01.07.2013 Views

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

36<br />

PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />

Manifestement, l’encadrement du parti a du mal à<br />

s’adapter à la nouvelle donne. Les difficultés à évaluer l’état de<br />

l’organi<strong>sa</strong>tion ne sont qu’un signe d’une carence plus globale.<br />

En fait, le PC de la Libération a du mal à concilier le bolchevisme<br />

culturel et la pratique du « parti de masse » qui est rappelée<br />

à plusieurs reprises. « On est resté à <strong>1920</strong>, alors que situation,<br />

taches et rôle différent », note Maurice Thorez, dans ses<br />

carnets personnels, à l’occasion d’une réunion du Bureau politique,<br />

le 3 avril 1947 96 . La guerre froide ne provoque pourtant<br />

pas un retour pur et simple au temps de « classe contre classe » :<br />

le corps militant persiste dans le mélange complexe d’une insertion<br />

sociale et symbolique solide et d’une extériorité mentale,<br />

aux confins de la « contre-société » chère à Annie Kriegel. La<br />

propension à militer dans un cadre parti<strong>sa</strong>n s’atténue ; l’attraction<br />

politique, elle, perdure. Les générations d’avant-guerre<br />

contrôlent le cœur de la direction, tandis que la génération plus<br />

jeune occupe peu à peu les échelons intermédiaires ; les unes et<br />

les autres intériorisent une idéologie stricte et volontiers binaire,<br />

où l’esprit <strong>sa</strong>ns-culotte de suspicion à l’égard de l’extérieur l’emporte<br />

affectivement sur le jacobinisme rassembleur des temps<br />

du Front populaire. Une fois rétracté, entre 1947 et le début des<br />

années cinquante, ce bloc se regroupe autour de la figure rassurante<br />

de Thorez (l’homme des « deux dangers », celui qui<br />

incarne le point d’équilibre entre l’ouverture <strong>sa</strong>ns rivage et le<br />

repli identitaire). Il résiste plutôt bien aux crispations de la<br />

guerre froide. Il est à peine écorné par le choc de 1956 et par le<br />

traumatisme électoral des débuts de la Cinquième République.<br />

3.5. Le troisième élargissement, celui des années 1960-<br />

1970 se fait, on l’a vu, en deux temps. Le premier, lent et<br />

continu à partir de 1961, se rapproche dans <strong>sa</strong> logique des deux<br />

phases précédentes d’expansion : il concerne, à parts égales, la<br />

mouvance électorale et l’univers militant qui progressent de<br />

conserve, dans un moment où s’amorce la bipolari<strong>sa</strong>tion portée<br />

par les institutions de la Cinquième République. La crise de la<br />

SFIO libère un espace d’engagement militant à gauche,<br />

conforté par la radicali<strong>sa</strong>tion idéologique de la seconde moitié<br />

de la décennie. Les réticences devant la stratégie d’union de la<br />

gauche, la percée d’un tiers-mondisme « anti-impérialiste » et la<br />

tentation ascétique du maoïsme intransigeant ne touchent<br />

qu’une frange du monde communiste, essentiellement du côté<br />

de la jeunesse intellectuelle. Le « gauchisme » vilipendé par la<br />

direction ne fissure pas l’organi<strong>sa</strong>tion, même si s’installe un<br />

début de clivage entre la représentation <strong>sa</strong>lariale classique et les<br />

nouveaux apports ouvriers. Cette période voit par ailleurs<br />

l’émergence d’une nouvelle génération dirigeante, post-thorézienne<br />

(Marchais, Leroy, Laurent, Piquet), qui commence à<br />

prendre la relève en 1964, avec le retrait puis la mort de Thorez<br />

lui-même.<br />

Le deuxième temps d’expansion, après 1974, amorce le<br />

grand hiatus entre l’essoufflement électoral et l’enthousiasme<br />

militant qui suit la signature du programme commun. Tandis<br />

que l’électorat se tasse par rapport à la seconde moitié des<br />

années 1960, le PCF enregistre <strong>sa</strong> plus forte vague d’adhésions<br />

depuis la Libération ; elle aboutit à une certaine « banali<strong>sa</strong>-<br />

96 Mathilde Regnaud, Au cœur du Parti…, thèse citée, p. 232.<br />

tion » de l’organi<strong>sa</strong>tion communiste. Déprolétari<strong>sa</strong>tion ? Sans<br />

doute, mais pas dépopulari<strong>sa</strong>tion… Dans ses structures de sexe,<br />

d’âge et d’activité, le corps militant du PCF se rapproche des<br />

équilibres de la société française tout entière. Davantage ouvert<br />

que par le passé sur le monde du travail en mutations, le PC se<br />

fait de plus en plus divers, sous la houlette d’un groupe dirigeant<br />

qui, à l’image du nouveau numéro un, Georges Marchais,<br />

n’est plus soudé par le mythe soviétique, mais garde la conviction<br />

de la supériorité intrinsèque d’un parti toujours très centralisé.<br />

Ces respon<strong>sa</strong>bles sont des « héritiers » : ils n’ont connu pour<br />

l’essentiel que le parti communiste hégémonique à gauche, situé<br />

au cœur d’un espace sociopolitique élargi et fortement typé.<br />

Après 1972, ils sont pris à contrepied par une évolution politique<br />

qui ne correspond pas au schéma formalisé dans les<br />

années 1960 : contrairement à toutes les attentes, le bénéficiaire<br />

de la stratégie du programme commun n’est pas le PC, qui en<br />

a été l’initiateur, mais le PS qui l’a longtemps refusée. Cette<br />

génération militante et dirigeante ne comprend pas ce qui est en<br />

train de se passer, et s’efforce de contrecarrer l’évolution négative<br />

en s’appuyant sur ce que respon<strong>sa</strong>bles et militants « <strong>sa</strong>vent<br />

faire ». Alors que le PS de François Mitterrand se recompose<br />

autour de l’idéologie critique post-soixante-huitarde et autour<br />

de la militance nouvelle des « nouveaux mouvements sociaux »,<br />

le PCF est tenté de se replier sur ses pratiques éprouvées… celles<br />

qui correspondaient à l’évolution sociale de la seconde révolution<br />

industrielle et que le basculement des années 1970 est en<br />

train de mettre à mal. Dans une mouvance de gauche qui rêve<br />

à haute voix de la rupture et d’une société nouvelle, les communistes<br />

prennent leurs distances avec le soviétisme, <strong>sa</strong>ns produire<br />

pour autant un univers symbolique qui se substitue franchement<br />

à celui dont ce soviétisme s’était nourri.<br />

3.6. Le PC élargi, plus divers, culturellement plus ouvert<br />

sur les cultures du monde moderne, est en même temps moins<br />

homogène et plus volatil. Jusqu’au début des années 1970, le<br />

taux des départs se situe dans une fourchette de 10 à 15 % des<br />

effectifs ; à partir des années 1970, le seuil se relève progressivement,<br />

passe entre 15 et 20 % au milieu de la décennie, connaît<br />

de vives oscillations mais en moyenne reste dans cette fourchette<br />

dans les années 1980 (graphique 7). Dans la décennie<br />

1970, les flux d’entrée font plus que compenser les départs ; ce<br />

n’est plus le cas par la suite.<br />

4. Le temps de la dé<strong>sa</strong>grégation.<br />

4.1. Le tassement des années quatre-vingt se fait luimême<br />

en deux temps, révélant des logiques différentes de dé<strong>sa</strong>grégation.<br />

La crise interne qui suit la rupture de l’union de la<br />

gauche et l’entrée des relations internationales dans la nouvelle<br />

« guerre fraîche » (1975-1985) affecte une première fois l’espace<br />

militant, relativement marginalement à la charnière des deux<br />

décennies (<strong>sa</strong>uf à Paris), plus fortement à partir de 1982 et du<br />

revirement brutal que marque l’entrée des communistes dans le<br />

gouvernement Mauroy. En 1984, un nouveau revers électoral

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!