Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri
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en phase de politi<strong>sa</strong>tion intense. En dix ans, de 1967 à 1977, la<br />
part des organi<strong>sa</strong>tions d’entreprises passe de 25 % à 37 %. Le<br />
PC attire une gauche militante qui rêve de bouleversement<br />
social, qui se méfie du PS et ne se laisse pas séduire par une<br />
extrême gauche trop brouillonne et mal implantée. Ses adhérents,<br />
comme ses électeurs, conservent la même distribution<br />
territoriale, mais se rapprochent du profil de la population française<br />
57 : plus jeunes, plus féminins, moins prolétariens, plus<br />
ouverts sur le monde des employés et des couches moyennes<br />
<strong>sa</strong>lariées (tableau 14). La bonne <strong>sa</strong>nté militante contredit les<br />
doutes électoraux et confirme, en apparence, ce qui était le<br />
credo des années soixante : l’union de la gauche finira par profiter<br />
à la force la plus dynamique du point de vue militant. Le<br />
PCF a pour lui d’être un grand parti populaire en train de se<br />
moderniser, comme son grand voisin communiste d’Italie ; la<br />
force militante, veulent croire les respon<strong>sa</strong>bles français, renversera<br />
la dynamique électorale hésitante et permettra au PCF de<br />
rester la première force à gauche. À la fin des années 1970, au<br />
moment même où s’amorce le reflux, on se remet, au sommet<br />
du PCF, à rêver du « million d’adhérents » dont on annonce<br />
bruyamment la proximité. Toujours pas de théori<strong>sa</strong>tion du<br />
« parti de masse » (le modèle bolchevique fondateur est inentamé)<br />
; mais la vague de 1974-1977 laisse augurer de nouveaux<br />
horizons.<br />
6. Le tassement des années 1980<br />
L’espoir, on le <strong>sa</strong>it, bute sur les élections de 1978 : à l’issue<br />
de son premier bras de fer avec le PS de François Mitterrand,<br />
le PC est distancé, pour la première fois depuis 1945<br />
(<strong>carte</strong> 9). L’insuccès communiste et la défaite de la gauche, inattendue<br />
un an plus tôt, ouvrent une vague de crises internes dont<br />
l’ampleur ira crois<strong>sa</strong>nt, de la fronde intellectuelle du printemps<br />
1978 jusqu’aux dissidences de 1984-1989, en pas<strong>sa</strong>nt par le<br />
conflit de la fédération de Paris. De 1979 à 1987, le PCF<br />
connaît un mouvement de rétraction ininterrompu qui le rapproche<br />
des 350 000 adhérents, soit un tiers des effectifs en<br />
moins ; les départs dans cette période pourraient se situer<br />
autour de 700 000 adhérents, dont près de 500 000 entre 1979<br />
et 1984 (tableau 12).<br />
Trois dates se détachent par l’importance des départs<br />
qu’elles occasionnent : par ordre d’importance, il s’agit de 1984,<br />
de 1979 et de 1982. Entre 1979 et 1984, le PCF perd chaque<br />
année près d’un adhérent sur cinq, le mouvement annuel des<br />
adhésions ne parvenant plus à compenser les pertes. Le fléchissement<br />
de 1979 est l’effet direct de la rupture de l’union de la<br />
gauche : neuf départements voient s’éloigner plus d’un quart de<br />
leurs membres, 26 autres entre un cinquième et un quart ; les<br />
zones les plus touchées sont la région parisienne, la Normandie<br />
et la France de l’Est. La participation gouvernementale décidée<br />
en 1981 ne change pas la donne et éloigne, à peu près dans les<br />
mêmes territoires, celles et ceux qui ne comprennent pas le<br />
retour à l’union avec le PS, cette fois dans un rapport des forces<br />
défavorable au PC. Enfin, le choc des Européennes de 1984<br />
57 François Platone, « Les adhérents de l’apogée. La composition du PCF en 1979 », Communisme, n° 7, 1985.<br />
58 Jean-Paul Molinari, « Les matrices de l’adhésion ouvrière au PCF », Communisme, n° 15-16, 1987<br />
59 Le registre ne mentionne le nombre de militants organisés à l’entreprise qu’entre 1985 et 1994.<br />
Données nouvelles sur les effectifs du PCF<br />
apparaît comme la première crise violente à l’intérieur de la<br />
direction. Le reflux s’accélère : cette fois, ce sont 12 fédérations<br />
qui perdent plus du quart de leurs adhérents et 15 autres entre<br />
le cinquième et le quart. Le « noyau » est affecté avec la région<br />
parisienne (à l’exception du Val-de-Marne), le Rhône, le Pas-de-<br />
Calais, la Sarthe, la Gironde et la Haute-Garonne (<strong>carte</strong> 12).<br />
Après la violence du choc, l’hémorragie se calme quelque<br />
peu entre 1985 et le début de la décennie 1990, même si les<br />
gonflements de tel ou tel chiffre fédéral (notamment en région<br />
parisienne) devraient conduire à réévaluer à la baisse les totaux<br />
nationaux de l’époque. En 1988 – année de mobili<strong>sa</strong>tion présidentielle<br />
– les effectifs semblent même se redresser, pour la première<br />
fois depuis dix ans. Le sociologue Jean-Paul Molinari<br />
voyait, dans la fugace rémission de ces années, la réaction de certains<br />
« électeurs fidèles » qui entendent, en adhérant, exprimer<br />
leur désir de « résistance à la démobili<strong>sa</strong>tion et la démorali<strong>sa</strong>tion,<br />
accentuées par la prophétie du déclin historique » 58 . Quoi<br />
qu’il en soit, entre 1978 et 1994 – le départ de Georges Marchais<br />
– le PCF a perdu la moitié de ses adhérents. Les zones de<br />
force résistent un peu mieux que les autres, quels que soient le<br />
type et l’ancienneté (l’Allier, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-<br />
Marne, le Pas-de-Calais et le Nord, la Dordogne, le Gard ou la<br />
Seine-Maritime). En revanche, 17 fédérations perdent plus du<br />
tiers de leurs effectifs, dont Paris, la Corse, la Haute-Vienne et<br />
le Finistère. Le parti est désormais pénalisé par un triple mouvement<br />
: le dé<strong>sa</strong>rroi crois<strong>sa</strong>nt d’un monde ouvrier qui voit ses<br />
conquêtes remises en cause par la crise puis par le tournant de<br />
la « rigueur » (c’est le cas notamment de l’Est sidérurgiste et<br />
minier) ; les incompréhensions devant les revirements stratégiques<br />
successifs d’un PC ne <strong>sa</strong>chant plus comment gérer une<br />
union de la gauche qui n’a pas du tout répondu à ses espérances<br />
initiales ; le délitement du mouvement communiste international,<br />
dont l’existence constituait le « grand arrière » d’un engagement<br />
communiste combinant historiquement, au XX e siècle,<br />
l’espérance d’Octobre et l’esprit révolutionnaire français.<br />
Le PCF s’affaiblit dans le monde du travail. La tendance<br />
au recul des cellules d’entreprise s’enclenche après 1975, se<br />
poursuit en continu jusqu’au milieu des années 1990, ne fait<br />
que s’accélérer par la suite (graphique 6). Entre 1985 et 1994,<br />
la part des cellules d’entreprises passe de 30 % à 26 % ; dans la<br />
même période, le nombre des adhérents en entreprise passe, lui,<br />
de 18,5 % à 13,3 % 59 . Manifestement, le PCF souffre sur ce<br />
plan du recul général du « mouvement ouvrier ». Le reflux<br />
industriel, la crise du syndicalisme et les transformations des<br />
pratiques de la classe déstabilisent, tout à la fois, les collectifs de<br />
travail, les formes classiques de solidarité et la transmission des<br />
cultures du labeur. La crise sidérurgique de 1979-1984 ne fait<br />
que cristalliser, de façon explosive, le déclin du modèle prolétarien<br />
du métallo, dont l’expansion avait fait corps avec celle de<br />
l’espace communiste. De même, le recul de l’espace public<br />
affecte le poids des ouvriers à statut (cheminots, gaziers, électriciens,<br />
postiers, etc.) qui formaient l’autre pôle ouvrier de la militance<br />
et de l’encadrement du PCF.<br />
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