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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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Comment, à chaque période, fonctionnent les logiques<br />

de l’affiliation et de la dé<strong>sa</strong>ffiliation militante, dans l’espace politique<br />

particulier qui est celui du communisme politique ?<br />

1. Une exception française.<br />

La France, on le <strong>sa</strong>it, est un des pays occidentaux dont la<br />

propension à la proximité parti<strong>sa</strong>ne est la plus faible, toutes tendances<br />

confondues 86 . Tout se passe comme si se perpétuait la<br />

vieille méfiance congénitale à l’égard de toute « faction » qui<br />

contredirait l’unité imprescriptible du peuple souverain. La<br />

nation peut déléguer ses pouvoirs à des représentants ; elle ne<br />

peut confier durablement la gestion de cette représentation à<br />

quelque « corps » que ce soit. « Les partis politiques concourent<br />

à l’expression du suffrage », proclame le texte constitutionnel de<br />

1958 ; mais ce concours est tout à la fois entériné (les partis<br />

politiques ont le monopole de fait de la sélection des candidatures)<br />

et récusé (les partis politiques font partie des institutions<br />

les moins aimées du système démocratique français).<br />

En cela, le PCF constitue bien une manière d’exception<br />

dans le pay<strong>sa</strong>ge politique du XX e siècle 87 . Officiellement, il<br />

hérite de la conception bolchevique de l’avant-garde réduite,<br />

mais disciplinée à l’extrême. Mais, <strong>sa</strong>ns qu’il n’en ait jamais<br />

esquissé la formali<strong>sa</strong>tion 88 , le PCF est devenu à partir de la<br />

seconde moitié des années trente un authentique « parti de<br />

masse ». En un demi-siècle, de 1955 à 1995, plus de deux millions<br />

d’individus ont pris la décision d’adhérer au parti communiste.<br />

Pourtant, ce parti qui attire est en même temps un parti<br />

qui repousse. Parti « passoire », pour reprendre une expression<br />

qu’Annie Kriegel datait de 1926 en l’attribuant au secrétaire de<br />

l’époque, Pierre Sémard : toujours en cinquante ans, plus de<br />

deux millions d’individus ont cessé d’être comptabilisés comme<br />

membres du PCF. Globalement, seule la décennie 1965-1975 a<br />

révélé un solde positif conséquent, tandis que celle de 1986-<br />

1995 a vu se creuser le déficit, le turn over le plus important se<br />

situant entre 1976 et 1985.<br />

Au total, entre 1955 et 1975, ce sont 700 000 adhérents<br />

qui manquent à l’appel ; entre 1975 et 1995, ils sont le double.<br />

La plus grande part de tous ceux-là constitue ainsi le monde des<br />

« ex », dont les mauvaises langues disent depuis longtemps qu’il<br />

est… le plus grand parti de France. Il est vrai que les chiffres disponibles<br />

confirment, en la quantifiant, l’ampleur exceptionnelle<br />

de la sociali<strong>sa</strong>tion politique accomplie par le communisme<br />

français. Engagement militant ou vote, une part non négligeable<br />

de la politi<strong>sa</strong>tion des catégories populaires est bien passée, au<br />

XX e siècle, par leur insertion dans l’espace communiste, archipel<br />

ou continent.<br />

PCF : entrants et sortants<br />

<strong>Péri</strong>ode Entrées Sorties<br />

1955-1965 330 000 320 000<br />

1966-1975 531 000 407 000<br />

1976-1985 821 000 848 000<br />

1986-1994 375 000 480 000<br />

Le calcul des « sorties » est fait à partir des deux colonnes des<br />

« adhérents » et des « adhésions ». L’addition des effectifs d’une<br />

année et des adhésions de l’année suivante donne les « effectifs attendus<br />

». La différence des effectifs enregistrés et des effectifs attendus<br />

donne le volume des « sorties » (départs et décès). Le détail des<br />

« entrées » et des « sorties » se trouve en fin de volume, dans les<br />

tableaux documentaires extraits des deux classeurs d’organi<strong>sa</strong>tion.<br />

2. La logique de l’identification.<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

2.1. L’ampleur de l’affiliation au communisme en France<br />

n’est pas un mystère : elle participe d’un processus d’identification,<br />

à la fois collectif et individuel, qui renvoie à l’histoire plus<br />

spécifiquement française de la politi<strong>sa</strong>tion ouvrière 89 . Les cultures<br />

propres à l’espace ouvrier 90 s’enracinent dans le rapport<br />

concret au travail (le sens du collectif, l’expérience de la coopération<br />

comme ferment d’efficacité, les valeurs de l’entraide et de<br />

la solidarité) et elles se structurent volontiers dans l’opposition<br />

du « eux » et « nous ». Dans ces univers mentaux, la confrontation<br />

avec les logiques dominantes d’exploitation et de discrimination<br />

produit un rapport global conflictuel à la société et à ses<br />

clivages. Elle stimule ce que l’on peut appeler une « politi<strong>sa</strong>tion<br />

pratique » 91 , qui ne veut pas se confondre avec une politique institutionnelle<br />

renvoyée inexorablement au monde du « eux ».<br />

Dans l’habitus ouvrier, la culture syndicale et politique apparaît<br />

ainsi à la fois comme un prolongement de la politi<strong>sa</strong>tion pratique<br />

(la continuité de l’affirmation de classe dans l’univers parti<strong>sa</strong>n)<br />

et comme <strong>sa</strong> transgression (le pas<strong>sa</strong>ge du « nous » au<br />

« eux » ), une manifestation de l’identité ouvrière et une rupture<br />

avec elle.<br />

2.2. À partir de là, tout dépend du contexte historique et,<br />

en premier lieu, de la manière dont se fait le pas<strong>sa</strong>ge à la modernité<br />

bourgeoise. Dans les pays où la transition vers la société<br />

nouvelle se fait sur la base d’une marginali<strong>sa</strong>tion des mouvements<br />

populaires (Allemagne, Royaume-Uni), le mouvement<br />

86 e Colette Ysmal, Les partis politiques sous la V République, Montchrestien, 1989 ; Pascal Perrineau (dir.), L’engagement politique. Déclin ou mutation ?, Presses de la<br />

FNSP, 1994 ; Pierre Bréchon (dir.), Les partis politiques français, La Documentation française, 2005.<br />

87 Sur ce point, voir aussi Dominique Andolfatto, Fabienne Greffet, Laurent Olivier, Les partis politiques. Quelles Perpectives ?, Paris, L'Harmattan, 2001 ("Logiques<br />

Politiques").<br />

88 À la différence du PCI de Palmiro Togliatti qui s’efforce après 1944 de théoriser le pas<strong>sa</strong>ge au « partito di masse » qui est, selon lui, le fondement du « partito<br />

nuovo », nourri du bolchevisme tout en s’écartant de son caractère restrictif.<br />

89 Bernard Pudal, « Politi<strong>sa</strong>tions ouvrières et communisme », Le siècle des communismes, Éditions de l’Atelier, 2000.<br />

90 Michel Verret, La culture ouvrière, ACL Edition, 1988.<br />

91 Alf Lüdtke, cité par Bernard Pudal, voir note ci-dessus.<br />

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