01.07.2013 Views

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’engagement politique, communiste ou non, est un<br />

vaste et complexe processus psychosocial de polari<strong>sa</strong>tion des<br />

comportements individuels et collectifs, que les politologues<br />

désignent depuis longtemps comme la « politi<strong>sa</strong>tion » 61 . Ce processus<br />

distingue et raccorde des moments différents, dans lesquels<br />

l’affiliation parti<strong>sa</strong>ne n’est qu’un moment parmi d’autres,<br />

dans une gamme d’attitudes, complexes et réversibles, qui vont<br />

de l’engagement ponctuel à la professionnali<strong>sa</strong>tion politique, de<br />

la proximité simple à l’adhésion « totale ».<br />

1. La nais<strong>sa</strong>nce de l’engagement politique.<br />

La politi<strong>sa</strong>tion procède au départ du lent mouvement de<br />

désenclavement qui affecte la société d’Ancien régime, à la fin<br />

du XVIII e siècle. Le recul de l’extrême pauvreté rurale, la commerciali<strong>sa</strong>tion<br />

crois<strong>sa</strong>nte des surplus agricoles, la mobilité qui<br />

touche le monde rural et les premiers réseaux populaires de circulation<br />

de l’information (colportage notamment) nourrissent<br />

la conscience balbutiante d’une communauté de destin qui<br />

transcende le cadre de la « communauté d’habitants » ancrée<br />

dans les paroisses françaises. La révolution des villes amorcée au<br />

printemps et à l’été de 1789 cristallise la césure. Les individus<br />

ne se situent plus seulement par rapport à la communauté de<br />

vie immédiate, mais par rapport à la nation : cet espace de mise<br />

en commun est plus concret que le monde, encore impalpable<br />

pour le plus grand nombre, tout en étant infiniment plus large<br />

que le terroir ou que la paroisse de la vie quotidienne. Les<br />

vieilles « émotions » populaires se banalisent dans la multiplication<br />

des journées révolutionnaires, tandis que la pétition et la<br />

réunion complètent l’occupation de la rue. La politique occupe<br />

une part crois<strong>sa</strong>nte de l’emploi du temps ; elle institutionnalise<br />

la réunion en débouchant sur les premières ébauches de l’association<br />

(les clubs, puis les sociétés populaires) ; elle inscrit <strong>sa</strong><br />

marque sur les territoires 62 .<br />

L’échec de la radicali<strong>sa</strong>tion révolutionnaire de 1793-<br />

1794, le resserrement bourgeois, l’ordre impérial et les contrerévolutions<br />

du premier XIX e siècle font refluer la vague associative<br />

de type politique. Des sociétés populaires, l’engagement se<br />

déplace vers les formes semi-publiques de l’action sociale (la<br />

mutuelle, la coopérative, la société d’entraide), vers les<br />

contournements de la censure politique (les clubs et les cafés)<br />

ou vers les sociétés clandestines (les sociétés secrètes républicaines)<br />

qui sont le premier creuset de l’engagement parti<strong>sa</strong>n.<br />

« Le » politique se confond avec les premiers rudiments de<br />

l’opinion publique et se dissout partiellement dans les formes<br />

générales de la sociabilité : « la » politique stricto sensu se réfugie<br />

plutôt dans les foyers conspirateurs entretenus par de petits<br />

groupes d’hommes. Il faut attendre le choc du dernier XIX e siècle,<br />

l’intériori<strong>sa</strong>tion et « l’apprivoisement » du suffrage universel<br />

masculin 63 et les premiers pas de la démocratie municipale<br />

Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />

d’une part et, d’autre part, l’affirmation du groupe ouvrier,<br />

pour que se relance la nécessité d’une organi<strong>sa</strong>tion spécifiquement<br />

politique.<br />

2. La politique se spécialise.<br />

À l’échelle de la société tout entière, le triomphe républicain<br />

s’accompagne d’une stabili<strong>sa</strong>tion et d’une première professionnali<strong>sa</strong>tion<br />

de l’activité politique. Les effets du suffrage universel<br />

sont contradictoires : d’un côté, la régulari<strong>sa</strong>tion des<br />

procédures de vote limite la violence des guerres civiles antérieures<br />

et cherche à pacifier les catégories populaires en les<br />

domestiquant ; d’un autre côté, le peuple pacifié devient un<br />

enjeu politique central. Les républicains « opportunistes » s’enlisent<br />

pour n’avoir pas compris le poids grandis<strong>sa</strong>nt de la question<br />

sociale. Les républicains « radicaux », eux, installent leur<br />

hégémonie sur le socle de ce qu’Antonio Gramsci appellera plus<br />

tard le « bloc jacobin » : l’alliance des classes moyennes et des<br />

catégories populaires dominées, autour du projet d’un État de<br />

droit, modérément redistributeur, appuyé sur la démocratie<br />

communale et garantis<strong>sa</strong>nt des espaces d’ascension sociale via<br />

l’école et l’expansion des services d’État. La France radicale légitime<br />

ainsi un vote de gauche élargi, pui<strong>sa</strong>nt ses ressources symboliques<br />

dans le legs révolutionnaire et dans l’exaltation populaire<br />

du Tiers État.<br />

Dans l’espace ouvrier, les organi<strong>sa</strong>tions se différencient.<br />

L’association ouvrière de type coopératif ou mutualiste marque<br />

le pas, tandis que s’approfondit la distinction (au départ<br />

concurrentielle) du syndicat (1895) et du parti (1879-1905).<br />

Au modèle britannique centré sur la toute-puis<strong>sa</strong>nce des tradeunions,<br />

on préfère une voie intermédiaire entre le modèle<br />

social-démocrate « pur » de la subordination syndicale et le<br />

modèle libertaire du syndicalisme révolutionnaire, fédérateur<br />

privilégié de la classe et ferment de la société de l’avenir. Dans<br />

le mouvement socialiste, c’est la méthode du Parti ouvrier de<br />

Jules Guesde qui est la plus propulsive, avec son choix d’une<br />

fédération de groupes strictement politiques, avec ses 16 000<br />

adhérents en 1893 et avec son électorat conséquent et typé<br />

(40 % du total des voix socialistes). Jusqu’à la fin du XIX e siècle,<br />

le parti ouvrier reste une communauté d’idéal (socialiste) et<br />

d’objectif (collectiviste), fonctionnant sur le vieux modèle de la<br />

fédération des communes ; au début du siècle suivant, il devient<br />

un regroupement d’individus, agrégés dans une structure centralisée<br />

qui tend en principe à parler d’une seule voix. Tandis<br />

que l’élite ouvrière – les « sublimes » du premier XIX e siècle –<br />

partageait la sociabilité coutumière des cercles populaires, les<br />

ouvriers de masse du textile ou de la métallurgie s’engagent dans<br />

une organi<strong>sa</strong>tion unifiée qui est pour eux une manière plus efficace<br />

et plus moderne d’exprimer l’unité de la classe au travers<br />

de celle du parti.<br />

61 Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutort (dir.), Nouveau manuel de science politique, La Découverte, <strong>2009</strong>.<br />

62 Michel Vovelle, La découverte de la politique. Géopolitique de la Révolution française, La Découverte, Paris, 1993.<br />

63 La formule est empruntée à Tocqueville décrivant la révolution de 1848. Le processus est analysé par Alain Garrigou, « L’apprivoisement du suffrage universel »,<br />

dans Antonin Cohen, Bernard Lacroix et Philippe Riutort (dir.), Nouveau manuel de science politique, ouvrage cité.<br />

23

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!