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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />

parti. La base de l’affiliation se révèle ainsi, dans une multitude<br />

de liens d’association et de représentation, dans des « attentes de<br />

déférence et de protection qui lient délégués et délégataires » 71 .<br />

Les matrices d’adhésion s’inscrivent dans les liens familiaux 72 et,<br />

plus encore, dans les relations de travail. Autour du métier, surtout<br />

s’il est stable, se tisse une culture qui rayonne au-delà de<br />

l’entreprise dans la cité, le quartier ou le village ouvrier, par le<br />

truchement du syndicat, des communautés locales et familiales<br />

ou des identités locales, de ville ou de quartier. Et cette culture<br />

forme le terreau de l’adhésion, qui se colore ainsi de façon différente<br />

selon la branche ou la région : il y a le « réseau cheminot<br />

», les « filons miniers » et la myriade des « peuples métallurgiques<br />

». À chacun <strong>sa</strong> matrice et son idéaltype militant…<br />

2.3. La couleur des territoires.<br />

Ajoutons que, quelle que soit en effet son intensité et son<br />

noyau sociologique, l’agrégation au communisme – vote ou<br />

militantisme – a son environnement, qui est toujours localisé.<br />

« La matrice municipale noue les matrices entre elles », rappelle<br />

Jean-Paul Molinari 73 . La France, terre jacobine est aussi terre de<br />

la démocratie municipale. Tout en devenant de plus en plus la<br />

marque d’une individuation des rapports à la société et au<br />

monde, la politi<strong>sa</strong>tion reste déterminée fortement par les communautés<br />

locales qui l’enserrent. Moderne Antée, le communisme<br />

a par ce biais puisé une grande partie de <strong>sa</strong> force dans les<br />

terroirs, qui lui ont donné <strong>sa</strong> durabilité et <strong>sa</strong> diversité 74 . L’attachement<br />

au communisme de la pay<strong>sa</strong>nnerie rouge de l’Allier,<br />

des charbonniers du Cher, et celui des métallurgistes de la banlieue<br />

parisienne ou du bassin lorrain sont autant de modalités<br />

par lesquelles les classes subalternes trouvent les ressorts pour<br />

affirmer leur dignité encore méconnue.<br />

Le poids des organi<strong>sa</strong>tions et des personnalités, points de<br />

repère ou chefs de file, explique toujours qu’il y ait eu ou non,<br />

ici ou là, agrégation autour du communisme. Mais ce communisme<br />

ne devient un comportement stable et massif que s’il rencontre<br />

un tissu qui le reconnaît comme familier, que s’il devient<br />

le prolongement légitime de pratiques de sociabilité ellesmêmes<br />

enracinées dans une longue histoire. Et dans ces pratiques,<br />

l’habitus ouvrier occupe une place déterminante. Le<br />

communisme dans Halluin-la-Rouge est celui de tisserands flamands<br />

misérables en quête de mieux-vivre et de dignité ; celui<br />

des métallurgistes de Longwy est un communisme d’Italiens de<br />

la seconde génération, que l’action politique contribue à enraciner<br />

dans la communauté française, celui de Bobigny s’enracine<br />

dans le combat des mal-lotis. Parlant de Bobigny, l’histo-<br />

rienne Annie Fourcaut parle – formule heureuse – de « patriotisme<br />

de clocher à base de classe » 75 . La Corrèze, le Roussillon,<br />

la Dordogne : communisme de bastion, « communisme de terroir<br />

» 76 …<br />

3. L’adhésion : un fait politique.<br />

Les dimensions multiples du social se nouent dans l’espace<br />

politique où, depuis plus de deux siècles, se déploie la dialectique<br />

de la détermination et de la liberté, de l’individuel et du<br />

collectif, des pulsions et de la raison. L’apparition du parti politique,<br />

on l’a vu, coïncide avec l’individuation crois<strong>sa</strong>nte du<br />

champ social. Sans rompre avec les solidarités anciennes, l’engagement<br />

politique prend de plus en plus une dimension individuelle,<br />

qui s’exprime à la fois dans le vote et dans l’affiliation<br />

militante. Choisir son vote ou adhérer à un parti implique toujours,<br />

d’une façon ou d’une autre, un calcul stratégique, formalisé<br />

ou non. Il est façonné par son environnement géographique<br />

ou social, son dispositif psychologique et son contexte historique<br />

concret. Mais il découle fondamentalement de l’évaluation,<br />

par un individu, d’un néces<strong>sa</strong>ire (individuel ou collectif),<br />

d’un possible et d’un « utile ». On adhère pour conforter un<br />

parti dont on pense qu’il permet d’agir efficacement, dans un<br />

cadre local et/ou national, en fonction des fins collectives que<br />

l’on décide de promouvoir, en fonction d’une éthique socialement<br />

et familialement déterminée. En cela, ce n’est pas un<br />

ha<strong>sa</strong>rd si les années de forte mobili<strong>sa</strong>tion électorale coïncident<br />

souvent avec des pics d’adhésion, même dans les phases longues<br />

de régression (c’est par exemple le cas de l’année 1988).<br />

Dans le cas de la gauche, cela implique un calcul pour<br />

déterminer quelle est la force supposée la plus à gauche, la plus<br />

solide et la mieux capable de contribuer, tout à la fois, à la représentation<br />

des classes populaires et à la « concentration des<br />

gauches », que la bipartition politique à la française (le clivage<br />

droite-gauche) rend indispen<strong>sa</strong>ble dans la perspective du pouvoir.<br />

Entre 1934 et 1944, par le biais de la thématique antifasciste<br />

puis résistante, le PCF parvient à installer la conviction<br />

qu’il est plus performant en ce sens que le radicalisme vieillis<strong>sa</strong>nt<br />

ou que la SFIO qui a « raté » la gestion politique de la<br />

seconde moitié des années trente. Pendant quelques décennies,<br />

le communisme politique assume ainsi la fonction de force<br />

politique de référence, par rapport à laquelle les autres organi<strong>sa</strong>tions<br />

politiques doivent se déterminer, en conflit ou en<br />

alliance. À partir des années 1970, la concurrence du socialisme<br />

mitterrandien érode peu à peu cette image, jusqu’à la faire basculer<br />

nationalement en 1981.<br />

71 Jean-Paul Molinari, « Les matrices de l’adhésion ouvrière au PCF », article cité.<br />

72 Georges Lavau notait même, en 1981, que « le parti communiste de 1972 à 1980 tend à devenir assez largement un parti de fils et de filles de communistes » (À<br />

quoi sert le PCF ?, ouvrage cité)<br />

73 « Les matrices de l’adhésion ouvrière… », article cité.<br />

74 Les études pionnières sur « l’implantation », menées autour de Jacques Girault, ont fait l’objet d’une publication remarquée en 1977 : Sur l’implantation du parti<br />

communiste français dans l’entre-deux-guerres, Éditions sociales.<br />

75 Michel Hastings, Halluin-la-Rouge, aspects d’un communisme identitaire, Presses Universitaires de Lille, 1991 ; Gérard Noiriel, Longwy. Immigrés et prolétaires 1880-<br />

1980, PUF, 1984 ; Philippe Graton, « Le communisme rural en Corrèze », Le Mouvement social, n° 67, 1969 ; Michel Cadé, Le Parti des campagnes rouges. Histoire<br />

du Parti communiste dans les Pyrénées orientales <strong>1920</strong>-1939, Éditions du Chiendent, 1988 ; Laird Boswell, Rural Communism in France, <strong>1920</strong>-1939, Cornell<br />

University, 1998.<br />

76 La formule est de Jean-Noël Retière, « D’un enracinement ouvrier à l’enracinement communiste : le cas de Lanester dans le Morbihan», Communisme, N° 15-<br />

16, 1987.

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