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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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plus tard que les « 21 conditions » ne suffisent pas et qu’il faut<br />

faire le tri dans les traditions agrégées sous le sigle nouveau du<br />

« Parti communiste-SFIC ».<br />

Les années <strong>1920</strong> procèdent de fait au tri, écartant à la fois<br />

ceux qui ne voyaient dans le bolchévisme que la continuation<br />

de la gauche socialiste d’avant 1914, ceux qui y retrouvaient une<br />

sorte de « minorité agis<strong>sa</strong>nte » prolongeant la méfiance du syndicalisme<br />

révolutionnaire à l’égard de tout mouvement politique,<br />

et ceux dont les références officielles au « front unique »<br />

heurtent l’antisocialisme fondamental. Globalement la « bolchevi<strong>sa</strong>tion<br />

» stalinienne concentre un effectif rétracté, qui a<br />

intériorisé la métaphore militaire de la discipline d’airain et qui,<br />

bientôt, voit dans le « marxisme-léninisme » en gestation l’antidote<br />

absolu contre toute nouvelle perversion de l’idée. Cette<br />

génération-là – qui constitue le noyau dirigeant thorézien au<br />

début des années trente – fait de « l’attachement inconditionnel<br />

à l’Union soviétique » le critère de la pureté communiste, la<br />

ligne de partage entre « les communistes » et « les autres », entre<br />

« eux » et « nous ». En même temps, à l’image de Thorez luimême,<br />

elle cultive un sens pratique du terrain, que lui assure la<br />

triple matrice d’implantation du communisme français, syndicale,<br />

municipale et associative, installée dès les années <strong>1920</strong>.<br />

Dans cette période, en fait, le communisme s’implante moins<br />

par l’organi<strong>sa</strong>tion parti<strong>sa</strong>ne elle-même, que par ses relais municipaux<br />

et syndicaux. CGTU et PCF forment ainsi des ensembles<br />

poreux, aux frontières encore indistinctes.<br />

3.2. Le premier élargissement, entre 1934 et 1937, est<br />

avant tout prolétarien. Il s’appuie sur les périphéries urbaines,<br />

séduites par la première variante du communisme municipal, et<br />

sur les activités industrielles nouvelles – la grande industrie<br />

mécanicienne – où la CGTU a pu supplanter l’hégémonie du<br />

syndicalisme réformiste dès les années trente. Par ce nouvel<br />

apport militant, l’univers mental thorézien s’élargit, de l’encadrement<br />

vers le monde militant. La troisième génération communiste<br />

se reconnaît dans une culture politique formalisée<br />

entre 1934 et 1939, fusionnant le mythe d’Octobre et les souvenirs<br />

de la « Grande Révolution » 93 . C’est à la fois une culture<br />

plébéienne et une culture d’ordre, qui fonctionne sur la base<br />

d’une valori<strong>sa</strong>tion de l’habitus ouvrier dans <strong>sa</strong> distinction et qui,<br />

en même temps, permet une certaine intégration du groupe<br />

ouvrier par l’exaltation symbolique du « peuple révolutionnaire<br />

» . En cela, le « stalinisme à la française » constitue un facteur<br />

de cohésion non négligeable : il est assez original pour<br />

« faire la différence » avec les autres cultures de la gauche française<br />

; il est assez familier pour ne pas provoquer un phénomène<br />

de rejet massif. En quelque sorte, de la distinction <strong>sa</strong>ns la séparation<br />

; de la rigueur inflexible qui é<strong>carte</strong>, mais aussi de la cohérence<br />

qui attire et qui séduit…<br />

Il est vrai que, dans la nouvelle variante du « bloc jacobin<br />

» promue par la période du Front populaire, la compo-<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

<strong>sa</strong>nte ouvrière et urbaine se voit sensiblement revalorisée, en<br />

même temps que le groupe ouvrier commence à être reconnu<br />

dans ses statuts et <strong>sa</strong> dignité. Continuité : l’ouvrier à casquette,<br />

le métallo parisien, le délégué syndical, l’élu communiste, le<br />

militant du parti… Cette période est, significativement, celle de<br />

la plus grande expansion communiste en région parisienne. La<br />

génération militante du Front populaire, malgré l’éloignement<br />

de fait que provoque le pacte germano-soviétique, la mobili<strong>sa</strong>tion<br />

des adhérents (en majorité des hommes jeunes) et la clandestinité<br />

précoce, résiste mentalement plutôt bien (à l’exception<br />

d’une partie des élus) au choc de 1939 94 . Elle reviendra, dans la<br />

guerre et surtout, bien sûr, à la Libération.<br />

3.3. Le second élargissement, en 1944-1946, est plus<br />

populaire que prolétarien. Le PCF de la Libération, auréolé de<br />

son action résistante exceptionnelle, a conquis en même temps<br />

son image de représentant par excellence des classes subalternes (il<br />

est celui que tous « les autres » ont combattu à un moment ou à<br />

un autre, entre 1939 et 1944). Le modèle soviétique d’alternative<br />

au capital est conforté par Stalingrad et le poids de l’URSS<br />

comme grande puis<strong>sa</strong>nce. Enfin, les premières élections de la<br />

Libération installent le PCF dans le statut de première force à<br />

gauche, et donc politiquement la plus « utile » pour ceux qui<br />

entendent se classer le plus à gauche possible, le plus efficacement<br />

possible. Dans une société française avide de régénération et d’engagement<br />

collectif, la percée électorale se complète, presque naturellement,<br />

par l’afflux militant vers celui qui s’est désigné en 1944<br />

comme le « parti des fusillés ». Cet apport fait fusionner la génération<br />

d’avant-guerre (le noyau d’encadrement), celle des jeunes<br />

résistants et celle des jeunes ouvriers, pour qui le PCF apparaît,<br />

par <strong>sa</strong> triple matrice originelle, comme l’incarnation la plus dynamique<br />

de l’insertion nationale du monde ouvrier. Le parti, en<br />

tout cas, se fait à la fois vivier de militantisme élargi et appareil<br />

structuré, où les « permanents » prennent une place majeure 95 .<br />

3.4. La guerre froide, qui perturbe le dualisme classique<br />

de la gauche et de la droite, se traduit par le départ rapide de la<br />

vague militante de l’immédiat après-guerre, alors que l’électorat<br />

ne descend pas au-dessous de la barre des 25 %. Le monde des<br />

militants se resserre, moins sociologiquement qu’idéologiquement.<br />

Tandis que les électeurs continuent de se porter vers la<br />

force la plus à gauche, une forte minorité se regroupe autour du<br />

parti qui incarne le « camp de la paix ». L’implantation militante<br />

reste nationalisée. Les gros bataillons, il est vrai, sont toujours<br />

dans la France urbaine et industrielle. Mais le ratio adhérents/électeurs<br />

distingue la France du Sud, proportionnellement<br />

plus militante, et la France du Nord où l’attraction communiste<br />

et la visibilité du parti reposent davantage sur<br />

l’imprégnation générale (le maillage de la municipalité, du syndicat<br />

et de l’association) que sur le poids numérique des adhérents<br />

« encartés » (voir <strong>carte</strong>s en annexe).<br />

93 Roger Martelli, « Héritiers de la Révolution française », in Jean-Pierre Azéma et alii, Le Parti communiste français des années sombres 1938-1941, Seuil, 1986.<br />

94 L’attitude à l’égard du pacte germano-soviétique restera tiutefois longtemps un critère du « bon » communisme. Jusqu’aux années cinquante, les questionnaires<br />

servant à la confection des « bios » demanderont systématiquement : « Quelle a été votre position au moment du pacte germano-soviétique ? ».<br />

95 L’appareil se diversifie dans les régions. Le PC d’avant-guerre dispo<strong>sa</strong>it d’un volant réduit de « professionnels ». À la Libération, un état conservé dans le fonds<br />

Thorez-Vermeersch (626 AP/224) comptabilise, au 24 avril 1945, 709 permanents appointés par les fédérations, dont près de 80 en région parisienne. Ils s’ajoutent,<br />

bien sûr, aux militants investis dans les municipalités et qui con<strong>sa</strong>crent un temps non négligeable aux activités du parti.<br />

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