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Prendre sa carte 1920-2009 - Fondation Gabriel Péri

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PRENDRE SA CARTE <strong>1920</strong>-<strong>2009</strong><br />

en deux : les 506 250 adhérents qu’il annonce au Congrès sont<br />

presque à mi-chemin des chiffres proclamés de l’année 1949<br />

(- 280 000) et du total inscrit dans le classeur noir (+ 230 000) 31 .<br />

Situation paradoxale : à plusieurs reprises, à partir des<br />

années soixante, la « section » puis le « secteur » d’Organi<strong>sa</strong>tion<br />

s’efforcent réellement d’appréhender le niveau réel des effectifs,<br />

parfois en redres<strong>sa</strong>nt les estimations fédérales 32 . Mais cet effort<br />

interne d’introspection reste secret. En fait, de plus en plus prisonniers<br />

des communiqués antérieurs, les sommets du parti<br />

entérinent ce que Philippe Robrieux, à partir d’un « mot » de<br />

Jacques Duclos, appelle la « politique du chiffre » 33 : est seul pertinent<br />

le dénombrement qui correspond aux intérêts immédiats<br />

du parti. Si l’on se réfère au tableau 7, de 1949 à 1994, les chiffres<br />

officiels auraient été d’un quart à plus de la moitié au-dessus<br />

du total des <strong>carte</strong>s placées auprès des adhérents.<br />

Quand le PCF retrouve un processus de regain, au début<br />

des années 1960, la direction décide de proposer aux cadres et<br />

aux adhérents un bilan de <strong>sa</strong>nté plus fiable 34 . Pas question<br />

d’énoncer les effectifs du registre d’organi<strong>sa</strong>tion : ce serait<br />

reconnaître que les données précédentes étaient artificiellement<br />

gonflées 35 . Mais, à tout le moins, des informations à peu près<br />

correctes 36 sont données sur les tendances d’évolution. Pendant<br />

quelques décennies, les communistes sont ainsi abreuvés de<br />

pourcentages de <strong>carte</strong>s placées par rapport à l’année précédente…<br />

<strong>sa</strong>ns jamais <strong>sa</strong>voir quel était le niveau de l’année précédente.<br />

L’essentiel n’est-il pas de stimuler l’émulation entre les<br />

organi<strong>sa</strong>tions locales afin d’atteindre et de dépasser… l’objectif<br />

du « Plan » 37 ? Pour le reste, quand des statistiques globales sont<br />

avancées, notamment à l’occasion des Congrès, elles s’en tiennent<br />

rituellement à des niveaux confortables, plus ou moins<br />

définis par le nombre des <strong>carte</strong>s expédiées 38 .<br />

Jusqu’à la fin des années 1990, ni les membres du Comité<br />

central, ni ceux du Bureau politique, ni ceux du Secrétariat,<br />

n’ont connais<strong>sa</strong>nce de l’effectif national. Même le respon<strong>sa</strong>ble<br />

aux Cadres n’en est pas informé. Chaque dirigeant, fédéral ou<br />

national, peut connaître l’état d’un segment de l’univers communiste<br />

; ceux qui en ont une vision d’ensemble se comptent<br />

sur les doigts d’une main. Tel est le pouvoir du <strong>sa</strong>voir… Les<br />

effectifs militants relèvent du secret de parti ; le rompre équivaut<br />

à une capitulation devant « l’adver<strong>sa</strong>ire de classe ». On <strong>sa</strong>it,<br />

dans l’appareil, que les chiffres officiels déforment la réalité ;<br />

pourtant, nul ne s’avise de réclamer un état réel de l’organi<strong>sa</strong>tion<br />

39 . En 1989, encore, le secrétaire à l’Organi<strong>sa</strong>tion de<br />

l’époque, Jean-Claude Gayssot, explique dans un es<strong>sa</strong>i politique<br />

40 pourquoi le PC n’a pas constitué de fichier d’adhérents<br />

informatisé. « Quel cadeau [ce serait] pour les renseignements<br />

généraux, pour les hommes du patronat », s’exclame-t-il. Dans<br />

ce même livre, il annonce que « notre parti compte plus de<br />

600 000 membres » et évoque le chiffre de 27 000 cellules, alors<br />

que, la même année, le classeur d’organi<strong>sa</strong>tion recense 370 000<br />

<strong>carte</strong>s placées, dispersées dans un peu moins de 19 000 cellules.<br />

Il est vrai que, depuis dix ans, les effectifs du PC sont en<br />

décrue quasi continue et que les dissidences se sont multipliées.<br />

À nouveau, la direction est tentée de minimiser le recul. Alors<br />

que l’écart entre les chiffres officiels et les données internes<br />

s’était plutôt réduit après 1964, il augmente sensiblement après<br />

1979. L’ultime statistique du secrétariat général de Georges<br />

Marchais, en 1994, enregistre la distorsion la plus forte depuis<br />

1954 : 590 000 adhérents annoncés devant le Congrès, contre<br />

un peu plus de 270 000 comptabilisés dans le cahier secret, soit<br />

une multiplication des effectifs par un peu plus de deux.<br />

5. Nouvelle donne, nouveaux comptes.<br />

Dans la toute dernière période, la direction communiste<br />

a modifié <strong>sa</strong> stratégie de comptabili<strong>sa</strong>tion et de communication.<br />

Trois données concourent à cette évolution. Le changement<br />

des règles de financement des partis politiques pousse les<br />

organi<strong>sa</strong>tions à une plus grande transparence dans la définition<br />

de leurs ressources et donc de leur enveloppe de coti<strong>sa</strong>nts. L’établissement,<br />

décidé en 2001, d’une <strong>carte</strong> d’adhérent tri<strong>sa</strong>nnuelle<br />

31 Devant le congrès, Marcel Servin reconnaît simplement que, dans les années précédentes, il y a eu « quelques gonflements artificiels d’effectifs », gonflements<br />

qu’il s’empresse d’attribuer bien sûr… à Auguste Lecœur.<br />

32 Dans l’entretien qu’il m’a accordé, Guy Fuléro a insisté à plusieurs reprises sur cet effort, qui condui<strong>sa</strong>it le secteur d’Organi<strong>sa</strong>tion à confronter, chaque fois que<br />

cela était possible, les déclarations des fédérations et les éléments d’information remontant des organismes « inférieurs ».<br />

33 Histoire intérieure…, tome 3, p. 504.<br />

34 Après Marcel Servin (1954-1961), les secrétaires à l’Organi<strong>sa</strong>tion ont été Georges Marchais (1961-1970), André Vieuguet (1970-1976), Paul Laurent (1976-<br />

1985), Jean-Claude Gayssot (1985-1990), Pierre Zarka (1991), Maxime Gremetz (1991-1993), Jean-Paul Magnon (1994-1996).<br />

35 On notera toutefois qu’en 1967, Georges Marchais (alors respon<strong>sa</strong>ble à l’organi<strong>sa</strong>tion) évoque le nombre des <strong>carte</strong>s délivrées en ajoutant : « Chacun <strong>sa</strong>it qu’entre<br />

les <strong>carte</strong>s envoyées aux fédérations et les <strong>carte</strong>s placées, il existe toujours un écart ». Il est vrai que le respon<strong>sa</strong>ble tempère aussitôt son affirmation troublante<br />

en di<strong>sa</strong>nt de l’écart que « d’ailleurs il se réduit de plus en plus »…<br />

36 La proximité des chiffres annoncés avec les sources internes varie selon les Congrès. Ceux que cite Marcel Servin en 1954 ont un lointain rapport avec la réalité<br />

connue de lui ; en revanche, dans les années soixante, les chiffres d’adhésion et la composition des organi<strong>sa</strong>tions du parti sont dans l’ensemble conformes aux<br />

registres de la « section d’Org ».<br />

37 Toutes les semaines, les fédérations reçoivent un bulletin venu du secteur d’Organi<strong>sa</strong>tion, qui fait état des pourcentages de <strong>carte</strong>s placées et des initiatives de recrutement,<br />

mais, bien sûr, ne donne aucune indication sur le nombre d’adhérents.<br />

38 Les archives Thorez (626 AP/224) contiennent un petit carnet indiquant des effectifs départementaux pour 1963 et 1964. Comme le carnet de 1946, il présente<br />

une série de chiffres très arrondis, dont le total s’élève à un peu plus de 410 655 pour 1963 et à 421 450 pour juin 1964, alors que le classeur d’Organi<strong>sa</strong>tion<br />

n’en recense que 270 et 275 000 ces années-là. La totali<strong>sa</strong>tion des effectifs mentionnés correspond à peu près aux chiffres officiels dispensés en 1962 et 1964.<br />

Faut-il y voir une indication des <strong>carte</strong>s expédiées par le Centre, ou une suggestion, en prévision du Congrès à venir, pour une distribution départementale qui<br />

permettrait de légitimer le futur chiffre officiel en le rendant vraisemblable ?<br />

39 Ce privilège est réservé aux « dissidents ». Au début de 1994, le bulletin des « refondateurs », Futurs (n° 28, mars 1994) publie, sous la signature de Roger Martelli<br />

et de Lucien Sève, une critique du chiffre officiel des 590 000 adhérents annoncés dans le rapport introductif du Congrès précédent. Leur estimation du<br />

niveau réel (entre 350 et 480 000) était en fait encore largement au-dessus du chiffre réel des <strong>carte</strong>s placées… Dans le numéro suivant, un lecteur attentif, Jean-<br />

Yves Follézou, suggère une hypothèse de 240 000, plus proche de la réalité.<br />

40 Jean-Claude Gayssot, Le Parti communiste français, Messidor/Éditions sociales, 1989, p. 25.

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