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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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L’adhésion au PC participe du mouvement général vers<br />

une politi<strong>sa</strong>tion parti<strong>sa</strong>ne. Il n’est pas pour autant une simple<br />

apllication d’un modèle universel d’affiliation. Pour quelle raison<br />

adhère-t-on au PCF ? Que signifie donc cet acte, en apparence<br />

simple, par lequel un individu déclare qu’il appartient<br />

désormais à une communauté parti<strong>sa</strong>ne, explicitement référée à<br />

une idéologie, une éthique, voire à une conception du monde ?<br />

Pas d’explication unique : l’adhésion est socialement déterminée<br />

et elle relève, tout à la fois, d’un choix politique rationnel et<br />

d’une impulsion affective.<br />

1. Adhésion, adhésions…<br />

L’adhésion, tout d’abord, se décline au pluriel. Adhérer au<br />

PCF dans un « bastion », où les communistes dirigent la mairie<br />

et contrôlent les associations, ne relève pas de la même intensité<br />

que celle qui pousse à « prendre <strong>sa</strong> <strong>carte</strong> » en Al<strong>sa</strong>ce ou en<br />

Lozère. Devenir militant clandestin en 1942 ou adhérer à la<br />

Fête de l’Humanité en 1945 ne présente ni les mêmes risques,<br />

ni la même charge affective. L’engagement des « natifs » (les<br />

communistes de lignées communistes) n’a pas la même signification<br />

que celui des « convertis » 66 .<br />

En fait, le processus qui conduit à rejoindre « le Parti »<br />

est assez diversifié pour que Georges Lavau 67 ait pu naguère<br />

distinguer au moins cinq classes d’adhésion. Les adhésions<br />

d’émotion, expliquait le politologue, sont celles que l’on<br />

recueille dans un meeting, une fête ou une campagne électorale<br />

; les adhésions-régulari<strong>sa</strong>tions, plus nombreuses, parachèvent<br />

un compagnonnage plus ou moins long, par le biais<br />

notamment des syndicats ou des organi<strong>sa</strong>tions de masse ; les<br />

adhésions- rectifications, après une tentative ailleurs, poussent<br />

l’individu vers une organi<strong>sa</strong>tion plus structurée, plus<br />

active ou plus cohérente ; les adhésions d’imprégnation sont<br />

plus naturelles, par le prisme des communautés existantes, de<br />

famille, de voisinage ou de quartier. Enfin, il plaçait à part les<br />

adhésions d’intellectuels, elles-mêmes différentes selon les<br />

époques et les milieux concernés. De son côté, Annie Kriegel<br />

68 distinguait en 1968 les adhésions « politiques » (une<br />

manifestation concentrée de la conviction politique), les<br />

adhésions existentielles (l’insertion volontaire dans une<br />

contre-société) et les adhésions idéologiques, propres notamment<br />

aux intellectuels.<br />

Les trajectoires qui conduisent au communisme se déclinent<br />

à l’infini. À la limite, on trouve l’irréductibilité de chaque<br />

parcours biographique : le cheminement de l’intellectuel ancien<br />

combattant Paul Vaillant-Couturier n’est pas le même que celui<br />

de l’anarcho-syndicaliste Benoît Frachon ou que celui du jeune<br />

juif révolutionnaire venu de Pologne, Michel Feintuch, qui<br />

prendra le nom de Jean Jérôme. Nul n’adhère – et ne quitte le<br />

parti – pour les mêmes raisons…<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

2. L’adhésion : un fait social.<br />

Acte individuel par fondation, l’adhésion parti<strong>sa</strong>ne s’inscrit<br />

dans un milieu et dans un contexte. Le milieu fournit des<br />

structures d’action et des représentations, qui constituent<br />

autant de matériaux, de supports externes de personnalité réorganisés<br />

dans des biographies singulières. En cela, l’adhésion renvoie<br />

à des histoires où la détermination individuelle s’articule à<br />

la vie des groupes.<br />

2.1. La marque ouvrière.<br />

Le PCF s’est voulu fièrement le « parti de la classe<br />

ouvrière ». L’expression a souvent été contestée, soit en soulignant<br />

que de nombreuses régions ouvrières ne présentent pas de<br />

propension particulière au vote communiste ou à l’adhésion au<br />

PC (la Franche-Comté par exemple), soit en mettant en valeur<br />

le fait que le ratio adhérents/électeurs a été souvent plus élevé<br />

dans des départements de ruralité encore marquée : Corse,<br />

Creuse, Dordogne, Gers ou Hautes-Alpes (<strong>carte</strong>s 8, 9 et 10). Il<br />

n’en reste pas moins que les gros bataillons communistes sont<br />

dans les zones très urbaines et très ouvrières : Seine-Maritime,<br />

Nord et Pas-de-Calais, Meurthe-et-Moselle, Isère, Var et<br />

Bouches-du-Rhône. À quoi s’ajoute bien sûr la couronne parisienne<br />

qui manifeste avec éclat ce que l’on <strong>sa</strong>it depuis longtemps<br />

: la périphérie urbaine, populaire et ouvrière, est une<br />

terre de prédilection du communisme français. La part de la<br />

Région parisienne n’a <strong>sa</strong>ns doute pas retrouvé, après 1944, son<br />

importance d’avant-guerre ; néanmoins, elle rassemble toujours<br />

entre un cinquième et un tiers des effectifs du parti (graphique<br />

2). Au total, du point de vue du militant, comme de<br />

l’électeur, le fait communiste est largement urbain, masculin et<br />

ouvrier. C’est, <strong>sa</strong>ns nul doute, la source de son originalité : en<br />

valori<strong>sa</strong>nt le monde industriel et en promouvant une élite<br />

ouvrière en son sein et dans les institutions publiques (de la<br />

commune à l’État), le PC a constitué « une entreprise de subversion<br />

des règles du jeu politique » 69 .<br />

2.2. Des « matrices » sociales d’adhésion.<br />

Cette imbrication du communisme militant et de l’habitus<br />

ouvrier ne relève ni du ha<strong>sa</strong>rd ni de la pure nécessité. Fai<strong>sa</strong>nt<br />

œuvre d’historien, le sociologue Jean-Paul Molinari a mis en<br />

évidence, il y a quelques années, un certain nombre de stéréotypes,<br />

modèles de cheminement qu’il a désignés comme les<br />

« matrices d’adhésion » au communisme 70 . La probabilité de<br />

l’adhésion, montrait-il, varie « selon que l’ouvrier se trouve intégré<br />

dans des matrices communautaires ou, qu’à l’inverse, il s’en<br />

trouve séparé peu ou prou ». Le PCF active ces liens communautaires<br />

par des mobili<strong>sa</strong>tions volontaires (la fête, le meeting,<br />

l’assemblée locale, les appels à la lutte, les campagnes de recrutement)<br />

qui stimulent la sociabilité prolétarienne autour du<br />

66 La formule est empruntée à Catherine Leclercq, Histoires d’« ex ». Une approche socio-biographique du désengagement des militants du Parti communiste français,<br />

Thèse de science politique, 2007.<br />

67 Georges Lavau, A quoi sert le parti communiste français ?, Fayard, 1981<br />

68 Annie Kriegel, Les Communistes français, ouvrage cité.<br />

69 Julain Mischi, Servir la classe ouvrière, ouv. cit., p. 11.<br />

70 Jean-Paul Molinari, Les ouvriers communistes. Sociologie de l’adhésion ouvrière au communisme, L’Albaron, 1991.<br />

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