gauche de la social-démocratie.<br />
4.5. Tant qu’une culture est assez forte pour agréger des<br />
générations militantes, les flux d’entrée et de sortie sont rythmés<br />
par la conjoncture qui nourrit, selon les moments, les vagues<br />
d’affiliation et de dé<strong>sa</strong>ffiliation. Au fond, l’adhésion parti<strong>sa</strong>ne<br />
est, dans le cas français, exceptionnelle et volatile par essence. Il<br />
est rare que l’affiliation à un parti apparaisse, de façon massive,<br />
comme suffi<strong>sa</strong>mment utile pour justifier un déplacement des<br />
emplois du temps et une redéfinition durable des investissements<br />
personnels. En France, le turn over parti<strong>sa</strong>n est donc toujours<br />
numériquement conséquent. Mais pendant une longue<br />
période, dans la galaxie communiste, la volatilité originelle ne<br />
contredit pas la force des grands vecteurs d’identification et<br />
d’agrégation. Toute dé<strong>sa</strong>ffiliation, d’ailleurs, n’équivaut pas à<br />
une désidentification : on peut se dé<strong>sa</strong>ffilier, <strong>sa</strong>ns pour autant<br />
s’extraire de l’univers des pratiques et des signes qui dessine l’espace<br />
du communisme politique. Il arrive ainsi que la dé<strong>sa</strong>ffiliation<br />
soit forte, <strong>sa</strong>ns qu’elle s’accompagne d’une dé<strong>sa</strong>grégation de<br />
l’espace parti<strong>sa</strong>n lui-même. Dans cette phase, les flux électoraux<br />
et les flux parti<strong>sa</strong>ns divergent à l’occasion (maintien électoral et<br />
reflux militant dans la guerre froide ; percée militante et stagnation<br />
électorale dans les années 1970), <strong>sa</strong>ns que les fondements<br />
de l’implantation se trouvent pour autant érodés.<br />
101 Julian Mischi, Servir la classe ouvrière…, ouvrage cité, p. 313.<br />
102 Catherine Leclercq, Histoires d’« ex »…, thèse citée.<br />
En revanche, que le coagulant culturel se dé<strong>sa</strong>grège et que<br />
l’utilité fonctionnelle s’estompe, et c’est l’identification ellemême<br />
qui est atteinte. Pendant longtemps, le communisme<br />
français a disposé d’une cohérence maximale : elle découlait du<br />
dispositif mental fondant le stalinisme à la française. Mais cette<br />
culture originale, produit d’une époque exceptionnelle de « brutali<strong>sa</strong>tion<br />
», vieillit avec les puis<strong>sa</strong>ntes mutations de l’aprèsguerre<br />
et, plus encore, après les révélations khrouchtchéviennes<br />
de 1956. Jusqu’au milieu des années 1960, la direction refuse<br />
pourtant les ajustements qu’exigeait la déstalini<strong>sa</strong>tion. Elle<br />
maintient donc le « ciment » originel ; mais, en le figeant, elle<br />
voue l’organi<strong>sa</strong>tion à la nécrose progressive. Les années 1970<br />
voient les « sommets » du parti prendre conscience des risques<br />
que fait courir la stagnation culturelle. La déstalini<strong>sa</strong>tion assumée<br />
de l’ère Marchais détisse ainsi le réseau initial, par à-coups,<br />
<strong>sa</strong>ns le remplacer par une culture franchement réorganisée. Dès<br />
lors, faute d’unifiant symbolique, la volatilité militante s’exaspère<br />
et les effets de conjoncture se démultiplient. Les départs se<br />
densifient, plus fortement que dans la phase antérieure ; ils ne<br />
s’opèrent plus seulement à la périphérie, mais ils atteignent bientôt<br />
le cœur, les groupes a priori les plus intégrés au dispositif.<br />
Jusqu’en 1978, ces départs sont compensés par l’afflux<br />
des nouveaux adhérents. À partir de cette date, l’attraction militante<br />
se tarit, en même temps que l’électorat se rétracte. En perdant<br />
<strong>sa</strong> place centrale à gauche, le parti se met à perdre par tous<br />
les bouts : à la fois les « identitaires » et les « unitaires », les « partidaires<br />
» et les « mouvementistes », les « réalistes » et les « radicaux<br />
». Les pics de crise se succèdent, en 1979, 1982, 1984, suivis<br />
par des rémissions qui ne renversent jamais la tendance<br />
générale. Le reflux n’est pas interrompu par la « mutation » ; il<br />
se prolonge avec son échec. Pendant des décennies, la dé<strong>sa</strong>ffiliation<br />
se fait la plupart du temps dans le silence ; à partir des<br />
années 1980, elle s’affirme, parfois publiquement, à l’occasion<br />
collectivement. Jusqu’alors délégitimée, réservée aux groupes les<br />
mieux pourvus en « capital symbolique » (les élus, les intellectuels),<br />
la parole critique se libère et se diversifie.<br />
À <strong>sa</strong> manière, Georges Marchais incarnait la dernière<br />
figure du Secrétaire général d’autrefois. Un réel charisme lui<br />
permet d’incarner le renouvellement communiste au milieu des<br />
seventies ; du début des années quatre-vingt, <strong>sa</strong> crispation politique<br />
lui aliène une part de l’actif militant, <strong>sa</strong>ns annuler complètement<br />
son ascendant sur l’appareil ; au milieu de la décennie<br />
1990, son départ ouvre une nouvelle phase d’incertitude,<br />
cette fois existentielle. Délitement électoral et dé<strong>sa</strong>ffection militante<br />
se conjuguent : « les effets des technologies d’identification<br />
parti<strong>sa</strong>ne du PCF s’érodent » 101 et l’organi<strong>sa</strong>tion décline sur<br />
la base d’une dé<strong>sa</strong>ffection qui s’intensifie.<br />
4.6. Les modèles de dé<strong>sa</strong>ffiliation sont aussi variés que<br />
ceux de l’adhésion. Une étude attentive en a été récemment<br />
produite 102 , dans un travail de recherche non encore publié,<br />
appuyé sur un corpus d’entretiens biographiques approfondis<br />
menés en Région parisienne et dans le Pas-de-Calais. Analy<strong>sa</strong>nt<br />
des récits de vie qui sont autant de « trames discursives », Cathe-