Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri
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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />
Manifestement, l’encadrement du parti a du mal à<br />
s’adapter à la nouvelle donne. Les difficultés à évaluer l’état de<br />
l’organi<strong>sa</strong>tion ne sont qu’un signe d’une carence plus globale.<br />
En fait, le PC de la Libération a du mal à concilier le bolchevisme<br />
culturel et la pratique du « parti de masse » qui est rappelée<br />
à plusieurs reprises. « On est resté à <strong>1920</strong>, alors que situation,<br />
taches et rôle différent », note Maurice Thorez, dans ses<br />
carnets personnels, à l’occasion d’une réunion du Bureau politique,<br />
le 3 avril 1947 96 . La guerre froide ne provoque pourtant<br />
pas un retour pur et simple au temps de « classe contre classe » :<br />
le corps militant persiste dans le mélange complexe d’une insertion<br />
sociale et symbolique solide et d’une extériorité mentale,<br />
aux confins de la « contre-société » chère à Annie Kriegel. La<br />
propension à militer dans un cadre parti<strong>sa</strong>n s’atténue ; l’attraction<br />
politique, elle, perdure. Les générations d’avant-guerre<br />
contrôlent le cœur de la direction, tandis que la génération plus<br />
jeune occupe peu à peu les échelons intermédiaires ; les unes et<br />
les autres intériorisent une idéologie stricte et volontiers binaire,<br />
où l’esprit <strong>sa</strong>ns-culotte de suspicion à l’égard de l’extérieur l’emporte<br />
affectivement sur le jacobinisme rassembleur des temps<br />
du Front populaire. Une fois rétracté, entre 1947 et le début des<br />
années cinquante, ce bloc se regroupe autour de la figure rassurante<br />
de Thorez (l’homme des « deux dangers », celui qui<br />
incarne le point d’équilibre entre l’ouverture <strong>sa</strong>ns rivage et le<br />
repli identitaire). Il résiste plutôt bien aux crispations de la<br />
guerre froide. Il est à peine écorné par le choc de 1956 et par le<br />
traumatisme électoral des débuts de la Cinquième République.<br />
3.5. Le troisième élargissement, celui des années 1960-<br />
1970 se fait, on l’a vu, en deux temps. Le premier, lent et<br />
continu à partir de 1961, se rapproche dans <strong>sa</strong> logique des deux<br />
phases précédentes d’expansion : il concerne, à parts égales, la<br />
mouvance électorale et l’univers militant qui progressent de<br />
conserve, dans un moment où s’amorce la bipolari<strong>sa</strong>tion portée<br />
par les institutions de la Cinquième République. La crise de la<br />
SFIO libère un espace d’engagement militant à gauche,<br />
conforté par la radicali<strong>sa</strong>tion idéologique de la seconde moitié<br />
de la décennie. Les réticences devant la stratégie d’union de la<br />
gauche, la percée d’un tiers-mondisme « anti-impérialiste » et la<br />
tentation ascétique du maoïsme intransigeant ne touchent<br />
qu’une frange du monde communiste, essentiellement du côté<br />
de la jeunesse intellectuelle. Le « gauchisme » vilipendé par la<br />
direction ne fissure pas l’organi<strong>sa</strong>tion, même si s’installe un<br />
début de clivage entre la représentation <strong>sa</strong>lariale classique et les<br />
nouveaux apports ouvriers. Cette période voit par ailleurs<br />
l’émergence d’une nouvelle génération dirigeante, post-thorézienne<br />
(Marchais, Leroy, Laurent, Piquet), qui commence à<br />
prendre la relève en 1964, avec le retrait puis la mort de Thorez<br />
lui-même.<br />
Le deuxième temps d’expansion, après 1974, amorce le<br />
grand hiatus entre l’essoufflement électoral et l’enthousiasme<br />
militant qui suit la signature du programme commun. Tandis<br />
que l’électorat se tasse par rapport à la seconde moitié des<br />
années 1960, le PCF enregistre <strong>sa</strong> plus forte vague d’adhésions<br />
depuis la Libération ; elle aboutit à une certaine « banali<strong>sa</strong>-<br />
96 Mathilde Regnaud, Au cœur du Parti…, thèse citée, p. 232.<br />
tion » de l’organi<strong>sa</strong>tion communiste. Déprolétari<strong>sa</strong>tion ? Sans<br />
doute, mais pas dépopulari<strong>sa</strong>tion… Dans ses structures de sexe,<br />
d’âge et d’activité, le corps militant du PCF se rapproche des<br />
équilibres de la société française tout entière. Davantage ouvert<br />
que par le passé sur le monde du travail en mutations, le PC se<br />
fait de plus en plus divers, sous la houlette d’un groupe dirigeant<br />
qui, à l’image du nouveau numéro un, Georges Marchais,<br />
n’est plus soudé par le mythe soviétique, mais garde la conviction<br />
de la supériorité intrinsèque d’un parti toujours très centralisé.<br />
Ces respon<strong>sa</strong>bles sont des « héritiers » : ils n’ont connu pour<br />
l’essentiel que le parti communiste hégémonique à gauche, situé<br />
au cœur d’un espace sociopolitique élargi et fortement typé.<br />
Après 1972, ils sont pris à contrepied par une évolution politique<br />
qui ne correspond pas au schéma formalisé dans les<br />
années 1960 : contrairement à toutes les attentes, le bénéficiaire<br />
de la stratégie du programme commun n’est pas le PC, qui en<br />
a été l’initiateur, mais le PS qui l’a longtemps refusée. Cette<br />
génération militante et dirigeante ne comprend pas ce qui est en<br />
train de se passer, et s’efforce de contrecarrer l’évolution négative<br />
en s’appuyant sur ce que respon<strong>sa</strong>bles et militants « <strong>sa</strong>vent<br />
faire ». Alors que le PS de François Mitterrand se recompose<br />
autour de l’idéologie critique post-soixante-huitarde et autour<br />
de la militance nouvelle des « nouveaux mouvements sociaux »,<br />
le PCF est tenté de se replier sur ses pratiques éprouvées… celles<br />
qui correspondaient à l’évolution sociale de la seconde révolution<br />
industrielle et que le basculement des années 1970 est en<br />
train de mettre à mal. Dans une mouvance de gauche qui rêve<br />
à haute voix de la rupture et d’une société nouvelle, les communistes<br />
prennent leurs distances avec le soviétisme, <strong>sa</strong>ns produire<br />
pour autant un univers symbolique qui se substitue franchement<br />
à celui dont ce soviétisme s’était nourri.<br />
3.6. Le PC élargi, plus divers, culturellement plus ouvert<br />
sur les cultures du monde moderne, est en même temps moins<br />
homogène et plus volatil. Jusqu’au début des années 1970, le<br />
taux des départs se situe dans une fourchette de 10 à 15 % des<br />
effectifs ; à partir des années 1970, le seuil se relève progressivement,<br />
passe entre 15 et 20 % au milieu de la décennie, connaît<br />
de vives oscillations mais en moyenne reste dans cette fourchette<br />
dans les années 1980 (graphique 7). Dans la décennie<br />
1970, les flux d’entrée font plus que compenser les départs ; ce<br />
n’est plus le cas par la suite.<br />
4. Le temps de la dé<strong>sa</strong>grégation.<br />
4.1. Le tassement des années quatre-vingt se fait luimême<br />
en deux temps, révélant des logiques différentes de dé<strong>sa</strong>grégation.<br />
La crise interne qui suit la rupture de l’union de la<br />
gauche et l’entrée des relations internationales dans la nouvelle<br />
« guerre fraîche » (1975-1985) affecte une première fois l’espace<br />
militant, relativement marginalement à la charnière des deux<br />
décennies (<strong>sa</strong>uf à Paris), plus fortement à partir de 1982 et du<br />
revirement brutal que marque l’entrée des communistes dans le<br />
gouvernement Mauroy. En 1984, un nouveau revers électoral