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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />

3. La nais<strong>sa</strong>nce de « l’adhérent ».<br />

L’engagement parti<strong>sa</strong>n, en milieu populaire, participe<br />

ainsi de l’évolution générale qui affecte la société française en<br />

général et le monde ouvrier en particulier 64 . « L’émotion » d’Ancien<br />

régime était affaire de groupes d’affinité (locale et/ou de<br />

métier) qui se mobilisent ensemble, dans un moment ou dans<br />

un lieu cristalli<strong>sa</strong>teur. Le vote de 1848, comme le vote des<br />

paroisses de 1789, était encore vécu comme un acte de communauté,<br />

ouvrière ou pay<strong>sa</strong>nne, qui va par exemple, en cortège,<br />

porter le bulletin dans l’urne et accompagner la personnalité qui<br />

doit représenter le groupe dans les enceintes instituées. La charnière<br />

des XIX e et XX e siècles, elle, voit tout à la fois s’installer le<br />

caractère individuel et secret du vote (l’introni<strong>sa</strong>tion de l’isoloir)<br />

et s’institutionnaliser, par la légali<strong>sa</strong>tion des associations, la propension<br />

à afficher son orientation politique en adhérant à un<br />

parti. La fierté ouvrière passe du métier à la classe, en transitant<br />

– pour une minorité de ladite classe – par l’adhésion syndicale<br />

et l’affiliation au socialisme politique. La voie s’ouvre pour le<br />

parti moderne.<br />

Le glissement vers l’identification parti<strong>sa</strong>ne ne fait pas<br />

disparaître les autres ressorts de l’engagement. La plupart du<br />

temps, notamment dans l’espace populaire et ouvrier, elle s’articule<br />

avec les autres formes de sociabilité, festive, associative ou<br />

syndicale. L’identification politique, en fait, se construit dans<br />

une biographie et un emploi du temps dont les modulations se<br />

déplacent, au gré des cheminements individuels, des trajectoires<br />

familiales et des conjonctures politiques. Le pas<strong>sa</strong>ge au politique<br />

institué se fait et se défait, sous la forme feutrée des transferts de<br />

militance (du temps de l’engagement syndical au politique, et<br />

vice-ver<strong>sa</strong>) ou sous la forme plus affective de l’affiliation et de la<br />

dé<strong>sa</strong>ffiliation.<br />

4. Miles, militant…<br />

La Grande Guerre, dans un premier temps, fait reculer de<br />

façon absolue l’agrégation syndicale et politique et, même, une<br />

partie des habitus de classe. L’individu se raccorde au monde<br />

extérieur par l’immersion dans la fraternité des tranchées, ou<br />

dans la solidarité immédiate du voisinage ou du collectif de travail<br />

pour ceux qui restent à l’arrière. Il faut que s’étende la lassitude<br />

devant l’interminable guerre et que s’exacerbe la colère<br />

devant des privations inégalement partagées, pour que se<br />

relance le désir d’identification politique un moment enfoui. La<br />

logique de l’adhésion reprend le dessus, dès avant la fin du<br />

conflit. Dans une époque de violence généralisée, elle prend une<br />

forme différente, plus radicale, à l’image des nouvelles générations<br />

ouvrières. Par ailleurs, elle est très vite colorée par les<br />

images, plus ou moins mythiques, d’un engagement bolchevique<br />

russe qui évoque si immédiatement les souvenirs français<br />

de la <strong>sa</strong>ns-culotterie et du jacobinisme. Le désir d’organi<strong>sa</strong>tions<br />

rénovées, moins notabiliaires et plus agressives, moins parlementaires<br />

et plus militantes, se répand dans une fraction non<br />

négligeable de la gauche et du mouvement ouvrier. Le modèle<br />

de Moscou prend la place laissée vacante par celui de Berlin.<br />

64 Raymond Huard, La nais<strong>sa</strong>nce du parti politique en France, Presses de Sciences Po, 1996.<br />

65 Roger Martelli, L’archipel communiste. Une histoire électorale du PCF, Éditions sociales, <strong>2009</strong>.<br />

Dans ce contexte, le sens de l’adhésion se déplace, devient plus<br />

total, sous la double pression de l’exaltation post-guerre et du<br />

modèle russe. La « brutali<strong>sa</strong>tion » ouverte par la boucherie de<br />

1914-1918 donne du poids à la métaphore belliqueuse : si l’histoire<br />

n’est rien d’autre que celle de la lutte des classes, prendre<br />

politiquement parti ne signifie rien d’autre que choisir son<br />

camp ou son armée. Miles, soldat, militant…<br />

À partir des années <strong>1920</strong>, deux phénomènes tendent en<br />

France à s’articuler de plus en plus. La polari<strong>sa</strong>tion électorale<br />

superpose les territoires anciens du courant plébéien révolutionnaire<br />

issu de la Révolution française et les espaces ouvriers, ceux<br />

des isolats et, de plus en plus, ceux des périphéries urbaines de<br />

la seconde révolution industrielle. La polari<strong>sa</strong>tion parti<strong>sa</strong>ne,<br />

elle, est au départ très partagée, l’exception française d’une radicali<strong>sa</strong>tion<br />

majoritaire autour du modèle bolchevique-soviétique<br />

lais<strong>sa</strong>nt, dès le début des années vingt, la place à un retour en<br />

force de la « vieille maison » liée à la social-démocratie européenne.<br />

Par la suite, le double choc de la crise sociale et de la<br />

percée fasciste replace sur le devant de la scène la variante, plus<br />

prolétarienne et plus industrielle, du bloc jacobin incarné par le<br />

PCF du tournant antifasciste de 1934-1935. L’archipel électoral<br />

du PCF se fait continent 65 : les « terres de mission » se colorent<br />

et le vote communiste se nationalise (ce trait perdurera<br />

jusqu’en 1978). Quant à l’adhésion au PC, on a vu qu’elle<br />

atteint une densité exceptionnelle, quel que soit le niveau<br />

retenu in fine.<br />

5. Un modèle original.<br />

Avec la création du PCF, s’installe en tout cas un modèle<br />

original d’engagement parti<strong>sa</strong>n. De façon générale, l’entredeux-guerres<br />

confirme la spéciali<strong>sa</strong>tion fonctionnelle du champ<br />

de la politi<strong>sa</strong>tion : le déclin du syndicalisme révolutionnaire<br />

entérine la séparation définitive du syndicat et du parti, la distinction<br />

du « social » et du « politique ». En même temps, le<br />

communisme politique théorise la nécessité toute bolchevique<br />

d’une immersion du militant d’avant-garde dans le tissu des<br />

« organi<strong>sa</strong>tions de masse », et en premier lieu dans le syndicalisme.<br />

Ainsi s’installe un réseau de pratiques communistes articulant<br />

les activités syndicales, associatives et proprement politiques,<br />

dans un univers politique cohérent qui est celui de la<br />

France communiste, et dont le modèle le plus visible se trouve<br />

dans le « communisme municipal ». Cette galaxie militante –<br />

base de l’hégémonie territoriale du communisme en milieu<br />

urbain – est, de façon paradoxale, le meilleur équivalent… de la<br />

galaxie social-démocrate dans les pays de l’Europe du Nord et<br />

du Nord-est. L’univers communiste réarticule, sous dominante<br />

du parti, des pratiques populaires que la politique moderne a<br />

dissociées. De ce fait, l’emploi du temps militant ordonne, de<br />

façon complexe, des activités personnelles qui, selon les<br />

périodes, se portent plutôt vers l’organi<strong>sa</strong>tion de masse, vers le<br />

syndicat ou vers le parti lui-même. Reste à comprendre les processus<br />

qui portent vers l’adhésion… et ceux qui poussent vers le<br />

départ.

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