Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri
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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />
L’évolution de la Libération a deux faces. D’un côté, la<br />
Résistance a renforcé l’ancrage militant dans la France rurale<br />
marquée en longue durée par la tradition plébéienne révolutionnaire<br />
: là, le PCF de 1944-1946 prend définitivement la<br />
relève du socialisme rural et d’un radicalisme emporté par la<br />
débâcle de la Troisième République. En revanche, les départements<br />
les plus ouvriers sont ceux où la progression est la plus<br />
faible par rapport à l’avant-guerre. La part de la région parisienne<br />
se situe désormais entre 18 % et 20 % et Philippe Buton<br />
fait justement remarquer que, dans cette région, c’est le centre<br />
parisien qui prend l’ascendant sur les bastions ouvriers de la<br />
Seine.<br />
4. Les flux de la guerre froide<br />
On a évoqué plus haut les hypothèses permettant de <strong>sa</strong>isir<br />
approximativement les contours numériques de l’organi<strong>sa</strong>tion.<br />
Quels que soient les niveaux réels, la tendance est bien sûr<br />
la même : en deux ans, de 1947 à 1949, les effectifs ont fondu<br />
de plus du tiers 52 et, après une courte rémission en 1950, ils<br />
enregistrent une perte du même ordre en 1951 et 1952. Quand<br />
Marcel Servin prend la relève d’Auguste Lecœur, en 1954, le<br />
PC se retrouve péniblement au niveau officiel d’août 1939. Les<br />
directions affectent de ne pas s’inquiéter outre mesure de ce<br />
recul, dont la mesure exacte n’est jamais donnée, ni au Bureau<br />
politique ni au Secrétariat. Le 14 septembre 1953, quelque<br />
temps avant <strong>sa</strong> disgrâce, Auguste Lecœur explique tranquillement<br />
devant le Bureau politique 53 que le parti compte 400 000<br />
adhérents, alors que ses propres états n’en enregistrent que<br />
254 000. Il rappelle le « gonflement exceptionnel » de 1946,<br />
pour ajouter que, depuis, « une épuration naturelle et bienfai<strong>sa</strong>nte<br />
s’est opérée au cours des luttes et de la répression contre<br />
notre Parti ». 54 Au début des années 1950, le parti s’est rétracté.<br />
À la charnière des années quarante et cinquante, trois chiffres<br />
balisent le pay<strong>sa</strong>ge militant : le chiffre mirifique est celui de<br />
Thorez en 1950 (786 855 <strong>carte</strong>s délivrées par la trésorerie) ; le<br />
chiffre le plus près des informations du centre est celui fourni<br />
par les archives de Lecoeur pour la même année (509 819 <strong>carte</strong>s<br />
expédiées) ; l’étiage est dessiné par le chiffre de Tillon (172 000<br />
<strong>carte</strong>s payées en 1949).<br />
Globalement, la locali<strong>sa</strong>tion des adhérents n’a pas changé,<br />
avec les mêmes lignes de force et de faiblesse (<strong>carte</strong> 4). Mais la<br />
moitié nord s’est éclaircie, les pertes les plus nettes s’enregistrant<br />
dans le département du Nord, l’Île-de-France et la Bretagne. Le<br />
communisme ruralisé des pourtours du Massif central, des<br />
Alpes, du littoral méditerranéen et de la Corse résiste un peu<br />
mieux, traçant une <strong>carte</strong> du rapport adhérents-électeurs qui<br />
coupe la France métropolitaine en deux, de part et d’autre d’un<br />
arc qui va des Hautes-Pyrénées jusqu’au Rhin.<br />
Après 1952 – paroxysme de la guerre froide pour le<br />
PCF – le recul s’atténue peu à peu, avec même une remontée<br />
sensible en 1956, stimulée par les espoirs des législatives de janvier<br />
et de la victoire du « Front républicain ». Il est vrai que cette<br />
année prometteuse se clôt sur le drame hongrois : l’année suivante,<br />
en 1957, le déficit de <strong>carte</strong>s placées est de 10 % sur l’année<br />
précédente et les départs avoisinent les 15 % des effectifs,<br />
un pourcentage d’autant plus important que l’implantation est<br />
plus large et plus ancienne. Le choc de 1958, lui, n’affecte que<br />
faiblement l’organi<strong>sa</strong>tion, alors qu’il ébranle sérieusement l’électorat.<br />
Au début de la décennie suivante, les rangs du PC ne se<br />
sont éclaircis que de 15 000 unités par rapport à 1958, fai<strong>sa</strong>nt<br />
du PCF, malgré son échec électoral, la force militante à gauche<br />
la plus solide au moment où s’affirme le tournant présidentialiste<br />
de la Cinquième République.<br />
5. La poussée de l’union de la gauche<br />
De 1961 à 1978, le PC va connaître une progression<br />
militante presque continue, atteignant en fin de période un<br />
niveau d’adhérents exceptionnel qui le rapproche du pic de la<br />
Libération (tableau 11). La poussée est sensible dès l’année<br />
1962, qui voit coïncider le regain électoral et la bonne <strong>sa</strong>nté<br />
militante : cette année-là, le nombre des adhésions enregistrées<br />
a doublé par rapport à l’année précédente et correspond à un<br />
cinquième des effectifs antérieurs. L’ensemble de la décennie<br />
maintient le rythme : en 1968, le PC a dépassé de nouveau le<br />
seuil des 300 000 <strong>carte</strong>s placées.<br />
La crois<strong>sa</strong>nce s’accélère après la signature du programme<br />
commun, à l’été de 1972 : les 350 000 <strong>carte</strong>s placées sont<br />
dépassées en 1975. Pendant six ans, le pourcentage des nouvelles<br />
adhésions se situe entre un cinquième et un tiers du total<br />
antérieur. Entre 1976 et 1978, ce sont près de 400 000 nouveaux<br />
membres qui sont comptabilisés par le registre de la section<br />
d’Organi<strong>sa</strong>tion (graphique 4). Les plus fortes progressions<br />
depuis 1968 s’observent en Normandie, en Picardie, en Champagne-Ardenne,<br />
dans la grande couronne parisienne, en Loire-<br />
Atlantique, en Gironde, dans le Cantal et dans l’Hérault<br />
(<strong>carte</strong> 11). Mais l’expansion est moindre à Paris et dans la<br />
petite couronne parisienne, dans les Bouches-du-Rhône et dans<br />
le Pas-de-Calais, ainsi que dans les départements expansifs de la<br />
Libération, où le PS vient concurrencer sévèrement le PC qui<br />
l’avait supplanté entre 1936 et 1945.<br />
Alors que la grande crois<strong>sa</strong>nce d’après-guerre s’essouffle,<br />
le PCF semble à nouveau à son apogée. Il reste implanté dans<br />
le monde du travail et, sur la base d’un effort volontaire soutenu<br />
55 , il renforce la part de ses cellules d’entreprise, parvenant<br />
à convaincre une part non négligeable des militants, notamment<br />
syndicaux 56 , que le syndicalisme en entreprise ne suffit pas<br />
52 La diffusion de l’Humanité passe de 450 000 en avril 1947 à 400 000 en 1948, 310 000 en 1949 et 190 000 en 1950.<br />
53 Fonds Thorez-Vermeersch (626 AP/35)<br />
54 Dans le même rapport, Lecoeur se réjouit ostensiblement de ce que « notre campagne de l’année précédente pour la reprise des <strong>carte</strong>s, à l’aide des instructeurs<br />
politiques de cellules, a permis d’accroître nos effectifs d’une vingtaine de milliers de membres ». On <strong>sa</strong>it que cette initiative des « instructeurs de cellules » sera<br />
au centre de l’accu<strong>sa</strong>tion contre lui, quelques mois plus tard. Il est vrai que la gestion de Lecœur suscite des réticences, comme le montre la mise à l’écart, à l’été<br />
de 1953, de Marius Patinaud (adjoint de la section d’Organi<strong>sa</strong>tion depuis février 1947).<br />
55 L’effort de direction pour un renforcement de l’organi<strong>sa</strong>tion en entreprises se tisse, sous les auspices de Georges Marchais (assisté par Jean Burles) entre le Congrès<br />
de juin 1961 et la Conférence nationale de Gennevilliers, en février 1963.<br />
56 Julian Mischi, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Presses Universitaires de Rennes, 2010.