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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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déplace la crise, de la périphérie militante vers le noyau dirigeant.<br />

Jusqu’alors, les crises internes ont toujours été régulées<br />

dans la stigmati<strong>sa</strong>tion réussie des « groupes » et « fractions » présumés.<br />

Le caractère exceptionnellement large de la contestation<br />

interne (trois vagues successives de dissidence, celle des « rénovateurs<br />

» en 1984, des « reconstructeurs » en 1987, puis des<br />

« refondateurs » en 1989) montre les limites d’un resserrement<br />

opéré autour du secrétaire général, qui dénonce volontiers le<br />

« complot ». Il est toutefois à noter que ce resserrement classique<br />

de direction ne se traduit pas en France par un retour au<br />

soviétisme originel : c’est plutôt le patriotisme classique de parti<br />

qui est sollicité pour repousser « l’esprit de doute » et conjurer<br />

les tentations centrifuges 97 .<br />

4.2. En cela, dans un monde militant qui s’est culturellement<br />

(mais non politiquement) éloigné de l’URSS, l’effondrement<br />

du système soviétique européen n’a pas l’effet explosif que<br />

l’on pouvait attendre. En revanche, l’échec de la dernière tentative<br />

gorbatchévienne de réforme du système soviétique accentue<br />

le morcellement culturel du communisme français. Une culture<br />

soudait le corps militant et en reprodui<strong>sa</strong>it plus ou moins les<br />

mécanismes et les dynamiques ; la fin de cette culture fait éclater<br />

le PCF en plusieurs ensembles qui peinent à coexister. Au<br />

début de la décennie 1990, quand la crise du soviétisme se précipite,<br />

des enquêtes d’opinion mettent en évidence l’existence à<br />

l’intérieur du parti de deux grands types d’attitudes antagoniques<br />

98 . Un pôle « intégré » se reconnaît fortement dans le discours<br />

et la pratique du PCF et de <strong>sa</strong> direction. Fortement attaché<br />

à la symbolique communiste et au mode de<br />

fonctionnement originel, ce groupe (20 % environ des militants)<br />

se refuse aux changements « en profondeur » de la ligne<br />

et des directions. Structuré autour des quadragénaires et des<br />

provinciaux, il est plutôt lié à l’appareil par ses respon<strong>sa</strong>bilités et<br />

se rencontre plus volontiers parmi les militants de la CGT et de<br />

la Jeunesse communiste. Au contraire, un pôle « critique »<br />

(30 % environ du panel) se distancie ouvertement du mode de<br />

fonctionnement de l’époque et s’affirme en faveur de changements<br />

profonds. Plus jeune en moyenne que le groupe précédent,<br />

il reste attaché aux marques d’identification communiste,<br />

mais en insistant sur la néces<strong>sa</strong>ire transformation du dispositif<br />

militant. Entre les deux pôles s’étend une gamme complexe de<br />

positionnements, mêlant dans des proportions variables l’attachement<br />

au parti existant et l’aspiration plus ou moins intuitive<br />

à son renouvellement.<br />

4.3. Or le désengagement, comme le suggère Catherine<br />

Leclercq, doit être tenu pour un « moment critique » de désidentification<br />

des militants 99 , d’autant plus traumati<strong>sa</strong>nt que<br />

l’identification était plus forte. On a vu plus haut que l’affilia-<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

tion initiale repo<strong>sa</strong>it sur l’articulation d’une triple fonctionnalité<br />

(sociale, projective et politique) et d’une culture politique<br />

solidement intégrée 100 , mariant elle-même un vieux fond rationaliste<br />

européen, une lecture marxiste-léniniste du « continent<br />

Marx », une conception bolchevique de la révolution et du parti<br />

et une rhétorique républicaine robespierro-jaurésienne.<br />

Les années 1980-1990 dé<strong>sa</strong>grègent définitivement la triple<br />

fonctionnalité qui fondait à la fois l’expansion électorale et<br />

la force de l’affiliation parti<strong>sa</strong>ne. La fonction sociologique est<br />

affectée par la crise de l’identité ouvrière et du mouvement<br />

ouvrier, le recul du modèle prolétarien classique, l’épuisement<br />

des groupes « inducteurs » (le métallo, le cheminot…), le glissement<br />

de la combativité de groupe vers le ressentiment individualisé.<br />

La fonction utopique est minée par la crise du soviétisme<br />

en particulier et de la symbolique alternative en général<br />

(la crise de « l’État providence » et la percée néolibérale disqualifient<br />

l’idée d’un postcapitalisme possible). La fonction politique<br />

est <strong>sa</strong>pée par l’irruption massive de concurrents du communisme<br />

politique, sur <strong>sa</strong> droite puis sur <strong>sa</strong> gauche. De ce fait,<br />

les ouvriers dé<strong>sa</strong>pprennent à se servir du PCF et le PCF ne <strong>sa</strong>it<br />

plus, ni comment se servir de l’existence ouvrière qui persiste<br />

massivement, ni comment passer d’un modèle <strong>sa</strong>larial « prolétarien<br />

» à de nouveaux modèles, éventuellement à recomposer.<br />

En l’espace de deux décennies, se défont tous les éléments qui<br />

structuraient le projet « bolchévique-national » et fondaient, de<br />

façon potentiellement large, les procédures individuelles et collectives<br />

d’identification au communisme politique.<br />

4.4. Quant à la culture, elle se dénoue progressivement,<br />

au gré d’une évolution qui prend plus volontiers l’aspect<br />

d’abandons successifs que celui d’une refondation idéologique :<br />

abandon de la thèse du parti unique (1963), de la dictature du<br />

prolétariat (1976), du marxisme-léninisme (1979), du centralisme<br />

démocratique (1994). En l’absence d’unification culturelle<br />

assumée, l’espace militant se polarise, au moins depuis la<br />

seconde moitié des années 1980, autour de deux vastes univers<br />

culturels.<br />

Le premier se développe autour de ce que l’on pourrait<br />

appeler une culture plébéienne de la contestation sociale. Définie<br />

prioritairement par <strong>sa</strong> charge de refus, elle est une culture<br />

politique du conflit, structurée autour de l'anticapitalisme et du<br />

refus des « autres », de l'« autre monde » que l'on rejette en bloc.<br />

Affectivement, elle fonctionne en partie comme une culture du<br />

ressentiment, expression de la classe souffrante, s'appuyant sur<br />

ce que la société actuelle porte de motifs de révolte sociale ou<br />

morale. En cela, elle prolonge une part importante du dispositif<br />

antérieur. Mais elle ne dispose plus de l'arrière-plan du<br />

« socialisme réel » et de la charge utopique du mythe d’une<br />

révolution réussie. En outre, elle se heurte à la difficulté pour<br />

97 Le resserrement idéologique s’observe par exemple dans le dispositif d’éducation. Cf. Nathalie Ethuin, « Des communistes en formation. Entre doutes et réenchantement<br />

militants », Revue Espaces Marx Nord, 2005.<br />

98 Roger Martelli, « Trois sondages sur le fait communiste », Société française, n° 40, 1991. Voir aussi Stéphane Courtois, « Les Cadres du Parti communiste : la crispation<br />

orthodoxe », in SOFRES, L’État de l’opinion 1992, Seuil, 1992.<br />

99 Catherine Leclercq, « L’identité parti<strong>sa</strong>ne au prisme de la désidentification. Une approche microscopique du désengagement au PCF », in « Les tendances récentes<br />

de l’étude des partis politiques dans la science politique française : organi<strong>sa</strong>tions, réseaux, acteurs », Colloque de l’association Française de Science Politique, 2002.<br />

100 Marc Lazar, « Forte et fragile, immuable et changeante… La culture politique communiste », in Serge Berstein, Les cultures politiques en France, Seuil, 1999 ;<br />

Roger Martelli, « Peut-on parler de culture communiste ? », Société française, n° 47, juillet-août-septembre 1993.<br />

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