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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />

ouvrier se construit de façon politiquement séparée, autour des<br />

deux modèles du travaillisme et de la social-démocratie. L’alliance<br />

du monde ouvrier, du travaillisme et de la social-démocratie<br />

se tisse dans la mesure où les outils politiques parti<strong>sa</strong>ns<br />

semblent permettre de poser, dans les institutions, la question<br />

de la reconnais<strong>sa</strong>nce et de l’autonomie du groupe ouvrier. Dans<br />

les pays méditerranéens ou est-européens de transition bourgeoise<br />

lente ou inachevée, la distinction ouvrière va jusqu’à la<br />

rupture à l’égard de toute politi<strong>sa</strong>tion réputée globalement<br />

bourgeoise. Le mouvement ouvrier se construit autour des<br />

valeurs de la séparation ouvrière, de l’action directe et de l’autoorgani<strong>sa</strong>tion<br />

du mouvement (le syndicalisme révolutionnaire).<br />

2.3. Par rapport à ces deux grandes évolutions, la France<br />

se caractérise par l’échec du compromis à l’anglaise et par l’expérience<br />

d’une transition bourgeoise radicale, portée par un<br />

mouvement populaire victorieux (1789-1794). Le mouvement<br />

ouvrier se construit ici de façon distincte, mais non séparée.<br />

Malgré la tentation séparatiste du syndicalisme révolutionnaire,<br />

ce qui domine est plutôt l’imbrication, conflictuelle mais inédite,<br />

entre le mouvement ouvrier et le républicanisme. La politique<br />

ouvrière oscille ainsi, en permanence, entre l’affirmation<br />

de l’autonomie au risque de la séparation (et du « solo funèbre<br />

» , selon Marx) et le choix de l’insertion républicaine au<br />

risque de la dilution identitaire. Le jauressisme apparaît comme<br />

une première synthèse entre les deux propensions ; elle se<br />

relance, après 1934, dans le dispositif communiste thorézien.<br />

La nouvelle synthèse communiste se présente à la fois comme<br />

une culture de l’extériorité (le « bolchevisme-stalinisme » du<br />

PCF est garant de la distinction communiste à l’égard de toutes<br />

les pratiques politiques « bourgeoises ») et une culture politique<br />

de l’intériorité (l’insertion dans le camp républicain permet de<br />

conjurer l’étroitesse « gauchiste »).<br />

2.4. Cette culture est assez solide pour souder l’engagement<br />

militant et en assurer la reproduction plus ou moins large<br />

dans la durée. Mais on notera dès maintenant que, dans ce<br />

cadre spécifique, le rapport du mouvement ouvrier au communisme<br />

est ambivalent : le PC se « sert » de son ancrage ouvrier<br />

pour légitimer <strong>sa</strong> fonction et ses actions ; les ouvriers se « servent<br />

» du PC pour « représenter » leurs intérêts dans l’espace<br />

institutionnel. Il s’agit, en quelque sorte, d’un partage des rôles,<br />

mutuellement accepté, mais conditionné par la réciprocité de<br />

l’échange, et donc provisoire, voué à une renégociation permanente.<br />

Au cours de la phase d’expansion, ce qui assure la solidité<br />

de l’implantation sociopolitique du communisme français est<br />

une manière de syncrétisme : dans l’espace ouvrier, le militant<br />

communiste fusionne le pouvoir charismatique du délégué<br />

ouvrier et la promesse d’une société à venir où le travail sera au<br />

centre de l’édifice social, et non en position subalterne.<br />

Au final, le PCF ne « représente » pas le groupe ouvrier –<br />

toute représentation pure est illusoire – mais il contribue au<br />

processus historique d’homogénéi<strong>sa</strong>tion symbolique et statutaire<br />

qui, sur fond de seconde révolution industrielle, autour de<br />

groupes centraux (les métallos), fait des ouvriers dispersés une<br />

« classe ». L’homogénéi<strong>sa</strong>tion est toujours relative ; elle est<br />

même pour une part un masque d’une diversité (notamment<br />

ethnique) que l’on ne veut plus voir ; elle est en même temps<br />

une réalité et une aspiration, la condition perçue de la reconnais<strong>sa</strong>nce<br />

et de la dignité collective. Dans toute l’Europe industrielle,<br />

le processus d’agrégation symbolique s’appuie sur l’essor<br />

des partis ouvriers, travaillistes ou sociaux-démocrates ; en<br />

France, à partir des années trente, elle s’adosse à l’expansion du<br />

communisme politique.<br />

2.5. En fait, le syncrétisme fonctionne tant que le PCF<br />

assume collectivement une triple fonction dans l’espace sociopolitique<br />

français : sociale, en participant, par le biais de l’association,<br />

du syndicat et de la gestion municipale, à l’intégration<br />

statutaire du monde industriel et urbain ; projective, par la<br />

reformulation (autour du mythe soviétique) de l’espérance<br />

d’une société où les humbles ne seraient plus assujettis ; politique,<br />

par la capacité à s’inscrire consciemment sur le terrain des<br />

grands rassemblements de la gauche française. La classe, la<br />

« Sociale », la gauche… Les deux premières fonctions lui assurent<br />

un noyau identitaire fort, social et idéologique ; le troisième<br />

conditionne <strong>sa</strong> capacité d’agrégation au-delà du noyau<br />

identitaire. Les deux premières se déploient dès les années<br />

<strong>1920</strong> ; la troisième prend son essor à partir de 1934.<br />

2.6. L’électorat communiste est passé de l’archipel au<br />

continent, pour revenir enfin à l’archipel 92 . L’agrégation électorale<br />

s’est inscrite dans un espace préexistant, celui du courant<br />

plébéien démocratique-révolutionnaire ; elle s’est articulée à<br />

une phase du développement social français, celle de l’expansion<br />

ouvrière et urbaine accompagnant la seconde révolution<br />

industrielle ; elle a été expansive, après 1934, quand le PCF a<br />

réussi à exercer simultanément les trois fonctions évoquées plus<br />

haut. Alors, un électorat élargi s’est agrégé, autour d’un noyau<br />

originel (la <strong>carte</strong> électorale du PCF est en place, dans son os<strong>sa</strong>ture,<br />

dès 1924). Il s’est dé<strong>sa</strong>grégé quand l’utilité fonctionnelle<br />

s’est estompée : la dé<strong>sa</strong>grégation s’est faite d’abord à la périphérie<br />

de l’électorat, puis dans son centre. Il en est de même pour<br />

le monde militant, mais selon des procédures et une chronologie<br />

spécifiques.<br />

3. Le temps de l’agrégation militante.<br />

3.1. La première vague – celle de Tours – choisit l’adhésion<br />

à l’Internationale communiste parce que, pour les adhérents<br />

socialistes qui la composent, le choix de Moscou semble le<br />

mieux à même de balayer les habitudes d’une « Union <strong>sa</strong>crée »<br />

renvoyée à une trahison de l’idéal et de la classe. En fait, on ne<br />

<strong>sa</strong>it véritablement ni ce qui se passe à Moscou, ni ce qu’est le<br />

modèle bolchevique qui ressemble tant, à première vue, aux<br />

souvenirs révolutionnaires français. La première vague, en tout<br />

cas, est si diverse que les respon<strong>sa</strong>bles internationaux jugeront<br />

92 Roger Martelli, L’archipel communiste, ouvrage cité, dernier chapitre (« Résumé/Épilogue. La fin de l’exceptionnalité ? »)

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